4-1-L’Eucharistie
4-1-1-Découverte de l'Eucharistie
Bientôt, après la sainte communion,
l’âme du Lucie-Christine fut pénétrée du profond sentiment de la force de
Dieu qui lui donna le courage de supporter les peines que lui infligeait
régulièrement la personne qui la persécutait. Enfin, la bonté de Dieu, qui
forme le fond et le caractère général des manifestations de la présence
eucharistique, lui fut manifestée. Mais Lucie-Christine remarque que
lorsqu’elle quittait l’église quand elle devait rentrer à la maison, son âme
restait parfois plongée en Dieu, dans la compagnie de l’hôte divin.
C’est essentiellement par et dans
l’Eucharistie que Dieu manifeste sa présence ; la preuve, pour Lucie-Christine,
c’est que c’était le plus souvent pendant et après la communion que Jésus se
manifestait et se révélait. Ainsi, le 9 mars 1883, Lucie-Christine pouvait
écrire : «Comme mon âme se reportait de Jésus dans l’Eucharistie à Jésus au
ciel, elle fut ravie de la vue de l’unité divine. Je voyais Dieu, un au ciel et
sur la terre, un en ses trois personnes, Dieu un et infini… Cette vue de l’unité
infinie est une des plus admirables que Dieu ait daigné accorder à mon âme et
une de celles par lesquelles il s’imprime le plus profondément en elle, la
nourrissant ainsi très purement et simplement de lui-même sans image et sans
aucune autre idée. »
Et le 9 août 1883, elle découvrit,
pendant la messe, l’état de victime cachée de Jésus-Eucharistique : « Il faut
les yeux de la foi pour voir dans cette hostie une victime vivante, dont le cœur
bat, dont la pensée, le regard voient ceux qui l’offensent…
Nous savons que la plupart des
grâces que reçut Lucie-Christine se présentèrent après la sainte communion.
Jésus lui-même l’instruisait sur les mystères qui se passaient dans
l'Eucharistie et dans la communion. Elle écrit, le 9 août 1885 : « Jésus nous
applique son humanité sainte dans laquelle la divinité est infuse, son Cœur à
notre cœur, son Esprit à notre esprit, sa Volonté à notre volonté, sa mémoire à
notre mémoire, la faculté qu’il a eue de souffrir à notre nature souffrante, sa
chair très pure et son sang divinisé à notre chair maligne et à notre sang
pervers ou troublé… »
4-1-2-Les grâces eucharistiques
Le 25 mai 1886, Lucie-Christine
décrit son émerveillement après avoir communié. Dieu enleva son âme dans son
immensité divine: «Le ciel et l’univers étaient ouverts à mon âme,
écrit-elle, qui s’y jouait dans l’immensité de Dieu même, se sentant
affranchie de la loi qui limite les espaces et ne voyant que Dieu seul… Et mon
âme embrasée d’amour pour lui, l’adorait, muette d’admiration, et jouissait bien
plus de sentir ce Dieu infini, en lui-même, que de la communication qu’il
daignait faire à elle, pauvre petite, de sa grandeur. »
À de nombreux saints Jésus a révélé
le délaissement dans lequel Il était si souvent tenu dans l’Eucharistie.
Lucie-Christine dit, le 7 juillet 1886 : «Hier, à l’oraison devant le
Saint-Sacrement, je fus tout occupée des délaissements du divin Sauveur dans
l’Eucharistie. Ce Bien-aimé, tenant mon âme unie à lui, me montrait combien,
hélas ! il trouve peu d’âmes qui consentent à ne s’occuper que de lui seul…"
Le 22 avril 1889, lundi de Pâques,
Lucie-Christine priait; son âme communiait avec le ciel devant le
Saint-Sacrement: "C’était le ciel même qui lui était montré comme par une
porte ouverte. C’était une clarté admirable, formant à la fois la splendeur, le
repos, l’harmonie, le bien-être, la beauté et tous les charmes de ce mystérieux
séjour. Et cette clarté, elle sortait et débordait du Cœur de mon Jésus,
renfermé dans sa petite hostie et descendu dans mon âme. »
4-1-3-L’Eucharistie, Cœur mystique de Jésus
Jésus vient de dire à
Lucie-Christine que l’Eucharistie est son Cœur mystique, comme l’Église est son
corps mystique. Lucie-Christine prie et gémit : « Ô Cœur mystique, Cœur
généreux, qui battez toujours le même au traver du monde chrétien ! n’êtes-vous
pas maintenant prisonnier d’une poitrine refroidie ?... Où va le souffle de la
foi que vous respirez dans le monde ? Est-il vrai que tant de chrétiens rampent
si bas sur la terre que ce souffle sacré passe au-dessus d’eux sans les
vivifier ? Où est la pénitence qui, dans les siècles de foi, coulait abondamment
de votre blessure sur le monde ?... Où est l’amour ardent qui rachète les
péchés, l’amour qui souffre avec son objet, l’amour qui ne peut endurer de voir
Celui qu’il aime méconnu et outragé, l’amour qui expie et qui répare ?... Ô Cœur
aimant ! sauvez encore le monde qui se meurt, sauvez la pauvre France !
4-2-Vivre en présence de Dieu
4-2-1-La présence de Dieu dans l'Eucharistie
Peu à peu Lucie-Christine prend
conscience de la présence de Dieu, mais c’est seulement à partir de septembre
1880 qu’elle commence à en parler ouvertement. En 1880, en effet, Dieu la
favorisa de sa présence au Saint-Sacrement, à plusieurs reprises. Elle écrit:
« Ce fut à cette époque que Notre-Seigneur commença à me favoriser d’un profond
sentiment de sa présence au Saint-Sacrement… Une fois, dans la sainte communion,
mon âme fut portée à un tel excès de joie que je demandai à Notre-Seigneur
pourquoi il me rendait si heureuse ; il me fut répondu : ‘C’est pour te dégoûter
de créatures.’
4-2-2-Dieu est présent partout
La présence de Dieu peut se
manifester n’importe où et n’importe quand. Quand elle se manifeste, il arrive
parfois que le corps ressente cette présence. Lucie-Christine raconte, le 25
janvier 1883 : « Il arrive que, me trouvant entourée et au milieu d’une
conversation, le simple ressouvenir de mon Bien-Aimé, son accent intérieur à
peine entendu, son nom prononcé par les autres, une image qui le rappelle, ou
une allusion faite à sa vie, à sa personne adorable, émeut soudainement tout mon
être. Je sens ma joue pâlir, mon corps tressaille, les extrémités de mes membres
se refroidissent subitement, et mon cœur bat dans cette hâte douée et ardente
que lui imprime l’âme dès qu’elle entre dans l’oraison passive. Ainsi la vie
physique elle-même reconnaît l’approche de son Créateur, lorsqu’il daigne s’unir
si intimement une pauvre âme. »
Le 5 juin 1884, Lucie-Christine
parle encore de la présence de Dieu : « C’est une pleine vue, quoiqu’il n’y
ait point de forme ; c’est en même temps la vue et l’union ; je suis plongée en
Dieu, je le vois tellement que mon âme est plus certaine et plus saisie de le
voir que les yeux du corps ne sont frappés de la lumière du jour, et en même
temps il est en moi. Il est un avec moi, il me pénètre, il m’est plus intime que
l’air que je respire, il m’est plus uni que l’âme n’est unie au corps qui vit
par elle ; je suis absorbée par lui, je ne sais plus de quelle existence
j’existe, il me semble être transportée dans une autre vie, une région qui n’est
plus la terre, et ce détachement est ineffable ; c’est un ravissement, un
enivrement ; l’âme y connaît Dieu comme nulle parole ne pourrait le lui faire
connaître… »
Et pourtant ! Le 10 août suivant
Lucie-Christine s’étonne : « L’âme ne peut même pas nommer celui qu’elle
contemple... C’est l’inconnu, l’innommé, l’Infini, l’irrésistible qui l’attire,
la captive, la domine, la pénètre, l’absorbe et l’embrase. Elle ne l’a pas
nommé, mais elle le reconnaît, et demeure devant lui dans le silence de sa foi
et de son amour. »
4-2-3-L’étreinte de Dieu
Le 29 avril 1875 Lucie-Christine
fut saisie, devant le Saint-Sacrement exposé, d’une étreinte mystérieuse qu’elle
ne put exprimer avec des mots humains. En septembre 1875, le Seigneur lui dit :
« Ma fille, il n’y a que toi et moi. » Et comme elle s’inquiétait des
autres, le Seigneur lui répondit : « Pour chaque âme en ce monde, il n’y a
que moi et elle ; toutes les autres âmes et toutes les autres choses ne sont
rien pour elle que par moi et pour moi. »
4-3-Les appels à l'oraison
En mai ou juin 1877, le jour de la
Pentecôte, Lucie-Christine se sentit appelée à vivre une vie de prière plus
intense, et de se recueillir de temps en temps pendant la vie habituelle.
4-3-1-L’oraison passive
En février 1882, Lucie-Christine
écrit sur ce qu’elle appelle l’oraison passive : « J’ai observé que pendant
l’oraison passive, et surtout dans l’état d’union, l’âme perd le sentiment de la
durée. Il n’y a plus pour elle de succession de moments, mais un moment unique,
et j’ai cru comprendre qu‘étant élevée à cet état, l’âme y vit selon le mode de
vivre de l’éternité, où il n’y a point de durée, point de passé ni d’avenir,
mais un moment unique, infini. Et le 22 février, elle poursuit son
instruction : « Notre-Seigneur m’a donné une instruction bien consolante pour
les âmes qui ne sont pas entrées dans la voie de l’union. C’est que ‘lorsqu’il
met dans une âme un immense désir de le posséder, et qu’elle y correspond, il se
trouve obligé de céder à son désir et de lui accorder son union intime’. »
Le 17 mai 1883, Lucie-Christine
écrit : « Comme au travers de l’oraison passive, l’âme recouvre quelquefois
passagèrement l’usage de ses puissances, mon âme s’avisa hier, dans ce court
intervalle, de demander à Dieu ce qu’elle pouvait faire d’agréable pour lui dans
le temps où ses puissances étant liées, elle ne peut rien faire. Et l’Être
adorable me répondit : ‘Tu me sacrifies ta liberté.’ »
La pensée de Lucie-Christine
s’affine à mesure que le années passent. Le 14 octobre 1887, elle peut donner
les précisions suivantes : « L’oraison passive n’est pas seulement le silence
de l’âme devant Dieu : c’est bien réellement la réponse de Dieu à l’âme. C’est
un langage, il est vrai sans parole… Dieu a pris possession de tout l’être par
la puissance de son étreinte. Dans ces heureux moments, ce n’est plus moi qui
suis là, c’est lui… À genoux, je ne me connais plus moi-même, je ne vois que le
fils de Dieu, réellement et sacramentellement présent à cette place…. L’être
divin pense, vit, aime en moi ; je n’ai plus de vie que par lui… »
L’oraison passive peut évoluer
directement vers l’union mystique . Écoutons Lucie Christine qui écrit le 23
novembre 1887: « Dans le silence complet des puissances et la perte de l’âme
en Dieu, il y a quatre choses que l’âme comprend : l’étendue, la clarté, la
paix, la suavité. L’âme comprend cette manifestation d’une certaine manière.
Mais quand elle est amenée au centre, mise en présence de l’essence divine
entrevue, et qu’elle en est pénétrée, alors le transport l’embrase et
l’accable ; l’entendement reste interdit, ne se connaît plus lui-même, et l’âme
ne peut dire ce qu'elle a vu et senti ; il n’y a qu’un mot : c’est Dieu. Dieu
non seulement présent, mais donnant à connaître jusqu’à un certain degré ce
qu’il est. C’est ce qui distingue l’oraison de vue de l’oraison de simple
présence. »
4-3-2-La vision intellectuelle
À plusieurs reprises Jésus se
montra à Lucie-Christine par une voie dite « intellectuelle », « et cette
adorable présence lui fit perdre le sentiment de tout le reste et d’elle-même,
quoique ce ne fut pas une perte totale de connaissance… Obligée de quitter
l’église, elle éprouvait la sensation de revenir d’une autre région ; il semble
alors que le monde extérieur blesse l’âme et lui ferait un mal réel si Dieu ne
l’entourait d’un soin particulier. »
En juillet 1882, pendant une
oraison devant le Saint-Sacrement, l’âme de Lucie-Christine « fut pénétrée
par la vue de l’unité de la nature divine et de l’infaillibilité divine… »
Elle vit « la volonté divine comme un seul acte éternel dont tous les
différents effets sont appelés par nous œuvres de Dieu… les actes des créatures
doivent être comme des prolongements et des ramifications de ce seul acte divin
et éternel, et que le péché produit un vide affreux en brisant cette chaîne
mystérieuse. »
En juillet 1885, Lucie-Christine
décrit ce qui est probablement une vision intellectuelle : « Dieu me donna
cette claire et simple vue de lui-même qui exclut toute image, toute
représentation, et cependant ravit l’âme par la contemplation de son être
admirable; il voulut aussi me faire entendre le caractère surnaturel de cette
vue, permettant à mon entendement de considérer cette opération divine. Mais je
l’exprimerai sans doute très mal, car c’était comme une lumière sans parole qui
s’ajoutait à la contemplation de Dieu même. Cette lumière me démontrait, par
l’état même où mon âme se trouvait alors, qu’il n’y a que Dieu qui puisse se
faire voir ainsi à nous, ou nous faire voir en lui certains vérités, sans aucun
intermédiaire qui nous les représente… »
Et toujours en juillet 1885 :
« Mon âme, soudainement remplie de lumière, vit la Sagesse de Dieu dans son
admirable gouvernement sur toutes choses dans ces difficultés humaines qui nous
semblent inextricables. Dieu me fit voir que ses conceptions sont autres que les
nôtres et que ses moyens ne sont pas nos moyens… »
Le 24 octobre 1885, Lucie-Christine
ajoute : « Comment l’âme se voit-elle entourée quand elle ne voit rien, car
cette vue est purement intellectuelle, c’est ce que je ne saurais dire ;
cependant mon âme était bien entourée de Jésus et entendait sans parole ce qu’il
voulait lui dire. Ce langage mystérieux n’exprimait que l’amour et la tendresse…
Il disait: 'Si d'autres t'affligent, je te console. Si d'autres ne veulent ou ne
peuvent te protéger, moi je te protège... Je suis tout. Ne cherche jamais rien
hors de moi. »
Autre exemple de vision
intellectuelle. Le 13 mai 1886, Lucie-Christine écrit : « Mon âme fut remplie
d’une grande lumière et unie à Dieu en tant qu’il est un acte pur... Je voyais
Dieu agissant éternellement par un seul acte, sans sortir de lui-même, sans
changer, sans s’émouvoir, voulant tout ce qu’il veut par une volonté unique,
éternelle, sa volonté et son acte n’étant qu’un ; lui et son acte n’étant
qu’un ; lui-même étant son acte, étant un acte pur… »
4-3-3-L’union mystique
Nous sommes tous appelés à être
profondément unis à Dieu ; mais l’union à Dieu ne peut pas être parfaite d’un
seul coup. Cela se fait peu à peu, et chaque âme grandit en Dieu différemment.
C’est pourquoi il nous a semblé intéressant de suivre l’évolution de
Lucie-Christine dans son union à Dieu, jour après jour, à la fois dans sa montée
comme dans ses chutes.
À l’automne de l’année 1877, Lucie-Christine,
pendant son action de grâces après la sainte communion, « se sentie
transportée d’amour. Voulant encore parler à Notre-Seigneur, elle se trouva dans
l’impuissance de le faire et reconnut qu’elle n’avait plus de parole. » Elle
essaya de se débattre, mais elle comprit vite que
« c’était la volonté de Dieu
qui la liait
ainsi… Et elle demeura dans cet état de profond repos en Dieu où l’âme ne
cherche plus parce qu’elle a trouvé. »
Dès lors, la beauté de Dieu
s’imprima dans son âme, et à la fin de l’année 1878, Lucie-Christine commença à
faire deux oraisons par jour. « Souvent ainsi, elle adorait Dieu par une
simple vue, et, de temps à autre, il mettait son âme dans le même état passif
que dans la sainte communion.. »
En octobre 1879, Lucie-Christine
pouvait comparer ce qu’elle vivait avec ce que l’abbé Bougaud avait écrit dans
sa vie de Sainte Chantal: « C’était une union très intime dont elle
était saisie dès qu’elle se mettait en prière et qui ne laissait plus à son
esprit, ni à sa volonté, la liberté d’aucun acte. » Et Lucie-Christine avoue
qu’elle désirait seulement « que Dieu fasse d’elle et de toutes créatures, en
toutes choses, tout ce qu’il lui plairait. »
En 1880, Lucie-Christine fut
longtemps malade et alitée, mais son âme demeurait tournée vers le
Saint-Sacrement. Le 4 mars, comme elle était en oraison, Dieu si bon daigna
remplir son âme de sa lumière et lui dit intérieurement : « La gloire, c’est
Moi. » Et elle comprit que les bienheureux étaient baignés dans la lumière
de Dieu devenue leur propre vêtement de gloire.
Le 16 mai 1880, ce fut la
confirmation du deuxième de ses enfants ; elle reçue une exceptionnelle grâce
d’union avec le Saint-Esprit . Puis, un peu plus tard, elle sentit son âme
profondément unie aux trois personnes divines. En juillet 1881,
Lucie-Christine écrit : « Mon âme s’unissait toujours plus profondément et
plus efficacement au Très Saint-Sacrement et en recevait des lumières et des
grâces nouvelles, que leur nombre même m’empêche d’écrire. Je commençai à sentir
la présence adorable de Notre-Seigneur au Saint-Sacrement à travers les
distances et les obstacles comme si j’eusse été dans l’église… »
Le 27
septembre 1881, parlant de l’union à Dieu, Lucie-Christine explique : « L’âme
connaît et aime par un modèle nouveau et incompréhensible, qui est en dehors et
infiniment au-dessus de l’exercice ordinaire de ses facultés. Elle sent que
l’opération de Dieu a pris la place de la sienne et que c’est Dieu même qui
opère en elle la connaissance et l’amour. Enfin, elle est comme n’étant plus,
comme étant morte à toutes choses, comme n’ayant plus sa vie propre, comme ne
vivant qu’en Dieu et par Dieu ; et il n’est plus rien pour elle, rien que vous
seul, ô mon Dieu, qui êtes tout ! »
En octobre 1881, l’âme de
Lucie-Christine « profondément unie à Notre-Seigneur vit s’ouvrir devant elle
la profondeur divine. Cette vue est grande et saisissante ; l’âme voit Dieu si
près d’elle, en elle, et en même temps si loin ! C’est l’immense, c’est
l’infini ! Combien l’âme sent qu’elle n’est rien, perdue dans cette profondeur
de Dieu ! »
Parfois, Lucie-Christine pensant à
Jésus, et le contemplant, ne peut plus rien dire. Jésus lui fit comprendre
« que lorsqu’une âme s’est complètement remise à son amour et offerte à lui pour
le salut universel des âmes, il daigne donner à ses prières et à ses œuvres un
caractère pour ainsi dire général par lequel il unit à la propre cause de cette
âme, la cause universelle des âmes… »
Parfois le Seigneur attire l’âme de
Lucie-Christine et ne lui laisse plus d’autre sentiment que celui de sa
présence. Elle écrit, le 21 septembre 1882 : « Cet état est plus que de
l’union et n’est cependant pas la perte totale de connaissance, mais c’est
l’oubli de l’existence en Jésus lui-même qui se révèle à l’âme. Nulle parole ne
peut dire ce qu’est Jésus, et l’âme voudrait pourtant le dire au monde entier
afin de prosterner toute la terre à ses pieds. Quelques instants de ce repos et
de cet oubli de l’âme en Jésus la laissent toute changée et pleine de courage… Ô
cher repos d’une pauvre âme en son Dieu ! » Et la prière jaillit :
« Montrez-vous, ô bon Jésus ! Faites au moins tomber les écailles des yeux de
tous ces aveugles, afin qu’ils vous voient par la foi, qu’ils se soumettent à
vous, qu’ils vous adorent, ô mon maître ! »
Devenue veuve Lucie-Christine fit
un vœu de chasteté perpétuelle. Son union avec Dieu s’approfondit et le 22
juillet 1888, fête de Sainte Madeleine, elle constate : «Union excessivement
simple. Dieu s’empare du fond de l’âme sans mesure de temps, ni sentiment de
lieu ; elle quitte tout à la fois, en moins d’un instant appréciable. Et il n’y
a que Dieu et l’âme, plus simplement qu’ils ne s’étaient encore vus. »
Désirer l’union avec Dieu, c’est
déjà l’union, car Dieu attend l’âme : «Dieu et l’âme ne font qu’un. Cette
ineffable union, ce transport d’amour, ne demande qu’un instant, s’accommode du
lieu, du temps, de la compagnie où l’on est ; mais si l’âme peut retrouver le
silence du tabernacle, alors elle tombe en Dieu plus profondément encore, et
demeure en Celui qui l’a attendue tout le long du jour. »
Le 29 octobre 1888 Lucie-christine précisera :
« L’âme est
tellement un avec Dieu dans le mystère de l’union que, si au travers de l’état
passif elle forme un acte intérieur aperçu, elle sent que Dieu pénètre sa prière
même ; sa prière est un avec lui, elle parle Dieu...
L’âme a une sorte de respiration spirituelle qui, dans cette région, se dilate
et aspire l’essence divine sans plus aucun alliage du créé. Elle se sent loin de
la terre…. Enfin c’est une chose admirable de voir combien l’élément divin est
le sien ? Il lui est propre, il est son unique nécessaire et sa béatitude.»
L’union à Dieu n’est jamais acquise
d’un seul coup ; elle se développe et s’approfondit au fil du temps et de la
grâce de Dieu ; le 18 février 1889 Lucie-Christine développe et approfondit ce
point de vue : « Ce matin, Dieu me donna une oraison d’union très profonde…
Il semble que ce ne soit, entre Dieu et l’âme, qu’un regard. » Mais quel
regard !
« Dieu regarde l’âme, mais ce
n’est point un regard ordinaire ; ce regard l’enveloppe et la pénètre ; dans ce
regard, elle a la vie et la lumière ; il circule en elle comme la sève
spirituelle ; il l’anime et la dilate comme la chaleur fécondante. L’âme sent, à
n’en pouvoir douter, que de ce regard a dépendu son existence… Ce regard la
défend, la protège. Il l’isole de ses ennemis et du reste du monde. Dans ce
regard, l’âme a tout oublié, et, tant qu’il est présent, nul souvenir étranger
n’ose approcher d’elle. Ce regard l’envahit et la comble de vie, de force et de
félicité ; sa tendresse est inédite sur la terre.
L’âme aussi regarde Dieu. Son
regard s’élève vers lui comme un acte si simple qu’il devient inaperçu
d’elle-même ; et pourtant dans ce regard elle est tout entière. Ce regard la
livre totalement à Dieu… »
À plusieurs reprises
Lucie-Christine indique que son âme a comme « été enlevée » Le 8 juin 1892, elle
explique : « Quand la très Sainte Trinité se dévoile de nouveau, il semble
que Dieu donne à l’âme à la fois son intimité et sa majesté, et l’âme est
confondue et ravie par ce don d’un amour irrésistible.
Mon âme s’est trouvée
transportée dans l’infini de Dieu ; non seulement comme dans une région
nouvelle, mais comme ayant perdu sa vie propre et vivant de l’infini même ; ce
qui dure, il est vrai, peu de temps et paraît moins durer encore. L‘âme sent
avec évidence, éprouve alors, pour ainsi dire, que Dieu n’a ni commencement ni
fin, ni limites, ni entraves. »
Et le 9 juillet 1892, elle écrit
encore : « Jésus me montra, me donna son être divin. Comment l’âme voit-elle
ce qui est purement immatériel ? Je ne sais. C’est pourtant une vue qui va
jusqu’à l’évidence… L’être divin se révèle parfois sous des aspects très
déterminés, quoiqu’ils ne soient ni visibles, ni tangibles, même aux sens
intérieurs… »
Les années ont passé... Nous sommes
le 1er janvier 1906. Lucie-Christine voit de moins en moins clair et
ne peut plus sortir comme elle le voudrait. Elle offre toutes ses peines au
Seigneur qui ne l'abandonne pas, à tel point qu'elle peut presque faire un
enseignement sur l'union divine: "Jésus revient toujours visiter celle qui ne
peut aller le chercher. Ô bonté et mystère d'amour. Oh! Que vous avez bien fait
de demeurer avec nous, mon cher Seigneur! Comment pourrions-nous porter la vie,
ses persécutions et ses horreurs!... L'union à Dieu n'est pas la séparation
extérieure de tout ce qui est extérieur; elle est la solitude de l'esprit, fixé
dans la volonté divine, au-dessus de tout ce qui, même au point de vue du
devoir, le domine, l'occupe et l'accable."
Le 16 juin 1906 Lucie-Christine
pourra même préciser: "Mon âme fut saisie de la vue de l'intelligence divine.
Tout esprit me parut néant devant elle, aussi bien le pur angélique, les génies
humains, que les médiocrités de l'intelligence humaine. C'est le propre de
l'apparition de Dieu dans l'âme que tout ce qui est créé disparaisse, ne fût-ce
que par sa seule présence. Chose extraordinaire que la grâce donnée à la
contemplation, car ce qu'elle voit, elle ne le comprend pas, et pourtant elle
voit jusqu'à l'évidence ce qu'elle adore, à tel point qu'elle en est plus sûre
qu'elle ne le serait du témoignage de ses sens extérieurs, et qu'elle ne
pourrait jamais ni le nier, ni l'oublier, même souvent après de longues années.
Quant à dire ce qu'elle voit, elle en est bien incapable, comme on peut s'en
apercevoir; ce ne sont plutôt que des balbutiements. Cependant, et surtout quand
l'obéissance l'y engage, elle se sent pressée d'exprimer ce qu'elle a vu ou
entendu, parce que l'âme humaine ne peut le contenir. Oh! quelle altitude,
quelle profondeur, quelle immensité dans l'Intelligence divine! Et là, ces
termes n'expriment pas les seuls attributs de la vie, mais la Vie même."
L'union à Dieu va encore bien
au-delà. Ainsi, après la mort de sa vieille maman, le 21 février 1907,
Lucie-Christine peut déclarer le 11 mars: " Dès ce jour, et depuis ce jour,
je n'ai pu prier pour elle sans sentir son âme en Dieu."
4-4-Comment entendre les paroles de Dieu?
4-4-1-Dieu parle-t-il?
Le 25 septembre 1882,
Lucie-Christine écrit : « Il y a, à ma connaissance, deux manières d’entendre
les paroles de Dieu. Par la première, ces paroles se font entendre en frappant
un certain sens intérieur avec autant de force qu’une voix parlant très haut à
nos oreilles. Par la seconde manière qui est moins sensible, si je puis ainsi
m’exprimer, l’âme entend ces paroles comme dans son fond le plus intime, elle
les entend et ne les forme pas, et ces paroles sont inhérentes à la présence de
Notre-Seigneur, elles ne font qu’un avec Lui, de sorte que, si l’âme voulait ne
pas les entendre, elle serait obligée en même temps de repousser la divine
présence par laquelle elle est absorbée. Mais je ne crois pas qu’elle pût le
faire quand bien même elle le voudrait. »
Étonnant ! Lucie-Christine est
presque constamment unie à Dieu. Elle écrit, en juillet 1883 : « En quelque
lieu que je sois, si mon âme appelle son bien-Aimé, elle reçoit immédiatement
cette réponse intérieure qui lui fait sentir l’union. »
En septembre 1883 » elle peut même
préciser : « Mon Seigneur m’a donné, dans une intime union, une lumière très
douce sur la communion des saints par ce langage presque sans parole que l’âme
entend si bien... Il me montra une âme chérie de lui comme étant le sommet
d’une montagne et la pluie du ciel arrosant abondamment ce sommet et découlant
sur les versants de la montagne, c’est-à-dire sur les âmes qui tenaient à cette
âme… Combien sont heureuses les familles chrétiennes qui ont ainsi un prêtre au
milieu d’elles, et reçoivent de la plénitude des grâces dont il est enrichi ! »
Comme tous les mystiques
Lucie-Christine a parfois été envahie de ténèbres. Ses épreuves ont été
nombreuses. Mais Dieu, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité, accorde
souvent des consolations inattendues. Ainsi, le 1er janvier 1901,
Lucie-Christine révèle: "Jésus venant dans mon âme lui dit avec une
incimparable douceur: 'Tu m'as donné beaucoup d'âmes..' J'écris simplement cette
parole que je serais bien embarrassée d'expliquer. Oh! Que je puisse lui donner
des âmes, les âmes des miens, les âmes de la France, les âmes de tout lieu."
4-4-2-En résumé
Le 21 août 1889, Lucie-Christine
résume en quelque sorte les diverses étapes d’une vraie vie d’oraison conduisant
à l’union avec Dieu. Elle écrit : « Dieu qui est un, se manifeste à notre âme
par des degrés successifs, de plus en plus simples et élevés, et ces degrés
sont, non pas en lui, mais dans la capacité qu’il daigne nous donner pour le
connaître. Ainsi, nous le connaissons d’abord par ses œuvres, par ce qu’il fait.
Puis, il se donne à connaître dans ses attributs, dans ce qu’il a, et cette
connaissance est plus excellente. Enfin, quand il lui plaît, et par une grâce
toute miséricordieuse, il se donne à connaître dans ce qu’il est… »
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