Dom Vital LEHODEY
Ancien Abbé de Notre-Dame de Grâce
1857-1948


 

CHAPITRE VII
L’ABANDON DANS LES VARIÉTÉS SPIRITUELLES DE LA VOIE COMMUNE

Privation de certains secours spirituels.

Nous empruntons à saint François de Sales ce terme de « Variétés spirituelles », et nous l'employons pour exprimer tout ce qui, n'étant pas essentiel à la vie surnaturelle, s'y rattache comme l'accident à la substance.

Au chapitre précédent, nous avons parcouru ce qui forme le fond de la vie spirituelle: sa fin essentielle, son essence et son exercice essentiel en ce monde, ses moyens essentiels. Quelles que soient la situation où Dieu nous mette, la voie par où il nous mène, il faudra toujours tendre à la gloire éternelle, vivre de la grâce, et, pour cela, fuir le péché, pratiquer les vertus à l'exemple de notre divin Modèle, par les moyens que nous assigne la volonté de Dieu signifiée, au moins par ceux qui sont obligatoires pour chacun de nous. C'est la partie invariable de la vie spirituelle; on doit la retrouver en chaque fidèle, à n'importe quel âge; et c'est ce qui donne à tous les enfants de Dieu un même air de famille entre eux.

Mais sur ce fond commun viendront se peindre des traits particuliers, qui varient beaucoup d'une âme à l'autre, et jusque dans une même personne à des époques diverses : il y a les innocents et les pénitents, les religieux et les séculiers, les contemplatifs et les actifs, etc. Dieu aime la variété dans l'unité. Il multipliera donc les vocations jusqu'à l'infini. Sous une même règle, sa grâce attirera davantage à ta pénitence ou à la contemplation, à l'obéissance ou à la charité. Par sa volonté de bon plaisir, il disposera les événements de manière à nous conduire à son gré, dans la paix ou la guerre, dans la sécheresse ou les consolations, par les voies communes ou mystiques. Le fond de la vie spirituelle restera le même pour toutes les âmes, mais les conditions accidentelles seront assez diverses pour imprimer à chacune sa physionomie particulière.

Il nous reste à parler de ces variétés mais seulement en tant qu'elles procèdent du bon plaisir divin, et donnent lieu au saint abandon. Nous commencerons par celles qui peuvent se rencontrer dans toute voie, commune ou mystique. Nous parlerons ensuite de celles qui sont propres aux états mystiques.

Nous avons dit précédemment que le bon plaisir divin peut nous ôter, pour un temps ou pour toujours, certains moyens de sanctification, qui, sans cela, nous seraient très désirables, ou même obligatoires. Ce sont, par exemple, des personnes, des ressources, des observances, des exercices de piété, même les sacrements.

1. Ce sont d'abord des personnes : un directeur, un supérieur, un père, un ami, dont l'aide était pour nous de la plus haute importance spirituelle, et que Dieu nous enlève ou par la mort ou par la séparation.

Assurément, il n'est pas permis de se reposer sur un homme, comme s'il était la cause première de notre sanctification. Mais on peut mettre son espérance en lui, comme dans un agent secondaire, et l'instrument de la Providence en cette sainte entreprise, et plus cet homme est rempli de l'Esprit de Dieu et capable de nous faire du bien, plus il est sage, licite, et même requis jusqu'à un certain point de nous appuyer sur lui. Tous les soutiens que Dieu nous donne : soutiens d'affection, soutiens d'édification, soutiens de direction, il faut les prendre avec reconnaissance, mais nous tenir prêts à bénir Dieu s'il nous les enlève, comme nous l'avons béni de nous les avoir prêtés, et croire cependant que si, sous le coup d'une privation d'ailleurs acceptée généreusement, nous versons quelques larmes, l'amour de Dieu, tout jaloux qu'il est, ne nous les reprochera pas.

Il vous semble que, sans l'aide de cet appui, vous ne pouvez vous soutenir. Tant qu'il vous a été très utile et comme indispensable, ce sage directeur, ce saint supérieur, cet ami spirituel vous a été donné. Mais Dieu a-t-il cessé de vous aimer ? N'est-il plus votre père ? Un tel père peut-il oublier vos intérêts les plus sacrés ? Croyez donc qu'il ne vous abandonne pas. Il est vrai que le guide que vous regrettez vous a heureusement conduit jusqu'ici; était-il également propre à vous diriger dans le chemin qui vous reste à parcourir ? Notre-Seigneur a pu dire à ses Apôtres, sans doute parce qu'ils l'aimaient d'une affection trop sensible : « Il vous est avantageux que je m'en aille; car si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas à vous; si je m'en vais, je vous l'enverrai » . Cet ami, ce directeur, vous est-il plus nécessaire que Notre-Seigneur ne l'était à ses Apôtres ? Vous direz peut-être : C'est un châtiment de mes infidélités; Soit; mais les châtiments d'un père deviennent pour les enfants dociles un remède salutaire. Voulez-vous désarmer Dieu, toucher son cœur, l'obliger à vous combler de nouvelles grâces ? Acceptez son châtiment, demandez-lui son aide; et, pour prix de votre confiant abandon à sa volonté, ou bien il vous suscitera le guide dont vous avez besoin maintenant, ou bien il se chargera lui-même de votre conduite.

Le P. Balthazar Alvarez s'étant mis un jour à calculer le tort que lui causait la perte de son directeur, il lui fut dit intérieurement : « Celui-là fait injure à Dieu, qui s'imagine avoir besoin d'un secours humain, dont il est privé sans qu'il y ait de sa faute. Celui qui te dirigeait par un homme veut actuellement te diriger par lui-même; quelle raison as-tu de t'en plaindre? C'est, au contraire, un bienfait signalé, et le prélude de grandes faveurs ». Saint Alphonse ajoute: « Notre sanctification n'est pas l'ouvrage de nos pères spirituels, mais celui de Dieu. Lorsque le Seigneur nous les donne, il veut que nous profitions de leur ministère pour la direction de notre conscience; mais quand il nous les ôte, il veut que, loin d'en être mécontents, nous redoublions de confiance en sa bonté, et que nous lui parlions ainsi : Seigneur, vous m'aviez donné cet appui, et voilà que vous me le retirez; que toujours votre volonté soit faite; mais maintenant venez à mon secours, et enseignez-moi ce que je dois faire pour vous servir fidèlement». Bien entendu, cette confiance en Dieu ne dispense pas de faire les démarches nécessaires pour trouver un autre directeur : Aide-toi, le ciel t'aidera.

Concluons avec le P. Saint-Jure : « Dans la perte des personnes qui nous sont utiles pour notre avancement spirituel, on fait souvent de grandes fautes, eu ressentant trop vivement leur séparation, en n'étant pas assez soumis aux desseins que Dieu a sur ces personnes; c'est un témoignage évident qu'on avait trop d'attachement pour elles, et que l'on dépendait plus de l'instrument que de la cause principale. Que ces directeurs vivent, qu'ils meurent, doit dire l'âme qui aime sincèrement son Dieu et sa propre perfection, qu'ils s'en aillent, qu'ils demeurent; tout ce que vous voudrez, Seigneur, et comme vous le voudrez; c'est vous qui m'avez envoyé ces guides, c'est vous qui me les retirez, je ne voudrais pas les retenir. Votre aimable et tout aimante volonté m'est plus chère que leur présence; vous m'avez instruit par eux quand il vous a plu de me les donner, je vous en rends grâces; maintenant que vous me les ôtez, vous saurez bien m'instruire par d'autres, que votre bonté paternelle daignera me donner quand il sera nécessaire, comme je vous en supplie; ou bien vous m'instruirez immédiatement par vous-même, ce qui sera encore mieux » .

Cette épreuve est bien plus aiguë, lorsque ceux que Dieu nous avait donnés pour appuis cessent de nous soutenir, et, se retournant contre nous, menacent de renverser nos plus chers desseins. C'est ce qui arriva à saint Alphonse de Liguori, quand il voulut fonder sa Congrégation. Elle devait rendre à l’Eglise d'inappréciables services. Et pourtant, sitôt qu'ils se voient menacés de le perdre, ses anciens confrères laissent éclater « leur mécontentement, leurs sarcasmes, leurs mordantes ironies contre le traître, le déserteur, l'ingrat qui les abandonne ». On essaie même de le chasser de la Propagande; on ameute contre lui l'opinion; ses meilleurs amis lui tournent le dos; ses directeurs, tout en l'approuvant, ne veulent plus s'occuper de lui; la tendresse de son père lui fait soutenir un formidable assaut. Ses premiers disciples, refusant d'accepter ses vues, font schisme et le laissent presque seul. Bref, à l'exception de son évêque et de son nouveau directeur, tous ses appuis lui manquent, presque tous se retournent contre lui. Parmi ce déchaînement des langues, ces discussions et ces séparations, Alphonse met de saintes âmes en prière, et, pour connaître sûrement la volonté divine, il s'adresse aux plus sages conseillers, il implore auprès de Dieu la lumière par des oraisons continuelles et d'effrayantes mortifications. Le cœur brisé, il se jette aux pieds de Jésus agonisant, et s'écrie avec lui : « Mon Dieu, que votre volonté soit faite » ! Dans la persuasion que le Seigneur n'a besoin ni de lui ni de son œuvre, mais qu'il lui ordonne de la poursuivre, il s'efforcera de parvenir au but, quoiqu'il demeure seul; et il proteste que Dieu n'a permis toutes ces divisions que pour un plus grand bien. Et, de fait, les événements qui suivirent ces séparations prouvent que Dieu les permit pour épurer par la tribulation non seulement saint Alphonse, mais plusieurs autres âmes dévouées à sa gloire, et les appliquer ensuite aux œuvres de sa grâce. « Tous ces roseaux brisés deviennent, sous sa main, des arbres chargés de fruits excellents » . La bienheureuse Marie- Madeleine Postel passa par la même épreuve en une ,circonstance analogue.

II. - Les ressources dont nous disposions pour faire le bien, Dieu est le maître de nous les enlever, suivant son bon plaisir. C'est ainsi qu'il peut nous ôter la fortune, la santé, les loisirs, les talents et la science, nous amoindrir à son gré, nous annihiler pour ainsi dire, à temps ou d'une façon définitive. En traitant de l'abandon dans les biens et les maux temporels, nous avons parlé de toutes ces choses; nous ne les mentionnerons, ici qu'autant qu'elles sont les instruments du bien spirituel; et, pour ne pas nous répéter, nous dirons seulement que Dieu n'attend plus de nous les œuvres d'autrefois, dans la mesure où il nous en ôte les moyens; il exige à présent la patience et la résignation; il désire même l'abandon parfait; et, grâce à cette sainte indifférence, à cette amoureuse soumission, nous lui rendrons plus de gloire, et nous ferons plus de profit dans notre disette qu'au temps de l'abondance.

Avec saint François de Sales , nous donnerons comme exemple le saint homme Job. Ce grand serviteur de Dieu ne se laissa vaincre par aucune affliction. Tandis qu'il était dans sa première prospérité, il en usait pour semer le bien à pleines mains; et, comme il le dit lui-même: « Il était le pied du boiteux, l'œil de l'aveugle, le pourvoyeur du famélique, et le refuge de tous les affligés ». Maintenant, voyez-le réduit à la plus extrême pauvreté, complètement privé de ses enfants et de sa fortune. Il ne se plaint pas que Dieu l'ait frappé dans ses plus chères affections, qu'il lui ait retiré les moyens de continuer tant de bonnes œuvres si intéressantes et si nécessaires. Il se résigne, il s'abandonne. En ce seul acte de patience et de soumission, il montra plus de vertu, il se rendit plus agréable à Dieu, que par les charités sans nombre qu'il faisait au temps de sa prospérité. « Car il fallait avoir un amour plus fort et généreux pour cet acte seul, que pour tous les autres mis ensemble ». Nous aussi, « laissons-nous dépouiller par notre souverain Maître des moyens d'exécuter nos désirs, pour bons qu'ils soient, quand il lui plait de nous en priver, sans nous plaindre ni lamenter jamais, comme s'il nous faisait grand tort » . En effet, la patience et l'abandon compenseront surabondamment le bien que nous ne pouvons plus faire. Cette sainte indifférence pour la santé, les talents et la fortune, cette amoureuse union de notre volonté à celle de Dieu, n'est-ce pas la mort à soi-même et la perfection de la vie spirituelle ? Y a-t-il un moyen plus puissant d'attirer la grâce à flots sur nous, sur les nôtres et sur nos œuvres ?

III. - Certaines observances régulières, certaines pratiques personnelles peuvent nous devenir impossibles, pour un temps plus ou moins long, par suite de la maladie, d'une obédience, ou d'autres causes semblables. En outre, il y a des pratiques qui nous auraient bien souri, et que nous n'avons jamais eu le moyen d'embrasser. De là pourraient naître le trouble et les regrets. Mais bien à tort. Une même personne ne saurait venir à bout d'imiter tous les exercices de vertu dont Notre-Seigneur et les Saints nous ont laissé l'exemple. Il faut apprendre à se contenter de ceux qui sont pour nous dans l'ordre de la Providence. Et nous n'aurons jamais à nous plaindre de la part qu'elle nous fait; car elle nous ouvre une immense carrière à parcourir. Si nous voulons suivre, avec une persévérante fidélité, et les devoirs qui incombent à tous les chrétiens, et ceux qui sont propres à notre situation, l'ensemble et le menu détail de nos obligations quotidiennes, il y a de quoi faire de grands saints.

Notre vocation, il est vrai, nous refuse certains moyens de sanctification, que Dieu propose à d'autres. Mais ce que nous perdons d'un côté, il sera facile de le compenser par ailleurs : ainsi la pauvreté religieuse ne me permet pas l'aumône corporelle, je ferai l'aumône spirituelle; à défaut d'argent, je donnerai mes prières et mes sacrifices. La vie contemplative m'interdit l'apostolat par les œuvres extérieures, je l'exercerai par les travaux de la vie intérieure ; au lieu de courir dans le monde après les pécheurs, c'est auprès de Dieu que je traiterai leur cause. La vie active ne me laisse que dans une mesure restreinte les douces et saintes occupations de la vie contemplative; je me sanctifierai cependant, en relevant mes travaux par l'obéissance et le dévouement, par une intention pure et la pensée habituelle de Dieu. Dès lors que nous utiliserons de notre mieux les moyens que nous donne notre vocation, cela suffira pour nous conduire à la perfection la plus élevée. N'y a-t-il pas eu des saints dans tous les Ordres religieux, et dans tous les rangs de la société ? Il est vrai que certaines situations sont plus favorables en soi; mais, pour chacun de nous, la seule bonne est celle où Dieu nous veut.

La maladie m'empêche-t-elle de jeûner, de garder l'abstinence, de prendre part au saint Office ? Par contre, je puis chanter les louanges de Dieu dans mon cœur, imposer une sévère abstinence à mon jugement et à ma volonté, faire jeûner mes yeux, ma langue, mon cœur, tous mes sens, par une mortification plus exacte. Ce que j'aurais gagné en remplissant les devoirs de la santé, je le compenserai en gardant fidèlement ceux de la maladie, comme la patience et le renoncement, l'obéissance et le saint abandon.

Une obédience, ou toute autre cause semblable, me prive-t-elle de certaines régularités communes, de quelques pratiques privées, c'est une perte que je puis toujours réparer, d'abord en remplissant de grand cœur les devoirs de ma situation nouvelle, puis « en m'appliquant à doubler non pas mes désirs ni mes exercices, mais la perfection avec laquelle je les remplirai, tâchant par là de gagner plus en un seul acte (comme indubitablement je ferai), qu'en cent autres qui eussent été selon mon choix et mon affection».

Après tout, l'unique moyen de grandir en vertu, n'est-ce pas de laisser notre volonté pour suivre celle de Dieu ? Dès lors que nous sommes zélés pour nos obligations de chrétiens, pour les observances régulières et nos pratiques privées, et que nous ne perdons l'une ou l'autre que par le bon plaisir divin et non par notre faute, pourquoi nous inquiéter ? Dieu seul a tout fait, et, pour compenser la perte, il y a mille moyens; et le principal est précisément notre zèle à quitter notre volonté pour suivre la sienne, jusque dans les choses qui nous paraissent les plus justes et les plus saintes.

IV.  Notre vie est consacrée à la contemplation par des exercices de piété, qui sont comme la nourriture de notre âme. Et voilà qu'une obédience, un surcroît de travail, la maladie surtout viennent rompre la chaîne de nos pieuses pratiques. Déjà vous ne pouvez plus entendre la sainte messe, même le dimanche, et vous êtes privés de l'aliment sacré de la communion; bientôt peut-être votre état de faiblesse vous rendra presque incapables de prier. Ne vous en plaignez pas : Notre-Seigneur veut vous faire participer à sa propre nourriture, que vous ne connaissez peut-être pas assez; « ma nourriture à moi, vous dira-t-il, c'est d'accomplir la volonté de mon Père, afin de mener à bonne fin l'œuvre qu'il m'a confiée » . Or cette œuvre qu'il entend mener à bonne fin en nous et avec nous, c'est notre perfection; et pour cela, il faut que nous mourions à notre volonté propre jusque dans les choses de la piété, de manière que la seule volonté de Dieu règne en nous.  Le P. Balthazar Alvarez se demandant un jour, à cause d'un empêchement, s'il devait célébrer les saints Mystères, Dieu lui fit celte réponse intérieurement : « Cette très sainte action peut être pour vous ou fort utile ou fort dommageable, selon que je l'approuve ou ne l'approuve pas ». Dans une autre circonstance, Dieu lui dit : « Ma gloire ne se trouve ni dans telle œuvre ni dans telle autre, mais dans l'accomplissement de ma volonté. Or qui peut savoir aussi bien que moi ce qui est propre à me glorifier »  ?

Assurément nous devons avoir le plus grand zèle pour nos exercices de piété, spécialement pour la messe et la sainte Communion, et ne jamais nous laisser détourner ni par le dégoût, ni par la sécheresse, ni par aucune autre considération de ce genre. Encore, faut-il que notre piété se règle sur l'adorable volonté de Dieu; sinon, elle devient désordonnée. « Il y a des âmes, dit saint François de Sales, qui, après avoir retranché tout l'amour qu'elles avaient aux choses dangereuses, ne laissent pas d'avoir des amours dangereux et superflus, parce qu'elles affectionnent avec excès ce que Dieu veut qu'elles aiment ». C'est ainsi que « nos exercices de piété (que toutefois nous devons tant affectionner) peuvent être aimés dérèglement, lorsqu'on les préfère à l'obéissance et au bien plus universel, ou qu'on les affectionne en qualité de dernière fin, bien qu'ils ne soient que des moyens et acheminements à notre filiale prétention, qui est le divin amour ».

Un autre motif pour lequel Dieu impose des privations à notre piété, c'est le mérite de la souffrance. Durant trois jours, une religieuse n'avait pu visiter Notre-Seigneur au saint Tabernacle, entendre la messe, et communier : « 0 mon Dieu, disait-elle, ces trois jours, vous me les rendrez dans l'éternité; vous vous montrerez à moi plus beau, plus grand, pour me dédommager. Pour remplacer le pain eucharistique, vous m'avez donné le pain de la souffrance... Dans la souffrance, on donne plus à Dieu que dans la prière ». C'est aussi la nécessité de la croix. Notre-Seigneur aurait dit à la même religieuse : « Quand je veux conduire une âme au sommet de la perfection, je lui donne la Croix et l'Eucharistie. Elles se complètent. La Croix fait aimer et désirer l'Eucharistie; l'Eucharistie fait accepter d'abord, ensuite aimer et enfin désirer la Croix. La Croix, purifie l'âme, elle la dispose, elle la prépare pour le banquet divin; l'Eucharistie nourrit, fortifie l'âme, elle l'aide à porter sa croix, elle la soutient dans le chemin du Calvaire. Quels dons précieux que la Croix et l'Eucharistie ! Ce sont les dons des vrais amis de Dieu ».

Saint Alphonse nous offre un touchant modèle et de la fidélité généreuse à nos exercices de piété, et de la résignation non moins parfaite au bon plaisir divin. L'infirmité l'avait confiné dans sa pauvre cellule, et ses transports extatiques devant le Saint-Sacrement devinrent très fréquents, ce qui attirait l'attention générale. Finalement, Villani dut lui interdire tout à fait de descendre à l'église. Il obéit; mais qu'il lui en coûtait de ne plus aller prier aux pieds de son Jésus, son seul amour en ce monde ! Souvent il oubliait la défense, et se traînait jusqu'à l'escalier, attiré par une force irrésistible. Il essayait en vain de descendre, et se retirait tout en larmes dans sa cellule; ou bien, on lui rappelait la défense de Villani, et tout confus il disait: « C'est vrai, ô bon Jésus, mieux vaut s'éloigner de vous par obéissance que de rester à vos pieds contre l'obéissance ». Il souffrait davantage encore de ne pouvoir plus monter au saint autel; il se rappelait avec attendrissement les joies célestes qu'il y avait tant de fois goûtées, et il éclatait en sanglots. Alors il se consolait en offrant au Seigneur cet acte de résignation: « 0 Jésus, vous ne voulez plus que je dise la messe; fiat, que votre adorable volonté soit faite ».

   

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