LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ
JEAN XXIII
À nos vénérables
Frères, Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres Ordinaires, en paix
avec le siège Apostolique, au clergé et aux fidèles de l’univers,
ainsi qu’à tous les hommes de bonne volonté
Jean XXIII, Pape
Vénérables frères et chers
fils,
salut et bénédiction apostolique.
1 La paix sur la terre, objet du profond désir
de l'humanité de tous les temps, ne peut se fonder ni s'affermir que dans le
respect absolu de l'ordre établi par Dieu.
2 Les progrès des sciences et les inventions de
la technique nous en convainquent : dans les êtres vivants et dans les forces de
l'univers, il règne un ordre admirable, et c'est la grandeur de l'homme de
pouvoir découvrir cet ordre et se forger les instruments par lesquels il capte
les énergies naturelles et les assujettit à son service.
3 Mais ce que montrent avant tout les progrès
scientifiques et les inventions de la technique, c'est la grandeur infinie de
Dieu, Créateur de l'univers et de l'homme lui-même. Il a créé l'univers en y
déployant la munificence de sa sagesse et de sa bouté. Comme dit le Psalmiste :
« Seigneur, Seigneur, que ton nom est magnifique sur la terre
,
que tes œuvres sont nombreuses, Seigneur ! Tu les as toutes accomplies avec
sagesse
. »
Et il a créé l'homme intelligent et libre à son image
et ressemblance, l’établissant maître de l'univers : « Tu l’as fait de peu
inférieur aux anges ; de gloire et d'honneur tu l'as couronné ; tu lui as donné
pouvoir sur les œuvres de tes mains, tu as mis toutes choses sous ses pieds »
.
4 L'ordre si parfait de l'univers contraste
douloureusement avec les désordres qui opposent entre eux les individus et les
peuples, comme si la force seule pouvait régler leurs rapports mutuels.
5 Pourtant le Créateur du monde a inscrit
l'ordre au plus intime des hommes : ordre que la conscience leur révèle et leur
enjoint de respecter : « Ils montrent gravé dans leur cœur le contenu même de
la Loi, tandis que leur conscience y ajoute son témoignage
. »
Comment n'en irait-il pas ainsi, puisque toutes les œuvres de
Dieu reflètent son infinie sagesse, et la reflètent d'autant plus clairement
qu'elles sont plus élevées dans l'échelle des êtres
.
6 Mais la pensée humaine commet fréquemment
l'erreur de croire que les relations des individus avec leur communauté
politique peuvent se régler selon les lois auxquelles obéissent les forces et
les éléments irrationnels de l'univers. Alors que les normes de la conduite des
hommes sont d'une autre essence : il faut les chercher là où Dieu les a
inscrites, à savoir dans la nature humaine.
7 Ce sont elles qui indiquent clairement leur
conduite aux hommes, qu'il s'agisse des rapports des individus les uns envers
les autres dans la vie sociale ; des rapports entre citoyens et autorités
publiques au sein de chaque communauté politique ; des rapports entre les
diverses communautés politiques ; enfin des rapports entre ces dernières et la
communauté mondiale, dont la création est aujourd'hui si impérieusement réclamée
par les exigences du bien commun universel.
8 Il faut, en premier lieu, parler de l'ordre
qui doit régner entre les êtres humains.
9 Le fondement de toute société bien ordonnée et
féconde, c'est le principe que tout être humain est une personne, c'est-à-dire
une nature douée d'intelligence et de volonté libre. Par là même il est sujet de
droits et de devoirs, découlant les uns et les autres, ensemble et
immédiatement, de sa nature : aussi sont-ils universels, inviolables,
inaliénables
.
10 Si nous considérons la dignité humaine à la
lumière des vérités révélées par Dieu, nous ne pouvons que la situer bien plus
haut encore. Les hommes ont été rachetés par le sang du Christ Jésus, faits par
la grâce enfants et amis de Dieu et institués héritiers de la gloire éternelle.
11 Tout être humain a droit à la vie, à
l'intégrité physique et aux moyens nécessaires et suffisants pour une existence
décente, notamment eu ce qui concerne l'alimentation ; le vêtement,
l'habitation, le repos, les soins médicaux, les services sociaux. Par
conséquent, l'homme a droit à la sécurité en cas de maladie, d'invalidité, de
veuvage, de vieillesse, de chômage et chaque fois qu'il est privé de ses moyens
de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté
.
12 Tout être humain a droit au respect de sa
personne, à sa bonne réputation, à la liberté dans la recherche de la vérité,
dans l'expression et la diffusion de la pensée, dans la création artistique, les
exigences de l'ordre moral et du bien commun étant sauvegardées ; il a droit
également à une information objective.
13 La nature revendique aussi pour l'homme le
droit d'accéder aux biens de la culture, et par conséquent, d'acquérir une
instruction de base ainsi qu'une formation technico-professionnelle
correspondant au degré de développement de la communauté politique à laquelle il
appartient. Il faut faire en sorte que le mérite de chacun lui permette
d'accéder aux degrés supérieurs de l'instruction et d'arriver, dans la société,
à des postes et à des responsabilités aussi adaptés que possible à ses talents
et à sa compétence
.
14 Chacun a le droit d'honorer Dieu suivant la
juste règle de la conscience et de professer sa religion dans la vie privée et
publique. Lactance le déclare avec clarté ; « Nous recevons l'existence pour
rendre à Dieu, qui nous l’accorde, le juste hommage qui lui revient, pour le
connaître lui seul et ne suivre que lui. Cette obligation de piété filiale nous
enchaîne à Dieu et nous relie à lui, d'où son nom de religion »
.
A ce sujet, Notre prédécesseur d'immortelle mémoire, Léon XIII, affirmait :
« Cette liberté véritable, réellement digne des enfants de Dieu, qui sauvegarde
comme il faut la noblesse de la personne humaine, prévaut contre toute violence
et toute injuste tentative ; l'Église l'a toujours demandée, elle n'a jamais
rien eu de plus cher. Constamment les apôtres ont revendiqué cette liberté-là,
les apologistes font justifiée dans leurs écrits, les martyrs en foule l'ont
consacrée de leur sang »
.
15 Tout homme a droit à la liberté dans le choix
de son état de vie. Il a par conséquent le droit de fonder un foyer, où l'époux
et l'épouse interviennent à égalité de droits et de devoirs, ou bien celui de
suivre la vocation au sacerdoce ou à la vie religieuse
.
16 La famille, fondée sur le mariage librement
contracté, un et indissoluble, est et doit être tenue pour la cellule première
et naturelle de la société, De là, l'obligation de mesures d'ordre économique,
social, culturel et moral de nature à en consolider la stabilité et à lui
faciliter l'accomplissement du rôle qui lui incombe.
17 Aux parents, en tout premier lieu, revient le
droit d'assurer l'entretien et l'éducation de leurs enfants
.
18 Tout homme a droit au travail et à l'initiative
dans le domaine économique.
19 A ces droits est lié indissolublement le droit
à des conditions de travail qui ne compromettent ni la santé ni la moralité et
qui n'entravent pas le développement normal de la jeunesse ; et, s'il s'agit des
femmes, le droit à des conditions de travail en harmonie avec les exigences de
leur sexe et avec leurs devoirs d'épouses et de mères
.
20 La dignité humaine fonde également le droit de
déployer l'activité économique dans des conditions normales de responsabilité
personnelle
.
Il en résulte aussi — et il convient de le souligner — qu'à
l'ouvrier est du un salaire à déterminer selon les normes de la justice ; compte
tenu des possibilités de l'employeur, cette rémunération devra permettre au
travailleur et à sa famille un niveau de vie conforme à la dignité humaine.
Notre prédécesseur, Pie XII, le disait : « A la loi du travail, inscrite dans
la nature, répond le droit tout aussi naturel pour l'homme de tirer de son
labeur de quoi vivre et faire vivre ses enfants : si profondément est ordonné en
vue de la conservation de l'homme l'empire sur la nature »
.
21 De la nature de l'homme dérive également le
droit à la propriété privée des biens, y compris les moyens de production. Comme
Nous l'avons enseigné ailleurs, ce droit « est une garantie efficace de la
dignité de la personne humaine et une aide pour le libre exercice de ses
diverses responsabilités ; il contribue à la stabilité et à la tranquillité du
foyer domestique, non sans profit pour la paix et la prospérité publiques »
.
22 Par ailleurs, il n'est pas hors de propos de
rappeler que la propriété privée comporte en elle-même une fonction sociale
.
23 Du fait que l'être humain est ordonné à la vie
en société découle le droit de réunion et d'association, celui de donner aux
groupements les structures qui paraissent mieux servir leurs buts, le droit d'y
assumer librement certaines responsabilités en vue d'atteindre ces mêmes buts
.
24 L'encyclique Mater et Magistra dit à bon
droit que la création de bon nombre d'associations ou corps intermédiaires,
capables de poursuivre des objectifs que les individus ne peuvent atteindre
qu'en s'associant, apparaît comme un moyen absolument indispensable pour
l'exercice de la liberté et de la responsabilité de la personne humaine
.
25 Tout homme a droit à la liberté de mouvement et
de séjour à l'intérieur de la communauté politique dont il est citoyen ; il a
aussi le droit, moyennant des motifs valables, de se rendre à l'étranger et de
s'y fixer
. Jamais,
l'appartenance à telle ou telle communauté politique ne saurait empêcher qui que
ce soit d'être membre de la famille humaine, citoyen de cette communauté
universelle où tous les hommes sont rassemblés par des liens communs.
26 A la dignité de la personne humaine est attaché
le droit de prendre une part active à la vie publique et de concourir
personnellement au bien commun. « L'homme comme tel, bien loin d'être l'objet
et un élément passif de la vie sociale, en est et doit en être, en rester le
sujet, le fondement et la fin »
.
27 Autre droit fondamental de la personne, la
protection juridique de ses propres droits, protection efficace, égale pour tous
et conforme aux normes objectives de la justice. « De l'ordre juridique,
voulu par Dieu, découle pour les hommes ce droit inaliénable qui garantit à
chacun la sécurité juridique et une sphère concrète de droits défendue contre
tout empiétement arbitraire »
.
28 Jusqu’ici, Nous avons rappelé une suite de
droits de nature. Chez l'homme, leur sujet, ils sont liés à autant de devoirs.
La loi naturelle confère les uns, impose les autres ; de cette loi ils tiennent
leur origine, leur persistance et leur force indéfectible.
29 Ainsi, par exemple, le droit à la vie entraîne
le devoir de la conserver ; le droit à une existence décente comporte le devoir
de se conduire avec dignité ; au droit de chercher librement le mal répond, le
devoir d'approfondir et d'élargir cette recherche.
30 Dans la vie en société, tout droit conféré à
une personne par la nature crée chez les autres un devoir, celui de reconnaître
et de respecter ce droit. Tout droit essentiel de l'homme emprunte en effet sa
force impérative à la loi naturelle qui le donne et qui impose l'obligation
correspondante. Ceux qui, dans la revendication de leurs droits, oublient leurs
devoirs ou ne les remplissent qu'imparfaitement risquent de démolir d'une main
ce qu'ils construisent de l'autre.
31 Êtres essentiellement sociables, les hommes ont
à vivre les uns avec les autres et à promouvoir le bien les uns des autres.
Aussi, l'harmonie d'un groupe réclame-t-elle la reconnaissance et
l'accomplissement des droits et des devoirs. Mais en outre chacun est appelé à
concourir généreusement à l'avènement d'un ordre collectif qui satisfasse
toujours plus largement aux droits et aux obligations.
32 Ainsi, il ne suffit pas de reconnaître et de
respecter le droit de l'homme aux moyens d'existence ; il faut s'employer,
chacun selon ses forces, à les lui procurer en suffisance.
33 La vie en société ne doit pas seulement assurer
l'ordre ; elle doit apporter des avantages à ses membres. Cela suppose la
reconnaissance et le respect des droit et devoirs, mais cela demande de plus la
collaboration de tous selon les multiples modalités que le développement actuel
de la civilisation rend possibles, désirables ou nécessaires.
34 La dignité de la personne humaine exige que
chacun agisse suivant une détermination consciente et libre. Dans la vie de
société, c'est surtout de décisions personnelles qu'il faut attendre le respect
des droits, l'accomplissement des obligations, la coopération à une foule
d'activités. L'individu devra y être mû par conviction personnelle, de sa propre
initiative, par son sens des responsabilités, et non sous l'effet de contraintes
ou de pressions extérieures.
Une société fondée uniquement sur des rapports de forces
n'aurait rien d'humain : elle comprimerait nécessairement la liberté des hommes,
au lieu d'aider et d'encourager celle-ci à se développer et à se perfectionner.
35 Voilà pourquoi une société n'est dûment
ordonnée, bienfaisante, respectueuse de la personne humaine, que si elle se
fonde sur la vérité, selon l'avertissement de saint Paul ; « Rejetez donc le
mensonge ; que chacun de vous dise la vérité à son prochain, car nous sommes
membres les uns des autres »
.
Cela suppose que soient sincèrement reconnus les droits et les devoirs mutuels.
Cette société doit, en outre, reposer sur la justice, c'est-à-dire sur le
respect effectif de ces droits et sur l'accomplissement loyal de ces devoirs ;
elle doit être vivifiée par l'amour, attitude d'âme qui fait éprouver à chacun
comme siens les besoins d'autrui, lui fait partager ses propres biens et incite
à un échange toujours plus intense dans le domaine des valeurs spirituelles.
Cette société, enfin, doit se réaliser dans la liberté, c’est-à-dire de la façon
qui convient à des êtres raisonnables, faite pour assurer la responsabilité de
leurs actes.
36 La vie en société, vénérables frères et chers
fils, doit être considérée avant tout comme une réalité d'ordre spirituel. Elle
est, en effet, échange de connaissances dans la lumière de la vérité, exercice
de droits et accomplissement de devoirs ; émulation dans la recherche du bien
moral ; communion dans la noble jouissance du beau en toutes ses expressions
légitimes ; disposition permanente à communiquer à autrui le meilleur de
soi-même et aspiration commune à un constant enrichissement spirituel. Telles
sont les valeurs qui doivent animer et orienter toutes choses : activité
culturelle, vie économique, organisation sociale, mouvements et régimes
politiques, législation et toute autre expression de la vie sociale dans sa
continuelle évolution.
37 L’ordre propre aux communautés humaines est
d’essence morale. En effet, c’est un ordre qui a pour base la vérité, qui se
réalise dans la justice, qui demande à être vivifié par l’amour et qui trouve
dans la liberté un équilibre sans cesse rétabli et toujours plus humain.
38 Cet ordre moral — universel, absolu et immuable
dans ses principes — a son fondement objectif dans le vrai Dieu transcendant et
personnel, Vérité première et Souverain Bien, source la plus profonde de
vitalité pour une société ordonnée, féconde et conforme à la dignité des
personnes qui la composent
. Saint
Thomas d'Aquin s'exprime clairement à ce sujet : « La volonté humaine a pour
règle et pour mesure de son degré de bonté la raison de l'homme ; celle-ci tient
son autorité de la loi éternelle, qui n'est autre que la raison divine… Ainsi,
c'est bien clair, la bonté du vouloir humain dépend bien plus de la loi
éternelle que de la raison humaine »
.
39 Trois traits caractérisent notre époque.
40 D'abord la promotion économique et sociale des
classes laborieuses. Celles-ci ont, en premier lieu, concentré leur effort dans
la revendication de droits surtout économiques et sociaux ; puis elles ont
élargi cet effort au plan politique ; enfin au droit de participer dans les
formes appropriées aux biens de la culture. Aujourd’hui, chez les travailleurs
de tous les pays, l’exigence est vivement sentie d’être considérés et traités
non comme des êtres sans raison ni liberté, dont on use à son gré, mais comme
des personnes, dans tous les secteurs de la vie collective : secteur
économico-social, culturel et politique.
41 Une seconde constatation s'impose à tout
observateur : l'entrée de la femme dans la vie publique, plus rapide peut-être
dans les peuples de civilisation chrétienne ; plus lente, mais de façon toujours
ample, au sein des autres traditions ou cultures. De plus en plus consciente de
sa dignité humaine, la femme n'admet plus d'être considérée comme un
instrument ; elle exige qu'on la traite comme une personne aussi bien au foyer
que dans la vie publique.
42 Enfin l'humanité, par rapport à un passé
récent, présente une organisation sociale et politique profondément transformée.
Plus de peuples dominateurs et de peuples dominés ; toutes les nations ont
constitué ou constituent des communautés politiques indépendantes.
43 Les hommes de tout pays et continent sont
aujourd'hui citoyens d'un État autonome et indépendant, ou ils sont sur le point
de l'être. Personne ne veut être soumis à des pouvoirs politiques étrangers à sa
communauté ou à son groupe ethnique. On assiste, chez beaucoup, à la disparition
du complexe d'infériorité qui a régné pendant des siècles et des millénaires ;
chez d'autres, s'atténue et tend à disparaître, au contraire, le complexe de
supériorité, issu de privilèges économiques et sociaux, du sexe ou de la
situation politique.
44 Maintenant, en effet, s'est propagée largement
l'idée de l'égalité naturelle de tous les hommes. Aussi, du moins en théorie, ne
trouve-t-on plus de justification aux discriminations raciales. Voilà qui
représente une étape importante sur la route conduisant à une communauté humaine
établie sur la base des principes que Nous avons rappelés. Maintenant, à mesure
que l'homme devient conscient de ses droits, germe comme nécessairement en lui
la conscience d'obligations correspondantes : ses propres droits, c'est avant
tout comme autant d'expressions de sa dignité qu'il devra les faire valoir, et à
tous les autres incombera l'obligation de reconnaître ces droits et de les
respecter.
45 Et une fois que les normes de la vie collective
se formulent en termes de droits et de devoirs, les hommes s'ouvrent aux valeurs
spirituelles et comprennent ce qu'est la vérité, la justice, l'amour, la
liberté ; ils se rendent compte qu'ils appartiennent à une société de cet ordre.
Davantage : ils sont portés à mieux connaître le Dieu véritable, transcendant et
personnel. Alors leurs rapports avec Dieu leur apparaissent comme le fond même
de la vie, de la vie intime vécue au secret de l'âme et de celle qu'ils mènent
en communauté avec les autres
46 A la vie en société manqueraient l'ordre et la
fécondité sans la présence d'hommes légitimement investis de l'autorité et qui
assurent la sauvegarde des institutions et pourvoient dans une mesure suffisante
au bien commun. Leur autorité, ils la tiennent tout entière de Dieu, comme
l'enseigne saint Paul : « Il n'est pas d'autorité qui ne vienne de Dieu »
. » La
doctrine de l'Apôtre est ainsi expliquée par saint Jean Chrysostome : « Que
voulez-vous dire ? Chacun des gouvernants Serait-il établi par Dieu dans sa
fonction ? Ce n'est pas ce que j’affirme, répondra Paul ; je ne parle pas des
individus revêtus du pouvoir, mais proprement de leur mandat. Qu'il y ait des
pouvoirs publics, que des hommes commandent, que d’autres soient subordonnés et
que tout n'arrive pas au hasard, voilà, dis-je, ce qui est le fait de la sagesse
divine »
. En d'autres
termes : puisque Dieu a doté de sociabilité la créature humaine ; mais puisque
nulle société « n'a de consistance sans un chef dont l’action efficace et
unifiante mobilise tous les membres au service des buts communs toute communauté
humaine a besoin d’une autorité qui la régisse. Celle-ci, tout comme la société,
a donc pour auteur la nature et du même coup Dieu lui-même »
.
47 Pour autant l'autorité n'échappe point à toute
loi. Elle consiste précisément dans le pouvoir de commander selon la droite
raison. Dès lors toute sa force impérative lui vient de l'ordre moral, lequel à
son tour repose sur Dieu, son principe et sa fin. « L'ordre absolu des
vivants et la fin même de l'homme — de l'homme libre, sujet de devoirs et de
droits inviolables, de l'homme origine et fin de la société — regardent aussi la
cité comme communauté nécessaire et dotée de l'autorité ; sans celle-ci pas
d'existence, pas de vie pour le groupe... Suivant la droite raison et surtout la
foi chrétienne, cet ordre universel trouve nécessairement son origine en Dieu,
être personnel et notre Créateur à tous ; par conséquent les titres des pouvoirs
publics se ramènent à une certaine participation de l'autorité divine
elle-même »
.
48 Aussi bien, si le pouvoir s'appuie
exclusivement ou principalement sur la menace et la crainte des sanctions
pénales ou sur la promesse des récompenses, son action ne réussit aucunement à
susciter la recherche du bien commun ; y parviendrait-il, ce serait d'une façon
étrangère à la dignité de l'homme, être libre et raisonnable. L'autorité est
avant tout une. force morale. Ses détenteurs doivent donc faire appel, en
premier lieu, à la conscience, au devoir qui incombe à tous de servir avec
empressement les intérêts communs. Mais les hommes sont tous égaux en dignité
naturelle ; aucun n'a le pouvoir de déterminer chez un autre le consentement
intime ; ce pouvoir est réservé à Dieu, le seul qui scrute et qui juge les
décisions secrètes de chacun.
49 Par suite, l'autorité humaine ne peut lier les
consciences que dans la mesure où elle se relie à l'autorité de Dieu et en
constitue une participation
.
50 Ainsi se trouve garantie la dignité même des
citoyens, car l'obéissance qu'ils rendent aux détenteurs de l'autorité ne va pas
à des hommes comme tels ; elle est un hommage adressé à Dieu, Créateur et
Providence, qui a soumis les rapporta humains à l'ordre qu'il a lui-même établi.
Et, bien loin de nous abaisser en rendant à Dieu le respect qui lui est dû, nous
ne faisons en cela que nous élever et nous ennoblir, puisque c'est régner que
servir Dieu
.
51 L'autorité exigée par l'ordre moral émane de
Dieu. Si donc il arrive aux dirigeants d’édicter des lois ou de prendre des
mesures contraires à cet ordre moral et par conséquent, à la volonté divine, ces
dispositions ne peuvent obliger les consciences, car « il faut obéir à Dieu
plutôt qu’aux hommes »
. Bien plus,
en pareil cas, l’autorité cesse d’être elle-même et dégénère en oppression. « La
législation humaine ne revêt le caractère de loi qu’autant qu’elle se conforme à
la juste raison ; d’où il appert qu’elle tient sa vigueur de la loi éternelle.
Mais dans la mesure où elle s’écarte de la raison, on la déclare injuste, elle
ne vérifie pas la notion de loi, elle est plutôt une forme de la violence »
.
52 L'origine divine de l'autorité n'enlève
aucunement aux hommes le pouvoir d'élire leurs gouvernants, de définir la forme
de l'État ou d'imposer des règles et des bornes à l'exercice de l'autorité.
Ainsi la doctrine que Nous venons d'exposer convient à toute espèce de régime
vraiment démocratique
.
53 Tous les individus et tous les corps
intermédiaires sont tenus de concourir, chacun dans sa sphère, au bien de
l'ensemble. Et c'est en harmonie avec celui-ci qu'ils doivent poursuivre leurs
propres intérêts et suivre, dans leurs apports — en biens et en services — les
orientations que fixent les pouvoirs publics selon les normes de la justice et
dans les formes et limites de leur compétence. Les actes commandés par
l'autorité. devront être parfaitement corrects en eux-mêmes, d'un contenu
moralement bon, ou tout au moins susceptible d’être orienté au bien.
54 Toutefois, la fonction gouvernementale n'ayant
de sens qu'en vue du bien commun, les dispositions prises par ses titulaires
doivent à la fois respecter la véritable nature de ce bien et tenir compte de la
situation du moment
.
55 Les particularités ethniques qui distinguent
les différents groupes humains s'inscrivent dans l'aire du bien commun, sans
suffire pour autant à sa définition complète
.
Ce bien commun ne peut être défini doctrinalement dans ses aspects essentiels et
les plus profonds, ni non plus être déterminé historiquement qu'en référence à
l'homme ; il est, en effet,. un élément essentiellement relatif à la nature
humaine
.
56 Ensuite, la nature même de ce bien imposé que
tous les citoyens y aient leur part, sous des modalités diverses d'après
l'emploi, le mérite et la condition de chacun. C'est pourquoi l'effort des
pouvoirs publics doit tendre à servir les intérêts de tous sans favoritisme à
l'égard de tel particulier ou de telle classe de la société. Notre prédécesseur
Léon XIII le disait en ces termes : « On ne saurait en aucune façon permettre
que l’autorité civile tourne au profit d’un seul ou d’un petit nombre, car elle
a été instituée pour le bien commun de tous »
.
Mais des considérations de justice et d'équité dicteront parfois aux
responsables de l'État une sollicitude particulière pour les membres les plus
faibles du corps social, moins armés pour la défense de leurs droits et de leurs
intérêts légitimes
.
57 Ici Nous devons attirer l'attention sur le fait
que le bien commun concerne l'homme tout entier, avec ses besoins tant
spirituels que matériels. Conçu de la sorte, le bien commun réclame des
gouvernements une politique appropriée, respectueuse de la hiérarchie des
valeurs, ménageant en juste proportion au corps et à l'âme les ressources qui
leur conviennent
.
58 Ces principes sont en parfaite harmonie avec ce
que Nous avons exposé dans Notre encyclique Mater et Magistra : le bien
commun « embrasse l'ensemble des conditions de vie en société qui permettent
à l'homme d'atteindre sa perfection propre de façon plus complète et plus
aisée »
.
59 Composé d'un corps et d'une âme immortelle,
l'homme ne peut, au cours de cette existence mortelle, satisfaire à toutes les
requêtes de sa nature ni atteindre le bonheur parfait. Aussi les moyens mis en
œuvre au profit du bien commun ne peuvent-ils faire obstacle au salut éternel
des hommes, mais encore doivent-ils y aider positivement
.
60 Pour la pensée contemporaine, le bien commun
réside surtout dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne
humaine ; dés lors le rôle des gouvernants consiste surtout à garantir la
reconnaissance et le respect des droits, leur conciliation mutuelle, leur
défense et leur expansion, et en conséquence à faciliter à chaque citoyen
l'accomplissement de ses devoirs. Car « la mission essentielle de toute
autorité politique est de protéger les droits inviolables de l'être humain et de
faire en sorte que chacun s'acquitte plus aisément de sa fonction particulière »
.
62 C’est donc là un devoir fondamental des
pouvoirs publics d'ordonner les rapports juridiques des citoyens entre eux, de
manière que l'exercice des droits chez les uns n'empêche ou ne compromette pas
chez les autres le même usage et s'accompagne de l'accomplissement des devoirs
correspondants. Il s'agit enfin de maintenir l'intégrité des droits pour tout le
monde et de la rétablir en cas de violation
.
63 Il incombe encore aux pouvoirs publics de
contribuer à la création d'un état de choses qui facilite à chacun la défense de
ses droits et l'accomplissement de ses devoirs. Car l'expérience nous montre que
si l'autorité n'agit pas opportunément en matière économique, sociale ou
culturelle, des inégalités s'accentuent entre les citoyens, surtout à notre
époque, au point que les droits fondamentaux de la personne restent sans portée
efficace et que soit compromis l'accomplissement des devoirs correspondants.
64 Il est donc indispensable que les pouvoirs
publics se préoccupent de favoriser l'aménagement social parallèlement au
progrès économique ; ainsi veilleront-ils à développer dors la mesure de la
productivité nationale des services essentiels tels que le réseau routier, les
moyens de transport et de communication, la distribution d’eau potable,
l'habitat, l'assistance sanitaire, l’instruction, les conditions propices à la
pratique religieuse, les loisirs. Ils s'appliqueront à organiser des systèmes
d'assurances pour les cas d'événements malheureux et d'accroissement de charges
familiales, de sorte qu'aucun être humain ne vienne à manquer des ressources
indispensables pour mener une vie décente. Ils auront soin que les ouvriers en
état de travailler trouvent un emploi proportionné à leurs capacités ; que
chacun d'eux reçoive le salaire conforme à la justice et à l'équité ; que les
travailleurs puissent se sentir responsables dans les entreprises ; qu'on puisse
constituer opportunément des corps intermédiaires qui ajoutent à l'aisance et à
la fécondité des rapports sociaux ; qu'à tous enfin les biens de la culture
soient accessibles sous la forme et au niveau appropriés.
65 L'intérêt commun exige que les pouvoirs
publics, en ce qui concerne les droits de la personne, exercent une double
action : l'une de conciliation et de protection, l'autre de valorisation, tout
en veillant soigneusement à leur judicieux équilibre. D'une part, on veillera à
ce que la prédominance accordée à des individus ou à certains groupes n'installe
dans la nation des situations privilégiées ; par ailleurs, le souci de
sauvegarder les droits de tous ne doit pas déterminer une politique qui, par une
singulière contradiction, réduirait excessivement ou rendrait impossible le
plein exercice de ces mêmes droits. « Une chose demeure acquise : faction de
l'État en matière économique, si loin qu'elle porte, si profondément qu'elle
atteigne les ressorts de la société, ne peut supprimer la liberté d'action des
individus ; elle doit au contraire la favoriser, pourvu que soient sauvegardés
les droits essentiels de chaque personne humaine »
.
66 C'est toujours à cet équilibre que doivent
tendre les multiples efforts entrepris par les pouvoirs publics pour faciliter
aux citoyens la jouissance de leurs droits et leur rendre moins ardu
l'accomplissement de leurs obligations dans tous les secteurs de la vie sociale.
67 Il est impossible de définir une fois pour
toutes quelle est la structure la meilleure pour l'organisation des pouvoirs
publics, et selon quelles formules s'exerceront le mieux les pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire.
68 En effet, pour déterminer la forme du
gouvernement et les modalités de son fonctionnement, la situation particulière
et les circonstances historiques de chaque peuple sont d'un très grand poids ;
or, elles varient selon les temps et les lieux. Cependant, Nous estimons
conforme aux données de la nature humaine l'organisation politique des
communautés humaines fondées sur une convenable division des pouvoirs,
correspondant aux trois fonctions principales de l'autorité publique. En effet,
dans ce régime sont définis en termes de droit non seulement les attributions et
le fonctionnement des pouvoirs publics, mais aussi les rapports entre simples
citoyens et représentants de l'autorité, ce qui constitue, pour les premiers,
une garantie dans l'exercice de leurs droits et l'accomplissement de leurs
devoirs.
69 Toutefois, pour qu'un système juridique et
politique de ce genre procure les avantages escomptés, il faut que, dans leur
action et dans leurs méthodes, les pouvoirs publics soient conscients de la
nature et de la complexité des problèmes qu'ils sont appelés à résoudre
conformément aux conjonctures du pays. Et il est indispensable que chacun d'eux
exerce de façon pertinente sa propre fonction. Cela suppose que le pouvoir
législatif s'exerce dans les limites prescrites par l'ordre moral et par les
normes constitutionnelles, et qu'il interprète objectivement les exigences du
bien commun dans l'évolution continuelle des situations ; que le pouvoir
exécutif fasse régner partout le droit, à la lumière d'une parfaite connaissance
des lois et d'une consciencieuse analyse des circonstances ; que le pouvoir
judiciaire administre la justice avec une impartialité pénétrée de sens humain,
et soit inflexible en face des pressions dictées par l'intérêt des parties en
cause. Le bon ordre veut enfin que les citoyens non moins que les corps
intermédiaires, dans l'exercice de leurs droits et l'accomplissement de leurs
devoirs, bénéficient d'une protection juridique efficace tant dans leurs
rapports réciproques que dans leurs rapports avec les agents publics
.
70 Un ordre juridique en harmonie avec l'ordre
moral et répondant au degré de sa maturité politique dont il est l'expression
constitue sans aucun doute un facteur fondamental pour la réalisation du bien
commun.
71 Mais à notre époque, la vie sociale est si
variée, complexe et dynamique, que les dispositions juridiques, même si elles
sont le fruit d'une expérience consommée et de la plus sage prévoyance,
apparaissent toujours insuffisantes.
72 De plus, les rapports des particuliers entre
eux, ceux des individus ou des corps intermédiaires avec les pouvoirs publics,
ceux enfin qui existent entre les divers organes du pouvoir au sein d'un même
État, posent parfois des problèmes compliqués et délicats au point de ne pas
trouver leur solution adéquate dans les cadres juridiques bien définis. En
pareil cas, les gouvernants, pour être à la fois fidèles à l'ordre juridique
existant, considéré dans ses éléments et dans son inspiration profonde, et
ouverts aux appels qui montent de la vie sociale pour savoir adapter le cadre
juridique à l'évolution des situations et résoudre au mieux des problèmes sans
cesse nouveaux, doivent avoir des idées claires sur la nature et l'ampleur de
leur charge ; il leur faut un équilibre, une droiture morale, une pénétration,
un sens pratique qui leur permettent d'interpréter rapidement et objectivement
les cas concrets, et une volonté décidée et vigoureuse pour agir avec
promptitude et efficacité
.
73 Que les citoyens puissent prendre une part
active à la vie publique, c'est là un droit inhérent à leur dignité de
personnes, encore que les modalités de cette participation soient subordonnées
au degré de maturité atteint par la communauté politique dont ils sont membres
et dans laquelle ils agissent.
74 Cette faculté d'intervention ouvre aux êtres
humains de nouvelles et vastes possibilités de service à rendre. Invités à
multiplier les contacts et les échanges avec leurs administrés, les dirigeants
comprennent mieux les exigences objectives du bien commun ; par ailleurs, le
renouvellement périodique des titulaires des charges publiques préserve
l'autorité de tout vieillissement et lui procure comme un regain de vitalité en
harmonie avec l'avance de la société
.
75 Dans l'organisation juridique des communautés
politiques à l'époque moderne, on note tout d'abord une tendance à rédiger en
des formules claires et concises une charte des droits fondamentaux de l'homme :
charte qui est souvent insérée dans les Constitutions ou en constitue une partie
intégrante.
76 En second lieu, on tend à fixer en termes
juridiques, dans ces Constitutions, le mode de désignation des mandataires
publics, leurs rapports réciproques, le rayon de leurs compétences, et enfin les
moyens et modes qu'ils sont tenus d'observer dans leur gestion.
77 On établit enfin, en termes de droits et de
devoirs, quels sont les rapports entre citoyens et pouvoirs publics ; et on
assigne à l'autorité le rôle primordial de reconnaître et de respecter les
droits et les devoirs des citoyens, d'en assurer la conciliation réciproque, la
défense et le développement.
78 On ne peut, certes, admettre la théorie selon
laquelle la seule volonté des hommes — individus ou groupes sociaux — serait la
source unique et première d'où naîtraient droits et devoirs des citoyens, et
d'où dériveraient la force obligatoire des constitutions et l'autorité des
pouvoirs publics
.
79 Toutefois, les tendances que Nous venons de
relever le prouvent à suffisance : les hommes de notre temps ont acquis une
conscience plus vive de leur dignité ; ce qui les amène à prendre une part
active aux affaires publiques et à exiger que les stipulations du droit positif
des États garantissent l'inviolabilité de leurs droits personnels. Ils exigent
en outre que les gouvernants n'accèdent au pouvoir que suivant une procédure
définie par les lois et n'exercent leur autorité que dans les limites de
celles-ci
80 Nous affirmons à nouveau l'enseignement maintes
fois donné par Nos prédécesseurs : les communautés politiques ont, entre elles,
des droits et des devoirs réciproques : elles doivent donc harmoniser leurs
relations selon la vérité et la justice, en esprit d'active solidarité et dans
la liberté. La même loi morale qui régit la vie des hommes doit régler aussi les
rapports entre les États.
81 Ce principe s'impose clairement quand on
considère que les gouvernants, lorsqu'ils agissent au nom et pour l'intérêt de
leur communauté, ne peuvent en aucune façon renoncer à leur dignité d'homme ;
dés lors, il ne leur est absolument pas permis de trahir la loi de leur nature,
qui est la loi morale.
82 Ce serait d'ailleurs un non-sens que le fait
d'être promus à la conduite de la chose publique contraigne des hommes à
abdiquer leur dignité humaine. N'occupent-ils pas précisément ces postes
éminents parce que, en raison de qualités singulières, on a vu en eux les
membres les meilleurs du corps social ?
83 En outre, c'est l'ordre moral qui postule dans
toute société la présence d'une autorité ; fondée sur cet ordre, l'autorité ne
peut être utilisée contre lui sans se ruiner elle-même. L'Esprit-Saint nous en
avertit : « Écoutez donc, rois, et comprenez ! Instruisez-vous, souverains
des terres lointaines ! Prêtez l’oreille, vous qui commandez aux peuples ! Car
c'est le Seigneur qui vous a donné le pouvoir et le Très-Haut la souveraineté ;
c'est lui qui examinera votre conduite et scrutera vos desseins »
.
84 Faut-il enfin rappeler, en ce qui concerne les
rapports internationaux, que l'autorité doit s'exercer en vue du bien commun ?
Telle est sa première raison d'être.
85 Or, l'un des premiers impératifs majeurs du
bien commun concerne justement la reconnaissance et le respect de l'ordre moral.
« La bonne organisation des États trouve son assise sur le roc inébranlable
et immuable de la loi morale, manifestée par le Créateur lui-même..., de l'ordre
naturel, et inscrite par lui dans le cœur des hommes en caractères ineffaçables.
Comme un phare resplendissant, elle éclaire de ses principes la route à tenir
par les hommes et les peuples. Qu'ils se guident sur les signes et les
avertissements si sûrs qu'elle leur adresse, s'ils ne veulent pas livrer à la
tempête et au naufrage toute la peine et l'ingéniosité dépensées pour établir
une organisation nouvelle »
.
86 La vérité doit présider aux relations entre les
communautés politiques. Cette vérité bannit notamment toute trace de racisme ;
l'égalité naturelle de toutes les communautés politiques en dignité humaine doit
être hors de conteste. Chacune a donc droit à l'existence, au développement, à
la possession des moyens nécessaires pour le réaliser, à la responsabilité
première de leur mise en œuvre. Chacune revendiquera légitimement son droit à la
considération et aux égards.
87 L'expérience nous montre les différences
souvent notables de savoir, de vertus, de capacités intellectuelles et de
ressources matérielles qui distinguent les hommes les uns des autres. Mais cet
état de fait ne donne aux plus favorisés aucun droit d'exploiter les plus
faibles ; il leur crée, à tous et à chacun, un devoir plus pressant de
collaborer à leur élévation réciproque.
88 De même, certaines communautés politiques
peuvent se trouver en avance sur d'autres dans le domaine des sciences, de la
culture, du développement économique. Bien loin d'autoriser une domination
injuste sur les peuples moins favorisés, cette supériorité oblige à contribuer
plus largement au progrès général.
89 II ne peut, certes, pas exister d'êtres humains
supérieurs à d'autres par nature ; par nature, tous sont d'égale noblesse. Et
pas davantage les communautés politiques ne connaissent d'inégalité entre elles
au point de vue de la dignité naturelle. Chacune est comme un corps dont les
membres sont des hommes. D'ailleurs, l'histoire montre que rien n'affecte les
peuples comme ce qui touche de près ou de loin à leur honneur, et cette
sensibilité est légitime.
90 La vérité exige encore que, dans les nombreuses
initiatives rendues possibles par les dernières inventions de la technique et
qui favorisent une plus large connaissance mutuelle entre peuples différents, on
observe toujours une sereine objectivité. Chaque communauté peut assurément
mettre en relief ses richesses propres, mais il faut absolument proscrire les
méthodes d'information qui, en violation de la vérité, porteraient injustement
atteinte à la réputation de tel ou tel peuple
.
91 Les rapports entre les communautés politiques
doivent se conformer aussi aux règles de la justice ; ceci implique la
reconnaissance des droits mutuels et l'accomplissement des devoirs
correspondants.
92 Puisque les communautés politiques ont droit à
l'existence, au progrès, à l'acquisition des ressources nécessaires pour leur
développement, à la première place dans les réalisations qui les concernent, à
la défense de leur réputation et de leur dignité, on en conclura qu'elles sont
obligées, à titre égal, de sauvegarder chacun de ces droits et de s'interdire
tout acte qui les léserait. Dans leurs rapports privés, les hommes ne peuvent
poursuivre leurs intérêts propres au prix d'une injustice envers les autres ;
pareillement, les communautés politiques ne peuvent légitimement se développer
en causant un préjudice aux autres ou en exerçant sur elle une pression injuste.
Il n'est pas hors de propos de citer ici le mot de saint Augustin : « Une
fois la justice mise de côté, que deviennent les empires, sinon des brigandages
en grand ? »
93 Il peut évidemment arriver, et de fait il
arrive, que les communautés politiques entrent en rivalité d'intérêts ; ces
conflits ne peuvent pourtant se régler ni par la force des armes ni par la
fraude ou la tromperie, mais comme il convient à des hommes, grâce à la
compréhension mutuelle, par une estimation objective des données et moyennant un
compromis équitable.
94 Depuis le XIXe siècle, s'est
accentuée et répandue un peu partout la tendance des communautés politiques à
coïncider avec les communautés nationales. Pour divers motifs il n'est pas
toujours possible de faire coïncider les frontières géographiques et ethniques :
d'où le phénomène des minorités et les problèmes si difficiles qu'elles
soulèvent.
95 A ce propos, Nous devons déclarer de la façon
la plus explicite que toute politique tendant à contrarier la vitalité et
l'expansion des minorités constitue une faute grave contre la justice, plus
grave encore quand ces manœuvres visent à les faire disparaître.
96 Par contre, rien de plus conforme à la justice
que l'action menée par les pouvoirs publics pour améliorer les conditions de vie
des minorités ethniques, notamment en ce qui concerne leur langue, leur culture,
leurs coutumes, leurs ressources et leurs entreprises économiques
.
97 On observera pourtant que ces minorités, soit
par réaction contre la situation pénible qui leur est imposée, soit en raison
des vicissitudes de leur passé, sont assez souvent portées à exagérer
l'importance de leurs particularités, au point même de les faire passer avant
les valeurs humaines universelles, comme si le bien de toute la famille humaine
devait être subordonné aux intérêts de leur propre nation. Il serait normal, au
contraire, que les intéressés prennent également conscience des avantages de
leur condition : le contact quotidien avec des hommes dotés d'une culture ou
d'une civilisation différente les enrichit spirituellement et intellectuellement
et leur offre la possibilité d'assimiler progressivement les valeurs propres au
milieu dans lequel ils se trouvent implantés. Cela ce réalisera s'ils
constituent comme un pont qui facilite la circulation de la vie, sous ses formes
diverses, entre les différentes traditions ou cultures, et non pas une zone de
friction, cause de dommages sans nombre et obstacle à tout progrès et à toute
évolution.
98 La vérité et la justice présideront donc aux
relations entre les communautés politiques, et celles-ci seront animées par une
solidarité efficace, mise en œuvre sous les mille formes de collaboration
économique, sociale, politique, culturelle, sanitaire et sportive : formes
possibles et fécondes pour notre époque. A ce propos, ne perdons pas de vue que
la mission naturelle du pouvoir politique n'est pas de limiter aux frontières du
pays l'horizon des citoyens, mais de sauvegarder avant tout le bien commun
national, lequel assurément est inséparable du bien de toute la communauté
humaine.
99 Ainsi, il ne suffit pas que les communautés
politiques, dans la poursuite de leurs intérêts, se gardent de se causer du tort
les unes aux autres. Il leur faut mettre en commun leurs projets et leurs
ressources pour atteindre les objectifs qui leur seraient autrement
inaccessibles. Dans ce cas, toutefois, on évitera par-dessus tout que des
arrangements avantageux pour tel ou tel groupe de communautés politiques ne se
soldent pour d'autres par des dommages, mais bien par des avantages positifs.
100 Pour satisfaire à une autre exigence du bien
commun universel, chaque communauté politique doit favoriser en son sein les
échanges de toute aorte, soit entre les particuliers, soit entre les corps
intermédiaires. En beaucoup de régions du monde coexistent des groupes plus ou
moins différents sous le rapport ethnique ; il faut veiller à ce que les
éléments qui caractérisent un groupe ne constituent pas une cloison étanche
entravant les relations entre des hommes de groupes divers. Cela détonnerait
brutalement à notre époque, où les distances d'un pays à l'autre ont à peu près
disparu. Un n'oubliera pas non plus que, si chaque famille ethnique possède des
particularités qui forment sa richesse singulière, les hommes ont en commun des
éléments essentiels et sont portés par nature à se rencontrer dans le monde des
valeurs spirituelles, dont l'assimilation progressive leur permet un
développement toujours plus poussé, Il faut donc leur reconnaître le droit et le
devoir d'entrer en communauté les uns avec les autres.
101 Personne n'ignore la disproportion qui règne en
certaines zones entre les terrains cultivables et l'effectif de la population,
ou bien entre les richesses du sol et l'équipement nécessaire à leur
exploitation. Cet état de choses réclame, de la part des peuples, une
collaboration qui facilite la circulation des biens, des capitaux et des
personnes
.
102 Nous estimons opportun que, dans toute la mesure
du possible, le capital se déplace pour rejoindre la main-d'œuvre et non
l'inverse. Ainsi, on permet à des foules de travailleurs d'améliorer leur
condition sans avoir à s'expatrier, démarche qui entraîne toujours des
déchirements et des périodes difficiles de réadaptation et d'assimilation au
nouveau milieu.
103 L'affection paternelle que Dieu Nous inspire
envers tous les hommes Nous fait considérer avec tristesse le phénomène des
réfugiés politiques. Ce phénomène a pris d'amples proportions et cache toujours
d'innombrables et très douloureuses souffrances.
104 Ce fait montre que certains gouvernements
restreignent à l'excès la sphère de liberté à laquelle chaque citoyen a droit et
dont il a besoin pour vivre en homme ; ces régimes vont parfois jusqu'à
contester le droit même à la liberté, quand ils ne le suppriment pas tout à
fait. Une telle spoliation constitue sans aucun doute un renversement de l'ordre
social, puisque la raison d'être des pouvoirs publics est de réaliser le bien
commun, dont un élément fondamental consiste à reconnaître le juste domaine de
la liberté et d'en protéger les droits.
105 Il n'est pas superflu de rappeler que le réfugié
politique est une personne, avec sa dignité, avec tous ses droits. Ceux-ci
doivent lui être reconnus ; ils ne sont point caducs du fait que l'exilé serait,
dans son pays, déclaré déchu de ses titres civiques ou politiques.
106 Aussi bien est-ce un droit inhérent à la
personne humaine que la faculté de se rendre en tel pays où on espère trouver
des conditions de vie plus convenables pour soi et sa famille. Il incombe donc
aux gouvernements d'accueillir les immigrants et, dans la mesure compatible avec
le bien réel de leur peuple, d'encourager ceux qui désirent s'intégrer à la
communauté nationale.
107 Nous saisissons cette occasion d'exprimer
officiellement Notre approbation et Nos éloges pour les initiatives qui, selon
les principes de la solidarité fraternelle et de la charité chrétienne,
travaillent à alléger les épreuves des personnes contraintes à s'expatrier.
108 Nous proposons à l'attention et à la gratitude
de tout homme loyal les multiples activités que déploient, dans un domaine si
délicat, les institutions internationales spécialisées.
109 Mais par ailleurs, il Nous est douloureux de
voir, dans des pays à l'économie plus développée, les armements redoutables déjà
créés et d'autres toujours en voie de création, non sans d'énormes dépenses
d'énergie humaine et de ressources matérielles. De là, des charges très lourdes
pour les citoyens de ces pays, tandis que d'autres nations manquent de l'aide
nécessaire à leur développement économique et social.
110 On a coutume de justifier les armements en
répétant que dans les conjonctures du moment la paix n'est assurée que moyennant
l'équilibre des forces armées. Alors, toute augmentation du potentiel militaire
en quelque endroit provoque de la part des autres États un redoublement
d'efforts dans le même sens. Que si une communauté politique est équipée d'armes
atomiques, ce fait détermine les autres à se fournir de moyens similaires, d'une
égale puissance de destruction.
111 Et ainsi les populations vivent dans une
appréhension continuelle et comme sous la menace d'un épouvantable ouragan,
capable de se déchaîner à tout instant. Et non sans raison, puisque l'armement
est toujours prêt. Qu'il y ait des hommes au monde pour prendre la
responsabilité des massacres et des ruines sans nombre d'une guerre, cela peut
paraître incroyable ; pourtant, on est contraint de l'avouer, une surprise, un
accident suffiraient à provoquer la conflagration. Mais admettons que la
monstruosité même des effets promis à l'usage de l'armement moderne détourne
tout le monde d'entrer en guerre ; si on ne met pas un terme aux expériences
nucléaires tentées à des fins militaires, elles risquent d'avoir, on peut le
craindre, des suites fatales pour la vie sur le globe.
112 La justice, la sagesse, le sens de l'humanité
réclament, par conséquent, qu'on arrête la course aux armements ; elles
réclament la réduction parallèle et simultanée de l'armement existant dans les
divers pays, la proscription de l'arme atomique et enfin le désarmement dûment
effectué d'un commun accord et accompagné de contrôles efficaces. « Il faut
empêcher à tout prix, proclamait Pie XII, que la guerre mondiale, avec ses
ruines économiques et sociales, ses aberrations et ses désordres moraux, déferle
une troisième fois sur l'humanité »
.
113 Mais que tous en soient bien convaincus :
l'arrêt de l'accroissement du potentiel militaire, la diminution effective des
armements et — à plus forte raison — leur suppression, sont choses irréalisables
ou presque sans un désarmement intégral qui atteigne aussi les âmes : il faut
s'employer unanimement et sincèrement à y faire disparaître la peur et la
psychose de guerre. Cela suppose qu'à l'axiome qui veut que la paix résulte de
l'équilibre des armements, on substitue le principe que la vraie paix ne peut
s'édifier que dans la confiance mutuelle. Nous estimons que c'est là un but qui
peut être atteint, car il est à la fois réclamé par la raison, souverainement
désirable, et de la plus grande utilité.
114 D'abord il s'agit d'un objectif voulu par la
raison. Pour tous la chose est évidente ou du moins elle devrait l'être : tout
comme les rapports entre les particuliers, les relations internationales ne
peuvent se régler par la force des armes ; ce qui doit les régir, c'est la norme
de la sagesse, autrement dit la loi de vérité, de justice, de solidarité
cordialement pratiquée.
115 Objectif souverainement désirable. Qui ne
voudrait voir les risques de guerre éliminés, la paix sauvegardée et toujours
mieux garantie ?
116 Enfin, rien de fécond comme un tel résultat. La
paix rend service à tous : individus, familles, nations, humanité entière. Il
résonne encore à nos oreilles, l'avertissement de Pie XII : « Avec la paix,
rien n'est perdu ; mais tout peut l'être par la guerre »
.
117 Aussi, comme Vicaire du Christ Jésus, Sauveur du
monde et Auteur de la paix, traduisant les aspirations les plus ardentes de la
famille humaine tout entière et suivant l'impulsion de Notre cœur, anxieux du
bien de tous, Nous estimons de Notre devoir d'adjurer tous les hommes, et
surtout les gouvernants, de n’épargner effort pour imprimer aux événements un
cours conforme à la raison et à l'humanité.
118 Que les assemblées les plus hautes et les plus
qualifiées étudient à fond le problème d'un équilibre international vraiment
humain, d'un équilibre à base de confiance réciproque, de loyauté dans la
diplomatie, de fidélité dans l'observation des traités. Qu'un examen approfondi
et complet dégage le point à partir duquel se négocieraient des accords
amiables, durables et bénéfiques.
119 De Notre côté, Nous implorerons sans cesse les
bénédictions de Dieu sur ces travaux, afin qu'ils créent des résultats positifs.
120 L'organisation internationale doit respecter la
liberté. Ce principe interdit aux nations toute ingérence dans les affaires
internes des autres comme toute action oppressive à leur égard. A chacune, au
contraire, de favoriser chez les autres l'épanouissement du sens des
responsabilités, d'encourager leurs bonnes initiatives et de les aider à
promouvoir elles-mêmes leur développement dans tous les secteurs.
121 Une commune origine, une égale Rédemption, un
semblable destin unissent tous les hommes et les appellent à former ensemble une
unique famille chrétienne. C’est pourquoi Notre encyclique Mater et Magistra a
recommandé aux pays mieux pourvus l'assistance à départir sous les formes les
plus variées aux nations en voie de développement
.
122 Nous éprouvons une vive satisfaction à constater
l'accueil très favorable fait à Notre appel. Nous espérons que celui-ci trouvera
encore plus d'écho à l'avenir et que les peuples pauvres, en améliorant leur
situation matérielle le plus vite possible, parviendront à un degré de
développement permettant à chacun de mener une existence plus humaine.
123 Mais, soulignons-le avec insistance, l'aide
apportée à ces peuples ne peut s'accompagner d'aucun empiétement sur leur
indépendance. Ils doivent d'ailleurs se sentir les principaux artisans et les
premiers responsables de leur progrès économique et social.
124 C'est l'enseignement si sage de Notre
prédécesseur Pie XII : « L'organisation nouvelle fondée sur les principes
moraux exclut toute atteinte à la liberté, à l'intégrité ou à la sécurité des
nations étrangères, quelles que soient l'étendue de leur territoire ou leur
capacité de défense. Forcément, en raison de la supériorité de leurs ressources
et de leur influence, les grandes puissances définissent, en général, par
priorité, le statut des unions économiques qu'elles forment avec des nations
plus petites et plus faibles. Mais à celles-ci non moins qu'aux autres, dans le
domaine de l'intérêt général, on doit laisser leur indépendance politique et la
faculté réelle de rester neutres lors des conflits internationaux, conformément
aux droits de défendre leur développement économique propre. Moyennant ces
conditions, elles pourront concourir au bien commun de l'humanité et assurer le
progrès matériel et spirituel de leur peuple »
.
125 Les communautés politiques économiquement
développées, dans leur action multiforme d'assistance aux pays moins favorisés,
sont tenues de reconnaître et de respecter les valeurs morales et les
particularités ethniques de ceux-ci, et de s'interdire à leur égard le moindre
calcul de domination. C'est ainsi qu'elles apportent « une précieuse
contribution à la formation d'une communauté mondiale, dont tous les membres,
conscients de leurs obligations comme de leurs droits, travailleraient sur un
pied d'égalité à la mise en œuvre du bien commun universel »
.
126 Il est une persuasion qui, à notre époque, gagne
de plus en plus les esprits, c'est que les éventuels conflits entre les peuples
ne doivent pas être réglés par le recours aux armes, mais par la négociation.
127 Il est vrai que, d'ordinaire, cette persuasion
vient de la terrifiante puissance de destruction des armes modernes et de la
crainte des cataclysmes et des ruines épouvantables qu'occasionnerait l'emploi
de ces armes. C'est pourquoi il devient humainement impossible de penser que la
guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d'une
violation de droits.
128 Le fait est, cependant, que nous voyons encore,
hélas ! régner bien souvent sur les peuples la loi de la crainte, ce qui les
conduit à consacrer des sommes énormes aux dépenses militaires. Ils agissent
ainsi non dans un dessein offensif, affirment-ils — et il n'y a pas de raison de
mettre en doute leur sincérité, — mais pour dissuader les autres de les
attaquer.
129 Néanmoins, il est permis d'espérer que les
peuples, intensifiant entre eux les relations et les échanges, découvriront
mieux les liens d'unité qui découlent de leur nature commune ; ils comprendront
plus parfaitement que l'un des devoirs primordiaux issus de leur communauté de
nature, c'est de fonder les relations des hommes et des peuples sur l'amour et
non sur la crainte. C'est, en effet, le propre de l'amour d'amener les hommes à
une loyale collaboration, susceptible de formes multiples et porteuse
d'innombrables bienfaits.
130 Les récents progrès de la science et de la
technique ont exercé une profonde influence sur les hommes et ont déterminé chez
eux, sur toute la surface de la terre, un mouvement tendant à intensifier leur
collaboration et à renforcer leur union. De nos jours, les échanges de biens et
d'idées, ainsi que les mouvements de populations se sont beaucoup développés. On
voit se multiplier les rapports entre les citoyens, les familles et les corps
intermédiaires des divers pays, ainsi que les contacts entre les gouvernants des
divers États. De même la situation économique d'un pays se trouve de plus en
plus dépendante de celle des autres pays. Les économies nationales se trouvent
peu à peu tellement liées ensemble qu'elles finissent par constituer chacune une
partie intégrante d'une unique économie mondiale. Enfin, le progrès social,
l'ordre, la sécurité et la tranquillité de chaque communauté politique sont
nécessairement solidaires de ceux des autres
.
131 On voit par là qu'un pays pris isolément n'est
absolument plus en mesure de subvenir convenablement à ses besoins, ni
d'atteindre son développement normal. Le progrès et la prospérité de chaque
nation sont à la fois cause et effet de la prospérité et du progrès de toutes
les autres.
132 L'unité de la famille humaine a existé en tout
temps, puisqu'elle rassemble des êtres qui sont tous égaux en dignité naturelle.
C'est donc une nécessité de nature qui exigera toujours qu'on travaille de façon
suffisante au bien commun universel, celui qui intéresse l'ensemble de la
famille humaine.
133 Autrefois, les gouvernements passaient pour être
suffisamment à même d'assurer le bien commun universel. Ils s'efforçaient d'y
pourvoir par la voie des relations diplomatiques normales ou par des rencontres
à un niveau plus élevé, à l'aide des instruments juridiques que sont les
conventions et les traités : procédés et moyens que fournissent le droit
naturel, le droit des gens et le droit international.
134 De nos jours, de profonds changements sont
intervenus dans les rapports entre les États. D'une part, le bien commun
universel soulève des problèmes extrêmement graves, difficiles, et qui exigent
une solution rapide, surtout quand il s'agit de la défense de la sécurité et de
la paix mondiales. D'autre part, au regard du droit, les pouvoirs publics des
diverses communautés politiques se trouvent sur un pied d'égalité les uns à
l'égard des autres ; ils ont beau multiplier les Congrès et les recherches en
vue d'établir de meilleurs instruments juridiques, ils ne parviennent plus à
affronter et à résoudre efficacement ces problèmes. Non pas qu'eux-mêmes
manquent de bonne volonté et d'initiative, mais c'est l'autorité dont ils sont
investis qui est insuffisante.
135 Dans les conditions actuelles de la communauté
humaine, l'organisation et le fonctionnement des États aussi bien que l'autorité
conférée à tous les gouvernements ne permettent pas, il faut l'avouer, de
promouvoir comme il faut le bien commun universel.
136 A bien y regarder, un rapport essentiel unit le
bien commun avec la structure et le fonctionnement des pouvoirs publics. L'ordre
moral, qui postule une autorité publique pour servir le bien commun dans la
société civile, réclame en même temps pour cette autorité les moyens nécessaires
à sa tâche. Il en résulte que les organes de l'État — dans lesquels l'autorité
prend corps, s'exerce et atteint sa fin — doivent avoir une forme et une
efficacité telles qu'ils trouvent pour assurer le bien commun les voies et
moyens nouveaux, adaptés à l'évolution de la société.
137 De nos jours, le bien commun universel pose des
problèmes de dimensions mondiales. Ils ne peuvent être résolus que par une
autorité publique dont le pouvoir, la constitution et les moyens d'action
prennent eux aussi des dimensions mondiales et qui puisse exercer son action sur
toute l'étendue de la terre. C'est donc l'ordre moral lui-même qui exige la
constitution d'une autorité publique de compétence universelle.
138 Cet organisme de caractère général, dont
l'autorité vaille au plan mondial et qui possède les moyens efficaces pour
promouvoir le bien universel, doit être constitué par un accord unanime et non
pas imposé par la force. La raison en est que l'autorité en question doit
pouvoir s'acquitter efficacement de sa fonction ; mais il faut aussi qu'elle
soit impartiale envers tous, absolument étrangère à l'esprit de parti et
attentive aux exigences objectives du bien commun universel. Si ce pouvoir
supranational ou mondial était instauré de force par les nations plus
puissantes, on pourrait craindre qu'il soit au service d'intérêts particuliers
ou bien qu'il ne prenne le parti de telle ou telle nation ; ce qui
compromettrait la valeur et l'efficacité de son action. En dépit des inégalités
que le développement économique et l'armement introduisent entre les communautés
politiques, elles sont toutes très sensibles en matière de parité juridique et
de dignité morale. C'est la raison très valable pour laquelle les communautés
nationales n'acceptent qu'à contrecœur un pouvoir, qui leur serait imposé de
force, ou aurait été constitué sans leur intervention ou auquel elles ne se
seraient pas librement ralliées.
139 Pas plus que le bien commun d'une nation en
particulier, le bien commun universel ne peut être défini sans référence à la
personne humaine. C'est pourquoi les pouvoirs publics de la communauté mondiale
doivent se proposer comme objectif fondamental la reconnaissance, le respect, la
défense et le développement des droits de la personne humaine. Ce qui peut être
obtenu soit par son intervention directe, s'il y a lieu, soit en créant sur le
plan mondial les conditions qui permettront aux gouvernements nationaux de mieux
remplir leur mission.
140 A l'intérieur de chaque pays, les rapports des
pouvoirs publics avec les citoyens, les familles et les corps intermédiaires
doivent être régis et équilibrés par le principe de subsidiarité. Il est normal
que le même principe régisse les rapports de l'autorité universelle avec les
gouvernements des États. Le rôle de cette autorité universelle est d'examiner et
de résoudre les problèmes que pose le bien commun universel en matière
économique, sociale, politique ou culturelle. C'est la complexité, l'ampleur et
l'urgence de ces problèmes qui ne permettent pas aux gouvernements nationaux de
les résoudre à souhait.
141 Il n'appartient pas à l'autorité de la
communauté mondiale de limiter l'action que les États exercent dans leur sphère
propre, ni de se substituer à eux. Elle doit au contraire tâcher de susciter
dans tous les pays du monde des conditions qui facilitent non seulement aux
gouvernements, mais aussi aux individus et aux corps intermédiaires
l'accomplissement de leurs fonctions, l'observation de leurs devoirs et l'usage
de leurs droits dans des conditions de plus grande sécurité.
142 Comme chacun sait, le 6 juin 1945, a été fondée
l'Organisation des Nations Unies (O. N. U.), à laquelle sont venus se rattacher,
par la suite, des organismes intergouvernementaux. A ces organisations ont été
confiées de vastes attributions de portée internationale, sur le plan économique
et social, culturel, éducatif et sanitaire. Le but essentiel de l'Organisation
des Nations Unies est de maintenir et de consolider la paix entre les peuples,
de favoriser et de développer entre eux des relations amicales, fondées sur le
principe de l'égalité, du respect réciproque et de la collaboration la plus
large dans tous les secteurs de l'activité humaine.
143 Un des actes les plus importants accomplis par
l'O. N. U. a été la Déclaration universelle des droits de l'homme,
approuvée le 10 décembre 19/18 par l'Assemblée générale des Nations Unies. Son
préambule proclame comme objectif commun à promouvoir par tous les peuples et
toutes les nations la reconnaissance et le respect effectifs de tous les droits
et libertés énumérés dans la Déclaration.
144 Nous n'ignorons pas que certains points de cette
Déclaration ont soulevé des objections et fait l'objet de réserves justifiées.
Cependant, Nous considérons cette Déclaration comme un pas vers l'établissement
d'une organisation juridico-politique de la communauté mondiale. Cette
Déclaration reconnaît solennellement à tous les hommes, sans exception, leur
dignité de personne ; e1le affirme pour chaque individu ses droits de rechercher
librement la vérité, de suivre les normes de la moralité, de pratiquer les
devoirs de justice, d'exiger des conditions de vie conformes à la dignité
humaine, ainsi que d'autres droits liés à ceux-ci.
145 Nous désirons donc vivement que l'organisation
des Nations Unies puisse de plus en plus adapter ses structures et ses moyens
d'action à l'étendue et à la haute valeur de sa mission. Puisse-t-il arriver
bientôt, le moment où cette Organisation garantira efficacement les droits qui
dérivent directement de notre dignité naturelle, et qui, pour cette raison, sont
universels, inviolables et inaliénables. Ce vœu est d'autant plus ardent
qu'aujourd'hui les hommes participent davantage aux affaires publiques de leur
propre pays, qu'ils témoignent d'un intérêt croissant pour les problèmes de
portée mondiale et prennent une conscience plus vive de leur qualité de membres
actifs de la famille humaine universelle.
146 Une fois de plus, Nous invitons Nos fils à
participer activement à la gestion des affaires publiques et Nous leur demandons
de contribuer à promouvoir le bien commun de toute la famille humaine ainsi que
de leur propre pays. Éclairés par leur foi et mus par la charité, ils
s'efforceront aussi d'obtenir que les institutions relatives à la vie
économique, sociale, culturelle ou politique ne mettent pas d'entrave, mais au
contraire apportent une aide à l'effort de perfectionnement des hommes, tant au
plan naturel qu'au plan surnaturel.
147 Pour pénétrer de sains principes une
civilisation et pour l'imprégner d'esprit chrétien, Nos fils ne se contenteront
pas des lumières de la foi ni d'une bonne volonté ardente à promouvoir le bien.
Mais il faut qu'ils soient présents dans les institutions de la société et
qu'ils exercent du dedans une influence sur les structures
.
148 Or, la civilisation moderne se caractérise
surtout par les acquisitions de la science et de la technique. Il n'est donc pas
d'action sur les institutions sans compétence scientifique, aptitude technique
et qualification professionnelle.
149 Ces qualités, toutefois, ne suffisent nullement,
il faut bien s'en rendre compte, pour imprimer aux rapports de la vie
quotidienne un caractère pleinement humain. Celui-ci réclame la vérité comme
fondement des relations, la justice comme règle, l'amour mutuel comme moteur et
la liberté comme climat.
150 Les hommes ne pourront atteindre cet objectif
que s'ils veillent attentivement aux points suivants : d'abord, dans leurs
activités temporelles, observer les lois propres à chaque domaine et adopter ses
méthodes propres ; ensuite, conformer leur conduite personnelle aux règles de la
morale, et donc se comporter en sujets qui exercent leurs droits, accomplissent
leurs devoirs et s'acquittent d'un service. Enfin, il faut déployer son activité
comme une réponse fidèle au commandement de Dieu, comme une collaboration à son
œuvre créatrice et comme un apport personnel à la réalisation de son plan
providentiel dans l'histoire. Ce qui exige des hommes qu'ils vivent leur action
comme une synthèse de l'effort scientifique, technique et professionnel avec les
plus hautes valeurs spirituelles.
151 C'est un fait bien connu ; dans des pays
imprégnés depuis longtemps de la tradition chrétienne, le progrès des sciences
et des techniques est actuellement très florissant, et les moyens aptes à
réaliser ce qu'on désire ne manquent pas : mais souvent, l'esprit et le ferment
chrétiens y tiennent peu de place.
152 On s'interroge à bon droit sur les raisons de ce
déficit. En effet, l'élaboration de ce système a été et reste largement
redevable à des hommes qui, faisant profession de christianisme, règlent au
moins partiellement leur vie sur les préceptes de l'Évangile. Le dommage tient
au fait que leur action au plan temporel n'est pas en harmonie avec leur foi. Il
est donc nécessaire qu'ils rétablissent leur unité intérieure de pensée et de
dispositions, de manière que toute leur activité soit pénétrée par la lumière de
la foi et le dynamisme de l'amour.
153 Si la foi religieuse des croyants est maintes
fois en désaccord avec leur manière d'agir, cela provient encore, pensons-Nous,
du fait que leur formation en matière de doctrine et de morale chrétiennes est
restée insuffisante. Trop souvent, dans beaucoup de milieux, se trouve rompu
l'équilibre entre les études religieuses et l'instruction profane, celle-ci se
poursuivant jusqu'au stade le plus élevé, tandis que pour la formation
religieuse on reste à un degré élémentaire. Il faut donc absolument à la
jeunesse une éducation complète et continue, conduite de telle façon que la
culture religieuse et l'affinement de la conscience progressent du même pas que
les connaissances scientifiques et le savoir-faire technique, sans cesse en
développement. Il faut enfin préparer les jeunes à remplir dignement les lèches
qui attendent chacun d'entre eux.
154 Soulignons ici comme il est difficile de saisir
correctement le rapport réel des faits humains aux exigences de la justice,
autrement dit de définir avec exactitude de quelle façon et à quel degré les
principes doctrinaux et les directives doivent trouver leur application dans la
situation actuelle de la société.
155 Difficulté accrue du fait qu'aujourd'hui chacun
devant mettre son activité au service du bien commun universel, tout subit une
accélération de plus en plus marquée, C'est jour après jour qu'il faut examiner
comment soumettre les conditions sociales aux exigences de la justice, et voilà
qui interdit à Nos fils de s'imaginer qu'il leur est permis de s'arrêter,
contents du chemin déjà parcouru.
156 Du reste, les hommes en général auront plutôt
raison de juger insuffisant ce qu'ils ont fait jusqu'ici. Ils ont à entreprendre
des réalisations toujours plus importantes et plus adaptées dans les domaines
les plus divers : organismes de production, groupements syndicaux, Unions
professionnelles, services de Sécurité Sociale, œuvres culturelles, institutions
juridiques et politiques, assistance sanitaire, activités sportives et autres
semblables. C'est là ce que désirent les générations actuelles qui avec
l'investigation de l'atome et les premières incursions dans l'espace, s'ouvrent
des voies totalement nouvelles aux perspectives presque infinies.
157 Les principes que Nous venons d'exposer ici
trouvent leur fondement dans les exigences mêmes de la nature humaine, et sont
le plus souvent du domaine du droit naturel. Assez fréquemment dans la mise en
œuvre de tels principes, les catholiques collaborent de multiples manières soit
avec des chrétiens séparés de ce Siège apostolique, soit avec des hommes qui
vivent en dehors de toute foi chrétienne, mais qui, guidés par les lumières de
la raison, sont fidèles à la morale naturelle.
158 C'est justice de distinguer toujours entre
l'erreur et ceux qui la commettent, même s'il s'agit d'hommes dont les idées
fausses ou l'insuffisance des notions concernent la religion ou la morale.
L'homme égaré dans l'erreur reste toujours un être humain et conserve sa dignité
de personne à laquelle il faut toujours avoir égard. Jamais non plus l'être
humain ne perd le pouvoir de se libérer de l'erreur et de s'ouvrir un chemin
vers la vérité. Et pour l'y aider, le secours providentiel de Dieu ne lui manque
jamais, Il est donc possible que tel homme, aujourd'hui privé des clartés de la
foi ou fourvoyé dans l'erreur, se trouve demain, grâce à la lumière divine,
capable d'adhérer à la vérité. Si en vue de réalisations temporelles les
croyants entrent en relation avec des hommes que des conceptions erronées
empêchent de croire ou d'avoir une foi complète, ces contacts peuvent être
l'occasion ou le stimulant d'un mouvement qui mène des hommes à la vérité.
159 De même, on ne peut identifier des théories
philosophiques sur la nature, l'origine et la finalité du monde et de l'homme,
avec des mouvements historiques fondés dans un but économique, social, culturel
ou politique, même si ces derniers ont dû leur origine et puisent encore leur
inspiration dans ces théories. Une doctrine, une fois fixée et formulée, ne
change plus, tandis que des mouvements ayant pour objet les conditions concrètes
et changeantes de la vie ne peuvent pas ne pas être largement influencés par
cette évolution, Du reste, dans la mesure où ces mouvements sont d'accord avec
les sains principes de le raison et répondent aux justes aspirations de la
personne humaine, qui refuseraient d'y reconnaître des éléments positifs et
dignes d'approbation ?
160 Il peut arriver, par conséquent que certaines
rencontres au plan des réalisations pratiques qui jusqu'ici avaient paru
inopportunes ou stériles, puissent maintenant présenter des avantages réels ou
en promettre pour l'avenir. Quant à juger si ce moment est arrivé ou non, et à
déterminer les modalités et l'ampleur d'une coordination des efforts en matière
économique, sociale, culturelle ou politique à des fins utiles au vrai bien de
la communauté, ce sont là des problèmes dont la solution et l'ampleur relèvent
de la prudence régulatrice de toutes les vertus qui ordonnent la vie
individuelle et sociale. Quand il s'agit des catholiques, la décision à cet
égard appartient avant tout aux hommes les plus influents du Corps Social et les
plus compétents dans le domaine dont il est question, pourvu que, fidèles aux
principes du droit naturel, ils suivent la doctrine sociale de l'Église et
obéissent aux directives des autorités ecclésiastiques. On se souviendra, en
effet, que les droits et les devoirs de l'Église ne se limitent pas à
sauvegarder l'intégrité de la doctrine concernant la foi ou les mœurs, mais que
son autorité auprès de ses fils s'étend aussi au domaine profane, lorsqu'il
s'agit de juger de l'application de cette doctrine aux cas concrets
.
161 Il ne manque pas d'hommes au cœur généreux qui,
mis en face de situations peu conformes ou contraires à la justice, sont portés
par leur zèle à entreprendre une réforme complète et dont l’élan, brûlant les
étapes, prend alors des allures quasiment révolutionnaires.
162 Nous voudrions leur rappeler que la progression
est la loi de toute vie et que les institutions humaines, elle aussi, ne peuvent
être améliorées qu’à condition qu’on agisse sur elle de l’intérieur et de façon
progressive. C’est l’avertissement de Notre prédécesseur Pie XII : « Ce n’est
pas la révolution, mais une évolution harmonieuse qui apportera le salut et la
justice. L'œuvre de la violence a toujours consisté à abattre, jamais à
construire ; à exaspérer les passions, jamais à les apaiser. Génératrice de
haine et de désastre, au lieu de réunir fraternellement, elle jette hommes et
partis dans la dure nécessité de reconstruire lentement, après de douloureuses
épreuves, sur les ruines amoncelées par la discorde »
.
163 A tous les hommes de bonne volonté incombe
aujourd'hui une lâche immense, celle de rétablir les rapports de la vie en
société sur les bases de la vérité, de la justice, de la charité et de la
liberté ; rapports des particuliers entre eux, rapports entre les citoyens et
l'État, rapports des États entre eux, rapports enfin entre individus, familles,
corps intermédiaires et États d'une part et communauté mondiale d'autre part.
Tâche noble entre toutes, puisqu'elle consiste à faire régner la paix véritable,
dans l'ordre établi par Dieu.
164 Ceux qui s'y emploient sont trop peu nombreux,
certes, mais ils ont magnifiquement mérité de la société humaine, et il est
juste que Nous leur décernions un éloge public. En même temps, nous les
engageons à intensifier leur action si bienfaisante. Nous osons espérer qu'à eux
se joindront d'autres hommes en grand nombre, tout spécialement des croyants,
poussés par la charité et la conscience du devoir. A tout croyant, il revient
d'être, dans le monde d'aujourd'hui, comme une étincelle lumineuse, un centre
d'amour et un ferment pour toute la masse. Cela, chacun le sera dans la mesure
de son union à Dieu.
165 De fait, la paix ne saurait régner entre les
hommes, si elle ne règne d'abord en chacun d'eux, c’est-à-dire si chacun
n'observe en lui-même l'ordre voulu par Dieu. « Ton âme veut-elle vaincre les
passions qui sont en elle ? », interroge saint Augustin. Et il répond :
« Qu’elle se soumette à celui qui est en haut et elle vaincra ce qui est en bas.
Et tu auras la paix : la vraie paix, la paix sans équivoque, la paix pleinement
établie sur l'ordre. Et quel est l'ordre propre à cette paix ? Dieu commande à
l'âme et l'âme commande au corps. Rien de plus ordonné »
.
166 L'enseignement que Nous venons de consacrer aux
problèmes qui, à l'heure actuelle, préoccupent si fort l'humanité et intéressent
immédiatement le progrès de la société humaine, Nous avons été dicté par une
profonde aspiration que Nous savons commune à tous les hommes de bonne volonté :
celle de voir régner dans le monde une paix plus solide.
167 Remplissant, malgré Notre indignité, la charge
de Vicaire de Celui que le prophète a nommé « Prince de la paix »
,
Nous estimant qu'il est de Notre devoir de vouer Nos préoccupations et Nos
énergies à promouvoir ce bien commun universel. Mais la paix n'est qu'un mot
vide de sens, si elle n’est pas fondée sur l’ordre dont Nous avons, avec une
fervente espérance, esquissé dans cette Encyclique les lignes essentielles ;
ordre qui repose sui la vérité, se construit selon la justice, reçoit de la
charité sa vie et sa plénitude, et enfin s'exprime efficacement dans la liberté.
168 Il s'agit là, en fait, d'une entreprise trop
sublime et trop élevée, pour que sa réalisation soit au pouvoir de l'homme
laissé à ses seules forces, fût-il par ailleurs animé de la plus louable bonne
volonté. Pour que la société humaine présente avec la plus parfaite fidélité
l'image du royaume de Dieu, le secours d'en haut est absolument nécessaire.
169 C'est la raison pour laquelle, durant ces jours
saints, Notre prière monte avec plus de ferveur vers Celui qui, par sa
douloureuse passion et par sa mort, a vaincu le péché, source première de toutes
les discordes, détresses et inégalités, et qui, par son sang, a réconcilié le
genre humain avec son Père céleste. « C'est lui qui est notre paix, lui qui des
deux n'a fait qu'un peuple… Il est venu proclamer la paix, paix pour vous qui
étiez loin, et paix pour ceux qui étaient proches »
.
170 Et c'est le même message que nous fait entendre
la liturgie de ces saints jours : « Jésus Notre-Seigneur, ressuscité, se
dressa au milieu de ses disciples et leur dit : “Pax vobis, alleluia”. Et les
disciples, ayant vu le Seigneur, furent remplis de joie »
Le Christ nous a apporté la paix, nous a laissé la paix : « Je vous laisse la
paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde la donne »
.
171 C'est cette paix apportée par le Rédempteur que
Nous lui demandons instamment dans Nos prières. Qu'il bannisse des âmes ce qui
peut mettre la paix en danger, et qu'il transforme tous les hommes en témoins de
vérité, de justice et d'amour fraternel. Qu'il éclaire ceux qui président aux
destinées des peuples, afin que, tout en se préoccupant du légitime bien-être de
leurs compatriotes, ils assurent le maintien de l'inestimable bienfait de la
paix. Que le Christ, enfin, enflamme le cœur de tous les hommes et leur fasse
renverser les barrières qui divisent, resserrer les liens de l'amour mutuel,
user de compréhension à l'égard d'autrui et pardonner à ceux qui leur ont fait
du tort. Et qu'ainsi, grâce à lui, tous les peuples de la terre forment entre
eux une véritable communauté fraternelle, et que parmi eux ne cesse de fleurir
et de régner la paix tant désirée.
172 Pour que cette paix s'étende à tout le troupeau
confié à vos soins, et spécialement pour l'avantage des classes les plus
modestes, qui appellent une aide et une protection particulières, Nous vous
accordons de grand cœur dans le Seigneur la Bénédiction apostolique, à
vous-mêmes, vénérables Frères, aux prêtres du clergé séculier et régulier, aux
religieux et aux religieuses et à tous les fidèles, très particulièrement à ceux
qui répondront généreusement à Notre exhortation. Et pour tous les hommes de
bonne volonté à qui Notre lettre s’adresse aussi, Nous implorons du Dieu
très-haut bonheur et prospérité.
173 Donné à Rome, près Saint-Pierre, le Jeudi saint,
11 avril de l’année 1963, la cinquième de Notre pontificat.
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