John Roberts

LE MARTYRE DE JOHN ROBERTS,
moine bénédiction,
à Tyburn, le 10 décembre 1610.

Le vénérable John Roberts fut le premier moine profès de l'Ordre de Saint-Benoît qui souffrit en Angleterre depuis la rechute de ce pays dans l'hérésie sous Elisabeth. Sous Henri VIII, trois abbés mitrés, Richard Whiting, de Glastonbury, Hugh Cook, de Reading, John Beche de Colchester et plusieurs moines avaient souffert le martyre; John Roberts devait renouer la tradition.

John Roberts naquit dans le Merionethshire, au pays de Galles, sous le règne d'Elisabeth, l'an 1576, de famille noble, mais tombée dans le protestantisme. Tout ce qui a trait à cette période de la vie de J. Roberts est resté longtemps obscur; c'est à Dom Bède Camm, O. S. B., qu'on doit les traits définitifs. John Roberts fit son abjuration à Paris et se rendit au collège Saint-Alban de Valladolid, où il arriva le 15 septembre 1588. Au mois de mai 1599, il reçut l'habit bénédictin à Compostelle et fit profession dans les derniers mois de l'année 1600. Rentré peu de temps après en Angleterre, il s'y livra à l'apostolat et fut arrêté dans la maison de Mrs Percy, la femme de ce misérable Thomas Perey dont le rôle dans la conspiration des Poudres nous est assez connu. John Roberts fut arrêté, comme il était sur le point de célébrer la messe, et emmené à la prison de Gatehouse, dans l'enceinte de l'abbaye de Westminster, près de l'extrémité ouest de l'église abbatiale, là où se trouve à présent la cour du dean. Exilé d'Angleterre à la suite de la découverte de la conspiration des Poudres, Roberts revint sur le continent et passa successivement à Douai, à Pau, à Valladolid, à Salamanque, à Saint-Jacques en Galice. Rentré en Angleterre à l'automne de 1607, il fut saisi le 17 décembre et interrogé le 21. Après un séjour d'un mois environ, il s'évada de la prison par la fenêtre de sa cellule, mais fut réduit à se cacher. De nouvelles pérégrinations sur le continent et un retour en Angleterre occupent ces dernières années. Il achevait de célébrer la messe le 2 décembre 1610, devant cinq autres prêtres, lorsqu'on les arrêta. J. Roberts fut mis en prison encore revêtu des ornements sacerdotaux, à Newgate. Le 5 décembre il comparut au, jugement avec M. Thomas Somers (ou Wilson), prêtre séculier,

*****

RELATION PAR LE VÉNÉRABLE JOHN ROBERTS.

[Mercredi 5 décembre 1610, à Newgate, comparurent John Roberts O. S. B., et Thomas Somers, devant Mylord Abbot, évêque de Londres ; Coke, Lord Chief Justice, les assesseurs et officiers royaux.]

 

M. Somers fut d'abord sommé de prêter le serment de fidélité. Il répliqua brièvement, mais fermement, qu'il ne prêterait point le serinent dans la forme exigée par le livre des statuts. Alors l'évêque se leva, ayant à la main une liasse de papiers contenant les pièces du procès de plusieurs catholiques, et notamment celles relatives au P. Jean, qu'on appelait communément du nom de Roberts.

— M. Roberts, dit-il, vous savez combien de fois vous avez comparu devant moi, quels tracas vous m'avez causés et quels égards j'ai eus pour vous, à seule fin. que vous devinssiez un loyal sujet de Sa Majesté le Roi qui vous a montré tant d'indulgence. Plusieurs fois, jusqu'ici, bien que pris et repris en maintes occasions, vous n'avez été condamné qu'à l'exil. Et, aujourd'hui encore, en dépit de votre mépris pour les lois et ordonnances, malgré votre retour qui offense expressément son commandement et sa volonté, aujourd'hui encore, dis-je, le Roi daigne éprouver à nouveau la loyauté de vos sentiments à son égard, en vous accordant votre grâce. J'ai donc la mission de vous proposer le serment de fidélité dans la forme expressément consacrée par les deux Chambres du Parlement, à l'effet de s'assurer de la loyale obéissance des prêtres et papistes récusants, sujets de Sa Majesté... Eh bien, Monsieur Roberts, êtes-vous disposé à prêter le serment ?

— Monsieur, vous savez fort bien ce que je pense de ce serment : je vous ai déjà fait part de mes sentiments à ce sujet. Jamais je n'ai refusé, ni ne refuserai un serment ide fidélité qui soit véritablement quelque chose de tel ; mais le serment en question contient tout autre chose. J'ai offert de vous le prouver et de mettre en lumière les joints qui touchent la foi. Ces articles écartés, j'étais prêt jadis et je le suis encore à étendre mon serinent à tout ce qui concerne uniquement la fidélité à mon roi. Votre Seigneurie me promit jadis une audience à ce sujet; mais jusqu'à ce jour j'ai attendu en vain. Je réitère donc présentement mon humble requête, à cette fin que la Cour daigne m'entendre.

— Non, non, Monsieur Roberts, il ne convient pas de discuter davantage ce qu'ont légalement décrété et établi les deux Chambres du Parlement ; bien plus, il n'est pas en mon pouvoir de donner suite à votre vœu, en présence de la volonté des Chambres qui est sans appel. Répondez donc simplement: voulez-vous prêter ou refuser le serment?

— Je ne le prêterai qu'en maintenant toutes mes ré-[serves.

— Bien; à nous donc de changer nos procédés à votre égard.

— Au nom du Seigneur, faites ce qui vous plaît.

[Le greffier insista à son tour et obtint du P. Roberts les mêmes réponses. La cause instruite, le jury fut désigné et convoqué. Lecture faite de l'acte d'accusation.]

« Alors le premier ou bien souverain juge lui demanda s'il niait qu'il fut prêtre ; auquel P. Jean dit : Monsieur, comme ainsi soit que ceste demande, à mon avis, implique en soi actions d'accusateur et de juge, lesquelles ne peuvent en bonne droiture et justice être exercées que par deux distinctes personnes, je vous supplie me dire si vous estes mon accusateur ou mon juge ? Certes puisque vous este juge, il me semble impertinent que fassiez office d'accusateur, comme il appert que faites par votre demande. A ces paroles, le pseudo-évêque de Londres là présent, trouva du sujet de s'aigrir et ainsi s'en ressentant aucunement, lui dit : pour ma part, je me fais fort de prouver clairement que soyez prêtre. Auquel P. Jean répondit : Monsieur, ce serait chose à votre personne et qualité plus convenable, de servir et présider en votre chapitre et synode, aux fins de redresser et reformer les mœurs et abus de vos ministres, que de vous trouver en ces halles et assemblées où il s'agit de la cause du sang. Les évêques du passé vos devanciers et prédécesseurs n'avaient pas l’habitude d'assister à telles affaires, ni de mêler aux actions de ces tribunaux ; non les évesques catholiques ne doivent ni peuvent par les saints canons ecclésiastiques se brouiller ou souiller aux causes sanglantes et de mort. — De ces propos on vint à lire publiquement certains interrogatoires et enquêtes faites auparavant et délicates à vérifier contre lui qu'il était prêtre: auxquelles il s'est employé de répondre tant et si longuement, qu'il se trouva comme en défaillance de cœur et sentit grande débilité parmi tout son corps. Raison pourquoi, considérant que c'était travailler en vain que de vouloir se garantir de l'imposition de prêtrise, affin de vider brièvement ce procès et venir au nœud de la cause, il demanda à messieurs, que c'était qu'ils prétendaient de prouver et vérifier contre lui, et eux répondants, leur dessein être de savoir et montrer par bonnes preuves qu'il était prêtre, dit aussi : Messieurs, puisque c'est cela que vous avez en volonté de savoir et avérer contre moi, saches, que sans palliation ni fiction, je suis, je me confesse, je me déclare ici publiquement devant vos seigneuries et toute l'assemblée, pour être catholique de la Sainte Eglise Romaine, et moine de l'Ordre de saint Benoist, duquel Ordre aussi était religieux et professeur ce miroir de piété saint Augustin avec saint Mellite et leurs compagnons, qui furent les premiers conquérants de ceste Isle à la couronne et diadème du Roi éternel Jésus-Christ, lesquels comme autant de Prométées apportèrent en ce Royaume ce feu céleste de la connaissance, foi et amour de Dieu vivant, non dérobé, mais reçu en don du grand pontife saint Grégoire, pour en éclairer les ténèbres et échauffer les âmes de nos devanciers, par où ils ont acquis avec mérite le nom des premiers apôtres de ces contrées saxonnes. Je fais profession de ma même façon qu'eux ont mené. Je suis ici venu, envoie par la même autorité qui les y adressât, savoir est l'apostolique du Vicaire de Jésus-Christ, successeur de saint Pierre : nos buts et desseins sont autant justes, saints et raisonnables, les uns que les autres, puisqu'ils tendent au salut des Regnicoles pour la gloire du Très Haut. »

Ici on commanda au P. Jean de se taire, ce néant-moins il ajouta : « et je vous veux faire entendre la teneur de mon Bref et commission en vertu de quoi je me suis avancé jusque à ces rives de ma douce patrie, puis prononçant à voix ferme, non branlante, le passage de saint Mathieu, dit, c'est Euntes, docete omnes gentes, baptizantes eos et docentes eos servare omnia quæcumque mandavi vobis : par où nous est ordonné de faire savoir aux hommes les commandements de Dieu et leur administrer les saints sacrements de Baptême, Pénitence, Eucharistie, Extrême-onction, et autres. Ce que les ministres de par de çà ne font qu'à leur poste ou point du tout. De ce pas en ayant lui coupé le fil de son discours, et l'on lui objecta que du passé il avait été pris en la maison du sieur Persins, complice au crime de l'attentat sur le roi et ses états, par le moyen de la poudre à canon : mais il se démêla promptement de ce blâme, répondant, que de ce soupçon il en avait été absous et déclaré innocent par la sentence du conseil de Sa Majesté, point que s'il eut été lors trouvé coupable de telle intention, il ne resterait pas maintenant en vie, et ne serait présentement empêché de répondre pour soi en ce parquet.

Nonobstant tout cela le Pseudo Evêque de Londres, laissant ceste poursuite, pressait et insistait, qu'au moins, lui Prêtre comme il était, avait osé retourné en Angleterre, contre l'Édit de la reine Elisabeth et par ainsi demeurait atteint du crime de Sa Majesté. A quoi le P. Jean repartit : si selon votre dire, sieur évêque, être Prêtre est un crime de lèse Majesté, ou bien un signe et indice irréparable de perfide et de traître, certainement et notre Seigneur Jésus-Christ, et ses saints Apôtres étaient perfides, déloyaux et traitres; si que si on les présentait à votre parquet, d'assurance, ils seraient de vous sentenciés et condamnés à la mort. Le peuple là présent oyant ces paroles tant bien fondées et prononcées commença de murmurer et s'entre parler, avec démonstration de je ne sais quelle apparence d'incliner au party du P. Jean, dont lui fit défendre de ne plus rien dire. Ainsi finalement le magistrat lui chargea et mit sus qu'il était retourné en Angleterre, non pour autre fin que de retirer les sujets de l'obéissance du Roy, et les aliéner de sa fidélité d'affection. Auquel P. Jean répondit : il y a de l'abus en votre dire, Messieurs, je ne suis pas retourné en ce royaume pour les fins que vous m'imposez à crédit, ce n'a pas été pour divertir les sujets de l'obéissance et affection leur roi et légitime prince, non certes, mais tout seulement pour les ramener de la perfide hérésie en l'infection de laquelle ils vivent et croupissent à la sincère foi catholique, seule voie et nacelle qui les peut conduire et porter au salut éternel. Et tant s'en faut que je veuille faire secouer le joug de l'obéissance et subjection aux vassaux de Sa Majesté, que mêmes au contraire j'ay toujours prêché, témoigné et enseigné comme encore présentement je fais, à touts les sujets qu'ils sont tenus en conscience de rendre pleine obéissance au Roy, en tout ce qui n'est pas contre Dieu et le salut de l'âme. Ce qui est bien contraire à ce que prêchent les perfides hérétiques Luther et Calvin avec leurs adhérents. Il ne lui fut pas permis de s'élargir d'avantage sur ce propos, parce que le Pseudo-Évêque passa outre à lire certaines lettres de la conformité, en vertu desquelles P. Jean avait admis la femme du Seigneur Genesonnes (Jenison) et quelques autres à la participation de certaines indulgences concédées à son Ordre, lesquelles ayant achevé de lire, il avisa le Magistrat avec beaucoup de poids et emphase, qu'il était nécessaire de se donner garde bien soigneuse du P. Jean, comme d'un homme fort pernicieux et dommageable à l'état commun et particulier du Royaume, en tant qu'il était Supérieur des moines de St-Benoist en Angleterre, et y administrait le Sacrement des Ordres. Sur quoi P. Jean prenant la parole dit, qu'en ces lettres, il n'avait rien qui ne fut totalement conforme aux écrits des Docteurs, décrets des Souverains Pontifes et autorité des sacrez Conciles, se faisant fort et offrant de le prouver, s'ils en avaient la volonté : mais quant aux Ordres, qu'il ne les avait jamais conféré à personne, ni aussi n'en tenait-il le pouvoir n'étant pas Évêque. Pareillement il n'avait jamais été Supérieur des Moines de St-Benoist qui sont en Angleterre.

Après toutes ces allégations et réponses de part et de l'autre, le magistrat donna ordre que le tout fut commis entre les mains des douze Juges, affin de visiter et examiner pleinement le procès de P. Jean, et que suivant la coutume, ayant bien pesé et confronté les raisons de part et de l'autre tant favorables que préjudiciables, suivant leurs voix et suffrages ouïes et entendues, on donna le dernier arrêt et sentence d'absolution ou condamnation de vie ou de mort. Ceux-ci donc, assez versez en ce métier, visitent et considèrent les choses alléguées et prouvées, ce cas intenté et la Loi prétendue violée et qu'en résolvent-ils ? Quelle est leur opinion, sembler est avis ? Ah I pauvre P. Jean, que pensez-vous qu'ils définiront de votre fait, votre vie et votre mort sont en leur bouche. Mais vous ne refusez pas de mourir pour la gloire de Dieu, si bien que vous désirez de vivre pour le salut des aines de vos chers paysans. Il ne nous fâche donc pas beaucoup l'esprit de savoir ce qu'ils arrêteront, moyennant que la volonté de notre Seigneur s'accomplisse en vous, les retours et entrées vôtres tant de fois réitérées en ce pays, ont toujours été accompagnez de ceste résolution et expectation de la mort et supplice, pareil a celui de tant d'autres qui vous ont devancé, en sorte que tibi vivere Christus et mori lucrum. Cupio dissolvi et esse cum Christo. Jésus-Christ est votre vie et le mourir vous le réputez à gain et profit, votre désir est d'être délié de ce corps et être avec Jésus-Christ. Ecoutez donc, âme résolue, cœur non effroyable, esprit indomptable, écoutez ce qu'ont arrêtés ces justes juges, mais par des lois injustes, c'est que : Vu et considéré que vous entant que Prêtre, après avoir été banni de l'Angleterre, y estes jà retourné, contre l'édit de la Reine Elizabeth, estes encouru au crime de lèse Majesté, taxé par ledit édit et ainsi digne de mort. Voila leur avis, ce sont les suffrages par lesquels vous estes choisi, promu et avancé à la palme et couronne de martyr. O joyeuse nouvelle, arrêt longtemps désiré, heure tant de fois souhaitée, retournez maintenant en votre prison et chantez louanges et actions de grâces à Dieu le créateur, qui vous fait digne de pâtir contumélie, et subir la mort pour le nom et la querelle de Jésus, à la façon des Apôtres.

Donc ces douze Juges, ayant par ensemble examiné le tout, disent qu'il leur semble qu'il est coupable du crime de lèse Majesté et qu'il a mérité la mort. Ceste opinion et avis étant rendu, l'on renvoyé P. Jean de devant messieurs en la prison, qu'on dit communément Salle de justice, de la quelle il avait été amené, pour y demeurer jusques a ce que le 8 Décembre, on le représentât encore devant messieurs pour recevoir la dernière sentence de mort.

Forme du jugement et sentence de mort prononcée contre P. Jean de Mervinia et Monsieur Wilsonus.

Ores arrivé que fut le 8 jour de Décembre 1610, jour sacré à la conception de l'immaculée toujours Vierge Marie, sur le soir environ les quatre ou cinq heures, le juge souverain fit venir de la prison par devant soi et le Magistrat le P. Jean de Mervinia avec Monsieur Wilsonus Prêtre, pour recevoir la dernière sentence de mort. Par quoi étant entrez en présence de Messieurs, ledit juge leur dit : Mes amis, vous estes ici pour entendre la sentence de mort qui se doit rendre contre vous aujourd'hui, suivant les interrogations, allégations et enquêtes faites touchant les causes de votre emprisonnement et crimes à vous imputés, en quoi comme l'on a jusques à maintenant procédé avec toute les décors et habituelles solennités requises par le droit et justice, aussi faut-il que, restant seulement a prononcer l'arrêt et sentence de mort, nous vous donnions encore une fois lieu de défende. Ainsi l'on vous ordonne qu'aies à alléguer présentement ce pourquoi il vous pourrait sembler que ne dussiez être condamnés à mort, puisque selon les voix et avis des douze Juges, conformément aux lois, estes trouvez et déclarez est encouru au crime de lèse Majesté, par la transgression de l'édit. sus allégué. Soudainement âpres ces paroles, le P. Jean requit audience de Messieurs, et le sergent ayant crié et imposé silence au peuple, s'assurant en la promesse de notre Seigneur que ni la bouche ni la parole lui ferait faute ente besoin, harangua en ceste sorte :

Mes très honorés Seigneurs, très aimés paysans ici présents, je vous supplie de me tant obliger en votre endroit, que d'entendre le peu de satisfaction que je veux donner pour moi, en ce qui m'est présentement imposé et mis en avant. Si la mémoire m'est fidèle, au tarif que je peux remarquer et comprendre de tout ce qui m'a été proposé, demandé, imposé et allégué, je suis condamné coupable de crime de lèse-majesté, par ce que je suis prouvé et avéré être prêtre et moine de l'ordre St-Benoist, ce n'est que pour ce point et article : au reste des plaintes et dépositions contre moi, j'y ai satisfait pleinement et montré que j'en suis hors de cause et innocent. Donc pour le point de prêtrise, je dis, qu'il est vrai que je suis prêtre, jamais je ne me désavouerai prêtre, ni non plus nierai que je suis moine, mais quant est de la trahison et révolte, tant contre le Roy comme contre son très sage Conseil, j'appelle Dieu le Créateur en témoin, que j'en suis totalement pur, net et innocent. La fin de ma venue en ce Royaume n'est autre que pour retirer mes chers compatriotes, à mon possible, de l'erreur des hérésies : je n'y commis que ce seul crime, si c'est un crime. Je me persuade que personne ne me réputera traître ni rebelle, pour avoir, désiré leur salut : messieurs ne prétendent prouver autre chose contre moi que ceste trahison et rébellion, et je crois que chacun de vous a assez clairement entendu comme j ay démontré que la prêtrise et Religion son autant différentes et éloignés de la trahison et révolte, que sont distants les cieux de la terre, vu que celles-là sont très-amies et alliées de la vraie fidélité et loyauté, la où celles-ci en sont ennemies et conjurées adversaires. Toutefois si tant est que ce de quoi on m’accuse faussement était vrai, savoir que je suis traître et rebelle au roi ; si est ce que tout cela, en tant que prêtre je ne devais être tiré par devant les juges séculiers et beaucoup moins les hérétiques et déserteurs de l'antique religion, selon laquelle les prêtres ont leurs juges à part, ce que, me voici près de vous prouver par l'autorité des sacrés conciles (quelques uns desquels vous recevez) et par les décrets des souverains pontifes par ou, monsieur le Juge, il appert que c'est contre l'ordre de justice, de tirer les prêtres aux pairs séculiers, avant _ que par l'autorité de l'Eglise étant dévêtus (autant que faire se peut) de tous privilèges et dignités concernant leur état, ils soient livrés entre les mains de la puissance séculière, ce qui n'a pas été observé en mon endroit, a raison de quoi je ne peux voir, comme puissiez sauve la justice et l'équité, prononcer sentence de mort contre nous. Le juge méprisant et ne faisant état de ces raisons et défenses dit : « Seigneur Jean, n'axes vous pas autre chose à alléguer pour votre défense ? » A quoi Jean répondit : « ce que j'ay allégué suffise pour maintenant. » Alors le juge dit : « Dieu veuille avoir pitié de vous deux. » Et incontinent dégorgea plusieurs injures et calomnies contre eux deux, particulièrement contre père Jean, faisant entendre aux assistants, qu'il était homme fort dommageable et pernicieux à l'état du Royaume, usant de reproche, qu'il avait reçu beaucoup de grâce et courtoisies du Roy, ayant été plusieurs fois banni, changeant (la vie sauve) sa mort en exil, rompu les prisons, mêmes suspecté d'avoir été de la faction des mines de poudre à canon, finalement qu'il s'était employé à séduire plusieurs des sujets du Roy, les rendant papistes et aliénant de l'obéissance de sa Majesté, ajoutant que plusieurs de ces larrons et voleurs là présents (qui avec lui avoient été condamnez à mort) n'avoient que fort peu ou rien mes-fait, en comparaison du P. Jean ou ses compagnons, entant que (ce disait-il), ces pauvres infortunés, contraints peut-être par la nécessité, n'avoient que dérobé l'autrui et pris l'argent des personnes pour soulager leur disette et subvenir à leurs besoins, mais ces prêtres ici, non seulement ils attirent le monde à se ranger de leur party et pernicieuse religion de papistes, ainsi aussi ils ôtent et ravissent au Roi les cœurs de ses vassaux et sujets. Tout durant ces discours du Juge, le peuple se retint de parler, montrant toutefois être touché de compassion pour le désastre de ces deux prêtres ! en sorte mêmes qu'aucuns de l'assemblée furent tellement émus de pitié qu'ils osaient dire, être chose assez dure et misérable qu'on fit mourir des hommes de telles qualités. Or le P. Jean avait cependant réfléchi en lui-même ce qu'il devait repartir à tant de calomnies du Juge et ce qu'il les allait pour l'une après l'autre, mais il n'eut pas le loisir, d'autant que le Juge incontinent, comme il est de coutume, prononça la sentence de mort. Laquelle entendue, soudainement P. Jean arraisonna le peuple en ces termes : «Mes très-aimés compatriotes, me voilà condamné à mourir, et par la grâce du Seigneur Dieu je n'en suis pas pourtant éperdu ni transporté de tristesse, ou évanoui de la trop grande appréhension de la mort, qui est désirée et attendue de mes semblables qui viennent en ce Royaume pour s'embesogner au salut des âmes, s'assurant bien qu'a la fin parmi tant de soigneuses recherches, et au milieu de tant d'yeux et surveillants, il doit une fois arriver qu'ils seront découverts, en somme le hasard ne nous est ouïe, car nous l'avons prévu de Loing, et le tenons pour assuré et non seulement nous est-il incertain en son heure et son jour ! Du reste pour maintenant je ne prétends vous détenir par beaucoup de propos, ni veux me purger des crimes à moi imposez, car je l'ay déjà suffisamment et pleinement effectué, comme vous avez peu entendre bien amplement, et ainsi laissant en arrière toute répétition des preuves de mon innocence qui seraient inutiles pour le présent, vu que l'arrêt est prononcé, seulement affin que connaissiez mon cœur et zèle en votre endroit : je prie du plus profond de mes entrailles Dieu le Créateur Père de miséricorde, père de notre Seigneur Jésus-Christ, pour la querelle duquel je meurs, qu'il vous veuille tous bénir, et à moi donner la grâce de patiemment et constamment subir la mort décrétée et de mesure, monsieur le Juge, qui axés prononcé contre nous ceste inique sentence de mort, je le vous pardonne de bon cœur : priant de surplus qu'il plaise au Seigneur Dieu faire miséricorde à tous ceux qu’ en quelque façon se sont rencontrez au fait de ma condamnation, mais sur tout je le supplie, qu'il daigne combler de bénédictions le très clément Roy notre sire, la Reine et le prince et messieurs leurs enfants, leur donnant santé, prospérité, et grâce de craindre, aimer, servir dignement sa divine majesté. Sys longtemps que l'âme donnera vie à mon corps je ne cesserai de prier Dieu pour eux, et pour la conversion de retour de vous tous à l'unité de l'Eglise et sincérité de la sainte foi catholique. Ce que je pourrai après ma mort faire avec plus de loisir et d'efficace ! Le P. Jean ayant ainsi achevé ses bénédictions et bonnes imprécations, le Juge ôtant son chapeau, le remercia de ce qu'il souhaitait tant de biens au Roi et aux autres ci-dessus mentionnez. Apres il fut reconduit en prison ou il attendit le jour, auquel la sentence de mort se mit en exécution :

« Nous, Fr. Augustin de Saint-Jean, prieur et vicaire général des moines Anglais de deçà les monts, de la Congrégation de St Benoist en Espagne, témoignons que la susdite manière tenue et passée en l'examen et jugement du R. P. Jean de Mervinia est translatée fidèlement de l'Anglais en Latin, jouxte l'exemplaire que celui-ci mesure B. Martyr a écrit de sa propre main dedans la prison, après sa condamnation : mais, ce qui s'est ensuivi depuis cela jusques à la fin et exécution de la sentence de mort, jouxte l'exemplaire à nous donné par le R. P. Robert de St Benoit moine du même ordre qui a été présent à l'exécution d'icelle sentence et était chef de ceux qui tirèrent les corps des martyrs hors la fosse comme dessus. Ainsi je l'atteste frère Augustin de St Jean que dessus.

« Ce discours est digne d'être mis en lumière. — Fait à Douai, le quatrième de May 1611, George Colveneere, Docteur et Professeur en la S. Théologie, visitateur et censeur des livres en l'Université de Douai. »

[Les condamnés rentrés dans la prison furent séparés des détenus catholiques et enfermés dans une cellule dégoûtante avec les seize autres condamnés du même jour. Ils y passèrent la nuit du samedi et la matinée du dimanche. Ce jour-là ils reçurent la visite de dopa Luisa di Carjaval, dont le biographe Luis Munoz raconte ainsi l'héroïque audace.]

 

« Avec une grande consolation de cœur, elle visita, quelques heures avant leur mort, les saints martyrs Père Jean Roberts, moine bénédictin, et Thomas Somers, prêtre séculier. Elle les avait vus souvent les jours précédents et leur avait envoyé des tartes aux poires faites à la manière espagnole. Ils étaient confinés dans une affreuse cellule sans air ni lumière. Pendant un emprisonnement de 8 à 10 mois, le bienheureux Père Roberts, s'était préparé à la mort avec un redoublement de dévotion et de tranquillité d'âme. Il avait été plusieurs fois incarcéré auparavant, mais jamais sous le coup d'une sentence capitale. Peu de jours avant qu'il fut conduit au tribunal, quelques-uns de ses compagnons de captivité pratiquèrent une ouverture dans le mur, par laquelle ils s'échappèrent, mais il ne voulut pas profiter de cette occasion, pensant que le pasteur devait a son troupeau l'exemple du courage et de la résignation. Il montra pendant le temps de son incarcération, l'humilité et la piété la plus profonde. Après son procès à l'audience, il fut renvoyé en prison, où il trouva Luisa qui l'attendait.

« Quand on vint le chercher pour entendre lire sa sentence, il était si faible et épuisé par une récente maladie, qu'il fut pris de tremblement au point que ses mains purent à peine boutonner son habit et nouer les cordons de son manteau. « Voyez comme je tremble », dit-il a Luisa. Elle le pria de se rappeler comment le grand capitaine lui-même avait tremblé en s'armant pour le combat, et avait dit que sa chair avait peur de son cœur. Le saint homme sourit et inclina la tête pour la remercier de ses paroles.

« Revenu du tribunal, il fut enfermé dans la partie du bâtiment occupée par les voleurs et les traitres. Afin de ne pas le laisser isolé une seule minute dans un moment aussi difficile, sa fidèle amie gagna les geôliers et obtint d'arriver jusqu'à lui. Non contente de ce résultat, elle augmenta les présents jusqu'à ce qu'on consentît à le transférer, par un passage secret, dans la partie de la prison où étaient relégués les autres catholiques. Son entrée fut saluée par des exclamations de joie de la part de tous ceux qui étaient rassemblés dans ce lieu, parmi lesquels bon nombre d'amis et de connaissances de Luisa étaient venus prendre congé de lui. Quand on annonça qu'ils allaient, lui et Mr Somers, mourir pour la foi, Luisa tomba à leurs pieds, les baisa avec la plus grande ferveur, leur souhaitant de la joie et exprimant] son envie pour leur bonheur. « Je voudrais, disait-elle dans une lettre à un ami, malgré l'indignité et le mauvais choix de son représentant, montrer en quelle juste et haute estime la nation espagnole tient le nom et l'état de martyr, et exciter au plus haut point le courage de ces âmes héroïques si libres de la moindre teinte de présomption et de vaine gloire, et même de l'horreur qu'il serait bien naturel de ressentir à une mort telle que celle décrite par leur sentence. » Ils s'assirent alors pour souper, vingt prisonniers pour affaires de conscience, vingt confesseurs de la foi, Luisa présidait au bout de la table. En nulle autre occasion, elle n'aurait accepté ce poste d'honneur ; mais invitée à s'asseoir entre les deux martyrs, elle voulut profiter de ce privilège et consentit à prendre cette place.

Le repas fut pieux et joyeux, céleste le rafraîchissement fourni aux hôtes, grande la ferveur et l'allégresse spirituelle que Notre-Seigneur départit à ses vaillants soldats, leur donnant cette paix qui surpasse toute compréhension. Presque personne ne songe à manger. Quelques-uns versaient des larmes de joie, à l'espérance qu'ils avaient en Notre-Seigneur de s'asseoir dans quelques heures à un banquet divin que Dieu sert lui-même à ses élus. Les autres tenaient fixés sur eux des yeux pleins d'envie, souhaitant qu'il leur eut été donné de participer à leur bonheur. Quant à Luisa, son cœur était bien élevé encore au-dessus de cette scène touchante. Ravie en contemplation, elle voyait en esprit Notre-Seigneur à la dernière cène, et semblait par instants qu'elle ne restait qu'en apparence sur cette terre, si tendre, si dévote était l'expression de son attitude et tant ses paroles débordaient d'une sainte flamme et de douceur.

Tous les assistants étaient touchés de l'entendre implorer la bénédiction des martyrs et les supplier d'obtenir pour elle une fin semblable à la leur. Telle fut sa prière constante à tous ceux qu'elle vit près de mourir de la même manière. Les deux saints prêtres se recommandèrent aussi à ses prières, et la chargèrent de plaider pour eux pendant leurs derniers moments. Au cours de la soirée, le P. Roberts lui dit : « Ne croyez-vous pas que je puisse mal édifier par mon excessive gaieté ? Ne vaudrait-il pas  mieux me retirer à l'écart et m'adonner à la prière ? — Non, certainement non, répondit Luisa, vous ne pouvez mieux faire que de laisser voir à tout le monde avec quel joyeux courage vous allez mourir pour le Christ. »

 

[Extrait de l’ « interrogatoire de Simon Houghton, gardien de Newgate, devant le Révérend Père en Dieu Monseigneur l'évêque de Londres. »]

 

« Il dit qu'une semaine environ avant que fut exécuté Roberts, le moine bénédictin, l'ambassadeur d'Espagne ou quelqu'un de sa maison a envoyé à Roberts à Newgate un festin de diverses tartes et d'un grand nombre d'autres douceurs.

« Et la nuit avant l'exécution dudit Roberts (comme le témoin l'a entendu dire depuis), il vint à Newgate une grande dame, déguisée comme si elle avait été une femme de moindre condition ; mais si elle était ou non étrangère, le témoin ne peut l'assurer. Mais il dit que son domestique Reynolds, qui a la clef du lieu où se trouvent les prêtres, peut mieux le rapporter.

« Entre neuf et dix heures du soir, alors que Roberts devait être exécuté le matin, une certaine Margaret Ashe, et une autre femme plus jeune [Christiana Dame], qui étaient les blanchisseuses des prêtres de Newgate, lavèrent les pieds dudit Roberts, et aussitôt après Mr Scotte avec d'autres prêtres et papistes non conformistes, qui se trouvaient dans la même salle, au nombre de huit au plus, s'agenouillèrent en présence du témoin et baisèrent les pieds dudit Roberts, disant certaines paroles latines que le témoin n'a point comprises. Il ajoute en outre que hier, dimanche, le matin, il vint un espagnol de la maison de l'ambassadeur pour parler avec un des prisonniers papistes de Newgate, mais qui c'était et avec qui il voulait parler, le témoin ne peut l'affirmer, mais il dit que son domestique Reynolds peut le déclarer. »

 

[Extrait de l'interrogatoire d'Abraham Reynolds, valet d'Houghton.]

 

« Le matin de l'exécution, le témoin vit cinq ou six des prêtres et prisonniers papistes de Newgate venir près de Roberts, au moment où celui-ci partait pour Tyburn, et se mettre à genoux devant lui; mais lui, ayant le cœur oppressé, passa sans leur jeter un regard ; sur quoi ils le tirèrent vivement par sa robe, et lui, agitant ses mains au-dessus de leurs têtes, les bénit, mais ne dit, rien que le témoin entendît. »

 

RÉCITS DE L'EXÉCUTION DES MARTYRS

 

[Le 10 décembre, raconte le maître d'école protestant]

« J'allai à cheval à leur rencontre. M. Somers, l'air grave et tranquille, semblait plongé dans une profonde méditation, car je le fixai attentivement et longtemps, et parfois je le vis prier doucement ; ses mains étaient en grande partie cachées et ses doigts entrelacés ; mais il ne parlait à personne et ne semblait ému ni du monde ni de quoique ce soit sur la route ; il pouvait avoir quarante ans ou davantage.

« L'autre, Mr Roberts, l'air très joyeux, souriait presque toujours dès qu'il regardait ou parlait, car parfois il préférait demeurer les yeux fermés et la tête baissée. Arrivés à la potence, ils restèrent sur la claie, jusqu'à ce que les seize autres [condamnés de droit commun] eussent la corde autour du cou, ce qui dura plus d'une demi-heure. Pendant ce temps, un certain Mr Williams (un ministre) vint à lui — je me tenais tout près d'eux — et le supplia d'abandonner pour lors toute controverse et de fixer toutes ses pensées sur ce point capital, la foi au Christ pour le salut de son âme. Il reçut le conseil d'une façon fort aimable et répondit que c'était ce qu'il faisait. »

[D'après le P. Coffin]

« Pendant le trajet sur la claie de Newgate à Tyburn, une foule de catholiques se porta vers le cortège ; s'agenouillant publiquement, elle sollicitait la bénédiction des martyrs. Les gens de l'escorte et la populace ne s'y opposèrent point ; loin de là, on admirait la constance des condamnés et le zèle empressé de leurs coreligionnaires. »

[On permit aux condamnés de s'asseoir sur la claie pendant la demi-heure réclamée par la pendaison des seize voleurs, ensuite, les exécuteurs voulurent les traîner sur la claie jusqu'au gibet distant de seize ou dix-huit nards, mais la foule était si compacte qu'il fallut y renoncer. En conséquence, on détacha les deux prêtres et ils se rendirent â la potence.]

« Donc premièrement le P. Jean relevé de claye, et mis sur pied, avec un grave maintien et bien composé, portant le visage fort content et allègre sans aucune démonstration de trouble ou de tristesse en l'âme, sa robe endossée, se mit à marcher en avant, et s'achemina vers l'un des chariots sur lequel étaient montez et liez au gibet huit des malfaiteurs mentionnés : (les autres huit étaient sur un autre chariot) sur lequel voulant monter, il n'eut point la force lui seul ; ainsi fut besoin qu'on lui aidât à se porter jusque là sus, à raison de la débilité provenue des maladies qui depuis naguères de temps lui étaient arrivées.

[Challoner dit qu'il fit alors remarquer qu'il allait être pendu entre des voleurs ; un des officiers lui rappela que son maître avait été traité de la sorte.]

« Donc à peine fut-il monté sur le chariot que, à l'instant, il s'adressa aux malfaiteurs (lesquels à la façon de Genève chantaient des psaumes en vulgaire pour se disposer à la mort) et leur pria qu'ils désistassent de travailler la poitrine et la gorge, à cause, disait-il, que vous me faites de la peine, et à vous ne profite rien qui soit.

« Il étendit les mains, autant que le permettaient ses, chaînes, pour bénir les voleurs, et continua : « Nous allons tous mourir, et nous n'avons aucun espoir d'échapper, pourquoi je vous dis et assure que si vous mourez en la foi et avec la foi qui publiquement se prêche et enseigne en ce royaume, touts chacun de vous, sans nul doute, serez éternellement damnez, car sans la foi de la vraie Eglise qui est la Romaine, il est impossible de plaire à Dieu. Maintenant donc qu'il vous reste encore un peu de temps pour faire gain de la vie éternelle, employez-le à votre avantage et convertissez-vous de tout votre cœur à Dieu, embrassant premièrement la sainte et vraie foi catholique, et demandas pardon de tous vos méfaits, affin que deveniez membres vifs de l'Eglise, et parties de ceste vie en l'unité du corps mystique de Jésus-Christ, qui est l'Eglise catholique, apostolique et romaine, quoi faisant puissiez être sauvez, et rendus capables après ces deux heures de vie, entrer dans l'éternelle pour tout jamais. Ce qu'ayant dit il leur donna sa bénédiction ; puis se tournant vers les huit autres malfaiteurs qui étaient en l'autre chariot, leur usa des mêmes paroles et remontrances, les bénissant pareillement mêmes étant là présent un ministre hérétique, lequel ne s'opposa nullement à ses paroles, ni ne lui contredit pas en un seul mot. »

[D'après la relation italienne, il demanda à ces voleurs de dire avec lui] : « Je crois à la sainte Eglise catholique et je désire mourir membre de cette Eglise. Je me repens et suis triste d'avoir mené une vie si mauvaise et méchante et d'avoir si gravement offensé mon doux et miséricordieux Sauveur », leur promettant que s'ils voulaient dire ces paroles sincèrement et du fond du cœur, il les absoudrait « et alors un à un pour les vôtres ». A ces mots prononcés avec tant d'amour et d'onction, un de ces pauvres scélérats fut si touché qu'il éclata en sanglots. Le père l'exhorta spécialement et adressa à Dieu pour lui une silencieuse prière, se couvrant le visage de la main, ensuite il parla de nouveau à haute voix. Finalement le pauvre homme confessa publiquement qu'il mourait catholique. Il n'est pas possible de savoir avec certitude ce qui arriva après. »

[L'officier ayant refusé de le laisser parler plus longtemps, il s'agenouilla, fit le signe de la croix sur la potence et la baisa. L'exécuteur lui enleva sa robe. Pendant ce temps le martyr demanda au shérif s'il pouvait parler au peuple.]

« Oui, M. Robert, vous pouvez parler. »

[Mais sa faiblesse était si grande qu'il n'eût pu se faire entendre ; le shérif lui permit de boire un verre d'eau-de-vie qui lui fut présenté par un catholique. Alors il demanda la parole et commença son discours ; mais il fut interrompu par le ministre et quelques-uns des voleurs qui recommençaient à chanter les psaumes de Genève. Il les pria de cesser et dit au shérif] : « Par politesse, Monsieur, rappelez-vous que je ne puis être entendu à cause de ce chant. » Le shérif commanda silence, et le P. Roberts commença :

Audite, coeli quæ loquor, audiat terra verba oris mei. Ce qu'ayant traduit en anglais, disant : « Mes honorables, respectables et très chers amis », et commençant à poursuivre, il fut de nouveau interrompu par le susdit grossier fonctionnaire, dont l'insolence fut si grande, qu'il se vit publiquement repris et blâmé par plusieurs gentilshommes de grande condition qui tous protestèrent contre sa barbare grossièreté.

« Le Père alors bénit la foule et continua au milieu d'un grand silence : « Messieurs les nobles ici présents, et vous tous autres qui avec moi jouissez de l'honneur et de l'heur d'avoir ce royaume d'Angleterre pour lieu de naissance et douce patrie, plaise vous entendre, que je suis ici maintenant prêtre à subir la mort à laquelle on m'a condamné, pour non autre cause que, prêtre que je suis, je dois mourir. Ceci a été fait et déclaré (si je ne me trompe) pour crime de lèse majesté, l'an 28 du règne de la Reine Elisabeth. Je n'ay pas commis d'autre crime que celui-ci ; par où il appert que je meurs pour la querelle de la religion, religion, dis-je, qui est la même que celle qui fut ici premièrement apportée de Rome par saint Augustin, apôtre de l'Angleterre, lorsque venant en ces quartiers, envoyé par saint Grégoire le Grand, pape, l'an 596, il retira ceste nation de l'infidélité et idolâtrie, et la convertit à la foi chrétienne et connaissance du vrai Dieu vivant. Il y a grand ressemblance en nos intentions et actions. Il était moine et religieux de l'ordre Saint-Benoît. Je le suis pareillement. Il a converti les âmes de l'erreur du paganisme et idolâtrie, et moi je les ai retirés de l'hérésie. Il a été ici envoyé par saint Grégoire, pape, vicaire de Jésus-Christ et successeur de saint Pierre. Et moi par le même, non en personne, mais en office et succession. Tout ceci je l'ay protesté, déclaré et affirmé en pleine halle et devant tout le Sénat et le peuple y assistant : C'est pour ces causes que je suis été fait criminel et conséquemment condamné à mort, et la même je le répète et le confirme présentement devant vous tous en ce lieu où je dois perdre la vie. » Ayant dit ces paroles, voilà qu'on amena à pied l'autre prêtre a savoir M. Wilsonus, au même chariot; auquel Jean d'un portement et visage joyeux alla au devant et présenta la main pour lui aider à plus aisément monter, disant : « Venez ça, Monsieur, venez et soyez le bien venu, confrère et compagnon du même honneur de triomphe. » Puis étant sortis et approchez avec de grandes et affectueuses accolades, embrassements et bénédictions, témoignèrent l'un à l'autre et firent voir aux spectateurs leur mutuelle charité et dilection, pleine de vraie piété, de là leur fut permis quelque peu de loisir pour s'entre parler secrètement. Après quoi, les bourreaux désirant exécuter leur charge, s'adressèrent à P. Jean, lequel ils lièrent de telle sorte qu'il convenait, pour lui donner le dernier supplice, puis firent de mêmes à M. Wilsonus. Pendant cela P. Jean porte ses yeux sur l'assemblée et la regarde attentivement, choisissant entre eux, et saluant par œillades ceux qu'il y connaissait, auxquels et à tous autres qui le saluaient rendait les mêmes salutations, et les bénissait affectueusement. Pour le dernier il fit une succincte et esthétique prédication au peuple, en laquelle il leur exposa ces paroles : Memorare novissima tua et in æternum non peccabis, et ces autres : Omnes nos manifestari oportet ante tribunal Christi. Laquelle achevée il se tint un peu quoi et de repos, come reprenant haleine, puis il s'écria à haute et claire voix, disant : Extra Ecclesiam, nulla salus [1] [et il répéta de nouveau ces mots en anglais, s'efforçant de les dire d'une voix très forte, criant à haute voix : « Hors de la vraie Eglise il n'y a pas de salut. Un Dieu, une foi, sans cette foi il est impossible plaire Dieu].

« Pour lesquelles paroles, un des sergents lui fit la réprimande, alléguant qu'il ne lui était pas permis de dire de telles choses au peuple. Mais un autre sergent s'opposa à celui-ci en disant : « Je n'entends rien de malséant de sa bouche, il n'y a 'que reprendre en ces mots, à la mienne volonté qu'il n'eut jamais plus mal parlé qu'à ceste fois. » En faveur du P. Jean ajouta aussi Monsieur le Vicomte (= le Shérif). « Si long temps qu'il n'avance nuls propos en préjudice du Roy, notre Sire, on ne lui peut défendre de parler. » Le premier sergent qui avait ainsi tancé le P. Jean, ne se savait contenter, ainsi répliqua : « Qu'on ne lui devait point permettre d'ainsi gagner et captiver le peuple par telles paroles et prédications si bien dressées, auquel père Jean pour sa défense dit aussi : « Je ne débouche rien contre le roi, notre Sire, ainsi au contraire, je prie très humblement Dieu le Créateur qu'il le veuille tenir., ensemble avec la Reine, le prince, Messieurs leurs enfants, son honorable sénat, et très prudent Conseil, joint touts les fidèles vassaux et obéissants sujets, car ce n'est pas le Roy qui nous ôte la vie, non ce n'est pas lui, parce qu'étant un prince très clément il ne répand pas le sang de ses sujets, pour lesquels il voudrait répandre le sien propre, mais c'est la très cruelle bête, l'hérésie. Bête, dis-je, qui est cause de tous les maux que nous endurons, c'est elle qui nous les a produit, et rien autre que l'hérésie en est la cause. » Ayant dit ceci, il donna aux siens le dernier et très-joyeux à Dieu, leur laissant aussi la bénédiction ; puis il se porta les mains jusques contre ses yeux pour un petit se recueillir en soi-même, et vaquer à la contemplation du Seigneur Dieu, duquel il attendait en bref la bienheureuse vision, n'y ayant que la muraille du corps empêchant ceste félicité, qui tout a l'heure devait être démolie par cette mort imminente. Cependant on équipa M. Wilsonus, ce qu'étant fait, les bourreaux disent au P. Jean, que son compagnon était déjà préparé. Quoi entendant, retira ses mains de devant ses yeux, et regardant le feu déjà allumé, pour montrer la gaieté de son cœur dit aussi ceste gaye parole : « O que l'on accommode là un chaud déjeuner » [Here is a hott breakfast towards, despite the cold weather]. Un des assistants pensant qu'il devait sentir le froid en demeurant si longtemps avec ses vêtements déliés, lui offrit un bonnet de nuit pour se couvrir la tête, mais il dit avec un sourire : « Ne vous inquiétez pas de cela, Monsieur, je n'ai plus peur d'attraper un rhume. »

« M. Somers (= Wilson), qui avait eu les fers aux mains jusqu'à ce moment, commença alors à parler, disant d'un air vif et doux : Benedicat vos omnipotens Deus, Pater et Filius et Spiritus sanctus. Il ajouta : « Le Père Robert vous a dit les raisons pour lesquelles nous allons subir la mort, il ne faut donc pas que je répète deux fois la même chose. Je n'ai pas refusé de prêter le serment, parce que je refusais quelque espèce d'allégeance que Sa Majesté la reine fût en droit de demander de moi. J'ai refusé en raison des matières de foi incluses dans ce serment, et c'est là pourquoi il a été défendu par Sa Sainteté le Pape, auquel nous tous, qui sommes les brebis du Christ, sommes tenus d'obéir en matière de foi. Je vous prie donc tous et vous exhorte à être obéissants au suprême pasteur de l'Eglise de Dieu. » Il conclut par les mêmes mots que le P. Roberts : Hors de l'Eglise catholique, il n'y a pas de salut ; hors de l'arche de Noé, personne ne fut sauvé.

« A la fin, le P. Roberts se tourna vers le peuple et le pria de le dispenser de parler encore, les forces lui manquant, mais demanda à ceux qui étoilent catholiques de prier pour lui ; se tournant ensuite l'un vers l'autre les deux martyrs s'embrassèrent et se bénirent, et put parlèrent quelques instants à voix basse, jusqu'à ce qu'il leur fut dit que le moment de mourir était arrivé.

« Tous deux ensemble, une fois de plus, aussi bien qu'ils le purent bénirent de nouveau le peuple, et tandis qu'ils attendaient avec grande constance et calme qu'on fit avancer la charrette, ils échangèrent les propos suivants. Le père Roberts dit : Omnes sancti et sanctae Dei, intercedite pro nobis, et M. Somers dit : In manas tuas, Domine, commendo spiritum meum, quand tout à coup les deux charrettes furent retirées au même moment, et les deux martyrs au milieu des seize criminels demeurèrent suspendus, et rendirent tranquillement leurs âmes entre les mains des saints anges.

« Et ainsi ces deux braves champions, adroits cavaliers, prompts coureurs, et très forts lutteurs en ceste querelle de la foi catholique, joints l'un à l'autre, côte à côte, le chariot sur lequel ils étaient passant outre, avec grande constance, invincible courage et persévérante magnanimité, à la consolation et édification des spectateurs et de ceux qui le devraient entendre, demeurant attachez à la potence, ont offert, rendu et sacrifié leurs corps et âmes comme saintes, impollués et très suaves hosties au Roi des martyrs Notre Seigneur Jésus-Christ, large rémunération des travaux et angoisses des Martyrs. Sortez donc .a la bonne heure, o nobles âmes, la porte de votre prison est ouverte : entrez en liberté, votre esclavage est fini ; recevez la vie, vous avez surmonté la mort : plongez-vous en ce vaste océan de la félicité éternelle, à laquelle Dieu le Père qui vous créa, Jésus-Christ qui vous racheta et le Saint-Esprit qui en vous fut répandu, vous appelle en compagnie de l’impératrice des cieux la Vierge Marie, qu'avez, toujours servie et prêchée, et des saints anges, patriarches, prophètes, glorieux apôtres, martyrs, confesseurs, vierges et tous saints et saintes auxquels vous avez été incorporez en l'Eglise, ça bas militante. Maintenant vous serez enrôlés et comptés en la triomphante, faites nous participants de vos mérites et intercessions, afin que parvenions heureusement à votre très désirable compagnie par touts les siècles.

« Ores pour passer outre, leurs corps ainsi pendants, on leur usa d'une courtoisie non accoutumée à l'endroit des prêtres justiciés pour ces sujets, c'est qu'on les y laissa tant que de tout ils fussent morts et expirez, là où on a coutume de les faire tomber à terre tranchant la corde étant encore a demi vifs. Puis, on les a tiré de la potence, et les bourreaux les déshabillant, leur ont a l'ordinaire taillé les génitoires et ouvert la poitrine d'ou tirant toutes les entrailles, en choisirent les cœurs, lesquels aussi (selon la coutume) ils montrèrent au peuple, disant ces paroles : « Voilà les cœurs des traîtres. » Et comme ainsi soit que d'ordinaire à ces paroles et ostension des cœurs le peuple crie et répond a haute voix : « Vive le Roi », pas un de toute la multitude n’a été ouï ni entendu le prononcer. »

[Il était presque une heure de l'après-midi quand on coupa la corde et on descendit les corps des martyrs dont les têtes furent coupées pour être exposées sur le pont de Londres. Les cadavres furent enfouis dans une fosse à cent pas de la potence, le long de la route. On entassa par dessus les membres découpés des martyrs les corps des seize criminels. Dans la nuit du 12 décembre, douze catholiques conduits par Dom Robert Haddock se rendirent au lieu de la sépulture, retirèrent les cadavres décomposés des seize misérables et enlevèrent alors les restes mutilés des saints. La voilure destinée à les contenir stationnait à quelque distance. Chacun s'était emparé d'une partie, qui d'une main, qui d'une jambe, et se rendait à la voiture. Malheureusement deux d'entre les frères tombèrent aux mains des veilleurs de nuit qui les interpellèrent. L'un des deux pris de terreur s'enfuit et laissa tomber la jambe et la cuisse du père Roberts. L'autre fut pris et conduit â Newgate. On ne put rien tirer de lui. Le membre ainsi perdu fut exposé à Newgate et ensuite enterré à Saint-Sauveur de Southwark. Le reste des reliques était arrivé chez dopa Luisa di Carjaval qui les attendait avec d'autres femmes pieuses. On lava et on embauma ces dépouilles glorieuses qui furent distribuées comme des trophées.[2]


[1] Hors de l'Église pas de salut.
[2] LES MARTYRS : Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XX° siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. Leclercq, moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough.

 

 

pour toute suggestion ou demande d'informations