saint
JEAN DE AVILA
dominicain et auteur mystique
(1500-1569)

SERMONS SUR LE SAINT-ESPRIT

 

 

 

 

 

27

Dans l'attente de l'Hôte divin.

Dimanche de l'octave de l'ascension. Dans un couvent de religieuses.

Exorde : Cette semaine est une Semaine sainte.

Pour ce sermon que je dois faire, il n'y aura pour moi d'autre thème que de nous préparer à devenir la demeure du Saint-Esprit, de lui demander avec beaucoup d'énergie de bien vouloir descendre en nous et de le lui demander avec obstination. Et nous ferons beaucoup si nous nous préparons, comme la raison nous le demande, à recevoir un tel Hôte.

Vous devez savoir, mes frères, que, si, pour l'histoire, la venue de Dieu sur la terre est terminée, la vertu de ses souffrances ne l'est pas.

Croyez-vous que ce serait bon pour nous si la vertu des souffrances de Jésus-Christ s'était éteinte avec ses souffrances mêmes ? Qu'en serait-il de nous si, après plus de mille ans, elle ne durait point? Elle durera toujours jusqu'à la fin du monde. Au sujet de la fête du Saint-Esprit, tu dois reconnaître, que malgré tant d'années passées, le Saint-Esprit produira aujourd'hui le même effet dans ton âme qu'au temps des apôtres; vois si tu le désires. Oh! qui n'aurait vu Notre Seigneur Jésus-Christ sans lui demander de grâces quand il souffrait en ce monde pour nous!

Si, quand il était en ce monde, tu étais tombé à ses pieds et si tu tiens pour certain qu'il ne t'aurait pas refusé en raison de sa pitié, de son infinie charité, les grâces demandées — toi mon frère, tu crois bien cela ? — crois aussi qu'aujourd'hui encore il est disposé à t'accorder, d'aussi bon gré, les grâces, étant au ciel, que lors de sa présence parmi nous.

Si tu te prépares en ce moment pour que le Saint-Esprit descende en toi, fais le nécessaire et de sa part je te dis qu'il viendra dans ton âme apporter sa grâce comme le jour où il apparut aux apôtres durant sa vie dans le monde. Oh ! quel temps, celui qui s'écoule de ce jour jusqu'à cette si sainte Pâque ! C'est une Semaine sainte [11] : l'Avent de l'Esprit-Saint.

Cette période sainte rappelle le moment où les apôtres, après l'Ascension de Notre-Seigneur au ciel, attendaient la promesse qu'il leur avait faite en leur disant: Moi je m'en vais, mais je vous enverrai le Saint-Esprit qui vous consolera; je vous enverrai le Consolateur pour qu'il vous console de la douleur que vous avez de mon départ.

Comme ils avaient entendu cette parole, ils attendaient ce qui allait se passer, les yeux levés vers le ciel.

Ils disaient : " Notre Maître nous a dit qu'il nous enverrait un Consolateur qui nous ferait oublier notre amour pour lui. "

Les apôtres aimaient extrêmement notre Seigneur et Rédempteur : II était le Consolateur de leurs tristesses, le Père dans le besoin, le Maître dans leur ignorance; ils le considéraient comme un miroir dans lequel ils se regardaient : ils étaient tous subjugués par leur Maître et faits à son image. " Doit-il en venir un autre qui sera si grand, si puissant, si sage, si bon qu'il nous fera oublier notre Maître ? Qui sera-t-il ?"

Ils élevaient leurs pensées vers le ciel, poussaient des cris et disaient : " Seigneur, nous vous désirons et nous ne vous connaissons pas; nous voudrions que vous veniez et nous ne savons pas qui vous êtes. Par votre miséricorde, veuillez venir consoler nos cœurs; venez Seigneur, car, en attendant votre venue nous sommes dans l'affliction. "

Tels étaient les saints apôtres du Seigneur en cette époque sainte; et, mes frères, la raison nous commande d'être comme eux parce que nous ne formons qu'un avec eux, nous formons une seule Église et une union en Jésus-Christ. Tous ceux qui servent Jésus-Christ, tous ceux qui sont à son service, ne font qu'un, l'Église de Dieu et la congrégation des chrétiens. Dieu parle à son Église et dit : Tu es mon amie, tu es ma colombe [12].

Il est donc raisonnable qu'en cette période sainte, nous préparions, nous désirions, avec les saints apôtres, la venue du Saint-Esprit.

Que nos cœurs s'élèvent vers le ciel; demandons avec nos larmes : Consolateur de mon âme, viens, console la! et durant toute cette période ne faisons rien d'autre que de désirer la venue du Saint-Esprit dans nos âmes.

Dispositions pour recevoir le Saint-Esprit.

Pour que le Saint-Esprit descende dans nos âmes, la première condition est d'avoir un très grand regret de son absence et d'avoir foi en sa puissance. Il suffit à consoler une âme affligée, à enrichir celle qui est pauvre, à réchauffer celle qui est tiède, à fortifier celle qui est faible, à enflammer d'une dévotion très ardente celle qui n'est pas dévote. Quel est le moyen pour faire venir le Saint-Esprit ? Avoir un extrême regret de son absence. Et c'est ainsi qu'en parlant du Saint-Esprit on dit : le pouvoir de Dieu est très grand et il n'est honoré que par les humbles.

La seconde condition pour que le Saint-Esprit veuille bien venir dans nos cœurs, pour qu'il ne nous rejette pas et ne nous tienne pas en peu d'estime, est de brûler d'un grand désir de le recevoir, de l'avoir pour invité et d'en avoir un très grand souci, un très ferme et anxieux désir : " Oh ! si le Saint-Esprit venait ! Oh si ce Consolateur venait visiter et consoler mon âme !"

Sachez, mes frères, que les nécessités de la chair sont un très grand obstacle à ce souci. Sur ce point les religieux ont sur nous un avantage; qu'ils soient dans le chœur, au réfectoire, dans la solitude, ils sont partout au service de Dieu, travaillant pour leur âme, louant Jésus-Christ à tout moment, lui rendant grâce. S'ils mangent ce n'est que pour louer Dieu, s'ils boivent, il en est de même, et il en est ainsi dans toutes leurs opérations humaines [13].

Les gens mariés ont certainement une trop grande confiance en eux. La femme qui se marie pense dès le lever du jour qu'il suffit de prendre sa mante, venir au sermon et choisir une bonne place dans l'église; son mari arrive pour manger et il ne trouve point le repas prêt; il s'emporte et offense Dieu. Il aurait mieux valu, ma sœur, qu'avant de venir vous laissiez la maison en ordre et une fois tout en place veniez au sermon; même si tu dois arriver en retard, il n'est pas nécessaire de tant te presser, car un mot entendu par hasard te profitera plus que tout le sermon, et malgré tout tu peux accomplir ton devoir; si tu ne peux pas venir, mieux vaut faire ce que Dieu t'ordonne, puisque tu t'es mariée [14].

Je ne le disais pas pour cela, mais parce que ceux qui se marient ont beaucoup d'audace, en se contraignant à de grandes obligations : pourvoir aux besoins de la maison, à l'existence des enfants, s'efforcer de les rendre vertueux; la femme doit les élever et leur donner de bonnes habitudes. Cela est bien peu; et le souci de l'âme, le souci d'accomplir le service de Dieu ? On peut tout faire; mais les obligations terrestres sont prenantes et il est difficile de s'en détacher. Voilà pourquoi on considère comme malaisé que l'homme marié, assailli de tant de soucis, puisse prendre soin de son âme comme il le doit.

Prends garde, mon frère, à ta façon de vivre; toi, mari, à ne pas en venir à aimer ta femme à un tel point que, pour lui offrir des cadeaux, tu en arrives à offenser Dieu comme Adam : " J'aime beaucoup ma femme, je dois lui donner un bijou, je sais que je ne dois pas le faire, mais je le lui donnerai quand même ."

Et toi, femme, n'en viens pas à aimer ton mari à un tel point que tu oublies Dieu pour lui et à cause de l'amour que tu lui portes, négliges de faire ce qui convient à ton âme et ce que Dieu ordonne.

Oh ! combien celui qui se marie devrait, avant le mariage, s'être appliqué à suivre la religion; combien l'homme devrait être saint, et la femme sainte ! Avant de s'unir ils devraient avoir passé de nombreuses années au service de Dieu; savoir être chastes, humbles, patients, miséricordieux, savoir garder les commandements de Notre-Seigneur et ne se marier qu'après, afin que, si, plus tard, ils ont beaucoup de soucis, s'ils ont de multiples obstacles, d'un coup d'œil, d'un retour dans leur conscience sur leurs habitudes premières, tout soit apaisé et calmé.

Comme le domestique si bien stylé, si soumis [15], qui au seul regard de son maître, et sans plus, reprend l'attitude imposée pour le servir. Mais l'homme marié ne comprend pas le mariage et la femme mariée encore moins; ils s'unissent et tous deux le traînent dans la boue. Vous devez beaucoup vous instruire.

— Comment pourrai-je, Père, mener à bien les deux, mon foyer et Dieu ?

— C'est très difficile. Saint Paul dit : Celui qui a une femme, celui qui est marié, est très angoissé et affairé pour savoir comment lui faire plaisir et la contenter, il est très soucieux pour cela des choses de ce monde et se trouve partagé entre les deux. Mais la femme qui ne veut pas se marier et la jeune fille pensent aux choses spirituelles, pour être saintes de corps et d'esprit.

Il ne viendra pas si tu ne le désires pas.

Mesdames, employons cette fête à chercher comment plaire à Notre-Seigneur. De même que les jeunes mariées ont grand soin de leur coiffure et de leur toilette, emportent avec elles une glace au cas où elles auraient quelque chose de mal arrangé, de même les mères, les religieuses et les novices doivent avoir grand soin de ne rien présenter de déshonnête, elles doivent se regarder en Jésus-Christ, se voyant comme dans un miroir, n'avoir aucune tache sur le visage, n'avoir aucun péché dans l'âme, aucune impureté, afin que leur Époux ne les rejette pas.

Mes frères, soyez pleins d'attention et soucieux du service de Jésus-Christ, et soyez dans l'attente du Saint-Esprit, ne vous occupant pas des choses abjectes et viles d'ici-bas. Le Saint-Esprit est très susceptible pour nous consoler, un rien l'en empêche, et il ne compatit pas aux choses de ce monde. " La consolation divine est susceptible et très subtile, dit saint Bernard, ceux qui admettent des consolations humaines ne la reçoivent pas. " Toute âme se détachera des consolations humaines si elle veut que le Saint-Esprit la console et posséder toujours en elle la consolation du Saint-Esprit; en effet, comme nous le disions, le Saint-Esprit veut qu'on le désire très fortement. Écoutez donc : si un homme refuse d'aller chez un autre, sans y être désiré, que fera alors le Saint-Esprit qui, lui, veut être ardemment désiré par l'homme qui le souhaite et veut aussi se laisser désirer ?

Oh ! combien fut désiré notre Rédempteur avant sa venue au monde ! Adam le désira, Noé le désira, Abraham, Isaac, Jacob le désirèrent; les prophètes et les patriarches, tous souhaitèrent sa venue : Versez du haut des deux, une abondante ondée et que les nuages se résolvent en pluie; que la terre s'ouvre et enfante le Sauveur !

Le prophète Aggée disait : D'ici peu, dit le Dieu des armées, je bouleverserai le ciel, la mer, et la terre, je bouleverserai tout, alors viendra le Désiré de tout le monde, et l'ange du Testament que vous voulez.

Jésus-Christ fut extrêmement désiré. Plût au ciel, Seigneur, que fendant les nues vous descendiez sur la terre! Jésus-Christ fut très désiré, extrêmement désiré, et le Saint-Esprit veut l'être de la même façon. Il convient parfaitement qu'il soit bien désiré avant son arrivée; une nourriture bonne par elle-même, est mal venue chez celui qui n'a pas faim. On tue une poule ou une perdrix, qui semblent appétissantes. Le malade à qui on les donne dit : " Ôtez-les moi, car j'ai perdu le goût et l'appétit, cela ne me plaît point." Très mauvais signe; vous n'avez pas envie de manger ? C'est un signe de mort.

L'Esprit-Saint ne viendra pas à toi, si tu n'as pas faim de lui, si tu ne le désires pas. Les désirs de Dieu, que tu as, sont des indices que Dieu va élire domicile en toi et si tu le désires, c'est le signe qu'il viendra bientôt en toi. Ne te lasse pas de souhaiter sa venue, car, bien qu'il semble que tu l'espères sans qu'il vienne, que tu l'appelles sans qu'il te réponde, persévère toujours dans le désir et il ne te fera pas défaut.

Mon frère, aie confiance en lui, même s'il ne vient pas lorsque tu l'appelles; il viendra lorsqu'il verra que c'est le moment pour toi.

Mon frère, n'oublie jamais que si, étant affligé, tu appelles le Saint-Esprit et il ne vient pas, c'est que ton désir de recevoir un tel Hôte n'est pas encore suffisant. S'il ne vient pas, ce n'est pas parce qu'il ne veut pas venir, ce n'est pas oubli, mais pour que tu persévères dans ce désir et qu'en persévérant tu te rendes digne de lui, pour faire grandir et augmenter ta confiance, car de sa part, je te certifie que personne n'a jamais recours à lui sans être consolé.

Comme le roi prophète, David, l'exprime bien par ces mots : Dieu n'a pas méprisé le désir du pauvre, le Seigneur l'a entendu.

Qui est pauvre ? Est pauvre celui qui doute de lui-même et ne se confie qu'à Dieu; est pauvre celui qui se défie de sa personne, de ses forces, de sa richesse, de son savoir, de son pouvoir; est pauvre celui qui connaît sa bassesse, l'immensité de sa petitesse, qui a conscience d'être un ver, une pourriture et en vertu de tout cela ne se place que sous la protection de Dieu et s'en remet à la grandeur de sa miséricorde qui ne la laissera pas dans la désolation. Dieu entend les désirs de tels hommes.

Prépare-lui une maison propre.

Prends garde, il ne suffit pas au Saint-Esprit de te voir occupé à le désirer; mon frère, lorsque tu l'attends, tu ne fais pas tout ce qu'il faut en le désirant seulement, des œuvres sont nécessaires. En veux-tu la preuve ? Considère ce qui a été dit aux apôtres quand, le jour de l'Ascension du Seigneur, ils regardaient tout interdits vers le ciel. Leur attention était fixée sur lui, ils désiraient et attendaient le Saint-Esprit dont leur Maître leur avait parlé en termes élogieux; ils ne songeaient pas à eux en regardant Jésus-Christ Notre-Seigneur monter au ciel. Béni soit celui qui, si attentif à notre bien, en eut tant de souci que, non seulement il ne se contenta pas de prendre soin de nous, mais encore, une fois au ciel, se préoccupa tant des siens qu'il envoya deux anges vêtus de robes blanches pour leur dire : Hommes de Galilée, que regardez-vous au ciel? Ce même Jésus-Christ que vous venez de voir monter au ciel reviendra tel que vous l'avez vu, avec une aussi grande majesté.

Ils leur dirent d'aller au Cénacle, car c'est là que le Saint-Esprit devait descendre sur eux. Il ne faut pas passer votre temps à regarder le ciel; toute la journée ne doit pas consister à prier et contempler; va au Cénacle, mon frère, ne t'occupe pas et ne t'arrête pas à la pensée de la présence corporelle du Christ.

Je vous ai déjà dit maintes fois que, si le Saint-Esprit n'était pas descendu sur les apôtres, quand Jésus-Christ était ici-bas, c'était parce qu'ils se trouvaient subjugués par la présence de leur Maître et cela seul les contentait; malgré la sainteté et le bienfait de la présence de Notre-Seigneur, elle était un obstacle à la perfection des apôtres et voici pourquoi Jésus-Christ voulut partir : " Chers disciples, vous avez pour moi une grande affection, vous m'aimez beaucoup. Je sais que vous êtes heureux près de moi, mais je vous aime davantage et pour vous le prouver, je veux m'en aller afin qu'avec la venue du Saint-Esprit, vous soyez plus parfaits et éleviez plus haut vos pensées. "

Ne vous étonnez-vous pas que la présence de Jésus-Christ soit un obstacle à la venue du Saint-Esprit ?

Le Saint-Esprit est très jaloux; ne pensez pas qu'il est tel que vous le voulez. " Je suis Yahweh, ton Dieu " [16], a dit Dieu à Moïse, pour te faire comprendre, mon frère, que le Saint-Esprit ne viendra pas tant que tu ne perdras pas l'amour exagéré des créatures, toi qui as donné ton estime au confesseur, même bon, et qui as les yeux fixés sur le prédicateur qui te donne de bons conseils et te prodigue des consolations. Le Saint-Esprit veut être seul en toi.

— Oh, Père, vous, qui êtes un saint, qui me guidez sur le chemin de Dieu et m'encouragez dans les souffrances ! [17] — Plus saint encore était Jésus-Christ et pourtant il fut un obstacle pour le Saint-Esprit. Les esclaves de Dieu, le confesseur et le prédicateur ne doivent pas te faire obstacle pour le Saint-Esprit, mais être un escalier pour monter vers Dieu.

L'amour exagéré — même s'il n'est pas coupable — est un obstacle, il ne te ferait pas de mal si tu savais t'en servir; ce que tu aimes chez le confesseur et le prédicateur, que ce soit pour Dieu et en Dieu.

— A quoi verrai-je, Père, qu'il s'agit bien d'amour de Dieu ? — Si Dieu t'enlève ou permet que s'éloigne de toi quelqu'un que tu aimes beaucoup, si alors l'amour n'est pas assez puissant pour te faire oublier tes devoirs envers Dieu, je veux dire, pour que tu ne souffres pas tellement de son départ que ton cœur perde sa quiétude et devienne tumultueux au point de t'arracher à tes pieux exercices, si cela ne se produit pas, tu as l'amour de Dieu. Une peine légère est naturelle, mais une grande peine est mauvaise. Si ces petits riens sont un obstacle pour le Saint-Esprit, que seront les pensées impures, les injures et autres fautes de même sorte ? Où en sommes-nous arrivés ? Que faut-il pour que le Saint-Esprit vienne dans nos âmes ? Non seulement le désirer mais encore nettoyer la maison. Si vous le faites quand vous recevez un hôte, à plus forte raison votre âme ne doit-elle pas être pure, sans mauvaises pensées, sans mauvaises paroles, ni mauvaises actions, ornée de vertus parce que l'Hôte que vous attendez est la pureté même ?

Prépare le repas pour l'Hôte.

Considérez qu'il est une chose plus nécessaire encore que d'appeler le Saint-Esprit, plus nécessaire que d'arranger la demeure, c'est de préparer le repas. Vous devez mettre la main à la bourse, vous devez beaucoup dépenser et n'en point souffrir. Vous devez être généreux et très libéral. Lorsque vous avez un hôte, vous ne vous permettez pas de ne prendre que le nécessaire, mais vous achetez largement. Il le faut, mon frère; vous attendez cet Hôte très saint; puisqu'il est libéral à l'extrême envers vous, soyez-le envers lui; mettez la main à la bourse et ne donnez pas des sommes infimes; donnez une généreuse aumône, donnez à manger à l'affamé, habillez l'orphelin et la veuve, tenez lieu de père à tous les pauvres. Considère que tu es le père des pauvres et la consolation des affligés. Le saint Job remplissait bien cet office quand il disait : Ma bouchée était petite, Seigneur, mais nous l'avons mangée à deux. Et il disait ailleurs : Je suis le pied pour le boiteux et la main pour le manchot. Donne à manger au Saint-Esprit et offre-lui ton cœur; car il mange de la chair; mais de la chair mortifiée, sache-le.

Que serait-ce si tu offrais à ton invité une volaille vivante ? " Quoi ? — te dirait-il, — enlève cela, cette volaille n'est pas bonne à manger ". Élève maintes fois ce cœur au ciel et supplie le Saint-Esprit de l'embraser du feu de l'amour. Ta chair doit être morte et attendrie, châtiée et mortifiée, domptée par les jeûnes et la discipline; tu dois être mort au monde, tiens ton cœur en éveil, tes pensées et tes désirs élevés vers Dieu.

Dans ces pensées et dans ces exercices vole comme un aigle, ne prends aucun repos avant d'avoir agrippé le Saint-Esprit; ne te base pas sur les choses mortes et viles et n'y arrête pas tes pensées.

Vois ce qu'a fait la colombe qu'ils envoyèrent de l'arche de Noé; ils la lancèrent dehors, elle s'envola (quand elle sortit, le déluge avait cessé), sur la terre gisaient de nombreux cadavres, elle ne voulut se poser sur aucun d'eux ni même se reposer entre eux, mais se dirigea vers un olivier, cueillit de son bec un rameau et le ramena à l'arche. C'est ce que doit faire l'âme du chrétien, ne se poser sur aucun cadavre; tu ne dois pas tourner tes pensées vers des choses mortes, périssables, fétides, mais tu dois les diriger vers le ciel. Que ton cœur soit là où se trouve Jésus-Christ, ton trésor, en particulier durant cette fête.

Sachons maîtriser nos sens.

Sois très recueilli cette semaine pour recevoir le Saint-Esprit. Sois très appliqué. Prends exemple sur ces serviteurs qui attendent leur maître revenant des noces. Ne sois pas comme ces vierges folles et sottes, ne sois pas endormi, ni enivré par les choses de ce monde, mais imite les vierges sages en ayant le souci de te parer et d'avoir de l'huile de miséricorde pour toi d'abord, en prenant grand soin de ton âme et de transformer ton cœur.

Cherche, ces jours-ci, un lieu de retraite et restes-y. Pense à la Très Sainte Vierge et aux saints apôtres réunis dans le Cénacle. Que feraient-ils, eux ? Quelles larmes verseraient-ils au souvenir des souffrances de Jésus-Christ, au souvenir de son absence ! Quels soupirs lanceraient-ils vers le ciel en brûlant de désir pour leur Consolateur et Rédempteur ! Corrige tous tes désirs, aie les yeux baissés d'une personne mortifiée, ne regarde rien que tu puisses regretter ensuite, car s'il regarde mal, l'œil pleure. David vit un mauvais spectacle, il eût été préférable pour lui d'être aveugle que de voir ce qu'il a vu, car son œil, s'il s'est réjoui à le regarder, pleura beaucoup ensuite, et pleura tant que, dit-on, David avait dans son visage des sillons creusés par les larmes.

Le Saint-Esprit nous consolera et nous donnera de la force.

Il est nécessaire de célébrer cette fête avec grand soin, comme je vous l'ai dit, puisque ce que nous attendons est si grand.

Te rends-tu compte, mon frère, de l'importance de ces jours et quelle perte tu fais si le Saint-Esprit ne vient pas demeurer dans ta maison ? Ni l'Incarnation de Jésus-Christ, qui est la principale fête de l'année, ni sa sainte Naissance, ni sa Passion, ni sa Rédemption, ni son Ascension ne te profiteront en rien, si tu ne tires avantage de cette fête; si tu perds cela tu perds tout ce que Jésus-Christ a gagné pour toi. S'il est vrai que, par la mort de Jésus-Christ le ciel se soit ouvert et l'enfer fermé, à quoi cela te servira-t-il si tu ne reçois pas le Saint-Esprit ? Dis-moi quel profit tu peux tirer de tout le reste sans la grâce de Dieu; si tu reçois le Saint-Esprit dans ton cœur, tout te sera profitable et te consolera. Le Saint-Esprit seul suffira à te consoler et à donner de la force à ta faiblesse, de la joie à ta tristesse, et comme il sait le faire !

J'ai appris que le Saint-Esprit voulut se communiquer à une personne et que celle-ci est sortie comme folle dans les rues en poussant des cris. Voulez-vous voir un cas analogue ? Observez-le chez les apôtres qui, avant la venue du Saint-Esprit étaient si apeurés, si craintifs, qu'ils n'osaient pas sortir et restaient enfermés dans le Cénacle. Dès que le Saint-Esprit fut descendu en eux, ils ouvrent les portes en grand, sortent par les places, et commencent à prêcher Jésus-Christ.

Saint Athanase — grand saint qui écrivit contre l'hérésie des ariens — disait en songeant aux scrupules qu'avaient certains, " Suis-je vraiment baptisé, ou ne suis-je pas vraiment baptisé ?" : " Sais-tu à quoi tu le verras ? Si tu sens remuer le Saint-Esprit comme la femme enceinte sent remuer l'enfant. " — Mais, Père, moi je suis un homme. — Moi je ne suis pas mariée. Je ne sais pas ce que c'est qu'un enfant qui remue, comment le sentirai-je ? — Je te donne ce signe, mon frère : C'est lorsque tu sentiras brûler dans ton cœur un feu de charité, un amour très ferme en Dieu que tu sentiras le Saint-Esprit, car le Saint-Esprit est un feu et tu le sens tressaillir dans tout ton être. — Comment cela se peut-il, Père ? D'après saint Jean, Jésus-Christ lui-même parlant à la Samaritaine a dit : Celui qui boira de mon eau. Quelle propriété a cette eau, Seigneur ? On en fera — dit notre Rédempteur — une source d'eau vive qui jaillira jusqu'à la vie éternelle. — Tu vois ici le signe qu'a donné le Christ pour savoir à quel moment le Saint-Esprit est venu en toi, car l'Esprit-Saint a ce caractère de ne pouvoir rester inaperçu et de témoigner lui-même de la présence en toi de Jésus-Christ. Jésus-Christ dit dans l'évangile ce que l'on dit à la messe : Lorsque le Paraclet viendra, quand le Saint-Esprit viendra, l'Esprit de vérité qui procède de mon Père, celui-là vous rendra témoignage de moi, celui-là vous parlera de moi.

Ce qui signifie qu'il vous consolera, vous éclairera, vous réjouira, et vous guidera dans votre chemin.

Le Saint-Esprit est Consolateur, mes frères. Comme il doit savoir consoler, puisque par sa grandeur même il s'appelle Consolateur !

Que cherchons-nous en cette vie ? Où allons-nous ? Nous ne travaillons que pour chercher quelque consolation, quelque contentement. Pourquoi donc ne travaillons-nous pas pour posséder un Consolateur qui apaise nos tourments et qui enrichisse notre pauvreté ? Oh si je pouvais vous communiquer la dévotion au Saint-Esprit ! Que par sa miséricorde infinie il veuille bien vous la communiquer.

Quand tu seras affligé, sois assuré que le Saint-Esprit, si tu le possèdes dans ton âme, te consolera de cette affliction.

L'apôtre saint Paul dit : On pense parfois : " Qui pourra suffire à consoler ma tristesse, mon découragement, qui me viendra en aide ? "

Le corps soutient un combat, l'âme est remplie de grandes craintes, mais celui qui habituellement console les humbles, nous a consolés.

Le rôle du Saint-Esprit est de consoler ceux qui sont affligés. Ce Consolateur est proclamé comme tel dans toute l'Église de Jésus-Christ, Notre-Seigneur; il est proclamé et publiquement connu comme Consolateur de nos peines. Le malade cherche le médecin pour ses maladies, le plaideur cherche un bon avocat qui l'aide, il va trouver le juge et lui dit : " Rendez-moi justice " [18].

Puisque nous sommes tous tristes, il nous faut recourir à celui qui console notre tristesse. Nous sommes tous tristes : les méchants, pour les péchés commis; les justes ont aussi le regret de leurs péchés et ils éprouvent une très grande tristesse en redoutant d'offenser Dieu, de perdre Dieu. Tous nous sommes tristes, nous avons besoin d'une consolation. Le Saint-Esprit a pour rôle de nous consoler tous; demandons-lui qu'il veuille bien venir dans nos cœurs et nous consoler.

Le Saint-Esprit nous est donné par les mérites du Christ.

Une âme traquée, craintive, chargée de tant de péchés, pourra dire : " Père, ce Saint-Esprit qui, dites-vous, est Dieu, est un Dieu tout-puissant, un Dieu terrible, et moi je suis un ver, une fourmi; comment ce Saint-Esprit voudra-t-il venir dans ma maison si mal préparée à le recevoir ? Je crains qu'il ne veuille pas venir. "

S'il s'agit de toi, tu as certainement raison de croire que le Saint-Esprit ne voudra pas venir; mais sais-tu ce que tu dois faire ? Mettre entre toi et lui, Jésus-Christ et ses mérites et le Saint-Esprit en voyant ce que Jésus-Christ a souffert pour toi viendra tout de suite par amour pour lui.

Quand il s'en est trouvé un qui s'est désolé pour que tu te consoles, un qui s'est attristé pour que tu te réjouisses, un qui a supporté la fatigue pour que tu te reposes, un qui est mort pour que tu vives, tu dois être sans crainte si tu sais pleurer tes péchés et faire une digne pénitence.

Béni soit Jésus-Christ et que les anges le bénissent ! Amen !

J'ai cherché un consolateur, dit notre Rédempteur, et je ne l'ai pas trouvé. On m'a donné du fiel en nourriture et quand j'avais soif on m'a donné à boire du vinaigre.

Notre Rédempteur n'a trouvé aucun consolateur. Notre Rédempteur fut profondément rempli de tristesse, profondément désolé; il ne trouva aucune consolation, il était si intensément affligé en son âme et en son corps qu'il a dit lui-même : " Mon âme est triste jusqu'à la mort " [19]. Ce qui signifie que notre Rédempteur avait une tristesse mortelle. Il ne s'agit pas de l'âme supérieure car elle jouissait de Dieu, je ne parle que de la partie sensitive dans laquelle régnait la plus extrême affliction. Que de fatigues, de faim, de soif, de sueur dans ces chemins ! Et quand vint le moment de la souffrance, il avait tant de douleur en y pensant qu'il disait : Père, s'il est possible, faites que je ne boive pas ce calice, cette coupe d'amertume. Le Christ, notre Rédempteur voyant que Dieu le laissait souffrir et voyant les tourments qu'il supportait en son corps, dit aussi : " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?" [20] Mes frères, les souffrances que Notre-Seigneur endura furent si nombreuses et si extrêmes; ils furent si nombreux les supplices qu'il supporta, les coups de fouet, la couronne d'épines, les soufflets qu'on donna sur son divin visage qu'il en vint à dire : Vous tous qui passez dans le chemin, vous tous qui vivez dans le monde, voyez s'il existe une douleur semblable à la mienne [21]. Soyez béni, mon Rédempteur, à jamais !

Quelle est la cause de tant de douleurs, Seigneur? Les douleurs, les tourments, ne sont-ils pas la punition des péchés et le châtiment des méchants ? Le châtiment convient à ceux qui font le mal; mais vous, Seigneur, quel mal avez-vous fait pour devoir supporter tant de tourments ? Pourquoi tant de douleurs ?

— Quelle dette ont-ils ? dit notre Rédempteur Jésus-Christ — Seigneur, ils ont beaucoup péché. — Eh bien, je veux, dit Jésus-Christ, que le châtiment retombe sur moi, pour qu'ils obtiennent le repos du ciel; que la tristesse retombe sur moi, pour qu'ils aient la joie. Je veux qu'on me donne du fiel pour qu'on leur donne du miel; qu'on m'inflige des supplices pour qu'on leur donne le repos; qu'on me donne la mort, pour qu'on leur donne la vie.

Aie donc confiance, mon frère, dans les mérites de Jésus-Christ. Ne crois pas que muette est la voix que tu as au ciel pour te défendre; les mérites de Jésus-Christ plaident pour toi là-haut. Ce n'est pas non plus une voix qui est muette, si tu supplies pour que le Saint-Esprit vienne. Sois sans défiance, car si tu offres les mérites de Jésus-Christ, pour eux on te donnera le Saint-Esprit. Ce que tu donnes vaut autant que ce qu'on te donne. Si on te donne Dieu, tu donnes à Dieu et bien que Jésus-Christ notre Rédempteur n'ait pas souffert en ce qu'il a de divin, en fin de compte, on dit que celui qui était Dieu a souffert. Pour le fiel qu'il a bu sur la croix, on te donnera le miel du Saint-Esprit.

Tes pensées, tes paroles, tes actions appelleront le Saint-Esprit, de sorte qu'il surviendra en toi, sans que tu saches comment ni de quelle manière, sans que tu le sentes ni que tu saches par où il est entré et tu le trouveras en toi, logé dans ton cœur; tu découvriras au fond de ton âme une grande joie, une réjouissance si admirable, si totale qu'elle te fera sortir de toi-même. Le saint roi David disait : Tu procureras, Seigneur, joie et allégresse à mon oreille et mes os mortifiés se réjouiront. Le cœur qui était triste, l'âme qui était très angoissée, seront remplis de joie et se réjouiront; tu entendras le Saint-Esprit te parler à l'oreille, et t'indiquer tout ce que tu dois faire.

Celui qui a la charge de consoler est aussi celui qui a la charge d'exhorter; celui qui te console est aussi celui qui te blâme : " Homme lâche, sans grand courage, veux-tu ne pas craindre comme un enfant, aie le courage d'un homme ! " Le Saint-Esprit lui-même qui vient te consoler, te réprimandera, pour supprimer les obstacles à ta consolation. Paracletus veut dire Consolateur. Et puisque tu vois, mon frère, que par suite des mérites de Jésus-Christ, se donne le Saint-Esprit, ne cesse pas de le demander, ne cesse pas de le désirer avec une grande ferveur, en regrettant son absence, de sorte qu'il viendra dans ton âme et sera une si grande consolation pour toi que personne ne pourra te l'enlever.

Arrange ta demeure, prépare le repas pour cet Hôte, puisqu'il le mérite tant et que tu as envers lui tant d'obligations; faisons beaucoup d'aumônes aux pauvres; pardonnons à notre prochain; abstenons-nous de tout péché et de toute faute pendant cette sainte Semaine; soyons maîtres de nos sens, et ayons tous vraiment confiance, que par sa miséricorde il viendra en feu d'amour, fortifier nos cœurs et nous apporter ses dons.

* * * * *

[11] En espagnol, comme en français d'ailleurs, mais plus nettement encore, le mot Pâque au singulier surtout, signifie toute grande solennité de la vie du Christ. Ici c'est de la Pâque du Saint-Esprit (Pâque des rosés disons-nous) qu'il s'agit.

[12] Cant. 6, 8. La traduction de Crampon dit : " Une seule est ma colombe, mon immaculée ".

[13] On saisit ici tout ce qui sépare la pensée d'Avila du " Monachatus non est pietas " d'Erasme

[14] Le réalisme, plein de santé, d'Avila ne nous échappera pas.

[15] La phrase du centurion : « Va et il va », « Viens et il vient » (Mat. 8. 5-13; Luc 8 I-10) est certainement ici dans la pensée d'Avila.

[16] Ex. 20. a.

[17] Exemple du dialogue supposé entre Avila et ses auditeurs.

[18] « Ce Consolateur ou cet avocat (car le mot grec Paraclet signifie l'un et l'autre) était devenu nécessaire après le départ du Christ » (Saint AUGUSTIN. Tract. 94 in Joann).

[19] Mt. 26, 38.

[20] Mt. 27, 46.

[21] Thren. 1, 12.

   

pour toute suggestion ou demande d'informations