(suite)

36. Lorsque vous entendez toutes ces prophéties mises dans la bouche d'un homme, gardez-vous de les attribuer à ceux qui les prononcent; ayez grand soin, au contraire, de ne voir que le souffle de Dieu qui les dicta, et qui tantôt prend la forme d'une prédiction, tantôt met ses paroles dans la bouche de Dieu le père et seigneur de l'univers, tantôt fait parler le Christ lui-même, ou enfin les nations qui répondent à Jésus ou à son Père. C'est, au reste, une habitude commune à tous vos écrivains; l'auteur, toujours le même, introduit et met en scène des personnages différents: c'est ce que ne comprirent pas les Juifs. Ils avaient entre les mains les livres des prophètes, et ils ne reconnurent pas Jésus-Christ venant en ce monde. Loin de là, ils nous persécutent, nous qui croyons à la venue de ce Messie, et qui prouvons que, selon les oracles, il a été crucifié par leurs mains.

37. Pour vous prouver ce que nous disions à l'instant de la manière dont les prophètes font parler le Père éternel, écoutez ces paroles du prophète Isaïe: "Le bœuf connaît son maître, l'âne son étable; mais Israël ne m'a pas connu, et mon peuple ne m'a pas compris. Malheur à la race pécheresse, au peuple rempli d'iniquités, au sang des méchants! Fils insensés, vous avez abandonné votre Seigneur!" Et ailleurs encore, toujours dans la bouche du Père, ces mots: "Quelle maison me bâtissez-vous? dit le Seigneur; le ciel est mon trône, et la terre mon marchepied. Encore: "Mon cœur déteste vos néoménies et vos fêtes; votre grand jeûne, temps d'oisiveté, je le hais, et quand vous viendrez à moi je ne vous exaucerai pas. Vos mains sont pleines de sang, et vous m'offrez de l'encens et de la fleur de farine: cela m'est en abomination. Je ne veux plus de la graisse des agneaux et du sang des boucs. Qui a exigé de tels présents de vos mains? Rompez tous les liens de l'iniquité; brisez les chaînes de la violence; conviez et recueillez celui qui est sans asile; partagez votre pain avec celui qui a faim." Tels sont, vous pouvez en juger, les enseignements que les prophètes font donner par Dieu même.

38. Quand le Saint-Esprit introduit le Christ, il le fait s'exprimer ainsi: "J'ai étendu mes mains vers le peuple incrédule et contradicteur, vers ceux qui marchent dans les voies mauvaises." Et encore: "J'ai présenté mon dos au fouet et mes joues aux soufflets; je n'ai pas détourné ma face de l'affront des crachats, et le Seigneur a été mon aide: c'est pourquoi je n'ai pas eu honte, et mon visage a été comme un rocher solide, et j'ai su que je ne serais pas confondu; car celui qui doit me justifier est proche." Il dit encore: "Ils ont jeté le sort sur mes vêtements, et ils ont percé mes pieds et mes mains; et moi, je me suis endormi et j ai pris mon sommeil, et ensuite je me suis réveillé; car le Seigneur m'a relevé." Puis, plus loin: "Ils ont remué les lèvres et secoué la tête en disant: "Qu'il se délivre lui-même." Tous ces faits ont été réalisés par les Juifs en la personne du Christ; car, pendant qu'il était en croix, les passants grimaçaient des lèvres et branlaient la tête en disant: "Lui qui ressuscitait les morts, qu'il se délivre!"

39. Le Saint-Esprit veut-il employer le ton de la prédiction, écoutez-le: "Or la loi sortira de Sion, et la parole de Dieu de Jérusalem, et il jugera parmi les nations, et il gouvernera une grande multitude. Et les nations forgeront leurs glaives en fers de charrue, et leurs lances en faucilles; et les peuples ne lèveront plus l'épée contre les peuples, et ils n'apprendront plus à se faire la guerre." L'événement a confirmé cette parole, vous pouvez vous en convaincre. Car douze hommes sont sortis de Jérusalem pour parcourir le monde; ils étaient grossiers et ne savaient pas parler; mais la vertu de Dieu les soutenait, et ils ont annoncé à tout le genre humain qu'ils étaient envoyés du Christ pour enseigner la parole de Dieu; et nous qui jadis nous souillions de meurtres et de carnage, nous ne faisons plus la guerre, même à nos ennemis. Bien plus, de peur d'un mensonge, et pour ne pas tromper ceux qui nous font subir des interrogatoires, nous confessons avec joie notre Seigneur Jésus, et nous mourons pour lui. Il nous serait facile pourtant de nous autoriser de ce proverbe: Mes lèvres ont juré, mais mon cœur refusait (Hippolyte d'Euripide, vers 612); Mais ce serait chose ridicule que l'on vît les soldats enrôlés sous vos drapeaux rester fidèles à leur serment, au mépris de leur propre vie, au mépris de leurs affections de famille et de patrie, eux à qui vous ne pouvez promettre qu'une récompense corruptible, tandis que l'on nous verrait, avec la perspective de l'immortalité, refuser de nous exposer à toutes les persécutions qui peuvent nous obtenir les récompenses promises par notre souverain maître.

40. Écoutez maintenant ce que l'Esprit saint a inspiré au roi-prophète au sujet de ces hérauts de la doctrine de Jésus-Christ, qui ont prophétisé sa venue: "Le jour le raconte au jour, et la nuit le redit à la nuit. Il n'est point de nation, quelle que soit sa langue, qui n'entende leur voix. Le bruit qu'ils font a parcouru toute la terre et leurs paroles sont allées jusqu'aux confins du monde. Il a placé son tabernacle dans le soleil, et sortant de là comme l'époux de sa couche, semblable à un géant, il s'élance dans la carrière." Puisque nous parlons de David, nous ne ferons pas mal de rapporter ici quelques passages qui pourront vous faire juger quelle règle de conduite le Saint-Esprit donne à l'homme, et aussi comme il prédit la coalition d'Hérode, roi des Juifs, avec Ponce Pilate, votre procurateur, et ses soldats, contre Jésus-Christ; comme il annonce la conversion du genre humain à la foi, comme il dit que Jésus-Christ sera appelé le fils de Dieu, et comme il prophétise la promesse que le Père fait à son fils de lui soumettre ses ennemis, les efforts des démons pour se soustraire à la puissance de Dieu le Père et de Jésus-Christ lui-même, et enfin ce grand appel à la pénitence, que le Seigneur adresse à tous les hommes avant le jour du jugement. Voici ces paroles: "Heureux celui qui ne suit pas l'assemblée des impies, et ne marche pas dans la voie du pécheur, et ne s'assoit pas sur le siège d'iniquité! Heureux celui dont la volonté est dans la loi du Seigneur, et qui médite jour et nuit ses commandements! Il sera comme l'arbre planté sur le bord des eaux; il donnera son fruit dans la saison, et sa feuille ne se fanera pas, et tout ce qu'il fera prospérera. Il n'en est pas ainsi pour les impies, non, il n'en est pas ainsi. Ils seront comme la poussière que le vent enlève de la face de la terre; aussi les impies ne siégeront pas au jugement, ni les pécheurs au conseil des justes, parce que le Seigneur connaît la voie des justes, et le chemin des impies périra. Pourquoi les nations ont-elles frémi, et pourquoi les peuples ont-ils formé de vains complots? Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ, disant: Rompons les chaînes qu'il nous a données, et rejetons son joug loin de nous. Mais celui qui habite aux cieux se rira d'eux, et le Seigneur les tournera en dérision. Puis il leur parlera dans sa colère, et il les dispersera dans sa fureur. Mais moi, je me suis constitué roi par sa puissance, roi sur Sion, sa montagne sainte, et j'annonce les préceptes du Seigneur. Le Seigneur m'a dit: Tu es mon fils: je t'ai engendré aujourd'hui. Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et je ne bornerai tes possessions qu'aux confins de la terre. Tu les gouverneras avec une verge de fer, et tu les briseras comme des vases d'argile. Et vous maintenant, rois, comprenez; instruisez-vous, vous qui jugez la terre. Servez le Seigneur avec un respect mêlé de crainte, et tremblez, lors même que vous chantez ses louanges. Saisissez ses leçons, de peur que le Seigneur ne s'irrite et que vous ne vous écartiez du droit chemin. Lorsque son courroux s'allumera tout à coup, heureux ceux qui auront mis en lui leur confiance."

41. Dans une autre prophétie, l'Esprit de Dieu voulant annoncer le règne de Christ après le supplice de la croix, fait dire encore à David: "Chantez un cantique au Seigneur par toute la terre, et annoncez chaque jour son salut, car le Seigneur est grand et digne de louanges; il est terrible au-dessus de tous les dieux, car tous les dieux des nations sont les simulacres des démons, et c'est Dieu qui a fait les cieux. La gloire et la majesté marchent devant lui; la force et la splendeur habitent dans son sanctuaire. Rendez gloire au Seigneur, père des siècles; recevez sa grâce; prosternez-vous devant lui et adorez-le dans les parvis de son sanctuaire. Que la terre tremble en sa présence; mais si elle fait le bien, elle prospérera. Qu'elle ne se trouble pas; que toutes les nations se réjouissent: le Seigneur règne du haut du bois."

42. Parfois aussi, vous avez pu vous en apercevoir d'après ce qui a été déjà cité, le Saint-Esprit parle des événements futurs comme s'ils étaient arrivés, et à ce propos nous nous empressons de lever toutes les difficultés et d'ôter toute excuse aux lecteurs. L'Esprit saint connaît l'avenir; aussi le raconte-t-il comme s'il était accompli. Voulez-vous la preuve de cette explication? écoutez: David parla du crucifiement quinze cents ans avant la naissance du Christ; or personne avant lui n'avait, par son supplice, apporté une pareille félicité au monde; personne ne l'a fait depuis le Christ. Au contraire, notre Seigneur Jésus, crucifié et mort, s'est ressuscité; et, de retour au ciel, il y a repris son empire, et c'est cette bonne nouvelle qui, portée en son nom à toutes les nations par les apôtres, fait la joie de tous ceux qui vivent dans l'attente de l'immortalité promise.

43. Que d'ailleurs, si nous parlons de prescience et de prédiction, on se garde bien de conclure que nous croyons à la fatalité et au destin. Non, et en voici la preuve. Il est, disons-nous, pour les méchants des punitions et des supplices, pour les bons des récompenses et des bienfaits; les prophètes nous ont appris cette doctrine, et nous en soutenons la vérité. S'il n'en était pas ainsi, si tous suivaient la loi du destin, où serait le libre arbitre? car si c'était par nécessité que celui-ci est bon, celui-là mauvais, le premier ne serait pas digne d'éloges, pas plus que le second ne serait coupable. Et si le genre humain n'avait pas le pouvoir de choisir par un acte de sa libre volonté le sentier de la vertu ou le chemin du vice, il n'aurait pas à répondre de ses actions. Mais l'homme a cette liberté de faire le bien ou le mal à son choix: nous le pouvons. Ne voit-on pas en effet le même homme tenir la conduite la plus diverse. Si la loi du destin le forçait à être méchant ou vertueux, certes il ne serait pas soumis à ces contradictions et à ces perpétuelles variations. Loin de là, il n'y aurait ni un homme vertueux ni un homme dépravé, puisque le destin serait la cause du mal et en même temps la cause du bien. Ou encore, nous tomberions dans cette doctrine dont nous avons parlé plus haut, et qui consiste à nier la vertu et le vice, et à ne voir dans le bien et le mal que des opinions différentes; ce qui est aux yeux de la saine raison une impiété et une absurdité monstrueuses. Pour le destin inévitable tel que nous l'entendons, c'est celui qui attend les bons pour les récompenser selon leurs mérites, et les méchants pour leur infliger les supplices qu'ils ont encourus. Car Dieu n'a pas créé l'homme comme les plantes et les brutes qui ne savent ce qu'elles font; et l'homme ne mériterait ni récompense ni louange s'il n'avait pas le choix de la vertu et s'il y naissait tout façonné; de même qu'il ne pourrait encourir aucune peine s'il était méchant, et qu'il ne le fut pas de lui- même, mais qu'enchaîné au vice par sa naissance, il ne pût se délivrer de son joug.

44. C'est le Saint-Esprit lui-même qui nous a donné ces enseignements, puisqu'il atteste par l'organe de Moïse que Dieu dit au premier homme sortant de ses mains: "Voici le bien et le mal devant toi: choisis le bien." C'est ce que confirme un autre prophète, Isaïe, quand il met dans la bouche de Dieu le Père les paroles suivantes: "Lavez-vous de vos souillures et purifiez-vous; enlevez le mal de vos cœurs, et apprenez à faire le bien; rendez justice à l'orphelin et défendez la veuve. Présentez-vous alors, et nous compterons, dit le Seigneur. Vos péchés vous eussent-ils rendus rouges comme la pourpre, je vous rendrai blancs comme la laine; fussiez-vous écarlates, je vous rendrai plus blancs que la neige; et si vous le voulez, et que vous m'écoutiez, vous serez nourris des biens de la terre; mais si vous ne m'écoutez pas, le glaive vous dévorera; car c'est la bouche du Seigneur qui a parlé." Or ces paroles, le glaive vous dévorera, ne signifient pas que la désobéissance sera punie par les coups du glaive; mais ce glaive de Dieu, c'est le feu dont ceux qui s'attachent au mal deviennent la pâture. Aussi dit-il: "Le glaive vous dévorera; car c'est la bouche du Seigneur qui a parlé." Et ce terme dévorera ne peut s'appliquer à l'épée qui frappe et tue d'un seul coup. Aussi quand Platon a dit: "La faute est à l'homme libre qui choisit. Dieu n'y est pour rien, " il a emprunté cette parole à Moïse; car Moïse est plus ancien que tous les écrivains de la Grèce. Et tout ce que les poètes et les philosophes ont pu dire sur l'immortalité de l'âme, sur les châtiments après la mort, sur la contemplation céleste de la divinité ou tout autre dogme semblable, ils en ont pris le principe dans les prophètes, et sont ainsi parvenus à comprendre et à expliquer ces vérités. C'est là qu'ils ont puisé tous les éléments du vrai qu'ils possèdent, et si leurs emprunts sont difficiles à constater, cela tient à la grande contrariété de leurs opinions. Maintenant, de ce que nous disons que l'avenir a été prédit, il n'en résulte pas que nous consacrions le principe de la nécessité et du destin. Non, mais comme Dieu prévoit toutes les actions futures des hommes, comme il doit rendre à chacun selon le mérite de ses oeuvres, et récompenser les actes de vertu, il fait faire des prédictions par l'Esprit saint, appelant ainsi sans cesse le genre humain au souvenir et à la réflexion, et montrant pour lui toute sa sollicitude et sa providence. Aussi les génies du mal sont-ils parvenus à obtenir que l'on punit de mort ceux qui liraient les livres d'Hystaspe, de la Sibylle et des prophètes; car ils voulaient, à force de crainte, détourner les hommes de cette lecture et des salutaires enseignements qu'ils y devaient trouver, et par ce moyen les retenir sous leur joug; mais ils n'ont pas pu interdire ces ouvrages pour toujours; car non seulement nous-mêmes nous les lisons sans crainte, mais nous vous les offrons pour que vous les voyiez, et dans la persuasion qu'ils seront agréables à tous. Et quand même nous ne les ferions lire qu'à un petit nombre, ce serait toujours un gain immense; car, semblables à de bons laboureurs, nous recevrions pour cette moisson une abondante récompense.

45. Le Père éternel devait enlever le Christ au ciel après sa résurrection, et l'y conserver jusqu'à ce qu'il ait frappé les démons ses ennemis, jusqu'à ce que le nombre des prédestinés et des saints soit rempli; car si la conflagration générale n'a pas encore eu lieu, ce délai n'a été accordé qu'en faveur des élus. Or, écoutez comme David va prédire ces événements: "Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite jusqu'à ce que j'aie fait de vos ennemis l'escabeau de vos pieds. Le Seigneur fera sortir de Jérusalem le sceptre de votre force, et vous dominerez au milieu de vos ennemis. A vous est le commandement dans le jour de votre puissance et dans les splendeurs de vos saints. Je vous ai engendré de moi avant l'étoile du matin." Ces mots: "Il fera sortir de Jérusalem le sceptre de votre force," étaient le symbole et l'annonce de cette parole puissante que, sortant de Jérusalem, les apôtres allèrent prêcher au monde. Nous le savons, il y a peine de mort pour tous ceux qui enseignent, pour tous ceux qui confessent le nom du Christ, et néanmoins nous l'enseignons partout, partout nous embrassons sa foi. Que si vous lisez ces pages avec un esprit de haine, vous pouvez nous tuer, et rien de plus, nous vous le répétons; car en quoi nous nuit-elle cette mort? tandis que vous et tous ceux qui nourrissent une animosité injuste, tous ceux qui ne se repentent pas de leurs erreurs, elle vous dévoue au feu éternel !

46. On pourrait peut-être, dans une intention mauvaise, fausser le sens de ce que nous avons dit; et comme nous avons avancé que Jésus-Christ était né il y a cent cinquante ans, sous la présidence de Cyrénius, et qu'il a commencé à enseigner sous celle de Ponce Pilate, on pourrait prétendre, par une fausse induction, que tous les hommes antérieurs à cette époque ne sont aucunement coupables. Nous allons détruire cette objection. Le Christ, avons-nous dit déjà, est le premier-né de Dieu, il est son Verbe, sa parole, à laquelle tous les hommes participent. Or tous ceux qui ont vécu selon les inspirations de ce Verbe sont chrétiens, eussent-ils même passé pour athées. Tels furent, chez les Grecs, Socrate et Héraclite; chez les barbares, Abraham, Ananias, Azarias, Misaël et Élie, et une multitude d'autres dont nous nous abstiendrons de citer ici les noms, ce qui serait trop long. Et aussi ceux qui ont vécu contrairement à ces inspirations du Verbe ont été vicieux, ennemis du Christ, meurtriers des disciples du Verbe. Ceux, au contraire, qui ont vécu ou qui vivent selon le Verbe, sont des chrétiens intrépides et inaccessibles à la peur. Maintenant, pourquoi, accomplissant les desseins de Dieu, Père et souverain de l'univers, le Verbe s'est-il incarné? pourquoi est-il né d'une vierge et s'est-il fait appeler Christ? pourquoi est-il mort sur la croix? pourquoi est-il ressuscité et remonté aux cieux? c'est ce que tout homme sensé comprendra sans peine d'après ce que nous avons dit déjà. Quant à présent, comme la démonstration de ce point est moins nécessaire, passons à ce qui est plus urgent, et continuons nos preuves.

47. L'Esprit saint annonce ensuite la dévastation de la terre de Judée; il met en scène les peuples stupéfaits de cette ruine, et voici comment ils s'expriment: "Sion est devenue une solitude; Jérusalem est devenue un désert; la malédiction est sur le temple et sur le sanctuaire, et sa gloire, que célébraient nos pères, est devenue cendre et poussière; tous ses ornements les plus beaux ont été détruits, et à cette vue vous êtes restés impassibles, vous vous êtes tus, et vous nous avez humiliés durement." Or, de la dévastation de Jérusalem et de l'accomplissement de cette prophétie, vous devez être, je pense, assez pleinement convaincus. Mais Jérusalem devait être réduite en solitude, et il ne devait plus être permis à personne de l'habiter; Isaïe le prophète l'a dit ainsi: "Leur terre est un désert, et en leur présence, leurs ennemis la dévorent, et pas un seul d'entre eux ne l'habitera." Le soin que vous prenez de ne pas laisser un Juif en Judée, la peine de mort qui attend l'audacieux infracteur de cette loi, c'est ce que vous savez mieux que nous.

48. Il était aussi prédit que Jésus-Christ guérirait les malades et ressusciterait les morts. Écoutez: "A son arrivée, le boiteux sautera comme un cerf, et la langue des muets sera éloquente; les aveugles verront, et les lépreux seront purifiés, et les morts se lèveront et marcheront." Les Actes de Ponce Pilate vous donnent la preuve de tous ces faits. La mort du Christ et le supplice de ceux qui espèrent en lui étaient aussi annoncés par Isaïe, dans ces paroles: "Voici que le juste est tué, et personne ne le comprend dans son cœur; voici que les hommes de bien sont mis à mort, et personne n'y pense. Le juste a été enlevé en présence de l'iniquité, et sa sépulture sera en paix. Il a été enlevé du milieu des hommes."

49. C'est encore Isaïe qui annonce que les Gentils adoreront le Christ, quoiqu'ils ne l'attendent pas, et que les Juifs, qui l'attendent toujours, ne reconnaîtront pas sa venue. Les paroles du prophète sont mises dans la bouche du Christ lui-même: "Je me suis manifesté à ceux qui ne me demandaient pas, et j'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas. J'ai dit: Me voici, aux nations qui n'avaient pas appelé mon nom. J'ai étendu mes mains vers un peuple incrédule et contradicteur qui marchait dans une route mauvaise à la suite de ses péchés, et ce peuple ameutait la haine contre moi." En effet les Juifs, qui avaient les prophéties entre les mains, et qui attendaient toujours la venue du Christ, ne l'ont pas reconnu; et non seulement ils ne l'ont pas reconnu, mais ils l'ont mis à mort. Les Gentils, au contraire, qui n'avaient jamais rien appris du Christ avant que les apôtres, venant de Jérusalem, ne leur eussent annoncé sa venue et ne leur eussent transmis les prophéties, ont renoncé à leurs idoles, et pleins de foi et de bonheur, se sont consacrés par le Christ au culte du Dieu incréé. Quant aux persécutions dont les nouveaux confesseurs du Christ furent les victimes, quant à la pitié que doivent inspirer ceux qui accablent le Christ de malédictions, et qui trouvent beau de défendre et de conserver les vieilles institutions, voici à leur sujet un seul mot d'Isaïe: "Malheur à vous qui appelez doux ce qui est amer, et amer ce qui est doux!"

50. Jésus-Christ fait homme pour nous, devait souffrir la honte et l'ignominie sur la terre, et il doit venir une seconde fois, mais alors environné de toute sa gloire. En voici la prophétie: "Parce qu'ils ont livré son âme à la mort, parce qu'il a été compté parmi les méchants, il s'est chargé des péchés de plusieurs, et il obtiendra le pardon des pécheurs. Car, je vous le dis, mon serviteur comprendra, et il sera exalté, et il sera grandement glorifié. Plusieurs seront émerveillés de vous, et plusieurs aussi mépriseront votre aspect et votre gloire. Et aussi plusieurs nations vous admireront, et les rois resteront muets devant vous, parce que ceux-là à qui rien n'avait été annoncé et qui n'avaient rien entendu comprendront. Seigneur, qui a cru à votre parole? Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé? Nous l'avons annoncé comme un petit enfant, comme une plante sur la terre desséchée. Il n'a ni éclat, ni gloire; et nous l'avons vu, et il n'avait ni éclat, ni beauté; au contraire, son aspect était misérable, et il était abandonné devant les hommes. C'était un homme dévoué aux coups et sachant supporter son supplice, et les injures, et les indicibles mépris dont on accablait sa face. Celui-là porte nos péchés et souffre pour nous, et nous avons réfléchi qu'il était dans la souffrance et dans les supplices et dans l'affliction. Et lui, il a été chargé de coups, à cause de nos iniquités, et il a été supplicié; pour nos péchés. Nous avons appris la paix de lui, et nous avons été guéris par ses plaies; car, tous, nous errions comme des brebis: l'homme s'était perdu dans sa voie, et il l'a livré pour nos iniquités; et lui, au milieu de l'affliction, il n'a pas ouvert la bouche. Il a été conduit comme une brebis au sacrifice, et comme un agneau muet sous le ciseau qui le tond: il n'a pas ouvert la bouche, et dans cette humiliation, sa condamnation a été trouvée juste." En effet, lorsque Jésus fut crucifié, ses disciples eux-mêmes l'abandonnèrent et le renièrent, et ce fut seulement quand, après sa résurrection, il leur eut apparu et leur eut appris à lire les prophéties dont l'accomplissement venait de se faire en lui, quand ils l'eurent vu monter au ciel, et que pleins de foi et de croyance, forts de la puissance que Jésus leur envoya, ils s'en furent allés vers toutes les nations, ce fut alors seulement qu'ils instruisirent la terre et qu'ils reçurent le nom d'apôtres.

51. Pour nous montrer que celui qui s'était soumis à ces douleurs avait une origine ineffable et qu'il devait dompter tous ses ennemis, voici ce que nous dit le Saint-Esprit:" Qui racontera sa génération? Il a été retranché de la terre des vivants; il est passé dans la mort pour les iniquités des hommes, et les méchants seront rachetés par sa sépulture, et les riches par sa mort; car, lui, il n'a pas commis l'iniquité, et le mensonge n'a pas souillé sa bouche. Le Seigneur veut le guérir de ses plaies. S'il a été livré pour le péché, c'était afin que votre âme reçût une semence d'éternité. Et le Seigneur veut retirer son âme de la douleur, lui montrer la lumière, le remplir d'intelligence et justifier ce juste qui s'est dévoué pour tous. Il portera lui-même tous nos péchés: c'est pourquoi il régnera sur un grand peuple, et il partagera les dépouilles des forts, parce que son âme a été livrée à la mort, et qu'il a été compté parmi les méchant; et il a pris sur lui les péchés de plusieurs, et il a été livré pour leurs iniquités." Écoutez maintenant la prophétie de son ascension: "Ouvrez les portes des cieux, dit-il; ouvrez-les, pour que le Roi de gloire y fasse son entrée. Quel est-il ce Roi de gloire? C'est le Dieu fort et le Dieu puissant." Et au sujet de son second et glorieux avènement, Jérémie ajoute: "Voici le fils de l'homme qui vient sur les nuées du ciel, et ses anges l'accompagnent."

52. Ainsi donc, puisque nous avons déjà montré que tous les événements accomplis avaient été prédits à l'avance par les prophètes, il en faut nécessairement conclure que tout ce qui a été encore annoncé, et dont la réalisation n'a pas encore eu lieu, ne peut manquer d'arriver. Les faits accomplis, dont la prédiction était certaine et le moment inconnu, se sont réalisés; il en sera de même pour ceux qui sont encore à venir: ils sont prédits, on les ignore, on ne veut pas y croire; ils arriveront cependant. Les prophètes ont parlé de deux avènements pour le Christ: le premier, qui a eu lieu, avènement sous la figure d'un homme méprisé et persécuté; le second, dans lequel il viendra resplendissant de toute la gloire des cieux, et entouré de ses légions d'anges; alors il ressuscitera les cadavres de tous les hommes qui auront vécu sur la terre, et il revêtira les corps des justes d'une immortalité glorieuse, et il enverra ceux des méchants, incorruptibles aussi, brûler éternellement dans le feu infernal. En voulez-vous la prophétie? Écoutez Ézéchiel: "La jointure se reliera à la jointure, et l'os à l'os, et les chairs recroîtront une seconde fois. Et tout genou fléchira devant le Seigneur, et toute langue confessera son nom." Voulez-vous savoir ce que sera la douleur et le supplice des méchants? Écoutez encore: "Le ver qui les ronge ne s'assoupira pas, et le feu qui les dévore ne s'éteindra jamais." Ils se repentiront alors, mais leur repentir ne leur servira de rien. Et que feront, que diront les Juifs à ce glorieux avènement? Entendez le prophète Zacharie: "J'ordonnerai aux quatre vents de rassembler mes enfants épars; j'ordonnerai au vent du nord qu'il porte au loin ma parole, et au vent du midi qu'il n'y fasse pas obstacle. Et alors il y aura dans Jérusalem un grand gémissement, et ce ne sera pas un gémissement des lèvres et de la bouche, mais un gémissement du cœur; et ils ne déchireront pas leurs vêtements, mais leurs esprits, et ils se plaindront tribu à tribu, et alors ils verront celui qu'ils ont frappé, et ils diront: Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous fait errer loin de votre voie? La gloire dont se réjouissaient nos pères, elle est devenue pour nous une ignominie."

53. Nous aurions encore bien d'autres témoignages des prophètes à invoquer; mais nous nous arrêterons ici, persuadés que nous en avons rapportés assez pour convaincre ceux qui ont des oreilles disposées à entendre et à croire, et pour établir qu'à la différence des faiseurs de fables et de tous les historiens des prétendus fils de Jupiter, nous ne disons rien que nous ne soyons en état de prouver immédiatement. Comment, en effet, aurions-nous cru que cet homme crucifié était le fils de Dieu, appelé à juger tout le genre humain, si nous n'avions pas vu toutes les prophéties qui d'avance annonçaient sa venue, se réaliser de point en point; si maintenant nous ne voyions pas et la dévastation de la Judée, et la conversion de ces hommes de toute race, qui, à la voix des apôtres, ont abandonné leurs antiques erreurs pour embrasser la sainte doctrine; et nous-mêmes, et cette foule de Gentils, chrétiens plus sincères et plus vrais que les Juifs et les Samaritains convertis? Ce nom de Gentils a été donné par le Saint-Esprit lui-même aux nations de la terre, par opposition aux tribus de Judée et de Samarie, qu'il appelle Israël et la maison de Jacob. Il y a même une prophétie qui annonce plus de croyance dans les Gentils que dans les Juifs et les Samaritains. La voici: "Réjouissez-vous, vous qui êtes stérile et qui n'enfantez pas; éclatez en cris de joie, vous qui n'engendrez pas; car il sera donné bien plus de fils à l'épouse abandonnée qu'à celle qui a un époux." Ces abandonnées étaient les nations qui ignoraient le vrai Dieu et adoraient les oeuvres de leurs propres mains, tandis que les Juifs et les Samaritains, qui connaissaient par les prophètes la venue du Verbe de Dieu, et qui avaient toujours attendu le Christ, ne le reconnurent pas quand il descendit au milieu d'eux. À peine y eut-il quelques exceptions, dont le Saint-Esprit parle dans Isaïe: "Si le Seigneur ne nous avait pas laissé son germe, leur fait-il dire, nous serions devenus comme Sodome et Gomorrhe." Or Sodome et Gomorrhe sont deux villes représentées par Moïse comme des réceptacles d'iniquités, que le Seigneur ruina par une pluie de soufre et de feu. Personne n'y fut sauvé, excepté un étranger chaldéen, nommé Loth, qui échappa avec ses filles. Toute la contrée devint un désert, et depuis elle est restée brûlée et stérile: chacun peut s'en convaincre. Les Gentils devaient se montrer bien plus croyants et bien plus fidèles c'est ce qu'Isaïe nous apprend par ces mots: "Israël est incirconcis du cœur, et les Gentils ne le sont que du prépuce. " Or, nous vous le demandons, tant et de si formels témoignages ne sont-ils pas, pour ceux qui aiment la vérité, qui ne sont pas sous l'influence de vaines opinions ni sous le joug de leurs passions, un motif irrésistible de foi et de conviction ?

54. Ceux qui enseignent aux jeunes gens les fabuleuses inventions des poètes n'apportent aucune preuve à l'appui de leurs récits. C'est encore là, nous l'avons démontré, un des moyens dont les démons se servent pour tromper et égarer le genre humain. En effet, sachant par les prophètes la venue future du Messie et le supplice réservé aux impies, ils se sont efforcés d'inspirer croyance à une multitude de prétendus fils de Jupiter, dans l'espoir qu'ils parviendraient à mélanger et à confondre les prophéties relatives au Christ et les fables merveilleuses inventées par les poètes. Aussi répandirent-ils ces absurdes récits, surtout parmi les Grecs et parmi ceux des Gentils qu'ils croyaient, au dire des prophètes, les plus disposés à recevoir la foi du Christ. Il nous reste donc à vous montrer quel moyen ils ont employé pour détourner le véritable sens des prophéties et pour donner le change sur les oeuvres de Jésus-Christ. Le prophète Moïse, le plus ancien de tous les écrivains, comme nous l'avons déjà dit, avait prononcé ces paroles, que nous avons rapportées plus haut: "Il ne manquera pas de prince de Juda, ni de chef de sa race, jusqu'à ce que vienne celui qui est attendu; et celui-là sera l'espérance des nations, et il attachera son ânon à la vigne, et lavera sa robe dans le sang de la grappe." Les démons eurent connaissance de ces mots, et ils supposèrent un Bacchus; fils de Jupiter; ils firent croire qu'il avait découvert la vigne; ils introduisirent le vin dans ses mystères, et enseignèrent qu'il était monté au ciel après avoir été mis en pièces. Ensuite, comme dans les prophéties de Moïse il n'est pas clairement exprimé si celui qui doit venir est le fils de Dieu, et si cette bête attachée à la vigne doit lui servir pour rester sur la terre ou pour monter au ciel; enfin, comme le mot employé par Moïse peut signifier aussi bien un petit cheval qu'un petit âne; les démons, ne sachant pas si le Messie devait être fils de Dieu ou des hommes, ignorant également s'il devait monter un âne ou un cheval, s'imaginèrent d'inventer un Bellérophon, homme et fils des hommes, qui, dirent-ils, s'éleva au ciel sur le dos du cheval Pégase. Ils savaient aussi d'Isaïe que le Christ devait naître d'une vierge, et qu'il s'élèverait au ciel, et ils trouvèrent Persée. De même, ayant eu connaissance de ce mot du prophète: "Fort comme un géant qui s'élance dans la carrière, " ils imaginèrent le fort Hercule, auquel ils firent parcourir l'univers. Le Christ devait ressusciter les morts et guérir toutes les maladies, et Esculape fut mis en scène.

55. Mais ils ne pensèrent jamais à contrefaire dans aucun des prétendus fils de Jupiter le supplice de la croix. En effet, cela ne leur vint pas en idée, parce que tout ce qui en avait été dit l'avait toujours été sous le voile du symbole. Cette croix est le signe principal, le caractère particulier de la force et de la puissance, comme parle le prophète. C'est une vérité dont vous trouvez la preuve dans les objets qui tombent continuellement sous vos sens. Car, veuillez réfléchir un instant, et voyez si dans ce monde on peut rien faire sans ce signe, si sans lui le moindre commerce est possible entre les hommes? Peut-on fendre les ondes sans que, formé de la vergue et du mât, il brille comme un trophée? Peut-on tracer un sillon sans la croix de la charrue? Tous vos pionniers, comme au reste tous les artisans et tous les manœuvres, ne peuvent travailler sans des instruments qui affectent sa forme. L'extérieur même de l'homme ne diffère de celui des animaux que parce que son corps se tient droit et qu'il peut étendre les mains en croix. Et ce nez, proéminent organe de la respiration vitale, ne trace-t-il pas encore une croix au milieu du visage? Aussi le prophète a-t-il dit: "Le souffle de notre face est le Christ notre Seigneur. Les étendards et les enseignes qui partout précèdent vos pas, ce sont encore des images de la croix, et c'est cela qui, sans que vous vous en doutiez, en fait les signes et les marques de votre puissance et de votre autorité. Bien plus, quand vos empereurs sont morts, c'est avec cette forme de croix que vous consacrez leurs images et que vous leur décernez dans vos inscriptions les honneurs de la divinité. Vous le voyez, nous vous avons montré partout la puissance de ce signe; restez maintenant incrédules, nous n'aurons rien à nous reprocher, car nous avons fait et accompli tout ce qui était en nous.

56. Mais ce n'était pas assez pour les démons d'avoir inventé, avant la venue du Christ, tous ces prétendus fils de Jupiter; quand le Messie fut venu et eut vécu parmi les hommes, et qu'ils eurent appris que, selon la prophétie, il devait trouver croyance parmi les nations et que les nations l'attendaient; alors ils suscitèrent de nouveaux imposteurs tels que ce Simon et ce Ménandre de Samarie, dont nous vous avons déjà parlé, et qui séduisirent et séduisent encore bien des hommes par les oeuvres de leur magie. Je l'ai dit déjà, et vous vous le rappelez, c'était sous l'empereur Claude César; Simon vint à Rome, et il frappa d'une telle admiration le sacré sénat et le peuple romain, qu'il fut pris pour un dieu et qu'on lui éleva une statue comme à toutes les divinités que vous adorez. C'est pourquoi nous supplions le sacré sénat et le peuple romain de vouloir bien prendre connaissance de notre requête; afin que si quelqu'un se trouve victime de cette fausse croyance, il puisse reconnaître la vérité et échapper à l'erreur; et aussi pour qu'il vous plaise de détruire cette statue.

57. Mais jamais les démons ne pourront parvenir à persuader que le feu éternel n'est pas le supplice réservé aux impies, pas plus qu'ils n'ont pu parvenir à cacher la venue du Christ. Ce qu'ils peuvent faire, c'est seulement de nous faire détester des méchants, de tous ceux qui vivent dans le crime et se plaisent aux sophismes: ils ne peuvent que nous faire tuer. Et nous, nous ne haïssons pas nos persécuteurs; au contraire, nous avons pitié d'eux, nous désirons leur repentir et leur conversion. Car nous ne redoutons pas la mort, puisque après tout il faut bien mourir, que c'est là une règle générale et le cours ordinaire de la vie. Or, si à peine une année de jouissance amène la satiété d'une existence commune, combien ne doit-il pas y avoir d'attrait dans l'espérance d'une vie éternelle et inaccessible aux maux et aux privations, et combien cette perspective ne doit-elle pas engager à embrasser notre doctrine qui la promet. Que si enfin nos bourreaux croient que tout est fini avec la mort, et qu'elle nous fait retomber dans l'insensibilité du néant, c'est de leur part un grand bienfait de nous délivrer de ces souffrances et de ces besoins de la vie, ce qui ne les sauverait pourtant pas du reproche de barbarie et d'inhumanité sophistique; car s'ils nous tuent, ce n'est pas pour nous délivrer, c'est pour nous arracher la vie et le bonheur.

58. Ce sont encore les démons qui ont suscité Marcion de Pont, cet impie qui enseigne encore à présent à nier le Dieu créateur du ciel et de la terre, et son fils Jésus-Christ, annoncé par les prophètes, et qui prêche un Dieu autre que le Créateur et un fils de ce Dieu autre que le Christ. Ses adhérents ne voyant la vérité qu'en lui; nous tournent en dérision, et cependant ils ne peuvent rien prouver de ce qu'ils avancent; mais, semblables à des moutons enlevés par le loup, ils se laissent stupidement ravir en proie aux opinions impies et aux perfides démons. Car, il ne faut pas s'y méprendre, le but unique de tous les efforts et de tous les travaux de ces méchants esprits est d'arracher les hommes à Dieu et à son Christ, son fils premier-né. Les uns, ceux qui ne peuvent s'élever au-dessus de la terre, ils les fixent et les clouent aux choses de la terre; mais ceux qui s'élèvent jusqu'à la contemplation des choses célestes, ils les en détournent, s'ils n'ont le jugement sain et s'ils ne mènent une vie pure et exempte de troubles, et ils les lancent dans l'impiété.

59. Pour que vous sachiez que c'est à la doctrine reçue de nos auteurs et de nos prophètes que Platon doit d'avoir dit: Dieu a pris la matière informe, il l'a changée et il a fait le monde, écoutez ce que disait Moïse, le premier des prophètes et le plus ancien des écrivains, comme nous vous l'avons déjà démontré. Voici comment par sa bouche le Saint-Esprit raconte la création du monde: "Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre, et la terre était invisible et informe, et les ténèbres étaient sur l'abîme, et l'esprit de Dieu planait sur les eaux. Et Dieu dit: que la lumière soit; et la lumière fut." C'est donc la parole de Dieu qui a fait le monde, comme le dit Moïse et de la manière dont il le rapporte, et c'est de lui que Platon l'a appris comme tous ceux qui sont venus après lui, comme nous-mêmes, et comme vous aussi, vous le pouvez voir. Il n'y a pas jusqu'à l'Erèbe, comme l'appellent les poètes, qui n'ait d'abord été nommé par Moïse.

60. Et quand, dans le Timée, Platon cherchant, à l'aide des lumières naturelles, ce qu'est le fils de Dieu, dit: "Qu'il l'a imprimé en X partout, " c'est encore une idée qu'il a empruntée à Moïse. Car nous lisons dans Moïse qu'au temps où les Israélites traversaient le désert après la sortie d'Égypte, ils furent assaillis par des animaux venimeux, des vipères, des aspics, des serpents de tout genre qui dévoraient le peuple. Alors Moïse , par l'inspiration de Dieu et d'après ses ordres, prit de l'airain, en fit une croix, et l'ayant placée sur le tabernacle, dit au peuple: "Regardez ce signe et croyez, et par lui vous serez sauvés." Et aussitôt tous les serpents périrent, et le peuple fut sauvé. Platon lut ce fait, et ne remarquant pas que ce signe était une croix, il crut que c'était seulement un X, et il dit "qu'après Dieu principe, la seconde vertu était imprimée en X dans tout l'univers." Et ce qu'il appelle la troisième vertu, c'est l'esprit de Dieu qui planait sur les eaux, et dont il avait pris connaissance dans Moïse. Aussi donne-t-il la seconde place après Dieu à ce Verbe qui est marqué en X dans tout l'univers, et la troisième à cet esprit qui planait sur les eaux, car, dit-il: Les troisièmes sont autour du troisième. Quant à la conflagration future, voici ce que prédit l'Esprit saint par la bouche de Moïse: "Le feu descendra sur les vivants et dévorera jusqu'au plus profond de l'abîme." Ainsi donc nous ne pensons pas comme les autres; mais ce que les autres disent, ils l'ont pris de nous. Telles sont les choses que parmi nous l'on peut entendre et apprendre de la bouche même de ceux qui ne connaissent pas la figure des lettres, gens ignorants et barbares de langage, mais sages et fidèles d'esprit, quoique faibles encore et peu clairvoyants; afin qu'il soit clairement démontré que ce n'est pas la sagesse humaine qui agit, mais bien la vertu de Dieu.

61. Nous allons maintenant vous exposer comment, rendus à la vie par Jésus-Christ, nous sommes par lui consacrés à Dieu; car si nous omettions ce point, on pourrait nous accuser de dissimulation dans notre récit. Tous ceux qui se sont laissés persuader de la vérité de nos doctrines et de nos paroles, tous ceux qui y ont ajouté foi et croyance, et qui ont solennellement promis de vivre conformément à nos préceptes, apprennent à joindre leurs jeûnes à nos jeûnes, leurs prières à nos prières, pour obtenir de Dieu le pardon de leurs fautes passées. Ils sont ensuite conduits au lieu où est l'eau, et là, de la même manière que nous avons été régénérés, ils sont régénérés à leur tour; car ils sont lavés dans l'eau au nom de Dieu, père de l'univers, de Jésus-Christ, notre Sauveur, et du Saint-Esprit, en accomplissement de cette parole du Christ: "Si vous n'avez pas été régénérés, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux." Or comme il est impossible que ceux qui sont nés une fois rentrent dans le sein de leur mère, cette régénération ne se peut entendre que dans le sens du prophète Isaïe, dont nous avons déjà rapporté les paroles, et qui la représente comme le moyen d'effacer les péchés, de convertir et de faire éviter le mal. "Lavez-vous, dit-il, et soyez purs; enlevez le mal de vos âmes; apprenez à faire le bien; rendez justice au pupille et faites droit à la veuve. Et puis venez et nous compterons, dit le Seigneur; et si vos péchés vous ont rendus rouges comme la pourpre, je vous rendrai blancs comme la laine; s'ils vous ont rendus écarlates, je vous rendrai blancs comme la neige. Mais si vous ne m'écoutez pas, le glaive vous dévorera. Et c'est la bouche du Seigneur qui a dit ces choses. " Les apôtres aussi nous ont donné de cette régénération une explication semblable. Nous ignorons l’œuvre de notre génération naturelle; le mélange fortuit de nos parents, quelques gouttes de semence, telles en sont les causes; et ensuite nous sommes élevés dans l'habitude du mal et des leçons de l'iniquité. Or, pour que nous ne restions pas ainsi les fils du hasard et de l'ignorance, mais de l'élection et de la science, l'eau vient nous obtenir la rémission de toutes nos fautes passées. Le nom du Seigneur Dieu et maître de l'univers se prononce sur la tête de celui qui veut être régénéré et qui a fait pénitence de ses égarements. A cette cérémonie de l'eau, nous ne donnons à Dieu d'autre nom que celui de Dieu; car qui pourrait donner un nom au Dieu ineffable? et n'y aurait-il pas folie à dire même qu'il a un nom? Cette ablution se nomme illumination, parce que ceux qui la reçoivent sont illuminés intérieurement. Et c'est au nom de Jésus-Christ, crucifié sous Ponce Pilate, et au nom du Saint-Esprit qui a inspiré toutes les prophéties relatives à Jésus, que cette illumination se répand sur le nouveau chrétien.

62. Les démons connaissaient bien par les prophètes que cette ablution devait être établie; aussi voulurent-ils que ceux qui entraient dans leurs temples, pour les supplier et pour y présenter leurs offrandes et leurs sacrifices, se purifiassent par une aspersion d'eau lustrale; et maintenant encore, on ne se met point en chemin pour aller visiter un temple ou résident quelques-uns de ces démons, qu'on ne soit préalablement lavé de la tête aux pieds. L'obligation de quitter sa chaussure, cérémonie que les prêtres exigent de ceux qui veulent entrer dans les temples, n'est encore qu'une invention des démons et une imitation de ce qui advint au prophète Moïse, à l'époque où il reçut l'ordre de descendre en Égypte et d'en faire sortir le peuple d'Israël. Il était en Arabie, et faisait paître les troupeaux de son oncle maternel. Jésus-Christ, sous la forme de feu, lui parla dans un buisson, et lui dit: "Quitte ta chaussure, approche-toi, et écoute." Alors, ayant déposé ses sandales, il s'approcha, et entendit qu'il devait descendre en Égypte, se mettre à la tête du peuple d'Israël qui y résidait, et le faire sortir de cette terre. Et ayant reçu du Christ, qui lui parlait caché sous l'apparence du feu, une grande puissance, il descendit, et fit sortir son peuple de la terre de servitude, à l'aide de grands et merveilleux miracles, comme vous pouvez le lire dans ses ouvrages, si vous en avez le désir.

63. Tous les Juifs, encore maintenant, enseignent que c'est le Dieu ineffable qui a parlé à Moïse; aussi, dans Isaïe, le Saint-Esprit leur reproche-t-il leur ingratitude: "Le bœuf a connu son maître, et l'âne son étable: Israël ne m'a pas connu, et mon peuple ne m'a pas compris." Jésus-Christ lui-même leur fait également ce reproche de n'avoir pas su ce qu'était le Père ni ce qu'était le Fils: "Personne, dit-il, ne connaît le Père, si ce n'est le Fils; personne ne connaît le fils, si ce n'est le Père, et ceux à qui le Fils l'a révélé." Or, le Verbe de Dieu est son fils, nous l'avons dit. Il est aussi appelé l'Ange et l'Apôtre; car il annonce tout ce qu'on doit savoir, et il est envoyé pour marquer ce qui est annoncé, comme Notre-Seigneur nous l'a dit lui-même: "Celui qui m'écoute, écoute celui qui m'a envoyé." C'est ce que prouvent encore les écrits de Moïse, où nous lisons: "Et l'Ange de Dieu parla à Moïse dans la flamme du buisson ardent, et dit: Je suis le Vivant, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu de tes pères. Descends en Égypte, et fais-en sortir mon peuple." Quant à ce qui suit, vous pouvez le voir dans ses livres si vous le voulez; car nous ne pouvons pas ici transcrire tous ces passages. Ce que nous en avons dit était pour démontrer que Jésus-Christ est le fils de Dieu et son Apôtre; et c'est lui-même, le Verbe de Dieu, qui tantôt se montrait sous l'apparence du feu, tantôt sous une figure incorporelle, lui qui s'est ensuite fait homme selon la volonté de son Père, et qui a souffert toutes les cruautés dont, à l'instigation des démons, les Juifs l'ont accablé. Malgré ces positives explications de Moïse, malgré cette énumération nominative: "Et l'Ange de Dieu parla à Moïse dans la flamme du buisson ardent, et dit: Je suis le Vivant, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob; " ils prétendent qu'il s'agit ici de Dieu le Père éternel, que c'est lui qui a parlé. Et de là viennent ces reproches de l'Esprit saint: "Israël ne m'a pas connu, et mon peuple ne m'a pas compris." De là vient aussi que Jésus, étant au milieu d'eux, leur disait: "Personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils; personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père et ceux à qui le Fils l'a révélé." Ainsi donc, ils méritent bien le reproche de ne connaître ni le Père ni le Fils, ces Juifs qui pensent que c'est le Père éternel qui a parlé à Moïse, tandis que c'est le Fils de Dieu, son Ange et son Apôtre. Dire en effet que le Père est le Fils, c'est prouver que l'on ne connaît ni le Père ni le Fils du Père, ce Fils qui, Verbe et premier-né de Dieu, est Dieu comme lui. Nous l'avons dit déjà, il s'est manifesté à Moïse et aux autres prophètes sous l'apparence du feu ou sous une forme incorporelle; et maintenant, au temps de l'empire romain, il s'est fait homme; il est né d'une vierge, selon la volonté de son Père, et pour le salut de ceux qui croient en lui. Il a souffert les mépris et les supplices pour vaincre la mort par sa mort et par sa résurrection. Et ce qui fut dit à Moïse du buisson: "Je suis le Vivant, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob et le Dieu de tes pères, " prouve qu'ils existaient encore après leur mort, et étaient encore les hommes du Christ; car ce sont eux qui, les premiers de tous, ont vécu dans la recherche de Dieu, Abraham père d'Isaac, Isaac père de Jacob, comme le témoigne la généalogie rapportée par Moïse.

64. Ce simulacre de femme, que l'on nomme par excellence la Vierge, et que l'on érige d'ordinaire auprès des sources d'eau, est encore une invention des démons, qui en ont fait une fille de Jupiter, et cela à l'imitation des paroles de Moïse, comme vous pouvez vous en convaincre d'après ce que nous avons déjà cité. Nous le répéterons ici: "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, et la terre était sans forme, sans aspect, et l'esprit de Dieu planait sur les eaux." C'est à l'instar de cet esprit de Dieu porté sur les eaux que Proserpine a été inventée et présentée comme fille de Jupiter. La même malice leur a fait imaginer cette Minerve, autre fille de Jupiter et née sans le commerce de la génération. Le monde existant dans la pensée et la raison de Dieu, fut créé par le Verbe; les démons ne l'ignoraient pas, et ils appelèrent Minerve cette première conception de création. Et y a-t-il rien de plus ridicule que de représenter une idée, une notion première sous la figure d'une femme? Il en est de même pour tous les autres prétendus fils de Jupiter: leurs actes les condamnent.

65. Revenons à nous. Quand celui qui s'est associé à notre foi et à notre croyance a reçu l'ablution dont nous avons parlé plus haut, nous le conduisons dans le lieu où sont rassemblés ceux que nous nommons nos frères. Là commencent les prières ardentes que nous faisons pour l'illuminé, pour nous-mêmes et pour tous les autres, dans l'espoir d'obtenir, avec la connaissance que nous avons de la vérité, la grâce de vivre dans la droiture des oeuvres et dans l'observance des préceptes, et de mériter ainsi le salut éternel. Quand la prière est terminée, nous nous saluons tous d'un baiser de paix; ensuite on apporte à celui qui est le chef des frères; du pain, de l'eau et du vin. Il les prend et célèbre la gloire et chante les louanges du Père de l'univers, par le nom du Fils et du Saint- Esprit, et fait une longue action de grâces, pour tous les biens que nous avons reçus de lui. Les prières et l'action de grâces terminées, tout le peuple s'écrie: Amen! Amen, en langue hébraïque, signifie, ainsi soit-il. Quand le chef des frères a fini les prières et l'action de grâces, que tout le peuple y a répondu, ceux que nous appelons diacres distribuent à chacun des assistants le pain, le vin et l'eau, sur lesquels les actions de grâces ont été dites, et ils en portent aux absents.

66. Nous appelons cet aliment Eucharistie, et personne ne peut y prendre part, s'il ne croit la vérité de notre doctrine, s'il n'a reçu l'ablution pour la rémission de ses péchés et sa régénération, et s'il ne vit selon les enseignements du Christ. Car nous ne prenons pas cet aliment comme un pain ordinaire et une boisson commune. Mais de même que, par la parole de Dieu, Jésus-Christ, notre Sauveur, ayant été fait chair, a pris sang et chair pour notre salut; de même aussi cet aliment, qui par l'assimilation doit nourrir nos chairs et notre sang, est devenu, par la vertu de l'action de grâces, contenant les paroles de Jésus-Christ lui-même, le propre sang et la propre chair de Jésus incarné: telle est notre foi. Les apôtres, dans leurs écrits, que l'on nomme Évangiles, nous ont appris que Jésus-Christ leur avait recommandé d'en agir de la sorte, lorsque ayant pris du pain, il dit: "Faites ceci en mémoire de moi: ceci est mon corps; " et semblablement ayant pris le calice, et ayant rendu grâces: "Ceci est mon sang, " ajouta-t-il; et il le leur distribua à eux seuls. Les démons n'ont pas manqué d'imiter cette institution dans les mystères de Mithra; car on apporte à l'initié du pain et du vin, sur lesquels on prononce certaines paroles que vous savez, ou que vous êtes à même de savoir.

67. Après l'assemblée, nous nous entretenons les uns les autres dans le souvenir de ce qui s'y est passé. Si nous avons du bien, nous soulageons les pauvres et nous nous aidons toujours; et dans toutes nos offrandes, nous louons le Créateur de l'univers par Jésus-Christ son Fils et par le Saint-Esprit. Le jour du soleil, comme on l'appelle, tous ceux qui habitent les villes ou les campagnes se réunissent dans un même lieu, et on lit les récits des apôtres ou les écrits des prophètes, selon le temps dont on peut disposer. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours pour exhorter à l'imitation de ces sublimes enseignements. Ensuite nous nous levons tous et nous prions; et, comme nous l'avons dit, la prière terminée, on apporte du pain, du vin et de l'eau, et celui qui préside fait les prières et les actions de grâces avec la plus grande ferveur. Le peuple répond: Amen, et la distribution et la communion générale des choses consacrées se fait à toute l'assistance; la part des absents leur est portée par les diacres. Ceux qui sont dans l'abondance et veulent donner, font leurs largesses, et ce qui est recueilli est remis à celui qui préside, et il assiste les veuves, les orphelins, les malades, les indigents, les prisonniers et les étrangers: en un mot, il prend soin de soulager tous les besoins. Si nous nous rassemblons le jour du soleil, c'est parce que ce jour est celui où Dieu, tirant la matière des ténèbres, commença à créer le monde, et aussi celui où Jésus-Christ notre Sauveur ressuscita d'entre les morts; car les Juifs le crucifièrent la veille du jour de Saturne, et le lendemain de ce jour, c'est-à-dire le jour du soleil, il apparut à ses disciples, et leur enseigna ce que nous avons livré à vos méditations.

68. Si donc cet exposé vous paraît raisonnable et sincère, prenez-le en considération. S'il vous semble peu sérieux, traitez-le comme une bagatelle, dédaignez-le; mais du moins ne condamnez pas des innocents comme vous frapperiez des ennemis coupables, ne les envoyez pas à la mort; car, nous vous le prédisons, vous n'éviterez pas le jugement de Dieu si vous persistez dans votre iniquité. Pour nous, nous nous contenterons de dire: Que la volonté de Dieu se fasse! Nous pourrions bien vous supplier, aux termes d'une lettre du très-grand et très-illustre César Hadrien, votre père, de nous accorder une information régulière telle que nous la réclamons. Cependant la constitution d'Hadrien ne sera pas le titre principal que nous invoquerons. Notre espoir est dans la justice de notre demande: c'est là ce qui nous a déterminés à composer cette supplique et à détailler ce récit. Néanmoins, nous avons ajouté ici une copie de la lettre d'Hadrien, comme preuve de nos allégations. La voici :

HADRIEN A MINUCIUS FUNDANUS.

69. J'ai reçu la lettre du clarissime Serenius Granianus, à qui vous avez succédé. Le fait me semble de nature à demander une enquête, pour éviter les troubles et ne pas laisser prise à la calomnie. Si les hommes des provinces veulent donner suite à leurs pétitions contre les chrétiens et les appeler devant votre tribunal, qu'ils s'y rendent; mais qu'ils s'abstiennent de pétitions et de vagues récriminations. Il est bien plus convenable, s'il y a une accusation intentée, que vous en connaissiez. Ainsi donc, si on accuse les chrétiens, et qu'on démontre qu'ils ont agi contre les lois, jugez-en selon la gravité du délit. Mais si, par malheur, ce n'est la qu'un prétexte de calomnies, faites une enquête sévère de cette cruelle conduite, et ayez soin de tirer vengeance des calomniateurs.

LETTRE D'ANTONIN AUX PEUPLES D'ASIE.

70. L'empereur César Titus AEIius Hadrien Antonin Auguste Pieux, grand Pontife, tribun pour la quinzième fois, consul pour la troisième, père de la patrie, aux peuples d'Asie, salut. Je croyais que les dieux se chargeraient d'empêcher que de pareilles gens restassent cachées; car, s'ils le pouvaient, ce serait à eux, bien plutôt qu'à vous, de châtier des hommes qui refusent de les adorer. Vous les tourmentez, vous accusez leur doctrine, vous les taxez d'athéisme, vous leur imputez une foule de griefs que vous ne pouvez prouver. C'est pour eux le plus grand bonheur de mourir pour leur doctrine. Ils triomphent de nous, puisqu'ils nous jettent leur vie, plutôt que d'obéir à ce que vous leur demandez. Quant aux tremblements de terre présents et passés, vous n'avez pas droit de donner des avis, vous qui tremblez lors de ces événements. Comparez votre conduite à la leur: ils ont infiniment plus de confiance que vous en Dieu. Quand la terre tremble, vous semblez avoir oublié qu'il y a des dieux; vous négligez leurs temples, vous ne pensez pas au culte; et vous les persécutez, ceux qui honorent la Divinité, vous les poursuivez jusqu'à la mort. D'autres gouverneurs de province ont écrit à mon divin père au sujet de ces hommes-là. Il leur a répondu qu'il ne fallait pas les inquiéter, tant qu'on ne les surprendrait pas à tramer quelque chose contre l'empire romain. A toutes les demandes que l'on m'a adressées à ce sujet, j'ai répondu dans le même sens que mon père. Si donc quelqu'un accuse un de ces hommes et lui intente une action pour sa qualité, qu'on renvoie l'accusé absous, quand même sa qualité serait prouvée, et que l'accusateur soit puni.

LETTRE DE L'EMPEREUR MARC-AURÈLE AU SENAT, ATTESTANT QU'IL A ETE REDEVABLE AUX CHRETIENS DE LA VICTOIRE.

71. L'empereur César Marc-Aurèle Antonin, Germanique, Parthique, Sarmatique, au peuple romain et au sacré Sénat, salut. Je vous ai fait part de la grandeur de mes desseins, et des avantages considérables que j'ai remportés sur les frontières de la Germanie, depuis que, fatigué et souffrant, je fus enfermé à Cotinum par soixante-quatorze enseignes, qui me resserraient dans un cercle de neuf milles. Mes coureurs m'avaient donné avis de l'approche de l'ennemi, et Pompéianus, maître de la milice, ne tarda pas à me confirmer cette nouvelle. Je n'avais à opposer à quatre-vingt-dix-sept mille hommes de troupes réglés et de Barbares que quelques détachements des légions Première, Dixième, Gémina, et quelques Férentariens des troupes légères. En comparant la multitude des ennemis et le petit nombre des miens, je vis qu'il ne fallait espérer que dans les divinités de la patrie. Je les implorais; mais elles ne m'exauçaient pas: mes troupes étaient réduites à l'extrémité. Je me décidai à mander tous ceux que nous appelons chrétiens; ils répondirent à mon appel, et je fus étonné et irrité de leur grand nombre. Cette colère était injuste; car je ne tardai pas à éprouver leur puissance. Ce n'est pas le cliquetis des armes, le bruit des flèches, le son des trompettes qui excite leur vaillance (tout cela leur déplaît, à cause du Dieu qu'ils portent dans leur cœur; car, il faut en convenir, ces prétendus athées ont dans leur cœur un Dieu qui y réside, les exhorte et les fortifie); ils se précipitèrent à genoux et firent une ardente prière, non seulement pour moi, mais pour toute l'armée, dans l'espoir d'obtenir que notre soif et notre faim fussent apaisées. L'eau surtout nous manquait; il y avait cinq jours que nous n'en avions reçu, car nous étions sur les confins de la Germanie, au milieu d'un pays ennemi. A peine s'étaient-ils prosternés à terre et avaient-ils invoqué leur Dieu, qui m'était inconnu, que tout à coup il tomba du ciel une pluie abondante, qui nous rafraîchissait extrêmement, tandis qu'une grêle de feu accablait les ennemis de Rome. Ainsi se témoigna, aux premiers accents de la prière, la présence du Dieu invincible et irrésistible. Prenant donc en considération tout ceci, nous leur permettons d'être chrétiens, dans la crainte qu'ils n'obtiennent contre nous le secours d'aussi terribles armes. Ainsi je veux que l'on ne puisse pas accuser un de ces hommes à cause de sa qualité de chrétien. Que si quelqu'un accuse un chrétien à cause de sa religion, je veux que le chrétien soit renvoyé absous, s'il n'y a pas contre lui d'autre charge, et que le délateur soit brûlé vif. Quant aux chrétiens qui font profession de leur croyance, et qui prouvent qu'ils ne sont accusés qu'à cause de cette qualité, celui à qui l'administration de la province est confiée ne doit pas les forcer à quitter cette religion, ni les priver de la liberté. Je veux que cette constitution soit confirmée par un sénatus-consulte, et affichée dans le forum de Trajan, pour que le public puisse la lire. Notre préfet, Verasius Pollion, aura soin d'en envoyer des exemplaires dans toutes les provinces, et il sera libre à quiconque en désirera une copie, de la prendre sur l'affiche que nous avons ordonnée.

    

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