Saint Lucien,
dit d’Antioche, était de Samosate en Syrie. La mort lui ayant
enlevé son père et sa mère, il distribua tous ses biens aux pauvres,
afin de servir Dieu dans un plus parfait détachement des choses
visibles. II substitua l'étude de l'Écriture sainte à celle de la
rhétorique et de la philosophie, dans laquelle il avait fait les
progrès les plus rapides, et choisit pour maître un nommé Macaire,
qui enseignait alors avec réputation à Édesse. Devenu prêtre, il ne
s'occupa plus qu'à porter les autres à la vertu par ses discours et
par ses exemples. Il ne s'en tint pas là ; persuadé qu'un
prêtre est redevable à l'Église de l'emploi de ses talents, il
entreprit de donner une nouvelle édition des livres saints, en
corrigeant toutes les fautes qui s'étaient glissées dans le texte de
l'ancien et du nouveau Testament, soit par l'inexactitude des
copistes, soit par la malice des hérétiques. Cette nouvelle édition
mérita une estime universelle, et fut d'un grand usage à saint
Jérôme.
Lucien, quoique
prêtre d’Antioche, était à Nicomédie en 303, lorsque l'Empereur
Dioclétien y publia ses premiers édits contre la religion chrétienne
: il fut du nombre de ceux qu'on arrêta pour la foi. Du fond de sa
prison, il écrivit aux fidèles d'Antioche une lettre qui finissait
ainsi : u Tous les martyrs vous saluent. Je vous apprends que le
Pape Anthime a terminé sa course par le martyre. C'était dans
l'année 303 que le Saint parlait ainsi. Il faut qu'il soit resté
neuf ans en prison, puisqu'au rapport d’Eusèbe, il ne reçut la
couronne du martyre qu'après la mort de saint Pierre d'Alexandrie,
arrivée en 311. Quoi qu'il en soit, on le conduisit enfin devant le
tribunal du gouverneur, ou même de l'Empereur : il saisit cette
occasion pour présenter au juge une savante apologie de la religion
chrétienne.
Le juge ayant
entendu le Saint confesser généreusement Jésus-Christ, le renvoya en
prison, avec défense de lui
donner aucune sorte de nourriture. Lorsqu'on l'eut fait jeûner
longtemps
, on lui servit des mets délicats qui avaient été offerts aux idoles
; mais il les refusa constamment , fondé sur cette maxime, qu'on ne
peut manger ce qui a été offert aux idoles, s'il doit en résulter du
scandale pour les faibles, et si les païens l'exigent comme un acte
d'idolâtrie. Le Saint ayant été conduit une seconde fois devant le
juge, il persista toujours dans la confession de Jésus-Christ. Ce
fut en vain qu'on employa les tourments
pour ébranler sa fermeté ; on ne put jamais tirer de lui que ces
paroles :
Je suis chrétien. C'étaient là les seules armes dont il se
servait pour vaincre, persuadé, dit saint Chrysostôme, que, dans un
pareil combat, ce n'est pas l'éloquence qui remporte la victoire, et
que le moyen le plus sûr de triompher n'est pas de savoir bien
parler, mais de savoir bien aimer. Quelques-uns disent qu'il fut
remis en prison, et qu'il y mourut. Saint Chrysostôme, qui devait
être mieux informé que personne, nous assure qu'on le décapita. Rufin
dit qu'il fut égorgé secrètement dans la prison par l'ordre de
Maximin, qui, à cause du peuple,
n'osa le faire mourir publiquement. Nous lisons dans ses actes,
qu'il fit plusieurs miracles, et qu'étant lié et couché sur le dos
dans la prison, il consacra les divins mystères sur sa poitrine, et
donna la communion aux fidèles qui
étaient présents. Il est
constant, par le témoignage de S. Chrysostôme et de quelques autres
anciens auteurs, que le martyre de saint Lucien arriva le 7 Janvier.
Ce dut être en 312 ; car il souffrit durant la persécution de
Maximin, laquelle finit
par la publication de l'édit que Constantin et Licinius
donnèrent en faveur des chrétiens, vers le mois de Novembre de la
même année. Son corps, comme nous l'apprenons de saint Chrysostôme,
fut enterré au bourg de Drépane en Bithynie. Peu de temps après,
l'Empereur Constantin-le-Grand fit bâtir en ce lieu une belle ville,
qu'il appela Hélénople, du nom de sa mère, et qu'il exempta
de toutes taxes, pour marquer combien il honorait la mémoire du
saint martyr. L'église d'Arles, fondée sur une ancienne tradition,
prétend avoir les reliques de saint Lucien ; elle croit que
Charlemagne, auquel on les apporta de l'Orient, en fit faire la
translation dans l'église qu'il bâtit en l'honneur du Saint dans la
ville d'Arles.
Lorsque saint
Lucien s'appliqua à la lecture et à la méditation de l'Écriture
sainte, son principal objet était de connaître la volonté de Dieu,
de découvrir toute l'étendue de ses devoirs, d'acquérir cette
délicatesse de conscience qui pèse les motifs de toutes les actions,
qui éloigne non-seulement du péché, mais de l'apparence même du
péché, et qui rend un homme inébranlable dans la pratique de la
vertu. Aussi la parole de Dieu, consignée dans les livres saints,
est-elle appelée lumière, un autre nom ne pouvant mieux
désigner les "effets salutaires qu'elle produit dans les âmes bien
disposées, car n'est-ce pas elle .qui dissipe ces ténèbres dont
l'épaisseur nous cachait les vraies limites du bien et du mal, et
nous dérobait la vue du chemin qui conduit au salut? N’est-ce pas
elle qui nous donne une véritable idée de cette corruption et de
cette fragilité, qui sont la source malheureuse des taches
journalières qui ternissent la beauté de nos âmes ? N’est-ce pas
elle qui nous montre que notre cœur doit être sans cesse brisé de
douleur et de componction, parce que nous avons sans cesse des
fautes à expier? N’est-ce pas elle qui nous enseigne la nécessité de
recourir continuellement à Dieu, afin que, fortifiés par sa grâce,
nous marchions avec joie dans le sentier pénible de la vertu?
n'est-ce pas elle enfin qui nous apprend que nous devons , même
après avoir accompli toute la loi , nous regarder comme des
serviteurs inutiles , nous croire encore fort éloignés de la
sainteté requise dans les élus , et par conséquent obligés de tendre
de plus en plus à la perfection ? Toutes les fois que nous lirons
l’Écriture, entrons dans les mêmes dispositions que saint Lucien.
Concevons pour elle tout le respect et tout l'amour qui sont dus à
la parole de Dieu ; alors nous la lirons avec fruit, et nous
mériterons qu'elle devienne à notre égard un principe de lumière et
de vie.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godes-card. |