Introduction

Parmi les Pères de l'Église orientale, Origène et Grégoire de Nysse connaissent un regain d'intérêt, assez comparable à l'actualité de saint Augustin, en Occident. Et c'est justice.

La Prière d'Origène a montré aux lecteurs de notre collection la pédagogie et l'enseignement spirituel du grand Alexandrin, qui marque désormais l'Orient chrétien. Basile, frère de Grégoire de Nysse, avait une telle admiration pour Origène qu'avec Grégoire de Nazianze il composa une anthologie de ses œuvres, appelée Philocalie.

Grégoire de Nysse à son tour se met à l'école d'Origène. Disciple éclairé et non servile, il sait manifester son indépendance et prendre de la distance. Dans la Création de l'homme, par exemple, il fraie son chemin et se démarque de certaines thèses du maître, pour se rapprocher des positions des théologiens d'Antioche.

Inspiration biblique

Origène a communiqué à l'évêque de Nysse l'amour de l'Écriture. Et c'est la première chose qui saute aux yeux à qui étudie sa théologie, trop légèrement taxée de platonisme. La Bible est la première source où puise sa réflexion. Cherche-t-il à élaborer une théologie de l'homme, il ouvre la Genèse, le livre des commencements, selon le mot d'Edmond Fleg. Une grande partie de ses ouvrages sont consacrés à l'Écriture.

La chose est particulièrement frappante dans la théologie spirituelle du Nyssène. Les grandes œuvres mystiques se développent dans le cadre d'un thème ou d'un écrit biblique : Vie de Moïse, Homélies sur le Cantique des cantiques, Homélies sur les Béatitudes.

Comme nous l'avons dit, à propos de la Catéchèse de la foi, le lecteur moderne est à première vue surpris du nombre limité des citations bibliques. Il est vrai que dans les Homélies sur les Béatitudes, les citations, explicites ou non, sont plus nombreuses et toujours percutantes. Grégoire ne cite pas l'Écriture comme Augustin, il lui demande moins le mot que l'idée, moins l'expression que l'inspiration.

Dans les autres ouvrages spirituels, comme la Vie de Moïse, le Cantique des cantiques, c'est l'Écriture qui fournit le thème et la structure. Comme pour montrer que le chrétien met ses pas dans ceux tracés par la marche du peuple de Dieu. Une même histoire s'étire d'Israël à l'Église.

Moïse nous est présenté comme le modèle et le type de l'ascension spirituelle, à la rencontre de Dieu : l'épisode du buisson ardent, l'ascension du Sinaï, les stations dans le désert, la ténèbre où Dieu habite rythment l'itinéraire de toute marche spirituelle. Grégoire s'inspire ici des homélies d'Origène sur l'Exode et les Nombres.

Ce qui donne aux figures de l'Exode, développées dans la Vie de Moïse, leur fondement et leur signification, c'est qu'elles parlent du Christ. Déjà l'évangile de Jean applique à la vie du Christ les grands épisodes de cet itinéraire : le serpent d'airain (chap. 3), la manne (chap. 6), l'agneau pascal (chap. 1, 18), la colonne lumineuse (1, 14), la source jaillissante (7, 37-38). Saint Paul surtout, dans la première lettre aux Corinthiens, montre que le Christ est le rocher qui accompagne la marche du peuple élu : « Or ces choses ont été figures de ce. qui nous concerne (1 Co. 10, 6) ».

Le Christ figuré dans l'Ancien Testament qui donne à la vie de Moïse sa valeur typique « n'est pas seulement le Christ historique mais le Christ total. Il peut être considéré soit dans sa personne historique, soit dans l'Église et l'économie sacramentelle, soit dans sa consommation finale, soit dans chaque âme » (Daniélou).

De la sorte la Vie de Moïse trace au chrétien l'itinéraire à la fois sacramentel et spirituel, qui lui permet à travers les purifications intérieures d'accéder au mystère du Dieu inaccessible, dévoilé dans le Christ.

Les Quinze homélies sur le Cantique des cantiques voient dans le livre de Salomon l'union amoureuse entre Dieu et l'âme, et non pas, comme l'avait interprété Origène, entre Dieu et l'Église. Il s'agit pour Grégoire de décrire, sous le vêtement littéraire et biblique de l'épithalame, l'ascension progressive de l'âme, enivrée par l'amour de Dieu, depuis la purification et le détachement du créé et de la matière, jusqu'à la connaissance de Dieu et à la contemplation qu'il appelle comme dans la Vie de Moïse, Théoria.

« De commencements en commencements » l'âme suit l'itinéraire qui lui est tracé par Dieu, « par des commencements qui n'ont pas de fin ». Il est remarquable que nous sommes en présence non pas d'un traité exégétique mais d'homélies prêchées au peuple, recueillies par l'auditoire, revues par l'auteur, qui s'arrêtent à Cantique 6, 8.

Parmi tous les commentaires spirituels du Cantique, le texte privilégié des spirituels et des mystiques, tout au long de l'histoire chrétienne, c'est celui de Grégoire, un des plus lus, qui forme la partie la plus importante des chaînes sur le livre inspiré.

Dans la même foulée biblique, l'évêque de Nysse cherche dans un texte néo-testamentaire, cette fois, un tracé de l'itinéraire spirituel. Les huit Béatitudes lui découvrent les huit paliers, qui mènent à la perfection et à la vision béatifique. Une fois de plus l'auteur décrit la démarche spirituelle dans le cadre d'un texte biblique et évangélique.

Les Béatitudes dans les évangiles

Grégoire de Nysse est le premier écrivain chrétien à détacher les huit Béatitudes de l'évangile de Matthieu pour en chercher l'unité interne et la signification spirituelle. Peu après lui, saint Augustin replace les Béatitudes dans le discours sur la montagne. Il ramène, par un tour de passe-passe, les Béatitudes à sept pour les mettre en parallèle avec les sept dons de l'Esprit, annoncés par le prophète Isaïe, et les sept demandes du Pater.

Le lecteur moderne qui aborde les Béatitudes évangéliques est au départ arrêté par un problème qui ne semble avoir guère soucié les auteurs anciens. Il existe deux recensions assez divergentes des Béatitudes chez Matthieu et chez Luc. Comment concilier les huit Béatitudes dont parle Matthieu avec les quatre de Luc ? Problème assez symétrique à celui qui est posé chez ces deux mêmes évangélistes par leur recension du Notre Père.

Interrogation qui pose la question synoptique. Unité et diversité de trois évangiles rapportant un même récit, une même vie. Quelles sont les sources des rédacteurs ? Quelle marge de liberté leur est laissée, dans la conception et l'architecture de leur ouvrage, dans l'adaptation du texte au milieu qu'ils visent ?

De part et d'autre, chez Matthieu comme chez Luc, les Béatitudes se présentent au début du ministère public de Jésus. Le Maître voit grossir la foule qui l'écoute et le suit (il a choisi les apôtres chez Luc), il se voit obligé de s'expliquer sur son message, sur les valeurs qu'il apporte et préconise. Les Béatitudes servent de péristyle au royaume de Dieu.

Comme saint Augustin l'a bien vu, le Sermon sur la montagne, qui s'ouvre sur les Béatitudes, chez Matthieu, possède une architecture solidement charpentée, établie sur trois parties (perfection, exercice, importance de la nouvelle justice), subdivisées chaque fois en sept éléments.

Visiblement l'évangéliste construit le discours, centre d'organisation, y introduit des paroles du Seigneur, de courtes paraboles, prononcées en des contextes différents, comme l'image du sel et de la lumière. Luc nous restitue vraisemblablement le contexte dans lequel le Christ a donné aux disciples le Notre Père comme prière de communauté.

Luc introduit le sermon de Jésus par quatre Béatitudes, auxquelles, seul, il ajoute quatre malédictions (Luc 6, 20-26). Chez lui le thème du discours est l'amour du prochain. L'évangéliste l'extrait de son cadre juif, dans lequel il fut prononcé, pour l'adapter à un milieu grec de petites gens, à qui il montre la grandeur du message de Jésus.

Le ton de Luc, abstraction faite du texte lui-même, est plus direct : Heureux, vous, qui êtes pauvres. Heureux, vous, qui avez faim. Il n'est pas question de pauvreté dans l'esprit, de faim de justice, mais de pauvreté tout court, de ceux qui souffrent de la faim actuellement. Luc se meut dans un ordre avant tout économique et social.

Les malédictions (qui lui sont propres) sont aussi directes et nettement agressives : « Malheur à vous les riches, malheur à vous qui êtes repus ! » Il est vrai que ce souci des pauvres est une constante du 3e évangile, Luc est l'évangéliste de ceux qui sont opprimés, de la femme assujettie.

Certains commentateurs surtout anciens expliquent quelque peu cavalièrement les différences en cherchant à ramener les huit aux quatre Béatitudes. Ce qui est inexact : les quatre correspondent aux quatre premières de Matthieu. Les quatre dernières de ce dernier lui sont propres. C'est donc le Ier évangile qui porte l'enseignement le plus complet, celui qui demeure normatif et que développe Grégoire de Nysse.

        Trois caractéristiques se dégagent des Béatitudes évangéliques :

l   elles exposent une morale de grâce plus que d'obéissance à un ordre. Dieu donne et donne avec munificence. L'homme — et tout homme — est un pauvre à la porte de Dieu. Mais en même temps, la tendresse divine répond à l'attente intime et essentielle, elle comble l'homme dans son aspiration la plus profonde. Grégoire dégage particulièrement cet aspect.

l   Les Béatitudes ont un caractère messianique. Elles se situent dans le sillage de la prédication de Jésus de Nazareth, lisant le rouleau d'Isaïe, le plus évangélique des prophètes : « Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers la délivrance, rendre la vue aux aveugles, la liberté aux opprimés... »

Les Béatitudes se meuvent dans le sillage des prophètes et des psalmistes ; le substrat biblique saute aux yeux. Grégoire met bien en lumière par le choix de ces citations scripturaires ce fondement biblique. Le Christ réalise à la fois les promesses et rassemble en lui les richesses des diverses béatitudes « qui s'harmonisent comme les couleurs d'une mosaïque » (Hunter).

— Les promesses eschatologiques. Sous des formes diverses : royaume de Dieu, vision du Seigneur, filiation divine, promesse dans les cieux, terre nouvelle, les Béatitudes affirment et apportent les richesses du salut dont le Christ est le porteur. Elles s'enracinent en lui, fleurissent et fructifient dans l'attente du Jour sans déclin, la Jérusalem nouvelle vers laquelle marche toute la communauté ecclésiale. Grégoire sera également sensible, surtout dans les Béatitudes 7 et 8, à cet aspect.

Il reste que le temps messianique commence avec le Christ, l'économie de la béatitude, avec ceux qui l'accueillent. La vraie richesse se confond avec la découverte du « vrai pauvre », celui qui s'est dépouillé pour nous dévoiler la tendresse de Dieu. Saints et mystiques nous montrent que ceux qui vivent la béatitude la possèdent déjà.

Sur les Béatitudes évangéliques, Grégoire de Nysse ouvre une tradition. Après lui, les auteurs spirituels développent l'enseignement de cette introduction au Sermon sur la montagne. Les uns se contentent d'en faire l'analyse et de prêcher les vertus et les valeurs qu'elles proclament. D'autres vont plus loin et cherchent la cohésion interne pour parvenir à une systématisation. Grégoire de Nysse ouvre cette voie.

Ambroise de Milan amène les quatre béatitudes de Luc aux quatre vertus cardinales, simplement développées par Matthieu. Augustin, jeune prédicateur, construit une éthique évangélique sur les sept dons du Saint-Esprit, les sept (huit) Béatitudes, les sept demandes du Pater. Bède, puis Bonaventure adopteront à leur tour la synthèse mystique de l'évêque d'Hippone.

Les huit homélies sur les Béatitudes [1]

Nous sommes en présence de prédications et non d'un traité. L'évêque parle à ses ouailles et leur expose la dynamique intérieure des Béatitudes, comme itinéraire de la vie chrétienne jusqu'à la perfection et à l'union mystique. L'exposé est didactique, l'expression accessible, le substrat philosophique discret, car le pasteur parle à un public modeste. Les préoccupations de l'auteur sont ici autres que dans la Catéchèse de la foi [2]. Aussi nos notes expliqueront-elles moins des allusions philosophiques que des données théologiques et spirituelles.

Le contenu des homélies

        « Heureux les pauvres par l'esprit. »

Ces pauvres cherchent les vraies richesses que le partage ne diminue pas. Qui est heureux ? Dieu seul est celui qui a part à sa richesse, enfouie dans la création faite à son image.

L'homme a « perdu » l'image par le péché, ou plus exactement l'a enfouie, le baptême la restaure. L'ennemi de ce bien est le démon qui sème l'ivraie dans le champ de Dieu, c'est-à-dire l'orgueil. Celui-ci est une myopie et une jolie, qui oublie notre origine misérable et notre condition éphémère. « Tu n'es jamais maître de ta vie ».

« Regarde plutôt l'exemple du Christ, qui de riche s'est fait pauvre et humble ». L'humilité surtout est le remède à un orgueil insensé et permet d'entrer dans l'esprit de la béatitude. Prends exemple sur ceux qui volontairement ont donné leurs biens aux pauvres.

« Heureux les doux. »

Exposé plus terne qui se meut sur un terrain ascétique et moral. Grégoire répond d'abord à une objection possible: Pourquoi « la possession de la terre » après « le royaume des cieux » ? Il s'agit non de la terre présente mais de la terre promise que le psalmiste appelle « la terre des vivants ».

La douceur est liée à l'humilité, comme l'orgueil engendre la colère. Cette dernière métamorphose l'homme et le met « hors de lui ». Humilité et douceur le protègent contre pareille sortie, clarifient son regard, maintiennent la paix intérieure, loin des illusions et des déviations.

« Heureux ceux qui pleurent ».

A première vue cette béatitude peut paraître absurde et contradictoire. De fait, n'importe quelle tristesse n'est pas dite bienheureuse, mais seule celle qui pleure le péché. Pleurer le péché, c'est reconnaître avoir perdu le bien véritable. Nous sommes tristes parce que nous sentons un vide, même si nous ne pouvons concevoir Dieu.

Tous ceux qui comparent la misère à l'état premier ne peuvent que pleurer et aspirer à le retrouver. Celui qui y parvient est déclaré bienheureux. Il se trouve en communion avec celui qui s'appelle « le consolateur ».

« Heureux ceux qui ont faim et soif de justice ».

A son habitude, l'évêque part de l'anorexie (manque d'appétit). Celui qui reprend goût à la nourriture est sur la voie de la guérison. Le désir est essentiel, à condition de désirer l'utile, les vraies valeurs, appelées ici « justice ».

Grégoire écarte une interprétation juridique, celle du droit et du juge. La vraie justice doit être accessible à tous ceux qui la cherchent. C'est elle qui a poussé le Christ à nous sauver. La scène évangélique de la tentation de Jésus montre que le Tentateur offre des pierres, le Christ, la véritable faim, et la nourriture qui est la volonté de Dieu.

Il s'agit non d'une vertu mais de toutes les venus réunies. Seule la justice rassasie sans satiété, à condition que Dieu soit l'objet de notre faim, de notre soif. Il devient alors notre pain, notre source d'eau qui se donne à qui le désire.

« Heureux les miséricordieux ».

Grégoire part de l'échelle de Jacob qui nous permet de monter vers Dieu. Le Seigneur se trouve au bout de l'échelle, il est le Bienheureux, seule la communion avec lui apporte la béatitude.

La miséricorde est la fleur de la charité, qui établit une péréquation entre les situations contrastées. Sont miséricordieux ceux qui agissent comme Dieu, et prennent sur eux la souffrance d'autrui. Ceux qui exercent les œuvres de miséricorde en seront récompensés, selon l'évangile.

Mais il nous faut exercer la miséricorde envers nous-mêmes, en prenant conscience de notre misère, mais la dépasser jusqu'à atteindre la richesse inamissible que Dieu a déposée en nous. Il faut purifier notre volonté pour faire les choix justes qui décident de notre situation future.

« Heureux ceux qui ont le coeur pur ».

Dieu est un rocher inaccessible, et pourtant nous devons le chercher. Nous pouvons le découvrir dans son agir. Ce qui dépend de la pureté de notre coeur. Quand nous éloignons la salissure qui dissimule son empreinte en nous, nous pouvons redécouvrir l'image enfouie. Dieu a déposé en nous une aptitude à le voir.

Écarter le péché n'est pas uniquement supprimer des actes mais en extirper la racine pour voir clair et juste.

« Heureux les artisans de paix ».

Nous entrons dans le Saint des saints, dans notre progression spirituelle : notre filiation divine. C'est le suprême bien pour une misérable créature, qui permet d'admirer la grandeur de Dieu.

Le suprême bien de la vie est la paix. Mais à quel prix ? Une lutte implacable. Nous ne pouvons donner que ce que nous avons. La paix suppose de vivre en bonne entente et donc de bannir la haine, la jalousie, la colère, la duplicité. Celui qui agit de la sorte imite Dieu et se comporte comme son enfant.

D'autres appliquent la Béatitude à la lutte entre la chair et l'esprit.

« Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ».

Grégoire, arrivé à la huitième béatitude, allégorise sur le chiffre huit, mais sans appuyer. Il y voit avec ses prédécesseurs le symbole de la résurrection et de l'achèvement.

L'évêque se perd un peu en mises au point. Pourquoi la première et la dernière béatitude ont la même récompense ? Pourquoi ailleurs ce sont les œuvres de miséricorde et non les persécutions qui sont récompensées (voir Matthieu 25) ? Les persécutés, répond Grégoire, avaient eux-mêmes besoin qu'on vienne à leur secours.

Foi et martyre illustrent la persécution. L'exemple de Joseph montre que l'épreuve débouche sur un bien. Ceux qui dans l'Écriture souffrent persécution, Joseph, Étienne, entrevoient la récompense promise. Comme eux il nous faut savoir sacrifier ce qui passe aux biens qui demeurent.

L'enseignement de Grégoire

Avec la vision des promesses, Grégoire boucle la boucle et achève l'itinéraire spirituel. Il était normal que la montée progressive aboutisse aux espérances entrevues par le diacre Étienne.

Comme il s'agit d'homélies réellement prêchées, il n'est pas étonnant qu'elles soient de qualité inégale. Le départ des trois premières s'avère un peu laborieux. Comme l'albatros du poète, l'évêque de Nysse piétine un peu, cherche le vent pour l'envol, Il se meut dans les prolégomènes, développe des considérations ascétiques et morales : pauvreté, humilité contre orgueil, douceur contre colère.

Plus métaphysicien que psychologue, plus à l'aise dans les considérations spirituelles que dans les méandres du cœur humain, le pasteur n'est pleinement lui-même que dans les valeurs positives et évangéliques qui font la justice nouvelle. Dès la 4e béatitude, Grégoire prend son envol et de la hauteur. En parlant de la faim de Dieu, s'ouvre la porte du jardin secret. Dans l'exposé passe une confidence sur l'expérience personnelle.

La 6e béatitude, sans doute la plus belle, décrit le vertige de Dieu et comment un cœur pur abrite et découvre l'image divine. Rassemblée, clarifiée, l'âme retrouve sa beauté première. Ici, Grégoire est lui-même et se révèle prince de la vie mystique. Les deux dernières homélies tirent les conclusions : filiation divine et promesses eschatologiques.

Les tenants du « platonisme de Grégoire de Nysse » reviennent bredouille de la lecture des homélies. Ce n'est pas chez les philosophes mais chez les hommes de Dieu et dans l'Écriture que Grégoire cherche inspiration et lumière. Dieu seul parle bien de Dieu.

L'Exode est largement cité. Mais la part du lion revient aux prophètes, Isaïe surtout, et aux psalmistes. Les uns et les autres ont traduit l'attente et la recherche du visage de Dieu ; ils fournissent le substrat biblique aux paraboles.

Dans le Nouveau Testament, les évangiles et les épîtres pauliniennes surtout sont abondamment cités. Le lecteur remarquera combien judicieux sont les textes cités. Ils se placent juste, comme les pierres des pyramides. Ce n'est jamais le mot qui appelle la citation mais la pensée ; c'est la recherche qui se trouve éclairée, comme d'en-Haut.

S'adaptant à son auditoire, Grégoire aime à fournir des exemples bibliques, sans les développer comme Ambroise. Tour à tour, il cite Jacob (5), Moïse (3), Joseph (8), David (2), Jonas (5), Paul, Pierre, Jean (2, 6), Étienne (8). Il recourt aux paraboles évangéliques : le semeur et l'ennemi (1), le riche et le pauvre Lazare (3, 5), judicieusement citées, les assises du jugement (8). Lui-même développe le récit de la tentation de Jésus, en forme d'apologue que l'on pourrait intituler « les pierres du tentateur et la faim de Jésus ».

Il est surprenant de constater l'extrême discrétion du pasteur à recourir à une interprétation allégorique. Avec les commentateurs les plus solides, comme Th. Soiron, Grégoire trouve les préludes prophétiques et psalmiques aux diverses béatitudes. Ce qui atteste une rare maîtrise de la lectio divina (lecture sapientielle de l'Écriture).

Les comparaisons foisonnent, celles qui parlent et celles qui étincellent. Elles partent moins de la vie et de l'observation que chez Augustin. Comme dans la Catéchèse, Grégoire aime l'image du médecin, l'étude de la maladie, les remèdes pharmaceutiques.

Le lecteur avisé trouvera les grands thèmes de la théologie de Grégoire, parfois énoncés par touches discrètes : la doctrine de l'homme image de Dieu affleure à de nombreuses reprises. Il faudra souvent une relecture pour découvrir toutes les implications théologiques et spirituelles. (Nous y aiderons dans les idées-forces). Grégoire dit : Qui ne cherchera pas ne trouvera pas (3C B.). Nous pouvons ajouter en finissant : Qui cherchera ici, trouvera... et sera comblé.


[1] Éditées dans la P-G- 44, 1193-1301.

[2] Grégoire de Nysse, Catéchèse de la Foi, coll. Les Pères dans la Foi, Desclée de Brouwer.

    

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