Luchesio ModestiniLa¨c franciscain,
+ 1260

Non loin de Sienne en Italie, s’était établi à Poggi-Bonzi un riche marchand, Luchesio Modestini avec son épouse, Buona Dona (ou Bonadonna, Bonadona, suivant les graphies des différentes sources). Doués pour le commerce, ils se firent une brillante fortune, s’attachèrent aux biens de la terre et oublièrent bien vite de penser à Dieu.

Mais Luchesio reçut une grâce particulière qui le fit réfléchir ; il se dépouilla de ses biens et ne garda qu’un petit champ pour vivre ; mieux, il inspira de meilleurs sentiments à son épouse, sans vraiment parvenir à la convertir totalement, tant il est vrai que la conversion n’est jamais ni immédiate, ni totale, et qu’il faut la rechercher tous les jours de la vie.

Or à cette époque, François d’Assise songeait à établir une règle pour les tertiaires et venait justement à passer par là, rencontrant Luchesio qu’il avait connu autrefois. Il expliqua aux deux époux son projet. Sur son invitation, les époux Modestini revêtirent un habit simple et modeste, de couleur gris cendre, avec une corde à plusieurs nœuds pour ceinture ; plusieurs personnes s’adjoignirent à eux et ainsi fut fondé le tiers-ordre de la pénitence.

Dès lors, Luchesio fit de grands progrès dans la voie de la perfection et la pratique de la pénitence. Sa femme, d’abord un peu réticente, peu à peu épaula les bonnes œuvres de son pieux mari.

Dans la localité, François d’Assise avait eu la possibilité de bâtir un couvent où se dressaient les ruines d’un château démantelé. Luchesio y participa avec ardeur, se mêlant aux ouvriers, portant les pierres, partageant son casse-croûte avec eux, se comportant en simple camarade, ce qui fit beaucoup plus pour le rapprochement social que beaucoup de discours et de politique.

Le couvent installé, Luchesio proposa à son épouse de faire de leur maison le couvent des tertiaires et ce fut une sainte émulation de pauvreté entre les religieux et Luchesio. La maison de Luchesio n’avait pas de clôture comme le couvent, de sorte qu’il faisait entrer les pauvres à sa table, les recevant chez lui. Il allait même mendier pour eux.

Sa maison devint “L’auberge des pauvres”, où Luchesio donnait le meilleur aux malades et aux pauvres, se contentant de dormir dans les corridors ou même dehors sur la terre nue. La joie de Luchesio n’avait pas de limite, convaincu qu’il était de soigner Jésus-Christ lui-même. Son épouse le secondait désormais, trottinant de tous côtés, préparant onguents et tisanes, chantant, riant, heureuse comme jamais.

Un fait extraordinaire se passa un jour qu’il ramenait sur son dos un pauvre mendiant. Un jeune homme s’en moqua : “Quel diable as-tu donc assis sur le dos ?” et Luchesio : “C’est notre Seigneur Jésus Christ !” Sur le champ, le jeune homme devint muet ; honteux, repenti, il se jeta aux pieds de Luchesio pour lui demander pardon et Luchesio, après avoir prié, lui rendit la parole par un signe de croix.

Beaucoup des malades de Luchesio se convertirent et s’unirent aussi à son élan de charité, gagnés par l’exemple qu’il leur donnait de vraie tendresse, de vraie pauvreté, d’exemple de vraie vie chrétienne. Luchesio n’attendait pas d’être sollicité, il allait au-devant des misères, c’était sa joie de se donner totalement aux autres pour les aider.

Près de Sienne se trouvait une vaste étendue marécageuse où l’on évitait de s’aventurer, habitée par de pauvres habitants presque tous atteints de la malaria. Luchesio prit son âne, le chargea de fébrifuges et de toniques et alla de porte en porte prodiguer ses soins aux malheureux. Mais maintenant, ce n’étaient plus ses soins qui guérissaient, mais sa seule présence, Dieu permettant à notre héros de faire des miracles, ce qui ne le rendait encore que plus humble et si on parlait de lui, il répondait tout simplement : “Oh, un homme ne vaut que ce qu’il est devant Dieu”. Il guérissait, ramenait les âmes à Dieu, trouvait aussi de nouvelles recrues pour le tiers-ordre, qui gagna bientôt la plus grande partie de la population.

Mais Luchesio n’était pas un “actif” ; il ne cessait de prier, il passait des heures en contemplation, à l’église, au chevet des malades, et on le voyait parfois immobile, insensible, transfiguré, entouré d’une lumière céleste. Il sortait de ces extases avec une âme renouvelée et radieuse. Sa méditation était la pauvreté et la souffrance de Jésus-Christ.

Désormais plus unis que jamais, les deux époux Luchesio et Buonadonna priaient ensemble, menaient une vie austère, où l’abstinence et le jeûne étaient leur vie ordinaire, loin des plaisirs. Ils couchaient sur le carreau, portaient cilice, se donnaient la discipline. Ensemble ils aimaient Jésus d’un amour chaque jour plus profond, qui les envahissait chaque jour un peu plus. Ayant tout donné, ils avaient trouvé le Royaume des Cieux. “Oh ! oui, Luchesio, disait Bonadonna, tu avais bien raison : il faut peu de chose pour être heureux ; il faut l’amour de Dieu.” Et c’est avec des larmes de bonheur qu’elle remerciait son époux de lui avoir montré les chemins de la joie.

La fin de leur vie est admirable. Ils moururent le même jour, à la même heure : Dieu leur fit cette dernière et touchante grâce de pouvoir, s’étant unis sur la terre dans un mariage céleste plus haut que le premier, s’envoler de concert en la Cité céleste vers laquelle ils avaient de concert voyagé et lutté, et de n’être point séparés une heure ni ici-bas, ni là-haut. Ceci arriva le 28 avril 1260, parmi les parfums du printemps italien, après quarante ans de cette vie héroïque.

Cette mort “eut la grandeur et la sérénité de celle des patriarches”. Comme ils étaient tous deux malades, l’état de Bonadonna s’aggrava tout à coup et Luchesio, oubliant son propre mal, se leva, alla la réconforter et l’engager à recevoir les derniers sacrements, et il trouva l’énergie de l’assister lui-même. Après la pieuse cérémonie, il lui dit, d’une voix où chantaient déjà toutes les allégresses du ciel : “O ma Bona, tu sais dans quelle union de cœurs nous avons servi ensemble notre bon Seigneur, voici qu’ensemble aussi nous allons partir pour être avec Lui là-haut. Oh ! Bona, bientôt ! tout à l’heure ! Mon cœur se fond à cette douce pensée… Attends-moi un peu : je vais à mon tour recevoir le saint Viatique, et puis j’irai au Ciel avec toi.”

Il traça sur elle un grand signe de croix et regagna péniblement sa couche. Son confesseur, le Père Hildebrand, du couvent des Franciscains, lui dit : “Mon cher frère Luchesio, soyez fort et préparez-vous à la venue de votre Sauveur, car elle est proche. Repoussez toute tentation ; vous pouvez m’en croire, aujourd’hui même, vous verrez le salut et la couronne de gloire.” Luchesio souleva un peu sa tête moribonde : “Aimable Père Hildebrand, dit-il en souriant, si j’avais attendu jusqu’à ce jour pour me préparer à mourir, eh bien ! tenez, je ne désespérerais pas encore de la bonté de Dieu, mais à vrai dire, je serais moins tranquille.” Et, levant les mains et les yeux au ciel : “Je vous rends grâce, s’écria-t-il, ô sainte et adorable Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, et à vous mon Père béni, bienheureux François, de m’avoir délivré des pièges de l’enfer, me voici prêt, libre et joyeux, et c’est à vous que je le dois par les mérites de la Passion de Notre–Seigneur Jésus-Christ !” Dans cette fête de son âme, il reçut les derniers sacrements. Puis, entendant que sa femme était à l’agonie, il fit un dernier effort, se traîna jusqu’à elle, prit ses mains dans les siennes et la réconforta par les plus douces et par les plus sublimes paroles. Il défaillait. On le porta sur son lit. Aussitôt son regard divin fixe. On l’entendit murmurer : “Jésus… Marie… François, mon Père…” Puis il fit le signe de la croix, et son âme donna la main à celle de son épouse pour s’envoler au ciel.

Dieu avait révélé à Luchesio le jour prochain de sa mort. Des miracles eurent lieu sur le tombeau des saints époux. Plus tard, lors de guerres contre les Florentins, les Germains emportèrent le corps de Bonadonna, laissant là seulement un bras. Luchesio est le patron de Poggi-Bonzi : son culte a été approuvé et le Martyrologe le mentionne le 28 avril.

 

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