CHER FILS, SALUT
ET BENEDICTION APOSTOLIQUE,
Notre bienveillance
envers les Frères Mineurs a été conçue depuis fort longtemps, et
Nous leur en avons déjà donné des preuves nombreuses ; et ce
sentiment Nous a inspiré autrefois des projets et des
résolutions que Nous jugions devoir vous être profitables. C’est
le même sentiment qui Nous incite, aujourd’hui, à suivre, d’un
cœur plein de sympathie, le cours des choses qui vous
intéressent, et à examiner l’ensemble des règles qui sont les
vôtres. Nous ne désirons, en effet, rien tant que de voir
l’Ordre franciscain, riche d’un si grand nom et de tant de
mérites, continuer, sans interruption, sa florissante carrière.
Et, de plus, Nous souhaitons, qu’avec l’aide de Dieu, il fasse
des progrès dans l’observation de ses règles communes, mais
encore dans la pratique des vertus et dans l’étude des
meilleures sciences, et qu’ainsi il ne travaille pas pour lui
seul, mais encore pour que les richesses de sa science, de sa
vertu et de son expérience soient consacrées au bien général des
hommes. C’est pourquoi il Nous a semblé que cette Lettre aurait
quelque utilité. Et Nous voulons que vous, qui êtes le Maître
général de cet Ordre, vous y prêtiez, en votre sagesse, une
grande attention.
Notre Lettre
encyclique Aeterni Patris a suffisamment montré la voie
qu’il faut suivre dans l’étude des sciences supérieures. —
S’éloigner sans réflexion et témérairement des préceptes du
Docteur angélique est contraire à Notre volonté et plein de
périls. Sans doute, la marche de la pensée humaine ne s’arrête
jamais : la science et la doctrine sont en progrès presque
quotidiens ; et qui donc ne voudrait pas user avec sagesse des
connaissances enfantées chaque jour par l’érudition et le
travail contemporains ? Bien au contraire, il est bon de leur
emprunter volontiers tout ce qu’ils produisent de juste et
d’utile, tout ce qui, en eux, n’est pas contraire à la vérité
divinement révélée ; mais ceux qui veulent être vraiment
philosophes — et les religieux doivent surtout le vouloir — sont
obligés d’établir les principes et les bases de leur doctrine
sur saint Thomas d’Aquin. En négligeant de l’étudier, on
s’expose, dans la licence extrême des esprits, à choir dans le
désordre des opinions erronées et a se laisser toucher par le
souffle empesté du rationalisme ; ce que du reste
n’atteste que trop l’expérience. Et que sera-ce si quelque chose
de semblable s’infiltre parmi ceux dont la mission est
d’instruire une jeunesse désireuse de se consacrer à la vie
religieuse ? Que le nom de Thomas soit donc pieusement révéré
par tous les disciples du bienheureux François, et qu’ils
suivent avec respect un tel chef, dont Jésus-Christ a témoigné
qu’il avait bien écrit de lui-même.
Ensuite, comme vous
le savez, rien n’importe davantage à la foi chrétienne qu’une
explication exacte et fidèle, comme il convient, des livres qui
ont été écrits sous le souffle de l’esprit divin. Dans une
matière de si grande importance, il faut donc procéder avec
beaucoup de soin et de prudence, et éviter ainsi qu’aucune faute
soit commise, soit par orgueil, soit par légèreté ou
imprudence ; et d’abord, faut éviter de sacrifier plus que de
raison aux opinions nouvelles, et il vaut même mieux les
redouter, non pas à cause de leur nouveauté, mais parce que,
pour la plupart, elles sont fallacieuses, n’ayant que
l’apparence et le masque de la vérité. Ceux qui auraient dû le
moins se laisser séduire ont, pourtant, çà et là, commencé à se
permettre un genre d’interprétation trop audacieux et trop
libre. Parfois même on a accueilli avec faveur des interprètes
étrangers au nom catholique, dont l’esprit, mal équilibré,
obscurcit bien plus qu’il ne les éclaire les Lettres sacrées. Et
si l’on n’y porte un rapide remède, des maux semblables ne
tardent pas à devenir plus graves. Les paroles de Dieu
demandent absolument de ceux qui les étudient un jugement sain
et prudent ; et il n’en saurait être ainsi si l’on manquait d’y
apporter la respectueuse réserve et la modestie d’intelligence
qui leur sont dues. C’est là ce que doivent bien comprendre et
sérieusement considérer tous ceux qui étudient les livres
divins. Ils doivent aussi ne pas oublier que, pour se livrer en
toute sûreté à une telle étude, ils ont l’obligation d’écouter
l’Église. Et Nous ne tairons pas que Nous-même, dans Notre
Lettre Providentissimus Deus, Nous avons enseigné sur ce
sujet quel est le sentiment de l’Église. Et il n’est permis à
aucun catholique de négliger les règles et les instructions du
Souverain Pontife.
Le caractère
religieux et les fruits du ministère de la parole sont
liés étroitement à la connaissance et à la droite intelligence
des Écritures. Et c’est pourquoi vous devez veiller, autant que
vous le pouvez, à empêcher que vos frères ne soient jamais en
défaut sur ce point. Vous devez vous appliquer à obtenir qu’ils
observent parfaitement les enseignements et les règles formulés
par la Sacrée Congrégation des évêques et réguliers dans une
lettre publiée, il y a peu d’années, à cette fin. Le but de
l’éloquence sacrée est le salut de ceux qui l’écoutent : donner
aux hommes des préceptes de morale, réprimer leurs vices,
expliquer les mystères qu’il est nécessaire de connaître, de
façon à être compris du vulgaire, voilà sa mission et sa loi
suprême. Il n’y a rien de plus choquant que d’entendre les
hérauts de l’Évangile, égarant leur parole sur des sujets
étrangers, développant des matières sans importance, ou
inutiles, ou manquant d’élévation : sans doute, en agissant
ainsi, on occupe les oreilles pour un moment ; mais la multitude
est renvoyée à jeun comme elle était venue. Instruire, toucher,
convertir les intelligences, voilà le but de ceux qui ont le
pouvoir d’adresser la parole aux fidèles. Ce but, ils ne le
peuvent atteindre autrement que par une soigneuse préparation.
En conséquence, pour ceux de vos Mineurs qui ont le goût de ce
ministère, vous vous appliquerez à ce que d’abord chacun d’eux,
avant de se mettre à l’œuvre, soit muni et armé des ressources
et des appuis nécessaires, à savoir l’étude des choses et des
hommes, la connaissance de la théologie, l’art de bien dire, et
— ce qui est le point capital — l’observation de ses devoirs et
l’innocence de la vie car celui qui veut inviter avec fruit les
autres à pratiquer la vertu doit vivre lui-même avec vertu, afin
de pouvoir aisément montrer sa vie comme exemple à la multitude.
Et, comme Nous
l’avons dit ailleurs, Nous désirerions vivement que votre vertu
franchît les bornes de vos monastères et se répandit au dehors
pour le bien public. Il est rapporté, en effet, que le
bienheureux François et ses disciples les plus éminents se sont
consacrés tout entiers au peuple, et qu’ils avaient coutume de
travailler avec une grande ardeur au salut des foules. Et
maintenant, considérez les événements et les hommes, et vous
verrez aisément que le temps est venu de revenir à cette règle
de conduite, et qu’il vous faut suivre avec courage l’exemple de
vos ancêtres. En ce temps plus que jamais, le salut des États
repose sur le peuple. Il faut donc étudier de près les
multitudes qui sont si souvent en proie, non seulement à la
pauvreté et au travail, mais encore environnées de toutes sortes
de pièges et de dangers ; il faut avec amour les aider, les
instruire, les avertir, les consoler : voilà le devoir des
clercs de tout Ordre. — Et si Nous avons Nous-même adressé aux
évêques nos Lettres Encycliques sur la Maçonnerie, sur la
condition des ouvriers, sur les principaux devoirs des citoyens
chrétiens, et d’autres Lettres du même genre c’est surtout dans
l’intérêt du peuple que Nous les avons écrites afin qu’il apprît
ainsi à mesurer ses droits et ses devoirs, et à veiller, comme
il est juste, à son salut.
Le Tiers-Ordre
franciscain peut certainement rendre des services signalés à la
société. Et si, autrefois, il a ranimé les cœurs chrétiens,
fortifié, en divers lieux, l’amour de la vertu et les merveilles
de la piété ; si, souvent, dans des temps troublés, il a pu
contribuer à rétablir la douceur, la concorde et la paix,
pourquoi n’aurait-il pas encore la puissance de faire renaître,
avec abondance, des biens pareils ? Certainement, il excitera,
beaucoup mieux que jadis, le zèle des hommes, s’il compte un
plus grand nombre de chefs et d’auxiliaires actifs s’efforçant
de le développer, de le faire mieux connaître, d’indiquer la
douceur de ses lois et les bienfaits qu’on en peut espérer ; des
hommes, enfin, qui emploieront, dans ce but, les prédications,
les écrits publics, les réunions, tous les moyens, enfin, qui
leur paraîtront utiles. — Certes, votre concours n’a jamais
manqué et ne manque pas aujourd’hui à cette œuvre ; cependant,
n’oubliez pas qu’on attend de vous un zèle toujours grandissant
et une vigilance sans repos ; car il convient surtout à l’Ordre
qui a donné naissance à cette institution salutaire qu’il
s’applique à la conserver et à la développer.
Et puisque l’Ordre
réuni en seul corps a vu s’accroître sa force et sa puissance,
il vous est maintenant plus facile d’obtenir les résultats
bienfaisants que Nous vous recommandons avec tant de soins. Que,
parmi vous, la concorde, la charité mutuelle et le zèle très vif
pour observer la discipline commune, s’ajoutent aux grâces et
aux bienfaits de Dieu ! Que les plus jeunes, soumis aux paroles
de leurs maîtres, s’appliquent à faire chaque jour des progrès
dans la vertu ! Qu’ils gravent bien dans leur âme que rien n’est
plus funeste pour un religieux que de laisser sou esprit errer
au hasard et sa pensée s’égarer au dehors de l’enceinte de sa
cellule ! Que les Frères plus âgés donnent aux autres l’exemple
de la persévérance ! Et, pour ce qui est des prescriptions dont
l’Ordre des Mineurs a été récemment l’objet, ils doivent s’y
soumettre de bon cœur et sans réserve, car elles leur sont
données par le pouvoir légitime et pour leur propre bien : Vous
tous, ainsi, efforcez-vous de tout cœur à assurer par vos
bonnes œuvres votre vocation et votre élection.
Et, comme gage de
la faveur de Dieu, et pour témoigner de Notre bienveillance,
Nous vous accordons très affectueusement, à Vous et à tous les
Mineurs, la Bénédiction apostolique.
Donné à Rome,
près de Saint-Pierre, le 25 novembre de l’an 1898, de Notre
pontificat le vingt et unième.
LEON XIII, PAPE. |