

Quand les psaumes font pleurer l’Enfant Jésus
L’Évangile de Saint Matthieu (2, 19-23) nous fait lire:
“Après la mort d’Hérode, l’ange du Seigneur apparut en
songe à Joseph, en Égypte, et lui dit: “Lève-toi, prends l’Enfant et sa mère, et
retourne au pays d’Israël, car ceux qui en voulaient à la vie de l’Enfant sont
morts.” Joseph se leva, prit l’enfant et sa mère et rentra au pays d’Israël.
Mais apprenant qu’Archélaüs régnait en Judée à la place d’Hérode, son père, il
eut peur d’y aller. Averti en songe, il se retira dans la région de Galilée et
vint habiter dans une ville appelée Nazareth, afin que s’accomplisse ce
qu’avaient dit les prophètes: on l’appellera Nazaréen.”
On ne sait pas très bien comment se fit le retour de la
Sainte Famille à Nazareth, et cela importe peu. Jésus devait avoir, à cette
époque, entre trois et cinq ans. Ce n’était donc encore qu’un tout petit enfant
devant lequel ses parents parlaient librement. En effet, pour Marie et Joseph,
en dépit des évènements exceptionnels qui avaient entouré sa naissance et ses
premiers mois, Jésus se comportait comme un enfant absolument normal. Peut-être
était-il un peu plus gentil que les autres enfants, peut-être était-il un peu
plus précoce, mais sans rien présenter d’extraordinaire.
Marie et Joseph connaissaient la conception miraculeuse de
Jésus, mais il n’est pas dit qu’ils aient eu pleinement connaissance de sa
nature divine. Marie savait que Jésus serait appelé Fils de Dieu. À Joseph
l’ange avait dit que l’Enfant engendré en Marie était l’œuvre du Saint-Esprit,
mais ni l’un ni l’autre ne devaient comprendre vraiment ce qui faisait la vraie
nature de Jésus, en fait sa double nature: humaine et divine. Et Jésus, le
savait-Il consciemment?
Jésus est vrai Dieu et vrai homme. Mais le savait-Il déjà à
l’âge de quatre ou cinq ans? Jésus était un vrai petit d’homme se comportant
comme un vrai fils d’homme. Mais sa nature divine, elle existait bien, elle
aussi, et rien ne peut nous empêcher de penser que, même si Jésus cachait sa
nature divine, Il avait bien conscience, Lui, de cette nature divine. Et rien ne
peut nous empêcher de penser que l’intelligence de Jésus-Enfant, apparemment
bornée comme toutes les intelligences enfantines en train de se former, mettait
déjà en œuvre sa nature et sa prescience divines, même s’Il devait les cacher
aux yeux des hommes, même de ses parents.
Il n’est pas interdit de penser que Jésus avait conscience de
sa nature divine. Alors, contemplons la Sainte Famille rentrant à Nazareth après
son long exil en Égypte. Les deux ânes que Joseph a achetés pour transporter ses
outils et ses bagages, et parfois aussi l’Enfant Jésus fatigué, avancent
allègrement: pourquoi ne seraient-ils pas heureux, ces pauvres animaux avec des
patrons si bons? Quant au petit, c’est un véritable amour, si gentil, si gai, et
si obéissant! En ce moment il est justement près d’eux, pauvres bêtes, et Il les
caresse avec beaucoup de tendresse... Les ânes sont pleins de joie, pleins
d’amour pour Jésus, pleins de leur pauvre amour d’animaux domestiques...
Les ânes sont contents et le font bien savoir à Jésus... Mais
soudain ils cessent de manifester leur joie. Pourquoi pleure-t-Il maintenant,
cet enfant si tranquille, tout-à-l’heure si joyeux? Pourquoi pleure-t-Il, mais
si doucement que ses parents ne s’en aperçoivent même pas? Heureusement que
nous, les ânes, nous savons sentir le chagrin de Jésus et agir en conséquence!
Et les ânes de braire à qui mieux mieux...
C’est vrai, Jésus pleure. Marie et Joseph, un peu derrière
les montures, prient des psaumes avec quelques compagnons de voyage et ne
peuvent donc pas voir les larmes de Jésus. Mais, au fait, pourquoi pleures-Tu,
Jésus, et pourquoi si doucement?
Jésus, Tu essayais, Toi aussi, de prier les psaumes que Tu
commences à bien connaître malgré ton très jeune âge. Et les psaumes que chante
le petit groupe disent, entre autres choses:
Psaume 2
2-Les rois de la terre se sont alliés, les grands chefs se
sont soulevés contre le Seigneur et contre son Messie, contre son Christ.
Pourtant, continue le psaume, Dieu avait dit:
7-Oui, je vais proclamer le décret du Seigneur. Il m’a dit
“Tu es mon Fils, aujourd’hui je T’ai engendré.
8-Demande-moi et je te donnerai les nations, elles seront
à toi jusqu’au bout du monde.
9-Tu les mèneras avec un sceptre de fer, tu les briseras
comme un pot d’argile.”
Jésus, ta petite tête travaille. Tu sais que Tu es le Fils de
Dieu, et malgré ton enfance, Tu sais que les textes du psaume que l’on chante
près de Toi, Te concernent directement. Tu comprends qu’il s’agit de Toi. Mais
pourquoi les grands chefs se soulèveront-ils contre le Seigneur et contre son
Messie qu’ils attendent tellement? N’y a-t-il pas une contradiction avec ce qui
suit. Il m’a dit “Tu es mon Fils, aujourd’hui je T’ai engendré.”
Le petit enfant Jésus entend aussi:
Psaume 64 (63)
2-Entends ma voix, mon Dieu, protège ma vie des menaces de
l’ennemi...
Pourtant, pense Jésus, je ne dois apporter que des
bénédictions à mon peuple. C’est d’ailleurs ce que chante le psaume qui
M’annonce, Moi, le Messie promis:
Psaume 72 (71)
4-Il fera justice aux petits du peuple, il sera un sauveur
pour les enfants du pauvre, car il écrasera leurs bourreaux.
7-Durant ses jours, la justice fleurira, la paix
s’établira jusqu’à la fin des lunes.
8-Il dominera de la mer à la mer, depuis le fleuve
jusqu’aux bouts de la terre.
12-Il délivrera le pauvre qui appelle, et le petit qui est
sans aide.
13-Il aura compassion du faible et du pauvre, il sauvera
l’âme des pauvres.
17-Que son nom demeure à jamais, qu’il dure sous le
soleil! En lui seront bénies toutes les races de la terre, toutes les nations le
diront bienheureux.
Oui, Jésus, c’est vrai, mais ta nature divine Te fait
comprendre que les grands Te rejetteront... Et Tu Te retournes vers le Père, en
murmurant les paroles du psaume:
Psaume 141 (140)
1-Seigneur, je t’appelle, accours vers moi, entends mes
appels.
8-Vers toi, Seigneur, se tournent mes yeux; en toi je me
confie, ne lâche pas ma vie.
9-Garde-moi du piège qu’on m’a tendu et du filet où les
méchants m’attendent.
Jésus, petit enfant, pour tes parents le retour vers Nazareth
est un évènement heureux, et ils chantent à pleine voix la prière des psaumes.
Marie et Joseph chantent les psaumes sans bien les comprendre. Mais Toi, Jésus,
Tu comprends. Toi, Jésus, Tu sais que ta Passion est déjà commencée: c’est pour
cela que Tu es venu. En venant sur la terre, Tu as dit: “Oui!” au Père, en Te
disant aussi “Oui!” à Toi-même, Verbe de Dieu. Tout cela, Tu le sais... Mais,
pour l’instant, Tu n’es qu’un tout petit enfant de la terre, et le mystère de
Dieu, ton mystère, est bien lourd à porter. C’est pourquoi, Jésus, Tu pleures en
silence, loin des regards humains, comme Tu pleureras un jour, à Gethsémani.


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