Jeanne Marie était la sœur cadette de Sylvie-Agnès de
Romillon, ursuline du couvent de Bollène, dont nous avons donné ci-dessus la
biographie, et qui fut immolée le 10 juillet, précédant de deux jours seulement
dans le martyre et dans la gloire sa sœur, ursuline comme elle, mais appartenant
au couvent de Pont-Saint-Esprit.
Née le 2 juillet 1753 à Bollène, de Gabriel-Louis de Romillon
et de Françoise Thune, baptisée le même jour, elle avait eu pour marraine Rose
Clément, sage-femme, épouse de Pierre Faget.
Les leçons et l'exemple d'une mère tendrement aimée firent de
Jeanne, comme de sa sœur Sylvie, une chrétienne fervente et forte, et
préparèrent admirablement les voies à la grâce de la vocation religieuse que
Dieu lui réservait. Elle entra, encore très jeune, au couvent des Ursulines de
Pont-Saint-Esprit, et y fit profession sous le nom de Sœur Saint-Bernard.
Le nom de sa famille, la présence au couvent de Sainte-Ursule
à Bollène de sa sœur Sylvie, ont porté quelques historiens à l'adjoindre à la
liste des ursulines bollénoises. En réalité, Jeanne ne suivit pas sa sœur à
Bollène. La liste des ursulines de ce couvent, dressée le 4 octobre 1792 par le
maire Jacques Marchand ne renferme pas son nom, qui, par contre, figure dans la
liste des Ursulines de Pont-Saint-Esprit. L'accusateur public, de son côté, dit
expressément que « Jeanne-Marie de Romillon, âgée d'environ 40 ans, née à
Bollène et y résidant, est ex-religieuse insermentée du ci-devant Ordre de
Sainte Ursule, au couvent de Pont-sur-Rhône ».
Le nom de Romillon était particulièrement cher au couvent de
Pont-Saint-Esprit. C'est en effet le père Romillon, jésuite, qui envoya, comme
nous l'avons dit, le 14 juin 1610, quelques Ursulines d'Aix pour fonder le
couvent à Pont-Saint-Esprit, et ce à la prière d'une humble servante : Marie
Desdières, domestique de Mlle de Broche.
Quand les décrets révolutionnaires contraignirent à se
disperser, les religieuses de Pont-Saint-Esprit, Sœur Saint-Bernard accompagna à
Bollène sa supérieure Marie Port, Sœur Saint-Régis, et se réunit avec elle aux
ursulines de cette ville.
C'est là qu'elle fut arrêtée le 22 avril 1794, pour être
ensuite transférée à Orange, le 2 mai suivant. À dater de ce jour, elle vécut
dans l'attente et l'espoir du martyre. Réunie au seuil de la mort, à sa sœur
aînée, dont vingt ans de vie religieuse l'avaient séparée, elle s'entretenait
fréquemment avec elle du bonheur qui leur était promis de donner leur vie pour
Jésus-Christ. À cette pensée, elles tressaillaient, toutes deux, d'une sainte
joie. Alors que Sylvie se présentait à l'appel des victimes, tous les jours,
dans l'espoir d'aller plus vite à une mort si impatiemment désirée, Jeanne se
laissait emporter par une pieuse allégresse, en pensant qu'elle devait bientôt
mourir pour sa foi. Il y avait entre ces deux sœurs une telle union d'esprit et
de cœur, dans les mêmes désirs d'immolation et du martyre, que le jour où Sylvie
fut appelée la première au noces de l'Agneau, sa sœur Jeanne ne put dissimuler
sa tristesse, ni taire son désappointement.
Deux jours après son tour arriva. Le 12 juillet elle comparut
devant le tribunal, et après un semblant d'interrogatoire, elle fut condamnée à
mort.
Rien ne peut exprimer la joie qu'elle en éprouva. Quand
l'heure d'aller au supplice fut arrivée, elle éclata en saints transports : « O
quel bonheur ! disait-elle. Bientôt je serai dans le ciel. Je ne puis contenir
la joie que j'éprouve ».
Tandis qu'elle gravissait les degrés de l'échafaud, elle
entendit la foule crier : « Vive la Nation ! » La martyre se retourne alors, et
mêlant sa voix aux voix populaires : « Oui, s'écria-t-elle, vive la Nation qui
me procure en ce beau jour la grâce du martyre ». Et elle livra sa tête au
bourreau.
Depuis longtemps, Sœur Saint-Bernard avait demandé à la Très
Sainte Vierge de mourir un samedi, ou un jour de ses fêtes. Elle avait été
exaucée : elle mourait martyre le samedi 12 juillet, âgée de 41 ans.
Tandis que les quatre religieuses de Bollène dont nous venons
d'esquisser la physionomie rendaient à leurs vœux le témoignage de leur sang, un
prêtre, l'abbé Pierre Gonnet, vicaire de Joncquières, était lui aussi immolé sur
l'échafaud, sous l'accusation de fédéralisme et de fanatisme. Le rapport de la
Commission au Comité de Salut Public laisserait croire qu'il rétracta le serment
autrefois prêté, et dit expressément qu'il avait refusé d'abdiquer ses
fonctions.
Abbé Méritan
|