Si
l'on se réfère au Dictionnaire Encyclopédique du
Christianisme ancien, l'histoire de Marie
l'Égyptienne se serait transmise oralement parmi les
moines de Palestine aux environs du VIe
siècle. Il s'agissait de la vie d'une
femme,
appelée Marie, qui vécut de nombreuses années au désert,
en Palestine, pour y expier les péchés de sa vie passée.
Il y eut également plusieurs rédactions ultérieures de
ce récit, dont la principale vient de saint Sophrone de
Jérusalem, grand défenseur de la foi orthodoxe; nous
connaissons déjà Sophrone dont la fête est le 10 mars.
Pour lui, la sainte dont nous allons parler, était
égyptienne. Le texte de saint Sophrone eut beaucoup de
succès et fut traduit dans de nombreuses langues. Nous
vous rappelons que saint
Sophrone, fut un patriarche de Jérusalem et grand
défenseur de la foi orthodoxe contre les hérésies du
VIIe siècle.
La vie de sainte Marie l'Égyptienne est l'un des plus
remarquables exemples de conversion et de pénitence de
toute l'histoire chrétienne. Elle est la patronne des
pécheresses repenties. Les vitraux des églises de
Bourges et d’Auxerre racontent sa vie.
Selon saint Sophrone, Marie l'Égyptienne
naquit en Égypte, probablement au 4ème
siècle après Jésus-Christ. Elle vécut à Alexandrie.
Elle-même raconte:
"Du
vivant de mes parents, à douze ans accomplis, je rejetai
toute tendresse à leur égard et me rendis à
Alexandrie..."
En
réalité elle se révoltait contre ses parents pour vivre
dans la luxure, à Alexandrie. Elle reniait sa parenté et
se coupait de la communauté humaine en laquelle la vie
prend son sens. On a dit que le péché de Marie
l'Egyptienne n'était pas seulement d'abord la violation
de l'ordre moral ou social, mais une rupture de la
communion avec Dieu. La vie de débauche de Marie
l'Égyptienne dura pendant au moins dix sept ans.
Parlons maintenant de sa conversion. Marie vivait dans
la luxure, se prostituant tous les jours, dans tous les
lieux de débauche de la ville. Les hagiographes
rappellent que le plaisir voulu pour lui-même est, dans
les commencements, à la fois violent et fugitif. Mais au
fil du temps, il perd de son intensité et la sensualité
devient toujours plus exigeante. C'est ainsi que Marie
l'Égyptienne, dans son expérience de l'athéisme, aurait
subi l'esclavage des sens. Sous le prétexte de vivre sa
liberté, elle était dépossédée d'elle-même, avait perdu
toute pudeur, et recherchait un nombre toujours
croissant de partenaires. Marie l'Égyptienne
expérimentait l'enfer… Elle avoua: "L'envie
insatiable, l'irrépressible amour de me rouler dans la
fange me possédait."
Or,
un jour, elle rencontra des pèlerins qui partaient pour
Jérusalem sur un bateau. Elle décida de les suivre en
payant son passage de ses charmes. Elle avait 29 ans.
Sophrone raconte que les pèlerins arrivèrent devant la
Basilique de la Résurrection, le jour de l'Exaltation de
la Sainte Croix, et que tous y entrèrent pour prier.
Mais Marie ne put en franchir le seuil, une force la
repoussait chaque fois qu'elle voulait passer.
Comprenant soudain son lamentable état de pécheresse,
elle se tourna vers la Vierge Marie et la supplia
d'intercéder en sa faveur: "Moi, je suis dans la
fange du péché et vous êtes la plus pure des vierges.
Prenez pitié d'une malheureuse et faites pour mon salut,
que je puisse adorer la croix de votre divin fils." Aussitôt,
son cœur fut apaisé et, elle put entrer dans le
sanctuaire.
Il
avait fallu du temps à notre héroïne pour comprendre que
cette impossibilité ne venait pas d'une faiblesse
physique. Elle dit: "J'étais découragée, je n'avais
plus de force, mon corps était brisé." Mais, par la
grâce de Dieu "le Verbe Sauveur toucha les yeux de
son cœur lui montrant que c'était la fange de ses
actions qui lui fermait l'entrée." Le Christ brisa
les verrous qui la tenaient captive en les exposant en
pleine lumière. Elle était enfin libre.
Les
hagiographes parlent de la réalité du péché de Marie
l'Égyptienne, devenue le vase d'élection du diable. De
plus, elle rôdait cherchant qui dévorer, pour faire
tomber en tentation tous ceux qu'elle rencontrerait.
L'un d'eux a écrit que "le
péché était un état pécheur intérieur qui donnait
naissance aux multiples rejetons que sont les actes
peccamineux. Ayant renoncé à rendre un culte au vrai
Dieu, Marie l'Égyptienne n'en restait pas moins une
créature spirituelle destinée à l'adoration, même si
elle le refusait. Elle rendait un culte à sa chair ou
plutôt, par sa chair, elle recherchait l'ivresse du
plaisir, pauvre substitut à la béatitude… Elle
s'abandonnait à la possession du plaisir.
Quand Marie put enfin entrer dans la basilique, elle
entendit une voix qui lui disait:
"Si tu passes le Jourdain, tu
y trouveras le repos." Elle communia
saintement, et partit au-delà du Jourdain, dans le
désert. Elle vécut là 47 ans, sans ressource et souvent
aux prises à de pénibles et intenses tentations.
Cependant elle accueillait le feu de la foi comme
quelque chose de certain. Les portes de l'Église, lieu
du salut, lui ayant été ouvertes, dorénavant, guidée par
l'Esprit, elle pouvait voir le Bois vivifiant, la Croix
du Fils, et comprendre comment le Père attend le
repentir des pécheurs. Elle contemplait Jésus qu'elle
persécutait et comprenait le mystère de la divine
Economie. Une amitié la lia à un autre anachorète,
Zosime. Marie aida beaucoup Zosime à découvrit sa
pauvreté spirituelle.
Un
jour Zosime entendit sa confession et lui donna la
communion. Marie lui demanda de revenir l'année
suivante, au même endroit, afin de lui apporter de
nouveau ce sacrement. Mais, quand Zosime revint, il
découvrit la sainte couchée sur le sol, morte, la tête
tournée vers Jérusalem. Près d'elle se trouvait un
message lui demandant de l'ensevelir à la place où elle
était. Mais le sol du désert était trop sec et trop dur,
et Zosime ne put creuser la tombe. Un lion s'approcha,
le saint lui demanda de l'aide, et tous deux purent
creuser une fosse et enterrer Marie. Ensuite, le lion
s'éloigna, et saint Zosime rentra dans son cloître où il
vécut encore de nombreuses années. L'épisode du lion
est-il authentique? En écoutant ce récit, on comprend
comment se forment les légendes populaires.
Notons toutefois que la conversion de sainte Marie
l'Égyptienne a pour seule cause la volonté divine. Dieu
a agi avec elle comme il agissait à l'égard de son
peuple. Il eut pour Marie une patience qui était à la
fois pitié, fidélité, tendresse. Car Dieu ne veut pas la
mort du pécheur, mais il attend patiemment sa
conversion. Mais revenons à Zosime. Zosime se
considérait parfait. Mais sa rencontre avec Marie
l'Égyptienne, très sainte pénitente, le bouleversa.
Zosime reconnut la sainteté de Marie et il fut attiré
par sa beauté spirituelle et la vie de l’Esprit qui
jaillissait en elle. Il accueillit son enseignement, et
il comprit qu'il devait apprendre l’humilité et la
patience. Il commençait, lui aussi, son chemin de
repentir.
Nous
allons maintenant rapporter quelques réflexions de saint
Sophrone. Après 17 ans d'une vie de pénitence extrême,
Marie l'Égyptienne entra dans ce que l'on peut
considérer comme la troisième étape de sa vie
spirituelle. Purifiée par la solitude et les dangers
encourus dans le désert, elle accepte de ne devoir son
existence qu'à une grâce dont elle se sait indigne. Elle
vit pour Dieu et demeure en Lui. Elle Lui parle dans la
chasteté d'une charité véritable. Objet de la grâce
divine, initiée à la communion avec Dieu, elle est le
trésor que Dieu a caché au désert. Marie l'Égyptienne a
trouvé la vraie vie. Elle fait l'expérience de la foi
et, par la foi, est introduite dans le mystère d'une
existence eucharistique. Elle voit et comprend de quelle
façon mystérieuse seule la bénédiction divine lui permet
de subsister dans un monde si hostile… Elle est tout
entière revêtue de l'Esprit qui l'inspire et la conduit
à la Vérité tout entière… Elle est introduite dans la
connaissance des Écritures sans qu'elle ait jamais
appris les lettres. Elle est enseignée par Dieu. Dans
cette union mystique elle trouve désormais nourriture et
protection. Dans la Présence du Père, elle est conduite
par l'Esprit au Sauveur crucifié et glorifié, et reçoit
de Lui, en retour, une participation accrue à la grâce
de ce même Esprit-Saint. Prise ainsi entre les deux
mains du Père, elle est le lieu docile où peut
s'accomplir le désir divin exprimé dans le secret
trinitaire: «Faisons l'homme à notre image, comme notre
ressemblance» (Gen 1, 26). C'est ainsi que Marie
l'Égyptienne vit dans la communion trinitaire dès
ici-bas. Encore sur terre, elle ne vit que du Ciel.
Malgré la permanence des prévenances divines, Marie
l'Égyptienne demeure consciente de sa faiblesse. Elle
sait que tout se joue dans le mouvement oblatif de sa
liberté. Elle confesse sa condition de créature,
poussière et cendre, pécheresse protégée par le rempart
du Saint Baptême. Son identité profonde, même dans cet
état spirituel élevé n'est jamais que celle d'une
pécheresse pardonnée. C'est pourquoi elle se confie en
tout à sa sainte protectrice, à Celle qui se porte
garant de la vérité de sa conversion devant le Christ
Sauveur. La très pure et toute bénie Mère de Dieu ne
cesse de l'accompagner de sa sollicitude maternelle et
de la conduire par la main sur le chemin étroit de
l'obéissance aimante. Outre la protection de Marie, elle
est munie du signe de la divine et vivifiante Croix
qu'elle a vénérée à Jérusalem. Par le signe de la croix,
elle foule les flots du Jourdain pour aller communier à
son Seigneur. Par le signe de la croix, elle scelle son
front, sa bouche et sa poitrine pour les fermer à
l'Adversaire. Par le signe de la croix elle connaît
l'humble assurance de ceux qui sont sauvés par grâce.
Tout
le travail solitaire de régénération de Marie
l'Égyptienne trouve sa perfection dans le mouvement
apostolique de son cœur. Elle mène une vie angélique,
unissant étroitement le service de la liturgie céleste
et celui de la divine philanthropie… Marie l'Égyptienne
a fait siennes les pensées et les volontés divines.
C'est pourquoi, rencontrant zosime, abba Zossima, elle
commença par s'inquiéter des affaires de l'Église, de
l'empire, de la vie des chrétiens. Ce n'était pas là une
vaine curiosité mondaine, Mais un désir aimant de voir
la paix divine s'étendre à toute créature. Étrange! Sans
avoir jamais rencontré abba Zossima, Marie l'Égyptienne
connaissait son nom et sa dignité sacerdotale. Elle
comprit la place assignée par Dieu à abba Zossima dans
le corps du Christ qu'est l'Église et lui transmit avec
autorité, de la part de Dieu, des recommandations et des
directives. Cela ne l'empêchait pas d'accepter de lui
les services voulus par Dieu, et de donner tous les
signes de la soumission à son autorité sacerdotale. Elle
montra à abba Zossima qu'il était encore bien éloigné de
la perfection et elle aviva en lui le désir d'avoir part
à l'Esprit qui confère un tel accomplissement et une
telle beauté spirituelle.
Après la mort de la sainte, et jusqu'à nos jours,
beaucoup de personnes trouveront en Marie l'Égyptienne
mieux qu'un exemple, une assistance. C'est la grâce qui
nous est ouverte maintenant.
Marie l'Égyptienne mourut vers 421. Elle est fêtée le 1er
avril dans l'Église orthodoxe et son nom est indiqué le
2 avril dans les martyrologes occidentaux.
Paulette Leblanc |