« Une femme, dans
l’Évangile, parlant à notre divin Sauveur, s’écria:
“Bienheureux le sein qui vous a porté, et bienheureuses les
mamelles qui vous ont nourri! Cette femme, pleine de foi et
de piété, disent les saints Pères, représentait l’Église; elle
reconnaissait et confessait hautement la divinité et l’humanité
en Jésus-Christ; elle adorait en lui l’Homme-Dieu!
Ce mystère d’un
Dieu enfant, nourri du lait sacré de la Vierge Marie, sa très
sainte Mère, est un mystère caché, inconnu, que le divin
Enfant-Jésus découvre à qui il lui plaît pour le lui faire
honorer. Il a daigné, malgré mon indignité, m’y appliquer
pendant cinq mois, en me donnant des lumières et des
consolations ineffables pour réjouir et délasser mon âme à la
suite de mes petits travaux et des amertumes dont j’ai été
abreuvée en m’occupant à glorifier son Nom. Oui, très aimable
Enfant-Jésus, à la naissance de votre œuvre réparatrice, vous
avez fait à mon âme un grand festin où elle a savouré des mets
délicieux. Je ne méritais à cause de mes péchés que d’éprouver
la rigueur de votre justice; mais votre miséricorde est
supérieure à toutes vos œuvres, et les familiarités admirables
dont vous usez envers les âmes surpassent l’entendement
humain. »
Les humiliations
de l’Enfant-Dieu... font la grandeur de Marie
Elle est en même
temps mère et nourricière de l’Homme-Dieu
Que mon esprit a
conçu de grandes choses entre les bras de Marie!...
« C’est avec la
plus grande confusion que je me vois obligée de vous dire
quelque chose des faveurs que je reçois ces jours-ci du divin
Jésus et de sa très sainte Mère. J’ai bien hésité avant de me
mettre à écrire cette lettre, car j’aimerais beaucoup mieux
écrire mes péchés, cependant je dois coopérer à la sainte
volonté de l’Enfant-Jésus, qui veut graver en moi sa simplicité,
et vous dire naïvement ce qui s’est passé dans mon âme; le voici
à peu près:
Il y a quelques
jours, après la sainte communion, l’Enfant-Jésus m’a fortement
appliquée à considérer l’honneur et l’hommage de louange
parfaite qu’il a rendus à son Père céleste pendant le temps où
il a été nourri du lait virginal de sa très sainte Mère; et il
m’a fait connaître qu’il veut que je l’adore dans cet humble
état, en union avec les saints anges, afin que sa miséricorde me
remplisse d’innocence, de pureté et de simplicité, et que je
puisse recueillir les grâces précieuses qui découlent du mystère
ineffable d’un Dieu enfant. Alors ce divin sauveur a ravi mon
âme à un sublime état, et, dans une grande élévation d’esprit,
j’ai contemplé ce prodige d’amour et d’humilité: Celui qui est
engendré éternellement dans le sein du Père, dans les splendeurs
de sa gloire, se nourrit en même temps du lait de son auguste
Mère! Le Saint-Esprit m’a fait entrer dans la profondeur de ce
mystère, qui jusque-là m’était inconnu. — O esprits angéliques
qui êtes appliqués à l’adorer, dites-moi ce que vous ressentez:
lequel vous semble le plus charmant, ou de voir une vierge
tenant son Créateur et son Dieu entre ses bras pour le nourrir
de son lait virginal, ou de voir un Dieu devenu enfant, le Verbe
divin réduit au silence, le Tout-Puissant enveloppé de langes
sur le sein de cette mère vierge? Ah! je crois vous entendre me
répondre que les humiliations de l’Enfant-Dieu en ce profond
mystère font la grandeur et la gloire de Marie, dont les deux
augustes privilèges sont d’être en même temps la mère et la
nourricière d’un Homme-Dieu.
Aujourd’hui, fête
du saint précurseur Jean-Baptiste, jour de joie par l’heureuse
naissance de cet ami du Verbe incarné, le divin Enfant-Jésus a
préparé un festin à mon âme.
Je le dis avec la
plus grande confusion, car une telle faveur n’était due qu’à
saint Bernard et non à une misérable pécheresse comme moi:
cependant je suis obligée de l’avouer dans la simplicité de mon
cœur, et ce n’est point ici une pure imagination, mais une grâce
que je ne puis exprimer, n’ayant point de paroles propres à
cela. Ah! s’il m’était donné de faire connaître les lumières que
j’ai reçues!... Quel trésor j’ai trouvé!... L’Enfant-Jésus, si
je puis m’exprimer ainsi, a fait, des vertus de sa sainte
Enfance, un bouquet dont il a orné le sein de sa Mère, vertus de
douceur, d’humilité, d’innocence, de pureté, de simplicité, que
les frères de Jésus, enfantés par Marie au pied de la croix,
doivent venir chercher auprès de leur Mère adoptive. Oh!
j’aperçois un grand mystère! Oui, Marie est nourrice d’un Dieu,
mais elle est aussi nourrice de l’homme! Que mon esprit a conçu
de grandes choses entre les bras de Marie, pendant cette haute
contemplation qui a ravi mon âme! Il m’a fallu l’heure de la
récréation pour revenir un peu à moi.
Ceci est un petit
abrégé des opérations du divin Sauveur dans une indigne
pécheresse. Il veut me parer des vertus de sa sainte enfance
avant que je paraisse au tribunal de Dieu. Je dis devenir un
petit enfant, afin d’entrer dans le royaume du ciel; ainsi, le
peu de temps que j’ai à passer sur cette terre doit être
consacré à honorer et à imiter son enfance pour en recevoir la
divine impression.
Voila, ma Révérende
Mère, les dispositions de mon âme; elle est toute appliquée,
comme vous le voyez, à l’Enfant-Dieu et à la Vierge-Mère; je
sens une pluie de grâces tomber sur moi. Je n’oublie pas
néanmoins l’œuvre de la Réparation; car c’est de la bouche du
Verbe-Enfant à la mamelle que Dieu reçoit véritablement une
louange parfaite à la gloire de son Nom, et je l’offre au Père
éternel, en cet état de faiblesse et d’humiliation, pour le
glorifier dignement. »
« J’avais déjà
consulté sur ces opérations intérieures deux ecclésiastiques
distingués par leur science et leur piété; on m’avait répondu
que l’esprit de Dieu agissait en mon âme, et qu’il fallait
suivre l’attrait de la grâce et y correspondre avec fidélité,
que Dieu en tirerait sa gloire, et que je devais mépriser le
démon dans les frayeurs extrêmes qu’il m’inspirait pour
m’éloigner d’une voie en apparence si extraordinaire. Je me
soumis à leurs sages conseils, qui s’accordaient avec ceux de
mes supérieurs; toutefois je désirais connaître les sentiments
de l’Église.
On me disait qu’il
n’y avait nul danger pour mon âme, et qu’il fallait continuer en
paix mes exercices; cela ne me satisfait pas entièrement;
j’aurais voulu trouver la doctrine de quelques saints en rapport
avec ces communications, pour leur servir d’appui et pour
m’éclairer de plus en plus, mais j’étais bien en peine où la
rencontrer. J’eus recours à Celui qui peut tout, et je priai
notre divin Sauveur avec grande instance d’exaucer mon désir. Ma
pauvre petite prière ne fut pas vaine, car bientôt je me sentis
vivement pressée de demander un livre à notre Révérende Mère:
c’était le père d’Argentan. Elle me l’accorda. Quelles furent ma
surprise et ma reconnaissance envers Dieu lorsqu’en l’ouvrant je
trouvai une conférence sur la Maternité divine de la très sainte
Vierge, nourrice du Verbe incarné! Mon admiration augmenta
encore lorsque, lisant cette conférence, je vis l’estime que les
Pères de l’Église faisaient de ce grand privilège de Marie. Tout
ce que je lisais était comme l’écho qui répétait, à la lettre,
ce qui s’était imprimé dans mon âme pendant les opérations de
l’Esprit-Saint touchant ce mystère. Oh! avec quel respect et
quelle joie je baisai ces pages sacrées que Notre-Seigneur et
son auguste Mère me mettaient sous les yeux, comme une lumière
divine, pour éclairer mon âme et la rassurer sur ses
inquiétudes! Convaincue que cette dévotion n’était ni nouvelle
ni illusoire, puisque saint Augustin, saint Athanase et saint
Bernard en parlaient avec tant d’éloge et de piété, je suis
rentrée dans un calme parfait, m’abandonnant entre les mains de
l’Enfant-Jésus, afin qu’il fasse en moi son adorable volonté. »
« Ces sentiments
des Pères m’ayant été si utiles, j’ai pensé à les produire en
cette relation, afin d’éclairer ceux qui, par la suite, pourront
la lire; je l’écris en esprit d’obéissance et de charité, selon
les lumières que Notre-Seigneur me donne pour faire ce petit
travail, tout consacré à l’incarnation du Verbe et à la
Maternité divine. Je parlerai en toute simplicité; car
Notre-Seigneur a réduit mon âme à l’état d’un petit enfant,
faisant en moi des opérations qui surpassent mon entendement.
“Si vous ne devenez de petits enfants, disait-il à ses
apôtres, vous n’entrerez dans le royaume des cieux”. »
« Ayant reçu dans
mon cœur par la communion le très saint Enfant-Jésus, et
l’adorant dans le mystère de sa naissance, dont je faisais
mémoire aujourd’hui,
j’ai vu la très sainte Vierge prendre dans ses bras ce divin
Fils et lui présenter son sein virginal; bientôt je me suis
trouvée renfermée dans le cœur du saint Enfant-Jésus. Il m’a
fait entendre qu’il fallait me tenir là en silence, pour ne
point troubler son opération par les actes que je voulais faire;
j’ai obéi à sa voix. Bientôt après, la très sainte Vierge a
laissé son divin Enfant, si je peux m’exprimer ainsi, pour
s’occuper de moi, afin de me faire connaître le dessein de
miséricorde que son cher Fils avait sur mon âme.
— Ma fille, mon
divin Fils veut contracter avec vous une intime union.
Reconnaissez-vous bien indigne d’une telle faveur: c’est un
prodige de son amour; cependant il m’a chargée de vous y
préparer.
Ensuite la très
sainte Vierge m’a fait entendre qu’il fallait m’appliquer à
honorer son sein virginal par des pratiques de piété. Je lui ai
obéi, et le Saint-Esprit m’a donné lumière, afin de composer un
petit exercice sur le mystère ineffable d’un Dieu enfant sur le
sein de la Vierge, sa Mère. »
« Je vous salue,
Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes
bénie entre toutes les femmes, et béni est le fruit de vos
entrailles, Jésus, que vous avez nourri pendant quinze mois de
votre lait virginal.
Nous vous rendons
grâces, ô bienheureuse Vierge Marie, de l’amour immense avec
lequel vous avez allaité le Roi des cieux, et nous bénissons
votre tendresse maternelle.
Père éternel, nous
vous offrons le Verbe incarné, petit enfant à la mamelle de sa
divine Mère, vous rendant, par cette humble action, une parfaite
louange pour l’honneur et la gloire de votre saint Nom.
O très sainte et
très digne Mère de Dieu, souvenez-vous que vous êtes ma mère, et
que je suis la petite sœur du saint Enfant-Jésus, nourrissez-moi
de votre lait; votre divin Fils a laissé sur votre sein les
charmantes vertus de sa sainte Enfance, et il m’envoie
recueillir cette divine rosée qui remplira mon âme de pureté,
d’innocence, de simplicité.
Recevez, ô Vierge
et Mère, les quinze salutations, en mémoire des quinze mois que
vous avez allaité l’Agneau de Dieu, né dans l’étable de Béthléem.
O divine et auguste
Mère, que faites-vous ? — Je donne mon lait à Celui qui m’a
donné l’être. — Et que deviendra ce lait ? — Il deviendra
sa chair et le sang de ses veines. Cette chair que je lui donne
souffrira les tourments de sa Passion, et ce sang que je lui
fournis sera versé sur la croix pour le salut de tous les
pécheurs.
O anges du ciel,
que vous semble de ce prodige? Vous aviez eu la commission de
nourrir délicieusement les hommes de la terre, en leur faisant
pleuvoir la manne du ciel, et cela passait pour un grand
miracle; regardez maintenant avec admiration la Vierge-Mère,
votre reine, qui nourrit Dieu même, son créateur et le vôtre!
O lait précieux de
Marie! ô sang divin de Jésus! arrosez votre terre; faites germer
des élus. »
« D’après cet
exemple, je conclus, qu’il n’est pas plus difficile au saint
Enfant-Jésus de me communiquer à présent ces participations à
l’état de son enfance, qu’il ne le lui a été de les communiquer,
il y a deux cents ans, à l’une de mes sœurs, car il est le
Tout-Puissant; mais ce qui m’étonne beaucoup, c’est que le
premier sujet était une sainte âme, et que le second n’est qu’un
misérable instrument, qui n’a ni vertus ni talents, une pauvre
pécheresse qui mérite l’enfer, et dont pourtant l’Enfant-Jésus
veut quelquefois se servir, parce que, malgré son extrême
indignité, elle s’est entièrement abandonnée à lui pour
l’accomplissement de ses desseins. »
|