Entre les glorieux
martyrs qui ont donné' leur vie pour Jésus-Christ du temps des
empereurs Dioclétien et Maximien, furent Pierre et Marcellin,
dont la sainte Église célèbre la fête le 2 de juin.
Saint Pierre
était exorciste, et Notre-Seigneur faisait par lui beaucoup de
miracles, délivrant plusieurs
démoniaques
du pouvoir de Satan; c'est pourquoi il était fort connu et haï
des ministres d'iniquité. Le vicaire Sérène le fit prendre et
l'envoya à Artémie, qui avait une fille nommée Pauline, qu'il
aimait uniquement, mais qui était possédée et tourmentée du
malin esprit. Saint Pierre, étant en prison, vit Arlémie fort
triste, à cause du mal de sa fille, et lui dit : Si vous
saviez, ô Artémie, qui est Jésus-Christ, et si vous fa~ doriez
comme un Dieu, votre âme recevrait alors de grands biens, et
votre fille serait aussitôt délivrée. Artémie répondit :
Je vois bien par ce que tu me dis, que tu rêves
et que tu es fou. Ce
Jésus-Christ que tu estimes Dieu, ne te saurait délivrer de la
prison où tu es, ni de mes mains, et tu me dis qu'en croyant en
lui il délivrera ma fille du démon qui la tourmente, et qu'il la
guérira ?
Pierre répliqua à
cela : Notre Dieu ne délivre pus toits ses serviteurs des
peines et des fatigues qu'ils endurent, afin de les éprouver
davantage par le tourment : ce n'est pas qu'il ne le puisse
faire, et qu'il ne le fasse quand il le juge à propos. Et si
vous voulez en faire l'essai, accordons-nous, et me promettez de
croire en Jésus-Christ, s'il me délivre cette nuit de la prison
où je suis maintenant.
Artémie, se moquant
de ce qu'il lui disait, le promit : et afin qu'il n'y eût point
de tromperie, il redoubla les fers au saint, et le mit au plus
profond de la prison, ferma les portes plus soigneusement,
renforça les gardes, et dit à Candide, sa femme, pourquoi il
faisait cela, en se raillant de ce que Pierre lui avait dit :
mais Candide, qui était plus avisée, dit à son mari qu'il ne
se souciât pas de ce que Pierre avait dit, mais qu'il
veillât toute la nuit pour voir ce qui en serait, parce que l'on
en saurait bientôt la vérité. Comme ils étaient sur ce discours
à l'entrée de la nuit, saint Pierre se présenta à eux et à
Pauline leur fille, qui était avec sou père. Il était vêtu d'une
belle robe blanche, portant une croix en sa main. Cette croix
ayant été aperçue par le diable, il s'enfuit de là, en disant :
La vertu de Jésus-Christ, ô Pierre, qui est en toi, m'a
enchaîné et chassé, et je laisse Pauline libre et saine.
Ses parents
demeurèrent tout surpris de voir Pierre devant eux sans chaînes,
et leur fille guérie. Ils se jetèrent incontinent aux pieds du
saint, confessant que Jésus-Christ était vrai Dieu, et demandant
le baptême : tous ceux de sa maison firent de même, et trente
autres personnes, au bruit de ce miracle, accoururent chez
Artémie, qui déchaîna les criminels pour les amener à saint
Pierre, lesquels ayant appris le grand miracle que
Notre-Seigneur avait opéré en lui, se convertirent et furent
tous baptisés par saint Marcellin, prêtre, que saint Pierre
appela pour cet effet.
11 fut plus
d'un mois en la maison d'Artémie, catéchisant et enseignant à
ces nouveaux chrétiens les admirables mystères de
notre sainte Religion, et les confirmant en la foi, d'autant que
le juge Sérène était pour lors malade. Sitôt qu'il fut guéri, il
envoya dire à Artémie qu'il lui amenât les chrétiens qui étaient
dans les prisons. Artémie, leur baisant humblement les mains,
leur dit que ceux qui désiraient le martyre se préparassent
courageusement au combat, et quant à ceux qui s'en voudraient
aller, que toutes les portes étaient ouvertes.
Le lendemain au
matin il alla trouver le juge, et lui raconta ce qui se passait;
et que Pierre et Marcellin n'avoient jamais voulu sortir de la
prison, quoiqu'il les en eût priés, et laissé les portes
ouvertes. Sérène s'en fâcha étrangement, fit prendre Artémie et
le fit fouetter avec de» plombs, puis le renvoya en prison. Il
fit amener devant lui Pierre et Marcellin. Du commencement il
tâcha de les gagner par la douceur ; mais voyant que c'était en
vain, et que Marcellin lui répondait constamment, il commanda
aux soldats de sa garde de lui donner des coups de poing sur le
visage ; ils lui en donnèrent tant qu'ils s'en lassèrent. Le
méchant juge ordonna qu'on le séparât d'avec Pierre, et qu'on le
remmenât en prison, qu'on l'étendit sur le carreau semé de verre
cassé, et qu'il demeurât sans clarté, ni de quoi boire ni manger
: puis se retournant vers Pierre d'un visage enflammé, il lui
dit : Ne pense pas que je te veuille encore une fois
tourmenter sur les tréteaux, et te faire brûler les côtés avec
des torches allumées : demain je te ferai attacher à un poteau,
et dévorer des bêtes farouches.
Le saint exorciste
lui répondit : Je ne sais pourquoi on vous nomme Sérène,
étant si rempli de nuées et de ténèbres, vous qui commandez
qu'on batte et emprisonne Marcellin, qui est ami de Dieu, au
lieu de le supplier d'intercéder pour vous, afin que Notre-
Seigneur vous délivre des peines éternelles qui vous sont
préparées.
Sérène
s'irrita davantage des discours de Pierre, et le fit enchaîner
et conduire dans la prison, où il fut mis en un cachot.
Notre-Seigneur n'oublia pas ses deux serviteurs, car il envoya
un ange qui apparut à Marcellin, lequel était eu oraison étendu
sur le verre cassé; il lui fit prendre ses habits, et lui
ordonna de le suivre au lieu où Pierre était enfermé ; il le
délivra aussi, et les mena
dans la maison où étaient ceux qui avoient été baptisés depuis
peu, qui priaient unanimement Dieu. L'ange leur dit qu'ils
demeurassent là sept jours avec ces nouveaux chrétiens pour les
encourager et les confirmer en la foi, puis après qu'ils
s'allassent présenter au juge Sérène.
Celui-ci envoya le
lendemain à la prison pour en tirer Pierre et Marcellin, mais on
ne les trouva plus. Sérène en pensa perdre l'esprit et lâcha
toute sa fureur contre Artémie et Candide sa femme, ainsi que
leur fille Pauline, qu'il commanda d'enterrer tout vifs. Le
lendemain, comme on les menait pour exécuter cette cruelle
sentence, saint Pierre et saint Marcellin vinrent au devant
d'eux pour les animer, et leur représenter la récompense que
Dieu leur donnerait s'ils combattaient vaillamment. Les méchants
ministres de Sérène, les ayant reconnus, se saisirent d'eux :
puis ils tranchèrent la tète à Artémie, et jetèrent Candide et
Pauline en une fosse qu'ils comblèrent de grosses pierres qui
servirent à faire leur tombeau.
Le juge
commanda que l'on emmenât Pierre et Marcellin en un bois écarté
de la ville, que l'on nommait la forêt Noire, et qui depuis
s'appelle la forêt Blanche : le Pape saint Damase ajoute que les
saints
nettoyèrent avec les mains le
champ, qui était couvert d'épines, pour y faire leur sacrifice à
Dieu. Les deux glorieux martyrs s'embrassèrent et
s'entredonnèrent le baiser de paix avec une grande dévotion et
tendresse, et s'étant agenouillés et mis en oraison, ils furent
décapités. Deux saintes dames, Lucine et Firmie, enlevèrent
leurs corps, et les enterrèrent près du sépulcre de saint
Tiburce, martyr, par le commandement du même Tiburce.
Saint Damase
sut toute cette histoire (ayant été ordonné lecteur) par le même
bourreau qui les décapita, lequel était nommé Dorothée ; depuis,
étant devenu évêque, il fit des vers à la louange de ces
saints,
où il décrit
leur martyre. Le même bourreau dit publiquement qu'il avait vu
les âmes de ces bienheureux martyrs vêtues de blanc être
conduites au ciel par les anges : ce qui lui donna du remords,
et lui fit faire pénitence de son péché après qu'il eut été
baptisé, en sorte qu'il acheva saintement sa vie.
L'Église
place le martyre de ces
saints
le 2 juin de l’an 302. L'empereur Constance édifia une église de
leur nom en la rue Lavicane, et la dota de grands revenus et
possessions. Il y a encore à Rome une autre église dédiée aux
mêmes saints.
On apporta de leurs reliques
en France du temps de Grégoire IV, et la ville de Crémone gagna
une victoire signalée, l'an 1213, contre les Milanais, par
l'intercessions de saint Pierre et de saint Marcellin, auxquels
tout le peuple demanda secours : à l'instant on vit sortir de
dessus leur autel deux colombes blanches, et lors du combat les
soldats de Crémone virent devant eux deux jeunes hommes montés
sur des chevaux blancs qui renversaient les bataillons de leurs
ennemis , et leur donnaient la chasse, ainsi qu'il est rapporté
par Charles Sigonius, livre 16e
du Royaume d'Italie, l'an 1213.
Les
Martyrologes romain, de Bède, d'Usuard et d'Adon font mention de
ces
saints
; ainsi que les actes de leur
martyre rapportés par Laurent Surius et le cardinal Baronius. |