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L’enfance et la formation
Le petit Jean-Marie avait trois ans lorsqu’éclata la triste
Révolution Française. Ses pieux parents reçurent chez eux des
prêtres réfractaires, mais bien avant ces faits, ils reçurent un
jour un pieux voyageur, un certain Benoît-Joseph Labre, qui sera un
jour canonisé (fête le 16 avril).
Les parents de Jean-Marie habitaient
Dardilly, à quelques kilomètres de Lyon. C’étaient de bons paysans,
croyants, fidèles à
leurs devoirs chrétiens. De leurs six enfants,
Jean-Marie était le quatrième, qui naquit le 8 mai 1786. Sans être
un saint parfait dès le berceau, il montra vite des signes de
profonde conviction.
Ainsi, à quinze mois, il se refusa à
manger jusqu’à ce que sa mère ne fît avec lui le signe de croix
comme à l’accoutumée. C’est de cette pieuse maman qu’il apprit aussi
à “bénir l’heure”, en récitant un Ave Maria quand l’heure
sonnait. Il aimait prier, où qu’il fût, en particulier avec une
petite statuette de la Vierge, qu’il avait reçue de sa mère. Un jour
qu’on le cherchait partout, on finit par le retrouver… entre deux
bêtes à l’étable, en train de prier avec ferveur devant sa petite
statuette. Plus tard, lorsqu’il mènera les bêtes au pré, il
commencera toujours par s’agenouiller pour offrir à Dieu sa tâche.
Il disposait ensuite sa statuette dans le creux d’un arbre, l’ornait
de feuillages, et priait le chapelet.
Il avait environ sept ans : c’est à ce
moment que commença son activité “pastorale” au sens apostolique du
mot. En effet, il se mit en devoir de catéchiser d’autres petits
pâtres qu’il rencontrait alentours. Il chantait et priait avec eux,
leur rappelait les enseignements de l’évangile, leur inculquant le
sens du péché et le respect de Dieu, partageant avec eux son
casse-croûte.
C’est aussi à cette époque qu’une
petite bergère lui dit innocemment qu’ils pourraient peut-être se
marier un jour, ce qu’il refusa énergiquement en lui demandant de
n’en jamais plus parler.
La difficulté des temps fit que
Jean-Marie reçut assez tard son instruction scolaire ainsi que la
préparation à la première communion. Il avait déjà treize ans quand
il reçut l’Hostie pour la première fois, avec d’ailleurs une joie
indicible. Il passa son adolescence à aider aux travaux des champs.
Deux vertus firent remarquer le garçon
à cet âge déjà : son silence et son obéissance. Il savait se taire,
éviter de répondre, de se disculper en entendant un reproche ou une
taquinerie déplacée ; et par-dessus tout il obéissait sans
hésitation à ses parents.
Quand il avait un petit moment de
libre, c’est à l’église du village qu’il allait volontiers : peu à
peu sa vocation se précisait. Un souci l’avait envahi : sauver les
âmes !
Parler à sa bonne maman de sa vocation
n’était pas un problème, elle s’en réjouit même. Mais le papa mit
deux années à accepter cette décision : il avait déjà dû marier sa
fille et lui offrir une dot ; puis, pour garder son grand fils
François à la maison, il avait payé un remplaçant pour la
conscription (c’était l’époque des grandes guerres de Bonaparte, qui
procédait à des levées de troupes en masse) ; dans ces
circonstances, le pauvre papa Vianney n’avait plus les moyens
d’envoyer son fils au séminaire et s’y opposa catégoriquement. Il
finit tout de même par se rendre, en apprenant que le curé de la
paroisse voisine (Ecully) recevait chez lui des jeunes pour leur
donner les premiers éléments de leur formation avant de les diriger
vers le séminaire.
Mais ce fut le curé lui-même qui mit
une nouvelle opposition à la présence de Jean-Marie chez lui : il
n’avait plus de place, plus de temps… L’anecdote vaut la peine
d’être mentionnée : quand ce bon prêtre vit Jean-Marie en face de
lui, après quelques propos, il l’embrassa et dit tout haut : “Oh !
pour celui-là, je l’accepte !” ; puis à Jean-Marie : “Soyez
tranquille, mon ami, je me sacrifierai pour vous, s’il le faut.”
Si Jean-Marie était heureux de se
sentir aidé, il fut vraiment malheureux dans l’étude : sa mémoire
était comme rouillée, les rudiments péniblement appris étaient déjà
loin ; et il fallait maintenant assimiler les déclinaisons latines !
Non seulement Jean-Marie était beaucoup moins rapide que ses
confrères, mais en plus ces derniers - beaucoup plus jeunes que lui
- ne pouvaient s’empêcher de sourire de ses échecs répétés : pendant
les premiers mois, ses progrès furent à peu près nuls.
En plus, le pauvre garçon croyait
qu’en s’imposant davantage de pénitences, de jeûnes, de privations,
il obtiendrait plus de grâces pour ses études : peine perdue ! Et
comme sa santé s’altérait, il se fit rappeler à l’ordre par le bon
curé : “Vois-tu, lui dit-il, il faut bien prier et faire pénitence
sans doute, mais il faut aussi se nourrir et ne pas ruiner sa
santé.” Jean-Marie était découragé, proche de la crise, et faillit
tout abandonner pour rentrer à la maison. Le bon curé lui parla des
âmes : c’en fut assez pour lui redonner courage, mais pas pour faire
entrer quelque chose “dans sa mauvaise tête”.
Alors Jean-Marie imagina de faire un
vœu : d’aller en pèlerinage au tombeau de saint François Régis à La
Louvesc, à une centaine de kilomètres de là. Ce grand saint avait
été l’apôtre du Velay et du Vivarais, et s’était éteint après une
vie apostolique harassante le 31 décembre 1640, à quarante-trois ans
: Jean-Marie irait à pied demander une grâce spéciale pour ses
études, et en se contentant en chemin de demander humblement un peu
de nourriture et un peu de paille pour s’allonger la nuit. Ce
pèlerinage fut très pénible et Jean-Marie arriva épuisé au
sanctuaire. Là, un bon prêtre lui conseilla pour le retour de
donner plutôt que de demander, selon le conseil donné par
Jésus-Christ à ses Apôtres : “Il y a plus de bonheur à donner qu’à
recevoir” (Ac 20:35) ; Jean-Marie avait en effet pris un peu
d’argent par prudence ; au retour, il paya sa nourriture et son
logis, mais aussi il donna à qui lui demandait. Le souvenir de ce
pèlerinage le marqua longtemps ; il disait même : “Je ne
conseillerai jamais à personne de faire le vœu de mendier”.
Il reste qu’après cet épisode,
Jean-Marie reprit ses études avec un peu plus de succès ; ses livres
étaient moins rébarbatifs. L’horizon semblait s’éclaircir. Peu
après, il reçut le sacrement de Confirmation, au printemps 1807, à
l’âge de plus de vingt ans. Pendant la Révolution, l’archevêque de
Lyon avait suspendu ses visites pastorales, et beaucoup d’âmes
n’avaient pas reçu la Confirmation. Maintenant que le calme était
revenu, l’archevêque essayait de mettre les bouchées doubles : on
estime qu’il confirma cette année-là quelque trente mille fidèles,
de tous âges.
Jean-Marie vécut ce sacrement avec
grande ferveur, on l’imagine. Ce jour-là il ajouta à son nom de
baptême celui de saint Jean-Baptiste, qu’il aimait beaucoup.
Désormais, il signerait toujours “Jean-Marie-Baptiste” ou
“Jean-Baptiste-Marie”.
Qui était l’archevêque de Lyon ?
C’était le cardinal Fesch, oncle de l’empereur Napoléon, et qui,
comme tel, réussissait à en obtenir quelques faveurs pour son
diocèse. Il avait obtenu ainsi que tous les étudiants
ecclésiastiques inscrits sur les listes de l’archevêché fussent
exempts de la milice, au même titre que les clercs déjà engagés dans
les ordres sacrés. La mesure valait pour notre Jean-Marie.
Mais par une erreur inexpliquée, fin
1809, Jean-Marie reçut une feuille de route, selon laquelle il
devait rejoindre sans délai les recrues au dépôt de Bayonne, pour
être incorporé à l’armée qui descendait en Espagne.
La “vie militaire” de Jean-Marie
Vianney dura en tout deux années, mais Jean-Marie connut le monde
militaire seulement quelques jours. Voici pourquoi. Quand il
rejoignit le dépôt de Lyon, il tomba malade deux jours après et fut
hospitalisé pendant deux semaines ; derechef à Roanne, où il resta
six semaines hospitalisé chez de bonnes religieuses ; quand enfin
sur pied il fut en mesure de repartir, il manqua le départ de la
colonne : arrivé tôt au rendez-vous, il s’abîma en prière dans
l’église voisine, et ne vit pas l’heure tourner ! Il se présenta dès
que possible au capitaine, qui finit par lui laisser une nouvelle
feuille de route, sans le déclarer déserteur. Mais sur la route de
Clermont, n’en pouvant plus, il s’écarta dans un sous-bois pour se
reposer un peu : c’est là qu’un autre soldat, déserteur celui-là, le
rencontra, se chargea de son sac pesant, et le conduisit au proche
village.
Les soldats déserteurs ou réfractaires
étaient nombreux dans ces forêts. Ils échappaient aux recherches et
vivaient de petits travaux dans les fermes alentours. Jean-Marie
n’avait d’abord rien compris à ce vilain jeu ; ce dont il avait
besoin c’était de se reposer un peu. Mais ensuite, son compagnon dut
le laisser se débrouiller, et Jean-Marie était bien embarrassé : il
était à son tour déserteur, sans l’avoir cherché une minute. Et il
savait ce que cela signifiait pour sa famille : on afficherait au
lieu de son domicile la liste des réfractaires, avec les noms des
père et mère ; après huit jours, la force armée viendrait s’établir
au domicile du déserteur pour y vivre aux dépens des parents :
d’abord un seul homme, puis la garnison augmenterait ; les familles
devraient indemniser cette garnison, sinon on procéderait à la
saisie des meubles et des biens (animaux de la ferme, en
particulier).
Jean-Marie ne pouvait ni ne voulait
entrer délibérément dans la clandestinité. Il alla simplement
rencontrer le maire pour lui exposer son cas. Bienheureuse
initiative, qui veut demeurer dans la sincérité et l’obéissance aux
normes. Le maire était un fonctionnaire, qui devait respecter et
faire respecter les lois de l’empire ; mais c’était aussi un homme
droit et honnête, qui partageait les idées de beaucoup au sujet du
service militaire : en diverses régions de France, la désertion
était devenue règle générale, par antipathie au régime napoléonien.
Les guerres de l’empereur rencontraient la plus extrême aversion de
la part de beaucoup de Français - et de la part de notre maire. Ce
dernier protégea le pauvre Jean-Marie : il le rassura en lui
expliquant que de toutes façons il était impossible de rallier son
détachement à Bayonne, et qu’il n’avait qu’à échapper aux recherches
des gendarmes pendant quelque temps. Et de lui indiquer une maison
où une brave femme pourrait l’héberger en toute sécurité. On mit en
place toute une tactique : Jean-Marie s’appellerait Jérôme Vincent
et serait un cousin éloigné des enfants ; de jour, il habiterait
dans la grange ou dans l’étable et la brave paysanne lui porterait
son repas comme pour les bêtes, dans un seau de bois ! De nuit,
notre “Jérôme” sortait un peu, rencontrait la famille, leur parlait
de Dieu et des Saints, et gagna ainsi leur bienveillance. Il
couchait dans une “chambre” aménagée grâce à une grossière cloison
dans un coin de l’étable près de la fenêtre.
Peu à peu, “Jérôme” osa s’aventurer à
l’église, se mêler aux travaux de la ferme, rencontrer les habitants
du pays. Il y eut cependant des alertes : les gendarmes se
présentaient quelquefois, mais mystérieusement Jean-Marie avait
toujours eu le pressentiment et le temps de se dissimuler dans la
forêt. Un jour, un gendarme soupçonneux tira un grand coup de sabre
dans une meule de foin où, justement, s’était réfugié Jean-Marie en
catastrophe ; il ne se trahit pas, mais avouera plus tard qu’il
n’avait jamais eu si mal et avait alors promis à Dieu de ne jamais
se plaindre.
L’épreuve finit quand même au bout de
deux années. Jean-Marie était hors de danger, grâce à l’évolution
des temps : il put retourner chez les siens. C’est à ce moment que
mourut sa chère Maman. Mais il continua vaillamment sa route pour le
sacerdoce. D’abord en reprenant ses livres et son étude auprès du
bon curé d’Écully, en même temps qu’il servait de domestique et de
sacristain à ce prêtre désormais fatigué par les années. Jean-Marie
atteignait ses vingt-cinq ans. Il put enfin franchir le tout premier
degré en vue du sacerdoce : la tonsure, que tout clerc recevait à
cette époque avant de recevoir les “ordres mineurs”, puis les
“ordres majeurs”.
L’Eglise a récemment un peu simplifié
cette progression vers l’autel : actuellement, les clercs reçoivent
le lectorat, l’acolytat, le diaconat et la prêtrise. A l’époque de
Jean-Marie Vianney, on recevait d’abord la tonsure, en signe
d’appartenance au clergé de l’Eglise, puis les ordres mineurs :
portier, exorciste, lecteur, acolyte ; puis les ordres majeurs :
sous-diaconat, diaconat et prêtrise.
Jean-Marie Vianney fut donc tonsuré le
28 mai 1811 ; l’année suivante il intégra enfin le séminaire, mais
les études philosophiques en latin furent trop difficiles. On dut le
préparer en français. On se moquait même un peu de lui, parmi les
condisciples. Parlant de ce séminaire, il avoua un jour : “J’ai bien
eu un peu à souffrir”. Il se réfugia plus que jamais dans la prière
confiante ; il se confiera à la Sainte Vierge par le “vœu de
servitude”, s’inspirant de saint Louis-Marie Grignion de Montfort.
Mais il eut aussi de bons camarades, entre autres le futur
Bienheureux Marcellin Champagnat, qui fonderait les “Petits Frères
de Marie”.
Malgré des notes plutôt médiocres,
Jean-Marie put entrer au grand séminaire de Lyon à l’automne 1813 -
il avait vingt-sept ans ! On peut dire qu’il s’y distingua par son
effacement, son humilité. Là encore, il dut bénéficier de
répétitions en français, où il se montrait excellent par ses
réponses et ses jugements. Toutefois, certains de ses professeurs
décidèrent de le congédier, au regard des progrès nuls qu’il faisait
dans la science théologique latine !
Jean-Marie songea un moment à
rejoindre les Frères des Ecoles Chrétiennes. Mais son bon curé
d’Écully l’en dissuada encore, l’encourageant à la persévérance et
reprenant patiemment le travail, en français d’abord puis un peu en
latin aussi. Il fit des démarches pour faire réadmettre Jean-Marie
au séminaire : un premier examen fut malheureux, mais Jean-Marie fut
réinterrogé en français, et reçut un avis très favorable en vue des
ordinations. Ensuite la Providence fit qu’on passa simplement sur
les éléments purement intellectuels de ce Candidat. Ce fut le
vicaire général qui fut l’artisan de l’admission aux ordres de
Jean-Marie. La conversation entre celui-ci et le prêtre qui
présentait Jean-Marie, est célèbre :
“L’abbé Vianney est-il pieux ?… A-t-il
de la dévotion à la Sainte Vierge ?… Sait-il dire son chapelet ?
– Oui, C’est un modèle de piété.
– Un modèle de piété ! Eh bien, je
l’appelle. La grâce de Dieu fera le reste.”
Jean-Marie Vianney reçut donc les
quatre ordres mineurs et le sous-diaconat le 2 juillet 1814, le
diaconat le 23 juin 1815 (veille de Saint-Jean-Baptiste), puis fut
ordonné prêtre le 13 août 1815. Il avait vingt-neuf ans.
Jean-Marie écrira plus tard :
“Oh ! que le prêtre est quelque chose
de grand ! Le prêtre ne se comprendra bien que dans le ciel… Si on
le comprenait sur la terre, on mourrait, non de frayeur mais d’amour
!…”
2
Jean-Marie Vianney, prêtre
Le premier poste que reçut Jean-Marie
Vianney, fut celui de vicaire auprès de son bon curé d’Ecully. Ce
choix faisait l’unanimité dans la joie, tant pour le curé que pour
son vicaire, et que pour tous les paroissiens. Très vite l’abbé
Vianney fut sollicité de tous côtés, d’autant plus que le curé était
maintenant bien fatigué de ses années douloureuses de la Révolution
et de ses activités pastorales.
Le premier pénitent à s’agenouiller
aux pieds du jeune prêtre, fut le curé lui-même, humblement. Ce même
curé continua à aider Jean-Marie à achever sa formation théologique.
Ils vivaient tous deux en une harmonieuse fraternité, dans une
sainte émulation.
Tous deux se mortifiaient : ce fut au
point que le curé dénonça à l’évêché son vicaire comme dépassant les
bornes, et le vicaire à son tour dénonça son curé pour excès de
mortification. Ils furent simplement renvoyés dos à dos ! Il est
vrai que, lorsqu’ils ne recevaient pas quelque Confrère, ils firent
quelques excès de privation : pas de vin ; quelques pommes de terre
avec du pain bis ; un morceau de bœuf bouilli revenait plusieurs
fois sur la table, et finissait par devenir tout noir…
Jean-Marie apprit aussi de l’abbé
Balley, son curé, la mortification par la flagellation ; le curé
portait habituellement un cilice et se flagellait. Ces pratiques
n’étaient pas nouvelles, elles ont même subsisté dans certains
monastères jusqu’à présent. L’Eglise a connu cela presque dès les
origines du Christianisme et l’a laissé faire, tout en rappelant
toujours une sainte prudence et une pieuse discrétion, car des excès
sont toujours à craindre, en particulier pour des âmes encore
fragiles : le danger le plus grave est de faire de ces
mortifications une fin en soi, et donc une source de véritable
performance, et d’orgueil. Pour que ces mortifications soient
vraiment fructueuses sur la vie spirituelle, il faut d’abord que
cette vie spirituelle soit fortement ancrée dans un chemin de
perfection. En réalité, la mortification la plus difficile à
supporter, est d’obéir aux supérieurs sans le moindre retard, et
l’obéissance est de beaucoup plus importante que toute mortification
purement physique.
Deux vertus furent très vite
remarquées en la personne du pieux Jean-Marie Vianney : sa pureté
soutenue par une grande réserve de toute sa personne, et sa
pauvreté.
Très réservé en effet, l’abbé Vianney
écartait toute familiarité dans son comportement et savait, comme
disait s.François de Sales, “voir tout le monde sans regarder
personne”. Sa modestie virginale étonnait ; il confia un jour à un
confrère qu’il avait prononcé à vingt-trois ans un vœu pour
conserver toute sa vie la sainte vertu de la chasteté : il s’était
engagé à prier chaque jour le Regina Cæli, et six fois cette
jaculatoire : “Bénie soit la très sainte et Immaculée Conception de
la Bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu. A jamais. Ainsi
soit-il”.
La pauvreté de Jean-Marie était
presque aussi légendaire. Son curé disait : “M.Vianney est toujours
le même ; il donne tout ce qu’il a.”
C’est aussi à cette époque qu’il
connut la pieuse Pauline Jaricot, dont la famille était connue du
curé d’Ecully, et avait acheté une grande maison tout près de là.
M. Balley, le pieux curé d’Ecully,
mourut cependant prématurément, et l’abbé Vianney reçut une nouvelle
mission : on lui confiait la paroisse d’Ars. Le vicaire général,
signant la feuille de nomination de Jean-Marie, lui confiait : “Il
n’y a pas beaucoup d’amour du bon Dieu dans cette paroisse ; vous y
en mettrez”.
Ce n’est pas à dire que Ars était un
bourg païen, sans foi ni loi. On y avait connu au XVIIIe
siècle une activité religieuse très intense, avec plusieurs
Confréries, une grande ferveur pour la fête du Sacré-Cœur récemment
instituée, de fréquentes processions. Mais avec le temps, et surtout
après la Révolution, la vie chrétienne s’était relâchée ; les
habitants n’étaient pas à proprement parler des mécréants, mais il
s’était installé généralement une forte dose d’indifférence, de
négligence ; sans être hostiles à la Religion, ils n’allaient plus à
l’église le dimanche, ils travaillaient aux champs ce jour-là, ou le
passaient au cabaret, et l’on avait la bien vilaine habitude de
blasphémer à tout propos. Ars, qui comptait moins de trois-cents
habitants, se vantait d’avoir jusqu’à quatre cabarets !
En arrivant à Ars, perdu dans le
brouillard, Jean-Marie Vianney dut demander son chemin à un jeune
enfant qui gardait les moutons. Cet Antoine Givre est resté célèbre
par la répartie que lui fit le nouveau curé d’Ars : “Tu m’as montré
le chemin d’Ars ; je te montrerai le chemin du ciel”. Actuellement
une célèbre statue commémore cette rencontre à l’entrée d’Ars. Fait
étonnant : Antoine Givre fut justement le premier paroissien d’Ars à
décéder après la mort du curé d’Ars.
Découvrant ensuite le village, avec
quelques maisons entourant la petite église, Jean-Marie aurait eu
cette phrase prophétique : “Que c’est petit ! Cette paroisse ne
pourra contenir tous ceux qui plus tard y viendront”.
Le nouveau curé fut relativement bien
accueilli. L’installation officielle du dimanche 13 février 1818 se
fit en présence de toute la paroisse. Par la suite, si l’assistance
ne brilla pas par son unanimité, l’église accueillit quand même
plusieurs familles restées chrétiennes et fidèles à la vie
chrétienne. Mais le zèle du curé nouvellement installé allait pour
toutes les ouailles absentes ; dès le début il se mit en devoir
d’aller chercher toutes ces brebis pour les ramener au bercail de la
pratique religieuse.
Persuadé qu’on ne peut convertir sans
donner l’exemple, le curé d’Ars s’habitua à une intense vie
spirituelle de prière et de pénitence.
Très tôt le matin, on le voyait se
rendre de son presbytère à l’église avec sa petite lanterne et il
priait. On ne le trouvait qu’à l’église, à moins qu’il allât prier
par les chemins du village. Quelqu’un l’entendit dire un jour : “Mon
Dieu, convertissez ma paroisse !”
A la prière, le Curé joignit la
pénitence, même excessive. Pas de matelas, au début quelques
sarments au rez-de-chaussée du presbytère : des névralgies
l’obligèrent à “mitiger” sa pénitence, et il se réfugia au grenier,
la tête sur un morceau de poutre. Avant de dormir, il se flagellait
d’importance, jusqu’au sang et même dut perdre connaissance parfois.
Au moment du carême, il lui arriva de se priver de nourriture
pendant plusieurs jours ; il cuisait d’avance des pommes de terre
dans sa fameuse “marmite”, et en mangeait une ou deux pour dompter
sa faim, froides, même celles qui commençaient à moisir. Il se
préparait parfois de vilains “matefaims” avec une poignée de farine
et un peu d’eau salée. Sa sévérité envers lui-même, envers son
“cadavre”, comme il appelait son corps, l’amenait même à une sorte
d’indélicatesse envers ceux ou celles qui voulaient lui apporter
quelque assiette bien préparée : sans même ouvrir, il répondait de
l’intérieur : “Je n’ai besoin de rien!”
Qu’on ne juge pas négativement ce que Jean-Marie Vianney appela
lui-même ses “folies de jeunesse”. Certes, il eut quelques excès.
Mais écoutons-le se confier lui-même plus tard à un Confrère :
“Mon ami, le démon fait peu de cas de
la discipline et des autres instruments de pénitence. Ce qui le met
en déroute, c’est la privation dans le boire, le manger et le
dormir. Il n’y a rien que le démon redoute comme cela et qui soit
par conséquent plus agréable au bon Dieu. Oh ! comme je l’ai éprouvé
! Lorsque j’étais seul, et je l’ai été pendant huit ou neuf ans,
pouvant me livrer à mon aise à mon attrait, il m’arrivait de ne pas
manger pendant des journées entières… J’obtenais alors du bon Dieu
tout ce que je voulais pour moi comme pour les autres.
“Maintenant ce n’est pas tout à fait
la même chose. Je ne puis pas demeurer si longtemps sans manger ;
j’en viens à ne plus pouvoir parler… Mais que j’étais heureux quand
j’étais seul ! J’achetais aux pauvres les morceaux de pain qu’on
leur donnait ; je passais une bonne partie de la nuit à l’église :
je n’avais pas autant de monde à confesser que j’en ai à présent… Et
le bon Dieu me faisait des grâces extraordinaires…”
3
L’apostolat
Le curé d’Ars se mit donc au travail
sans tarder. Pour “convertir sa paroisse”, il mit toute son ardeur à
instruire les fidèles et à lutter contre leurs mauvaises habitudes.
Il commença par rendre plus attrayante
sa petite église : un nouvel autel, de nouveaux ornements, jamais
assez beaux selon son goût ; il repeignit lui-même les boiseries et
les moulures de l’église. Plus tard il l’agrandit de plusieurs
chapelles latérales et fit refaire le clocher.
Il s’attaqua à l’ignorance, qu’il
voyait comme un réel péché : “Nous sommes sûrs, dit-il en chaire,
que ce seul péché en damnera plus que tous les autres ensemble ;
parce qu’une personne ignorante ne connaît ni le mal qu’elle fait ni
le bien qu’elle perd en péchant.”
Puis il fit venir les enfants pour le
catéchisme : chaque matin à six heures, de la Toussaint au mois de
juin ! Il promettait : “Je donnerai une image à celui qui arrivera
le premier à l’église”, et certains arrivaient dès quatre heures
pour gagner le précieux cadeau ! Il s’occupa personnellement de la
catéchèse des enfants, y mettant tout son zèle et aussi toute son
exigence, rappelant à l’ordre les distraits, distribuant des
chapelets à ceux qui n’en avaient pas.
Ces enfants finirent par être les
mieux instruits de la région ; l’évêque le constata de lui-même.
Mais certains eurent plus de difficultés à assimiler les réponses
exactes du catéchisme, tel qu’il se faisait alors ; le curé d’Ars
était inflexible et retarda parfois jusqu’à la seizième année la
première communion de ses garçons. Le curé d’Ars voulait qu’ils
fussent vraiment bien préparés à recevoir l’Eucharistie, mais il
était aussi marqué par un relent de jansénisme qui marquait cette
époque, et n’avait pas peur d’un certain rigorisme pratique, qu’il
atténua d’ailleurs de lui-même en vieillissant.
Il s’appliquait aussi à bien préparer
ses homélies du dimanche, s’installant à la sacristie, allant prier
devant le tabernacle, à genoux : le saint curé n’avait pas une
éloquence savante, il utilisait des phrases toutes simples, mais il
cherchait à toucher et convaincre et n’avait pas peur d’entretenir
les fidèles même pendant une heure de temps. Lui-même eut parfois du
mal à retenir les dizaines de pages qu’il avait préparées pour
prêcher ; il pria, fit prier, obtint la grâce d’une mémoire moins
ingrate, et même eut le don d’improviser quelquefois.
Rigoureux pour les fidèles comme pour
lui-même, le curé d’Ars exigeait une tenue exemplaire à l’église :
pas de bavardage, pas de bâillements, pas de bruits ; pas de
retardataires… Il voulait que tous comprissent l’importance de
l’Eucharistie comme Sacrement fondamental de la vie chrétienne.
Il s’en prit énergiquement au travail
du dimanche, au blasphème, à la danse et aux cabarets. “En agissant
ainsi, je fais tout ce que je dois faire. Il ne faut pas que cela
vous irrite : votre pasteur fait son devoir.”
Pour amener les âmes à l’église, il
fallait faire fermer les cabarets. Il s’y attaqua fermement : “Le
cabaret, c’est la boutique du démon, l’école où l’enfer débite et
enseigne sa doctrine, le lieu où l’on vend les âmes, où les ménages
se ruinent, où les santés s’altèrent, où les disputes commencent et
où les meurtres se commettent”. Et les cabaretiers “volent le pain
d’une pauvre femme et de ses enfants, en donnant du vin à ces
ivrognes, qui dépensent le dimanche tout ce qu’ils auront gagné la
semaine…”
La clientèle se raréfia, les quatre
cabaretiers durent fermer leurs portes et changer de métier. Sept
autres essayèrent d’ouvrir boutique : ils durent tous fermer !
Résultat inattendu : même le paupérisme diminua. En revanche
plusieurs petits hôtels s’installèrent plus tard, pour accueillir
les pèlerins.
Une autre victoire du curé d’Ars lui
vint de sa lutte contre le blasphème. “N’est-ce pas un miracle
extraordinaire, disait-il, qu’une maison où se trouve un
blasphémateur ne soit pas écrasée par la foudre et accablée de
toutes sortes de malheurs ? Prenez bien garde ! Si la blasphème
règne dans vos maisons, tout ira en périssant”. Les expressions
grossières disparurent d’Ars. Les paysans changèrent tout-à-fait de
vocabulaire et on les entendait dire : Que Dieu est bon ! Dieu soit
béni !
Le saint curé ne réussit pas à abolir
totalement le travail du dimanche. Comme chacun sait, c’est un
problème qui revient sans cesse dans les discussions et les débats
politiques : les paysans sont souvent tentés de rentrer une récolte
menacée par le mauvais temps, et les producteurs le sont aussi pour
produire davantage et amasser plus de gains. Et Jean-Marie Vianney
de s’écrier : “Quand j’en vois qui charrient le dimanche, je pense
qu’ils charrient leur âme en enfer ! Le dimanche, c’est le bien du
bon Dieu, c’est son jour à lui, le jour du Seigneur. Il a fait tous
les jours de la semaine ; il pouvait les garder tous ; il vous en a
donné six ; il ne s’est réservé que le septième. De quel droit
touchez-vous à ce qui ne vous appartient pas ? Vous savez que le
bien volé ne profite jamais. Le jour que vous volez au Seigneur ne
vous profitera pas non plus.”
Un dimanche que le curé d’Ars partit
faire une petite promenade en fin d’après-midi, voilà qu’il
rencontra un paysan qui rentrait sa récolte. Honteux, ce dernier se
cache derrière la charrette. Mais le saint curé, tout triste, lui
fait remarquer : “O mon ami, vous êtes bien attrapé de me trouver
là… Mais le bon Dieu vous voit toujours : c’est lui qu’il vous faut
craindre.”
Le curé d’Ars sut parfois “comprendre” la situation, comme lorsqu’il
laissa se poursuivre un dimanche les travaux de forage d’un puits,
ou quand le mauvais temps persistait et qu’il fallait absolument
rentrer les récoltes.
La persévérance du curé d’Ars fut bien
payée : le dimanche redevint au sens propre du mot “le Jour du
Seigneur” : l’église ne désemplissait pas du matin au soir, pour
l’assistance à la Messe (où beaucoup communiaient), le catéchisme à
13 heures, les vêpres et complies l’après-midi, le chapelet et la
prière le soir. Parfois s’y ajoutait quelque procession. Entre
temps, les paroissiens se rendaient visite, les hommes jouaient aux
boules, tout était calme. On pouvait même voir sur le pas de sa
porte tel vieillard qui égrenait silencieusement son chapelet.
Les paroissiens allèrent même plus
loin : ils s’arrangèrent pour que chaque jour, l’un au moins de
leurs membres assistât à la Messe du matin en semaine, de sorte que
quotidiennement une soixantaine de personnes du village entouraient
le curé d’Ars durant la Messe. A cette époque, le principe de la
Communion fréquente n’était pas encore établi ; au contraire, le
jansénisme marquait encore les esprits et les meilleurs chrétiens ne
recevaient pas toujours la Communion à la Messe. Le curé d’Ars les y
invitait pourtant et, à la fin de sa vie, regrettait : “S’ils
m’avaient écouté, ils seraient tous des saints !” Les hommes en
général “faisaient leurs pâques”, les femmes communiaient au moins
une fois par mois ; mais un bon nombre d’entre elles la recevaient
quand même quotidiennement.
On a mentionné plus haut un autre
combat du saint curé : celui contre la danse et nos esprits actuels
s’en étonneront. Dans notre monde habitué aux discothèques en fin de
semaine, avec tout ce que cela comporte de consommation d’alcools,
de tabac ou autres substances, de bruit et de déplacements, il est
difficile de comprendre pourquoi un humble petit curé de campagne
fit une guerre si énergique, si radicale contre les bals de son
village. Nous sommes en plein XIXe
siècle, loin des moyens techniques que nous connaissons, et ces
réjouissances locales ne rassemblaient guère qu’un “violoneux” et
des jeunes qui dansaient quelques valses ou menuets sur la place.
Ce qu’on sait moins est qu’en hiver
surtout, les familles se retrouvaient dans les étables où la
température est tiède ; et là, sous les yeux de parents muets ou
complices, on voyait se renouveler des pratiques en honneur dans le
paganisme lui-même.
Notre Curé ne voyait pas avec les yeux
du corps ; en pasteur avisé, il pénétrait les cœurs et y voyait les
vraies intentions des personnes. Tous les danseurs sincères savent
et reconnaissent que ces intentions ne sont pas toujours honnêtes.
Il y avait déjà celle de manquer les saints offices de la paroisse.
Mais le très pur Jean-Marie Vianney savait ce qui se passait dans le
cœur de ces jeunes ; il dit même un jour : “Oh ! si (une telle) ne
danse point, son cœur dansera !”
Sa lutte fut sans merci. Pendant des
années il dénonça les dangers, il rappela à l’ordre ; une fois il
alla au devant du violoneux et lui paya le double de son cachet
prévu, de sorte que la “fête” n’eut simplement pas lieu. Longtemps
aussi, il refusa jusqu’à l’absolution du sacrement de la
Réconciliation, à ceux ou celles qui ne promettaient pas sincèrement
de renoncer au bal.
Le saint Curé y alla même un peu d’une
sainte ironie. On sait (d’après l’évangéliste Marc 6:21-29), comment
advint le martyre de s. Jean-Baptiste. Quand fut construite la
chapelle en l’honneur de saint Jean-Baptiste, l’abbé Vianney fit
inscrire tout au long de la voûte : “Sa tête fut le prix d’une
danse”, ce qui ne manqua pas de faire une forte impression.
Encore une fois on jugera ici un peu
excessive la sévérité du saint Curé, mais on remarquera que quelques
années après, tous les villageois étaient heureux et satisfaits de
cette ambiance chrétienne qui inspirait chaque moment de la vie
quotidienne.
Il y eut tout de même des moqueries,
des attaques, jusqu’à de honteuses insinuations, visant l’abbé
Vianney ; on lui demanda même simplement de partir de là… Le curé
d’Ars patienta douloureusement en silence ; il dit à un confrère :
“J’ai tout laissé dire, et de cette façon on a fini par se taire”.
Le bon curé d’Ars surmonta
victorieusement ces épreuves et bien d’autres aussi, en acceptant
courageusement la croix qui parfois l’accablait : “Souffrir en
aimant, c’est ne plus souffrir… Fuir la croix, au contraire, c’est
vouloir en être accablé. Il faut demander l’amour des croix ; alors
elles deviennent douces. J’en ai fait l’expérience pendant quatre ou
cinq ans ; j’ai été bien calomnié, bien contredit. Oh ! j’avais des
croix, j’en avais presque plus que je n’en pouvais porter. Je me mis
à demander l’amour des croix, et je fus heureux ; je me dis :
vraiment il n’y a de bonheur que là.”
Une autre fois : “La croix, nous faire
perdre la paix !… Mais c’est elle qui doit l’apporter dans nos
cœurs. Toutes nos misères viennent de ce que nous ne l’aimons pas.”
Donc, en quelques années, certes de
dur combat et d’âpre persévérance, le curé d’Ars obtint de ses
paroissiens une profonde conversion. “Ars n’est plus Ars”,
reconnut-il avec joie un jour.
Les paroissiens aimaient faire ce que
disait leur curé : “Notre curé est un saint, et nous devons lui
obéir”. Ils priaient et fréquentaient assidûment l’église. Trois
fois par jours, ils interrompaient leurs occupations pour réciter l’Angelus,
chaque heure qui sonnait au clocher était saluée par un Notre
Père et un Je vous salue.
On pourra se demander si de telles
habitudes pouvaient se retrouver aujourd’hui, en dehors d’un
monastère. Une très grande majorité de chrétiens ignore ce qu’est l’Angelus,
qui a inspiré un célèbre tableau de Millet. Cette brève prière
rappelle l’Incarnation du Verbe Eternel. Elle est vraiment très
facile à retenir, chacun pourrait y penser en allant au travail, ou
en en revenant. Souvent on se demande : comment prier ? quoi dire ?
Certes, une prière spontanée qui sort du cœur est une chose
excellente ; mais en dire une toute simple comme l’Angelus,
c’est s’unir aussi à tous ceux qui, dans le monde entier, prient en
cet instant avec la même formule. C’est cette prière que récite le
Pape chaque dimanche à midi avec les pèlerins venus le saluer.
Donc, une sainte atmosphère
fraternelle régnait dans tout le village, où les maisons étaient
toutes ornées de quelque statue ou image de la Vierge ou des Saints.
Partout, quand il passait, le Curé était bien accueilli dans ces
maisons.
Les parents ne toléraient plus le
moindre larcin de leurs enfants. L’un d’eux osa un jour prendre une
poire sur un étalage : sa mère le vit, lui lia les mains derrière le
dos, et le fouetta jusqu’à la porte de la marchande, à qui l’enfant
dut demander pardon en rendant la poire.
Le couronnement, en quelque sorte, de
cet apostolat, fut la création d’une maison pour recueillir et
éduquer gratuitement les petites filles pauvres et abandonnées à
elles-mêmes. Pour cette œuvre, le Curé acquit une maison proche de
l’église, la fameuse “Providence”, où il fit admettre parfois
jusqu’à soixante petites filles de tous âges, qui apprenaient les
rudiments de la lecture et du calcul, les occupations domestiques,
et surtout les bonnes habitudes chrétiennes. Ensuite, ces jeunes
filles trouvaient facilement quelque emploi dans la région, car le
seul témoignage de leur passage à la Providence était pour elles un
passeport de bonne conduite. Ce furent ensuite des mères
exemplaires, qui surent éduquer leurs enfants selon tous les bons
conseils qu’elles avaient reçus dans cette sainte maison.
Cette maison de la Providence subit,
on le verra, quelques vicissitudes et même sembla compromise, mais
elle reprit quelques années après la mort de Jean-Marie Vianney.
Parallèlement, les dernières années de sa vie, il encouragea
beaucoup la transformation de l’école communale en un petit
pensionnat pour les garçons, œuvre qui fut menée à bien par le
fameux frère Athanase, un Frère des Ecoles Chrétiennes qui seconda
fidèlement le saint Curé et vécut à Ars jusqu’en 1912. Le pensionnat
compta jusqu’à quatre-vingts enfants, mais fut anéanti en 1903 par
la loi de l’Etat.
De même encore, le Curé d’Ars avait
assuré des fondations de messes, en plaçant sur l’Etat d’importantes
sommes, dont les revenus devaient assurer la célébration de quelque
trois cents messes par an, dont beaucoup pour mettre les
missionnaires de la Propagation de la Foi sous la protection de la
Vierge Marie, et les autres pour la conversion des pécheurs. Là
encore, l’Etat confisqua ce fonds et les messes cessèrent en 1908.
4
Le Démon
Parmi les épreuves que subit le curé d’Ars, il y eut les fameuses
manifestations du “Grappin”, comme il appelait le Démon.
Aujourd’hui, on s’étonnera un peu de ce chapitre, qui pourtant
reprend des faits tout-à-fait historiques et constatés par des
témoins, parfois même à leur corps défendant. N’ayons pas peur d’en
parler.
Dans les débuts, le saint Curé ne
parla de rien ; il se contenta de constater le bruit de rideaux
déchirés pendant la nuit, croyant que des rats sévissaient chez lui
; mais les rideaux étaient absolument intacts au petit matin. Puis
il y eut des coups contre les portes, des cris dans la cour : le
Curé jugea bon de faire venir un de ses paroissiens pour,
éventuellement, mettre en fuite les voleurs. Peine perdue ! Le brave
villageois entendit de tels bruits, eut une telle frayeur, qu’il
n’accepta pas de revenir la nuit suivante ! Mais d’autres villageois
furent invités à venir monter la garde, qui pourtant n’entendirent
rien ces nuits-là. Un jour qu’il avait neigé, le Curé d’Ars entendit
comme une armée dans la cour, dont il ne comprenait pas la langue :
n’apercevant sur la neige aucune trace de pas, il fut enfin certain
que c’était vraiment là la présence du Diable, qui cherchait à le
troubler durant ses quelques heures de sommeil. Il fit même cette
constatation : “J’ai remarqué que le bruit est plus fort et les
assauts plus multipliés lorsque, le lendemain, il doit venir quelque
grand pécheur.”
Et de commenter : “Le grappin est bien
bête : il m’annonce lui-même l’arrivée des grands pécheurs… Il est
en colère. Tant mieux !”
Il y eut beaucoup de manifestations
diverses et étranges du Grappin. Bruits de marteau, de sabots,
hurlements ; un joli tableau de l’Annonciation fut horriblement
maculé et couvert d’immondices… Ces faits ne sont pas inconnus de la
théologie mystique. On les appelle “faits préternaturels
extraordinaires”. Ordinairement, le diable nous tente tous de mille
manières. De façon “extra-ordinaire”, le démon intervient par des
vexations pénibles, effrayantes même, mais non douloureuses : on
appelle cela “infestations”. Le saint Curé s’y habitua, en quelque
sorte, au point qu’il répliqua un jour : “On s’habitue à tout. Le
grappin et moi, nous sommes quasi camarades.”
Mais le saint Curé persévérait, et
tenait tête aux menaces infernales. On le sut, le bruit se répandit,
et l’on vint auprès de lui pour le solliciter de délivrer telle ou
telle personne qui montrait les signes évidents d’une possession
diabolique. Toujours, ces personnes repartirent délivrées. Et le
Curé eut ainsi l’occasion de fustiger une autre manifestation
diabolique : les tables tournantes. On pourra en sourire, mais le
Curé savait de quoi il parlait ; il fit même cette question à une
possédée : “Qu’est-ce qui fait tourner et parler les tables ?” -
C’est moi ! répondit la pauvre femme… Tout cela, c’est mon affaire.”
Pour une fois, le Menteur avait dit juste.
Finalement, ce fut l’abbé Vianney qui
gagna la partie ; le Grappin lui-même se découragea et abandonna la
lutte. Les quatre dernières années de sa vie, le Curé ne fut plus
dérangé de cette façon.
5
Le Curé d’Ars, confesseur et
directeur d’âmes
Les événements d’Ars finirent par être connus, même au loin. Et des
foules vinrent pour voir, rencontrer même le Curé d’Ars, se
confesser à lui. Jusqu’à quatre cents pèlerins arrivaient chaque
jour, au point que de la gare de Lyon un train spécial pour Ars
partait, avec billet aller-retour valable huit jours (car il fallait
environ ce temps pour arriver jusqu’au saint Prêtre).
Il était très bref, sachant toucher
“le” point névralgique de l’âme malade ; il eut aussi un don
extraordinaire, celui de lire dans les âmes ; il sut aider ainsi
plus d’un pécheur à retourner en lui-même pour voir vraiment l’état
de son âme.
Un chasseur un peu goguenard attendait
un jour de voir passer le Curé d’Ars qui, effectivement, s’arrêta
juste devant lui ; regardant tour à tour le chien et le chasseur, il
lui dit : “Monsieur, il serait à souhaiter que votre âme fût aussi
belle que votre chien !” L’homme fut tellement frappé de cette
remarque faite à brûle-pourpoint, qu’il alla se confesser, puis
entra bientôt à la Trappe, où il s’éteignit très saintement une
trentaine d’année plus tard.
Si le Curé d’Ars sut découvrir mainte
vocation sacerdotale ou religieuse, il ne faudrait pas croire qu’il
“forçait” toutes les saintes âmes à entrer en religion. Un pieux
officier qui n’était pas marié, pensait se faire religieux ; le Curé
d’Ars lui rétorqua vivement : “Gardez-vous-en bien, l’armée a trop
besoin de bons exemples comme les vôtres.”
Parfois une simple petite phrase :
“Mon garçon, vous êtes damné” ou bien “O mon ami, des bonnes
volontés !… l’enfer en est pavé” firent réfléchir profondément et
aboutirent à des conversions profondes.
Beaucoup furent très impressionnés de
le voir lui-même pleurer sur leurs propres péchés, et en conçurent
un réel regret. “Ah ! disait-il un jour, les pauvres pécheurs ! si
seulement je pouvais me confesser pour eux !”
Le Curé d’Ars s’efforça de guider les
âmes dans leurs dévotions, préférant les pratiques officielles de
l’Eglise aux dévotions privées, dans lesquelles il savait dénicher
quelque égoïsme déguisé. “La prière particulière ressemble à la
paille dispersée çà et là dans un champ ; si l’on y met le feu, la
flamme a peu d’ardeur ; mais réunissez ces brins épars, la flamme
est abondante et s’élève haut vers le ciel ; telle est la prière
publique.” Celles qu’il conseillait en priorité étaient donc la
Messe et les saints offices (les vêpres, par exemple), le chapelet,
l’Angelus, les “oraisons jaculatoires”. Quand on
l’interrogeait sur les lectures les plus utiles, il conseillait
l’Evangile, l’Imitation de Jésus-Christ, la vie des Saints.
La prudence, mère de toutes les
vertus, était celle que recommandait le saint Curé. A telle personne
il déconseillait le jeûne : “Mais, Monsieur le Curé, vous jeûnez
bien vous. - C’est vrai, mais moi en jeûnant je peux faire mon
ouvrage ; vous, vous ne le pourriez pas.” A une mère de famille, il
défendait de négliger le soin de sa maison pour venir à l’église
lorsqu’elle n’y était pas obligée.
Signalons enfin que, en avance sur son
temps, le saint Curé préconisa la communion fréquente - tout en
exigeant de chacun de s’y bien préparer. De saintes personnes
communiaient une fois le mois, ou une fois la semaine : il les
invitait à s’approcher quotidiennement de l’Eucharistie.
Tous les efforts du Curé d’Ars, ses
prières, ses lumières, ses conseils, firent un bien immense que seul
Dieu pourra connaître. Mais le “Grappin” aussi s’en rendait compte,
qui cria un jour par la bouche d’une pauvre possédée : “Que tu me
fais souffrir !… S’il y en avait trois comme toi sur la terre, mon
royaume serait détruit.”
Comme tout prêtre zélé, il aimait
assister les moribonds, et se portait rapidement à leur chevet dès
qu’il était informé de leur situation. Il conseillait à ses
confrères : “Quand vous serez auprès des moribonds, lisez fort,
parce que le malade entend, lors même qu’il paraît sans
connaissance.” Jusqu’au bout, le souci de la conversion des âmes.
Plus tard, le saint Curé contribua
avec enthousiasme à une autre œuvre destinée à la conversion des
pécheurs : les Missions diocésaines. L’évêque désirait en effet
toucher les paroisses les plus retirées du diocèse par la présence
de missionnaires, qui y auraient prêché quelque temps et ranimé le
sens religieux de ces populations ; et il en parla au Curé d’Ars. Ce
dernier fit bientôt remettre à l’évêché une forte somme d’argent
dont les revenus devaient aider à donner une mission tous les dix
ans en deux paroisses différentes ; ce ne fut là qu’un début : à sa
mort, on compta qu’il avait fondé près de cent missions décennales,
de sorte que “une fois disparu, il continua à ramener les âmes à
Dieu”.
6
Autres épreuves
Jean-Marie Vianney connut les tentations et les sacrifices qui
éprouvent tout homme sur la terre. On a parlé des calomnies
diverses. Il fut aussi tenté : tant de grâces qui se répandaient ne
pouvaient laisser indifférent l’ennemi du Bien, qui tenta la pauvre
Curé d’abandonner sa cure, plusieurs fois, pour se retirer dans la
solitude, dans quelque couvent. Son intention semblait emplie d’une
sainte préoccupation : “Il ne faut pas rester curé jusqu’à la fin de
sa vie, disait-il : on doit se réserver quelque temps pour se
préparer à la mort”. Mais en même temps un scrupule d’obéissance
animait sa conscience : “Est-ce bien la volonté de Dieu que
j’accomplis en ce moment ?” ; et considérant que sa place était là,
dans sa paroisse d’Ars, il revint sur sa décision.
Une autre douloureuse épreuve fut
celle de devoir fermer sa chère Providence ; en réalité, il fut
amené à la céder à des Religieuses ; peut-être avait-on voulu
progressivement remettre à d’autres l’organisation matérielle de
cette maison, car le saint Curé n’attribuait pas beaucoup
d’importance à certains détails de la vie quotidienne, pourvu que
ces petites filles fussent de bonnes chrétiennes et qu’elles
reçussent une éducation entièrement gratuite. Un moment, il n’y eut
même plus que quelques-unes de ces petites dans l’école, alors
qu’elles étaient une soixantaine auparavant ; mais bientôt elles
revinrent et le bon Curé eut la joie de les rencontrer chaque jour,
pour les bénir, les encourager.
Il persévérait, il priait, il restait
humble et c’est cette humilité qui l’aida à traverser toutes les
embûches. Cette humilité va se retrouver dans deux épisodes fameux,
qui furent pour le saint Curé de véritables épreuves.
La célébrité du Curé d’Ars se
répandait toujours plus, à son corps défendant, au point que les
autorités ecclésiastiques et civiles voulurent l’honorer à leur
façon.
C’est ainsi que l’évêque voulut lui
remettre le camail de Chanoine. L’épisode eut lieu à Ars même, mais
le bon Curé se démena comme un malheureux, baissant la tête comme un
condamné, et finalement… revendant son camail, comme l’atteste ce
petit billet qu’il écrivit lui-même à l’évêque :
“Monseigneur, le camaille (sic)
que vous avez eu la grande charité de me donner m’a fait un grand
plaisir ; car, ne pouvant achever de compléter une fondation, je
l’ai vendu 50 francs. Avec ce prix j’ai été content.”
De son côté, l’administration civile
n’était pas insensible au bien que faisait le Curé sur les
populations, et voulut le remercier en le décorant de la Légion
d’Honneur. La Croix lui fut remise en effet, mais on ne put la lui
faire porter… que sur son cercueil.
Un brave artiste pensa bien faire de
brosser un portrait de “M.le chanoine Vianney, chevalier de la
Légion d’honneur” ; mais le Curé d’Ars fit remarquer : “Je vous
conseille de me peindre avec mon camail et ma croix d’honneur, et
vous écrirez en bas : néant, orgueil !”
Citons encore cette ultime épreuve,
concernant son frère François, qui s’éteignait doucement à Dardilly.
Ce dernier désirait ardemment revoir son frère avant de mourir et le
fit mander ; mais le Curé d’Ars s’était désormais “figé” dans sa
paroisse qu’il ne voulait plus quitter. Malade et fatigué, il
regretta amèrement de ne pas revoir son frère, mais s’y résolut
courageusement.
7
Les
vertus de Saint Jean-Marie Vianney
Le Curé d’Ars manifesta donc une réelle sainteté, prêchant d’exemple
devant tous ses paroissiens qui, à l’unanimité, reconnaissaient
combien ce chaste prêtre savait se montrer humble, généreux,
patient, constant, délicat avec chacun. Son zèle ne diminuait pas ;
il avait toujours une attention paternelle pour chaque âme dans le
besoin, pour chaque pauvre, pour chaque personne triste. Il aidait,
il consolait, il encourageait, jamais on ne le quittait sans
ressentir un réel soulagement. A qui savait comprendre, il disait
parfois : “Creusez la patience de Notre Seigneur”. Il savait ce
qu’il disait !
On lui demanda un jour : “Comment
pouvez-vous rester calme avec la vivacité de votre caractère ?” - Ah
! mon ami, répondit-il, la vertu demande du courage, une violence
continuelle et surtout le secours d’en-haut.”
On comprend ici cette phrase de
l’Evangile où Notre Seigneur dit que “le Royaume des Cieux souffre
la force, et les violents s’en emparent (Mt 11:12).
Patient en toute circonstance, patient
avec les pèlerins, patient et même bon avec l’abbé Raymond, son
vicaire assez indélicat, patient avec lui-même et ses ennuis de
santé… Maux de tête dûs au rhumatisme, double hernie qui l’obligeait
à rester courbé, violents maux de dents (il s’en fit arracher avec
des tenailles par le brave instituteur) ; et surtout - les prêtres
savent de quoi il s’agit - surtout il supporta l’inconfortable
position au confessionnal, pendant des heures, des jours entiers,
pendant des mois et des années, suffocant en été, grelottant en
hiver, alors qu’il était depuis l’enfance habitué à respirer l’air
pur des champs et à entendre le gazouillis des oiseaux. “Depuis la
Toussaint jusqu’à Pâques, disait-il, mes pieds, je ne les sens pas
!”.
Aujourd’hui, on a pensé à améliorer
les lieux pour la Réconciliation ; on peut s’y asseoir sur une
chaise, ou s’agenouiller sur un prie-dieu confortable ; les
confessionaux d’autrefois étaient réellement des objets de
pénitence, où les nœuds des planches rentraient dans les genoux des
pénitents, mais surtout où le siège du confesseur lui rendait sa
position absolument inconfortable, ne serait-ce qu’au bout de
quelques minutes ; après deux heures de ce Sacrement, le prêtre
pouvait ressortir du confessionnal littéralement vanné. D’autres que
le saint Curé d’Ars furent les “martyrs de la confession” ; on
connaît aussi saint Leopold Mandic, récemment canonisé, qui brilla
par la même vertu de patience au siècle dernier à Padoue (fête le 30
juillet).
8
Miracles, intuitions, prédictions
Jusqu’ici on s’est occupé du chemin que le Curé d’Ars parcourut pour
réaliser le but premier de notre existence : la sainteté. Dieu en
effet exige de nous cet effort persévérant qui conduit peu à peu
vers les cîmes. Il arrive que Dieu accorde aussi à certaines âmes
privilégiées quelques charismes particuliers, sur lesquels l’Eglise
conserve une grande prudence. Des témoignages sérieux et conservés
par écrit ont permis, dans le cas du saint Curé, d’établir qu’il
avait effectivement reçu des grâces toutes particulières.
Sur les miracles, les faits sont assez
nombreux et frappants, mais en même temps l’humble Curé savait se
dissimuler derrière sa Sainte de prédilection, sainte Philomène,
qu’il invoquait et faisait invoquer à tout instant. “Je n’ai jamais
rien demandé par elle sans être exaucé”, disait-il. Mais il voulait
surtout la guérison des âmes, plus que celle des corps, et avait
“passé un contrat” avec la Sainte en lui défendant de faire des
miracles visibles sur place, ce qui arriva effectivement :
plusieurs malades guérirent une fois revenus chez eux, mais… pas
toujours, et maintes fois le Saint fut pris en flagrant délit de
miracle !
Un de ces miracles concerna une
demoiselle sourde et aveugle. Jean-Marie Vianney la rencontra dans
la foule, la prit par la main et la conduisit au confessionnal, où
immédiatement elle put voir et entendre ; après sa confession, le
Saint lui annonça qu’elle redeviendrait sourde pendant douze ans ;
elle sortit en effet de l’église les yeux guéris, mais redevint
sourde pendant douze années exactement et guérit alors.
Ceci nous amène à parler des
intuitions et prédictions du Curé d’Ars. Mille fois il aida les
pénitents à avouer tel péché qu’ils n’osaient formuler ou qu’ils
oubliaient ; ou les orientait vers un choix meilleur. Ainsi à une
demoiselle qui allait se marier et lui demandait de la bénir, il se
met à pleurer : “Que vous serez malheureuse… Entrez à la Visitation,
dépêchez-vous ; vous n’avez pas cinquante ans pour faire votre
couronne” ; elle suivit son conseil, et mourut dans cet ordre, à
quarante-neuf ans.
Une autre prédiction semblerait être
d’actualité, lorsque le saint Curé dit à un évêque anglais :
“Monseigneur, je crois que l’Eglise d’Angleterre retournera à son
ancienne splendeur”.
Terminons cette petite illustration d’un grand Saint, par quelques
notes de son humour, qui était vif, toujours délicat.
Un petit garçon de six ans n’éprouvait
pas beaucoup d’attrait à apprendre la lecture ; il demande au bon
Curé : – “Faut-il que j’apprende ou que je jouille ? –
Joue, mon enfant, c’est de ton âge.”
Un de ses bons confrères, un peu
corpulent, lui fait part de son intention de “s’accrocher à (sa)
soutane” quand il ira au ciel ; le Saint lui répartit : “O mon ami,
gardez-vous en bien. L’entrée du ciel est étroite : nous resterions
tous deux à la porte !”
Enfin, pour les “météo-dépendants” que nous sommes tous : “Il fait
toujours beau temps pour le juste ; il ne fait mauvais temps que
pour les pauvres pécheurs.”
Depuis son enfance, le Curé d’Ars avait une passion, une seule : la
conversion des pécheurs. Notre terre de France peut se glorifier
d’avoir abrité une si belle Figure au XIXe siècle. Nous l’invoquons
en ce 150e anniversaire de sa mort : quel bonheur si beaucoup de
Français se convertissaient en relisant les traits de la vie de
saint Jean-Marie Vianney. |