Saint Jean d'Avila
naquit à Almodovar del Campo, près de Tolède, le 6
janvier 1499.
Attention,
il n'a aucune parenté avec sainte Thérèse d'Avila. Jean était le fils d'Antoine
Avila et de Catherine Xixona, probablement d'origine
juive. Son père, Antoine, de famille noble, était un
riche marchand. On ne connaît à peu près rien de son
enfance, jusqu'en 1514 où il partit pour l'université de
Salamanque pour préparer une carrière de Lettres. À
cette époque, étudier les Lettres signifiait aussi
étudier les Arts, le Droit, la Philosophie et même la
Théologie. Jean d'Avila, diplômé en droit, aurait pu
devenir un riche serviteur de l'État, mais il préféra se
tourner vers le sacerdoce et il rejoignit rapidement
l'université d'Alcala de Henares où il se spécialisa en
philosophie et en théologie. Il fut ordonné prêtre en
1525 et célébra sa première messe dans l'église où
avaient été enterrés ses parents, décédés pendant qu'il
faisait ses études. Il distribua sa part d'héritage aux
pauvres.
Pour bien comprendre la vie de Jean d'Avila, il faut
revoir un peu l'histoire de l'Espagne à cette époque. Ce
XVIème siècle bouillonnait d'idées, de désirs de
renouvellement, de rêves et d'ambitions impériales qui
incitaient les espagnols à aller toujours plus haut,
toujours plus loin. L'Espagne devait coûte que coûte,
conquérir le monde. Par ailleurs, nous savons qu'en
1517, un moine allemand, Luther, avait rompu avec Rome
et prêché un nouveau christianisme qui sera appelé le
luthéranisme. Par contagion, beaucoup d'Espagnols
cherchaient à repenser la foi de l'Évangile. Mais
l'Inquisition veillait… et nous savons que le
protestantisme ne pénétrera jamais dans la péninsule
ibérique.
Pourtant certaines mystiques douteuses: l'illuminisme
des alumbrados ou le quiétisme des dejados, entre
autres, étaient attaquées par l'Inquisition. Dès 1525
l'Édit inquisitorial de Tolède condamnait 48
propositions estimées, à juste titre, comme hérétiques.
Jean d'Avila, ancien étudiant d'Alcalá, avait
inévitablement connu ces familles spirituelles pour
lesquelles le recueillement, le détachement, la
découverte de Dieu dans l'oraison mentale, la charité et
la pauvreté étaient les maîtres mots. Un autre
courant de pensée, l'érasmisme, doctrine du Néerlandais
Érasme s'était répandue chez les grands spirituels
d'Espagne, mais cette doctrine était en grand honneur
jusque chez le grand Inquisiteur et avait pénétré
l'Université d'Alcalá où Jean d'Avila étudiait.
Vers 1527-1528 Jean d'Avila songeait à partir en
Amérique comme missionnaire. En effet, en 1527,
Séville attendait le départ de hardis navigateurs du
Christ. Mais les qualités d'orateur de Jean d'Avila
furent signalées à l'évêque de Séville qui le chargea
d'organiser des missions populaires dans toute
l'Andalousie, pour y raviver la foi.
Malheureusement, en 1531, jean d'Avila fut dénoncé au
Tribunal de l'Inquisition: on l'accusait d'illuminisme
et même de luthéranisme. Il fut emprisonné à Séville en
1532, mais pendant l'été 1533 il fut libéré et absous.
Que s'était-il passé? Rien de bien grave, et le procès
montrera qu'en réalité il ne s'agissait que de quelques
mots mal compris et de rudes sévérités contre les
riches. Incontestablement Jean heurtait les préjugés
d'alors quand il blâmait la haine ou le mépris que tels
de ses pénitents confessaient avoir pour les Juifs ou
qu'il mettait les fidèles en garde contre les
révélations ou les prodiges trop facilement acceptés...
Jean d'Avila fut également été chargé, le 17 mai 1538,
de prononcer le sermon à l'occasion des funérailles de
la reine Isabelle de Portugal, épouse de Charles Quint.
Jean d'Avila était un ami de saint Ignace de Loyola;
aussi favorisa-t-il le développement et la diffusion des
jésuites en Espagne. Il soutint également sainte Thérèse
d'Avila dans son œuvre de réforme de l'ordre des
carmélites, ainsi que saint Jean de Dieu pour la
fondation de l'ordre hospitalier de saint Jean de
Dieu.
Sa carrière de prédicateur qui sera presque toute sa
vie, ne l'empêchera pas de réaliser des fondations
originales afin de poursuivre l'œuvre de conversion
commencée par sa parole. En particulier il fonda de
nombreux collèges et participa au Concile de Trente. En
effet, en novembre 1544, la paix ayant été signée entre
le roi de France et l'empereur Charles-Quint, le pape
Paul III convoqua, à Trente, dans les Alpes du nord-est
de l'Italie, un concile général auquel l'Église
songeait depuis longtemps. Au début, l'empereur ne
voulant au concile qu'un nombre restreint d'évêques
espagnols, Jean d'Avila n'y participa pas, mais, il
jouera en coulisse, un rôle très important par les
précieux conseils qu'il donnera. En effet, l'œuvre de
Jean était un exemple concret pour réaliser la réforme
de l'Église. Le pape Paul III en était très conscient,
lui qui, le 14 mars 1538, avait érigé canoniquement le
collège fondé à Baeza par Jean d'Avila. La semence des
futurs séminaires tridentins était bien préparée.
Jean d'Avila jouera un rôle plus direct pendant les
secondes et troisièmes sessions du concile, comme
conseiller d'un grand prélat espagnol, son ancien
condisciple d'Alcala, l'archevêque de Grenade. Don Pedro
Guerrera, en effet, désirait vivement être conseillé,
par un grand théologien, ce qui était le cas de son ami,
Jean d'Avila. En 1551 Jules III, successeur de Paul III,
ouvrit la seconde session conciliaire. Avila fournit à
l'archevêque un mémoire et un appendice d'une importance
capitale, documents qui seront en partie incorporés aux
décisions conciliaires. En outre, peu de temps après la
fin de la 3e
session du concile, (en 1563) Avila rédigea, pour un
autre prélat réformateur, Cristobal de Rojas, évêque de
Cordoue, des "Observations" qui compléteront les
décisions conciliaires, lors du synode provincial tenu à
Tolède en 1565.
Peu de personnes connaissent l'importance que les
conseils de saint Jean d'Avila ont apportée à ce que
l'on a appelé la Contre-réforme Catholique. L'Espagne
lui doit la réalisation des Séminaires dits
conciliaires. Et les séminaires français, de
Saint-Sulpice et de Saint-Lazare s'en sont très
certainement inspirés.
Malgré ses grandes activités théologiques, Jean d'Avila
voulait développer l'œuvre qu'il avait fondée et lui
donner le cadre qui lui permettrait de survivre après sa
mort. Cependant, une autre compagnie s'était fondée
postérieurement à la sienne: la milice d'Ignace de
Loyola. Jean aurait souhaité rassembler les deux
compagnies en une seule. Une sympathie mutuelle poussait
les deux familles spirituelles l'une vers l'autre.
Malheureusement cela ne put se faire.
De 1555 à 1559, Jean d'Avila, presque aveugle, était de
plus en plus malade. Cependant, il poursuivait son rôle
d'animateur et de conseiller des prêtres et des âmes
religieuses. Il mourut saintement le 10 mai 1569, à
Montilla. Le pape Léon XIII le béatifia le 6 avril 1894.
Il fut canonisé le 31 mai 1970 par le pape Paul VI, et
proclamé docteur de l'Église le 7 octobre 2012, par le
Pape Benoît XVI.
Penchons-nous maintenant sur l'œuvre théologique de
saint Jean d'Avila. L'Église du XVIème siècle vivait de
nombreux drames: chrétienté attaquée à ses frontières,
pasteurs non formés à leur tâche pastorale et négligents
dans l'exercice des fonctions sacrées, depuis les
simples prêtres jusqu'aux évêques et archevêques; d'où
il résultait, pour les fidèles, une grave ignorance
religieuse. À cela s'ajoutaient de mauvaises
interprétations de l'Écriture et une prédication
insuffisante. Jean d'Avila, après avoir minutieusement
étudié la réalité et avoir détecté les causes de la
décadence du clergé, proposa les remèdes les plus
adaptés: étude attentive de la vocation cléricale et
religieuse, formation des séminaristes et des futurs
apôtres: éducateurs, prédicateurs exégètes et
théologiens. Tout cela, Jean d'Avila l'avait déjà mis
en œuvre dans les séminaires de sa Compagnie.
Bien qu'elles soient encore peu connues en France, les
œuvres de Jean d'Avila furent nombreuses. Tout d'abord
ses sermons: depuis le XVIIème siècle, on en connaissait
déjà 82 et 18 allocutions spirituelles, auxquels
s'ajoutèrent, en 1947, les textes de vingt quatre
sermons retrouvés dans les archives de Loyola dans la
Province de Burgos. Jean d'Avila rédigea aussi de très
nombreuses lettres adressées à des prêtres et à des
laïcs, lettres qui nous permettent d'apprécier la
qualité de son enseignement. Par ailleurs au moins
quarante trois de ses traités théologiques nous sont
connus, dont le Traité sur le Très Saint Sacrement; ces
traités furent diffusés dans toute l'Europe, surtout
dans la seconde moitié du XVIIème siècle. Signalons
également la parution en 1556 d'un petit livre intitulé
"Audi, Filia" Écoute, ma fille" présenté par Jean
d'Avila lui-même comme des "Avis et Règles
chrétiennes pour ceux qui désirent servir Dieu."
Nous allons maintenant essayer de vous présenter les
thèmes traités par Jean d'Avila. Un spécialiste des
œuvres de Jean d'Avila, Robert Ricard, a écrit: "Ce
que l'on voit bien, c'est la véhémence du zèle et la
profondeur de la foi; ce que l'on sent bien c'est
l'ardeur brûlante de l'amour de Dieu et des âmes...
"
Le corps mystique du Christ
Jean d'Avila reprend souvent la doctrine du Corps
mystique exposée par saint Paul, qui la tenait, comme
tout son enseignement, de Jésus lui-même. Nous savons
que Jésus est la tête du Corps mystique, et que nous en
sommes les membres. Pour Jean d'Avila, il existe une
véritable solidarité entre Jésus: la Tête du corps, et
chacun des membres; cette solidarité de volonté est
doublée d'un effort continuel, auquel la grâce ne fait
jamais défaut. Il en résulte que toute infirmité, toute
mutilation des membres retentit sur l'ensemble du Corps,
particulièrement sur la Tête elle-même, le Christ qui a
tant souffert pour nous et dont la Passion n'est jamais
achevée, puisqu'il ne cessera jamais de lui "manquer"
ce que nous ne pouvons "accomplir".
Le rôle du Saint-Esprit
Pour saint Jean d'Avila, "le Saint-Esprit c'est
l'âme du Corps mystique, c'est le moteur spirituel de
cette société des âmes sauvées ou à sauver… De même que
dans un corps il n'y a qu'un seul esprit qui se répand
dans tous les membres, tous les hommes vivent une vie
humaine et non pas, l'un, une vie d'homme, et l'autre,
une vie de lion ou d'un autre animal. Tous ceux qui sont
incorporés au Christ vivent de l'Esprit du Christ, comme
le sarment vit de la vigne, et les membres du corps, de
la tête."
Mais dans l'ordonnance du Corps mystique, quel rôle joue
l'Esprit-Saint? Ici la pensée de Jean d'Avila se fait
particulièrement forte. Alors qu'il préparait une fête
de la Pentecôte, Jean d'Avila affirma: "Comme c'est
l'Esprit qui anime tout le Corps mystique, la charité
pour nos frères souffrants est la meilleure préparation
à sa venue, le meilleur repas que nous puissions lui
offrir. Alors le Consolateur nous redonnera Jésus, dont
la mystérieuse présence se fera sentir en nous, comme à
la mère celle de l'enfant enfermé dans son sein…
Il faut préparer soigneusement la demeure de celui qui
va venir et que Jésus, lui-même, nous envoie. Car si on
ne le désire pas, il ne vient pas. Si la demeure n'est
pas digne de lui, il n'y pourrait descendre."
Le 29 mai 1552, toujours pendant une période de
Pentecôte, Jean d'Avila prêcha sur ce même thème pas
assez compris de la masse des chrétiens. Le prédicateur
voudrait amener ses auditeurs "à désirer vivement
l'Esprit du Christ, car, qui ne l'a pas n'est pas du
Christ... D'ailleurs notre propre esprit ne peut, de
lui-même, plaire à Dieu." Pour que l'Esprit vienne,
il faut "écouter la Parole de Dieu et la recevoir en
esprit de pénitence… Purifions-nous donc, écrit Jean
d'Avila, afin de recevoir le Paraclet, qui, semblable
à une colombe, nous révélera l'apparition: le visible
Saint-Esprit du Baptême de Jésus."
Jean d'Avila suggère: "Bienheureux ceux qui pleurent,
car ils seront consolés. Est-il venu vers vous semblable
consolation? L'habitation de la Trinité Sainte en nous,
par les soins du Saint-Esprit, vaut toutes les
consolations humaines. Les œuvres produites alors sont
admirables: guérison, allégresse, force, courage,
résurrection si c'est nécessaire. Quelle plénitude de
dons!..." Plus tard, Jean d'Avila montrera à ses
auditeurs les morts innombrables que sont les hommes en
Adam… et précisera: "Seule la loi de l'Évangile est
venue nous annoncer notre réveil, par la souffrance, la
mort et la résurrection du divin Rédempteur. Mais la
Pentecôte complète l'œuvre rédemptrice… L'Esprit est
Dieu et Il nous divinise... Malheureux qui ne croirait
pas au divin pardon. Jean d'Avila ne condamne pas
les pécheurs: il les exhorte à la joie et à l'action,
"comme les apôtres qui, au sortir du Cénacle, après
avoir reçu le Saint-Esprit, partirent à travers le monde
prêcher le salut. Oui! Dieu sauve le monde par
l'Esprit-Saint..."
Jean d'Avila se réfère souvent à la Trinité. Certes, le
centre de sa doctrine c'est le Christ. Mais c'est par le
Christ que nous remontons au Père commun. C'est
également du Christ que nous recevons l'Esprit, qui est
à la fois le sien et celui du Père. Il en résulte que
"l'âme croyante, fermement attachée au Christ, Verbe
incarné, est une demeure où les trois personnes de la
Trinité prennent plaisir à se reposer; un temple, que
l'on nomme, à juste titre, le temple du Saint-Esprit."
Les dons et les vertus infuses
Les hommes sont rachetés et sauvés, par l'Esprit-Saint.
Grâce à ses dons et aux vertus qu'Il infuse en eux, les
hommes sont invités à partir sur la route des grandes
réalisations, non pas seuls comme des orgueilleux, mais
avec le guide qui nous est donné et par qui tout devient
possible à notre chair régénérée.
Paulette Leblanc |