Marie Oignies
Laïque, Bienheureuse
1177-1213

Au diocèse de Liège on célèbre la fête de sainte Marie d'Oignies, femme d'une vertu et d'une sainteté admirables. Elle était native de Nivelle, issue de parents qui n'étaient pas fort relevés dans le monde, bien que riches. Dès sa jeunesse, elle eut un tel dégoût des plaisirs où s'adonnent ordinairement les personnes qui se voient hors de la nécessité, qu'elle ne se souciait ni des parures naturelles aux filles, ni de la douceur des compagnies. Rien ne lui plaisait tant que la solitude, où elle s'adonnait entièrement à la méditation des choses divines. Mais ses parents l'incommodaient grandement, et la détournaient souvent de ses meilleurs desseins par leurs moqueries.

Il arriva donc, quand elle eut atteint l'âge de quatorze ans, qu'ils la marièrent avec un certain jeune homme d'assez bonne maison, qui avait aussi beaucoup de fortune et qui s'appelait Jean.

Ce ne fut pas là une petite affliction à cette bonne fille, car elle eût très volontiers consacré sa virginité à son divin Époux : mais elle estima que Dieu n'agréerait pas moins son obéissance à ses parents que le sacrifice qu'elle lui eût pu faire. Elle prit alors la ferme résolution de ne lui pas rendre moins de service dans le mariage que dans le célibat. D'ailleurs, elle se consolait dans l'espérance qu'elle avait d'une plus grande liberté à servir Dieu, jugeant qu'il lui serait assez facile de gagner les affections de son mari et de les rendre conformes aux siennes, et qu'ainsi elle continuerait ses dévotions.

Les effets ne démentirent point ses espérances et ses desseins : car elle s'acquit un tel pouvoir sur l'esprit de son mari, qu'elle vaquait à ses dévotions avec beaucoup plus de ferveur qu'auparavant. Son ordinaire était que, ne se contentant pas de ses pieux exercices du jour, après avoir passé une partie de la nuit à quelque travail de ses mains, elle se mettait en prières, puis se jetait sur quelques ais qui étaient au pied de son lit pour se reposer un peu. Ainsi elle fit tant que son mari, qui l'avait auparavant tenue pour femme, la tint toujours depuis, ainsi qu'un autre Joseph, par un instinct divin, pour une vraie Marie, particulièrement recommandée du Ciel. Enfin il consentit au saint désir qu'elle avait de demeurer chaste et de quitter tout pour Jésus-Christ, si bien qu'après avoir donné leurs biens aux pauvres, ils se mirent tous deux ensemble à servir les lépreux dans Villembrock, à Nivelle.

Il faisait beau voir ainsi ces jeunes gens dans la pratique des vertus; il n'y avait que les diables et les mondains à qui cela faisait mal au cœur. Les diables, par une envie enragée, suscitaient les mondains contre eux; il n'y avait personne qui ne les regardât et n'eu parlât avec autant de mépris qu'il les avait auparavant honorés : enfin ils se voyaient abandonnés et comme l'objet du mépris de tous leurs parents et amis. Mais tout cela ne refroidit pas l'affection de la servante de Jésus-Christ à lui rendre service, s'estimant trop honorée de l'imiter et de le suivre dans les mépris de la croix. Plus elle se voyait rebutée du monde, plus grande était sa ferveur à se recueillir avec son divin Époux Jésus-Christ, convertissant le repos qu'elle devait prendre la nuit en prières et en oraisons, macérant sa chair par des jeûnes et de grandes abstinences, se revêtant de chétifs habits, et fréquentant continuellement les églises et les lieux de dévotion.

On remarque que dans ses grandes mortifications elle s'acquit le don des larmes en tel degré que ses yeux paraissaient comme des sources, d'où découlaient continuellement deux ruisseaux de larmes nuit et jour, et avec une telle abondance, qu'à peine pouvait-elle se fournir de mouchoirs pour les recueillir et s'essuyer, ne voulant pas que ses larmes parussent sur ses joues, ou qu'elles y laissassent des traces. Un jour, un prêtre l'invitant de s'abstenir de pleurer de la sorte, il arriva qu'il versa lui-même, par les prières de la bienheureuse Marie, une telle abondance de larmes en célébrant la messe, qu'il en arrosa les nappes de l'autel.

Elle se rendit admirable en ses abstinences et en ses jeûnes continuels : car elle ne buvait jamais de vin et ne mangeait point de viande : tout son vivre était quelques fruits, des herbes et des légumes : que si elle mangeait du poisson, c'était fort rarement, et si peu que cela ne mérite presque pas d'être mis en ligne de compte. De plus elle mangeait du gros pain noir, et qui était si rude qu'il lui écorchait la gorge, de sorte que souvent le sang en sortait. Elle ne faisait ordinairement qu'un repas par jour, en été sur le soir, et en hiver à une heure de nuit, s'y disposant comme si elle prenait quelque médecine. Depuis la fête de l'Exaltation de la sainte Croix jusqu'à Pâques, elle jeûna continuellement au pain et à l'eau l'espace de trois ans, sans toutefois en recevoir aucune diminution de ses forces, et sans discontinuer en quelque façon son travail ordinaire, paraissant aussi fraîche de visage que si elle n'eût point jeûné.

Aussi les rigueurs de ses abstinences étaient-elles compensées par des consolations célestes; car souvent les anges, lui apparaissant, la consolaient de divins discours. Son ange gardien l'assistait et l'accompagnait familièrement presque tous les jours, aux avis duquel elle obéissait ponctuellement, comme un religieux à son abbé. Elle passait même quelquefois trente-cinq jours entiers sans boire ni manger, demeurant en un perpétuel silence. Il se trouve aussi que saint Jean l'Évangéliste se présentait quelquefois à elle à table et la repaissait de viandes célestes.

Au reste, elle avait accoutumé de faire tous les ans un voyage par dévotion à Notre-Dame d'Oignies ; et bien qu'elle en fût éloignée d'une demi-lieue d'Allemagne, elle le faisait pieds nus, quelque rigueur de froid qu'il fit, et à jeun : que s'il pleuvait, elle n'en était en aucune façon incommodée. Aussi tient-on qu'elle avait cette grâce particulière d'être assistée pendant tout ce chemin- là de deux anges, l'un au côté droit et l'autre à gauche, qui ne l'abandonnaient point et la conservaient contre les injures de la chaleur, de la froidure ou de la pluie.

Elle reçut de grandes faveurs de Notre-Seigneur par l'intercession de Notre-Dame, à qui elle avait une singulière dévotion. Entre les autres elle avait un don particulier de donner une grande consolation et soulagement à ceux qui s'adressaient à elle, quelque affliction qu'ils eussent. Les diables même ne fuyaient rien tant que sa présence, étant contraints de lui obéir en tout.

La bienheureuse Marie d'Oignies, après avoir ainsi employé sa vie au service des pauvres lépreux, au faubourg de Villembrock à Nivelle, se voyant continuellement entourée d'un grand nombre de personnes qui venaient lui demander secours en leurs afflictions, et ne pouvant plus supporter tant de fatigues, s'enfuit et se retira à Oignies, où elle passa le reste de ses jours en grande sainteté de vie. Dieu l'honora de plusieurs actions miraculeuses. Elle eut une connaissance certaine du temps de sa mort, six ans avant qu'elle arrivât, et le prédit même à quelques-uns.

Le cardinal Jacques de Vitry, qui communiquait familièrement avec elle et qui le premier a écrit sa vie, dit qu'il lui fut aussi révélé le lieu où elle devait être inhumée, et qu'elle le lui montra en particulier.

Enfin elle fut atteinte d'une longue et fâcheuse maladie dont elle mourut : pendant laquelle elle passa cinquante-trois jours sans prendre aucune nourriture que la sainte Communion.

Notre bienheureuse Marie d'Oignies avait mené une vie vraiment sainte et innocente : aussi reçut-elle de grandes consolations pendant sa maladie. Car outre les révélations divines dont Notre- Seigneur la consola, et que l'on sut par révélation même, les anges l'assistaient visiblement et la consolaient de discours divins. 0 admirable contentement ! Mais ce fut bien autre chose lorsqu'on lui donnait le sacrement de l'extrême-onction; car Notre-Seigneur lui apparut alors, accompagné de ses saints apôtres, et lui mit lui- même la croix sur les pieds. Ainsi cette sainte âme, toute remplie d'une joie si sensible, s'envola au ciel, conduite par les anges, le vingt-troisième jour de juin, l'an de Notre-Seigneur 1213. Son corps fut honorablement inhumé en l'église de Saint-Nicolas d'Oignies, au lieu même qu'elle avait montré au cardinal de Vitry.

Plusieurs auteurs font mention de sainte Marie d'Oignies. Le cardinal Jacques de Vitry, grand et savant personnage, a été le premier qui nous a laissé par écrit sa vie et ses actions miraculeuses, qu'il a rapportées fort amplement. Aussi en a-t-il eu une plus particulière connaissance que pas un : d'autant qu'étant envoyé par le Pape légat en Flandre, afin d'y prêcher et défendre l'Église contre les Albigeois, l'éclat des vertus et de la sainte vie de notre bienheureuse Marie lui donna la curiosité de la visiter souvent, et de communiquer avec elle. C'est de lui que tous ceux qui ont écrit sa vie ont pris ce qu'ils en ont dit : comme le docte Molan, Surius, Pierre des Natales et Doublet.

 

 

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