Jean
Ogilvie était issu des comtes d'Angus. Au XVIe siècle, le chef de la famille,
lord Ogilvie, est rangé parmi les barons catholiques du Nord, avec cette
mention, « puissant et belliqueux », magnarum virium et bellicosum. Jean
Ogilvie naquit à Drum en 1580, d'un prêtre protestant qui le fit élever dans la
religion
calviniste. A l'âge de douze ans, le goût des voyages l'entraîna hors
de l'Écosse, et sa préoccupation déjà très vive des questions religieuses le
conduisit dès lors à interroger les plus doctes personnages en France, en
Allemagne et en Italie. Cependant il se trouvait amené presque au scepticisme et
dans un grand découragement. Il en sortit en se faisant catholique, et dès
l'année 1596 il entra au collège des Ecossais, à Louvain, d'où il passa à
Ratisbonne et à Olmütz. Il fut reçu au noviciat de la Compagnie de Jésus à Brunn.
En 1613, il fut ordonné prêtre à Paris et, après vingt-deux années d'absence, il
rentra dans son pays sous le nom de Watson. Il se rendit chez son frère qui
était hérétique. Il passa six semaines dans le nord, puis revint à Edimbourg, où
il passa l'hiver chez William Sinclair, avocat au Parlement. En 1614, il fit un
voyage à Londres et dès le mois de juin il était de retour à Edimbourg, où il se
livra au ministère apostolique. On a conservé les procès-verbaux de
l'interrogatoire de plusieurs personnes poursuivies pour avoir entendu la messe
du Père Ogilvie. Ils mentionnent, comme ayant entretenu des rapports avec le
jésuite, le comte d'Eglinton, lady Maxwell, sir James Kneilland de Monkland,
David Maxwell, William Maxwell de Cawglen, John Wallace de Corsflat, John Mayne,
Marion Walker, Robert Heygate, Sainclair. Un des témoins du procès de
canonisation affirme que, « peu avant son arrestation, le Père Ogilvie avait
reçu à Glascow cinq abjurations ». Calderwood dit « qu'à Glascow, Ogilvie reçut
dans l'Eglise nombre de jeunes gens et beaucoup de personnes du meilleur monde
». Au commencement d'octobre, Ogilvie vint à Glascow et il fut vendu le 14 du
même mois, à l'archevêque de Glascow, par le traître Adam Boyd.
*****
Ici
commence le récit adressé par le martyr à un de ses amis.
Mon ami,
Pax
Christi.
Tu
remettras cet écrit au Père Recteur du premier collège de Jésuites que tu
rencontreras, tu le prieras d'en faire tenir des copies en bon état au Père
Général Claude Aquaviva, et de prier pour moi. Le danger d'être apprehendé
m'empêche de recopier, d'écrire, de corriger et d'ajouter beaucoup de faits. Mes
frères voudront bien excuser mes erreurs, les corriger et prier pour Jean
Ogilvie et ses compagnons de captivité pour la Foi.
Au lecteur
catholique,
Pax
Christi.
Il y a six
mois j'arrivai à Glascow afin de tirer cinq personnes de l'hérésie, et, la messe
achevée, dès le lendemain je fus livré par un de ceux que je devais agréger à
l'Eglise, par un homme riche et de bonne maison, qui m'avait été recommandé de
divers côtés en qualité de catholique et cherchant depuis longtemps l'occasion
de rentrer dans le sein de l'Église. J'avais marqué à cet homme un rendez-vous
pour l'instruire. Vers quatre heures du soir, je me promenais sur la place, en
compagnie du fils aîné du magistrat de la ville ; sur un signe du traître, un
gentilhomme, qui était au service de l'archevêque, accourt vers moi. Cet homme,
qui est grand et vigoureux, m'ordonne d'aller trouver son maître.
Je
m'imagine que ce maître, c'est le shériff, le neveu du traître, chez qui nous
nous étions donné rendez-vous, et je réponds que j'irai volontiers ; puis je me
dispose à le suivre. Mais le fils du juge s'y oppose et veut m'entraîner chez
lui, malgré le serviteur de l'archevêque. Pendant que je cherche à les mettre
d'accord, un attroupement de soldats et de passants se forme autour de moi. On
se jette sur mon épée, on me pousse, on m'entraîne. Je me demande ce qu'on me
veut ; savent-ils ce qu'ils font ? Ces hommes se sont pris de querelle, moi je
n'y suis pour rien. En deux mots, je me sens soulevé par le flot du peuple, et
suis comme porté dans une maison voisine sur les épaules du juge. On m'enlève
mon manteau. Je refuse alors d'avancer sans mon vêtement. Chacun m'offre le
sien, mais c'est le mien que je veux, et on finit par me le rendre. Je me récrie
alors sur la barbarie de ce peuple de furieux, et je les menace de dénoncer au
monde entier ces procédés sauvages et sommaires. Pendant ce temps on court
avertir le pseudo-archevêque, qui se trouve dans un autre quartier de la ville,
et on lui dit que ses envoyés sont tués, que l'on s'égorge et que toute la ville
est soulevée.
A cette
nouvelle, l'archevêque convoque les barons et les nobles qui se trouvent en
ville et, s'en faisant cortège, arrive à la place. Il trouve tout ce tumulte
apaisé et demande où je suis. Il fait déjà nuit. On lui répond que je suis chez
le magistrat élu ce jour-là. Il s'y rend avec sa suite et, m'apercevant entre le
mur et la table, me fait signe de venir à lui. J'obéis, mais lui me frappe à la
joue en me disant : « C'était par trop d'audace à vous de venir dire vos messes
dans une ville réformée. » Je lui réponds : « En me frappant vous agissez non
comme un évêque, mais comme un bourreau. » Il semble que l'on n'attende que ce
signal : c'est alors un déluge de soufflets qui s'abat sur moi; on m'arrache la
barbe, on me déchire la figure à coups d'ongles jusqu'à ce que le comte Fleming,
saisi d'horreur, mette un terme à ces violences, par persuasion et par force.
Alors, tandis que j'étais à peine revenu de l'émotion causée par ces coups, on
donne l'ordre de me fouiller et de me deshabiller. Aussitôt quelques individus
commencent à le faire. Au moment où ils vont m'arracher le dernier vêtement,
rappelé à mes sens par la pudeur, je m'écrie : Misérable ! que fais-tu là ? Ne
sais-tu pas, si tu es homme, que je suis fait comme toi ! On m'enlève mon
bréviaire et un compendium de questions controversées ; on me vole l'or
et l'argent que j'avais renfermés dans deux bourses séparées, ainsi qu'une
petite
boîte en argent, une pierre de Bezoar et une pierre qui me servait à cacheter
mes lettres. Le lendemain on s'empara de mon cheval à l'auberge, on mit la main
sur les vêtements sacerdotaux ainsi que sur des lettres du Pere Patrice
[Anderson] contenant la liste des objets restés en Ecosse appartenant aux
Jesuites et du Pere Murdoch contenant une liste de noms. Si un traître n'avait
pas parlé, jamais on n'aurait trouvé ces papiers, mais un Français révéla le
secret.
On me
menaça des extremités.
Je ne fis que rire des menaces, des grimaces et des injures. On me menaça du
cippus (le filet) . Je le sollicite. On refuse invoquant l'humanité. Je
réponds : Mentir n'est point faire acte d'humanité. Pourquoi promettez-vous ce
que vous ne donnez pas ? Le geôlier déclare que je suis étonnant : les autres
prisonniers, dit-il, n'ont pas coutume de provoquer le magistrat au châtiment,
c'est tout le contraire. Je réponds : Et ils font sagement, ceux dont la prison
est un sujet de honte ou de regret, qui redoutent d'être pris et châtiés. Mais
moi je me glorifie et mon châtiment m'es un triomphe. Il me dit là-dessus : «
Fais attention à ce que tu fais et à qui tu parles. » Je réponds : « J'y ai pris
garde, et toi, ferme mon cachot et va dormir jusqu'à demain. » Il s'en fut.
Le
lendemain,
on me conduit au palais épiscopal,
qui est rempli de barons et de ministres : on y avait déjà mandé deux membres du
Parlement. J'y suis introduit, tout malade des coups reçus la veille et dominé
par un tremblement nerveux.
[Au banc
des juges siégeaient : John Spottiswood, archevêque de Glascow ; le comte
d'Argyle, les lords Kilsyth, Fleming et Boyd, le laird de Minto, sir George
Elphingstone, le prévôt James Hamilton et les baillifs Bell, Braidwood et Colin
Campbell.]
Les
ministres me pressent de questions sur l'équivoque dans les serments et sur la
restriction mentale ; je réponds vivement (c'est le seul moyen de venir à bout
de ces enragés) et nous nous échauffons de part et d'autre, jusqu'à ce qu'ils en
aient assez et rougissent d'avancer des choses qu'ils ne peuvent soutenir. On me
demande si je suis de condition noble : « Oui, leur dis-je, comme mes ancêtres.
— Avez-vous
dit la messe sur les terres du roi ? »
Je réponds
: « Si c'est là un crime, il est inutile de me faire jurer ; c'est chose à
prouver par témoins.
— Aussi
bien, prouverons-nous que vous l'avez fait par le témoignage de ceux qui vous
ont vu.
— Si ces
attestations vous suffisent, répliquai-je, que voulez-vous de plus ? Quant à
moi, je verrai ce que j'aurai à faire, et si je dois adopter ou combattre leurs
dépositions.
— Êtes-vous
prêtre?
— Prouvez
que j'ai dit la messe, vous aurez par là-même prouvé que je suis prêtre.
— Quel est
votre nom ?
— Pourquoi
me demandez-vous cela ? Si je suis suspect, dites de quoi vous m'accusez,
prouvez votre dire par témoins; mais je n'ai pas assez à me louer de vous, pour
vous faciliter la besogne. Je dirai ce que la loi m'oblige à dire, rien de plus.
— Reconnaissez-vous le roi ?
— C'est un
fait que Jacques VI règne en Écosse. » A ce moment je fus fort inquiet ; mais
eux, qui ignoraient la procédure, ne savaient comment avancer. « Jurez, me
disent-ils.
— Et
pourquoi voulez-vous que je jure ?
— Afin que
ceux qui sont ici, de par le roi, pour vous juger, sachent si vous avez conspiré
contre l'Etat. Disculpez-vous donc par serment, ou bien nous vous considérerons
comme coupable. »
Je réponds
: « C'est pécher que de jurer en vain. C'est violer le précepte : Tu ne prendras
pas le nom de Dieu en vain. Or c'est précisément ce que je ferais, si j'allais
sans raison prendre Dieu à témoin de mon innocence, sachant qu'aux yeux de la
loi, ce recours à Dieu ne peut me servir de rien. En effet, dans les causes
criminelles, la loi ne permet pas de déférer le serment à l'accusé, et elle a
raison, car l'intérêt de la conservation pousserait beaucoup d'hommes à se
parjurer et à perdre leur âme en sauvant leur vie. Aussi bien, pour éviter à la
fois de tromper les juges et d'exiger un serment, au risque de perdre une âme
rachetée par Jésus-Christ, on n'instruit les causes criminelles que sur
l'attestation des témoins. Vous ne pouvez donc m'obliger à me disculper par
serment, ce serait m'obliger à violer la loi de Dieu en jurant sans raison. A
vous de prouver par témoins ce que vous avancez. Si cela vous est impossible,
pourquoi tourmentez-vous un homme innocent ? »
Ils me
disent alors :
«
Refusez-vous oui ou non de prêter serment au nom du Roi?
— Que
voulez-vous que je jure ?
— Que vous
répondrez à toutes nos questions, sans équivoque et sans restriction mentale.
— Eh bien,
leur dis-je, quoique rien ne m'y oblige, je jurerai que je dirai tout ce que je
croirai devoir dire. Quant à ce que je suis décidé à taire, si vous
m'interrogez, je vous répondrai franchement que je ne veux pas vous le dire.
— Et
quelles sont ces choses que vous ne voulez pas dire ?
— Tout ce
qui pourrait me nuire ou à d'autres personnes, qui n'ont rien fait de mal.
— Et
pourquoi cette restriction ?
— Parce que
je ne suis pas tenu de révéler ces choses et que je ne veux pas offenser Dieu.
D'abord, rien ne peut m'obliger à pécher, et ce serait pécher que de nuire à un
homme qui n'est pas coupable. En second lieu, toutes les lois ont pour base le
droit naturel, qui a toujours pour objet de sauvegarder à l'homme sa vie et ses
biens et ce serait aller contre ce droit et contre toute justice que de me
perdre de gaîté de coeur. Je ne dirai donc rien qui puisse nuire, soit à moi,
soit à toute autre personne innocente comme moi ; je ne veux pas faire de
serment compromettant. »
A la fin,
après une longue discussion, pour en finir et pour échapper à des questions
artificieuses et dangereuses, mes ennemis se contentent du serment tel que
j'entendais le prêter: je cédai et je répondis aux questions qu'on me fit sur
mon nom, sur ma famille, sur ma patrie, sur mes parents, sur mes études, sur
l'ordre religieux auquel j'appartenais et sur le rang que j'y occupais.
[Voici la
déposition :
Le prêtre
déclara s'appeler Jean Ogilvie, fils de Walter Ogilvie de Drum ; il dit qu'il
avait été absent de son pays pendant vingt-deux ans, qu'il avait étudié dans les
collèges d'Olmutz et de Gratz, deux ans à Olmutz et cinq ans à Gratz. Qu'il
avait été ordonné prêtre à Paris ; qu'il était venu une première fois en Ecosse
et y était demeuré six semaines environ, qu'il était revenu cette fois-ci en
mai. Il avoua que le sac pris entre ses mains était bien à lui, qu'il était un
jésuite, simple religieux.
On lui
demanda si la juridiction du pape en matières spirituelles embrassait le royaume
de Sa Majesté, il répondit que oui et qu'il était prêt à mourir pour en rendre
témoignage.
Signé :
JOANNES OGILBOEUS, Societatis Jesu.]
On me
demanda de nouveau si j'avais dit la messe sur les terres du roi. Je répondis
que, puisque les édits du roi décrets du Parlement, sortant de leur compétence,
considéraient la messe comme un crime pour moi et pour Ceux qui y auraient
assisté, je n'étais pas tenu de répondre à leur question; qu'aucune loi ne
pouvait m'obliger à me perdre et à perdre des innocents. Juges, ils avaient à
connaître des causes criminelles, et non d'un acte religieux comme le saint
Sacrifice.
Au for du
roi ressortaient les vols, les abus de confiance, les homicides, les
empoisonnements et non les sacrements.
« Mais,
dirent-ils, le roi n'est pas une personne laïque.
— Le roi,
répondis-je, n'est pas prêtre, il n'est même pas tonsuré. »
On me
demande alors :
« Pourquoi
êtes-vous venu en Ecosse ?
— Pour
désapprendre l'hérésie à mes compatriotes. »
Ils
voulurent savoir qui m'avait donné la juridiction, puisque je ne pouvais la
tenir ni du roi ni des évêques.
Je répondis
en souriant que leurs évêques, comme le roi, n'étaient que des laïques et
n'avaient pas une ombre de juridiction; qu'ils faisaient eux-mêmes partie du
troupeau confié à Pierre ; que quiconque prétendait régir une partie de ce
troupeau, devait d'abord en recevoir la délégation du Siège apostolique, où,
selon les promesses du Christ, en vertu de l'assistance merveilleuse du
Saint-Esprit et par la succession ininterrompue des personnes, résident toujours
l'autorité et la puissance confiées au chef des apôtres, autorité qui a fait de
Simon, fils de Jean, le rocher sur lequel l'Eglise est bâtie, comme l'indique
son nom de Pierre. C'est de là, dis je, que découle ma juridiction, que je puis
faire remonter au Christ en passant par tous les pontifes romains.
«Mais,
m'objectèrent-ils, c'est ici un crime de lèse-majesté de soutenir que le pape
possède une juridiction spirituelle sur les terres du roi.
— Cette
juridiction, dis-je, il la possède, c'est pour nous un article de foi.
— Oseriez-vous signer cela ?
— Oui, et
au besoin, même de mon sang ! » et je signai. On me dit alors :
« Le pape
peut-il déposer le roi ? »
Je réponds
: « Il ne peut déposer un roi légitime et qui se montre fils obéissant de
l'Eglise.
— Et si ce
roi est hérétique ?
— Beaucoup
de docteurs prétendent que le pape peut déposer un roi hérétique.
— Mais
vous, qu'en dites-vous ?
— Je dis
que quand la chose sera définie et de foi, je donnerai ma vie pour la défendre :
et quand j'aurai le pouvoir de faire comparaître à ma barre le pape et le roi,
je dirai à l'un jusqu'où va son pouvoir et à l'autre ce qu'il mérite.
Maintenant, pourquoi dirai-je ce que je pense ? Je n'y suis pas tenu, à moins
que je ne sois juridiquement interrogé par celui qui est le juge des
controverses religieuses, c'est-à-dire par le pape ou son délégué. »
Interrogé
au sujet de la conspiration des poudres, je répondis que j'avais en horreur les
parricides.
« Mais,
dirent-ils, les jésuites et les papistes enseignent qu'on peut tuer les princes
hérétiques.
— Eh bien,
repliquai-je, lisez, si vous le voulez, les actes du concile de Constance, et
vous verrez que, si les hérétiques ont enseigné pareille doctrine, les
catholiques l'ont toujours condamnée. Wicleff enseigne que les sujets peuvent
tuer leurs maîtres, si ceux-ci sont coupables, vu qu'alors ils perdent tous
leurs droits. Il dit aussi que les prêtres perdent en péchant le caractère
sacerdotal : toutes choses que le concile a condamnées.
« La
conjuration des poudres a été le fait de quelques membres de la noblesse. Mais
vous, presbytériens, vous en pourriez dire autant de votre attentat du 17
septembre, alors qu'envahissant le palais, en grand nombre, vous avez voulu tuer
le roi ainsi que les sénateurs, et vous auriez réussi, si les soldats, aidés du
peuple, n'eussent arraché Sa Majesté de vos mains. Il y a en ce moment à
Edimbourg 2.000 hommes qui ont pris les armes ce jour-là et qui tous pourraient
attester que les trois prédicants les exhortaient à aller en avant et criaient
Dieu et le Kirk ! tandis que, du côté opposé, on criait : Dieu et le
roi ! Edimbourg devait être brûlé en punition de cet attentat ; on se contenta
de lui imposer une amende énorme. Mais ce n'est pas tout : votre grand Achille,
votre premier prédicant, qui n'habite pas loin d'ici, Robert Bruce, écrivit au
père du marquis actuel de Hamilton pour le presser de venir enlever la couronne
à un roi, indigne de ce nom, et qui favorisait les papistes; ajoutant qu'il
pouvait compter sur lui et sur les siens. Mais le marquis livra la lettre au
roi, qui exila quelques prédicants. Il ne s'agit pas là d'un complot tramé dans
l'ombre par quelques nobles isolés, mais d'une conjuration à ciel ouvert, ourdie
par vos ministres. Contre les jésuites, vous ne pouvez alléguer que des
soupçons, imaginés par la haine ; les faits que je viens de citer, le roi et des
milliers de personnes qui y ont été mêlées en sont témoins oculaires. »
On me fit
alors ,beaucoup de questions sur le Père Garnet. Je répondis qu'il était
innocent, et qu'il ne pouvait, même pour sauver le monde, dénoncer ceux qui se
confessaient à lui.
L'archevêque dit alors :
« Si
quelqu'un me confiait qu'il veut attenter à la vie du roi, alors même que ce
serait en confession, je le dénoncerais.
— Eh bien
alors, lui dis-je, on fera bien de ne pas se confesser à vous.
— On dit
que le pape a canonisé le Père Garnet.
— Qui vous
a dit cela ? — C'est qu'à Rome il a son portrait parmi les martyrs de votre
Compagnie.
— Les
peintres et les potes font ce qu'il leur plaît, cela ne prouve rien. Je prétends
bien, cependant, qu'il est mort martyr, parce qu'il est pour le secret de la
confession ; et si le pape le déclarait martyr, je mourrais volontiers pour
soutenir qu'il l'est. »
L'archevêque dit alors :
« Laissez
là toutes vos suppositions. Il s'agit de ce que vous pensez maintenant.
— Eh bien !
repris-je, je dis que si ce qu'il a écrit de sa prison est vrai, et cette
déclaration, que j'ai lue à mon passage en Angleterre, a été signée par deux
ambassadeurs étrangers et par beaucoup de membres de la noblesse ; si, dis-je,
cet écrit dit la vérité, le Père Garnet est mort saintement et il n'a point eu
de part à la conspiration des poudres. »
On m'opposa
alors les actes publics.
Ces actes,
repris-je, rédigés par des ennemis, ne peuvent inspirer aucune confiance ; et je
ne vois pas pourquoi je ne leur préférerais pas les témoins autrement dignes de
foi que je vous cite. D'ailleurs, quoi qu'il en soit, ces choses ne me regardent
pas : je suis venu dans mon pays pour prêcher non le Père Garnet, mais
Jésus-Christ. J'ai à répondre de mes actes, comme il eut à répondre des siens :
chacun pour soi et Dieu pour tous.
Il y avait
vingt-six heures que je n'avais mangé, et j'avais la fièvre. Bien que la chaleur
de la discussion m'eût animé, je grelottais : pris de compassion, mes juges me
firent approcher du feu. Un montagnard écossais, voisin du lieu de ma naissance,
m'interpelle alors et me traite de misérable menteur et de parjure, qui me suis
affublé d'un faux nom pour mieux cacher mon infâme profession. — Qu'il saurait
bien m'empêcher de souiller ainsi le noble nom des Ogilvie, en l'associant au
titre honteux de jésuite ; et il ajouta que, si ce n'était la présence de tant
de nobles personnages et le lieu où nous nous trouvions, il m'aurait déjà jeté
dans le feu de la cheminée. — Je lui répondis que ce serait le moment de me
jeter dans le feu, puisque j'étais transi de froid ; qu'il prît garde pourtant
qu'il n'eût à réparer les dégâts que cela causerait. Je ne fis que sourire de ce
que déblatérait cet homme, et les assistants qui, tout à l'heure, voulaient me
cribler de coups., se moquèrent de lui. Lui-même, après une petite explication,
se calma et me quitta en bons termes.
Le lord
prévôt de la ville disait publiquement que je ne m'appelais pas Ogilvie, mais
Stuart ; que j'étais du-même endroit que lui ; que mon père était ministre et
habitait près de Glascow et que ma mère était à Glascow. Quelques habitants de
Glascow déposent en ce sens et rappellent, à l'appui, des vols et des escapades
d'enfant. Je nie, on insiste, et tous me regardent comme un parjure. Le
lendemain on fait venir ma prétendue mère ; elle refuse de me reconnaître, parce
que, dit-elle, je n'ai pas les doigts liés, ni l'intelligence lente comme son
fils et que j'ai trop d'esprit. C'est à mon tour de rire. On me ramène à la
prison et au bout de deux jours on me donne une chambre.
Peu après
on me mit aux fers, ceux-ci pesaient deux cents livres et m'étaient attachés au
moyen de deux anneaux, en sorte que je ne pouvais que demeurer assis ou couché
et rien de plus, sauf de me tenir debout quelques instants pour satisfaire aux
besoins naturels.
Sur ces
entrefaites, il arriva des ordres de Londres ordonnant de m'infliger la torture
des bottes
afin de me faire avouer les noms et la demeure des catholiques. Les commissaires
royaux se présentent et condamnent à mort quatorze catholiques avec moi-même,
les uns au gibet, les autres à la roue ; l'exécution devant avoir lieu en
différentes localités. On m'emmena à Edimbourg, je fus attendu par la foule des
femmes et des amis des condamnés et accueilli par une avalanche de boue, de
boules de neige et de malédictions. Le juge provincial encourage la
manifestation ; les serviteurs de l'archevêque s'emploient à l'arrêter, les
ministres regardent. J'affecte de ne pas m'en soucier et je chevauche gaiement à
travers la ville. On s'étonne de mon calme, je me contente de répondre par un
proverbe écossais : On ne rit plus quand on ne sent plus sa tête sur ses
épaules. It's passed jocking, when the head'soff. Avez-vous encore
quelque chose à me dire ? Une vieille femme maudit ma vilaine figure. Je lui
réponds : « Que la bénédiction du ciel descende sur ton joli minois, » et la
voilà qui proteste qu'elle regrette ce qu'elle a fait et que jamais plus elle ne
dira de mal de moi. Les hérétiques remarquèrent que je paraissais joyeux au
milieu de ces furieux et que je bénissais ceux qui me maudissaient.
En arrivant
à Edimbourg, craignant d'être reconnu grâce à mon manteau, je le rejetai pour
paraître en habit de cavalier, mais ce fut une précaution inutile. Chaque jour
on laissait entrer qui voulait, demandant à chacun s'il m'avait déjà rencontré
et avec qui. Beaucoup dirent m'avoir vu en effet en tel ou tel lieu. On répandit
dans le peuple le bruit que j'avais livré les noms de tous mes amis. J'étais
logé au palais de l'archevêque. On apporta les « bottes » et chaque jour on m'en
menaçait afin de me faire trahir les noms. En ce cas la liberté et des
récompenses m'étaient promises; bien plus, si je me faisais hérétique, on me
promettait le bénéfice de Moffet, un mariage noble et les bienfaits du roi.
« Moffet, dis-je en riant, mais c'est au Père Moffat qu'il faut offrir cela ;
Moffat et Moffet iront bien ensemble (1) ! Essayez, cela lui conviendra
peut-être, mais cela ne peut faire l'affaire d'un Ogilvie. Il est trop simple,
répliqua-t-on. — Non, il est beaucoup plus capable que moi ; s'il ne peut faire
votre affaire, je la ferai encore moins que lui. »
[Le 12
décembre] les commissaires royaux [lord Binning, lord Kilsyth, sir Gedeon
Murray, trésorier, sir William Oliphant, avocat général, l'archevêque
Spottiswood] se réunirent.
« Quand
êtes-vous arrivé à Edimbourg, me demanda-t-on, et où êtes-vous descendu ? »
Je réponds
que je ne suis pas tenu de révéler les noms des personnes et des lieux. Des
juges, si juges il y a, ont le droit de connaître des crimes et non de ces
détails.
« Mais le
roi, me dit-on, a le droit de s'enquérir chez qui vous avez demeuré, afin de
savoir où vous avez conspiré contre l'Etat.
— Si la
question m'était posée par un souverain purement politique, je répondrais; mais,
ne pouvant admettre la prétention du roi d'être juge spirituel, je ne puis
répondre, ma conscience me le défend.
— Mais
c'est là une question purement politique.
— Pas du
tout ; toute influence, toute puissance, s'apprécie par le but qu'elle se
propose et par le but où elle s'exerce. Le but que se propose le roi relève de
l'ordre des choses spirituelles, car c'est la haine de la foi qui lui a fait
rechercher les papistes pour les punir. On le voit bien du reste par les
catholiques de Glascow qu'il détient en prison.
Si je disais où je suis descendu, vous intimideriez ceux qui m'ont donné
l'hospitalité et vous arracheriez les noms de ceux qui sont entrés en rapport
avec moi pour les punir, et j'aurais à me reprocher d'avoir exposé tant de
malheureux à la mort ou à des tentations terribles. Je manquerais gravement à ce
que je dois à Dieu et au prochain : ce serait un grand crime. C'est donc un
devoir pour moi de ne pas répondre.
Alors vous
refusez d'obéir au roi ?
— Demandez-moi ce à quoi le roi a droit et j'obéirai.
— Le roi
défend de dire la messe, et vous, vous la dites.
— Voyez
vous-même si je dois obéir de préférence au Christ ou au roi. Le roi,
dites-vous, défend de dire la messe ; or le Christ, comme l'atteste le chapitre
XXII de saint Luc, a institué le sacrifice de la messe et ordonné de le
reproduire. Je vous le prouverai quand vous voudrez. Si le roi condamne ce que
Jésus-Christ a établi, comment ne pas l'appeler un persécuteur ?
— Mais le
roi de France a bien interdit le sol français à ses sujets protestants et le roi
d'Espagne a brûlé des hommes pour cause de religion.
— C'est une
erreur, répondis-je ; ni le roi de France n'a interdit le sol français, ni le
roi d'Espagne n'a brûlé personne pour cause de religion, mais pour cause
d'hérésie, et l'hérésie n'est pas une religion, mais une révolte.
Le greffier
regarda l'archevêque avec un sourire, celui-ci fit un signe de tête, comme pour
dire : Cela m'est bien égal, et ne dit rien.
On me dit
alors : « Vous n'auriez pas dû venir en Ecosse, malgré les ordres formels du
roi.
— Le roi
n'a pas le droit de m'exiler sans raison suffisante de mon pays, car enfin je
suis, par droit de nature, sujet du royaume d'Ecosse aussi bien que lui est roi.
— Oui,
mais, dirent-ils, le roi redoute les complots des jésuites pour sa personne et
pour son royaume et ce n'est pas sans raison.
— Qu'il
imite seulement sa mère et tous ses prédécesseurs les rois d'Ecosse, et il
n'aura pas plus à redouter les jésuites que le roi d'Espagne ne les redoute.
Quel devoir avons-nous à l'égard du roi, que nos ancêtres n'aient eu à l'égard
de ses ancêtres ? Si c'est de ses ancêtres qu'il tient le droit de régner, d'où
vient qu'il exige plus que ses ancêtres ne lui ont jamais légué ? Jamais les
rois d'Ecosse n'ont eu ni réclamé la juridiction spirituelle ; jamais ils n'ont
eu d'autre foi que la foi catholique et romaine. »
Vexé de ces
paroles, un des commissaires me dit qu'ils n'étaient pas venus là pour discuter.
« Je ne
discute pas, j'expose simplement que je ne dois pas être condamné à n'avoir pas
de patrie et que le roi n'a pas le droit d'exiger que je réponde à vos
questions, puisque je n'ai commis aucun crime. Si j'en ai commis un, si j'ai
conspiré contre l'Etat ou lésé quoi que ce soit, qu'on le prouve par témoins. Et
puisque vous ne le pouvez pas, pourquoi me tourmentez-vous ?
— La
meilleure manière d'écarter tout soupçon de conspiration, dit un des membres du
conseil, c'est de nous dire ; j'ai été dans tel et tel lieu, en compagnie de
tels et tels ; j'ai fait ceci ou cela en Ecosse, demandez aux personnes qui
m'ont vu: et si elles déposent contre moi, je nie reconnaîtrai coupable. Si vous
épuisiez ainsi la liste de ceux avec lesquels vous avez été en rapports, on ne
pourrait plus rien alléguer contre vous, tandis que votre silence confirme nos
soupçons que vous craignez d'être trahi par vos complices.
— Je ferai
mon profit de votre avis, quand j'y verrai mon avantage ; maintenant je ne
gagnerais rien à le suivre. D'abord, j'offenserais Dieu par cette trahison et je
donnerais la mort à mon âme. En second lieu, cette révélation ne me serait pas
seulement inutile, elle me nuirait beaucoup : par vos menaces et par la
séduction des récompenses royales, vous pourriez décider quelques personnes
craintives à imaginer un complot qui servirait d'excuse à votre cruauté et vous
permettrait de me tuer, tandis que maintenant vous n'osez pas me traiter comme
vous le voudriez, de peur de vous déshonorer.
— Mais le
roi, dirent-ils, ne met personne à mort pour cause de religion.
— Pourquoi
donc, alors, les prisonniers de Glascow ont-ils été condamnés à être roués ou
pendus?
— Nous vous
en supplions, disent-ils, ne nous forcez pas à vous mettre à la torture, comme
nous en avons l'ordre du roi. »
Je répondis
que je n'ajouterais pas un mot.
On me
demanda alors : « Défendez-vous la doctrine de Suarez ?
— Je n'ai
pas lu ce que Suarez a écrit; s'il affirme des choses qui ne sont pas de foi,
c'est à ceux qui les enseignent à les défendre. Je ne suis pas un satellite de
Suarez. Du reste, ceux, qui veulent le réfuter n'ont qu'à
traiter le
même sujet mieux que lui.
— Il fait
déjà noir, me répondit-on, et nous avons autre chose à faire. Pour vous,
réfléchissez bien, d'ici notre prochaine séance, si vous voulez vous décider à
obéir au roi, ou subir le dernier supplice.
— J'y
réfléchirai, mais mon parti est pris, je vous l'ai fait connaître. »
On me
congédia et on délibéra sur la torture qu'il fallait m'infliger pour me faire
parler. On résolut d'essayer une veille forcée. Pendant huit jours et neuf nuits
sans interruption, on me tint éveillé en me piquant avec des stylets, en me
pinçant, en m'enfonçant dans les chairs des épingles et des aiguilles, en me
fatiguant par des menaces de tortures inouïes et par les promesses les plus
séduisantes. Bientôt il ne fut bruit dans toute l'Ecosse que de ma veille
forcée, et beaucoup étaient indignés et s'apitoyaient sur mon sort. Je reçus
alors la visite de nombre de comtes et de barons, qui me pressèrent de donner
satisfaction au roi. Mais comme je réfutais tous leurs raisonnements par
d'autres raisonnements, on désespéra de me vaincre et l'archevêque dit qu'il
aurait donné beaucoup pour n'être pas mêlé à cette affaire. Un jour que beaucoup
de personnes étaient venues me voir, un gentilhomme, qui avait été témoin de
tout, dit tout haut que lui et ses gens me réservaient des supplices plus
atroces encore, et que le conseil suprême ne se séparerait pas que je n'eusse
perdu la vie dans d'horribles tortures et que ma tête ne fût piquée au-dessus de
la porte occidentale de la ville, comme châtiment de mon obstination, pour faire
un exemple.
« Horribles
bourreaux, leur criai-je, je vous méprise. Donnez cours à votre haine
d'hérétiques, je m'en moque. Je n'ai jamais rien demandé et je ne demanderai
jamais rien à personne; je vous ai toujours méprisés. Je puis et je veux
souffrir pour la cause que je défends plus que vous ne pouvez à vous tous
ensemble me faire souffrir, cessez donc de m'obséder de vos menaces ; gardez ces
épouvantails pour des femmes. Pour moi, de pareille choses m'animent au lieu de
m'abattre et je ne fais pas plus de cas de vol criailleries que si j'étais
pourchassé par des oies.»
Ces paroles
furent suivies d'un grand silence et, sans dire mot, le gentilhomme s'esquiva,
me laissant en compagnie des geôliers. Peu après, il s'approcha et me demanda
d'un air bienveillant si j'avais besoin de quelque chose.
« Oui, lui
dis je, d'un lit pour dormir. » Il me dit alors à voix basse que s'il avait
parlé de la sorte, c'était par pure politique, à cause des personnes présentes;
mais je connaissais mon homme, je savais de quelle haine sauvage il était animé,
et je lui répondis que peu m'importait, que je ne rétractais pas un mot et que
je savais parfaitement ce que je faisais et à qui j'avais affaire et comment il
fallait agir.
Le dixième
jour, les membres du Conseil suprême revinrent. On me manda.
J'étais si
affaibli par cette veille prolongée, qu'à plusieurs reprises, je savais à peine
ce que je disais, ce que je faisais, en quel endroit j'étais. Les ministres
trouvant l'occasion propice venaient alors à chaque instant.
Mais je
reprends mon récit : le Conseil me fait donc comparaître et on me fait remarquer
combien on a été doux pour moi en m'éloignant la torture des « bottes » et en se
contentant de la veille forcée.
Je répondis
que si on m'avait soumis à la torture des « bottes», j'aurais pu me faire porter
à l'école ou à l'église, et gagner ma vie en faisant la classe ou en entendant
les, confessions : mais maintenant qu'ils avaient, par cette veille forcée,
éteint et comme tué en moi la sensibilité et, à part la vie, ils m'avaient tout
enlevé, puisque, pour servir le Christ et son Eglise, je n'avais pas tant besoin
de mes jambes que de mon intelligence ; qu'ils s'efforçaient de me convertir,
conversion digne des ministres protestants, en faisant d'un homme de bon sens un
homme hors de lui, et d'un jésuite un sot. Et j'ajoute : « Vous pouvez garder le
bénéfice de Moffet, si on l'achète à ce prix.
— Vous en
verrez de plus dures, me dirent-ils, si vous n'obéissez pas au roi.
— Alors
même, répliquai-je, que je me résoudrais à parler, je n'obéirai pas, parce que
je ne veux pas céder à la force, ni me laisser conduire par la crainte de la
souffrance comme un chien, au lieu de suivre ma raison Comme un homme. Essayez
donc vos « bottes », et je vous montrerai, avec la grâce de Dieu, que je ne fais
pas plus de cas de mes jambes que de vos «bottes ». Ma destinée est trop noble
pour que je me laisse ainsi faire violence ; cependant je m'appuie non sur ma
propre force, mais sur la grâce de Dieu. » Je les priai alors de renoncer à me
faire rétracter ou ajouter quelque chose. S'ils voulaient encore, Dieu le
permettant, me faire souffrir, qu'ils ne me fassent pas languir. Je ne leur
demandais que cela ; d'en finir au plus vite.
L'archevêque me dit : « C'est la passion qui vous fait parler ainsi : personne
ne désire mourir si vite, quand il peut vivre, comme vous le pouvez vous-même,
en acceptant les faveurs du roi.
— Non, ce
n'est pas la passion qui me fait parler, mais une résolution très arrêtée. Je
sauverai ma vie si je le puis, pourvu que ce ne soit pas en perdant Dieu. Mais,
ne pouvant concilier les deux choses, je sacrifierai avec joie le moindre bien
pour sauver le plus grand. »
Accablé par
une longue veille et fatigué d'être demeuré debout, je rentrai chez moi ; un
baron, shérif d'un district de Glascow, m'y attendait : il m'accabla d'injures,
ne pouvant concevoir comment j'avais le coeur assez dur, moi Ecossais, pour
refuser de donner satisfaction à mon roi, et il ajouta : « Si j'étais le roi, je
vous ferais bouillir dans de la cire.» Voyant qu'il ne me fallait pas songer à
adoucir mon homme par de bonnes paroles, je lui dis en riant que Dieu, s'il
avait voulu le faire roi, lui aurait donné plus d'esprit. Je m'assis et voulus
boire à, sa santé, et comme il ne voulait pas accepter mon toast, je le
plaisantai un peu pour faire tomber sa colère et faire rire les autres.
L'évêque, qui riait plus fort que les autres, et tous les assistants convinrent
que j'avais fait son portrait, absolument comme si je l'avais connu dès
l'enfance. Le lendemain, je revins à Glascow où il nie fit visiter sa maison et
son parc et me traita fort bien. Avant que je fusse arrêté, lorsque j'étais
obligé de loger chez des hérétiques, je disais mon bréviaire la nuit ; certaine
personne qui m'avait entendu réciter des formules à voix basse, à la clarté
d'une lampe; répandit le bruit que je m'adonnais à la magie, et, après. mon
arrestation, on en parla à l'évêque ; de sorte que le bruit courait partout que
j'étais un sorcier, au grand amusement de ceux qui avaient un peu de bon sens.
Le brave homme ajoutait que j'avais autour de moi une foule d'animaux noirs qui
m'apportaient une nourriture mystérieuse et avec lesquels je m'entretenais.
J'éclatais de rire à la barbe des ministres qui me parlèrent de ces sottises et
je me contentai de dire pour toute réponse que je récitais mon bréviaire. Un
ministre dit qu'il ne savait encore qui j'étais et l'évêque reprit : « Si on
n'avait découvert les lettres et la caisse, on ne saurait rien de vous. N'est-ce
pas intolérable que vous tie vouliez rien dire alors qu'on se donne tant de mal
pour cela, et sans profit? » J'ai répondu en riant que j'en étais désolé.
L'évêque
des îles, André Knox, me dit qu'il pouvait célébrer la messe tout comme moi. Je
lui demandai s'il était prêtre; il me dit que non; alors, dis-je, vous n'êtes
pas évêque et ne pouvez dire la messe. Il me répondit : « Si vous voulez abjurer
toutes ces inventions des hommes et suivre la vraie religion qu'ont prêchée les
apôtres, vous aurez tout ce que vous voudrez, parce que vous avez beaucoup de
courage et d'esprit.
— Mais, lui
dis-je, votre religion n'a seulement pas dix us, car lorsque j'étais enfant vous
teniez comme article de foi qu'il n'y a de chef dans l'Eglise que le Christ ; et
maintenant vous jurez et vous &rivez tous que le roi est le chef de l'Eglise.
Vous-même vous avez écrit et juré le contraire. Cela n'est pas conforme à ce que
dit l'Apôtre : « Si je détruis ce que j'ai bâti, je fais oeuvre de
prévarication. » Or, vous avez prêché à Paisley contre l'épiscopat, et vous avez
déclaré que vous dénonceriez comme un démon quiconque se ferait ordonner évêque
et que vous exciteriez tout le monde à lui cracher au visage : quinze jours
après, vous étiez vous-même nommé évêque, et non content de l'évêché des îles,
vous avez trouvé moyen d'y annexer un outre évêché en Irlande. Même comédie pour
William Cooper : il a publié un livre contre l'ordre de l'épiscopat et il est
maintenant évêque de Galloway. Est-ce que vous n'avez pas, tous tant que vous
êtes, Messieurs. les prédicants, signé et juré que l'épiscopat est chose
abominable dans l'Eglise de Dieu, et maintenant n'enseignez-vous pas juste le
contraire? N'ai-je pas le droit après cela de vous traiter tous, avec saint
Paul, de prévaricateurs ?
— Pas du
tout, me répondit-on ; mais à mesure qu'on avance, la vérité se dégage plus
nettement : nous voyons mieux qu'autrefois.
— C'est
évident. Comme évêque, vous voyez un revenu d'un millier de livres sterling,
tandis que comme prédicants, vous n'en voyiez à grand'peine qu'une centaine ;
mais dites-moi, comment vous arrangez-vous avec vos. articles de foi ? S'ils
étaient faux alors, comment sont-ils vrais maintenant, et s'ils étaient vrais
alors, comment sont-ils faux maintenant ? En ce temps-là, à vous entendre, vous
ne croyiez que la parole de Dieu : maintenant, c'est votre croyance qui est
devenue parole de Dieu. Qu'est-ce qu'une doctrine qui tour à tour admet et
repousse les mêmes dogmes ? et quel est ce Dieu contradictoire dont vous prêchez
la parole ? Vous disiez alors : Ce que nous vous prêchons, c'est la lumière et
la vérité ; si nous devions vous croire alors, de quel nom demandez-vous de vous
croire maintenant? Ou si nous devons vous croire aujourd'hui, quelle autorité
aviez-vous alors pour nous commander de croire ?
— Ou je
suis fort trompé, ou votre doctrine n'est que l'iniquité qui se ment à
elle-même.
— Monsieur
Ogilvie, me dit l'évêque, vous avez beaucoup d'esprit : que je voudrais avoir
autour de moi des hommes de votre trempe ; comme je les emploierais bien !
— Je
préfère cent fois suivre le bourreau à la potence ; car vous allez droit au
diable.
— Comment,
dit l'évêque, vous osez me parler ainsi ?
— Pardonnez-moi, milord, je suis peu au fait des politesses de cour, et nous
autres jésuites, parlons comme nous pensons. Je hais la flatterie; j'honore en
vous le pouvoir civil dont vous êtes revêtu et je respecte vos .cheveux blancs;
mais je me moque de votre titre d'évêque et de votre religion. Car enfin, vous
n'êtes qu'un laïque et vous n'avez pas plus de juridiction spirituelle que votre
bâton. S'il vous déplaît d'entendre ce que je pense, imposez-moi silence, je ne
dirai plus un mot; mais si vous voulez que je parle, je dirai non ce qui peut
vous flatter, mais ce que je pense.
— Je
regrette beaucoup, dit l'évêque, que la faim vous ait fait quitter le
protestantisme et ait fait de vous un papiste.
— Vous me
jugez à votre aune, lui répliquai-je, et vous me croyez capable de faire ce que
vous avez fait, vous qui avez troqué deux articles de votre credo contre deux
évêchés. Moi, j'étais l'aîné de mes frères, j'appartenais à la noblesse et, lors
même que je n'eusse pas étudié, j'aurais fait quelque figure dans le monde, et
encore aujourd'hui, si je voulais faire comme vous et changer de religion,
j'obtiendrais la faveur du roi et de gros revenus. » L'évêque me quitta tout en
colère et je ris de bon coeur.
L'archevêque répondant au chancelier en plein Conseil (je n'étais pas là), lui
dit que jamais on n'avait vu en Ecosse de prêtre comme moi. Il dit aussi quelque
part en plein; dîner qu'il aimerait mieux être pendu à ma place que: de me voir
m'évader, parce que, comme dit le proverbe : Je pourrais faire sauter la
marmite.
Je ne sais
ce qui va m'arriver : devant moi, l'archevêque s'exprime avec bienveillance. Il
ne pense qu'à une chose, à trouver où j'ai pu habiter et chez qui, et à punir
ceux qui m'ont donné l'hospitalité. Ces gens-là sont très étonnés de voit que je
m'afflige de ce que souffrent les autres, tandis que je me réjouis de mes
propres souffrances.
On prend
toutes les précautions imaginables pour qu'on ne m'adresse la parole qu'en
présence du geôlier, et pour que personne ne me donne ni papier ni plume. On
n'entre guère chez moi que pour me dire des choses désagréables ou pour
m'apporter ma nourriture. Ceux qui viennent dans d'autres intentions éveillent
les soupçons et sont accueillis d'un air moqueur.
Je revins à
Glascow la veille de Noël et je fus attaché par les deux pieds à un anneau de
fer rivé au mur ; mais on craignit que d'être toujours couché sur le dos ne me
rendît malade, et maintenant je n'ai plus qu'un pied enchaîné. Le fer est fermé
par un verrou qu'assujettit une double chaîne.
On reçut de
Londres de nouveaux ordres, je fus mandé devant le Conseil suprême
et mis en demeure de répondre. Sur la table sont les oeuvres de Bellarmin et de
Suarez.
On me
demande si le pape peut déposer un roi hérétique.
Je réponds:
«Beaucoup de docteurs le pensent, et c'est une opinion très soutenable. Quand la
chose sera définie comme de foi, je donnerai ma vie pour la défendre. Mais tant
que rien ne sera décidé, je ne suis pas forcé de dire ce que je pense, à moins
que je ne sois juridiquement interrogé par celui à qui il appartient de décider
les questions controversées.
— Mais, me
dit-on, peut-on en conscience, pour obéir au pape, tuer un roi qui serait
excommunié ? »
Je répondis
: «Vous n'avez aucune juridiction spirituelle sur moi; aussi, pour ne pas avoir
l'air de reconnaître la juridiction spirituelle que s'arroge le roi, je ne
répondrai à aucune question de doctrine. Si vous m'interrogiez pour vous
éclairer, je vous répondrais; mais ici vous m'interrogez comme juges, et dès
lors je ne puis plus en conscience vous dire ce que je pense. Du reste, j'ai
déjà réprouvé les deux serments de suprématie et d'obéissance qu'on veut imposer
aux Anglais.
— Le pape,
dirent-ils alors, a-t-il juridiction sur le roi?
— Oui, si
le roi est chrétien et baptisé.
— Le pape
peut-il excommunier le roi ?
— Oui, il
le peut. »
On me
demanda alors comment il se fait que le pape puisse excommunier un homme qui ne
fait pas partie de l'Eglise de Jésus-Christ.
Je répondis
: « L'hérétique reste soumis aux peines, bien qu'il se soit mis dans
l'impossibilité de recevoir aucune grâce. Dans la société civile, le roi a droit
d'emprisonner et de punir les bandits, les voleurs ; dans l'Eglise, le pape a le
droit et le devoir de châtier les hérétiques révoltés contre lui et ceux qui
quittent leur mère la sainte Eglise. Par le fait même, du baptême, le pape
acquiert juridiction sur un homme, parce que par là cet homme entre dans
l'Eglise et devient membre du corps mystique du Christ et brebis du troupeau
dont le pape est le pasteur.
— Une bonne
raison, dit l'archevêque, pour que beaucoup aient horreur du baptême.
— Oui,
répondis-je, ils en ont horreur, en effet, tous les orgueilleux qui méprisent le
joug du Christ, et qui, avec leur Père le diable, cherchent leur propre gloire
et non celle de Jésus-Christ. Mais les autres ne partagent pas ces idées. »
Ici
finit la narration du Père Jean Ogilvie.
RÉCIT DES COMPAGNONS DE SA CAPTIVITÉ.
L'archevêque transmit au roi les pièces du procès avec un rapport défavorable
(il avait juré la mort du Père) qu'il signa ainsi que les autres nobles. En
outre, l'archevêque écarta le geôlier, qu'il jugeait trop humain pour le
prisonnier et le remplaça par son intendant, personnage dur et cruel qui le
laissait chargé de fers dans une complète solitude. Ne se fiant pas aux fers qui
lui enserraient les pieds, il avait imaginé des fers recourbés qui
s'entrelaçaient dans des anneaux, tant il redoutait une évasion, quoique le
martyr répétât que si ses liens étaient de cire il ne voudrait pas les rompre,
et que si on ouvrait les portes il ne les franchirait pas, afin de ne pas se
dérober, à une cause juste, jusqu'à ce que la Providence eût fait connaître
qu'elle en disposait autrement. On le garda à vue nuit et jour et les habitants
d'Edimbourg se relayaient pour cette besogne. L'archevêque de cette ville
s'apercevant que sa femme montrait une extrême compassion au prisonnier — elle
n'était ainsi que quand elle avait trop bu — la fait appeler et lui interdit ces
bontés. Enfin, on reçut les ordres royaux condamnant à mort le prisonnier s'il
ne reniait les points qu'il avait souscrits. Le bruit s'en répandit et parvint
au prisonnier. Les gardes lui demandèrent comment il se trouvait ; il répondit :
Comme un homme étendu par terre sous le poids des fers.
Il leur
demanda s'il y avait des nouvelles, ils disent : «Non.» Et moi je vous en
annonce une : «C'est que demain ou après-demain un prêtre doit mourir. »
L'archevêque revint à Edimbourg avec des nobles et d'autres comparses pour
rendre le jugement. La veille de sa mort, le martyr se fit laver les pieds et
convia les assistants à ses noces du lendemain. Le bruit que firent les gardes
le priva du moyen de se recueillir la nuit suivante, mais au matin il obtint un
moment de solitude pour prier. Le magistrat arriva avec une troupe de bourgeois
armés, chercher le prisonnier, à qui on demanda s'il était prêt. Il répondit
qu'il était prêt depuis longtemps et désirait cet instant. Au sortir de la
prison, il était vêtu d'un habit déchiré, le majordome de l'archevêque lui ayant
volé son manteau. A son passage,une foule de tout sexe et de tout rang
l'attendait, les femmes et les amis de ses compagnons de captivité, qui quelque
temps auparavant l'avaient assailli d'injures et de boules de neige le croyant
cause de leurs malheurs, mieux instruits aujourd'hui, sachant son innocence, sa
fermeté, son refus de dénoncer les catholiques, lui souhaitaient bonne chance.
Tout le monde pleurait, même les hérétiques. Introduit dans la chambre du
Conseil, l'accusé s'assit et demeura couvert. Lecture faite des noms des
assesseurs, on lui demanda s'il récusait quelque juré. Il répondit : « Si ce
sont des amis, ils doivent être à mes côtés ; s'ils sont mes ennemis, ils ne
peuvent être juges équitables.
— Alors,lui
dit-on,c'est à Rome qu'il faut aller chercher des jurés, ou bien nous devrions
peut-être demander à ceux qui ont assisté à vos messes de venir siéger ici.
— Ces
pauvres gens, dit l'accusé, entendent mieux le petit négoce dont ils vivent, que
les causes criminelles. »
L'archevêque ayant observé que, s'ils étaient pauvres, c'était la faute du Père,
le martyr lui réplique que c'était lui, archevêque, qui les avait ruinés en les
emprisonnant et en les pressurant. On savait qu'ils avaient été obligés, pour
avoir la paix, de lui abandonner tout ce qui leur restait. Quant à lui, Ogilvie,
il n'avait jamais été à charge à personne et n’avait jamais cherché qu'à venir
en aide aux âmes et à les sauver de l'hérésie.
« Vous
mentez, dit l'archevêque.
— Dites-nous alors, dit le Père, si vous le pouvez, ce que c'est que le
mensonge. Pour moi, je dis ce que je pense et ce que je sais être vrai. »
[On le
questionna sur l'autorité du roi, le pouvoir attribué au pape de déposer les
rois et de délier les sujets du serment de fidélité.]
Le Père
répondit à chaque question comme il avait déjà fait. Quand vinrent ces deux
questions, à savoir : si le pape peut déposer un roi excommunié et s'il peut le
livrer aux coups des assassins, il déclara qu'il ne répondrait pas.
Les juges
lui firent observer que se taire sur un pareil point c'était s'avouer coupable.
« Jugez-moi, répondit-il, sur mes paroles et sur mes actes, et laissez le soin
de juger mes pensées à Dieu seul, à qui je dois en rendre; compte.
— Vous
refusez donc, lui dit-on, d'obéir au roi.
— En toutes
choses pour lesquelles je suis obligé d'obéir à Sa Majesté, je me soumettrai
joyeusement, et si son royaume était envahi, je le défendrais jusqu'à la
dernière goutte de mon sang; mais il y a d'autres droits, comme celui de la
juridiction spirituelle, que le roi s'arroge sans raison, et, sur ce point, je
ne lui obéirai pas. Je ne le dois ni ne le veux. Que le roi prenne garde, en
empiétant sur le droit d'autrui, de compromettre le sien.
« Je ne
répondrai pas à ces deux questions, puisque je ne puis le faire, sans supposer
au roi une juridiction qu'il n'a pas. J'agirais peut-être autrement si on
m'interrogeait pour me consulter.
— Eh bien !
moi, dit un des jurés, je vous consulte sur ces questions : qu'avez-vous à me
dire ?
— Je trouve
par trop ridicule, dit l'accusé, que vous qui devez être mon juge, vous veniez
me consulter précisément sur les points que vise l'accusation. Je ne répondrai
rien là-dessus tant que l'Eglise n'aura rien défini ; car vous n'avez qu'un but,
celui de me compromettre, afin de colorer par un semblant de justice une haine
qui a soif de ma mort. Vous me faites l'effet d'un essaim de mouches qui se
jettent sur un plat succulent, ou d'une troupe de pêcheurs qui cernent un pauvre
petit poisson.
On lui
demanda s'il approuvait le meurtre du roi ; il répondit qu'il l'abhorrait.
Les juges
se réunirent pour prononcer la sentence de condamnation. Alors le prisonnier
leur rappela le jugement de Dieu et condamna l'iniquité de leurs sentences à
l'égard des catholiques. L'archevêque lui demanda si, au cas où il serait exilé,
il reviendrait en Angleterre. « Si j'étais exilé pour un crime commis par moi,
dit le Père, je me garderais bien de revenir. Mais si je l'étais pour la cause
que je défends en ce moment, je reviendrais aussitôt. Plût à Dieu que je pusse
convertir à la vraie foi autant d'hérétiques que j'ai de cheveux sur la tête, et
vous tout le premier, seigneur archevêque... »
Les juges
étant bien rentrés de leur délibération, rapportèrent la peine de mort, décidant
que le condamné serait conduit à la potence dressée sur la place publique,
qu'après y avoir été pendu il aurait la tête coupée et que son corps coupé en
quatre serait exposé à la vue du peuple. Le martyr rendit grâces, bénit celui
qui prononça la sentence, et l'ayant embrassé, il remercia l'archevêque et les
autres, leur tendit la main et leur promit le pardon qu'il demandait à Dieu pour
lui-même. Il se recommanda aux prières des catholiques s'il s'en trouvait là.
Puis il se tourna vers la muraille et se donna à l'oraison, taudis que
l'archevêque donnait ordre qu'on lui interdît toute conversation avec les
spectateurs en sa qualité de condamné pour crime de lèse-majesté. Tandis que le
martyr priait [à l'hôtel de ville] les autres acteurs allèrent dîner. A ce
moment un serviteur de l'archevêque introduisit le shérif et le bourreau que le
martyr embrassa, réconforta et assura de son plein pardon. Le shérif livra le
Père au bourreau, qui le garrotta, et on se rendit au lieu du supplice. [Il
était à peu près une heure après midi.] Dès qu'on arriva au lieu de l'exécution
que remplissait la foule à laquelle il lui était défendu d'adresser la parole,
il regarda la potence, l'embrassa.
Sur
le chemin de l'échafaud, Ogilvie avait rencontré un ministre hérétique qui lui
adressa la parole. Heureusement leur conversation fut entendue par John Browne
de Loch-Hill qui la rapporta à son fils, lequel l'a consignée dans un document
authentique.
Le ministre
interpella le Père et l'assura de l'intérêt qu'il lui portait. «Mon cher
Ogilvie, lui dit-il, comme je vous plains de vous obstiner de la sorte à finir
par une mort infâme ! » Le Père lui répondit un peu comme un homme qui a peur :
« Comme s'il dépendait de moi de mourir ou de ne pas mourir ! Je n'y puis rien ;
on m'a déclaré coupable de haute trahison, et c'est pour cela que je
meurs. — Trahison, dit le ministre, il s'agit bien de cela ; croyez-moi, abjurez
le papisme et le pape, on vous pardonnera tout et on vous comblera de
faveurs. — Vous vous moquez de moi, dit le Père. — Non, reprit le ministre, je
parle sérieusement et j'ai qualité pour le faire, car Monseigneur l'archevêque
m'a chargé de vous offrir sa fille en mariage avec la plus belle prébende du
diocèse comme dot, si je vous décidais à venir à nous. »
On était
arrivé au pied de l'échafaud. « Eh bien, dit Ogilvie, faites-moi le plaisir de
répéter tout haut et devant tous ce que vous venez de me dire. — Je ne demande
pas mieux, dit le ministre. — Écoutez, cria Ogilvie, ce que le ministre veut
nous dire ; et le ministre de dire tout haut : — Je promets au sieur Ogilvie la
vie, la fille de l'archevêque et une riche prébende s'il veut être des
nôtres. — Entendez-vous, dit le Père, et êtes-vous prêts à en rendre témoignage
si vous en êtes requis ?
Oui, nous
avons entendu, cria la foule, et nous témoignerons ! Descendez, sieur Ogilvie,
descendez de l'échafaud. » A ce moment les catholiques eurent un instant
d'angoisse et les hérétiques étaient radieux. « Alors, reprit Ogilvie, je
n'aurai plus à craindre d'être poursuivi pour haute trahison ? — Non, non. — Si
je suis ici, c'est donc uniquement pour cause de religion, c'est là mon seul
crime ? — Oui, la religion seule ! — Très bien, c'est plus que je n'en voulais.
C'est pour ma religion seule que je suis condamné à mort. Pour elle je donnerais
joyeusement cent vies si je les avais ; je n'en ai qu'une, prenez-la et faites
vite. Quant à ma religion, vous ne me l'arracherez pas. » A ces mots, les
catholiques relevèrent la tête triomphants, pendant que les hérétiques
rugissaient d'avoir été pris dans leurs filets. Le ministre surtout était hors
de lui ; il interrompit brutalement le Père Ogilvie qui allait ajouter quelque
chose et ordonna au bourreau de lui faire gravir l'échelle sans délai.
[La
potence se dressait sur une plate-forme à laquelle on accédait par une échelle
que le martyr monta avec difficulté. Abercrombie se trouvait sur la plate-forme.]
Un
ministre [nommé Scott] criait à tue-tête : « Ogilvie va mourir, non parce qu'il
est catholique, mais parce 'qu'il a commis un crime de lèse-majesté. » Ogilvie
fit avec la tête un signe de dénégation. Il voulait parler, on l'en empêcha.
Abercrombie l'exhortait à la patience. « Jean, lui disait-il, ne vous chagrinez
pas de ces mensonges ; plus on vous fera tort, plus vous aurez de mérite. » Les
serviteurs de l'archevêque se jetèrent sur Abercrombie et le poussèrent, en
sorte qu'il tomba de la plate-forme la tête la première, en lui disant : «Qu'as
tu besoin, traître, de venir encourager ce traître ? » Il eût été tué sur le
coup s'il ne fût tombé sur la foule, très compacte en cet endroit.
A cette
vue, le martyr dit : « Votre conduite est vraiment étrange, vous m'empêchez de
me défendre et au même moment vous dénaturez tous les faits par vos mensonges.
Car vous mentez quand vous prétendez que j'ai parlé contre le roi : je n'ai
jamais rien dit ni rien fait qui pût lui nuire ; j'ai seulement affirmé que le
pape avait une juridiction spirituelle sur le territoire du roi comme dans le
monde entier, partout où il y a des chrétiens, et qu'il a le droit d'excommunier
un roi hérétique. Si j'ai dit autre chose, prouvez-le en présence de cette
foule. Ce que j'ai dit, je l'ai signé, et je suis prêt à mourir pour le
défendre. Mais vous, vous m'avez calomnié auprès du roi, et maintenant vous
cherchez à me déshonorer aux yeux du peuple. Sachez qu'un autre Ecossais et moi,
nous avons plus fait pour le service de Sa Majesté à l'étranger, que vous ne
pouvez le faire avec tous vos ministres, et que je donnerais volontiers ma vie
pour lui. Ainsi donc, c'est bien entendu, c'est pour la religion seule que je
meurs. »
Le ministre
lui demanda s'il avait peur de la mort. « Non, dit-il ; puisqu'il faut mourir
pour une si sainte cause, je n'en ai pas plus peur que vous d'un bon dîner. »
On lui lia
les mains derrière le dos, et on serra la corde si fort que tous ses doigts en
tremblaient, puis on lui ordonna de gravir la seconde échelle. Pendant tout ce
temps il ne cessait de prier et de demander pour son âme les prières des
catholiques présents. Il invoqua la Vierge et les saints, plaçant son espérance
dans le sang du Christ, dit-il, et afin que tous l'entendissent, il répéta ses
invocations en latin et en écossais. Sur l'ordre réitéré du shérif, le bourreau
retira l'échelle et le corps resta suspendu en l'air.
Un grand
tumulte s'éleva dans la foule, suivi d'un murmure. Tous, hommes et femmes,
déploraient cette mort injuste et montraient combien ils détestaient la cruauté
de l'archevêque et des ministres, priant Dieu de venger l'innocent et de
pardonner au peuple resté étranger à sa mort. Dans la suite, les ministres dans
leurs sermons reprochèrent amèrement au peuple ses manifestations, lui faisant
un crime de pleurer un malfaiteur et un séducteur ; mais les braves gens, sans
se soucier des calomnies des ministres, gardèrent leurs sentiments, rappelant
qu'au dernier moment on avait, en effet, offert un bénéfice, un mariage et la
protection du roi à Ogilvie s'il apostasiait. Le bourreau et les
fossoyeurs — les catholiques n'osant approcher — mirent le corps en bière et
l'enterrèrent dans le cimetière des criminels.
Dans la
soirée qui suivit l'exécution, un cavalier s'arrêta à deux milles de la ville.
Dès qu'il eut appris la mort du Père, il s'éloigna rapidement. Pendant la nuit,
qui fut orageuse, on vit une quarantaine de cavaliers rôder autour de l'endroit
où le Père Ogilvie était enseveli et ion crut qu'ils enlevaient le corps. Le
bruit vint jusqu'au magistrat, qui dès le matin vint au cimetière avec une
grande foule. On trouva la terre fraîchement remuée et on examina si le cercueil
était enlevé en enfonçant en terre des tiges de fer. On trouva de la résistance,
d'où on conclut à la présence de la bière. Le magistrat ne laissa pas les
recherches aller plus avant. On s'en alla en disant que le corps n'avait pas été
enlevé.
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