Jeanne Jugan
(1792-1879)
Fondatrice
des Petites Sœurs des Pauvres

3
Le
développement de l’œuvre
3-1-La
pauvreté croissante
Nous sommes au milieu
du XVIIIème siècle. L’industrialisation du pays se poursuit
inexorablement, entraînant, comme cela s’était
passé en Angleterre,
une paupérisation galopante du peuple de France jusque dans les
campagnes. Moins de trois ans après avoir accueilli les deux
premières pensionnaires, devenues rapidement douze, puis dix-huit,
la “maison” en accueille vingt-six dans la Maison de la Croix.
Comment faire face à tous les besoins? Comment soigner les malades?
Mr Blachier, médecin de
l’hôpital Rosais depuis 1806, accepta de donner les soins
gratuitement. Mais les demandes affluaient, et on amenait même des
enfants abandonnés. Dans la Maison de la Croix on vivait très
pauvrement, on apprenait à compter sur la Providence. Et Jeanne
quêtait. Enfin une personne honorablement connue, Mademoiselle
Dubois, s’offrit à quêter avec Jeanne. Sa présence étonna d’abord,
puis les bourses s’ouvrirent et de nouvelles amitiés se firent.
3-2-De
nouvelles initiatives
Le nombre des
pensionnaires ne cessait d’augmenter. Il fallait trouver toujours
plus de dons pour faire vivre tout ce monde. On lança donc de
nouvelles initiatives: une loterie, une crèche à visiter, la
fabrication de tricots chauds vendus à Rennes ou à Dinan. En 1843,
la Maison de la Croix accueillait 45 indigents; il y en aura 60 en
1845. Et tous les pauvres accueillis se transformaient, physiquement
et moralement, au grand émerveillement des Saint-Servannais.
3-3-Rencontre
avec Monsieur Dupont
Au cours de l’été 1844,
Mr Papin-Dupont (le saint homme de Tours) emmena sa fille “aux bains
de mer” à Saint-Servan, en raison de sa santé fragile. Il rencontra
Jeanne Jugan et fut séduit et émerveillé. Il écrivit, entre autres,
dans une lettre datée du 17 septembre 1844: “L’admiration
redouble quand on voit ce bel ordre organisé par l’entremise de cinq
ou six jeunes filles... le doigt de Dieu est là.” Au printemps
1846, Mr Dupont écrivit à l’abbé Le Pailleur pour exprimer son désir
de voir l’œuvre de Jeanne s’implanter à Tours. Et cela se fera
bientôt.
3-4-Le prix
Montyon (1845)
Nous venons de voir que
la communauté de Saint-Servan vivait dans une grande pauvreté. Aussi
des amis de l’œuvre eurent-ils l’idée de profiter d’un prix décerné
par l’Académie Française, pour récompenser “un Français pauvre
qui a fait l’action la plus vertueuse”. Les amis de Jeanne
rédigèrent un mémoire très élogieux, et l’année suivante le Maire de
Saint-Servan était très heureux de remettre à l’œuvre de Jeanne un
premier prix de trois mille francs, une fortune[1],
attribué par l’Académie à la demoiselle Jeanne Jugan.
Jeanne reçut aussi une
brochure rapportant ce qui s’était passé à l’Académie le jour de la
séance solennelle du 11 décembre 1845 et décida de s’en servir pour
recommander son œuvre auprès des autorités locales quand ce serait
nécessaire.
Mais les ressources de
Saint-Servan étant insuffisantes, il fallait élargir le champ des
quêtes. Armée d’une recommandation du Maire de Saint-Servan et de la
brochure de l’Académie, Jeanne s’en alla vers Rennes le 1er janvier
1846.
3-5-Les
premières maisons
Jeanne était envoyée à
Rennes pour quêter. Grâce à toutes ses recommandations elle fut bien
accueillie. Mais à Rennes aussi il y avait beaucoup de pauvres
abandonnés dans les rues. Ouvrir une maison à Rennes lui parut
nécessaire. Certes les bonnes volontés ne manquaient pas, mais elles
étaient un peu dépassées devant l’ampleur de la tâche. Bientôt
Rennes aura sa maison des Sœurs des Pauvres. Puis ce seront
Dinan, Tours et Angers.
3-5-1-La
fondation de Rennes (1846)
Le 14 février 1846
Jeanne, qui avait déjà obtenu les autorisations du préfet et du
maire, obtint celle de l’évêque Mgr Brossais Saint Marc. Elle loua
deux chambres: une grande et une petite et installa une pauvre femme
infirme et aveugle. Bientôt il y aura dix pensionnaires. Un généreux
donateur leur fabriqua des lits. Le local était bien trop petit,
aussi saint Joseph dûment imploré, leur procura-t-il une maison
pouvant accueillir une cinquantaine de personnes. On s’y installa le
25 mars 1846. Entre temps Marie Jamet était venue rejoindre Jeanne.
Mais comment suffire à toutes ces tâches? Jeanne quêtait et Marie
soignait et nourrissait son monde... Mais la vie était rude;
heureusement de jeunes sœurs arrivèrent. Oui, la vie était rude,
mais elle était aussi bien joyeuse, car le Seigneur multipliait ses
dons...
Cependant, comme toutes
les fondations d’œuvres voulues par Dieu, Rennes allait bientôt
essuyer une rude tempête. Certaines manigances de l’abbé Le Pailleur
avaient conduit trois jeunes prêtres du diocèse de Rennes désireux
de fonder avec lui une communauté missionnaire, à quitter Rennes
sans l’autorisation de leur évêque, qui, mécontent, apaisa sa
mauvaise humeur en se retournant contre les Petites Sœurs: elles
devaient fermer leur asile et retourner à Saint-Servan, sinon elles
seraient privées des sacrements... Jeanne et Eulalie, la très jeune
supérieure de Rennes, allèrent trouver l’évêque qui se calma.
3-5-2-La
fondation de Dinan (1846)
En juin 1846 Marie
Jamet alla quêter à Dinan, mais beaucoup de gens se réservaient et
demandaient Jeanne Jugan. Plusieurs personnes voulaient aussi une
fondation dans cette ville, mais on avertissait tout de suite Jeanne
qu’il faudrait agir prudemment car un réseau d’établissements de
charité bien organisé existait déjà. Cependant Jeanne était
attendue, et on pouvait lire dans le Messager breton, un
article disant: “un vertueux prêtre va, dit-on, créer une maison
d’asile pour vieillards. Cette maison sur le modèle de celles
fondées par Jeanne Jugan, pourra contenir une centaine de lits.”
Il est impossible de ne
pas remarquer que déjà l’abbé Le Pailleur veut s’imposer et évincer
Jeanne, mais les gens réclament Jeanne. Jeanne partit donc et arriva
à Dinan, avec Marie Jamet, le 4 août 1846. La ville prêta une
ancienne prison qui se remplit bien vite. Un gentleman anglais[2]
demanda à visiter l’asile. Il fut conquis par Jeanne et son œuvre,
et bientôt il écrivit, entre autres: “Pour ne pas laisser dans
l’oisiveté ceux qui pouvaient encore s’occuper à quelque chose, elle
leur faisait effilocher et carder de vieux morceaux d‘étoffe, puis
filer la laine qu’ils en retiraient; ils arrivaient ainsi à gagner
six liards par jour... Ils faisaient d’autres ouvrages... et
recevaient un tiers du petit gain obtenu.” Ce gentleman exprima
l’espoir que Jeanne pourrait un jour venir en Angleterre pour
soigner les pauvres.
L’ancienne prison de
Dinan devint vite trop petite. Jeanne loua une maison et les dons de
la Providence qui affluèrent furent la source d'étonnants fioretti!
Virginie Trédaniel quitta Rennes pour prendre la direction de la
maison de Dinan. Jeanne quêtait toujours. Mais pour ses pauvres,
rien ne l’arrêtait; son nom ouvrait les portes et les bourses...
Jeanne savait enfin que sa mission, celle que, pour l’instant, Dieu
voulait d’elle, c’était l’accueil des vieillards sans ressource.
3-5-3-Fondation
de Tours (1847)
Depuis un certain temps
déjà Mr Dupont attendait la venue des petites Sœurs à Tours. Ce fut
fait en janvier 1847. Mr Dupont, qui les soutenait vigoureusement,
offrit trois lits. À la fin du mois, quinze vieilles femmes étaient
accueillies. Grâce à une somme de 20 200 francs, donnée par Mr
Dupont, une ancienne maison des Sœurs de la présentation put être
achetée. À la fin de l’année 1848, la maison-mère et le noviciat
purent s’y installer. Mais en février 1849, des contacts délicats
étant à prendre avec plusieurs administrations et avec l’évêché, on
fit appel à Jeanne.
3-5-4-Fondation
d’Angers (1850)
En 1849, Jeanne quêtait
partout: en Beauce, en Touraine, en Anjou... Elle rencontrait de
nombreuses personnalités dont Mr de Falloux, alors ministre de
l’Instruction publique. Jeanne quêtait aussi à Angers au profit des
maisons existant déjà. Mais à Angers la misère était si grande, que
le Bureau de Bienfaisance ne pouvait y faire face. Ici aussi une
maison des Petites Sœurs s’avérait indispensable.
La fondation se fera en
avril 1850. La jeune Sœur Félicité de Sainte-Marie (23 ans) en sera
nommée supérieure. Monsieur Maupois, vicaire général de Rennes donna
sa maison et sa chapelle d’Angers. Comme cela se passait
généralement, les Petites Sœurs arrivèrent sans rien pour commencer,
mais rapidement la Providence se manifesta, multipliant les petits
miracles. Saint Joseph aussi pourvoyait aux vivres et aux besoins
matériels.
Curieusement les
autorisations de quête ne furent données qu’à Jeanne Jugan, bien
qu’elle n’ait pas été nommée supérieure. Mais c’est toujours à la
dame Jeanne Jugan que les responsables administratifs ou
religieux voulaient s’adresser. En novembre 1850 la jeune supérieure
mourait d’une fièvre typhoïde. Une novice la remplaça...
Bientôt Jeanne sera à
Brest, puis à Bordeaux, à Rouen... En 1851 le noviciat quittait
Tours pour s’installer à Paris. À partir de maintenant de
nombreuses villes: Paris, Nantes, Besançon et même Londres, vont
faire appel aux Sœurs des Pauvres, que l’on appellera désormais
“Les Petites Sœurs des Pauvres.”
[1] Ce
prix servit à payer une partie des travaux d’un bâtiment
neuf ajouté à la Maison de la Croix.
[2] Probablement
Charkles Dickens.
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