
Édith Royer
(1841-1924)
Le Sacré-Cœur de
Montmartre et l’Association “Prière et Pénitence”
Comment les révélations du Sacré-Cœur
et les prophéties concernant l’avenir de France et de l’Église
se rejoignent chez Madame Royer
Cœur de Jésus, très
miséricordieux,
très compatissant, très clément,
qui avez choisi la France pour manifester votre amour,
ayez pitié de nous.”
Madame Royer a laissé peu
d’écrits sur ses révélations et les actions qu’elle eut à mener pour répondre
aux exigences du Sacré-Cœur sur elle. En
effet
le Seigneur lui avait imposé le silence total sur sa personne “qui devait
rester ensevelie sous un suaire”, et sur la mission dont elle avait été
investie: susciter dans l’Église une Association de Prière et de Pénitence.
Seules les autorités religieuses appelées par Dieu à juger les révélations dont
elle bénéficia eurent connaissance de son message.
En janvier 1879, Mgr Rivet,
évêque de Dijon, tout en faisant preuve de la plus extrême discrétion, conclut à
l’origine surnaturelle des révélations de la confidente du Sacré-Cœur et à
l’urgence de regrouper des âmes en vue de la réparation.
Après le décès de Madame
Royer, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, la discrétion n’étant plus nécessaire,
l’abbé Verdier révélait, dans le numéro d’avril 1928 de la revue “Montmartre“,
le nom de Mme Royer et son rôle dans l’Archiconfrérie de Prière et de Pénitence
de Montmartre.
Madame Royer aurait-elle
aussi été prophète ? Voici, brièvement rappelées, quelques-unes de ses
visions-prédictions à plus ou moins long terme.
Outre les révélations et
visions directement liées au Sacré-Cœur, Madame Royer eut également de
nombreuses visions concernant l’avenir de la France. Il a semblé intéressant,
quoique cela concerne moins notre sujet, d’en rapporter ici les principales.
Madame Royer écrit, en 1919,
à l’Abbé LABBÉ, curé de Quincy :
“En 1870, quelques
semaines avant nos désastres, dans une action de grâces, dans l’église de Saint
Rémy (le 22 juillet) j’ai, par des voix intérieures et surtout des vues
symboliques très frappantes, connu les malheurs qui menaçaient la France, la
série des défaites, des investissements, des sièges, la captivité de
l’empereur.”
Et la conclusion était qu’il
fallait prier, faire pénitence, et recourir au Sacré-Cœur.
“Au mois de juin 1914, il me
fut montré et dit intérieurement que la France allait être labourée, qu’il y
aurait du sang, beaucoup de sang dans les sillons. Je compris que c’était
l’annonce de la guerre...”
– Dans une lettre du 30
novembre 1917, adressée au chanoine Crépin Madame Royer rapporte tout ce qu’elle
avait vu, dès 1870, au sujet de l’avenir de la France et les persécutions
religieuses :
“... en même temps que la
délivrance de la France, j’ai vu en 1870, d’abord des années de persécution pour
la religion, la sainte Église; un autel dépouillé de tous ses ornements, mais en
dessous il était de pierre sur laquelle les glaives s’émoussaient inutilement...
Puis une frappante image: une très haute estrade s’élargissant en descendant,
toute composée de degrés. Je voyais le Saint-Père vêtu de blanc au sommet, puis,
de chaque côté des degrés, les prêtres en robe noire; au milieu, entouré de
rayons, l’Agneau immolé qui me figurait le saint Sacrifice... Les religieux,
puis les prêtres, furent presque tous enlevés, une sorte d’inondation couvrit
les degrés. Je tremblais pour le divin Agneau. Puis tout se répara, les prêtres,
les religieux reprirent leur place et une lumière éblouissante entoura l’Agneau
et resplendit tellement jusqu’en bas que la foule indifférente s’arrêta...
– En 1919, elle laissa
échapper quelques phrases devant sa fille Louise et l’une de ses petites
filles. Mais personne ne comprit alors... S’agissait-il de 1940 ?
“Nous venons de faire
parler grand’mère à son insu. Elle a laissé échapper, sur ce qui nous attend,
des révélations effrayantes. Il y aura à nouveau la guerre avec l’Allemagne. Un
roi fera défection en pleine bataille. Nos armées seront coupées et encerclées
comme à Sedan. Les Allemands pénètreront la France bien plus avant qu’ils ne
viennent de le faire... Dans ce qu’elle nous a dit il y a des choses que nous ne
comprenons pas... Ainsi on croirait, à l’entendre, que cette nouvelle guerre
sera faite aux non-combattants, car elle nous a parlé de civils tués et couchés
par files le long des routes.”
La Mission de Madame Royer
Cœur de Jésus, ayez pitié
de nous, pardonnez-nous, sauvez-nous !
Entre le Cœur de Marie et
le Cœur de Jésus régnait une union si étroite
que les deux Cœurs n’en formaient qu’un seul
Édith Challan-Belval, qui
devait devenir Mme Charles Royer, naquit dans le diocèse de Sens, le 14 juin
1841, d’une famille très pieuse et aux fortes valeurs chrétiennes. Sa vie fut un
constant mélange de vie familiale ordinaire et de voies mystiques
extraordinaires. Dès ses premières années elle avait entretenu des rapports
familiers et intimes avec l’Enfant Jésus et sa Sainte Mère. Vers l’âge de six
ans, obéissant à une inspiration divine, Édith se consacra à Dieu par le vœu de
chasteté. Ce vœu fut souvent renouvelé par la suite. Édith se livrait aussi,
secrètement, à de nombreuses pénitences corporelles. Le milieu familial,
exceptionnellement pieux, favorisait la vie spirituelle d’Édith et de ses frères
et sœurs. Par ailleurs, l’érudition de son père étant immense, l’éducation
intellectuelle d’Édith fut particulièrement soignée.
Édith se destinait
naturellement à la vie religieuse. Or elle fut contrainte, tant par sa famille
que par les autorités religieuses qui firent annuler ses vœux, d’épouser Charles
Royer. Le mariage, qui eut lieu le 22 juillet 1860, fut heureux, mais durant les
premières années de sa vie conjugale, toutes les grâces exceptionnelles dont
Édith avait été favorisée pendant si longtemps, cessèrent complètement.
Toutefois Édith aurait pu
vivre la conscience tranquille si, en 1863, un nouveau directeur de conscience,
peu instruit des voies de Dieu et assez imprudent, n’avait porté un jugement
excessivement sévère sur son mariage, ce qui provoqua chez elle une crise grave
et durable dans sa vie spirituelle. Mais en 1867, Dieu l‘introduisait dans une
voie extraordinaire de pénitence et lui imposait un rigoureux programme qui
ferait frémir la quasi totalité de nos contemporains. Dieu la préparait ainsi à
sa future mission.
La mission de Madame Royer
Le 21 juillet 1870, pendant
la messe, Notre Seigneur lui apparut et lui fit comprendre que de grands
malheurs allaient frapper la France. Et elle fut portée à prier le Sacré-Cœur,
ce qui lui était inhabituel, par cette invocation: “Coeur de Jésus, très
miséricordieux, très compatissant, très clément, qui avez choisi la France pour
manifester votre amour, ayez pitié de nous.”
Le lendemain, nouvelles
visions dramatiques, concernant l’Église. Les évènements ne tardèrent pas à
éclairer ces visions: d’une part, défaites françaises, invasion de L’Alsace et
de la Lorraine, capitulation et déchéance de l’Empire, et d’autre part, le 20
septembre 1870, entrée des Piémontais à Rome et suppression des États
pontificaux. Les manifestations divines se succèdent dès lors dans la vie de
Madame Royer. Nous n’en citerons que quelques-unes parmi celles qui nous
touchent de plus près.
Au moment des préliminaires
de paix en 1871, Mme Royer vit un incendie mal éteint qu’on s’efforçait de
rallumer avec un soufflet. Puis le Seigneur lui montra un malade atteint d’un
ulcère au côté et dit: “L’opération est nécessaire. Je ne la ferai pas mais il
me faut la laisser faire en détournant les yeux comme une mère qui ne pourrait
voir souffrir son enfant. Ensuite je viendrai pour cicatriser la blessure, en
laissant couler de mon Cœur comme un baume merveilleux.”
Ces visions eurent pour effet
de rapprocher Mme Royer du Sacré-Cœur, et de L’invoquer par la triple invocation
que Montmartre répandra plus tard dans tout l’univers: “ Cœur de Jésus, ayez
pitié de nous, pardonnez-nous, sauvez-nous.” Dans le même temps, Notre Seigneur
lui montra une longue chaîne formée d’anneaux et lui révéla son désir d’unir les
âmes fidèles dans une association consacrée à son Cœur, et destinée à prier et
à faire pénitence pour le salut de l’Église.
De nombreuses visions
suivirent. Un jour, après qu’une vision de la Sainte Vierge se fût effacée, une
grande lumière éblouissante aveugla Édith pour le reste de la journée. De
grandes multitudes accouraient vers cette lumière, et une voix se faisait
entendre:’”J’amènerai les Nations à voir cette lumière.”
Ces intimités avec le
Seigneur donnaient à Édith le désir de s’immoler pour faire aimer Notre Seigneur
et réparer ses propres fautes. Jésus lui fit comprendre qu’elle devait se
crucifier “afin que son Cœur divin nous pardonnât et lavât nos iniquités dans le
flot de son amour.” Il l’assura qu’Il serait crucifié avec elle (sic) et qu’il
lui était agréable de trouver une âme qui acceptât de prendre sa Croix.
Mais ce fut surtout son Cœur
que Jésus montra souvent à sa privilégiée. Souvent ce Cœur apparaissait “percé
de traits, et Notre Seigneur se plaignait des pécheurs coupables de Lui avoir
fait ces blessures, et demandait des âmes fidèles pour ôter ces traits par leurs
prières et leurs pénitences, apaiser la justice divine et permettre à la
Miséricorde de se répandre sur le monde.”
Jésus lui découvrit aussi
l’intérieur de son Cœur et lui enseigna le moyen d’y entrer, d’y demeurer, d’y
pénétrer plus profondément. Ce Cœur était presque vide, bien peu de places
étaient occupées... Jésus lui montra aussi, à plusieurs reprises, un vase, en
lui demandant de verser aux autres l’eau qu’Il y mettait. Ou encore, c’était
“une source, fermée par une pierre, et Jésus lui disait d’ôter la pierre afin
que tous pussent s’y désaltérer. Son Cœur, comme cette source, attendait qu’on
levât l’obstacle qui l’empêchait de se répandre.”
Au mois de juillet 1871,
Jésus lui montra encore la chaîne déjà vue, cette chaîne, image des cœurs qu’il
fallait unir dans la prière et la pénitence. Jésus exprima aussi le désir qu’un
hommage fût rendu à son Cœur dans la paroisse de Saint Rémy où Mme Royer
habitait, par un autel élevé en son honneur et par l’association de quelques
personnes qui seraient les premiers anneaux de cette chaîne symbolique. Dans
cette association, Mme Royer devait tenir une place à part: elle devrait
appliquer le programme de sa vie mortifiée, programme réglé par Notre Seigneur
lui-même, aux grandes intentions dictées par Jésus.
Pendant les trois années qui
suivirent: 1872, 73 et 74, le Seigneur accrut entre Lui et sa confidente
l’intimité de l’union mystique et les tendresses de l’amour. Cependant, dans la
vie familiale et quotidienne d’Édith, rien ne se remarquait, sinon la fidélité à
ses devoirs et l’oubli constant d’elle-même. Notons au passage que Mme Royer eut
quatre enfants, quatre filles, dont la dernière Rose, naquit le 15 mai 1974.
Malgré le jeûne très strict que le Seigneur imposait à Édith, cette petite fille
était particulièrement forte et pleine de santé.
En juin 1872, Notre Seigneur
dévoila l’esprit et le règlement de l’Association de Prière et de Pénitence.
C’est à cette époque que commencent à se multiplier les pèlerinages à Paray le
Monial. Mais, tout en approuvant ces pèlerinages et le Vœu national concernant
l’érection d’une basilique dédiée à son Sacré-Cœur, le divin Maître fit
comprendre qu’Il ne pouvait se contenter de ces témoignages extérieurs: ce qui
lui manquait, c’était des cœurs acceptant de s’unir au sien, en esprit de
victime, afin de satisfaire la justice divine et d’ouvrir la voie à la
Miséricorde.
Jésus voulait qu’on invoquât
son Sacré-Cœur dans toutes les églises et qu’on exposât son image à l’amour et à
la vénération des fidèles pour obtenir la délivrance de l’Église et de la
France.
Le 10 juin 1872, à Paray le
Monial, dans la chapelle de la Visitation, là où le Cœur de Jésus s’était
dévoilé à Sainte Marguerite-Marie comme une fournaise d’amour, Madame Royer
reçut une grâce insigne de totale purification. Puis Marguerite-Marie lui
apparut et l’assura qu’elle était investie de la mission de faire connaître et
glorifier le Sacré-Cœur. Elle dit aussi que l'Association avait pour but de
ramener les fidèles à la pénitence, accompagnement nécessaire de la dévotion au
Cœur de Jésus, car “le Sacré-Cœur ne peut sauver les hommes sans la pénitence.
L’amour envers le Cœur de Jésus ne doit pas se témoigner uniquement par la
confiance en sa miséricorde, par les prières, les communions et les
pèlerinages... A toutes ces manifestations, il faut joindre la pratique de la
pénitence...”
Marguerite-Marie ajouta que
l’Association nouvelle complèterait le message de Paray et ferait produire tous
ses fruits au culte du Sacré-Cœur, en levant les obstacles opposés aux desseins
de la Miséricorde divine. Dès lors, pour Madame Royer, les grâces et les visions
vont se multiplier. Alors qu’elle se demandait comment, dans l’état du mariage,
elle pouvait être la sœur d’une vierge consacrée, Marguerite-Marie la rassura:
“La pénitence et l’humilité te tiennent lieu de virginité. Laisse-toi envelopper
dans mon voile noir, il te séparera du monde et des créatures.”
L’après-midi du 22 juin 1873,
solennité du Sacré-Cœur, Jésus apparut à Mme Royer et lui montra son Cœur tout
brûlant et embrasé. Il lui dit que les manifestations publiques étaient agrées
par son divin Cœur, mais qu’Il ne pouvait se contenter d’être imploré seulement
un ou deux jours par an. Il lui fallait des âmes décidées à une pratique
persévérante de la prière et de la pénitence, et pour cela l’association de
prière et de pénitence était nécessaire pour apaiser la colère du Père...
Un hommage public et
permanent devait être rendu au Sacré-Cœur, grâce à l’exposition de l’image de ce
divin Cœur dans toutes les églises. Une vision de la nouvelle image du
Sacré-Cœur qui devait être exposée fut montrée à Mme Royer: Le Seigneur était
debout avec son Cœur éclatant, embrasé au milieu de sa poitrine. Ses bras
étaient étendus “pour nous montrer son amour, son ardent désir de nous
embrasser, de nous réunir tous dans son Cœur ; mais aussi pour nous faire voir
qu’Il continue à s’offrir comme victime pour nos péchés, pour que nous nous
immolions avec Lui, L’aidions à expier, à sauver, par nos prières et notre
pénitence.” Le Seigneur demanda qu’on le représentât ainsi nous montrant son
cœur embrasé et nous tendant les bras.
Mme Royer s’inquiétait à la
pensée de propager une image du Sacré-Cœur autre que celle de Paray le Monial.
Marguerite-Marie résolut cette difficulté: sur l’image de Paray le Seigneur
révèle son Cœur en le montrant de sa main. L’image du Sacré-Cœur les bras
étendus répond à un autre but. Notre Seigneur se rend à l’appel de son Église :
“Vous m’appelez; me voici! C’est Moi avec mon Cœur brûlant d’amour pour
vous...”
Puis, comme Édith se
plaignait de ses trop fréquents moments d’union à Dieu qui la gênaient dans ses
occupations familiales, Marguerite-Marie lui conseilla : “... ne t’inquiète pas
de cet état où Dieu te met. Ne cherche pas à en sortir... Au contraire
demande-Lui d’agir avec toi quand le devoir te le commande... Tâche de rester en
notre présence, en union avec nous, et demande-nous de t’aider. Ne cherche pas à
retrouver ton intelligence à toi, mais demande au divin Cœur de te donner la
sienne.”
Les 26 et 27 juin 1873 Mme
Royer reçoit des révélations importantes sur ce qui devra devenir l’Association
de Prière et de Pénitence en union avec le Sacré-Cœur pour obtenir le salut de
l’Église et de la France. Jésus définit les pratiques demandées aux associés.
Son appel s’adressait spécialement aux ecclésiastiques et aux communautés
religieuses, mais il fallait aussi atteindre toutes les âmes, même si elles
étaient peu avancées dans la vie spirituelle.
Dès lors, Mme Royer fut
invitée à agir auprès des autorités ecclésiastiques, notamment l’évêque de
Dijon, et à écrire au Saint Père à qui il était expressément demandé de
consacrer sa personne et l’Église tout entière au Sacré-Cœur. Le Seigneur, en
effet, avait des desseins bien plus étendus que les calamités de l’époque. Le 2
juillet suivant, Marie apparut et promit son appui. Mme Royer découvrit les
trésors du Cœur de Marie: “Entre le Cœur de Marie et le Cœur de Jésus régnait
une union si étroite que les deux Cœurs n’en formaient qu’un seul...”
Commence alors une période
difficile pour Madame Royer: aucune réponse aux lettres envoyées, et silence du
Seigneur.
En 1875, l’Association n’a
pas encore d’existence canonique. Les apparitions de Jésus les bras étendus se
renouvellent. Écoutons Mme Royer:“C’est le même Sauveur qui s’est montré à
Marguerite-Marie. Alors, Notre Seigneur révélait, précisait plutôt, la dévotion
à son divin Cœur, invitant à l’amour, à la réparation, plus spécialement les
âmes intérieures. Dans ces derniers temps où la foi et la charité sont
refroidies, notre divin Sauveur semble faire un appel plus général, plus
retentissant, plus suppliant, si je puis dire, plus en rapport avec les malheurs
et les besoins de son peuple. Il semble avoir résumé tout Lui-même, sa Passion,
son oblation sur les autels, sa vie mystique dans l’Église et dans ses membres;
avoir pris à la fois sa majesté, sa beauté, son indicible bonté surtout, pour
frapper nos esprits sceptiques, toucher nos cœurs endurcis, fixer l’attention de
cette foule empressée qui ne Le connaît presque plus, que le Crucifix et que la
sainte Eucharistie ne touchent plus.
“Ce n’est pas seulement notre
Seigneur demandant aux âmes pieuses le culte de son Cœur. C’est le grand
Rédempteur découvrant à la fois l’imposante majesté de sa divinité, et la douce
mansuétude, le charme miséricordieux de son humanité. Ce n’est plus seulement
l’Époux mystique des âmes pures et ferventes, leur consolateur, leur confident
intime. C’est le Dieu-Roi de l’Église, du monde, levant un étendard, rassemblant
une armée contre les puissances de l’enfer et appelant, par une irrésistible
invitation, tous les chrétiens de tous les états auxquels restent un peu de foi,
de charité, tous ceux qui ne sont pas encore des membres morts de son Église...”
Mme Royer décrit ensuite
l’apparition du Sacré-Cœur, apparition qui ressemble à la scène de la
Transfiguration: éblouissante lumière, vêtements éclatants de blancheur... Elle
ose à peine décrire son visage, car elle ne trouve pas d’expressions humaines
capables de rendre sa beauté: “c’est une beauté comme on ne voit rien sur terre.
Je suis impuissante à dire ce qu’il y avait de majesté, de beauté, de bonté, de
compassion, d’amour, de tendresse. Ce qui l’emportait, je crois, c’était l’amour
et comme une expression suppliante que je ne puis rendre, mais qui ferait fondre
les cœurs si on pouvait le voir. Oh ! Si je pouvais dire tout ce qu’Il me
montrait d’amour, de désir de nous sauver, de se répandre, de se communiquer. Si
on le connaissait, qu’on L’aimerait !
“La première fois que je
Le vis, en juillet 1873, je n’avais presque pas osé Le regarder, mais Il
m’apparut le 25 et le 26 mai 1875, de la même manière, plus éclatant encore. Je
fus attirée à Le regarder, comme malgré moi, et je vis qu’Il pleurait, que des
larmes tombaient de ses yeux en me parlant de Paris, comme peut-être lorsqu’Il
pleura sur Jérusalem. Au front, les marques de la couronne d’épines étaient
imprimées en rouge, mais le sang ne coulait pas... Il tenait ses regards fixés
sur le monde avec une ineffable expression de tristesse, d’amour, de désir.
Les expressions me
manquent, je ne puis y penser sans que mon cœur se fonde. Oh ! si on pouvait Le
voir, comme on accourrait à Lui.”
Suit la description du
vêtement, la tunique et le manteau : ‘Tout était blanc, éblouissant comme la
neige. Au milieu de sa poitrine, comme une ardente fournaise, je voyais son Cœur
éclatant, je voudrais dire comme le soleil, et pourtant je le distinguais très
bien; il n’éblouissait pas. Des rayons de lumière s’en échappaient mais le
laissaient distinct et en relief; il débordait de flammes pour embraser les
cœurs, raviver ce feu qu’Il est venu apporter sur la terre; c’était comme un
ardent foyer qui enflammait toute la poitrine. Ses bras étaient étendus mais
moins raides que sur la croix, pour nous rappeler le crucifiement, et en même
temps nous attirer avec la tendresse d’un père, d’un sauveur...
“Le vêtement était une
tunique qui ne laissait découvertes que les mains, lesquelles étaient étendues
mais un peu penchées en avant pour inviter, bénir. On y voyait les marques des
clous comme dans les pieds. Cette tunique me semble cette robe sans couture qui
ne peut pas être divisée; le manteau me semble un manteau royal, le manteau de
la vérité divine, sous lequel il faut se réfugier pour éviter l’erreur, les
attaques de l’esprit malin.”
L’apparition était complétée
par les instruments de la Passion épars aux pieds du Sauveur, par les outrages
reçus dans l’Eucharistie, et par le démon écrasé sous le poids des témoins du
Sacrifice rédempteur. Ainsi, à l’amour du Seigneur est associé le souvenir de
ses souffrances et de sa mort, puissant appel pour nous, à la pénitence
indispensable au salut de notre monde pécheur : “Les bras étendus du divin
Maître, écrit Mme Royer, nous invitent à unir notre immolation à la
sienne, nous montrent, en même temps, le Prêtre éternel, Pontife, et victime
d’expiation, la victime eucharistique, toujours interposée entre le ciel et la
terre, le Christ vivant dans son Église et invitant ses membres à participer à
son oblation... Les blessures de la couronne d’épines, celles des clous dans les
mains et dans les pieds, nous disent ce qu’Il a souffert, nous prêchent la
mortification et l’humilité.”
A plusieurs questions
qu’Édith posait au Seigneur à propos de ces visions, Jésus répondit, entre
autres : “Il est vrai, j’ai bien des amis fidèles qui me consolent. Sans eux
la France serait perdue, mais combien d’âmes tièdes, distraites par les vanités,
les sollicitudes mondaines, qui ne me donnent que quelques actes extérieurs sans
suite... Fais savoir à mes amis... qu’actuellement (nous sommes en 1875)
mon plus grand désir, le vœu le plus pressant de mon cœur, c’est de sauver
l’Église et la France... Je suis comme un père de famille dont la maison est en
feu et qui voit ses enfants, au lieu de courir, de concentrer tous leurs efforts
à éteindre l’incendie, venir seulement de temps en temps jeter un peu d’eau qui
ne fait qu’arrêter faiblement les progrès du feu, sans l’éteindre.”
La nécessité de l’expiation
est très abondamment commentée par Notre Seigneur. Pourtant, ses paroles doivent
être complétées par une autre vision, celle du 5 juin 1875, où le Seigneur se
montra rayonnant de Gloire, montrant ainsi que la dévotion au Christ-Roi, Roi de
toutes les nations, complète celle au Sacré-Cœur. Il convient d’ajouter ici que
la vision que reçut ce jour-là Madame Royer ne se produisit pas sous le mode
habituel d’une image frappant ses sens, mais sous le “mode plus élevé et plus
secret de vision intellectuelle, où l’intelligence reçoit de Dieu directement le
sens de tout ce qu’Il veut y imprimer.”
Ces grandes apparitions
seront accompagnées d’une révélation spéciale: Dieu interdit, d’une part que ces
apparitions soient interprétées comme l’annonce d’évènements politiques
quelconques, et d’autre part que le nom de la voyante et de son confesseur
soient révélés. Pour que l’œuvre du Sacré-Cœur réussisse, ils devaient
s’humilier.
Comme toutes les œuvres de
Dieu, l’Association de prière et de pénitence demandée par le Seigneur, connut,
dès avant même sa création, de nombreuses vicissitudes et de nombreux obstacles.
Il n’est pas nécessaire, dans ce travail consacré au Cœur de Jésus, de
s’attarder sur ces vicissitudes, mais quelques remarques de Jésus, concernant
l’importance de la prière et de la pénitence pour le salut du monde sont
intéressantes, et il paraît utile de les rappeler à notre époque où seul
l’hédonisme a droit de cité.
La Basilique de Montmartre
était alors en cours de construction. La confrérie en l’honneur du Sacré-Cœur,
établie en mars 1876, et qui sera élevée en 1877 à la dignité d’Archiconfrérie
pour la France entière, comprenait alors vingt mille associés. Son but:
“perpétuer par les prières et les bonnes œuvres la pensée d’expiation, de
pénitence et d’invocation qui a inspiré le Vœu national au Sacré-Cœur de
Jésus.”
Mais le Seigneur demandait
davantage et le fit clairement comprendre à Mme Royer le 2 novembre 1876 :
“... Vous m’avez encore fait voir, écrit-elle, une sorte d’incendie, et m’avez
dit que c’était en faisant pénitence que l’on sauverait la société, que l’on
éteindrait le feu; que vous cherchiez des âmes qui s’offrent à Vous en
holocauste, qui unissent leurs efforts aux vôtres, leur immolation à la vôtre,
que Vous demandiez davantage cette pénitence aux âmes pures et détachées, libres
des embarras, des sollicitudes du siècle...”
Le 5 novembre 1876, Notre
Seigneur revint pour l’assurer que la pénitence n’éloignerait pas les âmes de
l’Association, qu’elle serait au contraire, son caractère distinctif. Et Jésus
dit aussi “ceux qui n’ont pas la liberté, la possibilité de faire des
pénitences positives comme le jeûne ou autres pénitences analogues, peuvent
toujours aimer la pénitence, en reconnaître la nécessité, l’efficacité, et
suppléer à ce qu’elles ne peuvent faire, par quelques renoncements au luxe et à
la mollesse, quelques retranchements des choses superflues, comme, par exemple,
la privation de quelques friandises aux repas, le renoncement à quelques paroles
ou regards de curiosité, à quelque vanité dans l’habillement ou l’ameublement.”
Le Seigneur ajouta “qu’il
avait, même dans le monde, beaucoup d’âmes généreuses qui ne s’effraieraient
pas, qui répondraient à son appel... Pour les gens du monde, il est une
pénitence bien difficile et bien méritoire aussi, c’est l’acceptation plus ou
moins généreuse des peines, des travaux, plus grands pour eux que pour les
habitants du cloître, et si souvent perdus, faute de patience et d’esprit de
foi.”
En 1880, Mgr Rivet, évêque de
Dijon, demanda et obtint pour l’Association des lettres d’affiliation à
l’Archiconfrérie du Vœu national de Montmartre. L’Archevêque de Paris, Mgr
Guibert adoptait, en 1881, l’Association de Dijon, avec son esprit, ses
pratiques et ses règlements tels qu’ils avaient été adoptés en 1879 par Mgr
Rivet. Pourtant les deux associations resteraient distinctes afin d’éviter
l’inconvénient de réduire à une portée nationale française l’association de
pénitence qui devait, selon les désirs du Sacré-Cœur, avoir une extension
universelle.
La vie de Mme Royer continue,
toujours aussi austère. Ses visions sont nombreuses aussi, mais d’un caractère
plus personnel. Mme Royer comprit que sa perfection propre devait reposer sur
trois appuis: la prière, la pénitence et une grande pureté de vie et de
conscience, et il fallait sceller ces appuis dans l’amour, l’humilité et
l’obéissance.
On peut remarquer, entre
parenthèses, que les orientations de vie données par Dieu à ses mystiques sont
toujours les mêmes: prière, vie mortifiée, humilité et obéissance. Ces
dénominateurs communs, retrouvés constamment chez tous les vrais mystiques sont
comme un sceau d’authenticité délivré par le Seigneur, pour juger équitablement
des évènements ou des faits qui peuvent parfois paraître surprenants.
Nous sommes en 1881, à la
veille des persécutions religieuses en France: certaines mesures d’expulsion des
congrégations religieuses avaient d’ailleurs déjà commencé depuis 1880. Le 6
juillet 1881, Mme Royer vit “Notre Seigneur crucifié, le sang coulant
abondamment de ses plaies et tombant, du haut de sa Croix, en ruisseaux sur
d’autres croix dressées au pied de la sienne.” Ces croix étaient l’image des
âmes que Dieu appelaient à l’immolation.
Dans une autre vision elle
voit un grand incendie attisé par les uns, combattu par les autres. Des deux
côtés il y avait beaucoup de victimes. Soudain, au-dessus de l’incendie
apparurent d’abord une croix lumineuse, puis le Sacré-Cœur, détaché de la
personne de Notre Seigneur, comme Marguerite-Marie l’avait décrit. La croix et
le Sacré-Cœur projetaient une lumière qui éclipsait celle de l’incendie.
Les deuils se succèdent dans
la famille de Mme Royer, les mariages de ses filles aussi, comme si Dieu voulait
lui rendre enfin possible la vie religieuse à laquelle elle avait tellement
aspiré.
L’adoption par Montmartre de
l’Association de Dijon lui assurait l’appui des oblats de Marie immaculée, car
le cardinal Guibert était membre de cette congrégation et avait fait appel à ses
religieux pour remplir les fonctions de chapelains de la Basilique du Vœu
national. Le pape Léon XIII soutenait également le mouvement qui portait les
Français à la pénitence. Le 28 juillet 1881, il écrivit de sa propre main :
“Nous encourageons et nous bénissons de tout notre cœur l’union de prières qui
vient de se former en France, en l’honneur du Sacré-Cœur, et dans le même esprit
d’expiation et de pénitence, nous unissons nos prières à celles de tous les
fidèles de la France catholique.” L’association comptait déjà à cette
époque plus de 120 000 associés.
N’oublions pas que les
desseins du Sacré-Cœur, par l’Association, concernent toute l’Église, les
Nations hérétiques et les infidèles eux-mêmes. C’est pour tous les hommes du
monde entier que le Sacré-Cœur avait demandé l’Association de pénitence.
En 1885, Notre Seigneur
renouvelle à sa privilégiée l’apparition du Sacré-Cœur les bras étendus, et lui
demande “de prendre pour règle et pour modèle sa pureté, figurée par les
vêtements blancs; sa charité pour Dieu et pour le prochain figurée par son cœur
brûlant, débordant; son immolation continuelle pour le monde figurée par les
bras en croix; sa pénitence par les instruments de la Passion et par ses
plaies.”
Le 26 août 1887, Mme Royer
écrit à Mgr Lecot, évêque de Dijon : “Notre Seigneur ne m’a pas seulement
montré ses desseins de justice et de miséricorde pour la France; Il m’a
découvert aussi des dangers, des persécutions pour l’Église, et m’a montré qu’Il
voulait, par cette Association de pénitence, déjouer les machinations des
impies, préparer une sorte de triomphe pour l’Église, le Souverain Pontife, et
une grande extension de la foi chez les peuples infidèles, hérétiques et
schismatiques... Les desseins du Sacré-Cœur, dans cet appel, sont pour le monde
entier. C’est qu’Il veut, par cette croisade de pénitence, non seulement sauver
la France, la ramener dans la voie de la justice chrétienne, mais faire
triompher l’Église, étendre la foi aux peuples infidèles, hérétiques,
schismatiques.”
Mgr Lecot soutint vivement,
et jusqu’à Rome, les thèses de Mme Royer. En juin 1889, le jour de la fête du
Sacré-Cœur, Mme Royer “aperçut intérieurement le Sacré-Cœur séparé de la
personne de Notre Seigneur, entouré de rayons de flammes ; de la plaie coulait
un ruisseau d’eau purifiante qui, lui semblait-il, vérifiait ces paroles:
Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris.” Et comme elle s’étonnait
que, de cette fournaise, de ce feu, sortît de l’eau, l’explication lui fut
donnée peu après : “Ces deux éléments, le feu qui brûle, détruit, éclaire, et
l’eau qui purifie, rafraîchit, console, sont des symboles des divines opérations
du Sacré-Cœur.”
L’Association de Prière et de
Pénitence en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus, était approuvée par le
Saint-Siège le 18 avril 1894, et érigée, par un bref pontifical, en
Archiconfrérie mondiale, distincte du Vœu national, mais ayant cependant pour
siège, la Basilique du Sacré-Cœur. Les buts de l’œuvre étaient définis. Les
adhérents, plus de 600 000, se répartissaient en trois séries selon qu’ils
s’engageaient à la prière et à la pénitence, un jour par semaine, un jour par
quinzaine, ou un jour par mois.
En janvier 1895, en adoration
devant le Saint Sacrement exposé dans la Basilique de Montmartre, Mme Royer eut
une vision : “Je vis intérieurement les mains étendues de Notre Seigneur se
lever, comme bénissantes, sur l’assemblée. A ses pieds, coulait un flot de sang
pour laver, purifier, racheter le monde. Le souvenir des lumières reçues sur
l’Association s’est présenté à mon esprit.”
Signalons, pour mémoire, que
Mme Royer, libérée de ses principales préoccupations familiales, sentait de plus
en plus l’attrait d’une vie religieuse. Parallèlement le Seigneur lui
manifestait sa volonté de faire venir des religieuses à Saint Rémy, dans la
paroisse, berceau de l’Association de pénitence. Elle écrit en novembre 1886 :
“ Durant l’adoration perpétuelle, à Saint Rémy, j’ai cru voir Notre Seigneur
tenant une coupe, grande, pleine, et, en même temps, qu’Il voulait à Saint-Rémy
un ermitage où les âmes pieuses du monde viendraient se reposer et boire à la
source de son amour. Haurietis aquas in gaudio ad fontem Salvatoris. Je m’étonne
de ma persévérance pour des bénédictines, malgré l’apparente impossibilité.”
Le 17 juin 1887, à Saint
Rémy, Mme Royer entendit distinctement la voix de Dieu lui dire qu’Il voulait là
des religieuses cloîtrées, pénitentes, adoratrices du Saint Sacrement,
bénédictines, vêtues de blanc. Après de multiples difficultés, des religieuses
bernardines, appartenant à l’Ordre de Saint Benoît, adoratrices du Saint
Sacrement, étaient installées à Saint Rémy (septembre 1898). De cette époque
datent aussi des lumières sur une autre fondation : des prêtres du Sacré-Cœur,
religieux destinés à servir d’auxiliaires au clergé paroissial dans
l’évangélisation des campagnes. Parallèlement, Madame Royer, s’appuyant sur un
saint prêtre, l’abbé Cégaut, et sur le Tiers-Ordre franciscain de Dijon,
travaillait à la fondation des Franciscaines du Sacré-Cœur, adoratrices et
réparatrices.(1916)
Madame Royer est grand’mère
de nombreux petits enfants, et une grand’mère attentive. Ses rêves de vie
religieuse sont donc encore entravés. Heureusement ! Car les chapelains de
Montmartre avaient à faire face à de multiples charges: direction des travaux de
la Basilique, organisation de l’adoration perpétuelle de nuit et de jour,
réception des pèlerinages de plus en plus nombreux, direction de
l’archiconfrérie de pénitence.
Le besoin de constituer un
secrétariat permanent, bureau des archives, capable de servir de centre
d’accueil aux membres de l’Association, devenait urgent. Mme Royer acheta donc
un local près de la basilique et y installa, vers 1900, une petite communauté de
bernardines de la congrégation de Saint Rémy. Sa fille Claire, religieuse dans
le monde, membre d’une congrégation sise au 39 de la rue Notre-Dame des Champs,
vient s’installer avec sa mère au 38 bis rue du Chevalier de la Barre, dans la
maison où habitaient les sœurs bernardines. Nous sommes en 1902.
1906... Mme Royer achète un
terrain à côté du local de la rue du Chevalier de la Barre, près de la
Basilique. Une partie devait devenir la propriété de la Basilique de Montmartre
et servir de foyer à ses œuvres, une autre était destinée à la congrégation
religieuse de Mme Royer. C’est l’époque des inventaires, après la loi sur la
séparation de l’Église et de l’État en 1905. Les épreuves et les humiliations se
multiplient pour Mme Royer. Mais le Seigneur multiplie aussi ses grâces, et, à
une date non précisée entre 1907 et 1912, une de ses servantes, membre de la
Fraternité du tiers-ordre de Dijon, eut le privilège d’assister à un phénomène
de lévitation vécu par Mme Royer dans l’église paroissiale de Saint Rémy. Durant
cette période, Mme Royer tente, chez les Bernardines plusieurs essais de vie
cloîtrée, essais toujours interrompus pas des devoirs impérieux.
La Guerre de 1914-1918
Le 22 mai 1914, Mme Royer a
de nouvelles visions sur la proximité d’une guerre : “La guerre est proche.
J’ai vu dans mon oraison le sol de la France labouré de sillons profonds,
remplis de sang, le ciel plein de combats, nos campagnes ravagées, nos églises
détruites et nos cathédrales elles-mêmes dévastées. La paix qui suivra cette
guerre sera une fausse paix. La lutte continuera sous des formes diplomatiques,
sociales économiques, financières. Le monde croulera dans l’impiété, l’impureté,
le complet oubli de Dieu et courra ainsi à son châtiment. Les Français iront
jusqu’aux confins du désespoir. Ils ne reprendront courage que contre eux-mêmes.
Une à une les solutions proposées pour porter remède à leurs maux échoueront.
C’est seulement quand tous
les recours aux moyens humains seront épuisés et que tout semblera perdu que le
Sacré-Cœur interviendra. Alors apparaîtra l’élu de Dieu et la France ne pourra
nier qu’elle devra au Sacré-Cœur seul son salut.”
Aucune explication ne put, à
l’époque, être donnée à cette prophétie obscure même pour Mme Royer. C’est la
guerre des tranchées qui en donnera une première explication. En juin 1914, Mme
Royer dit à sa fille Louise : “La guerre éclatera cet été. Paris sera en
danger. Il ne faudra pas y rester.” Pourtant rien ne laissait encore
prévoir l’imminence d’un conflit.
Comme dans toutes les
familles de France, la guerre fit sentir ses effets dans la famille de Madame
Royer : un petit fils prisonnier, un autre blessé à Verdun et un troisième tué
en 1918.
Il convient de revenir un peu
en arrière. En octobre 1914, Mme Royer écrivait : “Le saint pape avait
instamment demandé l’œuvre du Sacré-Cœur. Prévoyant la guerre, j’ai fait tout ce
que j’ai pu à Paris, mais la pénitence n’y trouvait, hélas! pas accès... Que
d’expiations, de victimes depuis...”
Alors, dès le début de la
guerre, Madame Royer, avec la permission de son confesseur, s’offrit pour
souffrir tout ce que Dieu voudrait pour la sainte Église et pour la France. Tout
de suite, elle devint malade d’une maladie étrange à laquelle les médecins ne
comprenaient rien.
Cependant, Dieu accorda à sa
privilégiée, et à plusieurs reprises, des lumières sur l’avenir: confiance
inébranlable en la victoire finale et un avertissement mystérieux. Elle entendit
à la fin de 1916, qu’une année commencée dans le larmes finirait dans la joie.
Mais elle annonce aussi que, “après la victoire de nos armes, la France
serait comme désemparée, et il faudra bien accepter celui que la Providence
enverra.” Cette prédiction, exactement dans les mêmes termes, avait déjà
été exprimée plusieurs années auparavant, devant sa famille réunie.
Pendant les vacances de
Pâques 1917, Mme Royer dicte à l’une de ses petites filles une lettre destinée
au chanoine Crépin, une lettre dans laquelle elle annonce que la Russie est à la
veille d’une défaite militaire et de la révolution, et le supplie d’obtenir des
prières publiques pour que ce malheur soit écarté. Cette lettre resta sans
réponse.
La mission de Madame Royer
n’était pas de révéler le Sacré-Cœur, ni même l’intensité de l’amour de Dieu
pour nous, l’amour de son Cœur. Sa mission fut surtout de faire connaître le
Sacré-Cœur et d’être entre ses mains un instrument docile pour mieux répondre à
son amour, à ses appels et à ses demandes pour le salut de la France et de
l’Église tout entière. Le salut du monde pourrait se faire grâce à l’adoration
perpétuelle du Saint Sacrement, tant par des religieuses consacrées à cette
adoration que par des fidèles réunis dans une Association de Prière et de
Pénitence. Cependant le Seigneur, outre ses visions et révélations sur l’avenir,
lui ouvre son Cœur et lui montre parfois l’intensité de son Amour comme le
prouve ce qui suit.
L’abbé X, qui fut l’un de ses
confidents, s’aperçut que par le Sacré-Cœur, les yeux de Madame Royer
s’ouvraient sur le champ infini des perspectives que Saint Jean voulait nous
faire comprendre quand il disait : “Dieu est Amour”. Le Sacré-Cœur, c’était,
pour Madame Royer, à la fois “l’amour divin éternellement subsistant au sein
de la Trinité, et le plan miséricordieux du salut du genre humain caché en Dieu
pour être révélé, dans le temps, par l’incarnation du Verbe, et l’amour sans
borne qui avait déterminé Jésus Christ à mourir sur la Croix et à répandre, par
son cœur déchiré sous le coup de lance, les dernières gouttes de son sang en
rosée de rédemption sur l’humanité.”
Ces pensées, Mme Royer ne les
livrait que par bribes. Écoutons-la : “La dévotion au Sacré-Cœur n’est pas
une pratique de piété qui s’ajoute à d’autres pratiques pieuses. C’est la vie
tout entière embrasée par l’amour divin.
Faire aimer d’abord le
Seigneur, la pénitence viendra ensuite. La pénitence ne consiste pas à
s’ingénier dans la recherche de sacrifices ou de voies extraordinaires, mais
c’est dire “Amen” à toutes les occasions de se mortifier que la vie se charge de
nous proposer sans cesse. C’est accepter les croix que Dieu pose continuellement
sur nos épaules.
Prêcher Notre Seigneur
Jésus-Christ et sa divine personne si peu connue, voilà le moyen de faire tout
naturellement connaître et aimer le Cœur sacré.”
Mère Marie du Saint
Sacrement, supérieure des Petites Sœurs de l’Assomption rencontra plusieurs fois
Madame Royer. Voici ce qu’il lui fut dit par Mme Royer : “C’est aux
ecclésiastiques et aux communautés religieuses que le Sacré-Cœur adresse ce
précieux appel. C’est sur eux, ses amis, qu’Il compte surtout. S’il m’était
donné, en son nom, de supplier les communautés religieuses d’apporter dans la
balance de la justice divine tant de mérites acquis dans les œuvres de charité,
dans l’enseignement, je voudrais, au nom du Bon Maître le leur demander à
genoux. Ce sont elles qui paieront pour les gens du monde, et pour elles qui
sont habituellement recueillies et pénitentes, les pratiques demandées sont si
faciles... Les âmes consacrées sont la part choisie du troupeau de l’Église. La
journée d’une religieuse qui accomplit fidèlement sa règle et ses devoirs d’état
est bien plus méritoire que celle d’une simple chrétienne restée dans le monde.”
La dévotion au Sacré-Cœur
s’étendit dès lors avec une rapidité extraordinaire. Le culte du Sacré-Cœur se
développa très rapidement dans la paroisse de l’abbé X qui était en relations
avec Mme Royer. Dans sa paroisse, les communions du premier vendredi du mois
furent préparées par une heure sainte prêchée la veille, à 9 heures du soir. La
fête du Sacré-Cœur fut célébrée avec la solennité que le Seigneur avait demandée
à Sainte Marguerite-Marie. Cette fête du Sacré-Cœur, précédée d’un triduum de
prédications, était fêtée à son jour le vendredi, par la grand’messe, les
vêpres, une procession et la consécration au Sacré-Cœur.
De son côté, le Père d’Alzon,
fondateur des Assomptionnistes, le 29 juin 1881, consacrait, à Montmartre, sa
congrégation au Sacré-Cœur de Jésus. En 1908, grâce au Père Marie-Clément, lui
aussi assomptionniste, ce fut le tour du noviciat des frères convers de Gempe en
Belgique, puis celui des petites sœurs de l’Assomption de Londres. Envoyé aux
États-Unis et au Canada, le Père Marie-Clément continua son apostolat en faveur
du Sacré-Cœur, et la plupart des congrégations religieuses d’Amérique du Nord
s’inscrivirent à l’Archiconfrérie “Prière et Pénitence”. A partir de 1912, un
centre autonome de l’Archiconfrérie fut érigé canoniquement à New-York.
Parallèlement, le Père
Marie-Clément multipliait les retraites au Sacré-Cœur. Ces retraites, d’au moins
cinq jours, s’appuyaient sur les écrits de Sainte Marguerite-Marie et les
révélations faites à une âme choisie par le Sacré-Cœur, en l’occurrence, Mme
Royer. Le 9 mars 1914, le Père Bailly, supérieur général de l’Assomption,
présentait au pape Pie X le Père Marie-Clément, alors Directeur de
l’Archiconfrérie pour l’Amérique du Nord. Le lendemain Pie X s’inscrivait
lui-même dans cette Archiconfrérie, et le Saint-Office enregistrait un rescrit
rédigé par Pie X accordant des indulgences aux associés du monde entier.
Ayant constaté l’isolement
des curés dans leurs presbytères et leurs paroisses, l’idée vint au Père
Marie-Clément de fonder une congrégation féminine qui procurerait au clergé les
auxiliaires dévouées dont il avait besoin. Le Père Bailly autorisa le Père
Marie-Clément à jeter les bases de cette nouvelle famille religieuse. Notons que
Mme Royer fut consultée à ce sujet.
De retour en Amérique, dès le
mois de mai 1914, le Père Marie-Clément commença à procéder, à l’occasion des
retraites paroissiales, à la consécration des familles au Sacré-Cœur. La nuit de
Noël 1914 naissait la nouvelle congrégation sous le vocable de Sœurs de Jeanne
d’Arc.
Le 16 octobre 1919, la
Basilique de Montmartre fut solennellement consacrée. A cette occasion, le pape
Benoît XV adressait au cardinal Amette une lettre qui se terminait par le
souhait que “Notre Seigneur Jésus Christ... du haut de ce temple magnifique...
élevé en l’honneur de son amour, embrasse et comble de grâces non seulement la
France, mais le genre humain tout entier.”
Ainsi donc, de par l’autorité
souveraine du Saint Père, était dévolu à Montmartre un rôle universel... en tous
points conforme à la destination mondiale de l’Archiconfrérie de Prière et de
Pénitence et à son emblème, l’image du Sacré-Cœur aux bras étendus ornant la
mosaïque du chœur de la basilique. Mme Royer n’assista pas à ces solennités.
A partir de juillet 1918, Mme
Royer partagera son temps entre le cloître de Saint Rémy et sa famille. A la fin
du printemps 1919, elle reçut la visite de l’un de ses petit-fils, en
permission. Un incident étrange se produisit. Passé dans la pièce voisine, le
jeune officier était abordé par une de ses cousines, une fille de Louise,
terrifiée et tremblante d’émotion. “Nous venons dit-elle, maman et moi, de faire
parler grand’mère à son insu. Elle a laissé échapper, sur ce qui nous attend,
des révélations effrayantes. Il y aura à nouveau la guerre avec l’Allemagne. Un
roi fera défection en pleine bataille. Nos armées seront coupées et encerclées
comme à Sedan. Les Allemands pénètreront la France bien plus avant qu’ils ne
viennent de le faire... Dans ce qu’elle nous a dit il y a des choses que nous ne
comprenons pas... Ainsi on croirait, à l’entendre, que cette nouvelle guerre
sera faite aux non-combattants, car elle nous a parlé de civils tués et couchés
par files le long des routes.”
Ce récit devait revenir plus
tard, en 1940, à la mémoire du jeune officier, qui sur le moment, était demeuré
sceptique.
Le 25 mars 1920, Madame Royer
prend l’habit des Bernardines de Saint Rémy et commence son noviciat: elle a
près de quatre-vingt ans. Cependant de graves raisons de santé l’obligent à
rentrer dans sa famille où les humiliations dues à la déchéance physique ne lui
furent pas épargnées. Elle mourut saintement le 3 avril 1924.
Pour conclure, il a semblé
intéressant de reproduire ici de larges extraits d’un écrit de Madame Royer,
dans lequel sont résumées quelques révélations parmi les plus marquantes de sa
longue vie. Au milieu de l’année 1919, en effet, l’abbé Labbé, curé de Quincy,
avait demandé à Mme Royer de lui laisser un résumé des révélations dont le divin
Maître l’avait favorisée.
“En 1870, quelques semaines
avant nos désastres, dans une action de grâces, dans l’église de Saint Rémy (le
22 juillet) j’ai, par des voix intérieures et surtout des vues symboliques très
frappantes, connu les malheurs qui menaçaient la France, la série des défaites,
des investissements, des sièges, la captivité de l’empereur ; et la conclusion
était qu’il fallait prier, faire pénitence, et recourir au Sacré-Cœur. Je soumis
à mon confesseur ces vues extraordinaires qui se sont continuées pendant six ou
huit mois par l’annonce de la guerre civile, de la mort de l’archevêque de
Paris, de l’incendie partiel de Paris, et toujours j’étais pressée de demander
la prière, la pénitence et le recours au Sacré-Cœur.
“L’autorité ecclésiastique
examina, éprouva jusqu’en 1879. Alors l’Archiconfrérie de Prière et de Pénitence
fut instituée... à Dijon d’abord, puis à Montmartre en 1883.
“J’avais gardé de toutes ces
vues l’annonce que l’incendie recommencerait au mois de juillet après des
persécutions contre l’Église, les prêtres, les religieux, mais je ne savais pas
quand, ni si ce serait la guerre étrangère ou la guerre civile, peut-être les
deux, pensais-je.
“Au mois de juin 1914, il me
fut montré et dit intérieurement que la France allait être labourée, qu’il y
aurait du sang, beaucoup de sang dans les sillons. Je compris que c’était
l’annonce de la guerre.... J’obtins de mon confesseur la permission d’offrir ma
vie pour la Sainte Église, la France, les œuvres auxquelles mon indignité avait
nui et je devins malade de cette maladie étrange qui me dura quatre ans et dont
j’ai encore quelques restes... Je croyais à la victoire finale fermement. Il me
fut dit que Verdun ne serait pas pris, que lorsque l’expiation serait
suffisante, le Sacré-Cœur sauverait la France. A un an de là environ, j’entendis
qu’une année commencée dans les larmes finirait dans la joie, mais je redoutais
l’effusion de sang qui amènerait la terminaison, ne sachant pas pourtant qu’un
de mes chers enfants serait une des victimes.
“Voyant que Dieu ne prenait
pas ma chétive vie, je lui offris, si c’était pour sa gloire et pour ma
purification, que je finisse dans le cloître par une vie de pénitence,
d’obéissance, d’infirmités, de sacrifices de toutes sortes. Je lui offris de
tout cœur l’un et l’autre...
“Je devais avoir une mission
d’effacement à cause de mon indignité... Il m’est venu souvent que le Sacré-Cœur
me mettait dans ma main un cierge allumé et je comprenais que je n’étais pour
rien dans la lumière de ce cierge, mais ne devais pas l’éteindre, l’étouffer.
C’est pourquoi je suis soulagée de pouvoir écrire ces choses que je ne juge
pas.”
Pour être complet, il
convient d’ajouter quelques extraits de la lettre du 30 novembre 1917, adressée
au chanoine Crépin : “... en même temps que la délivrance de la France, j’ai vu
en 1870, d’abord des années de persécution pour la religion, la sainte Église ;
un autel dépouillé de tous ses ornements, mais en dessous il était de pierre sur
laquelle les glaives s’émoussaient inutilement... Puis un temple où l’on avait
introduit une machine infernale pour le faire sauter, mais il m’était dit que
Dieu garderait ce temple. Puis la frappante image: une très haute estrade
s’élargissant en descendant, toute composée de degrés. Je voyais le Saint-Père
vêtu de blanc au sommet, puis, de chaque côté des degrés, les prêtres en robe
noire ; au milieu, entouré de rayons, l’Agneau immolé qui me figurait le saint
Sacrifice... Les religieux, puis les prêtres, furent presque tous enlevés, une
sorte d’inondation couvrit les degrés. Je tremblais pour le divin Agneau. Puis
tout se répara, les prêtres, les religieux reprirent leur place et une lumière
éblouissante entoura l’Agneau et resplendit tellement jusqu’en bas que la foule
indifférente s’arrêta... J’attends ce triomphe...”
[6]
Le Sacré-Cœur de Montmartre, représenté les bras
ouverts et étendus, serait-il aussi une sorte de prophétie valable pour ce début
du XXIe siècle ?
Il a été rapporté plus haut
comment Madame Royer avait, dans une vision, reçu l’image du Sacré-Cœur, image
qui, dans un premier temps, l’avait beaucoup étonnée: le Seigneur était debout
avec son Cœur éclatant, embrasé au milieu de sa poitrine. Ses bras étaient
étendus ”pour nous montrer son amour, son ardent désir de nous embrasser, de
nous réunir tous dans son Cœur; mais aussi pour nous faire voir qu’Il continue à
s’offrir comme victime pour nos péchés...” Le Seigneur demanda qu’on Le
représentât ainsi, nous montrant son cœur embrasé et nous tendant les bras.
Au début du mois de septembre
2001, une image atroce fut montrée sur la chaîne Euronews de la télévision
câblée. Cela se passait aux USA. Pour clore une fête inqualifiable, pire qu’une
rave-party, un mannequin, un homme en paille, les bras ouverts exactement comme
le Sacré-Cœur de Montmartre, fut brûlé, la nuit, sur une sorte de gibet au
milieu des hurlements déchaînés d’une foule en délire. Le commentateur du
reportage dit, à peu près : “Cet homme de paille représente l’Homme. C’est le
symbole de l’Homme qu’il faut détruire.”
L’abject, le mépris envers
les hommes et envers tout ce qui se rapporte à sa noblesse et à sa grandeur,
n’ont plus de limite de nos jours, et c’est parfois effrayant, terrifiant. Le
Sacré-Cœur de Jésus, voulant être représenté debout, avec son Cœur éclatant,
embrasé d’amour, et les bras étendus comme pour nous accueillir, est peut-être
la réponse de la Vie à ces abominations, à ces manifestations de mort, la
réponse anticipée de l’Amour à la haine.
Cœur de Jésus brûlant
d’amour, embrase-nous de ton Amour !



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