Catherine de Bar
Mère Mechtilde du Saint-Sacrement
(1614-1698)

Toute la vie de Catherine de Bar, qui deviendra Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, se déroula au XVIIe siècle, époque qui, succédant à un siècle de tourmentes de toutes sortes, vit surgir une multitude de saints et naître une spiritualité à facettes multiples que l’on synthétisa plus tard sous le nom d’”École Française”.

Mais le monde était encore très agité: la Guerre de Trente ans, en particulier, débuta en 1635. Les misères étaient grandes: pauvreté extrême du peuple des campagnes, peste, famines, etc... Le clergé et la vie monastique montraient des signes évidents de décadence avancée. La sorcellerie et la magie noire régnaient dans plusieurs provinces de France.

La grande majorité des saints que le Seigneur envoya pour panser les plaies, ayant constaté les graves ou douloureuses misères qui sévissaient, se mirent rapidement au travail pour soulager le maximum de détresses. D’autres, et c’est probablement le cas de Catherine, furent appelés à supporter ces misères, dans une conformité de plus en plus grande, et acceptée, aux souffrances du Christ.

1
Mère Mechtilde et son siècle

Le XVIIe siècle

Quand on parle du Grand Siècle de Louis XIV, on pense tout de suite à son rayonnement culturel et spirituel, illustré par les grands écrivains, les grands artistes, ou les grands noms de la spiritualité. Mais on parle rarement de la situation réelle du peuple de France, parce qu’on ne la connaît que fort peu, ou même pas du tout. C’est comme si on avait voulu oublier ce qui ternirait l’idée que l’on se fait du Siècle de Louis XIV.

Les guerres perpétuelles, les invasions de troupes étrangères, la Réforme protestante et les retombées néfastes de la Renaissance incitant indirectement à un certain retour au paganisme, les guerres de religion qui étaient, en fait, essentiellement des guerres politiques ou féodales, avaient créé un climat de grande insécurité auquel s’ajoutaient, comme on l’a rappelé ci-dessus, des famines à répétitions et des épidémies de peste.

L’ignorance religieuse, même chez les clercs avait atteint son degré maximum. Comme dans toutes les périodes de détresses économiques et spirituelles, la grande majorité des gens du peuple, y compris des moines et des prêtres, n’hésitait pas à revenir aux anciennes pratiques païennes que l’on avait cru mortes depuis bien longtemps. Beaucoup de monastères en étaient infestés. Aussi, la fin du XVIe siècle et la première moitié du XVIIe siècle vécurent-ils une montée spectaculaire de la sorcellerie, de la magie noire, des cultes sataniques, etc, etc... Coûte que coûte il fallait se sortir de la misère, il fallait trouver de l’argent, il fallait se débarrasser de ceux qui gênaient... On utilisait les charmes, on jetait des sorts, on fabriquait des filtres... La magie noire était devenue un instrument très utilisé.

Il semble que même Mère Mechtilde ait eu à souffrir des sorciers et des sortilèges. En effet, dans une biographie récente de Marie des Vallées[1], une grande mystique normande de cette époque, qui fut à la fois la pénitente et la conseillère de Saint Jean Eudes, on peut lire: ”Anéantir les effets des sortilèges, préserver la vertu de ses compagnes contre les manœuvres des libertins, convertir les sorciers, fut une partie de la mission de Marie des Vallées. D’autres âmes d’élite: Catherine Daniélou, la bonne Armelle, la Mère Catherine de Saint Augustin, par exemple, semblent avoir eu pareille mission. La Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, Catherine de Bar, dont la communauté de Paris eut à souffrir des sorciers et de leurs sortilèges, donna à sa réforme, comme un des buts à atteindre, la réparation pour les crimes des sorciers.”

Pourtant, et en contraste avec cette situation dramatique, le XVIIème siècle se présente également comme celui de la restauration religieuse, de la mise en œuvre des orientations données par le Concile de Trente, et du développement de la dévotion eucharistique.

Il n’est pas inutile de remarquer que ce développement de la dévotion eucharistique fut, en grande partie, l’œuvre de l’”École Française”, avec Bérulle, le Père de Condren, Mr Olier, etc... Les Bénédictines du Saint-Sacrement sont donc parfaitement dans la ligne spirituelle de leur temps, tout en restant dans leur spiritualité propre de disciples de Saint Benoît.[2] 

2
La vie de Catherine de Bar

2-1-Comment Dieu prépare une future fondatrice

          2-1-1-L’enfance de Catherine de Bar

Catherine de Bar naquit à Saint Dié, le 31 décembre 1614. Son père, Jean de Bar, homme de solide piété, appartenait à une ancienne famille de robe. Troisième enfant d’un foyer qui devait en compter six, Catherine reçut une instruction particulièrement soignée: latin, peinture, musique, etc. Elle avait reçu aussi une solide formation religieuse.

En novembre 1631, quand elle entra chez les Annonciades de Bruyères, elle avait dix-sept ans.[3] Elle reçut l’habit avec le nom de Sœur Saint-Jean-l’Évangéliste.

          2-1-2-Des Annonciades aux Bénédictines

Quand Catherine de Bar, Sœur Saint Jean, alors âgée de vingt ans, eut prononcé ses vœux, sa supérieure, obligée de s’éloigner, lui demanda, au nom de l’obéissance, de la remplacer avec le titre de vice-gérante. Pendant deux ans Sœur Saint Jean gouverna son petit troupeau quand la Guerre de Trente ans éclata.

En mai 1635, devant l’approche des troupes suédoises particulièrement redoutées à cause de leur férocité, le monastère dut être évacué. Quatre heures après le départ des sœurs, les bâtiments étaient incendiés et détruits.

Au début de 1636, les religieuses, purent être reçues à Commercy, dans une aile d’un château appartenant au marquis des Armoises. Bientôt la peste ravagea le pays, et sur ses vingt filles, Catherine, Mère Saint-Jean, ne put en sauver que cinq.

Vers la fin de l’année 1637, Catherine et ses sœurs purent se fixer chez son père, dans une partie de l’hôtel familial. Grâce à l’entremise de personnes amies, Mère Saint-Jean et l’une de ses filles furent reçues à Rambervillers, chez les bénédictines. Ce fut le premier contact de Catherine de Bar avec l’Ordre bénédictin. Après avoir beaucoup réfléchi, Catherine entra au noviciat de Rambervillers et prit le nom de Sœur Catherine de Sainte Mechtilde.

2-2-Chez les Bénédictines

          2-2-1-À Rambervillers

La maîtresse des novices, Mère Benoîte, femme d’une trentaine d’années, qui était bien du ”Grand siècle” où l’on ne faisait rien à moitié, incita sa novice à vivre les austérités que l’on croyait alors indispensables à la vie spirituelle. Elle l’initia aussi à la vie d’oraison. Le 11 juillet, Catherine prononçait ses vœux de bénédictine. Elle avait vingt cinq ans.

          2-2-2-Dispersion des sœurs - Saint Mihiel

Les guerres continuelles avaient réduit le couvent de Rambervillers à une telle misère, que les sœurs durent se séparer. Catherine de Sainte Mechtilde, sa maîtresse des novices et une autre moniale trouvèrent refuge à Saint-Mihiel, ville également ruinée par les combats. Mère Mechtilde dira plus tard: “Ce qui ne mourait pas de faim mourait de peste.”

Au milieu de ce dénuement, les trois sœurs surent vivre les épreuves communes à toutes les populations lorraines. Plus tard, Mère Mechtilde écrira: “Nous souffrions une grande pauvreté mais, dans le dénuement absolu de toutes les choses nécessaires à la vie, Notre Seigneur nous dédommageait avec tant de bonté qu’il nous semblait n’avoir rien à souffrir. Pour moi, en particulier, je puis dire que j’étais tellement inondée de consolations que je me trouvais quelquefois obligée de supplier Notre Bon Maître de vouloir bien les modérer. Nous vivions dans une grande paix, suivant nos observances comme si nous avions été dans notre monastère.”

          2-2-3-Montmartre

Un jour, Monsieur Guérin, disciple de Monsieur Vincent, sans cesse à l’affût des détresses des régions éprouvées, constata le délabrement de la petite communauté: vêtements en loques, longues privations, etc. Le 21 août 1641, Mère Mechtilde et une de ses compagnes, partirent pour l’abbaye de Montmartre, à Paris, dont l’abbesse était Marie de Beauvilliers. Cette dernière, entrée toute jeune à l’abbaye, avait été nommée abbesse à l’âge de 24 ans. C’était alors, en 1598, l’abbaye la plus misérable, la plus relâchée et la plus mal fâmée du Royaume. Mais, grâce à beaucoup d’efforts, de douceur et de ténacité de la part de son abbesse, cette abbaye était devenue très fervente.

Mechtilde écrivit à Mère Benoîte restée à Saint-Mihiel: “Je vous ai déjà souhaitée plus de mille fois en ce saint lieu où je suis... S’il existe un Paradis en terre, je puis dire que c’est Montmartre où les vertus se pratiquent en perfection et où notre Sainte Règle est gardée dans une observance très exacte. Je sais que vous avez été autrefois dans la pensée que la réforme n’y était pas. Je puis vous assurer et protester qu’elle y est parfaitemetn appliquée... que cela me ravit d’admiration et je vous supplie d’en louer et remercier notre Bon Dieu.” De plus, la Vierge Marie était particulièrement honorée...

          2-2-4-Caen

Mechtilde gardera de son passage à Montmartre un souvenir ému. En effet, les circonstances obligèrent Mère Mechtilde à quitter Montmartre pour aller à Caen où elle arriva avec deux de ses sœurs le 14 août 1642. Elles rejoignirent ensuite l’hospice qui leur avait été offert, sur la paroisse de Bretteville.

Hélas ! Mère Mechtilde ne trouva qu’une chaumière vide, délabrée, exposée, à chaque pluie, aux débordements d’un ruisseau. Habituée à la misère, elle s’y installa néanmoins avec Mère Angélique très malade... Heureusement, Mr de Torp, ami intime de Dom Louis Quinet, abbé de l’abbaye cistercienne de Barbery, s’émut de cette situation et offrit aux deux religieuses une petite maison située près de l’abbaye de Barbery.

Mr de Torp et Dom Quinet demandèrent à Mère Mechtilde de se mettre en relation avec le grand mystique caennais Jean de Bernières-Louvigny, l’un des personnages les plus marquants du renouveau catholique en France. C’est lui qui avait fondé  l’Ermitage, maison de retraites fermées pour les évêques, les moines, les prêtres, et de pieux laïcs. Cette rencontre sera capitale pour l’avenir de Mère Mechtilde.

          2-2-5-Saint-Maur-des-Fossés

Merchtilde devra quitter Barbery pour s’installer, en août 1643 à Saint-Maur-des-Fossés, près de Paris, dans un local où elle put regrouper les membres dispersés de sa communauté de Rambervillers. Les religieuses reprirent vite leurs observances bénédictines, et ouvrirent un pensionnat. Peu de temps après Mr de Bernières envoya à Mère Mechtilde le Père Jean Chrysostôme réputé pour ses austérités... Ce fut alors la désolation dans l’âme de Mère Mechtilde. Elle écrivit à Mr de Bernières: “Je ne trouve point de parole pour vous peindre ma douleur, très cher frère; ayez pitié de moi, pour l’amour que le saint Père [4] vous portait; soyez-moi en ce monde ce qu’il m’était.” Le Père Jean Chrysostôme restera le Père spirituel de Mère Mechtilde jusqu’à sa mort en mars 1646.

Mais bientôt la paix revint dans l’âme de Mère Mechtilde: ”Je me sens fortifiée pour aller à Dieu dans la pureté de ses voies et par son propre esprit. Jésus pauvre, souffrant, abject, est à présent l’amour de mon cœur. Indépendance suprême des créatures, souffrances sans consolation d’aucune créature; il faut que je tâche de pratiquer selon le degré de ma grâce, ce que je pourrai de cette divine leçon.” Heureusement que Mechtilde se trouvait dans cet état d’esprit, car de nouvelles tribulations se préparaient.

          2-2-6-Retour à Rambervillers puis à Paris

Nous sommes en Juin 1647. Mère Mechtilde fut envoyée à Caen pour rendre la paix à une petite communauté bénédictine, mais elle dut au bout d’un an, retourner à Rambervillers. On était en pleine guerre et la misère était extrême. De nouveau, la communauté dut se disperser...

Le 6 mars 1651, Mère Mechtilde regagnait Paris; elle quittait l’enfer de Rambervillers pour trouver Paris à feu et à sang: c’était la Fronde... Quand elle eut retrouvé ses filles réfugiées dans un pauvre local du Faubourg Saint Germain, et les avoir installées dans un immeuble de la rue du Bac, et toujours dans le même dénuement, Mère Mechtilde tomba gravement malade. Convalescente, elle écrivit à Mr de Bernières:

“Dieu m’a mise à la mort et m’a ramenée à la vie. N’est-il pas juste que je l’adore dans toutes ces incertitudes de vie et de mort ? Mon âme est toujours demeurée en Lui, et de quelque façon qu’Il m’ait traitée, tout mon fond s’est toujours maintenu dans un entier abandon à sa sainte volonté, sans autre vue que d’être, saine ou malade, vive ou morte, la victime de son amour.”

C’est là que le Seigneur attendait Mère Mechtilde.

          2-2-7-Madame de châteauvieux

En août 1651, Mechtilde rencontrait pour la première fois la comtesse de Châteauvieux. Plus tard, au cours d’une conversation avec quelques amies, Mme de Châteauvieux découvrit, grâce aux explications de Mère Mechtilde, les secrets de l’oraison; elle obtint de l’avoir pour directrice spirituelle. Un peu plus tard, Mme de Châteauvieux et trois de ses amies: la marquise de Boves, Mme de Cessac et Mme Mangot convainquirent Mère Mechtilde d’ouvrir un hospice à Paris.

Mais Mère Mechtile refusait l’idée d’en être la supérieure: “J’étais alors, disait Mechtilde, très souvent en procès avec Notre Seigneur. Il voulait que je fisse quelque chose, mais moi, je ne voulais pas. Je souhaitais d’être sourde, aveugle, muette, afin que, incapable de tout, je pusse m’appliquer uniquement à Dieu seul. Mais enfin, Il n’a pas voulu et Il a renversé tous mes projets.”

3
Un monastère bénédictin consacré
à l’adoration du Saint-Sacrement

3-1-La fondation des Bénédictines du Saint-Sacrement

Mère Mechtilde ne voulait pas, mais Dieu voulait... Un contrat fut signé le 14 août 1652 par les quatre fondatrices: Madame de Châteauvieux, la Marquise de Boves, Madame de Cessac et Madame Mangot. Ce contrat est d’un grand intérêt. En effet, le XVIIème siècle fut un siècle eucharistique, et, depuis son enfance, Mère Mechtilde avait été imprégnée de cette ambiance eucharistique.

Or, le contrat du 14 août stipulait que les quatre signataires s’engageaient à verser la somme nécessaire pour “assurer la fondation d’un monastère de religieuses de l’Ordre réformé de Saint Benoît, auquel, continuellement jours et nuits, soit adoré le très saint et très auguste Sacrement de l’autel par les âmes consacrées à Dieu dans le dit monastère, pour réparer, autant qu’il sera possible, les indévotions, mépris, profanations, sacrilèges et déshonneurs rendus, commis et qui se commettent actuellement contre ce très adorable Sacrement, dans le cours des malheurs où nous sommes par la guerre qui désole à présent toute la France et pour obtenir de Dieu une bonne paix dans tout le royaume, et pour la conservation du Roi...” (sic)

L’acte de fondation accordait à Mère Mechtilde un délai de deux ans pour exécuter ce projet. Les obstacles ne manquèrent pas, comme il se doit, à toute œuvre de Dieu. Mais on pria tant que l’autorisation tant désirée arriva, et le 25 mars 1653, une messe fut chantée dans la pauvre chapelle de la rue du Bac, et le Saint Sacrement exposé. Durant cette messe, Mechtilde eut une vision: la Vierge Marie portant les insignes d’Abbesse, présentait à Jésus-Hostie l’humble communauté et l’œuvre qu’elle inaugurait.

3-2-De nouvellles tribulations pour Mère Mechtilde

Mechtilde écrivit à Mme de Châteauvieux: “Ma très chère fille, je viens vous donner le bonjour, dans le transport de ma joie; elle ne peut être plus vive. Tout ce que le paradis aime et adore, je le possède grâce à vous. Qui ne serait ravi d’admiration à la vue de la bonté d’un Dieu qui souffre que je porte, par un état réel, la qualité de Victime du Très Saint Sacrement!”

Hélas! Le bonheur ne dura pas longtemps. Il fallut quitter la rue du Bac et s’installer rue Férou. Le 12 mars 1654, Dom Roussel, prieur de Saint Germain des Prés, installa les sœurs et les mit en clôture en présence de la Reine Anne d’Autriche qui prononça les paroles de l’Acte de Réparation. Le lendemain, Mechtilde faisait élire par le chapître, la Vierge Marie Supérieure et Abbesse perpétuelle de la maison.[5] 

Ici une remarque s’avère nécessaire: le Père Jean Eudes vint visiter les sœurs quelques mois plus tard. Mechtilde écrivit à Mr de Bernières: “Nous avons eu l’honneur de voir le Père Eudes; il m’a promis qu’il serait notre avocat vers la bonne Marie.[6]” 

Tout allait bien, enfin! Mais les épreuves continuaient pour Mère Mechtilde: décès de la marquise de Boves, de Monsieur de Bernières, puis de Madame Mangot. Il fallut à la fondatrice, saisie d’angoisse, les avis de Saint Vincent de Paul, de Mr Olier et d’autres saints hommes, pour la rassurer. Entre temps, les sœurs étant trop à l’étroit, et il avait encore fallu déménager et aller rue Cassette.

3-3-Saint Benoît et le Saint Sacrement

Mechtilde était bénédictine; l’adoration perpétuelle n’avait rien changé dans les pratiques de la vie monastique. Elle disait à ses religieuses, dans ses conférences: “Ne vous étonnez pas de l’élection que Dieu a fait des enfants de notre grand patriarche [7] pour l’œuvre d’Adoration perpétuelle et de Réparation. C’est un secret qui m’est découvert en la mort de notre grand Patriarche, lequel voulant témoigner l’amour qu’il portait au très Saint Sacrement de l’autel, ne peut lui rendre un témoignage de sa foi et de son amour plus grand que d’expirer debout en sa sainte présence et rendre les derniers soupirs de son Cœur à cette adorable Hostie renfermée dans le Sacré Ciboire, pour y produire, en son temps, des enfants de son Ordre, qui lui rendront, jusqu’à la fin du monde, des adorations, des respects et des devoirs d’amour et de réparation continuels...

La bénédictine... se fait toute semblable à une Hostie et elle entre dans des rapports merveilleux à Jésus dans l’adorable Eucharistie. Voyez-vous point, mes sœurs, que N.P. Saint Benoît meurt debout pour nous donner à entendre qu’il pousse avec effort le sacré Institut que nous professons. Il le conçoit dans l’Eucharistie pour estre (sic) produit plus de douze cents ans après...”

3-4-De nouvelles fondations

Le nouveau prieur de Saint Germain, Dom Ignace Philibert, porta aux bénédictines du Saint Sacrement un grand intérêt. Pressentant que cet Institut s’étendrait, il jugea que des statuts précis devaient être élaborés. Ainsi naquirent les Constitutions pour le Régime des Religieuses Bénédictines du Saint-Sacrement et les Déclarations sur la Règle de Saint Benoît qui en expliquent l’esprit.

Dès lors la vie de Mère Mechtilde se partagea entre la direction de ses religieuses et les nombreuses fondations: Toul (1664), Notre-Dame de la Consolation à Nancy (1669), Monastère de la rue Monsieur à Paris (1667), Rouen (1667), Varsovie (1688) et Châtillon sur Loing (1688), et enfin Dreux (1696). Entre temps, Rambervillers avait été agrégé (1665) ainsi que Bon Secours de Caen (1685).

L’influence de Mère Mechtilde fut considérable dans la société religieuse d’alors. Son immense correspondance (plus de dix mille lettres) le prouve. On a retrouvé, dans cette correspondance, toutes les personnalités marquantes de l’époque: Anne d’autriche, la duchesse douairière d’Orléans, la Reine Marie-Thérèse, Saint Jean Eudes, Jean de Bernières, Henri Boudon, Dom Louis Quinet, Marie des Vallées, etc...

3-5-Les dernières années de Mère mechtilde

Les dernières années de Mère Mechtilde furent encore marquées par la souffrance. Elle fut attaquée dans sa réputation, blamée dans sa conduite, accablée par les infirmités, sans compter les épreuves intérieures. Le 6 avril 1698, Mère Mechtilde décédait après une longue et douloureuse maladie: elle avait 83 ans.

Le 15 juin 1704, la communauté recevait le décret d’approbation, confirmé par le pape Clément XI le 1er août 1705: l’œuvre de Mère Mechtilde était définitivement approuvée.

3-6-En résumé

Pour y voir un peu clair dans cette existence particulièrement bousculée et tourmentée, il convient d’en présenter ici les principales étapes. Mère Mechtilde fut successivement:

– religieuse puis supérieure au couvent des Annonciades de Bruyères (1631-1638), puis

– bénédictine à Rambervillers,

– réfugiée à Saint-Mihiel, 

– puis à l’abbaye de Montmartre à Paris (1641), 

– à la Trinité de Caen (1642),

– à Saint-Maur des fossés, puis

– supérieure du monastère de Bon Secours à Caen, 

– de nouveau à Rambervillers,

– et enfin rue du Bac à Paris (1651).

Le 8 décembre 1654, l’Adoration perpétuelle était solennellement inaugurée dans le monastère de la communauté à Paris, rue du Bac.

En avril 1666, Rambervillers était associé à l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement. Le 29 mai 1668, un Bref venu de Rome, érigeait l’Institut en Congrégation. Des offices propres à la Congrégation étaient inaugurés.

4
La spiritualité de Mère Mechtilde

4-1-Présentation de sa vie intérieure

La volonté de Mère Mechtilde, c’était de faire la volonté du Bien-Aimé. Elle était sa victime, et elle en viendra, comme tous les mystiques, à désirer la souffrance et à ne plus pouvoir s’en passer. En 1670, elle écrira:

“Oh! véritablement heureuse l’âme qui ne cherche qu’à contenter son Sauveur, en se livrant à la souffrance comme la proie de sa justice, comme la victime de son amour... Je tremble quand je vois une âme qui ne souffre point, il me semble qu’elle est comme ensevelie dans la nature... L’Invention de la Sainte Croix est une fête qui arrive tous les jours, parce que tous les jours on trouve à souffrir, mais il n’en est pas de même de son exaltation; rien de plus rare que de voir accepter et honorer la tribulation.”

Mère Mechtilde écrira aussi :

“Que l’âme perd quand elle se trouve sans les humiliations qui sont les plus précieux gages de l’amour divin... Mais pour découvrir la grâce qui y est renfermée, il faut les envisager dans les vues de Dieu et les recevoir de sa divine main. Notre Seigneur, étendu sur la croix, a plus regardé la volonté du Père que les bourreaux qui le crucifiaient.”

4-2-Une vie crucifiée

Toute la vie de Mère Mechtilde a été ponctuée de souffrances et de grandes tribulations. En plus des difficultés qui sont le lot de tous les fondateurs, elle verra partir, les uns après les autres, tous ceux qui lui avaient apporté leur concours. À la fin de sa vie, entourée et consolée cependant de l’affection de personnes plus jeunes, elle rendait grâce à Dieu d’avoir été l’humble l’instrument dont Il avait voulu se servir pour réaliser son œuvre.

Cependant, supérieure de communauté, Mère Mechtilde veillait soigneusement sur la santé et l’équilibre de ses sœurs. L’austérité qu’elle recommandait consistait surtout dans la fidélité aux observances et dans l’obéissance par amour; elle ne voulait pas que les santés soient compromises.

4-3-La piété eucharistique de Mère Mechtilde

La piété, très eucharistique, de Mère Mechtilde, était forcément liturgique. Le Père Épiphane rédigea une série d’ouvrages renfermant toute la spiritualité de Mère Mechtilde orientée vers l’adoration perpétuelle du Saint Sacrement et la réparation. Les bénédictines du Saint Sacrement, telles que les voulait Mère Mechtilde, devaient être des victimes de Jésus, et elles devaient lui être totalement données afin de satisfaire la justice du Père. Nous dirions maintenant, des victimes totalement données à l’Amour de Jésus et à la Miséricorde du Père, dans l’oubli et le don de soi.

4-4-Le salut des âmes

Avec ses filles et ses amis, Mère Mechtilde était préoccupée de la Gloire de Dieu et du salut des âmes. Mère Mechtilde n’accablait pas, mais elle savait conduire ceux qui se confiaient en elle, dans les voies de l’immolation et de la réparation: “J’ai le cœur tout plein de zèle, de tendresse et d’amour pour tout ce qui vous touche, écrit-elle à la duchesse d’Orléans, mais beaucoup plus pour les choses du ciel que pour celles de la terre, quoique je ne les oublie pas en mes pauvres et indignes prières.”

Annexe

Le 7 décembre 1677, à Rouen, Mère Mechtilde du Saint-Sacrement composa le texte suivant qui faisait de la Très Sainte Vierge Marie, l’Abbesse de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement.

Très Auguste Mère de Dieu;

Prosternées humblement à vos pieds, au nom de toute la communauté présente et à venir, nous renouvelons aujourd’hui et pour toujours, l’Élection Volontaire et Solennelle que nous avons faite de votre Sainte Majesté, pour la Généralissime de notre Institut, et la Supérieure perpétuelle de ce Monastère; sans que cette Élection se puisse jamais révoquer, ni que cette place et cette qualité puisse être usurpée par aucune créature que ce soit, protestant à la Face du Ciel et de la terre de n’en admettre jamais d’autre, commandez et disposez de tout le temporel et le spirituel de ce Monastère comme vous appartenant sans réserve.

Depuis le mois d’août 1678, cette formule est récitée chaque année, le dimanche dans l’octave de l’Assomption, dans chacun des monastères de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement.

Les Bénédictines
du Saint-Sacrement en Pologne

1-L’appel de la Pologne [8]

L’œuvre de Catherine de Bar, Mère Mechtilde du Saint Sacrement, se situe en plein XVIIe siècle, pendant la période où naissaient de magnifiques courants spirituels que l’on a regroupés sous le nom d’“École française [9].” La vie de celle qui deviendra Mère Mechtilde, fondatrice des Bénédictines du Saint Sacrement, fut particulièrement semée d’imprévus et d’épreuves très douloureuses. Mais ce sont peut-être ces épreuves qui ont rendu son œuvre si féconde.

Depuis 1664 les Bénédictines du Saint Sacrement s’étaient multipliées, et les fondations, en France, étaient nombreuses.  En 1687, alors que son œuvre était déjà bien établie, on aurait pu penser que Mère Mechtilde allait pouvoir se reposer, enfin, un peu... Le Seigneur qui avait d’autres vues, lui demandera d’envoyer ses filles “dans une région lointaine [10], comme des victimes”, pour y faire glorifier le Saint Sacrement.

Des victimes ! Le mot peut surprendre de nos jours, comme les mots sacrifice, holocauste, mortification. Pourtant ce sont bien ceux-là que Mère Mechtilde emploie lorsqu’elle s’adresse à ses religieuses désignées pour partir en Pologne. Mais la fondatrice et ses filles savaient qu’elles devraient contenter à la fois Dieu, ce qui était relativement facile, et la Reine de Pologne, ce qui l’était beaucoup moins... De plus, ce vocabulaire victimal était courant et cher à Bérulle, à Monsieur Olier, et aux autres spirituels de l’École française. Et puis, partout, retentissaient des bruits de guerre.

Voici ce qu’écrit Mère Mechtilde à ses filles : “Séparez-vous de l’humain, abandonnez tous vos petits intérêts, pour vous conformer à l’adorable hostie qui est tous les jours immolée pour vous tirer toutes dans son divin sacrifice et vous faire, avec lui (le Seigneur présent dans l’hostie consacrée), des hosties dignes d’être consommées à sa gloire.”

1-1-Bref rappel historique

          1-1-1-La situation en Pologne jusqu’en 1668

C’est en 966 que le Duc Mieszko avait fait entrer son peuple dans la chrétienté romaine, et donné à son pays les frontières qu’il a à peu près retrouvées en 1945. Le XVIe siècle, appelé “Siècle d’Or”, vit l’apogée de la Pologne, grenier à grains de l’Europe et pays très étendu. Mais les ambitions de Sigismond Vasa (1587-1632) firent naître des menaces génératrices de guerres ruineuses contre la Moscovie, la Turquie et la Suède.

La Pologne aurait péri sans un sursaut national et religieux, marqué   par la résistance victorieuse du monastère de Jasna Gora, à Czestochova. Toutefois la paix d’Oliva (1660) donna la Livonie à la Suède, et le Traité d’Androussovo (1657) livra, à la Russie, Smolensk et la rive gauche du Dniepr. À cette époque, la Pologne était couverte de ruines, et la population avait diminué du tiers... En 1668 le roi Jean II Casimir abdiqua et se retira à Paris. C’est alors que “surgit” des rangs de l’aristocratie polonaise, celui qui allait devenir Jean III Sobieski (1674-1696)

          1-1-2-Jean III Sobieski

Né en 1624 à 0lesko, le jeune Sobieski, et son frère Marc, avaient voyagé à travers l’Europe, séjourné en France, et s’étaient conduits en héros dans la lutte contre les cosaques, les turcs et les Tartares. Le 21 mai 1674, après la mort de l’incapable roi Korybut, successeur de Jean II Casimir, la diète proclama Sobieski Roi de Pologne, sous le nom de Jean III.

Le 31 mars 1683, Jean III s’allia à l’Autriche, contre la Turquie. Menacé par l’armée ottomane, l’empereur Léopold Ier d’Autriche,  implorait le secours de Sobieski. Le 14 août 1683 les ottomans assiégeaient Vienne; le 15, Sobieski quittait Varsovie avec 25 OOO hommes. Le 12 septembre, les Turs s’enfuyaient. Le 13 septembre, le Roi assistait à un Te Deum dans l’église des Augustins de Vienne, transformée en hôpital. L’Europe échappait au joug ottoman. Malheureusement la fin de Jean III Sobieski fut assez triste à cause des nombreux complots qui menaçaient la paix, complots dont la reine Marie-Casimire, d’origine française, était souvent l’instigatrice.

          1-1-3-La reine Marie-Casimire

Louise-Marie de Gonzague avait épousé le roi de Pologne, Ladislas IV Wasa, en 1645. Veuve en 1648, elle épousa le frère et successeur du défunt, Jean-Casimir. Louise-Marie avait une très jeune demoiselle d’honneur française, étonnamment belle, Marie-Casimire, dont s’éprit Sobieski. Mais, le 2 mars 1658, la Reine obligea l’adolescente à épouser Jacques Radziwill, prince Zamoyski...

En juillet 1665, après la mort de Zamoyski, Marie-Casimire put épouser Sobieski, alors maréchal de Pologne. Devenue reine, Marie-Casimire voulut aller en France pour montrer sa couronne, mais la reine de France lui signifia qu’une couronne élective était inférieure à une couronne héréditaire. L’affront fut si grand que Marie-Casimire renonça à son voyage en France et s’allia avec tous les ennemis de la France, entraînant ainsi la politique de son mari, Jean III. Or Marie-Casimire avait quatre sœurs, dont l’une d’elles, Marie-Louise, avait épousé François-Gaston, marquis de Béthune, petit neveu de Sully. François Gaston fut nommé ambassadeur en Pologne, à plusieurs reprises. C’est à cette Madame de Béthune que la reine Marie-Casimire confia la charge de demander à Mère Mechtilde d’envoyer des religieuses adoratrices à Varsovie.

1-2-Pourquoi des religieuses Bénédictines du Saint-Sacrement en Pologne ?

          1-2-1-Anne-Berthe de Béthune (1637-1689)

La sœur du marquis de Béthune, Anne-Berthe, avait été admise à l’abbaye de Montmartre que dirigeait sa tante, Marie de Beauvillier. En 1659, Anne-Berthe avait été nommée, par le roi, abbesse de Saint- Corentin, du diocèse de Chartres. En 1669, elle fut nommée abbesse du monastère de Beaumont-lès-Tours. Anne-Berthe et Catherine de Bar, la fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement étaient amies. Et c’était grâce à l’abbesse de Beaumont que Mère Mechtilde avait pu obtenir les locaux de la rue Cassette en 1683...

          1-2-2-Catherine de Bar (1614-1698)

Nous nous souvenons que Catherine de Bar était entrée à l’âge de 17 ans, en 1631, chez les Annonciades de Bruyère, dans le diocèse de Toul, mais la guerre de Trente Ans avait dispersé les religieuses. Catherine, recueillie par les Bénédictines de Rambervillers y prononça ses vœux en 1640. De nouveau expulsée, elle se réfugia au monastère de Montmartre, puis dans diverses maisons, en Normandie, et de nouveau à Paris, rue du Bac.

Là où logeaient Mère Mechtilde et plusieurs de ses filles, la misère était telle que quelques grandes dames vinrent à leur secours et suggérèrent à Mère Mechtilde de fonder à Paris, un monastère bénédictin entièrement voué au culte et à l’adoration du Saint-Sacrement. Il s’agissait de répondre à un vœu émis par la Régente Anne-d’Autriche, afin de ramener l’ordre et la paix dans le royaume de France.

Quand, après le triomphe de Louis XIV, le 21 octobre 1652, la France eut retrouvé son calme, autorisation fut donnée d’ouvrir une maison dédiée à l’adoration perpétuelle. Le 21 mars 1659, Mère Mechtilde et ses vingt moniales s’installèrent rue Cassette et commencèrent l’adoration perpétuelle. Ce monastère, austère, allait devenir le centre de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement.

          1-2-3-Le vœu de la reine de Pologne, Marie-Casimire

Pendant que, en août 1683, Sobieski, roi de Pologne, partait de Cracovie pour délivrer Vienne des Turcs, la reine, Marie-Casimire, priait... Au cours d’une retraite, elle promit de fonder, à Varsovie, un couvent de religieuses, qui, par l’adoration du Saint-Sacrement, exprimeraient sa reconnaissance pour la protection qu’elle espérait du ciel.

Marie-Casimire, par l’intermédiaire de Mme de Béthune, connaissait Mère Mechtilde et l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement. Cette Congrégation accepterait certainement d’essaimer en Pologne pour y développer le culte eucharistique. Mère Mechtilde accepta et commença à préparer le voyage de celles qu’elle appellera “les missionnaires du Saint Sacrement”.

2
Le voyage vers la Pologne

2-1-La préparation du voyage

Extraits des lettres de Mère Mechtilde, avant le départ de ses filles

À la Mère Monique des Anges de Beauvais, dont la sœur bénédictine est désignée pour aller en Pologne, Mère Mechtilde écrit, en juin 1687: “Il faudrait des séraphins pour aller ranimer les peuples à l’amour du très Saint-Sacrement. La reine de Pologne (Marie-Casimire) est bonne et fort pieuse. Elle attend les filles du Saint-Sacrement avec beaucoup de zèle et d’affection.”

Et à la révérende Mère Marie de Jésus Petigot, future supérieure en Pologne, avant que soit prise la décision définitive de partir en Pologne: “Je vous prie de faire venir Monsieur votre frère, pour vous y accompagner et y être votre chapelain. Je serais bien aise qu’il fût un peu de temps à Paris pour y voir la manière d’officier dans nos maisons. Vous savez que l’on a besoin d’un saint prêtre pour confesseur en ce pays-là...”

Car Mère Mechtilde s’efforce de pourvoir à tous les besoins des voyageurs: ”Il prendra tout le soin pour vous soulager, surtout pour la nourriture dans le vaisseau...

Il faudra des ornements pour dire la sainte Messe dans le dit- vaisseau pour la consolation des religieuses. Nous ferons ici d’autres provisions de choses qui sont rares et chères en Pologne: nous en avons un mémoire. Il faut des livres spirituels et des livres de chants, des règles et des constitutions, etc... Il faut du papier, des plumes, des canifs, des petits et des grands saints sacrements, (probablement des hosties), des soies de toutes couleurs, fil blanc et autres, etc...”

Mère Mechtilde se soucie aussi beaucoup du spirituel. Avant le départ de ses filles, de  Rouen, elle leur écrivit de Paris, le 23 août 1687: “Si vous vous sacrifiez pour Dieu, Il sera votre force... Qu’Il vous maintienne toutes dans une sainte paix et union; cela sera si vous êtes fidèles et humbles. C’est les deux points que Notre Seigneur a ordonné à la bonne âme [11] de vous dire; si vous lui êtes fidèles en ces deux points, ne doutez pas qu’Il ne vous comble de bénédictions pour le reste, et qu’Il vous conserve pendant le voyage... Tenez-vous en Dieu, attendez tout de sa bonté infinie; marchez sous les ailes de sa divine protection, celle de sa sainte Mère ne vous manquera pas... Je vous regarde comme des missionnaires du Très Saint-sacrement... Oubliez tout pour l’amour de celui qui s’est, pour vous, oublié de lui-même pour demeurer avec vous et pour vous nourrir de lui-même. Vivez donc de lui, et pour lui...”

2-2-Le voyage

Le 22 août 1687, 15 religieuses (de chœur, converses et novices) quittaient Paris pour le monastère de Rouen où elles furent accueillies, après trois jours de voyage en carrosse, par leurs sœurs. Trois jeunes françaises qui parlaient un peu le polonais les accompagnaient, ainsi qu’un aumônier, un jardinier, un sacristain et trois joueurs de hautbois. Elles durent attendre les provisions jusqu’au 2 septembre.

Quand les marchandises attendues furent enfin arrivées à Rouen, les sœurs et leurs compagnons embarquèrent. Mais les vents ayant été constamment contraires, le bateau n’atteignit la mer qu’au bout de quinze jours!!!.. La troupe fut très malmenée par les éléments, et les passagers durent un jour quitter le bateau pour trouver un asile plus sûr, mais cependant exposé à toutes les intempéries. Enfin, le 17 septembre 1687, la mer était en vue [12].

Le 8 septembre, les “missionnaires” n’étant pas encore arrivées à Dantzig, Mère Mechtilde, soucieuse, leur fit remettre un message d’encouragement: “J’ai appris les peines et les grandes difficultés que vous avez souffertes à Rouen, et comme les vents vous ont été contraires... Nous demandons à Dieu, de toute l’ardeur de nos cœurs de soutenir votre courage et d’animer votre zèle qui ne va au-delà des mers que pour la pure gloire du divin Mystère que nous adorons... Marchez en nouveauté de vie comme dans un monde nouveau où vous ne voyez que Dieu et n’y vivez que pour lui... Ne vous rebutez point des difficultés: les œuvres de Dieu ne s’établissent que par la croix...”

La traversée sur mer avait été épouvantable, et presque tous les passagers avaient souffert du mal de mer. Le 4 octobre 1687, le bateau atteignit Dantzig.

Enfin, les voyageuses était arrivées à bon port... Le 31 octobre 1687, Mère Mechtilde écrivit à la supérieure du petit groupe, Mère de la Présentation de Beauvais: “Je ne doute pas que vous n’ayez souffert dans le voyage, terriblement, en toutes manières. Le corps et l’esprit en ont été affligés; il était impossible que cela ne fût pas quant au corps, car un voyage de huit cents lieues par mer ne peut se faire sans d’étranges renversements... Notre Seigneur a voulu par là vous disposer pour travailler à son œuvre avec un esprit de séparation de vous-même pour la rendre plus sainte...”

Après de nouvelles péripéties, les religieuses arrivèrent à Varsovie le 14 octobre 1687, et elles furent logées dans une aile du château de la reine. Rapidement les sœurs purent reprendre leurs exercices religieux. Ce n’est que le 27 décembre que la reine put les rencontrer. Le 31 décembre 1687, le Roi arriva à son tour à Varsovie, et le 1er janvier 1688, l’adoration perpétuelle put commencer.

Remarque : La bienveillance des souverains envers les Bénédictines du Saint-Sacrement était alors sensible et efficace, malgré quelques difficultés inhérentes au caractère entier et autoritaire de la reine. Malheureusement le roi mourut trop tôt, le 17 juin 1696.

3
L’installation définitive

3-1-Dans le château royal

À leur arrivée à Varsovie, les religieuses venues de Paris avaient été reçues dans le château royal. Le 31 octobre 1687, Mère Mechtilde écrivait dans sa lettre adressée à la supérieure du petit groupe: “Tâchez de contenter la reine [13] qui est si bonne et si remplie de vertus. C’est assurément une grande et admirable princesse en toutes manières... Je vous estime heureuses d’être en ses royales mains. Son cœur est grand pour Dieu... Je vous prie d’assurer sa Majesté que nous ne cessons de prier pour la conservation du roi et de toute la royale famille que nous aimons tendrement. Il me semble que la Pologne est ma patrie, tant elle m’est intime.”  

Mère Mechtilde ne pouvait pas encore savoir les difficultés que la reine de Pologne ferait subir à ses religieuses, s’en croyant la seule supérieure... Mais ce jour-là, les religieuses de Mère Mechtilde étaient tout entières dans la joie. Bientôt, dès le 1er janvier 1688, elles pourraient commencer leur mission d’adoratrices du Saint-Sacrement, dans la chapelle du château. Elles restèrent au château royal jusqu’au 27 juin 1689.

Cependant, les religieuses françaises avaient besoin d’une demeure stable. La reine leur acheta donc, le 19 janvier 1689, une propriété à Nowe Miasto, et rédigea l’Acte de Fondation le 4 juin 1689. Le 25 juin suivant, Mgr stanislas Witwicki, évêque de Poznam[14], signa l’Acte d’Érection du Monastère. Au cours d’une procession solennelle, les religieuses furent introduites dans leur nouveau couvent. Seule l’Église placée sous la protection de Saint Casimir était inachevée. Dès lors, des jeunes filles polonaises purent entrer chez les Bénédictines.

3-2-Les encouragements de Mère Mechtilde

Le 23 novembre 1687, ayant appris les peines souffertes par ses religieuses, et leur installation dans un logement rudimentaire, Mère Mechtilde écrit: “Je n’en suis pas surprise, les œuvres de Dieu, pareilles à celles que vous êtes allées faire, ne s’enfantent que par la Croix. Je me suis bien attendue que vous auriez beaucoup à crucifier; tous les royaumes du monde ne sont pas comme celui que vous avez quitté; mais souvenez-vous, très chères, que vous l’avez quitté pour Dieu et que si l’on vous avait dit qu’il y avait un martyre à soutenir, vos grands Cœurs, pour Dieu, vous l’aurait fait embrasser...

Les souffrances de la mer ne vous ont pas rebutées; ne vous effrayez pas de ne trouver d’abord que les quatre murailles, la suite vous semblera meilleure; et après tout, si la reine manquait, Dieu ne vous manquera pas...

Notre Seigneur a dit que votre établissement sera à sa gloire et qu’il le bénira... Ayez courage... Vos souffrances vous serviront de préparation à son œuvre. Adorez ses desseins et son entrée en ce monde dans une étable, sans secours humain; honorez ses états pauvres, abjects et souffrants. Il est vrai que vous êtes dans un pays étranger; mais vous êtes dans les bras et dans le sein de Dieu même, toujours avec lui et soutenues de ses grâces...

Vous avez bien pu vous persuader en prenant votre résolution d’aller, que l’on ne fait pas des établissements hors d’un royaume sans s’exposer à beaucoup de peines et de grandes incommodités. Prenez courage, la Croix est venue du devant de vous pour vous faire soutenir toutes choses, pour parvenir à glorifier Notre Seigneur, et à élever un autel à sa gloire...

Souvenez-vous que vous êtes les héros du très Saint-Sacrement et qu’il vous a choisies pour porter sa gloire et son amour dans les cœurs, que notre Seigneur vous tient dans sa divine main, m’assurant par sa fidèle servante [15] que tout irait bien, qu’il vous protégerait, et vous conduirait lui-même. Il ne nous a pas dit, très chères mères, que ce serait sans peine...”

3-3-Enfin, tout va mieux, mais...

À Noël et au début du mois de janvier 1688, les bénédictines du Saint-Sacrement rencontrèrent la reine et le roi, rentrés de leurs obligations. Ce fut très chaleureux, et les choses purent enfin  s’arranger un peu. Ce qui ne signifie pas que tout se passa sans heurt, ensuite. Nous pouvons en effet lire, dans une correspondance de février 1688, de Mère Mechtilde qui a été très malade, les phrases suivantes, éminemment diplomatiques :

“Je n’ai pu m’empêcher de vous faire un mot de réponse, vous voyant dans la douleur de ce que Sa Majesté [16] vous fait des propositions qui vous donnent lieu de penser qu’elle n’a pas pour vous toutes les bontés qui ont paru dans les témoignages qu’elle vous a rendus lorsqu’elle vous a honorées de sa présence. Il ne faut point, mes très chères enfants, vous rebuter. Vous connaissez le bon cœur de la reine... Notre Seigneur lui donnera des sentiments plus avantageux pour vous...

La reine est si bonne et si judicieuse qu’elle ne vous fera jamais des propositions qui ne soient avantageuses, ainsi que je l’ai toujours attendu de sa royale bonté...

3-4-Bientôt de nouvelles souffrances

En même temps, Mère Mechtilde écrit aussi à la prieure, le 20 février 1688 :

“Tâchez, ma chère mère, de mettre partout l’Institut en estime. Ce sera par les vertus et la bonne conduite qui paraîtront entre vous... Souvenez-vous des bénédictions que Notre Seigneur nous a promises par la “bonne âme”: ‘il veut que vous preniez courage... me disant que le démon fera tous ses efforts pour vous lasser et vous dégoûter toutes de son œuvre, mais qu’il faut que vous la souteniez avec courage et confiance...’ Ne vous lassez point de souffrir. Vous avez beaucoup de peine dans ce commencement, mais le progrès vous donnera plus de satisfaction. Tâchez de contenter et d’édifier la reine, qui a tant de bonté pour vous.“

3-5-Et des consolations dans la Croix

Le 1er mars 1688, Mère Mechtilde confiait aux religieuses de Pologne: “Il n’y aura peut-être jamais d’établissement qui soit plus crucifiant que le vôtre, à cause de l’éloignement et du langage difficile à comprendre... Consolez-vous, je me porte bien, grâce à Notre Seigneur; mais les médecins me tiennent de près, disant que mon accident était un fâcheux avertissement; néanmoins, Notre Seigneur a dit par la “bonne âme” qu’il me guérirait, et en effet, l’on dit que c’est un miracle... Soyez, je vous supplie, bien cordiales les unes avec les autres, afin que votre union attire les miséricordes du ciel sur votre établissement... Vous avez besoin de vous entr’aider... Il est vrai que vous êtes bien dénuées [17]... Les privations sont très grandes.”

Un peu plus tard, à Madame de Béthune, Mère Mechtilde écrivait: “Les petites peines et difficultés qui surviennent dans les nouveaux établissements ne me surprennent pas; le démon fera son possible pour renverser celui-ci dès son commencement...”

Le 3 juin 1688, la Mère Marie de Jésus Petigot, prieure, reçut ce qui suit :

“Je reçus hier une lettre de la part de la “bonne âme” [18] . Notre Seigneur promet des grâces prodigieuses pour sa Majesté et pour le Roi. Et croyez qu’ils seront bien récompensés de l’honneur qu’ils procurent au Saint-Sacrement... Comme ce mystère est le plus grand qui renferme tous les autres et dans lequel Notre Seigneur est le plus anéanti, il prend plaisir d’y être reconnu, aimé et adoré de ses élus.”

4
Les bénédictines de Mère Mechtilde en Pologne

4-1-Difficultés avec la reine Marie-Casimire

Les religieuses ont été très discrètes sur tout ce qui touche aux difficultés qu’elles ont rencontrées avec la reine de Pologne. Les choses n’ont probablement pas dû vraiment s’arranger avec le temps,  car on peut lire, dans une lettre du 23 août 1688, adressée à Madame de Béthune: “Ces pauvres filles (ses religieuses) me mandent qu’elles sont sur les dents, ne pouvant plus soutenir. Elles m’ont prié d’avoir pitié d’elles, parce qu’elles n’osent rien demander à la reine mais, grâce à Notre Seigneur, cette bonne princesse revient un peu. La “bonne âme” m’assure qu’elle se remettra dans sa bonne disposition pour ses religieuses qu’elle a honorées de son affection et qu’elle ne peut abandonner...”

Et le 25 août, à Madame de Béthune :

“Je serais désolée sur tout cela si je n’espérais à ce que la “bonne âme” m’a demandé que Notre Seigneur a dit qu’il accommodera cette mésintelligence; ce sont ses propres termes.”

Et le 31 août, à la même: “Je vois la terrible douleur de votre bon cœur touchant la Pologne... Je m’en serais terriblement désolée si la “bonne âme” ne m’avait consolée, me promettant que Notre Seigneur remédierait à cette mésintelligence qui est entre la reine et nos sœurs; sans cela, je ne m’en consolerais jamais.”

4-2-Détresses matérielles

Y aurait-il aussi des questions d’argent? Il faut savoir que les religieuses envoyées en Pologne ne disposaient d’aucun revenu, et n’avaient pour vivre que les dons de la reine. Or, la reine avait écrit à Mère Mechtilde pour se plaindre de la dépense des sœurs.  Mère Mechtilde lui répond :

“C’est pourquoi, Madame, si votre Majesté veut absolument me renvoyer mes religieuses, je les recevrai comme Notre Seigneur me les renvoie, et le prierai, Madame, qu’il donne à Votre Majesté d’autres religieuses, capables de remplir les desseins de Dieu, de le glorifier davantage, et donner un parfait contentement à votre Majesté.”  

Toutefois, Mère Mechtilde n’est pas dupe. Tout en espérant que tout se raccommode, -la reine semblant un peu radoucie-, elle écrit à Madame de Béthune, le 22 mars 1689:

“Je suis résolue de leur envoyer de l’argent, car, selon qu’il paraît, c’est leur trop de dépenses qui indispose la reine, mais je crois aussi que c’est un prétexte.”

4-3-C’est toujours la Croix

Le 7 octobre 1689, Mère Mechtilde écrit à la prieure de la maison de Pologne, la Mère de la Présentation de Beauvais, une page admirable :

“Les établissements des filles du Saint Sacrement ne sont fondés que sur la croix: il semblait, au commencement du vôtre que tout devait vous succéder en joie, par les applaudissements de la reine et les témoignages d’une amitié qui devait être éternelle. Mais très chère mère, l’œuvre n’aurait pas pris de si fortes racines sans la terre de l’humiliation, qui est celle de tous les beaux parterres de Notre Seigneur Jésus Christ; il n’y aurait pas trouvé les belles fleurs de vertus que l’on pratique ordinairement dans les souffrances, où souvent, hors de là, ce ne sont que des ombres de vertus...

La croix a une vertu admirable pour purifier à recevoir les grâces singulières de la bonté de Dieu... Prenez courage: vous avez souffert les plus rudes coups... Si vous étiez du monde, dit Notre Seigneur, le monde vous aimerait, mais vous n’êtes pas du monde. Demeurez en Notre Seigneur, vivez de son Esprit de paix, d’union, de concorde. Vous devez n’avoir aussi qu’une même volonté, ne tendant qu’à bien édifier l’œuvre de Dieu...

Vous êtes dans un pays qui vous aide beaucoup à vivre dans cette sainte séparation et dégagement de tout ce que la nature peut aimer... C’est une vie bien dure, bien crucifiante que de vivre dans un perpétuel sacrifice, sans quasi trouver aucun soulagement parce que vous portez une privation de mille petits secours que l’on trouve ici, que l’amour de Dieu et de sa gloire vous ont fait sacrifier... Travaillez donc fidèlement à la perfection de l’œuvre que le Seigneur vous a confiée.

Je vous assure que vous devez avoir un grand recours à Notre Seigneur et à sa très sainte Mère... Attachez-vous à Dieu, vous ne serez pas rebutée de son infinie miséricorde. Si l’on pouvait trouver une voie sûre,... je vous enverrais des toiles, des étoffes, et autres choses; mais je n’en sais pas sur la terre, ni sur la mer, car tout est en guerre... L’on ne parle partout que de désolation. Dieu par sa bonté infinie nous veuille regarder en sa miséricorde! On dit que nous sommes à la veille de grandissimes maux; priez Dieu pour nous...”

4-4-Mais courage

Et le 3 novembre 1689, toujours à la Mère de la Présentation de Beauvais: “L’on ne peut bien connaître Dieu que dans les occasions qui nous font vigoureusement recourir à lui... par l’impossibilité de trouver du secours dans les créatures... le monde souffre, au moins pour la plupart, mais dans un débris de charité... Cependant, dans ce chaos de désolation presque universelle, Dieu m’a suscité un secours qui ne peut être regardé dans l’humain.”

Mère Mechtilde raconte alors comment une personne pieuse, mais anonyme, a commencé à l’aider matériellement... Elle ajoute: “Je pourrai vous faire aider si vous en avez besoin... Mais ayez la bonté de n’en rien dire à la reine; il faut la laisser faire l’œuvre qu’elle a commencé pour ne lui point ravir sa couronne.”

Quelle diplomatie et quelle charité!

Des compléments sur les monastères de Pologne

Les informations qui suivent proviennent de la chronique du monastère de Lwow, écrites de 1687 à 1708. Ces quelques brefs extraits sont susceptibles d’éclairer les raisons des graves difficultés de la fondation de Varsovie :

“La vénérable fondatrice, Mère Mechtilde du Saint Sacrement, avait envoyé entre 1687 et 1696, des religieuses provenant de plusieurs monastères de l’Institut...” À Varsovie, deux novices étant retournées dans le monde, Mère Mechtilde envoya d’autres religieuses “ayant de belles voix.[19]Mais, “on avait omis d’en avertir la reine, qui en fut vexée. Elle fut aussi très mécontente qu’on ait élue comme prieure, mère Radegonde de Beauvais, au lieu de mère Petigot, qu’elle avait désiré voir prieure”.

5
Toujours des épreuves

5-1-Épreuves en France

Les épreuves continuent pour Mère Mechtilde, tant en France qu’en Pologne. Elle écrit, le 8 juin 1690, à ses filles de Pologne :

“Notre Seigneur nous a visitées par des maladies de coliques, de vomissements et de fièvre, mais je crois que toute la communauté y passera, car il y en a déjà plus de 25... C’est un présent que Notre Seigneur nous fait, qu’il faut recevoir de sa très sainte main, et adorer ses conduites. Il est vrai que nous sommes dans un temps très pénible à soutenir, car l’on ne reçoit rien, et il faut faire subsister la communauté...”

Dans une lettre adressée à la prieure, par le même courrier, Mère Mechtilde demande des nouvelles de la communauté polonaise et prodigue ses conseils: “Faites, très chère mère, autant de séraphins que de religieuses. Élevez-les dans un grand amour vers le Saint-Sacrement et un grand zèle pour sa pure gloire.”

Le 1er août 1690, elle poursuit: “Nous avons jusqu’à trente malades. C’est un peu beaucoup. Pourvu que le service divin et l’adoration ne se quittent point, nous serons trop heureuses.” Mais les malades ne guérissent point entièrement et Mère Mechtilde se sent diminuer: “Je ressens bien cette année que je diminue beaucoup. Comptez que je suis dans la soixante et seize...”  Puis elle ajoute, revenant aux malades: “Les médecins ne savent que dire et ne peuvent en aucune manière soulager les malades. C’est un présent que Notre Seigneur nous fait...”

Le 1er décembre 1690, Mère Mechtilde est encore inquiète: “La communauté est assez doucement pour la santé: nos malades se rétablissent un peu lentement... Puis, changeant de sujet, et revenant à la Pologne, Mère Mechtilde constate, évoquant quelques religieuses qui devaient revenir en France: Il n’y a aucune sûreté, ni sur la mer, ni sur la terre: l’on craint beaucoup l’année prochaine pour les grandes guerres qui se préparent.”

Nous voici au 29 mai 1691. Quelques religieuses françaises, missionnaires en Pologne vont bientôt pouvoir revenir en France. Et il semblerait que la reine de Pologne soit revenue à de meilleurs sentiments. Mère Mechtilde a soixante dix huit ans. Elle pense toujours que sa mort est proche et implore les prières de ses sœurs polonaises.

5-2-Épreuves dans la communauté polonaise

          5-2-1-Retards dans le travail des constitutions

Malgré son âge, Mère Mechtilde travaille toujours aux constitutions de son Institut, mais le travail est sans cesse retardé. Le 26 mai 1694, elle écrit à la prieure de Varsovie, Mère Marie de Jésus Petigot: “Je vous assure que le retardement des constitutions est pour moi une bonne croix, parce qu’il est impossible d’achever le reste, qui doit avoir rapport aux constitutions.”

À la même, Mère Mechtilde écrit le 11 mars 1695: “Mes nouvelles sont bien languissantes. Je trouve que depuis que j’ai rempli mes 80 années, je suis plus faible qu’à l’ordinaire... J’aurais bien voulu achever bien des choses avant que je meure. Je voudrais faire réimprimer nos Constitutions... mais je ne suis pas en état de faire cette dépense... Quand on pratique tout ce qui y est dit, tout va en bénédiction; c’est un petit paradis... et c’est ce qui soutient les maisons dans un état de perfection. La vôtre (celle de Pologne), très chère mère, qui est commençante, serait admirable si elle pratiquait tous les règlements...”

          5-2-2-Désunions au sein de la communauté polonaise

Mère Mechtilde aurait-elle pressenti que tout n’allait pas très droit, dans le monastère de Varsovie? Le 4 juillet 1695, elle écrit à la mère Marie de Jésus de Petigot, la prieure:

“Dieu me fait connaître qu’il y a entre vous quelque chose qui lui déplaît: votre union n’est pas telle qu’elle doit être. Il y a déjà bien longtemps que j’ai cette impression... Des gens venus de vos contrées m’ont confirmé les sentiments que l’on me donnait intérieurement. Ces personnes m’ont assuré que l’on disait que vous n’étiez point en union, mais plutôt en division, et que cela commençait d’éclater et faisait de fort mauvaises impressions dans les personnes de qualité, et que l’on disait que la reine, qui fait tout l’appui de votre maison, commençait fort à se refroidir...

Au nom de Dieu, ma très chère mère, voyez d’où peut venir cette désolation; car rien n’est plus affligeant qu’une maison religieuse divisée, cela est bien capable de faire mourir de douleur, car Notre Seigneur ne peut jamais être honoré, ni glorifié dans une maison où il n’y a point de sincère union... Votre maison doit embaumer tout le pays. Les filles du Saint Sacrement doivent vivre comme des anges qui sont en actuelle adoration et qui ne vivent que de l’Esprit de Jésus, sacrifié dans le divin mystère de l’autel. Il ne devrait rien avoir de plus saint dans l’Église que les filles du Saint sacrement.“

6
Quelques conseils aux supérieures

6-1-Conseils à la Mère Marie de Jésus Petigot

Le 4 juillet 1695, Mère Mechtilde confiait à la mère Marie de Jésus Petigot, à propos des dissenssions qui se manifestaient dans le monastère de Varsovie:

“Croyez, ma très chère mère, que pour être supérieure il ne faut pas croire qu’on le peut emporter sur les autres. Il faut souvent obéir au lieu de commander. Ne croyez pas vos propres lumières, ne croyez pas même que vos lumières soient de Dieu, vous tomberiez dans une étrange erreur. Non, non, il faut s’accommoder, comme dit la sainte règle, et croire que notre Seigneur fait quelquefois connaître ses volontés par les plus jeunes. Rien ne plaît tant à Dieu que le cœur humble; défiez-vous de vos propres sentiments.

Achetez la paix et l’union de vos filles, et ayez toujours un saint rapport de vos sentiments aux leurs, pour le respect de la charité, que vous devez faire régner partout et sur tout. Les supérieures doivent donner l’exemple et préférer les sentiments des autres aux leurs propres, afin de les encourager à se démettre elles-mêmes de leurs propres lumières et sentiments...

Si la nouvelle de votre division passe dans cette communauté, il en faudra mourir de douleur, cela se répandra partout. Remédiez à ce mal, très chère mère, avant qu’il soit plus grand. Prenez vos chères filles, conférez ensemble pour tâcher de connaître d’où vient de si méchantes impressions que l’on a de votre maison...”

6-2-La sainteté de l’Institut

Ce qui compte le plus, pour Mère Mechtilde, c’est la sainteté de l’Institut. À la Mère Suzanne de la Passion Bompard, en Pologne, elle écrit, le 26 août 1694: “Je vous conjure, très chère, de soutenir les intérêts de Dieu dans la sainteté de son  œuvre. Je vous dirai seulement ce qui fit mon plus grand poids dans mon agonie: ce fut la sainteté de l’institut que je n’aurai jamais bien remplie, et, si la sacrée Mère de Dieu ne fût venue à mon secours en me déchargant du poids de l’institut, j’aurais péri immanquablement...

Vous êtes des premières [20] avec la chère mère de Sainte Madeleine: je vous conjure toutes deux de bien soutenir la sainteté de l’institut. Il est si saint que les termes me manquent pour l’exprimer. Vous l’apprendrez du très Saint Sacrement; c’est en sa sainte présence que vous pénétrerez ses ineffables grandeurs et la sainteté où il veut que ses victimes soient animées... Je tâcherai de vous envoyer les règlements de toutes les charges et emplois de la religion. Si l’on veut les observer, la maison sera dans la perfection. J’espérais les pouvoir faire imprimer, mais il plaît à Notre Seigneur me tenir dans la croix avec des impuissances dont vous seriez étonnées...”

6-3-À propos des divisions dans une communauté religieuse

Il s’est certainement passé quelque chose de très grave dans la communauté des Bénédictines du Saint Sacrement de Varsovie, mais aujourd’hui on ne sait pas exactement quoi, car les archives concernant cette douloureuse période ont disparu, soit qu’elles aient été détruites volontairement, pour des raisons de charité, soit qu’elles aient été brûlées avec le monastère en 1944. On peut seulement en deviner la teneur à la lecture des lettres de Mère Mechtilde, miraculeusement épargnées par le désastre de 1944.

Après avoir écrit à la supérieure de la communauté, Mère Mechtilde écrit à quelques anciennes de la communauté:

“J’ai le cœur navré de vous savoir dans la division, car Notre Seigneur n’y peut être honoré, les ennemis de notre institut en triomphent. Il y a longtemps que les démons nous ont menacées de ce que nous voyons aujourd’hui. J’en ai écrit à la bonne mère prieure, et la prie instamment de réfléchir d’où peut venir ce malheur, qu’elle fasse un peu d’examen pour voir si, de sa part, elle n’y donne pas quelque sujet... Je vous prie, vous aussi, mes très chères filles, voyez devant Dieu s’il n’y a rien de la vôtre qui puisse contribuer à ce malheur.... Je vous conjure de voir ce qu’il faudrait faire pour réunir les cœurs qui sont choqués... Je sais bien qu’il y a des choses dans la conduite qui peinent, et qu’il y a bien de la difficulté à soutenir, mais courage!... Je suis en esprit auprès de vous, mes très chères mères, où je vous dis mille choses, pour voir les moyens de remettre tout dans l’ordre qu’il doit être.

Ce qui me touche sensiblement, ce sont les mauvais exemples que votre jeunesse en tire... Il n’en faut pas tant pour perdre un monastère. Je crains bien que, si la reine est une fois imbue de tout cela, elle ne se dégoûte et qu’elle ne m’écrive, ce qu’elle a déjà fait une fois, qu’elle trouverait bien d’autres religieuses qui feraient l’adoration perpétuelle. Ces personnes-là [21] se choquent très facilement. Mais le mal serait très grand et d’une fâcheuse humiliation pour notre institut. L’on en dit déjà assez par le retour des chères mères qui sont revenues! L’on dit partout que la reine n’en était pas contente.

Je remarque ce que l’on nous a dit plusieurs fois que les démons feraient leurs efforts pour détruire l’Institut... C’est pourquoi, mes chères enfants, je vous invite encore à souffrir un peu de temps pour éviter un tel malheur...” 

6-4-Il y a cependant des raisons d’espérer

Mère Mechtilde confirme cette confidence:[22]

“Vous seriez surprises des assauts que l’enfer nous livre très souvent, mais quand il semble que tout est perdu, c’est là où nous voyons les protections de cette divine Mère [23]...”     

Quelques jours plus tard, le 29 juillet 1695, Mère Mechtilde écrit aux mêmes :

“Je connais que le mal est bien plus grand que vous ne le comprenez vous-mêmes, quoique vous en soyez bien touchées. Oui, les maux sont venus à un tel point que les jeunes sont renversées et sont dans des angoisses extrêmes, jusqu’à produire dans le cœur de quelqu’une un sensible déplaisir d’être religieuse. Voilà en vérité un grand mal que cette malheureuse désunion a causé. Un autre, encore plus grand, c’est le scandale et la mauvaise édification parmi vos domestiques séculières, et vos pensionnaires, qui concevront un grand mépris pour l’état religieux...

La reine en tirera de mauvaises conséquences et produira du dégoût dans son cœur. Je sais ce qu’elle m’en a écrit autrefois, que les causes n’étaient que des ombres, comparées au mal présent.”

Enfin, le 5 août 1695, à toute la communauté de Varsovie. Mère Mechtilde avait reçu, avec une extrême douleur, toutes les lettres de ses filles de Varsovie, lesquelles se trouvaient dans des états affligeants. Elle leur répond par une très longue lettre dont nous ne donnerons ici que quelques extraits:

“Je suis sensiblement touchée de voir une maison naissante dans une grande division, qu’il m’est facile de croire que les ennemis de votre salut ont fait ce grand désordre pour empêcher la gloire de Notre Seigneur, dans vos cœurs et dans votre monastère. C’est un mal extrême et un des plus grands de ceux qui peuvent affliger une maison religieuse, car c’en est quelquefois la ruine totale...

Hélas! mes chères filles, un peu d’application à la présence de Dieu et de mortifications, pour vous rendre fidèles à la grâce, auraient empêché que la nature et le démon ne vous eussent jetées dans cet état déplorable... Comme il n’y a rien de plus saint dans l’Église, que l’Institut que vous avez professé, le démon a eu ce pouvoir de vous faire quitter les saines pratiques que vous devez avoir toujours en usage, pour vous rabaisser dans des sentiments humains qui n’ont d’autre motif que de satisfaire l’amour-propre...

Vous voyez qu’il faut porter sa croix de quelque part qu’elle nous arrive... à l’exemple de Notre Seigneur qui doit être notre modèle partout et dans toutes les occasions de pratiquer la vertu .. que ses victimes doivent observer...”

6-5-Comment remédier à cette situation désastreuse? 

          6-5-1-L’obéissance

“La principale vertu, c’est la sainte obéissance, sans quoi nous ne pouvons être vraies religieuses, ni faire aucune chose qui soit agréable à Dieu... La religion établit des supérieures dans chaque monastère pour donner lieu aux religieuses d’obéir. Il faut les regarder comme celles que Dieu a choisies pour tenir sa place et pour lui confier son autorité, c’est pourquoi il faut les respecter et leur obéir simplement et sincèrement, comme à Dieu même, ce sont les paroles de notre sainte règle; c’est le moyen de conserver le bon ordre dans une maison religieuse et d’y vivre de la sainteté que nous y professons, car sans l’obéissance, il n’y a rien dans une religieuse qui puisse plaire à Dieu...

Ce n’est pas l’habit qui fait la vraie religieuse, mais l’observation des vœux et les engagements de sa profession qui la fait vivre d’une vie renoncée, c’est-à-dire dans une continuelle mortification de ses sens, de la nature et de son propre esprit qui veut toujours régner...”

          6-5-2-La charité et l’humilité

“Par la présente, je vous sollicite à vous remettre dans la charité et saine cordialité les unes envers les autres, et de rendre à votre supérieure les devoirs que vous lui devez... Confondez les démons qui prétendent détruire l’œuvre de Dieu, réunissez-vous toutes par son divin Esprit, sacrifiant, chacune en particulier, les raisons qui la tiennent dans la désunion... Vous réparerez, par ce moyen, les scandales de votre division, qu’il faut réparer sous peine de damnation, vous le savez, très chères.

Souvenez-vous que vous êtes toutes les premières, (les premières Bénédictines du Saint Sacrement en Pologne) et qu’il faut que celles qui entrent dans votre maison marchent sur vos pas. Jugez quel malheur éternel si vous ne leur donnez pas, par vos exemples, l’édification que vous devez et par les saintes pratiques que l’on doit voir en toutes vos conduites, surtout: celles de l’obéissance et d’une très profonde humilité qui ne permet pas à l’esprit humain de s’élever par orgueil et par fierté.”

Le même jour et par le même courrier, Mère Mechtilde écrivait à la mère Marie de Jésus, prieure, à qui elle envoyait deux nouvelles sœurs françaises: “Je vous conjure de prévenir la reine et de l’obliger d’agréer ces deux sujets... Prenez donc votre temps pour prévenir la reine, parce que ces deux chères mères, partiront dans trois ou quatre jours...

Je crois que vos chères filles vous feront voir la lettre que je leur écris pour les solliciter à se remettre dans une parfaite union. L’état de notre maison est des plus affligeants... Priez la sacrée Mère de Dieu... Il faut que tout le monde se quitte soi-même, pour rentrer dans une parfaite union universelle. Je ne veux que Dieu en tout...

          6-5-3-La fidélité

Peu à peu les choses vont s’améliorer, mais Mère Mechtilde continue à suivre de près la communauté de Varsovie. Un an plus tard, le 6 juillet 1696, elle écrit à la sœur de Saint Bernard :

“Nous faisons des prières pour demander à Notre Seigneur, par sa très sainte Mère, qu’il pacifie tout, car rien n’est plus affligeant que de savoir une maison de l’Institut dans une telle désolation. Je sais que vous souffrez beaucoup sans y pouvoir mettre de remède. Mais si vous êtes fidèle à Dieu dans les persécutions et dans les tentations que l’Enfer vous livre, la force divine de Jésus-Christ, par sa très sainte Mère, triomphera de tout, et vous verrez les secours de sa grâce qui vous surprendront...

Soyez fidèle à vos obligations; ne communiquez points vos sentiments pour décharger votre cœur, qui vous ferait dire plusieurs choses qui le pourraient blesser ou, du moins, troubler sa tranquillité... Vivez dans l’esprit d’un continuel sacrifice, qui doit faire la vie d’une victime. L’on ne peut en ce monde éviter plusieurs contradictions mais la victime fidèle laisse les morts ensevelir les morts. Elle surpasse tout pour se rendre à celui à qui elle est immolée, n’ayant point d’autre tendance que de lui plaire, sans envisager ses propres intérêts. Elle les anéantit de tout son cœur, par le sacrifice actuel, faisant consister son bonheur à n’avoir que Dieu en vue sur toutes choses, son amour et son règne faisant toute sa fortune...”

7
Après Mère Mechtilde

Le 6 avril 1698, Mère Mechtilde s’était éteinte doucement, après une vie constamment semée d’épreuves. Pour les Bénédictines du Saint-Sacrement, il y aura, en Pologne, quelques périodes de calme et même de prospérité. Cependant les épreuves seront encore nombreuses, et cela jusqu’à nos jours, pour les moniales de Mère Mechtilde.

7-1-Après la mort du Roi Jean Sobieski

La mort du roi Jean Sobieski, le 17 juin 1696, fut une grande perte pour les moniales. La reine quitta bientôt Varsovie, puis vers 1700, partit pour Rome. À la demande de la supérieure de Paris, la reine entreprit des démarches pour fonder un monastère de Bénédictines du Saint-Sacrement à Rome. Ces démarches n’aboutirent pas, mais contribuèrent à l’approbation des Constitutions de l’Institut, par le pape Clément XI, le 1er août 1705.

Mère Radegonde, ne voulait pas que la reine se mêlât des affaires du monastère, d’où de nouvelles querelles, qui finirent par la démission de Mère Radegonde, le départ pour la France d’autres religieuses, et l’élection de mère Petigot, “selon le désir de la reine.” D’autres religieuses françaises arrivèrent à Varsovie, venant de Toul. En réalité, il est maintenant connu que le monastère de Varsovie s’était trouvé dans des conditions matérielles très pénibles: “La reine, Marie-Casimire, après la mort de Jean Sobieski, quitta la Pologne. Étant elle-même dans de grandes difficultés pécuniaires, elle n’était plus en état de remplir ses obligations envers le monastère. Toute une année les religieuses vécurent dans une extrême misère...[24]

7-2-Ce qui se passa ensuite. Le monastère de Lwow

Mère Mechtilde étant décédée en 1698, nous aurions pu arrêter notre récit ici. Les événements qui suivent n’intéressent plus une étude consacrée à “L’École Française”. Il a toutefois paru judicieux, afin de contenter certaines curiosités, d’évoquer quelques grandes étapes du développement des Bénédictines du Saint-Sacrement en Pologne jusqu’aux drames terribles de la guerre 1939-1945.

          7-2-1-De 1708-1721-La fondation de Lwow

En mai 1708, une peste épouvantable s’abattit sur Varsovie, et les bénédictines tombèrent malades.” Il y eut 22000 décès à Varsovie, et de nombreuses sœurs moururent. Ordre fut alors donné à plusieurs bénédictines de Varsovie de partir avec deux pensionnaires. Ce petit groupe s’installa à Przemysl. 

Pour arranger les choses, la guerre civile faisait rage partout en Pologne, et la ville de Przemysl était continuellement pillée. Finalement les bénédictines du Saint Sacrement trouvèrent refuge à Lwow et s’y installèrent le 13 juin 1709. En juin 1715, l’évêque de Poznam, consacra l’église du monastère de Lwow. Des années passèrent, prospères. Un pensionnat pour jeunes filles assurait des revenus réguliers.

Cependant comme toutes les œuvres du Seigneur, les fondations de Pologne furent particulièrement persécutées: le démon redoutait-il tellement les adoratrices du Saint Sacrement? Probablement, car les contre-temps, les contradictions, les difficultés, les deuils, accablèrent aussi la petite communauté de Lwow, et ce n’est que le 9 avril 1721 que la fondation de Lwow fut enfin établie officiellement

          7-2-2-De 1721-1906-La vie du monastère de Lwow

Les bénédictines du Saint Sacrement de Lwow connurent d’abors une longue période de prospérité, mais après le partage de la Pologne, le 5 août 1774, et jusqu’en 1917, de nouvelles et douloureuses épreuves s’abattirent sur le monastère. Il n’est pas question d’entrer ici dans les détails, mais il peut être intéressant de rappeler quelques éévénements racontés dans l’Historique du Monastère de Lwow.  (1709-1978)

“En 1798, le monastère des bénédictines du Saint Sacrement souffrait une grande disette et était écrasé par les impôts de toutes sortes. Les revenus ne suffisaient pas à les couvrir...”

Il y eut ensuite un grave incendie qui ravagea une partie du monastère... Les années 1830-1831 furent très difficiles: famine et choléra sévissaient dans la ville. Aussi les parents reprirent-ils leurs filles par crainte de l’épidémie: conséquence, plus de revenus pour les religieuses.

L’Église conventuelle, commencée en 1743, n’était toujours pas terminée... et ce n’est qu’en 1903 que les travaux purent reprendre. Le 12 mai 1904, l’église, achevée, fut consacrée et ouverte aux fidèles. À cette époque, les moniales étaient soutenues et aidées par Mg Weber, archevêque du lieu, mais le 26 mai 1906 il partit pour Rome et entra dans la congrégation des Résurrectionnistes.

          7-2-3-Pendant les 18e et 19e siècles

En 1787, Saint Clément Hofbauer, venu avec ses Rédemptoristes habiter près du monastère des Bénédictines, devint le confesseur des sœurs. Mais la tranquillité de la vie conventuelle ne dura pas... Après le deuxième partage de la Pologne en 1794, les épreuves recommencèrent: les locaux et l’église subirent des dépravations. Le noviciat fut interdit. Puis, après l’écrasement de l’insurrection de 1863, le régime tsariste confisqua le domaine des religieuses, et ferma de nouveau le noviciat. Les religieuses vieillissaient mais continuaient cependant à assurer l’adoration. Ce n’est que le 12 août 1905, et sous la pression d’un mouvement révolutionnaire, que les autorités cédèrent et permirent la réouverture du noviciat.

          7-2-4-1914, La guerre éclate.

“L’armée russe occupa Lwow le 3 septembre 1914 et ne se retira que le 22 juin 1915... La situation devint très difficile,... mais après 145 ans d’occupation étrangère, le monastère se trouva dans la Pologne ressuscitée... En 1920, l’école du monastère reçut les droits d’État en qualité d’école primaire... Le 25 juin 1925 le monastère fut consacré au Sacré-Cœur de Jésus.”

          7-2-5-1939-Une succession de drames atroces

– 1er septembre 1939, “Hitler attaque la Pologne. la deuxième guerre mondiale commençait. Lwow fut bombardée dès le premier jour par les avions allemands, et les jours suivants les attaques se répétèrent” La famine s’installa.

– 20 septembre 1939, “Les Allemands cédèrent à la Russie toute la partie orientale de cette province polonaise, jusqu’à la ville de Przemysl. Le 22 septembre, les chars soviétiques occupèrent Lwow...

– 22 juin 1941, “Hitler, enivré par ses victoires, attaqua l’armée russe... et l’armée allemande occupa Lwow le 25 juin.”

– 25 mars 1943, “Les moniales se consacrèrent au Cœur Immaculé de Marie. Afin d’obtenir sa protection.”

Mais la contre offensive soviétique commença, et Lwow fut bombardée par les avions russes. Le grand bombardement débuta le soir du 1 mai 1944. L’église subit des dégâts considérables.

– 26 juillet 1944 l’armée soviétique envahit Lwow. Seules les personnes travaillant à l’extérieur avaient droit à des cartes de pain et d’alimentation.

– 14 août 1945, 127 sœurs de la Miséricorde, expulsées, se réfugièrent chez les moniales, puis les soldats occupèrent le monastère, du moins ce qui en restait. Les moniales durent pourvoir à l’entretien de 350 soldats. Elles étaient surchargées de travail, mais au moins, elles purent s’approvisionner.

– 2 juin 1946, les moniales doivent quitter leur monastère. Elles arrivèrent à Plawniowice le 10 juin. Enfin, les moniales furent transférées à Bardo où l’adoration perpétuelle fut établie le 15 septembre 1960.

– Le 8 décembre 1975, les sœurs de Bardo arrivèrent à Wroclaw. En Entre temps, les bénédictines avaient fondé une nouvelle maison à Siedlece.

7-3-Et à Varsovie ?

Nous nous inspirons ici de la lettre circulaire du monastère de Varsovie du 31 août 1944.

Le monastère de Varsovie connut, au cours de son existence, des périodes de grandes souffrances, dont la plus sensible fut certainement l’obligation de fermer le noviciat en 1863. Le noviciat ne fut autorisé à rouvrir qu’en 1905. En 1918, il n’y avait encore que peu de novices et la misère régnait. À partir de 1927 la communauté commença à rajeunir, et au début de l’année 1939, il y avait 48 religieuses: de grands travaux, urgents, de restauration pouvaient être entrepris. Mais, le 1er septembre 1939, la deuxième guerre mondiale éclatait et Varsovie fut soumise à de très violents bombardements.

Au printemps 1943, le ghetto juif de Varsovie, situé à 250 mètres environ du monastère, se soulevait... Les canonnades, les incendies et les tueries durèrent deux mois.

          7-3-1-1944-L’holocauste de Varsovie

À Varsovie, le monastère et son église n’avaient pas eu trop à souffrir des bombardements de septembre 1939. Mais pendant l’insurrection  de Varsovie, du 1er au 31 août 1944, le bombardement de l’église et du monastère fut tel que tout fut écrasé. Il y eut beaucoup de morts, dont 34 religieuses qui avaient été ensevelies vivantes dans les sous-sols du monastère. Même les archives furent la proie des flammes. C’est un vrai miracle que l’on put retrouver dans les cendres les lettres de Mère Mechilde.

– 1er août 1944, le soulèvement de Varsovie.

– 6 août, la communauté descend se réfugier dans les caves avec le Saint Sacrement. De nombreux civils viennent aussi se réfugier chez les sœurs. Mais des espions se glissent dans cette foule, et bientôt le monastère sert de cible à l’artillerie allemande. Un hôpital de fortune est installé dans les caves du bâtiment.

– 13 août, le lanterneau supplombant la coupole de l’Église est touché; il s’effondrera quelques heures plus tard. La destruction du monastère se poursuit. L’eau manque, il n’y a plus de médicaments, les blessés pullulent: c’est hallucinant.

– 30 août, les religieuses se préparent à une mort imminente: ce jour-là, les sacramentines, (bénédictines du Saint Sacrement), sous l’action de la grâce, demandent, individuellement, à faire l’offrande de leur vie. On ne sut jamais qui fit cette offrande, ni à qui la permission fut refusée. On sait seulement que les quelques rescapées n’avaient pas fait cette démarche.

– 31 août 1944, 30 moniales et environ un millier de personnes se trouvaient dans la cave située sous l’Église. Un avion lâcha des bombes: l’église s’effondra écrasant dans ses décombres toutes les personnes qui se trouvaient en dessous. Puis un incendie se déclara. Un char allemand prit sous son feu ce qui restait encore debout. Seulement quelques personnes furent sauvées. Mais immédiatement les pillards arrivèrent!!! Dans cette horrible catastrophe, 34 bénédictines et un millier de personnes avaient péri. 

Les soldats allemands obligèrent les survivants du quartier à évacuer les lieux; sous les brutalités de la soldatesque allemande, une longue et hallucinante marche commença dans un paysage cauchemardesque, jusqu’à la Gare de l’Ouest. Des scènes déchirantes se passèrent, les familles étant séparées, hommes d’un côté, femmes et enfants de l’autre... Il fallut monter dans des trains. Après de multiples péripéties, les femmes arrivèrent à Lowicz. Les sœurs furent reçues par des bénédictines.

– Le 20 septembre 1944, les sacramentines rescapées trouvèrent asile à Staniatki. Elles y restèrent jusqu’au 2 mars 1945. Le 2 mars 1945, quelques sœurs purent rentrer à Varsovie. Peu à peu le monastère sera reconstruit. En 1951, l’église sera ouverte au culte, mais ce n’est que le 19 Mai 1973, que le Cardinal Wyszynski pourra procéder à sa consécration.

Le 16 octobre 1978, Karol Wojtyla était élu pape. Il prenait le nom de Jean-Paul II.


[1] L’Œuvre de Dieu en Marie des Vallées, de Marrikka Devoucoux, publié en 2000, par les éditions François Xavier de Guibert. Voir page 58.

[2] L’Ordre des Bénédictins avait déjà connu la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus grâce aux révélations faites à Sainte Gertrude, au 13ème siècle.

[3] Le pape Alexandre VII confirma plus tard, quand ce fut nécessaire, la translation de Mère Mechtilde de l’Ordre des Annonciades dans l’Ordre de Saint Benoît le 20 septembre 1660.

[4] Mère Mechtilde ne précise pas de qui il s’agit.

[5] Voir annexe page 10.

[6] Il s’agit de Marie des Vallées, la grande mystique normande, conseillère de Saint Jean Eudes et d’autres grands hommes de l’École française, avec laquelle Mechtilde correspondra à plusieurs reprises.

[7] Saint Benoît.

[8]  De nombreux renseignements contenus dans ce Chapitre proviennent du livre réalisé par les Bénédictines du Saint Sacrement de Rouen, “Catherine de Bar, En Pologne, avec les Bénédictines de France. Édité par Téqui en 1984.

[9] Tous les courants spirituels de cette époque n’appartiennent pas à l’École française, mais il est indéniable que tous ont contribué à son élaboration ou à son développement.

[10] La Pologne au XVIIe était relativement peu connue en France, ses moyens d’accès étant le plus souvent difficiles et risqués.

[11] Mère Mechtilde fait fréquemment référence, dans ses lettres, à “la bonne âme”. Il doit s’agir, très probablement, de Marie des Vallées, la grande mystique normande, dirigée et conseillère de Saint Jean Eudes. On sait que Mère Mechtilde fut en relation avec Marie des Vallées, et qu’elle la consultait quand elle devait prendre des décisions très importantes. Marie des Vallées, comme tous les mystiques, était alors très controversée; c’est probablement pour des raisons de discrétion que Mère Mechtilde ne la nomme jamais, mais fait mention de la “bonne âme”.

[12] Le voyage fut terrible, et les péripéties inouïes. Quelques extraits des lettres de Mère Mechtilde, datant de cette époque, donnent une idée de ce que fut ce voyage -que nous ne pouvons même pas imaginer-, et de ce qu’eurent à souffrir les religieuses envoyées en mission.

[13] de Pologne, Marie-Casimire.

[14] Varsovie dépendait alors de l’Évéché de Poznam.

[15] Marie des Vallées.

[16] La reine de Pologne.

[17] Démunies.

[18] Marie des Vallées.

[19] C’est ce qu’exigeait le plus la reine de Pologne.

[20] en Pologne.

[21] Les grands personnages.

[22] Concernant les démons qui, à cette époque, s’acharnèrent également sur la communauté parisienne.

[23] L’Immaculée Mère de Dieu que mère Mechtilde a invoquée plus haut.

[24] Chronique du monastère de Lwow, de 1687 à 1708.

 

pour toute suggestion ou demande d'informations