« J’espérais que
Notre-Seigneur avait exaucé mes vœux, et que je ne serais plus
obligée d’écrire;
mais il n’en est pas ainsi, car il m’a communiqué certaines
choses qu’il veut que je fasse connaître; ainsi je me soumets à
son bon plaisir: Fait! »
« Notre aimable et
divin Sauveur m’a fait entendre des plaintes sur son amour
méconnu dans le très Saint-Sacrement de l’autel, par le manque
de foi des chrétiens, et il a heureusement lié mon cœur et mon
esprit à ses pieds, afin que je lui tienne compagnie dans cet
abandon, en adorant sa très Sainte-Face, cachée sous le voile de
l’Eucharistie. Oui, c’est par cet auguste sacrement que Jésus,
notre Sauveur, veut communiquer aux âmes la vertu de sa très
Sainte-Face. Elle est là, plus éclatante que le soleil, et il
m’a promis de nouveau d’imprimer dans les âmes de ceux qui
l’honoreraient les traits de sa divine ressemblance.
Notre-Seigneur m’a
fait voir, à l’aide d’une comparaison aussi simple que juste,
que les impies par leurs blasphèmes attaquaient son adorable
Face, et que les fidèles la glorifiaient par les hommages de
louange rendus à son Nom et à sa personne.
Le mérite est dans
les personnes, mais la gloire qui les accompagne est dans leur
nom; il la fait éclater lorsqu’on le prononce, le mérite ou le
démérite d’une personne passe en son nom. Le très saint Nom de
Dieu exprime la divinité, et renferme en lui toutes les
perfections du Créateur; il suit de là que les blasphémateurs de
ce Nom sacré attaquent Dieu lui-même. Maintenant rappelons-nous
ces paroles de Jésus: “Je suis en mon Père, et mon Père est
en moi.”
Jésus s’est rendu passible par l’Incarnation, et c’est lui
qui a souffert, en sa Face adorable, les outrages faits par les
blasphémateurs au Nom de Dieu, son Père. Notre-Seigneur m’a fait
voir qu’il y avait quelque chose de mystérieux sur la face d’un
homme d’honneur méprisé; oui, je vois que son nom et sa face ont
une liaison particulière. Voyez un homme distingué par son nom
et ses mérites, en présence de ses ennemis; ceux-ci ne portent
pas la main sur lui, mais il l’accablent d’injures, ils ajoutent
à son nom d’amères dérisions, au lieu des titres qui lui sont
dus. Remarquez alors ce qui se passe sur la face de cet homme
injurié; ne diriez-vous pas que toutes les paroles outrageantes
qui sortent de la bouche de ses ennemis viennent se reposer sur
sa face et lui font souffrir de rougeur, de honte et de
confusion; l’opprobre et l’ignominie qu’elle souffre lui sont
plus cruels à supporter que des tourments réels dans les autres
parties de son corps. Eh bien, voilà un faible portrait de la
Face de Notre-Seigneur outragée par les blasphèmes des impies!
Représentons-nous ce même homme en présence de ses amis, qui,
ayant appris les insultes qu’il à reçues, s’empressent de le
consoler, de le traite selon sa dignité, font hommage à la
grandeur de son nom en le qualifiant de tous les titres
d’honneur; ne voyez-vous pas alors la face de cet homme
ressentir la douceur de ces louanges? La gloire se repose sur
son front, et, rejaillissant sur son visage, elle le rend tout
resplendissant: la joie brille dans ses yeux, le sourire est sur
ses lèvres; en un mot, ses fidèles amis ont guéri les douleurs
cuisantes de cette face outragée par ses ennemis, la gloire a
passé l’opprobre. Voilà ce que font les amis de Jésus par
l’œuvre réparatrice; la gloire qu’ils rendent à son Nom se
repose sur cet auguste front, et réjouit sa très Sainte-Face,
d’une manière toute spéciale, au très Saint-Sacrement de
l’autel.
Ma Révérende Mère,
cette comparaison que Notre-Seigneur m’a mise devant les yeux
m’a donné un grand jour dans l’esprit; je vois bien clairement,
maintenant, que les blasphémateurs font souffrir la Face du
Sauveur, et que les réparateurs la réjouissent et la glorifient.
Je n’avais jamais fait cette remarque si juste, que la face de
l’homme est le siège où viennent se reposer la gloire et
l’ignominie. Je vais donc m’appliquer, tout de nouveau, à
honorer le Nom et la très Sainte-Face de notre divin Sauveur,
qui m’y invite d’une manière si touchante. »
« Je reçus cet
ordre avec respect, mais je vous confesse ma faiblesse, je fus
affligée de ne point trouver en vous cette tendresse qui vous
est si ordinaire, et le démon commença de me tenter.
Heureusement je courus exposer mes peines à Notre-Seigneur, en
versant des larmes, lui disant que cet office de portière était
pour moi un continuel martyre, parce qu’il m’arrachait
continuellement de sa présence. Après avoir expliqué à ce bon
Maître tout ce qui me faisait de la peine en cet emploi,
j’ajoutai: “Je ne veux pourtant, mon Seigneur, que ce qui
vous glorifiera davantage et ce qui sauvera plus d’âmes. Vous
n’êtes pas descendu de la croix, je n’en descendrai pas non
plus!...” Et aussitôt j’ai fait acte d’obéissance en lui
demandant ma guérison. »
« — Ma fille,
la solitude ne fait-elle pas vos délices? Durant les premières
années que vous avez passées en religion, sans emplois
extérieurs, tous vos jours n’étaient-ils pas des jours de fête?
— Oui, Seigneur.
— Eh bien,
sachez, ma fille, qu’une religieuse doit être un crucifix
vivant. Si vous n’aviez pas ces peines, avec quoi sauveriez-vous
les âmes que je remets entre vos mains? Comme preuve que je vous
veux dans cette charge et que c’est moi-même qui, par la bouche
de votre supérieure, vous ai refusé une seconde portière, je
veux que vous soyez guérie à l’instant. Consolez-vous; pour tous
ces travaux, je vous donnerai des âmes.
Ah! mon Jésus, je
reprends ma petite barque. »
« — Je veux que
vous honoriez ma servitude: je ne suis point venu pour être
servi, mais pour servir...
Dans un temps de
disette, où le pain est très cher, un père de famille ne
mériterait-il pas des reproches de sa femme et de ses enfants,
si, ayant une bonne maison où il fût à même de travailler toute
la journée, il ne voulait travailler que la moitié du jour, et
se mettre, par cette conduite, dans le cas de ne point gagner le
pain nécessaire à la vie de ses enfants? Eh bien! ma fille,
voilà votre portrait. Vous avez des enfants à nourrir, je vous
l’ai dit: il faut leur gagner du pain; ils ont besoin de toute
votre journée de travail; ne vous exposez pas, par votre
paresse, à les entendre vous accuser au jour du jugement. »
« — Ma fille,
vous vous plaignez que votre vie ne peut être solitaire à cause
de vos occupations; mais savez-vous bien quelle est l’âme
solitaire? C’est l’âme maîtresse de ses passions: ainsi, une âme
qui immole continuellement sa propre volonté par le sacrifice de
l’obéissance devient véritablement une âme solitaire; elle
participe en quelque sorte à la solitude de Dieu, en vivant dans
sa sainte volonté. Et, au contraire, une âme, dans le silence de
la retraite, n’est point solitaire lorsque le bruit de ses
passions l’agite, et qu’elle se plaît dans sa volonté propre. Or
sachez que la propre volonté est la nourrice des passions.
Voilà, ma Révérende
Mère les instructions que Notre-Seigneur a eu la bonté de me
donner; maintenant je ne veux plus avoir d’autre volonté que la
sienne; je serai portière toute ma vie, s’il plaît à Dieu et à
mes supérieurs. »
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