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LE CANTIQUE SPIRITUEL
STROPHE TRENTE-SEPTIÈME
Là vous me montreriez EXPLICATION
Là vous me montreriez Le but de l'âme est d'arriver à l'égalité d'amour qu'elle a toujours désirée naturellement et surnaturellement: l'amant ne peut être satisfait s'il ne sent pas qu'il aime autant qu'il est aimé. Or l'âme voit d'une façon très certaine l'immensité de l'amour que Dieu lui porte; elle ne veut pas l'aimer d'une manière moins élevée et moins parfaite; (s'il est vrai que la gloire consiste dans l'entendement, la fin de l'âme est d'aimer Dieu [cette phrase est ajoutée en marge par le Saint: aunque el verdad que la gloria consiste en el entendimiento, el fin del es amar.]). D'où son désir d'être transformée actuellement en lui, car elle ne peut arriver à cette égalité que par une transformation totale de sa volonté en celle de Dieu; ces volontés alors s'unissent de telle sorte que les deux sont unifiées et ainsi il y a égalité d'amour. En effet la volonté de l'âme, transformée en celle de Dieu, est toute désormais volonté de Dieu; la volonté de l'âme n'est pas détruite pour cela, mais elle est devenue volonté de Dieu. Ainsi donc l'âme aime Dieu avec la volonté de Dieu, qui est aussi sa volonté à elle; de la sorte elle l'aime autant qu'elle en est aimée, puisqu'elle l'aime avec la volonté de Dieu même, c'est-à-dire par le Saint-Esprit, et lui portera un amour égal à celui qu'il a pour elle. Le Saint-Esprit en effet est donné à l'âme, comme le dit l'Apôtre: Gratia Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum qui datus est nobis: « La grâce de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (Rom. V, 5). » (Ainsi donc elle aime Dieu et le Saint-Esprit; toutefois le Saint-Esprit n'est pas un instrument de son amour, mais elle l'aime comme Dieu par suite de la transformation où elle a été élevée et dont on parlera de suite. C'est lui qui supplée ce qui manque en elle, parce qu'elle a été transformée d'amour en lui. Voilà pourquoi elle ne dit pas qu'il lui donnera, mais... [tout ce fragment depuis ainsi donc est ajouté entre les lignes et en marge par le Saint (t. II, p. 153): y asi ama en el Espiritu Sancto a Dios junto con et Spiritu Sancto, no como instrumento sino juntamente con él por razon de la transformacion como luego se declarara, supliendo lo que falta en ella por haberse transformado en amor ella con él con lo qual no dice que la dara sino que la...]). Or, notons-le bien, l'âme ne dit pas: là, il me donnera; mais: là, il me montrera. Sans doute il est vrai que Dieu lui donne son amour, mais, pour parler d'une manière plus précise, elle dit qu'il lui montre son amour; ce qui veut dire qu'il lui montre à l'aimer comme il s'aime. Car Dieu en nous aimant le premier nous montre à l'aimer purement et complètement comme il nous aime. Or dans cette transformation où il se communique à elle, il lui montre un amour total, généreux et pur, il se communique à elle tout entier avec une tendresse ineffable, et il la transforme en lui-même; il lui donne donc, comme nous l'avons dit, son amour afin qu'elle s'en serve pour l'aimer; c'est là ce qu'elle appelle, à proprement parler, lui montrer à aimer; Dieu lui met pour ainsi dire l'instrument entre les mains; il lui indique comment elle doit s'en servir, (et il l'aide peu à peu en agissant avec elle [ce dernier membre de phrase est ajouté entre les lignes par le Saint (t. II, p. 154): y irlo haviendo con ella]); voilà pourquoi elle aime Dieu autant qu'elle en est aimée (ici le Saint a mis un signe pour porter l'attention du lecteur au bas de la pae (154), où il a fait l'addition suivante: y no quiero decir que amaro à Dios él se ama, que este no puede ser, sinie quanto del es amada porque asi como ha de conocer à Dios como del es conocida, como dice...). (Je ne veux pas dire qu'elle aime Dieu autant qu'il s'aime, cela est impossible, mais autant qu'elle en est aimée, de même qu'elle doit connaître Dieu autant qu'elle en est connue); car cet amour, (qui est la Sagesse [ici le Saint a ajouté entre les lignes le mot sabid, et non subid comme le dit l'éditeur (t. II, p.154)]), est commun à eux deux. Par conséquent non seulement elle apprend alors à aimer, mais elle est devenue maîtresse en amour, puisqu'elle est unie au Maître même de l'amour; de ce chef, elle est pleinement satisfaite; jusqu'à ce qu'elle parvienne à cet amour, son coeur ne pouvait l'être. Elle aime donc Dieu d'une manière parfaite et du même amour dont il s'aime. Ceci est un état que l'on ne peut acquérir complètement sur la terre; du moins quand l'âme arrive à cet état de perfection, le Mariage spirituel dont nous parlons, cela est possible d'une certaine manière. De ce degré d'amour parfait il s'ensuit immédiatement comme un état de gloire (le Saint a ajouté ici en marge en la fruicion, et non à la fin de la phrase précédente, comme le dit l'éditeur [t. II, p. 155]) où l'âme éprouve une jubilation intime, substantielle, toute divine. Il semble, en effet, et c'est exact, que toute la substance de l'âme est inondée de gloire; elle exalte Dieu et éprouve, comme si elle le possédait, une suavité intime qui la porte à le louer, à lui témoigner son respect, son estime, à l'exalter dans la jubilation la plus vive et la plus embrasée d'amour. Mais ces dispositions ne peuvent exister tant que Dieu n'a pas donné à l'âme en ce même état de transformation une grande pureté pareille à celle de l'état d'innocence ou à celle du baptême. L'âme ajoute donc ici que cette pureté va lui être accordée par l'Épouse dans cette transformation d'amour, disant:
Là vous me donneriez aussitôt, Cet autre jour dont elle parle est ou celui de la justice originelle, – car en ce jour Dieu donna à Adam la grâce et l'innocence, – ou le jour du baptême où l'âme reçut une sainteté et une pureté complète. L'âme, comme elle l'exprime dans ces vers, demande cela dans l'union même de l'amour; c'est là sa pensée dans le dernier vers: Ce que vous m'avez donné l'autre jour, car, nous l'avons déjà dit, c'est jusqu'à cette sainteté et pureté que l'âme arrive dans cet état de perfection. STROPHE TRENTE-HUITIÈME
L'aspiration de l'air, EXPLICATIONDans la strophe précédente, avons-nous dit, l'Épouse demandait deux choses: d'abord, ce qui était l'objet de ses désirs, ensuite, ce que le Bien-Aimé lui avait donné l'autre jour. Il est inutile de nous attarder sur cette seconde dont nous venons de parler. Quant à la première, qui consistait dans l'objet de ses désirs, elle veut en exposer la nature dans la strophe présente. Il s'agit non seulement de l'amour parfait déjà décrit, mais aussi, comme nous l'avons remarqué de tout ce que donne cette strophe nouvelle, de l'amour même et de ce qui est par lui communiqué à l'âme. Elle indique donc maintenant cinq choses qui renferment tous ses désirs: la première, l'aspiration de l'air: l'amour dont nous avons parlé, son principal désir; la seconde, le chant de la philomèle; la jubilation qu'elle éprouve à louer Dieu; la troisième, le bocage avec ses attraits: la connaissance des créatures et de l'harmonie qui règne entre elles; la quatrième, la contemplation pure et sublime; la cinquième, la flamme d'amour qui consume sans causer de souffrance; elle est d'une certaine manière contenue dans la première: c'est une flamme de transformation très suave dans l'amour de Dieu en la possession de toutes ces choses. L'aspiration de l'air. Cette aspiration de l'air est une propriété que l'âme demande ici à l'Esprit-Saint pour aimer Dieu parfaitement. Elle l'appelle aspiration de l'air parce que c'est une touche extrêmement délicate, un sentiment d'amour causé ordinairement dans l'âme en cet état par la communication de l'Esprit-Saint. Cet Esprit par son aspiration divine élève l'âme très haut; il l'informe pour qu'elle produise en Dieu la même aspiration d'amour que le Père produit dans le Fils, et le Fils dans le Père, qui est ce même Esprit-Saint qu'ils aspirent en elle dans cette transformation; la transformation ne serait pas véritable en effet s'il n'y avait pas union et transformation de l'âme dans le Saint-Esprit comme dans les deux autres personnes de la Très Sainte Trinité, bien que ce ne fût pas à un degré clair et évident à cause de la bassesse de notre condition présente. Et ceci est pour l'âme une gloire si haute, une source de délices si profondes, sublimes, qu'aucune langue mortelle ne saurait l'exprimer et qu'aucun entendement humain ne peut par lui-même en avoir une idée. En effet, une fois que l'âme est unie à Dieu, transformée en lui, elle aspire Dieu en Dieu, et cette aspiration est celle même de Dieu, car l'âme étant transformée en lui, il l'aspire elle-même en Soi. C'est là je pense ce que saint Paul a voulu dire par ces mots: Quoniam autem estis filii Dei, misit Deus Spiritum Filii sui in corda vestra clamantem: Abba, Pater: « Puisque vous êtes les enfants de Dieu, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père (Gal. IV, 6). » Voilà ce qui a lieu chez les parfaits. Ne nous étonnons pas toutefois de savoir l'âme capable de parvenir à une telle élévation. Dès lors en effet que Dieu lui donne la grâce de devenir déiforme et unie à la Très Sainte Trinité, elle devient Dieu par participation; comment serait-il incroyable qu'elle exerce ses oeuvres d'entendement, de connaissance et d'amour dans la Sainte Trinité avec elle, comme elle, quoique d'une manière participée, Dieu les opérant en elle? Puisqu'il en est ainsi, il est impossible d'atteindre une plus haute sagesse, une plus haute puissance; on peut seulement donner à entendre comment le Fils de Dieu nous a obtenu d'arriver à un état si sublime et nous a mérité cette faveur si précieuse, comme dit saint Jean, de pouvoir être les enfants de Dieu (Jean, I, 12). Aussi, dit encore saint Jean, il a adressé à son Père cette supplique: Pater, quos dedisti mihi, volo ut ubi ego sum, et illi sint mecum, ut videant claritatem meam quam dedisti mihi: « Père, je veux que ceux que vous m'avez donnés soient avec moi là où je suis, afin qu'ils voient la gloire que vous m'avez donnée (Ibid. XVII, 24). » Cela veut dire: Qu'ils accomplissent par leur participation en nous la même oeuvre que j'accomplis par nature, c'est-à-dire qu'ils aspirent le Saint-Esprit. Il a dit encore: « Père, je vous demande cela non seulement pour ceux qui sont ici présents, mais pour tous ceux qui, grâce à leur prédication, doivent croire en moi, afin que tous soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous, et qu'ainsi ils soient un en nous; la gloire que vous m'avez donnée, je la leur ai donnée, afin qu'ils soient un comme nous sommes un; moi en eux et vous en moi, afin qu'ils soient parfaits dans l'unité, pour que le monde sache que vous m'avez envoyé, et que vous les avez aimés comme vous m'avez aimé. » Il leur communique donc le même amour qu'à son Fils, bien que ce ne soit pas naturellement comme à son Fils, mais, comme nous l'avons dit, par unité et transformation d'amour; de même il ne faut pas croire ici que le Fils veuille dire au Père que les saints soient un par essence et par nature comme le sont le Père et le Fils, mais qu'ils le sont par union d'amour, comme le Père et le Fils le sont par unité d'amour. Les âmes possèdent donc par participation les mêmes biens que lui par nature: d'où elles sont véritablement dieux par participation, égales à Dieu et à ses compagnes. C'est ce que dit saint Pierre par ces paroles: « Que la grâce et la paix croissent en vous de plus en plus par la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ Notre-Seigneur; toutes les richesses de sa vertu divine nous ont été données pour notre vie et la piété de notre âme, par la connaissance de celui qui nous a appelés par sa propre gloire et sa propre puissance; il a réalisé en nous les promesses les plus hautes et les plus riches afin de vous rendre participants de la nature divine (II Pier., I, 2-4). » Ces paroles montrent que l'âme participe à la nature de Dieu, en accomplissant en lui et avec lui l'oeuvre de la Très Sainte Trinité, de la manière dont nous avons parlé, à cause de l'union substantielle qu'il y a entre l'âme et Dieu. Ces merveilles, sans doute, ne s'accomplissent d'une manière parfaite que dans l'autre vie. Néanmoins quand l'âme arrive ici-bas à cet état de perfection, elle en voit les grands traits, elle en goûte les prémices selon le mode dont nous parlons, bien que, nous le répétons, il soit impossible de les exprimer. Ô âmes créées pour de telles grandeurs! Ô vous qui êtes appelés à les posséder! Que faites-vous? A quoi vous occupez-vous? Vos prétentions ne sont que bassesse, et vos biens ne sont que misère. Ô triste aveuglement! Les yeux de votre âme ne voient plus! En présence d'une lumière si éclatante vous restez aveuglés! Quand des voix si puissantes se font entendre, vous restez sourds! Comment ne voyez-vous pas que si vous recherchez les grandeurs et la gloire de ce monde, vous resterez vils et misérables, ignorants de tous ces trésors du ciel et indignes de les posséder? Voici maintenant la seconde demande de l'Épouse: Le chant de la douce philomèle. Ce qui se fait entendre dans l'âme quand elle a aspiré le zéphire divin, c'est le chant de la douce philomèle. Comme le chant de la douce philomèle ou du rossignol se fait entendre au printemps, lorsque les froids et les pluies de l'hiver sont passés, mélodie pour l'ouïe et récréation pour l'esprit, ainsi en est-il dans cette actuelle communication et transformation d'amour. L'Épouse, protégée désormais, libre de tous les troubles et de toutes les vicissitudes du temps, purifiée, dégagée de toutes les imperfections, pénalités, obscurités de la nature, sent un nouveau printemps dans son esprit, où elle entend la douce voix de l'Époux, son aimable philomèle; c'est lui qui donne le rafraîchissement et le renouveau à la substance de l'âme, quand il lui dit: « Levez-vous, hâtez-vous, ma Bien-Aimée, ma colombe, ma toute belle, et venez, parce que l'hiver est passé; les pluies ont cessé et disparu au loin; les fleurs ont paru sur notre terre; le temps de la taille est arrivé, et la voix de la petite tourterelle a été entendue chez nous (Cant. II, 10). » En entendant cette voix de l'Époux qui résonne au plus intime de son âme, l'Épouse comprend que tous ses maux ont fini et qu'elle commence à jouir de tous les biens; elle y trouve le rafraîchissement, le soutien et le sentiment de toutes les délices, et, douce philomèle, elle fait, elle aussi, résonner sa voix et émet un nouveau chant à Dieu, de concert avec celui qui le cause; car si son Bien-Aimé lui donne un chant c'est pour qu'elle célèbre avec lui les louanges du Seigneur. Telle est en effet sa prétention et tel est son désir, comme il l'exprime au livre des Cantiques, par ces paroles: « Lève-toi, hâte-toi, ma Bien-Aimée, ma toute belle; viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans les cavernes du mur; montre-moi ton visage; que ta voix résonne à mes oreilles, car ta voix est pleine de douceur et ton visage plein de beauté (Cant. II, 13). » L'ouïe de Dieu symbolise ici ses désirs que nous le louisons d'une manière parfaite: la voix qu'il demande à l'Épouse de lui faire entendre est une louange parfaite et pleine de jubilation pour Dieu. Mais pour être parfaite, l'Époux dit qu'elle la donne et la fasse résonner dans les cavernes de la pierre, c'est-à-dire dans ces connaissances merveilleuses des mystères du Christ où, comme nous l'avons exposé plus haut, elle lui était unie. En cette union ineffable elle jubile, et loue Dieu par Dieu lui-même, tout comme elle l'aimait avec lui, aussi sa louange est parfaite: étant en effet dans un état de perfection, elle accomplit des oeuvres parfaites, sa voix est pleine de suavité pour Dieu et pour elle. C'est ce que l'Époux dit ensuite: « Parce que ta voix est douce », non seulement pour toi, mais encore pour moi, dès lors que tu ne fais qu'un avec moi, tu fais entendre avec moi et pour moi ta voix de douce philomèle. Le bois avec ses attraits. La troisième chose que l'Époux doit donner alors à l'âme, c'est, dit-elle, le bois avec ses attraits. Par bois l'âme entend Dieu et toutes les créatures qui sont en lui. De même que tous les arbres et toutes les plantes ont leur vie et leur racine dans le bois, de même toutes les créatures du ciel et de la terre ont en Dieu leur racine et leur vie. C'est là, dit l'âme, qu'on lui montrera Dieu en tant qu'il est la vie et l'être pour toutes les créatures; elle connaîtra en lui le principe et la durée des créatures et les créatures elles-mêmes; car sans lui tout le reste lui importe peu, et elle n'a nul désir de le connaître par voie spirituelle. L'âme a encore le plus vif désir de goûter les attraits de ce bois. Ces attraits sont la grâce, la sagesse, les attraits que Dieu tient non seulement en chacune des créatures, mais encore cette harmonie si admirable qui règne entre toutes les créatures supérieures ou inférieures par leur correspondance et leur subordination réciproque. C'est là connaître les créatures par la voie contemplative, et cette connaissance procure les délices les plus pures, parce qu'elle a Dieu pour objet. Voici maintenant le quatrième bien: Dans la nuit sereine. Cette nuit où l'âme désire voir ces merveilles est la contemplation; la contemplation est obscure; c'est pour ce motif qu'on lui donne un autre nom, celui de théologie mystique, expression qui signifie sagesse cachée et secrète de Dieu; là, sans bruit de paroles, sans le concours ni l'aide d'un sens corporel ou spirituel, comme dans le silence et la quiétude de la nuit, à l'insu de tout ce qui est sensitif et naturel, Dieu enseigne l'âme d'une manière très cachée et très secrète, sans qu'elle sache comment. Pour quelques auteurs spirituels, c'est: entendre sans entendre. Cette opération n'est pas l'oeuvre de l'entendement que les philosophes appellent actif, qui opère sur des formes, des images et des données venues des objets; mais de l'entendement en tant qu'il est possible ou passif, incapable de telles formes et images, mais qui reçoit d'une manière passive une connaissance substantielle communiquée sans le moindre effort ni travail de sa part. Pour ce motif on appelle cette contemplation non seulement une nuit, mais une nuit sereine, car la nuit se dit sereine quand elle est pure et sans nuage ou vapeurs dans l'air, de même cette nuit de la contemplation est pour le regard de l'entendement, pure, exempte de tous les nuages des formes, des images ou connaissances particulières qui peuvent entrer par les sens; elle est pure encore de toutes les vapeurs des affections ou des tendances de la nature; aussi la contemplation est alors une nuit sereine pour le sens et l'entendement naturel, comme l'enseigne le philosophe quand il dit: « Si le rayon de soleil est obscur et plein de ténèbres pour la chauve-souris, les connaissances les plus profondes et les plus claires de Dieu sont obscures pour notre entendement. »
Ainsi que la flamme qui consume L'âme nous dit dans ce vers que l'Époux lui accorde tout ce qui précède avec la flamme qui consume sans causer de souffrance. Cette flamme désigne ici l'amour de Dieu devenu enfin parfait dans l'âme, car pour être parfait, l'amour doit avoir ces deux propriétés: Il faut qu'il consume et transforme l'âme en Dieu, et que cette opération s'accomplisse sans souffrance. De la sorte, cette flamme est un amour suave; et quand l'âme est transformée, il y a conformité parfaite et satisfaction des deux partis; elle n'éprouve donc pas de souffrance à ce changement plus ou moins profond, comme cela lui arrivait avant de posséder cet amour parfait. Elle est déjà parvenue au but, elle est déjà transformée en Dieu et toute semblable à lui; de même le charbon embrasé est semblable au feu, il ne donne plus de fumée, comme précédemment, il n'a plus cette noirceur ni tous ces accidents qui lui étaient propres avant de devenir du feu. Or ces propriétés qu'on appelle l'obscurité, la fumée, l'odeur, causent ordinairement quelque peine et fatigue à l'âme qui aime Dieu, tant qu'elle n'est pas arrivée à ce degré de perfection d'amour où elle sera possédée par le feu de l'amour d'une façon pleine, totale et suave; alors elle n'éprouvera plus de peine de la fumée des passions ou des événements de la nature; elle sera toute transformée par cette flamme d'amour suave qui l'a consumée par rapport à toutes les choses d'ici-bas et l'a rendue semblable à Dieu. Aussi toutes ses oeuvres et toutes ses actions sont devenues divines. Par cette flamme, l'Épouse veut, comme nous l'avons dit, que l'Époux lui donne toutes les faveurs qu'elle a en vue; elle ne veut ni les posséder, ni les priser, ni en jouir sans être embrasée en même temps de l'amour de Dieu le plus parfait et le plus suave. STROPHE TRENTE-NEUVIÈME
Personne ne regardait, EXPLICATIONDans cette dernière strophe, l'âme veut manifester la disposition où elle est de recevoir les faveurs dont on jouit dans cet état et qu'elle a demandées à son Époux divin; car sans cette disposition elle ne pourrait ni les recevoir, ni les conserver; voilà pourquoi elle expose au Bien-Aimé quatre dispositions qui sont suffisantes pour atteindre ce but, afin de l'obliger davantage à lui accorder ces faveurs: La première, c'est que son âme est désormais détachée et séparée de tout le créé. La seconde, c'est qu'elle a vaincu le démon et l'a mis en fuite. La troisième, c'est qu'elle a soumis toutes ses passions, ainsi que ses tendances naturelles et surnaturelles. La quatrième, c'est que sa partie sensitive est déjà réformée et purifiée, conformément à sa partie spirituelle, de telle sorte que non seulement elle ne sera pas pour lui un obstacle, mais qu'elle s'unira à l'esprit pour participer à ses biens. C'est là tout ce qu'elle expose dans la présente strophe, disant: Personne ne regardait. Cela signifie: Mon âme est désormais si isolée, si détachée et si éloignée des créatures supérieures ou inférieures; elle est entrée en outre avec vous dans un recueillement si profond, que personne ne la voit, c'est-à-dire que les créatures n'arrivent pas à lui procurer des plaisirs par leur suavité, ni de dégoût ou de l'ennui par leur misère et leur bassesse. Mon âme en est tellement éloignée qu'elle les a perdues de vue depuis longtemps. Ce n'est pas tout, car Aminadab, non plus, n'a pas paru. Aminadab dans la Sainte Écriture représente le démon, l'adversaire de l'âme Épouse; il la combattait sans cesse et la troublait par les traits innombrables de ses tentations et par ses embûches pour l'empêcher d'entrer dans cette forteresse cachée du recueillement intérieur avec son Bien-Aimé. Depuis qu'elle s'y est réfugiée, elle est si forte en vertus, et si victorieuse, que le démon n'ose paraître devant elle. Elle est tellement protégée, en effet, par le bras de Dieu et elle a remporté une telle victoire sur le démon par l'exercice des vertus, qu'elle l'a chassé bien loin d'elle. Voilà pourquoi elle dit à bon droit qu'Aminadab, non plus, n'a pas paru. Le siège était levé. Par ce mot siège elle désigne les passions et les tendances de l'âme, qui, tant qu'elles ne sont pas vaincues et mortifiées, l'entourent et l'attaquent. Voilà pourquoi elle dit que leur siège est levé, et dès lors qu'il en est ainsi, elle supplie le Bien-Aimé de ne pas manquer de lui accorder les biens qu'elle lui a demandés. Comme le siège en effet a été levé, il ne peut plus empêcher la paix intérieure qui est requise, pour recevoir ces biens, les posséder et les conserver. Elle s'exprime de la sorte, parce qu'il est nécessaire que les passions de l'âme élevée à cet état soient apaisées, et que ses tendances ou affections soient mortifiées pour ne plus lui causer aucun ennui et ne plus lui faire la guerre; il faut plutôt que ces assiégeants avec leurs opérations, se conforment à son esprit intérieur et qu'à leur manière ils entrent dans le recueillement pour participer à ses délices; voilà pourquoi elle dit aussitôt:
Et la cavalerie Les eaux désignent ici les faveurs et les délices spirituelles dont Dieu lui donne la jouissance en cet état. L'Épouse donne le nom de cavalerie aux puissances intérieures et extérieures de la partie sensitive qui dans cet état, dit-elle, descendent à la vue des eaux spirituelles. Sa partie sensitive est alors tellement purifiée et en quelque sorte spiritualisée, qu'elle se recueille avec ses facultés sensitives et ses forces naturelles pour participer à sa manière aux magnificences spirituelles que Dieu communique à l'âme. C'est ce que nous fait entendre David par ces paroles: Cormeum et caro mea exsultaverunt in Deum vivum: « Mon coeur et ma chair ont tressailli d'allégresse dans le Dieu vivant (Ps. LXXXIII, 3). » L'Épouse, nous devons le remarquer, ne dit pas ici que la cavalerie descendait pour goûter les eaux, mais qu'elle descendait à la vue des eaux; car cette partie sensitive de l'âme avec ses facultés ne peut pas, à proprement parler, goûter d'une manière essentielle les biens spirituels; elle n'a aucune proportion avec eux ni en ce monde ni en l'autre; mais par suite d'un certain rejaillissement de l'esprit elle en reçoit du plaisir et de la joie; c'est lui qui attire les puissances et les sens du corps au recueillement intérieur où l'âme est enivrée des biens spirituels; or c'est là descendre à la vue des eaux plutôt que les goûter; mais ils participent, comme nous l'avons dit, au rejaillissement de ces biens que l'âme leur communique. L'âme dit ici que la cavalerie descendait; elle choisit ce mot plutôt que tout autre pour faire savoir que toutes ces puissances descendent et quittent leurs opérations naturelles pour entrer dans le recueillement intérieur. Plaise au Seigneur Jésus, notre très doux Époux, d'y faire entrer tous ceux qui invoquent son saint Nom! A lui honneur et gloire, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il! ● ● ● [5] Le Saint a mis en marge les mots la predestinacion [t. II, p. 156]).
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