Le
vénérable John Roberts fut le premier moine profès de l'Ordre de Saint-Benoît
qui souffrit en Angleterre depuis la rechute de ce pays dans l'hérésie sous
Elisabeth. Sous Henri VIII, trois abbés mitrés, Richard Whiting, de Glastonbury,
Hugh Cook, de Reading, John Beche de Colchester et plusieurs moines avaient
souffert le martyre; John Roberts devait renouer la tradition.
John
Roberts naquit dans le Merionethshire, au pays de Galles, sous le règne
d'Elisabeth, l'an 1576, de famille noble, mais tombée dans le protestantisme.
Tout ce qui a trait à cette période de la vie de J. Roberts est resté longtemps
obscur; c'est à Dom Bède Camm, O. S. B., qu'on doit les traits définitifs. John
Roberts fit son abjuration à Paris et se rendit au collège Saint-Alban de
Valladolid, où il arriva le 15 septembre 1588. Au mois de mai 1599, il reçut
l'habit bénédictin à Compostelle et fit profession dans les derniers mois de
l'année 1600. Rentré peu de temps après en Angleterre, il s'y livra à
l'apostolat et fut arrêté dans la maison de Mrs Percy, la femme de ce misérable
Thomas Perey dont le rôle dans la conspiration des Poudres nous est assez connu.
John Roberts fut arrêté, comme il était sur le point de célébrer la messe, et
emmené à la prison de Gatehouse, dans l'enceinte de l'abbaye de Westminster,
près de l'extrémité ouest de l'église abbatiale, là où se trouve à présent la
cour du dean. Exilé d'Angleterre à la suite de la découverte de la conspiration
des Poudres, Roberts revint sur le continent et passa successivement à Douai, à
Pau, à Valladolid, à Salamanque, à Saint-Jacques en Galice. Rentré en Angleterre
à l'automne de 1607, il fut saisi le 17 décembre et interrogé le 21. Après un
séjour d'un mois environ, il s'évada de la prison par la fenêtre de sa cellule,
mais fut réduit à se cacher. De nouvelles pérégrinations sur le continent et un
retour en Angleterre occupent ces dernières années. Il achevait de célébrer la
messe le 2 décembre 1610, devant cinq autres prêtres, lorsqu'on les arrêta. J.
Roberts fut mis en prison encore revêtu des ornements sacerdotaux, à Newgate. Le
5 décembre il comparut au, jugement avec M. Thomas Somers (ou Wilson), prêtre
séculier,
*****
RELATION PAR LE VÉNÉRABLE JOHN ROBERTS.
[Mercredi
5 décembre 1610, à Newgate, comparurent John Roberts O. S. B., et Thomas Somers,
devant Mylord Abbot, évêque de Londres ; Coke, Lord Chief Justice, les
assesseurs et officiers royaux.]
M. Somers
fut d'abord sommé de prêter le serment de fidélité. Il répliqua brièvement, mais
fermement, qu'il ne prêterait point le serinent dans la forme exigée par le
livre des statuts. Alors l'évêque se leva, ayant à la main une liasse de papiers
contenant les pièces du procès de plusieurs catholiques, et notamment celles
relatives au P. Jean, qu'on appelait communément du nom de Roberts.
— M.
Roberts, dit-il, vous savez combien de fois vous avez comparu devant moi, quels
tracas vous m'avez causés et quels égards j'ai eus pour vous, à seule fin. que
vous devinssiez un loyal sujet de Sa Majesté le Roi qui vous a montré tant
d'indulgence. Plusieurs fois, jusqu'ici, bien que pris et repris en maintes
occasions, vous n'avez été condamné qu'à l'exil. Et, aujourd'hui encore, en
dépit de votre mépris pour les lois et ordonnances, malgré votre retour qui
offense expressément son commandement et sa volonté, aujourd'hui encore, dis-je,
le Roi daigne éprouver à nouveau la loyauté de vos sentiments à son égard, en
vous accordant votre grâce. J'ai donc la mission de vous proposer le serment de
fidélité dans la forme expressément consacrée par les deux Chambres du
Parlement, à l'effet de s'assurer de la loyale obéissance des prêtres et
papistes récusants, sujets de Sa Majesté... Eh bien, Monsieur Roberts, êtes-vous
disposé à prêter le serment ?
— Monsieur,
vous savez fort bien ce que je pense de ce serment : je vous ai déjà fait part
de mes sentiments à ce sujet. Jamais je n'ai refusé, ni ne refuserai un serment
ide fidélité qui soit véritablement quelque chose de tel ; mais le serment en
question contient tout autre chose. J'ai offert de vous le prouver et de mettre
en lumière les joints qui touchent la foi. Ces articles écartés, j'étais prêt
jadis et je le suis encore à étendre mon serinent à tout ce qui concerne
uniquement la fidélité à mon roi. Votre Seigneurie me promit jadis une audience
à ce sujet; mais jusqu'à ce jour j'ai attendu en vain. Je réitère donc
présentement mon humble requête, à cette fin que la Cour daigne m'entendre.
— Non, non,
Monsieur Roberts, il ne convient pas de discuter davantage ce qu'ont légalement
décrété et établi les deux Chambres du Parlement ; bien plus, il n'est pas en
mon pouvoir de donner suite à votre vœu, en présence de la volonté des Chambres
qui est sans appel. Répondez donc simplement: voulez-vous prêter ou refuser le
serment?
— Je ne le
prêterai qu'en maintenant toutes mes ré-[serves.
— Bien; à
nous donc de changer nos procédés à votre égard.
— Au nom du
Seigneur, faites ce qui vous plaît.
[Le
greffier insista à son tour et obtint du P. Roberts les mêmes réponses. La cause
instruite, le jury fut désigné et convoqué. Lecture faite de l'acte
d'accusation.]
« Alors le
premier ou bien souverain juge lui demanda s'il niait qu'il fut prêtre ; auquel
P. Jean dit : Monsieur, comme ainsi soit que ceste demande, à mon avis, implique
en soi actions d'accusateur et de juge, lesquelles ne peuvent en bonne droiture
et justice être exercées que par deux distinctes personnes, je vous supplie me
dire si vous estes mon accusateur ou mon juge ? Certes puisque vous este juge,
il me semble impertinent que fassiez office d'accusateur, comme il appert que
faites par votre demande. A ces paroles, le pseudo-évêque de Londres là présent,
trouva du sujet de s'aigrir et ainsi s'en ressentant aucunement, lui dit : pour
ma part, je me fais fort de prouver clairement que soyez prêtre. Auquel P. Jean
répondit : Monsieur, ce serait chose à votre personne et qualité plus
convenable, de servir et présider en votre chapitre et synode, aux fins de
redresser et reformer les mœurs et abus de vos ministres, que de vous trouver en
ces halles et assemblées où il s'agit de la cause du sang. Les évêques du passé
vos devanciers et prédécesseurs n'avaient pas l’habitude d'assister à telles
affaires, ni de mêler aux actions de ces tribunaux ; non les évesques
catholiques ne doivent ni peuvent par les saints canons ecclésiastiques se
brouiller ou souiller aux causes sanglantes et de mort. — De ces propos on vint
à lire publiquement certains interrogatoires et enquêtes faites auparavant et
délicates à vérifier contre lui qu'il était prêtre: auxquelles il s'est employé
de répondre tant et si longuement, qu'il se trouva comme en défaillance de cœur
et sentit grande débilité parmi tout son corps. Raison pourquoi, considérant que
c'était travailler en vain que de vouloir se garantir de l'imposition de
prêtrise, affin de vider brièvement ce procès et venir au nœud de la cause, il
demanda à messieurs, que c'était qu'ils prétendaient de prouver et vérifier
contre lui, et eux répondants, leur dessein être de savoir et montrer par bonnes
preuves qu'il était prêtre, dit aussi : Messieurs, puisque c'est cela que vous
avez en volonté de savoir et avérer contre moi, saches, que sans palliation ni
fiction, je suis, je me confesse, je me déclare ici publiquement devant vos
seigneuries et toute l'assemblée, pour être catholique de la Sainte Eglise
Romaine, et moine de l'Ordre de saint Benoist, duquel Ordre aussi était
religieux et professeur ce miroir de piété saint Augustin avec saint Mellite et
leurs compagnons, qui furent les premiers conquérants de ceste Isle à la
couronne et diadème du Roi éternel Jésus-Christ, lesquels comme autant de
Prométées apportèrent en ce Royaume ce feu céleste de la connaissance, foi et
amour de Dieu vivant, non dérobé, mais reçu en don du grand pontife saint
Grégoire, pour en éclairer les ténèbres et échauffer les âmes de nos devanciers,
par où ils ont acquis avec mérite le nom des premiers apôtres de ces contrées
saxonnes. Je fais profession de ma même façon qu'eux ont mené. Je suis ici venu,
envoie par la même autorité qui les y adressât, savoir est l'apostolique du
Vicaire de Jésus-Christ, successeur de saint Pierre : nos buts et desseins sont
autant justes, saints et raisonnables, les uns que les autres, puisqu'ils
tendent au salut des Regnicoles pour la gloire du Très Haut. »
Ici on
commanda au P. Jean de se taire, ce néant-moins il ajouta : « et je vous veux
faire entendre la teneur de mon Bref et commission en vertu de quoi je me suis
avancé jusque à ces rives de ma douce patrie, puis prononçant à voix ferme, non
branlante, le passage de saint Mathieu, dit, c'est Euntes, docete omnes
gentes, baptizantes eos et docentes eos servare omnia quæcumque mandavi vobis
: par où nous est ordonné de faire savoir aux hommes les commandements de Dieu
et leur administrer les saints sacrements de Baptême, Pénitence, Eucharistie,
Extrême-onction, et autres. Ce que les ministres de par de çà ne font qu'à leur
poste ou point du tout. De ce pas en ayant lui coupé le fil de son discours, et
l'on lui objecta que du passé il avait été pris en la maison du sieur Persins,
complice au crime de l'attentat sur le roi et ses états, par le moyen de la
poudre à canon : mais il se démêla promptement de ce blâme, répondant, que de ce
soupçon il en avait été absous et déclaré innocent par la sentence du conseil de
Sa Majesté, point que s'il eut été lors trouvé coupable de telle intention, il
ne resterait pas maintenant en vie, et ne serait présentement empêché de
répondre pour soi en ce parquet.
Nonobstant
tout cela le Pseudo Evêque de Londres, laissant ceste poursuite, pressait et
insistait, qu'au moins, lui Prêtre comme il était, avait osé retourné en
Angleterre, contre l'Édit de la reine Elisabeth et par ainsi demeurait atteint
du crime de Sa Majesté. A quoi le P. Jean repartit : si selon votre dire, sieur
évêque, être Prêtre est un crime de lèse Majesté, ou bien un signe et indice
irréparable de perfide et de traître, certainement et notre Seigneur
Jésus-Christ, et ses saints Apôtres étaient perfides, déloyaux et traitres; si
que si on les présentait à votre parquet, d'assurance, ils seraient de vous
sentenciés et condamnés à la mort. Le peuple là présent oyant ces paroles tant
bien fondées et prononcées commença de murmurer et s'entre parler, avec
démonstration de je ne sais quelle apparence d'incliner au party du P. Jean,
dont lui fit défendre de ne plus rien dire. Ainsi finalement le magistrat lui
chargea et mit sus qu'il était retourné en Angleterre, non pour autre fin que de
retirer les sujets de l'obéissance du Roy, et les aliéner de sa fidélité
d'affection. Auquel P. Jean répondit : il y a de l'abus en votre dire,
Messieurs, je ne suis pas retourné en ce royaume pour les fins que vous
m'imposez à crédit, ce n'a pas été pour divertir les sujets de l'obéissance et
affection leur roi et légitime prince, non certes, mais tout seulement pour les
ramener de la perfide hérésie en l'infection de laquelle ils vivent et
croupissent à la sincère foi catholique, seule voie et nacelle qui les peut
conduire et porter au salut éternel. Et tant s'en faut que je veuille faire
secouer le joug de l'obéissance et subjection aux vassaux de Sa Majesté, que
mêmes au contraire j'ay toujours prêché, témoigné et enseigné comme encore
présentement je fais, à touts les sujets qu'ils sont tenus en conscience de
rendre pleine obéissance au Roy, en tout ce qui n'est pas contre Dieu et le
salut de l'âme. Ce qui est bien contraire à ce que prêchent les perfides
hérétiques Luther et Calvin avec leurs adhérents. Il ne lui fut pas permis de
s'élargir d'avantage sur ce propos, parce que le Pseudo-Évêque passa outre à
lire certaines lettres de la conformité, en vertu desquelles P. Jean avait admis
la femme du Seigneur Genesonnes (Jenison) et quelques autres à la participation
de certaines indulgences concédées à son Ordre, lesquelles ayant achevé de lire,
il avisa le Magistrat avec beaucoup de poids et emphase, qu'il était nécessaire
de se donner garde bien soigneuse du P. Jean, comme d'un homme fort pernicieux
et dommageable à l'état commun et particulier du Royaume, en tant qu'il était
Supérieur des moines de St-Benoist en Angleterre, et y administrait le Sacrement
des Ordres. Sur quoi P. Jean prenant la parole dit, qu'en ces lettres, il
n'avait rien qui ne fut totalement conforme aux écrits des Docteurs, décrets des
Souverains Pontifes et autorité des sacrez Conciles, se faisant fort et offrant
de le prouver, s'ils en avaient la volonté : mais quant aux Ordres, qu'il ne les
avait jamais conféré à personne, ni aussi n'en tenait-il le pouvoir n'étant pas
Évêque. Pareillement il n'avait jamais été Supérieur des Moines de St-Benoist
qui sont en Angleterre.
Après
toutes ces allégations et réponses de part et de l'autre, le magistrat donna
ordre que le tout fut commis entre les mains des douze Juges, affin de visiter
et examiner pleinement le procès de P. Jean, et que suivant la coutume, ayant
bien pesé et confronté les raisons de part et de l'autre tant favorables que
préjudiciables, suivant leurs voix et suffrages ouïes et entendues, on donna le
dernier arrêt et sentence d'absolution ou condamnation de vie ou de mort.
Ceux-ci donc, assez versez en ce métier, visitent et considèrent les choses
alléguées et prouvées, ce cas intenté et la Loi prétendue violée et qu'en
résolvent-ils ? Quelle est leur opinion, sembler est avis ? Ah I pauvre P. Jean,
que pensez-vous qu'ils définiront de votre fait, votre vie et votre mort sont en
leur bouche. Mais vous ne refusez pas de mourir pour la gloire de Dieu, si bien
que vous désirez de vivre pour le salut des aines de vos chers paysans. Il ne
nous fâche donc pas beaucoup l'esprit de savoir ce qu'ils arrêteront, moyennant
que la volonté de notre Seigneur s'accomplisse en vous, les retours et entrées
vôtres tant de fois réitérées en ce pays, ont toujours été accompagnez de ceste
résolution et expectation de la mort et supplice, pareil a celui de tant
d'autres qui vous ont devancé, en sorte que tibi vivere Christus et mori
lucrum. Cupio dissolvi et esse cum Christo. Jésus-Christ est votre vie et le
mourir vous le réputez à gain et profit, votre désir est d'être délié de ce
corps et être avec Jésus-Christ. Ecoutez donc, âme résolue, cœur non effroyable,
esprit indomptable, écoutez ce qu'ont arrêtés ces justes juges, mais par des
lois injustes, c'est que : Vu et considéré que vous entant que Prêtre, après
avoir été banni de l'Angleterre, y estes jà retourné, contre l'édit de la Reine
Elizabeth, estes encouru au crime de lèse Majesté, taxé par ledit édit et ainsi
digne de mort. Voila leur avis, ce sont les suffrages par lesquels vous estes
choisi, promu et avancé à la palme et couronne de martyr. O joyeuse nouvelle,
arrêt longtemps désiré, heure tant de fois souhaitée, retournez maintenant en
votre prison et chantez louanges et actions de grâces à Dieu le créateur, qui
vous fait digne de pâtir contumélie, et subir la mort pour le nom et la querelle
de Jésus, à la façon des Apôtres.
Donc ces
douze Juges, ayant par ensemble examiné le tout, disent qu'il leur semble qu'il
est coupable du crime de lèse Majesté et qu'il a mérité la mort. Ceste opinion
et avis étant rendu, l'on renvoyé P. Jean de devant messieurs en la prison,
qu'on dit communément Salle de justice, de la quelle il avait été amené, pour y
demeurer jusques a ce que le 8 Décembre, on le représentât encore devant
messieurs pour recevoir la dernière sentence de mort.
Forme du jugement et sentence de mort prononcée
contre P. Jean de Mervinia et Monsieur Wilsonus.
Ores arrivé
que fut le 8 jour de Décembre 1610, jour sacré à la conception de l'immaculée
toujours Vierge Marie, sur le soir environ les quatre ou cinq heures, le juge
souverain fit venir de la prison par devant soi et le Magistrat le P. Jean de
Mervinia avec Monsieur Wilsonus Prêtre, pour recevoir la dernière sentence de
mort. Par quoi étant entrez en présence de Messieurs, ledit juge leur dit : Mes
amis, vous estes ici pour entendre la sentence de mort qui se doit rendre contre
vous aujourd'hui, suivant les interrogations, allégations et enquêtes faites
touchant les causes de votre emprisonnement et crimes à vous imputés, en quoi
comme l'on a jusques à maintenant procédé avec toute les décors et habituelles
solennités requises par le droit et justice, aussi faut-il que, restant
seulement a prononcer l'arrêt et sentence de mort, nous vous donnions encore une
fois lieu de défende. Ainsi l'on vous ordonne qu'aies à alléguer présentement ce
pourquoi il vous pourrait sembler que ne dussiez être condamnés à mort, puisque
selon les voix et avis des douze Juges, conformément aux lois, estes trouvez et
déclarez est encouru au crime de lèse Majesté, par la transgression de l'édit.
sus allégué. Soudainement âpres ces paroles, le P. Jean requit audience de
Messieurs, et le sergent ayant crié et imposé silence au peuple, s'assurant en
la promesse de notre Seigneur que ni la bouche ni la parole lui ferait faute
ente besoin, harangua en ceste sorte :
Mes très
honorés Seigneurs, très aimés paysans ici présents, je vous supplie de me tant
obliger en votre endroit, que d'entendre le peu de satisfaction que je veux
donner pour moi, en ce qui m'est présentement imposé et mis en avant. Si la
mémoire m'est fidèle, au tarif que je peux remarquer et comprendre de tout ce
qui m'a été proposé, demandé, imposé et allégué, je suis condamné coupable de
crime de lèse-majesté, par ce que je suis prouvé et avéré être prêtre et moine
de l'ordre St-Benoist, ce n'est que pour ce point et article : au reste des
plaintes et dépositions contre moi, j'y ai satisfait pleinement et montré que
j'en suis hors de cause et innocent. Donc pour le point de prêtrise, je dis,
qu'il est vrai que je suis prêtre, jamais je ne me désavouerai prêtre, ni non
plus nierai que je suis moine, mais quant est de la trahison et révolte, tant
contre le Roy comme contre son très sage Conseil, j'appelle Dieu le Créateur en
témoin, que j'en suis totalement pur, net et innocent. La fin de ma venue en ce
Royaume n'est autre que pour retirer mes chers compatriotes, à mon possible, de
l'erreur des hérésies : je n'y commis que ce seul crime, si c'est un crime. Je
me persuade que personne ne me réputera traître ni rebelle, pour avoir, désiré
leur salut : messieurs ne prétendent prouver autre chose contre moi que ceste
trahison et rébellion, et je crois que chacun de vous a assez clairement entendu
comme j ay démontré que la prêtrise et Religion son autant différentes et
éloignés de la trahison et révolte, que sont distants les cieux de la terre, vu
que celles-là sont très-amies et alliées de la vraie fidélité et loyauté, la où
celles-ci en sont ennemies et conjurées adversaires. Toutefois si tant est que
ce de quoi on m’accuse faussement était vrai, savoir que je suis traître et
rebelle au roi ; si est ce que tout cela, en tant que prêtre je ne devais être
tiré par devant les juges séculiers et beaucoup moins les hérétiques et
déserteurs de l'antique religion, selon laquelle les prêtres ont leurs juges à
part, ce que, me voici près de vous prouver par l'autorité des sacrés conciles
(quelques uns desquels vous recevez) et par les décrets des souverains pontifes
par ou, monsieur le Juge, il appert que c'est contre l'ordre de justice, de
tirer les prêtres aux pairs séculiers, avant _ que par l'autorité de l'Eglise
étant dévêtus (autant que faire se peut) de tous privilèges et dignités
concernant leur état, ils soient livrés entre les mains de la puissance
séculière, ce qui n'a pas été observé en mon endroit, a raison de quoi je ne
peux voir, comme puissiez sauve la justice et l'équité, prononcer sentence de
mort contre nous. Le juge méprisant et ne faisant état de ces raisons et
défenses dit : « Seigneur Jean, n'axes vous pas autre chose à alléguer pour
votre défense ? » A quoi Jean répondit : « ce que j'ay allégué suffise pour
maintenant. » Alors le juge dit : « Dieu veuille avoir pitié de vous deux. » Et
incontinent dégorgea plusieurs injures et calomnies contre eux deux,
particulièrement contre père Jean, faisant entendre aux assistants, qu'il était
homme fort dommageable et pernicieux à l'état du Royaume, usant de reproche,
qu'il avait reçu beaucoup de grâce et courtoisies du Roy, ayant été plusieurs
fois banni, changeant (la vie sauve) sa mort en exil, rompu les prisons, mêmes
suspecté d'avoir été de la faction des mines de poudre à canon, finalement qu'il
s'était employé à séduire plusieurs des sujets du Roy, les rendant papistes et
aliénant de l'obéissance de sa Majesté, ajoutant que plusieurs de ces larrons et
voleurs là présents (qui avec lui avoient été condamnez à mort) n'avoient que
fort peu ou rien mes-fait, en comparaison du P. Jean ou ses compagnons, entant
que (ce disait-il), ces pauvres infortunés, contraints peut-être par la
nécessité, n'avoient que dérobé l'autrui et pris l'argent des personnes pour
soulager leur disette et subvenir à leurs besoins, mais ces prêtres ici, non
seulement ils attirent le monde à se ranger de leur party et pernicieuse
religion de papistes, ainsi aussi ils ôtent et ravissent au Roi les cœurs de ses
vassaux et sujets. Tout durant ces discours du Juge, le peuple se retint de
parler, montrant toutefois être touché de compassion pour le désastre de ces
deux prêtres ! en sorte mêmes qu'aucuns de l'assemblée furent tellement émus de
pitié qu'ils osaient dire, être chose assez dure et misérable qu'on fit mourir
des hommes de telles qualités. Or le P. Jean avait cependant réfléchi en
lui-même ce qu'il devait repartir à tant de calomnies du Juge et ce qu'il les
allait pour l'une après l'autre, mais il n'eut pas le loisir, d'autant que le
Juge incontinent, comme il est de coutume, prononça la sentence de mort.
Laquelle entendue, soudainement P. Jean arraisonna le peuple en ces termes :
«Mes très-aimés compatriotes, me voilà condamné à mourir, et par la grâce du
Seigneur Dieu je n'en suis pas pourtant éperdu ni transporté de tristesse, ou
évanoui de la trop grande appréhension de la mort, qui est désirée et attendue
de mes semblables qui viennent en ce Royaume pour s'embesogner au salut des
âmes, s'assurant bien qu'a la fin parmi tant de soigneuses recherches, et au
milieu de tant d'yeux et surveillants, il doit une fois arriver qu'ils seront
découverts, en somme le hasard ne nous est ouïe, car nous l'avons prévu de
Loing, et le tenons pour assuré et non seulement nous est-il incertain en son
heure et son jour ! Du reste pour maintenant je ne prétends vous détenir par
beaucoup de propos, ni veux me purger des crimes à moi imposez, car je l'ay déjà
suffisamment et pleinement effectué, comme vous avez peu entendre bien
amplement, et ainsi laissant en arrière toute répétition des preuves de mon
innocence qui seraient inutiles pour le présent, vu que l'arrêt est prononcé,
seulement affin que connaissiez mon cœur et zèle en votre endroit : je prie du
plus profond de mes entrailles Dieu le Créateur Père de miséricorde, père de
notre Seigneur Jésus-Christ, pour la querelle duquel je meurs, qu'il vous
veuille tous bénir, et à moi donner la grâce de patiemment et constamment subir
la mort décrétée et de mesure, monsieur le Juge, qui axés prononcé contre nous
ceste inique sentence de mort, je le vous pardonne de bon cœur : priant de
surplus qu'il plaise au Seigneur Dieu faire miséricorde à tous ceux qu’ en
quelque façon se sont rencontrez au fait de ma condamnation, mais sur tout je le
supplie, qu'il daigne combler de bénédictions le très clément Roy notre sire, la
Reine et le prince et messieurs leurs enfants, leur donnant santé, prospérité,
et grâce de craindre, aimer, servir dignement sa divine majesté. Sys longtemps
que l'âme donnera vie à mon corps je ne cesserai de prier Dieu pour eux, et pour
la conversion de retour de vous tous à l'unité de l'Eglise et sincérité de la
sainte foi catholique. Ce que je pourrai après ma mort faire avec plus de loisir
et d'efficace ! Le P. Jean ayant ainsi achevé ses bénédictions et bonnes
imprécations, le Juge ôtant son chapeau, le remercia de ce qu'il souhaitait tant
de biens au Roi et aux autres ci-dessus mentionnez. Apres il fut reconduit en
prison ou il attendit le jour, auquel la sentence de mort se mit en exécution :
« Nous,
Fr. Augustin de Saint-Jean, prieur et vicaire général des moines Anglais de deçà
les monts, de la Congrégation de St Benoist en Espagne, témoignons que la
susdite manière tenue et passée en l'examen et jugement du R. P. Jean de
Mervinia est translatée fidèlement de l'Anglais en Latin, jouxte l'exemplaire
que celui-ci mesure B. Martyr a écrit de sa propre main dedans la prison, après
sa condamnation : mais, ce qui s'est ensuivi depuis cela jusques à la fin et
exécution de la sentence de mort, jouxte l'exemplaire à nous donné par le R. P.
Robert de St Benoit moine du même ordre qui a été présent à l'exécution d'icelle
sentence et était chef de ceux qui tirèrent les corps des martyrs hors la fosse
comme dessus. Ainsi je l'atteste frère Augustin de St Jean que dessus.
« Ce
discours est digne d'être mis en lumière. — Fait à Douai, le quatrième de May
1611, George Colveneere, Docteur et Professeur en la S. Théologie, visitateur et
censeur des livres en l'Université de Douai. »
[Les
condamnés rentrés dans la prison furent séparés des détenus catholiques et
enfermés dans une cellule dégoûtante avec les seize autres condamnés du même
jour. Ils y passèrent la nuit du samedi et la matinée du dimanche. Ce jour-là
ils reçurent la visite de dopa Luisa di Carjaval, dont le biographe Luis Munoz
raconte ainsi l'héroïque audace.]
« Avec une
grande consolation de cœur, elle visita, quelques heures avant leur mort, les
saints martyrs Père Jean Roberts, moine bénédictin, et Thomas Somers, prêtre
séculier. Elle les avait vus souvent les jours précédents et leur avait envoyé
des tartes aux poires faites à la manière espagnole. Ils étaient confinés dans
une affreuse cellule sans air ni lumière. Pendant un emprisonnement de 8 à 10
mois, le bienheureux Père Roberts, s'était préparé à la mort avec un
redoublement de dévotion et de tranquillité d'âme. Il avait été plusieurs fois
incarcéré auparavant, mais jamais sous le coup d'une sentence capitale. Peu de
jours avant qu'il fut conduit au tribunal, quelques-uns de ses compagnons de
captivité pratiquèrent une ouverture dans le mur, par laquelle ils
s'échappèrent, mais il ne voulut pas profiter de cette occasion, pensant que le
pasteur devait a son troupeau l'exemple du courage et de la résignation. Il
montra pendant le temps de son incarcération, l'humilité et la piété la plus
profonde. Après son procès à l'audience, il fut renvoyé en prison, où il trouva
Luisa qui l'attendait.
« Quand on
vint le chercher pour entendre lire sa sentence, il était si faible et épuisé
par une récente maladie, qu'il fut pris de tremblement au point que ses mains
purent à peine boutonner son habit et nouer les cordons de son manteau. « Voyez
comme je tremble », dit-il a Luisa. Elle le pria de se rappeler comment le grand
capitaine lui-même avait tremblé en s'armant pour le combat, et avait dit que sa
chair avait peur de son cœur. Le saint homme sourit et inclina la tête pour la
remercier de ses paroles.
« Revenu du
tribunal, il fut enfermé dans la partie du bâtiment occupée par les voleurs et
les traitres. Afin de ne pas le laisser isolé une seule minute dans un moment
aussi difficile, sa fidèle amie gagna les geôliers et obtint d'arriver jusqu'à
lui. Non contente de ce résultat, elle augmenta les présents jusqu'à ce qu'on
consentît à le transférer, par un passage secret, dans la partie de la prison où
étaient relégués les autres catholiques. Son entrée fut saluée par des
exclamations de joie de la part de tous ceux qui étaient rassemblés dans ce
lieu, parmi lesquels bon nombre d'amis et de connaissances de Luisa étaient
venus prendre congé de lui. Quand on annonça qu'ils allaient, lui et Mr Somers,
mourir pour la foi, Luisa tomba à leurs pieds, les baisa avec la plus grande
ferveur, leur souhaitant de la joie et exprimant] son envie pour leur bonheur. «
Je voudrais, disait-elle dans une lettre à un ami, malgré l'indignité et le
mauvais choix de son représentant, montrer en quelle juste et haute estime la
nation espagnole tient le nom et l'état de martyr, et exciter au plus haut point
le courage de ces âmes héroïques si libres de la moindre teinte de présomption
et de vaine gloire, et même de l'horreur qu'il serait bien naturel de ressentir
à une mort telle que celle décrite par leur sentence. » Ils s'assirent alors
pour souper, vingt prisonniers pour affaires de conscience, vingt confesseurs de
la foi, Luisa présidait au bout de la table. En nulle autre occasion, elle
n'aurait accepté ce poste d'honneur ; mais invitée à s'asseoir entre les deux
martyrs, elle voulut profiter de ce privilège et consentit à prendre cette
place.
Le repas
fut pieux et joyeux, céleste le rafraîchissement fourni aux hôtes, grande la
ferveur et l'allégresse spirituelle que Notre-Seigneur départit à ses vaillants
soldats, leur donnant cette paix qui surpasse toute compréhension. Presque
personne ne songe à manger. Quelques-uns versaient des larmes de joie, à
l'espérance qu'ils avaient en Notre-Seigneur de s'asseoir dans quelques heures à
un banquet divin que Dieu sert lui-même à ses élus. Les autres tenaient fixés
sur eux des yeux pleins d'envie, souhaitant qu'il leur eut été donné de
participer à leur bonheur. Quant à Luisa, son cœur était bien élevé encore
au-dessus de cette scène touchante. Ravie en contemplation, elle voyait en
esprit Notre-Seigneur à la dernière cène, et semblait par instants qu'elle ne
restait qu'en apparence sur cette terre, si tendre, si dévote était l'expression
de son attitude et tant ses paroles débordaient d'une sainte flamme et de
douceur.
Tous les
assistants étaient touchés de l'entendre implorer la bénédiction des martyrs et
les supplier d'obtenir pour elle une fin semblable à la leur. Telle fut sa
prière constante à tous ceux qu'elle vit près de mourir de la même manière. Les
deux saints prêtres se recommandèrent aussi à ses prières, et la chargèrent de
plaider pour eux pendant leurs derniers moments. Au cours de la soirée, le P.
Roberts lui dit : « Ne croyez-vous pas que je puisse mal édifier par mon
excessive gaieté ? Ne vaudrait-il pas mieux me retirer à l'écart et m'adonner à
la prière ? — Non, certainement non, répondit Luisa, vous ne pouvez mieux faire
que de laisser voir à tout le monde avec quel joyeux courage vous allez mourir
pour le Christ. »
[Extrait
de l’ « interrogatoire de Simon Houghton, gardien de Newgate, devant le Révérend
Père en Dieu Monseigneur l'évêque de Londres. »]
« Il dit
qu'une semaine environ avant que fut exécuté Roberts, le moine bénédictin,
l'ambassadeur d'Espagne ou quelqu'un de sa maison a envoyé à Roberts à Newgate
un festin de diverses tartes et d'un grand nombre d'autres douceurs.
« Et la
nuit avant l'exécution dudit Roberts (comme le témoin l'a entendu dire depuis),
il vint à Newgate une grande dame, déguisée comme si elle avait été une femme de
moindre condition ; mais si elle était ou non étrangère, le témoin ne peut
l'assurer. Mais il dit que son domestique Reynolds, qui a la clef du lieu où se
trouvent les prêtres, peut mieux le rapporter.
« Entre
neuf et dix heures du soir, alors que Roberts devait être exécuté le matin, une
certaine Margaret Ashe, et une autre femme plus jeune [Christiana Dame], qui
étaient les blanchisseuses des prêtres de Newgate, lavèrent les pieds dudit
Roberts, et aussitôt après Mr Scotte avec d'autres prêtres et papistes non
conformistes, qui se trouvaient dans la même salle, au nombre de huit au plus,
s'agenouillèrent en présence du témoin et baisèrent les pieds dudit Roberts,
disant certaines paroles latines que le témoin n'a point comprises. Il ajoute en
outre que hier, dimanche, le matin, il vint un espagnol de la maison de
l'ambassadeur pour parler avec un des prisonniers papistes de Newgate, mais qui
c'était et avec qui il voulait parler, le témoin ne peut l'affirmer, mais il dit
que son domestique Reynolds peut le déclarer. »
[Extrait
de l'interrogatoire d'Abraham Reynolds, valet d'Houghton.]
« Le matin
de l'exécution, le témoin vit cinq ou six des prêtres et prisonniers papistes de
Newgate venir près de Roberts, au moment où celui-ci partait pour Tyburn, et se
mettre à genoux devant lui; mais lui, ayant le cœur oppressé, passa sans leur
jeter un regard ; sur quoi ils le tirèrent vivement par sa robe, et lui, agitant
ses mains au-dessus de leurs têtes, les bénit, mais ne dit, rien que le témoin
entendît. »
RÉCITS DE L'EXÉCUTION DES MARTYRS
[Le 10
décembre, raconte le maître d'école protestant]
« J'allai à
cheval à leur rencontre. M. Somers, l'air grave et tranquille, semblait plongé
dans une profonde méditation, car je le fixai attentivement et longtemps, et
parfois je le vis prier doucement ; ses mains étaient en grande partie cachées
et ses doigts entrelacés ; mais il ne parlait à personne et ne semblait ému ni
du monde ni de quoique ce soit sur la route ; il pouvait avoir quarante ans ou
davantage.
« L'autre,
Mr Roberts, l'air très joyeux, souriait presque toujours dès qu'il regardait ou
parlait, car parfois il préférait demeurer les yeux fermés et la tête baissée.
Arrivés à la potence, ils restèrent sur la claie, jusqu'à ce que les seize
autres [condamnés de droit commun] eussent la corde autour du cou, ce qui
dura plus d'une demi-heure. Pendant ce temps, un certain Mr Williams (un
ministre) vint à lui — je me tenais tout près d'eux — et le supplia d'abandonner
pour lors toute controverse et de fixer toutes ses pensées sur ce point capital,
la foi au Christ pour le salut de son âme. Il reçut le conseil d'une façon fort
aimable et répondit que c'était ce qu'il faisait. »
[D'après
le P. Coffin]
« Pendant
le trajet sur la claie de Newgate à Tyburn, une foule de catholiques se porta
vers le cortège ; s'agenouillant publiquement, elle sollicitait la bénédiction
des martyrs. Les gens de l'escorte et la populace ne s'y opposèrent point ; loin
de là, on admirait la constance des condamnés et le zèle empressé de leurs
coreligionnaires. »
[On
permit aux condamnés de s'asseoir sur la claie pendant la demi-heure réclamée
par la pendaison des seize voleurs, ensuite, les exécuteurs voulurent les
traîner sur la claie jusqu'au gibet distant de seize ou dix-huit nards, mais la
foule était si compacte qu'il fallut y renoncer. En conséquence, on détacha les
deux prêtres et ils se rendirent â la potence.]
« Donc
premièrement le P. Jean relevé de claye, et mis sur pied, avec un grave maintien
et bien composé, portant le visage fort content et allègre sans aucune
démonstration de trouble ou de tristesse en l'âme, sa robe endossée, se mit à
marcher en avant, et s'achemina vers l'un des chariots sur lequel étaient montez
et liez au gibet huit des malfaiteurs mentionnés : (les autres huit étaient sur
un autre chariot) sur lequel voulant monter, il n'eut point la force lui seul ;
ainsi fut besoin qu'on lui aidât à se porter jusque là sus, à raison de la
débilité provenue des maladies qui depuis naguères de temps lui étaient
arrivées.
[Challoner
dit qu'il fit alors remarquer qu'il allait être pendu entre des voleurs ; un des
officiers lui rappela que son maître avait été traité de la sorte.]
« Donc à
peine fut-il monté sur le chariot que, à l'instant, il s'adressa aux malfaiteurs
(lesquels à la façon de Genève chantaient des psaumes en vulgaire pour se
disposer à la mort) et leur pria qu'ils désistassent de travailler la poitrine
et la gorge, à cause, disait-il, que vous me faites de la peine, et à vous ne
profite rien qui soit.
« Il
étendit les mains, autant que le permettaient ses, chaînes, pour bénir les
voleurs, et continua : « Nous allons tous mourir, et nous n'avons aucun espoir
d'échapper, pourquoi je vous dis et assure que si vous mourez en la foi et avec
la foi qui publiquement se prêche et enseigne en ce royaume, touts chacun de
vous, sans nul doute, serez éternellement damnez, car sans la foi de la vraie
Eglise qui est la Romaine, il est impossible de plaire à Dieu. Maintenant donc
qu'il vous reste encore un peu de temps pour faire gain de la vie éternelle,
employez-le à votre avantage et convertissez-vous de tout votre cœur à Dieu,
embrassant premièrement la sainte et vraie foi catholique, et demandas pardon de
tous vos méfaits, affin que deveniez membres vifs de l'Eglise, et parties de
ceste vie en l'unité du corps mystique de Jésus-Christ, qui est l'Eglise
catholique, apostolique et romaine, quoi faisant puissiez être sauvez, et rendus
capables après ces deux heures de vie, entrer dans l'éternelle pour tout jamais.
Ce qu'ayant dit il leur donna sa bénédiction ; puis se tournant vers les huit
autres malfaiteurs qui étaient en l'autre chariot, leur usa des mêmes paroles et
remontrances, les bénissant pareillement mêmes étant là présent un ministre
hérétique, lequel ne s'opposa nullement à ses paroles, ni ne lui contredit pas
en un seul mot. »
[D'après
la relation italienne, il demanda à ces voleurs de dire avec lui] : « Je
crois à la sainte Eglise catholique et je désire mourir membre de cette Eglise.
Je me repens et suis triste d'avoir mené une vie si mauvaise et méchante et
d'avoir si gravement offensé mon doux et miséricordieux Sauveur », leur
promettant que s'ils voulaient dire ces paroles sincèrement et du fond du cœur,
il les absoudrait « et alors un à un pour les vôtres ». A ces mots prononcés
avec tant d'amour et d'onction, un de ces pauvres scélérats fut si touché qu'il
éclata en sanglots. Le père l'exhorta spécialement et adressa à Dieu pour lui
une silencieuse prière, se couvrant le visage de la main, ensuite il parla de
nouveau à haute voix. Finalement le pauvre homme confessa publiquement qu'il
mourait catholique. Il n'est pas possible de savoir avec certitude ce qui arriva
après. »
[L'officier
ayant refusé de le laisser parler plus longtemps, il s'agenouilla, fit le signe
de la croix sur la potence et la baisa. L'exécuteur lui enleva sa robe. Pendant
ce temps le martyr demanda au shérif s'il pouvait parler au peuple.]
« Oui, M.
Robert, vous pouvez parler. »
[Mais sa
faiblesse était si grande qu'il n'eût pu se faire entendre ; le shérif lui
permit de boire un verre d'eau-de-vie qui lui fut présenté par un catholique.
Alors il demanda la parole et commença son discours ; mais il fut interrompu par
le ministre et quelques-uns des voleurs qui recommençaient à chanter les psaumes
de Genève. Il les pria de cesser et dit au shérif] : « Par politesse,
Monsieur, rappelez-vous que je ne puis être entendu à cause de ce chant. » Le
shérif commanda silence, et le P. Roberts commença :
Audite,
coeli quæ loquor, audiat terra verba oris mei. Ce qu'ayant traduit en
anglais, disant : « Mes honorables, respectables et très chers amis », et
commençant à poursuivre, il fut de nouveau interrompu par le susdit grossier
fonctionnaire, dont l'insolence fut si grande, qu'il se vit publiquement repris
et blâmé par plusieurs gentilshommes de grande condition qui tous protestèrent
contre sa barbare grossièreté.
« Le Père
alors bénit la foule et continua au milieu d'un grand silence : « Messieurs les
nobles ici présents, et vous tous autres qui avec moi jouissez de l'honneur et
de l'heur d'avoir ce royaume d'Angleterre pour lieu de naissance et douce
patrie, plaise vous entendre, que je suis ici maintenant prêtre à subir la mort
à laquelle on m'a condamné, pour non autre cause que, prêtre que je suis, je
dois mourir. Ceci a été fait et déclaré (si je ne me trompe) pour crime de lèse
majesté, l'an 28 du règne de la Reine Elisabeth. Je n'ay pas commis d'autre
crime que celui-ci ; par où il appert que je meurs pour la querelle de la
religion, religion, dis-je, qui est la même que celle qui fut ici premièrement
apportée de Rome par saint Augustin, apôtre de l'Angleterre, lorsque venant en
ces quartiers, envoyé par saint Grégoire le Grand, pape, l'an 596, il retira
ceste nation de l'infidélité et idolâtrie, et la convertit à la foi chrétienne
et connaissance du vrai Dieu vivant. Il y a grand ressemblance en nos intentions
et actions. Il était moine et religieux de l'ordre Saint-Benoît. Je le suis
pareillement. Il a converti les âmes de l'erreur du paganisme et idolâtrie, et
moi je les ai retirés de l'hérésie. Il a été ici envoyé par saint Grégoire,
pape, vicaire de Jésus-Christ et successeur de saint Pierre. Et moi par le même,
non en personne, mais en office et succession. Tout ceci je l'ay protesté,
déclaré et affirmé en pleine halle et devant tout le Sénat et le peuple y
assistant : C'est pour ces causes que je suis été fait criminel et conséquemment
condamné à mort, et la même je le répète et le confirme présentement devant vous
tous en ce lieu où je dois perdre la vie. » Ayant dit ces paroles, voilà qu'on
amena à pied l'autre prêtre a savoir M. Wilsonus, au même chariot; auquel Jean
d'un portement et visage joyeux alla au devant et présenta la main pour lui
aider à plus aisément monter, disant : « Venez ça, Monsieur, venez et soyez le
bien venu, confrère et compagnon du même honneur de triomphe. » Puis étant
sortis et approchez avec de grandes et affectueuses accolades, embrassements et
bénédictions, témoignèrent l'un à l'autre et firent voir aux spectateurs leur
mutuelle charité et dilection, pleine de vraie piété, de là leur fut permis
quelque peu de loisir pour s'entre parler secrètement. Après quoi, les bourreaux
désirant exécuter leur charge, s'adressèrent à P. Jean, lequel ils lièrent de
telle sorte qu'il convenait, pour lui donner le dernier supplice, puis firent de
mêmes à M. Wilsonus. Pendant cela P. Jean porte ses yeux sur l'assemblée et la
regarde attentivement, choisissant entre eux, et saluant par œillades ceux qu'il
y connaissait, auxquels et à tous autres qui le saluaient rendait les mêmes
salutations, et les bénissait affectueusement. Pour le dernier il fit une
succincte et esthétique prédication au peuple, en laquelle il leur exposa ces
paroles : Memorare novissima tua et in æternum non peccabis, et ces autres :
Omnes nos manifestari oportet ante tribunal Christi. Laquelle achevée il se tint
un peu quoi et de repos, come reprenant haleine, puis il s'écria à haute et
claire voix, disant : Extra Ecclesiam, nulla salus
[et il répéta de nouveau ces mots en anglais,
s'efforçant de les dire d'une voix très forte, criant à haute voix : « Hors de
la vraie Eglise il n'y a pas de salut. Un Dieu, une foi, sans cette foi il est
impossible plaire Dieu].
« Pour
lesquelles paroles, un des sergents lui fit la réprimande, alléguant qu'il ne
lui était pas permis de dire de telles choses au peuple. Mais un autre sergent
s'opposa à celui-ci en disant : « Je n'entends rien de malséant de sa bouche, il
n'y a 'que reprendre en ces mots, à la mienne volonté qu'il n'eut jamais plus
mal parlé qu'à ceste fois. » En faveur du P. Jean ajouta aussi Monsieur le
Vicomte (= le Shérif). « Si long temps qu'il n'avance nuls propos en
préjudice du Roy, notre Sire, on ne lui peut défendre de parler. » Le premier
sergent qui avait ainsi tancé le P. Jean, ne se savait contenter, ainsi répliqua
: « Qu'on ne lui devait point permettre d'ainsi gagner et captiver le peuple par
telles paroles et prédications si bien dressées, auquel père Jean pour sa
défense dit aussi : « Je ne débouche rien contre le roi, notre Sire, ainsi au
contraire, je prie très humblement Dieu le Créateur qu'il le veuille tenir.,
ensemble avec la Reine, le prince, Messieurs leurs enfants, son honorable sénat,
et très prudent Conseil, joint touts les fidèles vassaux et obéissants sujets,
car ce n'est pas le Roy qui nous ôte la vie, non ce n'est pas lui, parce
qu'étant un prince très clément il ne répand pas le sang de ses sujets, pour
lesquels il voudrait répandre le sien propre, mais c'est la très cruelle bête,
l'hérésie. Bête, dis-je, qui est cause de tous les maux que nous endurons, c'est
elle qui nous les a produit, et rien autre que l'hérésie en est la cause. »
Ayant dit ceci, il donna aux siens le dernier et très-joyeux à Dieu, leur
laissant aussi la bénédiction ; puis il se porta les mains jusques contre ses
yeux pour un petit se recueillir en soi-même, et vaquer à la contemplation du
Seigneur Dieu, duquel il attendait en bref la bienheureuse vision, n'y ayant que
la muraille du corps empêchant ceste félicité, qui tout a l'heure devait être
démolie par cette mort imminente. Cependant on équipa M. Wilsonus, ce qu'étant
fait, les bourreaux disent au P. Jean, que son compagnon était déjà préparé.
Quoi entendant, retira ses mains de devant ses yeux, et regardant le feu déjà
allumé, pour montrer la gaieté de son cœur dit aussi ceste gaye parole : « O que
l'on accommode là un chaud déjeuner » [Here is a hott breakfast towards,
despite the cold weather]. Un des assistants pensant qu'il devait sentir le
froid en demeurant si longtemps avec ses vêtements déliés, lui offrit un bonnet
de nuit pour se couvrir la tête, mais il dit avec un sourire : « Ne vous
inquiétez pas de cela, Monsieur, je n'ai plus peur d'attraper un rhume. »
« M. Somers
(= Wilson), qui avait eu les fers aux mains jusqu'à ce moment, commença
alors à parler, disant d'un air vif et doux : Benedicat vos omnipotens Deus,
Pater et Filius et Spiritus sanctus. Il ajouta : « Le Père Robert vous a dit
les raisons pour lesquelles nous allons subir la mort, il ne faut donc pas que
je répète deux fois la même chose. Je n'ai pas refusé de prêter le serment,
parce que je refusais quelque espèce d'allégeance que Sa Majesté la reine fût en
droit de demander de moi. J'ai refusé en raison des matières de foi incluses
dans ce serment, et c'est là pourquoi il a été défendu par Sa Sainteté le Pape,
auquel nous tous, qui sommes les brebis du Christ, sommes tenus d'obéir en
matière de foi. Je vous prie donc tous et vous exhorte à être obéissants au
suprême pasteur de l'Eglise de Dieu. » Il conclut par les mêmes mots que le P.
Roberts : Hors de l'Eglise catholique, il n'y a pas de salut ; hors de
l'arche de Noé, personne ne fut sauvé.
« A la fin,
le P. Roberts se tourna vers le peuple et le pria de le dispenser de parler
encore, les forces lui manquant, mais demanda à ceux qui étoilent catholiques de
prier pour lui ; se tournant ensuite l'un vers l'autre les deux martyrs
s'embrassèrent et se bénirent, et put parlèrent quelques instants à voix basse,
jusqu'à ce qu'il leur fut dit que le moment de mourir était arrivé.
« Tous deux
ensemble, une fois de plus, aussi bien qu'ils le purent bénirent de nouveau le
peuple, et tandis qu'ils attendaient avec grande constance et calme qu'on fit
avancer la charrette, ils échangèrent les propos suivants. Le père Roberts dit :
Omnes sancti et sanctae Dei, intercedite pro nobis, et M. Somers dit : In
manas tuas, Domine, commendo spiritum meum, quand tout à coup les deux
charrettes furent retirées au même moment, et les deux martyrs au milieu des
seize criminels demeurèrent suspendus, et rendirent tranquillement leurs âmes
entre les mains des saints anges.
« Et ainsi
ces deux braves champions, adroits cavaliers, prompts coureurs, et très forts
lutteurs en ceste querelle de la foi catholique, joints l'un à l'autre, côte à
côte, le chariot sur lequel ils étaient passant outre, avec grande constance,
invincible courage et persévérante magnanimité, à la consolation et édification
des spectateurs et de ceux qui le devraient entendre, demeurant attachez à la
potence, ont offert, rendu et sacrifié leurs corps et âmes comme saintes,
impollués et très suaves hosties au Roi des martyrs Notre Seigneur Jésus-Christ,
large rémunération des travaux et angoisses des Martyrs. Sortez donc .a la bonne
heure, o nobles âmes, la porte de votre prison est ouverte : entrez en liberté,
votre esclavage est fini ; recevez la vie, vous avez surmonté la mort :
plongez-vous en ce vaste océan de la félicité éternelle, à laquelle Dieu le Père
qui vous créa, Jésus-Christ qui vous racheta et le Saint-Esprit qui en vous fut
répandu, vous appelle en compagnie de l’impératrice des cieux la Vierge Marie,
qu'avez, toujours servie et prêchée, et des saints anges, patriarches,
prophètes, glorieux apôtres, martyrs, confesseurs, vierges et tous saints et
saintes auxquels vous avez été incorporez en l'Eglise, ça bas militante.
Maintenant vous serez enrôlés et comptés en la triomphante, faites nous
participants de vos mérites et intercessions, afin que parvenions heureusement à
votre très désirable compagnie par touts les siècles.
« Ores pour
passer outre, leurs corps ainsi pendants, on leur usa d'une courtoisie non
accoutumée à l'endroit des prêtres justiciés pour ces sujets, c'est qu'on les y
laissa tant que de tout ils fussent morts et expirez, là où on a coutume de les
faire tomber à terre tranchant la corde étant encore a demi vifs. Puis, on les a
tiré de la potence, et les bourreaux les déshabillant, leur ont a l'ordinaire
taillé les génitoires et ouvert la poitrine d'ou tirant toutes les entrailles,
en choisirent les cœurs, lesquels aussi (selon la coutume) ils montrèrent au
peuple, disant ces paroles : « Voilà les cœurs des traîtres. » Et comme ainsi
soit que d'ordinaire à ces paroles et ostension des cœurs le peuple crie et
répond a haute voix : « Vive le Roi », pas un de toute la multitude n’a été ouï
ni entendu le prononcer. »
[Il
était presque une heure de l'après-midi quand on coupa la corde et on descendit
les corps des martyrs dont les têtes furent coupées pour être exposées sur le
pont de Londres. Les cadavres furent enfouis dans une fosse à cent pas de la
potence, le long de la route. On entassa par dessus les membres découpés des
martyrs les corps des seize criminels. Dans la nuit du 12 décembre, douze
catholiques conduits par Dom Robert Haddock se rendirent au lieu de la
sépulture, retirèrent les cadavres décomposés des seize misérables et enlevèrent
alors les restes mutilés des saints. La voilure destinée à les contenir
stationnait à quelque distance. Chacun s'était emparé d'une partie, qui d'une
main, qui d'une jambe, et se rendait à la voiture. Malheureusement deux d'entre
les frères tombèrent aux mains des veilleurs de nuit qui les interpellèrent.
L'un des deux pris de terreur s'enfuit et laissa tomber la jambe et la cuisse du
père Roberts. L'autre fut pris et conduit â Newgate. On ne put rien tirer de
lui. Le membre ainsi perdu fut exposé à Newgate et ensuite enterré à
Saint-Sauveur de Southwark. Le reste des reliques était arrivé chez dopa Luisa
di Carjaval qui les attendait avec d'autres femmes pieuses. On lava et on
embauma ces dépouilles glorieuses qui furent distribuées comme des trophées.]
|