Une
remarque préliminaire s'impose: la grande majorité des
saints que nous connaissons ont eu des vies souvent
bousculées, voire déconcertantes, au service de Dieu. En
ce qui concerne Thomas More, grand chrétien laïc et mort
martyr, sa vie particulièrement agitée dans la société
la plus privilégiée de son époque, nous montre que la
sainteté peut exister dans tous les milieux.
Thomas
More naquit à Londres, le 7 février 1478. Il était le
fils d'un homme de loi londonien, John More et d'Agnès,
fille de Thomas Graunger. Le père de Thomas était juge à
Londres. Thomas passa quelques-unes de ses premières
années en qualité de page, au service du cardinal
Morton, alors archevêque de Cantorbéry et chancelier
d'Angleterre. À l'âge de quatorze ans, en 1492, Thomas
alla étudier à l'université d'Oxford où il fit de
sérieuses études juridiques et donna des conférences sur
un ouvrage de Saint Augustin, "La Cité de Dieu".
En
1494, Thomas s'intéressant de plus en plus aux écrits
grecs et latins, son père décida de l'envoyer dans une
école de droit à Lincoln's Inn. Il eut comme professeurs
John Colet, un grand conférencier et Érasme. Tous les
deux deviendront ses amis. En 1501, Thomas More fut reçu
avocat; il fut élu membre du Parlement trois ans plus
tard. Il enseigna le droit jusqu'en 1510. Membre du
Parlement à partir de 1504, il s'éleva contre les taxes
demandées par le roi Henri VII pour la guerre d'Écosse
et dut se retirer en France en 1508; mais l'avènement
d'Henri VIII en 1509, le ramena en Angleterre et marqua
le début d'une très brillante carrière politique qui
durera plus de vingt ans.
Thomas More était déjà avocat des marchands de la City
quand il fut élu juge en 1510 par les habitants de
Londres. Signalons ici, que, entre temps, vers 1503, il
avait fait une longue retraite à la Chartreuse de
Londres. En effet, il pensait avoir une vocation
religieuse, mais il comprit vite que sa place était au
service direct de ses contemporains, dans le monde. De
plus, selon son ami Érasme, "il préféra être un mari
chaste plutôt qu'un moine impudique", ce qui,
hélas!, était assez courant à cette époque. En
conséquence, en 1505, Thomas More épousa Jane Colt dont
il eut trois filles et un fils. Après quelques années de
mariage, en 1511 il perdit sa femme et demeura seul avec
ses quatre enfants.
Or,
Thomas More, en raison de ses obligations
professionnelles au tribunal et à la cour du roi, était
toujours absent de chez lui. Comme ses enfants étaient
encore très jeunes, il se remaria très vite avec Alice
Middleton, veuve et mère de deux enfants. Mais, père
très pieux et vigilant, il veillait à ce que Dieu restât
le centre de la vie de ses enfants. Il assistait à la
messe tous les jours, et en plus de ses prières du matin
et du soir, il récitait les psaumes quotidiennement. Le
soir, il priait avec sa famille, et pendant les repas,
une de ses filles lisait un passage de l'Écriture Sainte
et on discutait ensuite sur le texte en conversant
gaiement. Jamais la science, ni la vertu, ne prirent,
chez Thomas More un visage austère et contraignant.
Thomas More, Maître des Requêtes et conseiller privé du
roi, remplaça le défunt cardinal Wolsey dans la charge
de Lord Chancelier. Celui qui n'avait jamais recherché
les honneurs, ni désiré une haute situation, se trouvait
placé au sommet des dignités humaines. Et la vie de
Thomas More va s'accélérer. D'abord au service du tout
puissant cardinal Thomas Wolsey qui lui confia la
gestion de ses biens, puis nommé par le Roi maître des
requêtes et ensuite à son Conseil privé, Thomas More fut
envoyé en missions diplomatiques et commerciales aux
Pays-Bas en 1515, puis à Calais en 1517. En 1521 il est
trésorier de la Couronne. Enfin, en 1523, contre son
gré, il est élu Speaker, c'est-à-dire Président de la
Chambre des communes du Parlement. Mais ce n'est pas
tout…
En
1523, Thomas More doit aussi commencer à participer aux
discussions menées contre les thèses de Luther, et en
1528, son ami, l'évêque Tunstal le mandate
officiellement. Ainsi, de 1528 à 1533, Thomas More devra
rédiger sept livres de réfutation des thèses
luthériennes en anglais. Pourtant, malgré ces charges
écrasantes, Thomas More, nommé en 1525, chancelier du
duché de Lancastre, dut participer en 1529, aux
négociations en vue de la paix avec l'Espagne. Toujours
en 1529, la disgrâce du cardinal Wolsey le fit accéder à
la plus haute charge du Royaume, celle de Chancelier du
Royaume, premier laïc nommé à ce poste. En tant que
Chancelier, Thomas More fit emprisonner quarante
personnes acquises aux idées de Luther.
Revenons un peu en arrière. En 1527, le roi Henri VIII
jusque-là un catholique fervent, fit appel au pape pour
lui demander l'annulation de son mariage avec Catherine
d'Aragon et pouvoir épouser Anne Boleyn dont il s'était
épris. Le pape refusa, et ce refus fut souvent considéré
comme le déclencheur du rejet de la suprématie
pontificale par Henri VIII. En effet, Henri VIII
introduisit plusieurs législations entre 1532 et 1537
pour structurer l'Église d'Angleterre, affaiblir
l'influence du pape et rompre avec Rome. Ce schisme est
à l'origine de l'Église anglicane.
Thomas More refusa de signer une lettre des dirigeants
religieux et des aristocrates anglais demandant au pape
d'annuler le mariage d'Henri et de Catherine d'Aragon.
En 1531, Thomas More présenta sans succès sa démission
après avoir été obligé de prêter un serment déclarant le
roi Chef suprême de l'Église d'Angleterre "autant que
le Christ l'autorise". En 1532, il demanda à nouveau
au roi de le relever de ses fonctions, prétendant qu'il
était malade et souffrait de vives douleurs à la
poitrine. Cette fois, le souverain accepta sa requête et
renvoya Thomas qui se trouva sans aucune ressource; car
Thomas versait tous ses revenus aux œuvres consacrées
aux pauvres. De plus, même ses granges furent
incendiées…
Le
13 avril 1534, l'ex-chancelier fut invité à prononcer un
serment qui reconnaissait Anne Boleyn comme épouse
légitime d'Henri VIII et rejetait l'autorité du pape.
Thomas refusa tout compromis susceptible d'être compris
comme un appui à l'adultère et au schisme. Thomas More,
refusant de nouveau de signer le 17 avril 1534, fut
emprisonné dans la tour de Londres, accusé de haute
trahison. Là, il vécut dans le recueillement et la
prière durant les quatorze mois de son injuste
incarcération, se préparant sereinement à l'éternité.
Parfois il disait: "Il me semble que Dieu fait de moi
son jouet et qu'Il me berce." Bientôt la maladie
s'ajouta à la réclusion, mais il continuait son travail
d'auteur, rédigeant de nombreux traités, dont un traité
sur la passion de Jésus, et le
Dialogue du réconfort dans les tribulations.
Il priait sans cesse demandant à Dieu: "Donne-moi Ta
grâce, Dieu bon, pour que je compte pour rien le monde
et fixe mon esprit sur Toi." À sa fille Marguerite
il disait: "Si je sens la frayeur sur le point de me
vaincre, je me rappellerai comment un souffle de vent
faillit faire faire naufrage à Pierre parce que sa foi
avait faibli. Je ferai donc comme lui, j'appellerai le
Christ à mon secours."
Un
simulacre de jugement condamna Thomas More à être
décapité. Remarquons, au passage, que Thomas Cromwell,
le plus puissant des conseillers du roi était l'un de
ses accusateurs. Cependant, Thomas More, courageux
confesseur de la foi, n'eut que des paroles de réconfort
pour tous ceux qui pleuraient sa mort imminente et
injuste. À la foule des spectateurs, il demanda de prier
pour lui et de porter témoignage qu'il mourait dans la
foi et pour la foi de la Sainte Église catholique. Il
embrassa son bourreau et lui dit: "Courage, mon
brave, n'aie pas peur, mais comme j'ai le cou très
court, attention! Il y va de ton honneur." Il se
banda les yeux et se plaça lui-même sur la planche.
C'était le 3 juillet 1535. Thomas More avait 57 ans.
Grand ami d'Érasme, philanthrope érudit qu'il révéla au
monde cultivé de l'époque, Thomas More participa
pleinement au renouveau de la pensée qui caractérise
cette époque, ainsi qu'à l'humanisme dont il est le plus
illustre représentant anglais. Thomas More était témoin
des ravages sociaux dans lesquels se trouvait
l'Angleterre du XVIème siècle. Dans son ouvrage
principal, "L'Utopie" dans lequel il prône la
tolérance et la discipline au service de la liberté, il
décrit notamment l'île d'Utopie comme le contrepoint
lumineux à l'Angleterre de son temps, l'économie
utopienne reposant sur la propriété collective des
moyens de production et l'absence d'échanges marchands.
Cette société, composée d'une cinquantaine de villes
gérées de manière semblable, vit sans monnaie et les
échanges collectifs y prennent la place de
l’accumulation privée qui cause en Angleterre les
malheurs du peuple. Pacifiques et respectueux de la
liberté religieuse, les Utopiens reconnaissent
cependant, tous ou presque, un être suprême et
l'immortalité de l'âme. La morale publique d'Utopie
était rigoureuse et condamnait la dissimulation, la
chasse, les jeux de hasard, la polygamie et l'adultère.
Thomas More a été béatifié le 29 décembre 1886, par Léon
XIII et canonisé le 19 mai 1935, par Pie XI. Saint
Thomas More est le saint patron des avocats, des
responsables de gouvernement et des hommes politiques.
Paulette Leblanc |