[Ma Révérende
Mère], l’Enfant-Jésus me fait porter l’état de sa petite
enfance, ainsi qu’il me l’avait promis. Mais comment parler de
ces opérations aussi admirables qu’extraordinaires ? Oui, je
l’avoue en toute simplicité, il n’y a que l’amour de
l’obéissance qui puisse me déterminer à en dire quelques mots;
c’est par obéissance que j’ai répondu à l’appel de
l’Enfant-Jésus, qui m’a conduite au sein de sa divine Mère. Je
ne suis restée à cette fontaine de grâces que par obéissance à
mes supérieurs, et ce sera encore sous l’étoile de l’obéissance
que j’écrirai; sa douce lumière éclairera mon âme et l’empêchera
de tomber dans les pièges du démon.
Un jour, pendant
mon oraison, le Saint-Esprit me fit connaître la pureté du sein
virginal de la Mère de Dieu ; mon âme, suspendue en la
contemplation de ce soleil éclatant de lumière et de pureté,
goûtait des délices ineffables. »
« L’Enfant-Jésus,
malgré mon extrême indignité, a transformé mon âme en lui, et
m’a fait participer au lait mystérieux de sa sainte Mère. Il m’a
été donné de puiser dans ces fontaines admirables le lait de la
grâce et de la miséricorde pour mes frères les pauvres pécheurs.
Par ce privilège, que le très saint Enfant-Jésus m’accordait, il
me fut dit que j’obtiendrais de grandes faveurs « pour la
France », et que je n’étais qu’un instrument dont Dieu voulait
se servir. Ainsi je vois très clairement que ces grâces ne me
sont point personnelles; je dois, au contraire, en quelque sorte
m’oublier. Je me regarde, entre les mains de l’Enfant-Jésus,
comme un vase pour recueillir à la fontaine mystérieuse et
répandre ensuite cette divine liqueur, sans rien en retenir par
intérêt propre. La plus grande gloire de Dieu et le salut des
âmes: voilà le cri de mon cœur. Je reçois gratuitement, je dois
donner gratuitement. Je suis, en cette nouvelle mission, la
petite économe du saint Enfant-Jésus. Puissé-je être fidèle! Car
un jour il me demandera compte de mon administration sur les
biens qu’il a mis entre mes faibles mains. »
« Oh! quels
sentiments excite dans l’âme la contemplation d’un Dieu enfant
suspendu à la mamelle de sa Mère ! Le Verbe éternel enveloppé de
pauvres langes ! La Parole éternelle du Père réduite au
silence ! Toutes les perfections infinies du Dieu Vivant cachées
sous la nuée de l’humanité ! Le Tout-Puissant réduit à
l’impuissance ! La grandeur raccourcie ! Oh ! quelle gloire
Jésus enfant a rendue à son divin Père en cet état de pauvreté
et d’humiliation ! car alors il lui a fait l’hommage de son
pouvoir absolu en suspendant ses divines opérations. Que
d’actions éclatantes il aurait pu faire en entrant dans le
monde! Cependant il s’en est privé pour obéir à son Père, et
pour nous montrer l’exemple d’une profonde humilité. — Après
cette considération, je me dis à moi-même: Oh! de quel prix doit
être aux yeux du Père éternel cette seule action du Verbe
enfant, pressant pendant quinze mois le sein maternel de la
Vierge Marie, puisqu’il a comme anéanti ou renfermé dans cette
seule action sa grandeur, sa puissance, sa sagesse et toutes ses
facultés ! O mystère profond et ineffable ! Plus il paraît petit
aux yeux des hommes, plus il est grand aux yeux du Père éternel.
J’ai vu un jour dans une lumière divine que le Père céleste
m’accordera ce que je désirerai, lorsque je le lui demanderai au
nom de l’Enfant-Jésus sur le sein de sa Mère. Oui, ô divin
Enfant, vous êtes, en cet humble état, aussi digne de notre
amour, de nos hommages et de nos adorations, que vous le fûtes
plus tard lorsque vous guérissiez les malades, ressuscitiez les
morts, et commandiez aux vents et à la mer. Ici je vous
contemple silencieux, caché, adorant les conseils éternels de
votre Père sur votre vie et votre douloureuse Passion ; déjà la
croix est plantée dans votre Cœur, vous n’attendez que les
heures marquées par votre Père céleste pour accomplir sa
volonté. »
« J’ai obéi, mais
j’ai été terriblement tourmentée par le démon, qui craint sans
doute que ces âmes ne lui échappent. La très sainte Vierge m’a
dit qu’il fallait persévérer dans mes exercices, malgré les
efforts de mes ennemis. Le diable ne peut combattre contre un
petit enfant, il est trop orgueilleux pour cela; voilà pourquoi
il fait tout ce qu’il peut pour me détourner du mystère de la
maternité divine. »
« Notre-Seigneur
m’a fait connaître depuis quelques jours qu’en suçant la mamelle
de sa très sainte Mère, il suçait aussi la mamelle de la
rigoureuse justice de son Père, et qu’il allait m’y faire
participer. Je commence à porter cet état; je vois ce divin
Enfant si triste! Je le regarde maintenant chargé des péchés du
monde, et portant déjà la croix dans son Cœur. »
« Oh ! que je
trouve un merveilleux rapport entre Jésus attaché au sein de
Marie et Jésus attaché à la croix ! Je le vois en ces deux états
comme une victime suspendue entre le ciel et la terre. Ici je
vois la Reine des martyrs, le Cœur déjà blessé par le glaive de
douleur, nourrir se sa propre substance ce corps adorable qui
doit tant souffrir pour nous dans sa passion. Je vois Jésus le
Sauveur du monde remplir ses veines sacrées de ce précieux sang
qu’il doit répandre un jour sur le Calvaire.
Le cardinal
Halgrinus
compare toutes les gouttes de lait que la très sainte Vierge a
données à notre divin Rédempteur, avec tout le sang que les
martyrs ont répandu pour lui ; il conclut que dans la vérité la
très sainte Vierge a plus mérité par son lait que les martyrs
par leur sang. N’a-t-il pas raison, puisque ce sang n’était
répandu que pour la défense de la foi, et que ce lait était
donné pour la nourriture de l’adorable personne du Verbe
incarné, qui est bien plus noble que la foi ?
Je vous salue, ô
Marie, reine des martyrs, dont le sang précieux, blanchi par la
piété maternelle, a coulé pendant quinze mois de votre sein
virginal pour remplir les veines sacrées du Roi des martyrs! »
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