Les rapports du feu et de l'eau :
la transmutation des éléments

Le feu est-il destructeur ?
Grégoire s'excuse de devoir contredire Basile.

Mais on dit que le feu consume, et qu'il a besoin que quelque matière entretienne toujours sa flamme, afin qu'il ne soit pas affaibli par le manque de combustible, en se consumant lui-même ; mais pour moi, même si la grande voix de notre maître soutient une telle pensée, je demande aux lecteurs de ne pas m'en vouloir si, veillant à l'enchaînement logique, je ne me soumets pas absolument à ceux qui se sont consacrés avant moi à l'observation des êtres. Car aussi bien, le but de notre maître était non pas de présenter à ses auditeurs ses propres pensées comme des lois, mais de faire apparaître pour ses disciples, par son enseignement, une voie d'accès à la vérité ; pour nous donc, après avoir été formés par les enseignements qu'il a laissés, nous veillons à l'enchaînement logique : et si cet exposé avait par hasard quelque vraisemblance, ce devrait être aussi rapporté à la sagesse de notre maître.

Les qualités s'opposent mais ne se nourrissent pas de leur opposé

Quel raisonnement tenons nous donc devant l'objection soulevée ? Ce n'est pas seulement dans le feu et l'eau que nous observons des qualités opposées symétriquement, mais on peut également trouver dans chacun des éléments, d'une façon générale, un conflit de ses particularités avec celles qui leur sont opposées. En effet de même que, dans les éléments dont nous avons fait mention, la chaleur lutte contre le froid, la sécheresse contre l'humidité, de même encore dans l'autre opposition, celle de la terre et de l'air, il existe en chaque élément des qualités opposées les unes aux autres, la solidité et la mollesse, la compacité et la porosité, le poids et la légèreté, et toutes les autres que l'on peut découvrir par opposition, dans leur originalité, en chacun d'eux. De même donc qu'on ne peut pas dire qu'en eux l'un se nourrisse de son contraire, car ni la légèreté de l'air ne s'augmente en consumant ce qui est lourd, ni la densité de la terre n'agit sur la porosité de l'élément opposé, ni le reste des particularités de la terre ne nourrit par sa propre destruction les qualités aériennes, de même, on pourrait dire que l'humide et le froid sont opposés à la chaleur et au sec, mais pas cependant que les premiers sont nourris par la destruction des seconds, ni que chacun d'eux trouve sa puissance d'exister dans le fait que l'autre n'est pas. En effet, ni l'un ni l'autre n'existeraient, si vraiment la permanence de l'un et de l'autre trouvait sa puissance dans la destruction des deux ; car en chacun il y a la même puissance de détruire l'autre, et l'élimination du vaincu dépend toujours de la supériorité du vainqueur.

Preuve par l'expérimentation : le brandon enflammé

Nous pouvons vérifier que ce raisonnement est vrai à partir de cette expérience : chaque fois en effet que le feu s'empare de quelque matière, puis qu'on y jette de l'eau, on peut clairement constater la destruction mutuelle des deux éléments : car celui des deux qui l'emporte fait disparaître l'autre, chacun cédant pareillement sous la domination de celui qui est en surabondance. Mais aussi longtemps que la puissance est équilibrée de part et d'autre, l'élimination mutuelle agit à égalité chez les deux, et l'un ne se nourrit pas de l'autre, mais les deux s'éliminent mutuellement.

Donc, de même que chez les animaux qui se mangent les uns les autres, il n'est pas dans l'ordre naturel que les uns vivent par les autres, puisqu'ils se détruisent les uns les autres, de même aussi l'opposition de l'humide et du sec ne saurait conserver l'existence d'aucun des deux, si vraiment la déperdition de l'un nourrissait l'autre.

Preuve par l'Écriture : les créatures sont "tout à fait" (Gen 1, 31) belles

Mais il me semble qu'il serait bon que nous reprenions ainsi le récit en suivant  plutôt son enchaînement : puisque toutes les créatures que Dieu a faites sont tout à fait belles, j'affirme qu'il faut voir en chacun des êtres la perfection du beau ; en effet l'ajout du tout à fait montre clairement par son sens intensif le fait qu'il ne manque rien pour aboutir à la perfection. Car on peut voir par exemple dans la genèse des animaux mille différences d'espèces, mais nous affirmons que le fait qu'elles sont tout à fait belles se réfère pour chacune d'elles, dans une égale mesure, à ce que recouvrent pour le langage commun ces êtres, et ce qu'ils recouvrent ne se rapporte certainement pas à l'apparence, car la scolopendre et la grenouille terrestre et les bêtes qui tirent vie de la putréfaction des boues seraient tout à fait belles. Mais l'œil divin, qui ne regarde pas la surface des créatures, ne définit pas le beau par la beauté des couleurs et de la forme, mais par le fait que chacune possède en elle-même une nature parfaite en son genre. En effet, ce n’est pas dans la non-existence du bœuf que réside l’existence du cheval, mais en chacun d'eux la nature se conserve elle-même, possédant ses propres principes en vue de sa propre permanence, mais ne trouvant pas la puissance d'exister dans la destruction d'une autre nature.

De la même manière, même si les éléments sont différents les uns des autres, chacun est cependant en lui-même tout à fait beau ; car en lui-même, suivant son principe propre, il a reçu l'achèvement de la beauté ; la terre est belle, car elle n'a pas besoin de la destruction de l'air pour être terre, mais demeure dans ses propres qualités, se conservant elle-même grâce à la puissance naturelle placée en elle par Dieu. L'air est beau, non pas en ce que la terre n'existe pas, mais en ce qu'il est, suffisant à sa permanence par les capacités qui lui ont été fournies par la nature. De même, et l'eau est tout à fait belle, et le feu est tout à fait beau, car chacun des deux est entièrement achevé dans ses qualités propres et demeure pour toujours, par la puissance de la volonté divine, dans les mesures de sa création première ; la terre, dit-on, est fixée pour tous les temps (Si 1, 4), sans diminuer, sans augmenter. L'air est conservé dans ses limites propres ; le feu ne diminue pas. Comment, seule entre tous, l'eau peut-elle être un élément consumable ?

Preuve par l'absurde

De plus nous constatons à ce propos l'importance, en comparaison avec les autres êtres, de la substance et de la puissance ignées, et il est clairement démontré par ceux qui font la description physique des météores que le soleil est plusieurs fois aussi grand que la terre, de sorte que l'ombre de celle-ci ne s'étend pas loin dans l'air, resserrée en forme de cône dans la projection des rayons lumineux par la supériorité de la taille du soleil. Si donc l'eau et toute la terre représentent si peu quand on les compare avec lui qu'ils sont une part minime de la grandeur du soleil, en combien de temps cette petite quantité serait-elle suffisante à la combustion opérée par un feu si grand ? Mais nous voyons la mer fluctuer toujours d'une manière égale, et le cours des fleuves rester dans les mêmes mesures. Aussi le fait que l'eau ne subit aucune déperdition du tout est-il attesté par ce fait d'expérience ; mais de même qu'au commencement ce n'est pas de la destruction de l'humidité que le feu est né, mais qu'il a été institué lui aussi selon la même puissance qu'elle, de même, en vertu de la constitution première de l'élément, sa persistance aussi sera assurée pour toujours, sans que la nature humide soit troublée par la permanence du feu.

Cycle de l'eau ; comparaison avec les plantes

Mais nous constatons, dit-on, que souvent la terre, rendue humide par une forte pluie, puis placée sous le fort échauffement du soleil, devient sèche alors qu'elle était, il y a peu, imprégnée d'eau ; où est donc, demande-t-on, l'humidité qu'elle contenait, si vraiment ce n'est pas la chaleur des rayons du soleil qui la consume entièrement ? Est-ce donc aussi que si l'on transférait l'eau qui se trouve dans un vase dans un autre et que celui qui était plein soit entièrement vide, on pourrait dire, parce qu'elle n'est pas dans le premier, qu'elle n'est pas non plus du tout dans le second ? Le fait est que si quelqu'un trouve ce qui se passe dans ce cas semblable à notre question, il ne se trompera pas ; en effet, il revient au même qu'il y ait écoulement de liquide d'un premier récipient à un second, et que l'humidité de la terre, chassée de celle-ci, monte vers le ciel, car l'humidité, par nature, lorsque la chaleur de ce qui est au-dessus d'elle l'attire vers elle, est filtrée de façon microscopique hors de la terre, vers le haut. Preuve de ce qui arrive là, le fait que souvent, quand des vapeurs denses sont produites par les profondeurs de la terre, il semble qu'une masse nuageuse en jaillisse, et la densité des vapeurs devient telle qu'elle est même perceptible par les yeux ; mais il se pourrait aussi qu'il y ait quelque exhalaison de l'humidité en de plus subtiles particules, de sorte qu'elle se montre d'une certaine façon semblable à l'air par sa subtilité, et que cette exhalaison de telles humeurs ne soit d'abord pas visible aux yeux avant qu'elle se réunisse sur elle-même et devienne ainsi, par condensation, un nuage ; c'est pourquoi les substances humides subtiles et semblables aux vapeurs, s'élèvent d'abord dans l'air, à cause de leur légèreté, et sont mues par les vents, mais si l'ensemble de l'humidité est rendue plus lourde par un mouvement de confluence, alors, tombant des airs sur la terre, elle devient goutte. La chaleur ne détruit donc pas ce qu'elle a précisément tiré de la terre et façonné : mais à partir de ces exhalaisons, le nuage se forme ; puis le nuage comprimé devient de l'eau ; celle-ci, mêlée à nouveau à la terre, s'élève en vapeur, et la vapeur formant un nuage, devient de la pluie ; à partir de celle-ci la terre produit à nouveau des vapeurs ; celles-ci, lorsqu'elle se condensent dans la [96A] constitution des nuages, s'écoulent ; et l'écoulement est à nouveau rendu vers le haut sous forme de vapeurs, et ainsi il se produit un cycle fermé sur lui-même, et dont les phases toujours se succèdent et restent les mêmes.

Mais si on parle des plantes, et des pousses, tout se passe suivant ce même cycle : en effet la substance humide parcourt les plantes et les semences jusqu'aux bourgeons ; puis quand elle a introduit dans la masse de ce qu'elle nourrit toute la part terrestre qui l'accompagne, lorsque son support est asséché par l'air qui l'entoure, elle s'évapore à nouveau pour rejoindre ce qui est de même nature qu'elle ; l'air étant peu dense dans ses parties, et ayant une plus grande subtilité que celle des vapeurs, il laisse aller tout ce qui vient à être en lui vers ce qui est de même espèce. Ainsi en effet la poussière, même si elle a été dispersée loin dans l'air, est à nouveau rendue à la terre, et la substance humide n'est pas détruite, mais rencontre quelque chose qui est tout à fait de même espèce et de même nature qu'elle et qui erre dans l'air, à quoi elle s'unit, s'accroît de la rencontre avec ce qui lui est semblable, et s'enfle à nouveau en constituant un nuage ; et elle revient ainsi, sous forme de gouttes, à sa propre nature, de sorte que partout les parties du cosmos, que l'on observe dans le tout sous forme d'éléments, sont conservées dans la même proportion que celle que la sagesse du Démiurge a fixée à l'origine pour chacun des êtres en vue de la belle harmonie du tout.

Objection : disparition de nuages ; la frontière supérieure du ciel ; les étoiles filantes

Mais je connais l'argument contradictoire : souvent en effet on peut voir, par très forte chaleur, des nuages se dissoudre dans l'air, phénomène dont l'observation plus attentive permettra de réfuter en quelque manière l'affirmation qui dit que rien ne se perd de la substance humide ; en effet les portions floconneuses des nuages, maintes fois dispersées dans l'air, d'abord diminuent de volume, consumées par l'extrême importance du rayonnement, puis disparaissent complètement, desséchées par la chaleur, de sorte qu'il n'en subsiste pas même un reste peu important, quand le rayonnement a desséché l'humidité.

On ne peut pas répondre à cela en parlant encore des vapeurs : en effet la constitution de ce qui est au-dessus des vapeurs, de ce qui surplombe cet air troublé et venteux, n'admet, dans la légèreté de sa propre nature, rien de plus lourd, mais toutes les vapeurs et toutes les exhalaisons ont pour limite à leur ascension l'épaisseur de l'air qui entoure la terre dans ces parages, au-dessus desquels leur nature ne leur permet pas de s'infiltrer, car rien de plus épais ne saurait être accueilli dans ce qui est subtil et éthéré. C'est ainsi que les savants disent que les sommets de certaines montagnes très élevées sont toujours au-dessus des nuages et hors d'atteinte du vent, et qu'il est impossible aux oiseaux de voler au-dessus d'eux, tout autant qu'il est impossible aux habitants des eaux de vivre dans l'air.

Tout cela montre clairement qu'il y a dans l'air une frontière avec la région supérieure, qui délimite la place assignée à celles des exhalaisons de la terre qui sont trop épaisses ; c'est pourquoi, même jusqu'à la saison d'été, la neige reste sans fondre sur les sommets, car la condensation des vapeurs refroidit sans cesse l'air dans cette région. Quant aux traînées de feu que certains appellent étoiles filantes, ceux qui sont savants dans cette matière disent dans leur physique qu'elles adviennent de la même cause : lorsque, de par la violence de certains vents, de l'air plus épais et chargé de matière est poussé vers le lieu éthéré, il s'enflamme aussitôt arrivé en haut, et suivant l'impulsion donnée par le vent, la flamme est emportée en glissant ; lorsque le vent s'est apaisé, la flamme aussi dépérit avec lui. S'il n'est donc plus possible de dire que des vapeurs se reforment dans la disparition d'un nuage, par similitude avec ce que l'on observe ici-bas — le retour de l'humidité enlevée — il est nécessaire de nous accorder avec ceux qui soutiennent que l'humidité est détruite par le feu et devient néant. Mais quant à moi, d'une part, je crois que l'humidité contenue dans les vapeurs disparaît à cause de la supériorité du feu, car je considère que c'est une controverse stérile que de résister aux faits évidents, d'autre part, puisqu'il convient que ceux qui recherchent la vérité de tous côtés ne peinent pas, je n'en affirme pas moins malgré tout que la quantité de la nature liquide est conservée sans diminution, et que ce qui en a été consommé retourne toujours complètement à ce qui en subsiste.

L'huile se change en sécheresse

Voici ce qui rend, à mon avis, cette conjecture forte : dans l'action du feu qui nous intéresse, nous apprenons par expérience que le feu ne dévore pas toutes les qualités de la matière qu'il saisit. Par exemple, pour la nature de l'huile, puisque l'humidité, dans cette matière, est distincte de la qualité de froid, elle se laisse facilement extraire par la chaleur du feu, et une flamme apparaît. Mais non seulement l'huile est changée en flamme par le feu, mais l'humidité issue de l'huile aussi, une fois que le feu est survenu, devient une poussière sèche, ce que montre clairement la fumée qui sort de la lampe et noircit ce qui est au-dessus de la flamme ; et si cela dure plus longtemps, un certain volume se développe même à l'endroit noirci par la fumée. Ceci montre de façon sûre que l'huile asséchée par le feu est changée en particules subtiles et invisibles et, de cette matière, passe dans l'air, et de là se condense sur la terre. On peut montrer qu'il y a dispersion dans l'air de la fumée en particules subtiles, à partir du fait que les narines de ceux qui respirent cet air noircissent, et que souvent, ce que l'on crache de l'intérieur de la poitrine apparaît noir, parce que teinté aussi par la couleur de la fumée, qui se dépose là par l'intermédiaire de l'air inspiré. Il est donc clair d'après ces faits que d'une part l'humidité de l'huile a été changée en sécheresse, et que d'autre part la masse propre à la matière n'a pas disparu dans le néant, puisqu'elle est dispersée dans l'air sous forme de particules subtiles et invisibles.

Rien ne se perd : l'eau se change en sec, elle ne disparaît pas

Celui qui applique au tout ce que nous avons appris sur le liquide en observant les faits, à savoir que seule l'humidité est changée en sécheresse, que ce qui est matériel ne subit pas une disparition complète, celui-là ne s'écartera pas du vraisemblable. Car il est clair que le tout est constitué de parties ; et ce que nous apprenons pour une partie nous donne un enseignement à propos du tout. Que l'humidité soit une par le genre, aucun des amateurs de controverses ne le contredirait. Or l'humidité, brûlée par le feu, est devenue une poussière subtile. Par suite, tout corps humide mis dans le feu change la qualité présente en ses parties, passant de l'humide au sec, et ne subit pas une disparition complète. Donc, puisque le nuage est une concentration de vapeur, que la vapeur est une exhalaison en particules subtiles de l'humidité, de toute nécessité, lorsque le nuage est asséché par la flamme, cette masse subtile et indivise de la vapeur, même si elle ne conserve pas sa qualité humide, ne va certainement pas jusqu'à disparaître dans son principe même en se dissolvant dans le néant.

 La vapeur change l'humide et le froid, mais conserve quantité et poids

On peut observer en effet quatre qualités dans la vapeur, l'humide, le froid, le lourd, la quantité ; parmi elles, celles qui sont opposées au feu disparaissent sous l'effet de la domination de l'élément qui l'emporte ; en effet, ni l'humide, ni le froid, ne demeurent inchangés lorsqu'ils sont mis au feu. Cependant la quantité aussi est liée à la substance du feu. Car le feu aussi est observable dans une certaine quantité ; et la quantité ne s'oppose pas à une mesure de quantité ; si donc la quantité de la vapeur, distincte des qualités d'humide et de froid, est conservée, et si la qualité de poids, qui est par essence présente dans la nature de la vapeur, est conservée avec la quantité, car le poids se trouve par nature à égalité dans l'humide et dans le sec, notre esprit ne saurait plus avoir de peine à suivre l'enchaînement des faits, pour connaître comment l'eau, devenue terre par le changement de qualité de la vapeur, prend la nature qui lui ressemble. En effet, le sec et le poids sont propres au domaine qualitatif qu'on observe dans la terre, en quoi la vapeur, quand elle est brûlée, est changée.

La continuité de la mer, l'évaporation et l'action des sels

Et il me semble qu'il est bon, après avoir saisi ce principe, de ne pas laisser échapper l'enchaînement logique de notre recherche, auquel parvient notre étude en nous conduisant par la main à la vérité. En effet il apparaît, d'après cette conclusion, que l'océan aussi reste continuellement dans ses limites propres, parce qu'insensiblement, le prélèvement de ce qui lui est constamment apporté par les eaux se produit, sous forme de vapeurs, en direction de la région supérieure, quand la chaleur en la réchauffant tire vers le haut à la manière d'une ventouse la part subtile de la nature des substances humides. Dans les lieux situés à l'intérieur des terres et plus au nord, cependant, le froid de l'environnement semble contredire notre exposé, puisque comme le réchauffement de l'océan dans ces régions n'est pas intense, l'évaporation des vapeurs ne se produit pas.

Il est possible, au moyen de deux arguments, d'écarter cette objection : d'abord parce que l'océan est un et entièrement continu par rapport à lui-même, même s'il est divisé en de nombreuses mers, jamais séparé de sa réunion avec lui-même, de sorte que s'il est davantage brûlé par la présence constante de la chaleur au sud, dans les régions refroidies, la diminution qui s'y produit est imperceptible, car le déplacement des eaux les fait refluer spontanément, de par le caractère descendant de leur nature, vers l'endroit qui subit sans cesse une diminution. D'autre part, le fait que tout l'océan soit salé témoigne de ce que la production de vapeur s'effectue à partir de toute l'eau dans la même mesure ; car la sécheresse est propre à la nature des sels, et si cette qualité est mêlée dans la même mesure à tout l'océan, alors le sel en lui agira dans toute partie de la même façon. En effet, toute nature agit conformément à sa propre puissance de façon universelle : comme le feu brûle, la neige refroidit, le miel adoucit, ainsi aussi les sels assèchent, puisque la nature asséchante des sels est mêlée partout aux mers ; le savoir divin a prévu cela pour faciliter la production des vapeurs, car le sel expulse et chasse en quelque manière de l'océan tout ce que l'eau comporte de subtil, dominant sur l'eau à cause de la sécheresse présente en sa nature ; il n'est nullement invraisemblable de penser que la déperdition en eau a lieu partout dans la même mesure, l'air puisant dans l'océan par l'intermédiaire des vapeurs. Mais certes, que toute l'humidité qui est dans l'air devienne nuage et que de là les pluies se répandent sur la terre, ce que notre exposé a montré précédemment, la prophétie l'enseigne aussi, en rapportant cette action à Dieu, quand elle dit : lui qui appelle à lui l'eau de la mer et la déverse à la face de la terre (Am 5, 9, 6) ; et il y a de nombreux autres exemples. Et que tous les nuages sont consumés par la chaleur qui les domine, et complètement brûlés, nous l'avons appris aussi de leur activité.

Objection : si l'eau se change en terre, il devrait y avoir des réservoirs pour compenser la perte qui en découle

Il reste donc à ne pas passer outre à l'objection qui ressort logiquement pour nous de ce qui vient d'être dit : en effet on dira, en suivant ce que nous avons précédemment examiné avec attention, que, d'après ce que nous avons appris de l'exemple de l'huile, la matérialité du support n'est pas détruite, même après la combustion, mais passe dans l'air, changée en terre sous l'action du feu ; mais, puisque l'humidité disparaît sous l'effet de la qualité contraire, comment est-il possible que la nature humide demeure toujours sans diminution, alors que de tous temps la substance chaude assèche l'humidité contenue dans les vapeurs et la change en qualité de sécheresse, comme notre étude l'a montré par des recherches attentives, en suivant la logique ? Si donc l'humide s'évapore, et que l'humidité se laisse facilement prendre par la chaleur, fractionnée en de subtils et indivisibles fragments par l'intermédiaire des vapeurs, de toute nécessité, l'humide se changeant en qualité de sécheresse, il faut croire plus vrai le raisonnement selon lequel il y a une réserve d'eau qui toujours compense ce qui est consumé par le feu.

Réfutation à partir de l'Écriture (I R. 17-18)

Peut-être aussi pourrait-on tirer de l'Écriture quelque témoignage en faveur de cette conjecture : l'ouverture des cataractes du ciel (Gn 7, 11 ; 1 R 17-18), lorsqu'il fallait que la terre fût submergée, l'eau dominant sur une très grande profondeur tout sommet de montagne. Mais pour ma part j'affirme qu'il est possible d'écarter cette objection fondée sur l'Écriture à partir d'un autre passage de l'Écriture : je sais en effet ce que la catachrèse des paroles divines, suivant l'habitude scripturaire, signifie par ouvrir et ce qu'elle montre par fermer ; car il est évident que ce qui est fermé s'ouvre, et que ce qui est ouvert se ferme ; puisque donc, lorsqu'un jour, au temps d'Elie, la sécheresse régna, l'Écriture dit que le ciel fut fermé pendant trois ans et six mois, je pense que cette parole, les cataractes du ciel furent ouvertes, parle de ce ciel, qui fut fermé à l'occasion de la sécheresse ; mais, à ce moment, grâce à la prière d'Elie, un nuage apparut, montant de la mer, et ouvrit pour eux le ciel par l'intermédiaire de la pluie ; cela montre alors clairement que même alors le firmament du ciel ne fut pas divisé pour laisser se répandre la pluie des eaux qu'on dit au-dessus de lui. Mais on appelle ciel l'air environnant la terre, qui délimite l'espace propre aux vapeurs, espace qui est précisément la limite de la nature très subtile de ce qui se trouve au-dessus, au-delà de laquelle rien de ce qui a une pesanteur n'a la puissance de s'élever, ni nuage, ni vent, ni vapeur, ni exhalaison, ni l'espèce des oiseaux. Ainsi, l'Écriture dit habituellement du ciel pour qui est au-dessus de notre tête, parlant d'oiseaux du ciel (Gn 1, 26) pour les animaux qui volent dans cet air.

D'après l'Écriture (Is. 40,12), chaque élément est circonscrit ; il y a nécessairement transmutation

Mais même s'il en est ainsi, notre exposé n'a pas encore résolu l'autre question, celle de savoir comment le changement des vapeurs en sec ne diminue pas l'humide alors qu'il est consumé par la domination de la substance chaude. A ce sujet, il serait bon de trouver un autre enchaînement logique qui s'accorde avec l'étude de la Parole. Peut-être en effet que, par une assiduité laborieuse, il nous deviendrait possible de ne pas nous tromper sur la conception qui convient le mieux à ce sujet d'examen. Tu as entendu la prophétie qui expose la magnificence de la puissance divine à travers les miracles de la création, dans laquelle il est dit : Qui a mesuré l'eau de la main, et le ciel d'un empan, et toute la terre du poing ? Qui a placé les montagnes sur une balance et les vallées sur le fléau? (Is 40, 12) C'est par ces mots, je crois, que le prophète enseigne clairement que chacun des éléments a été délimité dans ses propres mesures, car la puissance universelle de Dieu, qu'il appelle main, poing et empan, enferme chacun des êtres dans la mesure qui lui correspond en propre. Si donc le ciel a été mesuré par la puissance divine, et l'eau par sa main, et toute la terre par son poing, si les vallées sont placées sur le fléau de la balance, et si un poids précis est déterminé pour les montagnes, de toute nécessité, chacun demeure dans sa mesure et son poids propre, car ni augmentation ni diminution ne sont possibles dans ce qui a été mesuré par Dieu et protégé par lui. Si donc la prophétie atteste que ni ajout ni retrait ne peuvent arriver aux êtres, chacun demeure pour toujours absolument dans ses mesures propres, car la nature variable que l'on observe dans les êtres, transforme tout en autre chose et change chaque être en un autre, et de nouveau, par transformation et changement, le ramène aussitôt de celui-ci vers celui d'origine.

Les particules sèches retombent sur la terre où elles sont assimilées

Mais si le fait que telle vapeur humide, mise au contact du feu, se change en qualité de terre, se transformant en sec sous l'effet de la combustion, a été suffisamment examiné dans les raisonnements précédents, dans l'exemple qui concernait l'huile, il convient ensuite d'examiner ce qui en découle, c'est-à-dire si, quand la matière de la vapeur a été changée en la qualité opposée, il est possible que ce résidu de vapeur, que notre exposé comprend alors comme ce qui a accédé par la combustion à un état plus subtil et invisible, demeure en haut. Mais je crois bien qu'il est possible de faire une conjecture, dans ce cas aussi, à partir des exemples que nous connaissons : en effet, ici-bas, la part subtile de la fumée ne demeure pas toujours en suspens dans l'air, mais le manque de densité de l'air la laisse aller vers ce qui lui est semblable, en colorant à l'entour la terre, les murs et les boiseries de la toiture ; il s'ensuit donc que dans notre cas aussi, nous pouvons comprendre de même que la vapeur, lorsqu'elle est élevée par les vents vers la région supérieure et brûlante, malgré la transformation de sa qualité humide, conserve sa matérialité, et devenue sèche, est attirée vers le bas, vers ce qui lui est semblable, et se dépose sur la terre ; car la puissance d'attraction des êtres apparentés se trouve en chacun des êtres par nature, en sorte que cette conception, qui veut que la vapeur, devenue quelque chose de sec et de terrestre, est mêlée à la sécheresse de la terre, n'est en rien illogique. Si donc toute la nature de la substance humide était semblable à l'huile, en général, dans le caractère dense de sa qualité, la combustion ferait virer au noir la teinte de ces vapeurs ; et ce fait serait tout à fait clair pour tous, parce qu'on percevrait l'apparence qu'elles offriraient. Lorsque la part la plus subtile et la plus diaphane de la nature des eaux passe dans les vapeurs, et que celles-ci, selon le raisonnement donné plus haut, laissent dans le feu leur qualité humide, et se changent en sec, il faut de toute nécessité croire que ce sec, dont la réflexion conçoit aussi l'existence, bien qu'à cause de sa subtilité, il échappe à la perception, est pur et semblable à l'air.

Si quelqu'un croit que la perception est plus digne de confiance que la compréhension du raisonnement et cherche à observer de ses yeux les atomes indivisibles et invisibles, il est possible à celui qui le veut de voir l'air rempli de ces particules, chaque fois qu'un rayon lumineux se répand à travers une ouverture, et permet de rendre plus claire la partie de l'air que son éclat illumine ; car ce qui est inaccessible aux yeux dans le reste de l'air, on le voit, grâce au rayon lumineux, tourbillonner dans l'air en une multitude infinie. Celui qui dirige alors son regard vers elle découvrira que le mouvement de ces êtres subtils s'écoule toujours vers le bas ; Ce qu'on voit dans une partie de l'air prouve que cela se passe aussi dans sa totalité, puisque sa totalité est constante en elle-même, et que le tout est rempli de parties. Si, de tous temps, le mouvement de ces corps subtils et indivisibles s'écoule dans l'air vers la terre, s'il apparaît que ce n'est pas une espèce de l'éther qui est dispersée de côté et d'autre, broyée de manière à former ces corps, car la nature du feu ne peut subir ni broyage en corps subtils ni dispersion, il faut de toute nécessité croire que c'est la matière de ces corps, dont notre exposé a observé la montée par l'intermédiaire des vapeurs, qui tombe, de sorte qu'étant d'abord humides, ils sont attirés par la nature chaude, puis, brûlés et devenus terrestres, ils ne sont plus au pouvoir du feu mais se répandent à nouveau sur la terre.

Par exemple, en nous, la nourriture est changée en quelque qualité subtile par la digestion, et vient s'ajouter à la partie du corps où elle va, et comme la différenciation des organes dans l'organisation du corps est d'une grande variété, en sec, humide, chaud et froid, une part de nourriture peut y venir, et devenir ce que son support est par nature, car ce qui est dominant accueille facilement en lui la répartition produite par la digestion ; de la même façon, l'apport constant fait à la terre sous forme de ces particules indivisibles demeure insensible, parce qu'en se fondant dans tout ce qui est en dessous, qui est précisément par essence ce qui le reçoit, il se change en une autre nature, et devient terre dans de la terre, sable dans du sable, pierre dans de la pierre, et dans chaque chose celle-ci, car quel que soit le corps solide qui le reçoit, il se change en ce qui est dominant. Et si l'on pense, bien que notre raisonnement soit logique, que la solidité de la pierre peut difficilement accueillir un ajout de cette nature, je pense néanmoins, pour ma part, qu'il ne faut rien rétorquer à ceux qui sont de cet avis. En effet, notre observation n'en sera en rien moins vraisemblable, dans la mesure où le flux de l'élément terrestre retombe vers le bas sous l'effet des vents, en allant du lieu qui ne peut l'accueillir vers ce qui est de même nature que lui.

Objection : cela n'empêche pas qu'il y ait diminution de l'eau

Mais peut-être quelqu'un dira-t-il que notre raisonnement ne vise pas un but précis, mais qu'il se propose de montrer que la nature humide demeure de tous temps dans sa mesure initiale, et ne remarque pas qu'il établit le contraire : en effet, soit que ce qui est monté dans le feu y demeure, soit que, asséché aussi, il revienne à nouveau sur la terre, dans chaque cas la diminution d'eau sera égale. Cette explication n'en rend pas moins nécessaire la réserve d'humidité, parce qu'il y a une déperdition continuelle et générale. Il serait donc nécessaire, pour notre raisonnement, de considérer à nouveau la nature des êtres, de sorte qu'à travers elle notre sujet d'étude soit heureusement conduit vers le but proposé.

La loi de la transmutation des éléments

Quelle est donc la nature ? Rien de ce que nous observons sous forme d'éléments dans l'organisation du monde circumterrestre n'a été fait immuable ni invariable par l'artisan de toutes choses, mais tous les éléments sont les uns dans les autres et se maintiennent les uns les autres, s'éloignant les uns des autres et revenant à nouveau les uns dans les autres dans une égale mesure. Comme cette transmutation s’exerce sans cesse dans les éléments, il faut de toute nécessité qu’ils passent les uns dans les autres en se séparant les uns des autres et en revenant dans les mêmes quantités s’unir les uns aux autres. Aucun d'eux en effet ne pourrait se conserver de lui-même, si le mélange avec ce qui ne lui est pas apparenté ne maintenait pas sa nature. Comment donc, pourrait-on demander, se représenter la puissance cyclique changeante et transformante des quatre éléments ? en effet tous les éléments ne naissent pas les uns des autres, et le cycle de transmutation ne passe pas non plus semblablement par chacun des êtres, mais l'eau s'élève en l'air par l'intermédiaire des vapeurs, les vapeurs, lorsqu'elles ont nourri la flamme, reviennent à la terre à nouveau, devenues une sorte de cendre après avoir été reçues par le feu ; la terre, quand elle a reçu celle-ci, arrête en elle la course de la transmutation ; en effet, il n'a pas encore été examiné si la nature de l'eau peut naître de la terre.

Cas d'humidification d'êtres secs : les sels, le miel

Notre réflexion n'a donc pas encore examiné la question de savoir s'il est possible que la terre soit changée en la nature de l'eau. Dans tous les cas, personne ne nous fera le reproche de bavarder, alors que nous cherchons de toutes les façons possibles la logique dans ce que nous disons. Nous voyons donc que beaucoup d'êtres secs s'humidifient spontanément du fait d'une particularité de nature, comme on peut le voir pour les sels, pour ceux qui sont extraits des mines comme pour ceux qui sont produits par le dessèchement d'un liquide, sels dont la particularité est la sécheresse, mais qui, si quelque humidité les atteint, deviennent humides et changent la sécheresse présente en eux en qualité humide. C'est ainsi que j'ai remarqué que la nature du miel devient sèche en quelque sorte par cuisson, et de nouveau revient à l'humidité dans une certaine condition.

Compatibilités de qualités entre éléments ; mais qu'en est-il de la terre et de l'eau ?

Mais laissons cela ; il est en effet plus important de donner à notre étude un enchaînement qui parte de quelque principe nécessaire. Nous ne connaissons pas une qualité unique en chacun des éléments, par laquelle son substrat serait entièrement rempli et qui le distinguerait de l'élément opposé, mais chacun d'eux est maintenu dans une diversité de qualités, dont les unes n'ont rien de commun entre elles, les autres sont observables ensemble, réunies et accordées à des qualités qui se combattent mutuellement. Ainsi, dans la terre et l'eau, la sécheresse et l'humidité ne se mêlent pas entre elles, tandis que le froid se trouve dans la même mesure dans chacune d'elles, unifiant en quelque sorte par son intermédiaire des éléments qui se combattent. De plus, l'eau se distingue de l'air dans une opposition entre pesant et léger, mais le froid qu'on observe dans la même mesure dans la nature de chacun les concilie aussi. En outre, l'air diffère du feu, à cause du combat qui oppose chaud et froid, mais il lui est apparenté par la qualité de légèreté, et leur communauté de qualité est en quelque sorte conciliatrice de leur opposition naturelle. Enfin, le feu est distinct de la terre à cause du lourd et du léger, mais la sécheresse leur est commune à chacun, et par elle, ces éléments différents sont comme alliés entre eux.

Quel est le dessein qui me fait commencer là mon exposé ? C'est que le froid s'observe pareillement dans la terre, dans l'eau et dans l'air, mais est établi en plus grande part dans l'eau, conservant presque en lui-même la nature de l'eau, amoindrissant le dommage causé par le sec par son antagonisme avec le chaud. De même donc que la sécheresse est liée par nature à la chaleur, et qu'il n'est pas possible que le feu soit expliqué par une seule de ces deux qualités, de même il est vraisemblable de dire que le froid fait un avec l'humide, parce qu'il faut que pour chaque qualité, parmi celles qu'on observe dans le feu, il y ait une qualité élémentaire opposée dans l'eau, de sorte que l'humidité combatte le sec, et la chaleur le froid. Aussi, si l'on a montré que le froid aussi, à égalité avec l'humide, participe à l'achèvement de la nature de l'eau, il serait logique de conclure que, la qualité de froid se trouvant aussi par nature dans la terre, l'eau aussi est en puissance dans la terre, et la terre dans l'eau. En effet, l'union naturelle de l'humide avec le froid ne permet pas que l'un soit entièrement séparé de l'autre, mais même si à un moment donné l'un des deux se retrouve seul avec lui-même, il n'est pas exactement seul, mais la présence des deux est visible en puissance dans un seul ; car de même que, quand l'eau se dissout dans l'air, le principe refroidissant accompagne les particules des vapeurs, de même à l'opposé, comme le froid réside dans les profondeurs de la terre, l'humidité n'abandonne pas non plus la qualité à laquelle elle est liée, mais la puissance froide qui se trouve par nature dans la terre devient comme une semence de la nature de l'humide, produisant toujours par elle-même la qualité qui lui est liée, car l'action refroidissante change la terre, par un très fort refroidissement, en une production d'eau. Mais si l’on nous demandait la cause de ces faits, c'est-à-dire comment la transmutation opère le changement du solide en liquide, nous serions autant dans l'embarras que pour tous les autres cas. Comment en effet l'eau est-elle dissoute dans l'air, ce qui est porté vers le bas se déplaçant à travers le léger, ou bien comment la transmutation a-t-elle changé le lourd en léger ? Que cela arrive, nous le saisissons par la perception, mais nous sommes incapables de rendre par le raisonnement les actions de la nature.

Les puisatiers : la transmutation de la terre en eau est un fait d'expérience

Si l'on veut bien accepter l'expérience pour preuve de cette conjecture, nous en montrerons une sur le champ, en introduisant les puisatiers comme témoins de notre exposé. En effet lorsqu'ils creusent, au-dessus des eaux retenues en profondeur, la terre privée d'humidité, en progressant vers le bas par leur travail, ils ne rencontrent pas directement le lieu de rassemblement de l'eau, mais ils conjecturent d'abord au toucher que la terre contient une certaine part d'humidité ; ensuite, avançant vers l'endroit rendu plus froid par la profondeur, ils rencontrent un terreau plus boueux ; après cela, leur travail gagnant en profondeur vers un endroit plus froid, une certaine humeur apparaît faiblement ; ensuite, lorsqu'un conduit a été taillé dans le fond de la pierre, là où il est le plus vraisemblable que la chaleur solaire ne s'infiltre plus, arrêtée par l'épaisseur de la pierre, alors leur travail ouvre de subtils vaisseaux d'eau, à partir desquels se forme un épanchement circulaire vers la profondeur, et le puits se remplit d'eau.

Donc, ce qui se produit là, quand l'humidité comprimée autour du puits s'épanche vers la région vidée à la main, il est vraisemblable que cela arrive en tout lieu, et que ce qui est continuellement produit par l'humidité subtile dérive à travers certains vaisseaux vers des conduits plus gros, l'écoulement subtil s'unissant alors à lui-même ; c'est donc ainsi que l'eau est engendrée : d'une part, le froid liquéfie la terre, d'autre part, l'humidité se forme à partir du froid, achevant en elle-même toute la nature de l'eau ; de là, en s'assemblant, elle devient alors un courant et ouvre la terre là où elle passe : c'est ce qu'on appelle une source. On a une preuve de ce que le froid conduit à la création des eaux dans le fait que les régions nordiques plus soumises au froid abondent en eaux ; en effet, les régions exposées au soleil et situées au sud seraient également imprégnées d'eaux, si l'absence de froid n'empêchait pas totalement la création des liquides. De même que l'eau de pluie forme des torrents à partir du rassemblement des gouttes, alors que si l'on observe ces gouttes en elles-mêmes, il apparaîtra qu'il n'y a en chacune que très peu de liquide, presque rien, de même, quand une quantité de liquide se réunit continuellement vers le bas sous forme de particules subtiles, à chaque fois que le rassemblement des parties subtiles forme un courant unique à partir d'une multitude, un tel courant s'épanche en source et constitue la nature du fleuve.

La logique interdit de penser à des réserves d'eau souterraines

Si l'on refuse ces conceptions, d'où pensera-t-on que proviennent ceux des fleuves qui coulent en permanence ? Est-ce qu'on ne supposera pas qu'il y a des lacs à l'intérieur des entrailles de la terre ? Mais ceux-ci aussi, s'il n'y a aucun écoulement d'appoint, seront sous peu complètement vides, de sorte qu'on sera nécessairement amené à penser qu'il en existe d'autres au-dessus de ceux-ci ; la logique du raisonnement recherchera encore ce qui remplit ces autres : et si l'on suppose qu'il existe d'autres lacs au-dessus de ceux-ci, on cherchera encore nécessairement de quelles sources procède le remplissage de ces autres. Et le raisonnement, se poursuivant ainsi à l'infini, ne finira jamais de placer des lacs au-dessus de lacs, pour que les lacs ne fassent pas défaut aux sources, jusqu'à ce qu'on parvienne aux ressources des dernières, à l'endroit où la création des eaux prend son principe. C'est précisément pour cela qu'il convient de rechercher maintenant la cause de la nature première de l'eau ; il serait beaucoup plus logique de considérer qu'elle est liée à la constitution des sources, et de ne pas s'imaginer des lacs souterrains, que le caractère descendant de la nature de l'eau rend immédiatement contraires à la logique. Comment en effet pourra couler vers le haut ce qui par nature a comme caractéristique propre de se porter vers le bas ? En outre, quelle sera la taille que l'écoulement continuel de ces eaux donne à conjecturer pour ces lacs, pour qu'en coulant pendant des temps si longs, cet écoulement demeure dans une telle abondance, alors que rien ne vient se substituer à ce qui en sort ? Mais nos explications rendraient plus clair, d'une part, que l'apport d'eau ne fait pas défaut au fleuve, puisque la terre se change en cet apport d'eau, d'autre part, que la masse de la terre ne diminue pas à cause de ce retrait, puisque la transformation des vapeurs en sec a lieu partout, compensant la diminution continuelle de sa masse.

Cohérence de la théorie de la transmutation

Cela étant, la transmutation des éléments les uns en les autres ne saurait plus nous sembler boiteuse, mais le raisonnement poursuivra par enchaînement en considérant le changement de chaque élément en un autre comme la création de celui en lequel il s'est transformé, et le retour de ce dernier au stade d'origine ; par exemple l'eau, s'élevant dans l'air sous forme de vapeurs, devient de l'air ; l'air humidifié est asséché par le rayonnement très fort du soleil ; la partie terrestre du liquide est séparée par la nature du feu ; cette partie, revenue sur terre, est changée en eau par la qualité de froid ; et ainsi, le cycle de transformation mutuelle des éléments est ininterrompu et sans entraves, sans qu'aucun d'eux subisse de perte ni qu'aucun n'augmente, chacun demeurant continuellement dans ses proportions originelles.

Ainsi, l'enchaînement de nos explications donne à penser que les eaux situées au-dessus du firmament sont autre chose que la nature humide, puisque nous avons compris, grâce à ce que nous avons dit, que la nature du feu ne se nourrit pas de la consommation de l'humide. Il a en effet été montré par nos explications que le chaud ne se nourrit pas du froid mais est affaibli par lui, et que le sec disparaît sous l'effet de l'humide, et n'en devient pas prédominant.

    

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