Le centurion
Jésus et le soldat romain
Mercredi 31 mars 2010
Pilate a livré
Jésus aux juifs, pour être crucifié, mais crucifié par des soldats
romains, ou à la solde des romains. Jésus a été chargé de sa croix:
le long chemin vers le Calvaire est commencé. Pour que le spectacle
soit
complet, et pour gagner du temps, deux autres condamnés, de droit
commun ceux-là, seront crucifiés avec Lui et comme Lui. Jésus devait
être mis au rang des malfaiteurs...
Jésus, chargé de
sa croix, marche lentement: il n’a plus les forces suffisantes pour
avancer sur son chemin du supplice. L’agonie et la sueur de sang
l’ont beaucoup affaibli. La flagellation et le couronnement d’épines
l’ont presque totalement vidé de son sang. La Croix est beaucoup
trop lourde, et Jésus tombe.
Jésus est tombé
sous le poids de sa croix. Alors la foule hurlante se rue sur Lui
pour Le bourrer de nouveaux coups; des fanatiques Lui jettent des
pierres, celles qu’ils n’avaient pas pu lancer quelques mois
auparavant. Le corps de Jésus frémit sous la douleur aiguë des
pierres qui tailladent ses chairs déjà tellement déchirées. Les
soldats lancent de féroces coups de pieds pour que le condamné se
relève plus vite; mais Jésus ne peut pas se relever...
Le centurion
romain contemple ce spectacle. Jamais, de toute sa vie qui ne fut
pas très tendre, il n’avait jamais vu çà: un homme souffrir autant,
avec une telle dignité, et sans se plaindre, sans dire un seul mot
ou laisser échapper un seul gémissement. Pourtant, lui, centurion
romain, il en a vu mourir des condamnés, il en a entendu hurler et
blasphémer des êtres encore ignobles et abjects même au seuil de la
mort. Aujourd’hui, le centurion romain est dépassé: il ne comprend
pas, et il regarde Jésus, Jésus allongé sous le bois. Et soudain son
cœur pleure: l’homme dur a pitié.
Le
centurion romain a pitié de Jésus et il commence par chasser la
foule hurlante et insultante. Il chasse la foule à sa façon à lui,
d’homme dur, de soldat habitué à utiliser l’épée et toutes sortes
d’autres armes. La foule apeurée quitte sa proie et le centurion
reste seul près de Jésus. Le centurion a pitié, mais il doit
accomplir sa tâche, jusqu’au bout, comme tous les soldats romains
ont appris à le faire. Alors, le centurion romain appelle trois
soldats, de ceux qui sont sous ses ordres, et à qui il peut dire:”Fais
ceci, et il le fait, fais cela, et il le fait.”
Jésus est de
nouveau debout, et le chemin vers le lieu du supplice final peut
reprendre.
Le corps de
Jésus n’est plus qu’une partition de souffrances. Il est debout,
mais il ne peut avancer que très lentement, trop lentement pour les
membres du Sanhédrin qui s’impatientent en pensant que dans quelques
heures c’est la grande Pâque des juifs, le Sabbat solennel, et
qu’ils doivent se garder purs... Alors les hurlements reprennent,
les invectives pleuvent. Malgré les soldats qui entourent Jésus, on
réussit à atteindre le condamné et à le faire tomber, une nouvelle
fois. Des hystériques gesticulent pour mieux injurier l’homme qui
meurt... Car Jésus meurt... mais Jésus ne doit pas mourir, car on ne
crucifie jamais un cadavre. Jésus doit être crucifié vivant!...
Encore une fois
le centurion intervient: il cherche dans la foule quelqu’un qui
pourrait porter la croix. Tiens! voici un homme de rien, un de ces
étrangers égarés là, probablement un descendant d’esclaves: de gré
ou de force, il fera l’affaire. Mais l’homme se défend: il n’est ni
malfaiteur, ni esclave, ni...
Que se
passe-t-il? Pendant que le centurion romain s’agite auprès du
Cyrénéen récalcitrant, une femme a réussi à s’approcher de Jésus. Il
ne manquait plus que çà! La femme s’agenouille; doucement, presque
tendrement, elle nettoie la face de Jésus et lui murmure quelques
mots. Le centurion romain n’en revient pas: c’est la première fois
qu’il voit une femme s’approcher d’un condamné à mort entouré de
gens hurlant à la mort!!! Mais qui est donc ce Jésus qui suscite à
la fois tant de haine et tant d’amour?
Grâce à quelques
bourrades bien placées, Simon de Cyrène a été convaincu: il va aider
ce condamné de droit commun, ce bandit qu’il ne connait pas! Mais il
lui fera sentir, à ce malotru, que Simon n’aime pas les condamnés à
mort, que lui, au moins, il est un homme honnête et que c’est
contraint et forcé qu’il va prendre le bois maudit. Ah! il va voir
ce qu’il va voir!...
Pendant qu’il
s’avançait en traînant les pieds, quelqu’un dit à Simon:
– Va, mon ami,
cet homme, c’est Jésus de Nazareth, le prophète qui nous a fait tant
de bien. Nos chefs ne veulent pas de Lui parce qu’Il nous demande de
nous aimer les uns les autres.
Simon n’insiste
plus; il va vers Jésus, en hâte. Il se souvient que l’an dernier,
son petit fils a été guéri par ce même Jésus que l’on martyrise
aujourd’hui, devant lui. Le centurion romain regarde Jésus et
l’homme qui se charge du bois, de plus en plus étonné devant le
brusque changement d’attitude du Cyrénéen.
Le centurion
romain avance, devenu pensif. Les condamnés sont arrivés au sommet
du Calvaire et, lui, chef de la centurie, il doit donner l’ordre des
trois crucifixions. Et il doit assister au spectacle, jusqu’au bout:
c’est la loi. Comme à l’ordinaire, les deux premiers condamnés, les
bandits bien connus et redoutés des romains, se comportent
normalement, en criant, en hurlant toutes les imprécations
habituelles. Mais Jésus se tait toujours. Seule quelques larmes, qui
semblent contenir toute la souffrance du monde, coulent sur ses
pauvres joues blessées et maculées de crachats. Et le centurion
romain ne comprend pas, et son cœur se serre, et furtivement il
essuie les larmes indiscrètes qui se sont échappées de ses yeux.
Tout est
terminé. Jésus est crucifié... Au pied de la Croix, se trouve un
jeune homme: probablement un jeune frère. Il y a aussi deux femmes
qui sanglotent: la mère et une prostituée que lui, le soldat de
l’Empereur, avait connue autrefois... Le centurion romain laisse
faire...
On approche de
la neuvième heure. Le ciel se couvre: un orage menace. Mais la nuit
qui survient n’est pas normale: aucun orage n’a jamais provoqué des
ténèbres aussi profondes que celles qui, maintenant, envahissent les
lieux. Et ces grondements sourds, et ce tremblement de terre? Tout
le monde a fui autour des condamnés à mort, autour des crucifiés qui
meurent lentement. Le centurion romain a peur, mais il doit rester
là, en faction: c’est son devoir de soldat romain.
Sans s’en rendre
compte, le centurion romain s’est rapproché de la Croix de Jésus. Il
entend vaguement quelques paroles que Jésus articule difficilement,
puis c’est le grand cri, le cri déchirant qui traverse l’espace et
fait frémir la terre...
Le centurion
romain n’a pas bronché: un soldat romain ne doit pas quitter son
poste... Mais bouleversé, le centurion romain s’écrie:
– Vraiment !
Celui-ci était le Fils de Dieu ! |