Histoire des vingt-six martyrs du Japon
crucifiés à
Nagasaki, le 5 février 1597
Béatifiés par Urbain VIII en 1627
Canonisés par Pie IX le 8 juin 1862
Son père, qui
tenait un rang distingué parmi les familles nobles du royaume, et
que sa valeur guerrière et ses autres qualités avaient élevé en
faveur à la cour de l'empereur Nobunanga, eut le bonheur de
connaître et d'embrasser la religion chrétienne vers l'an 1568. Son
fils, Paul Miki, âgé alors de cinq ans, reçut aussi le baptême.
Lorsqu'il eut atteint sa onzième année, ses parents le confièrent
aux Pères jésuites, pour être élevé dans leur collège ou séminaire
récemment établi dans la ville d'Anzuquiama. Les Pères y formaient
les jeunes gens aux lettres et aux sciences. Mais ils s'appliquaient
surtout à les instruire solidement de notre sainte religion et à
former leurs cœurs à la piété. Pendant tout le cours de ses études
le jeune Paul Miki fut un modèle de ferveur. Il en donna une preuve
éclatante l'an 1586. Son père venait de succomber dans la guerre
entreprise par Nobunanga contre le roi de Saxuma. Le jeune Paul, à
qui la lumière divine avait découvert toute la vanité des biens et
des honneurs de ce monde, y renonça courageusement pour embrasser la
vie religieuse dans l'Institut des Jésuites : il était dans sa
vingt-deuxième année. Après le noviciat et l'émission des vœux, il
fut appliqué à l'étude de la théologie. Afin de pouvoir réfuter plus
pertinemment les diverses erreurs des sectes du
Japon, il en fit aussi une étude
approfondie. Ainsi préparé au ministère de la prédication, il y
déploya un zèle admirable, qui eut pour résultat d'amener à la foi
une foule immense de païens. » Vers cette époque, dit le franciscain
Ribadeneira (dans son Histoire de l'Archipel], le bienheureux
Paul Miki vint deux ou trois fois dans notre cou vent. Je fus frappé
de la modestie de ce religieux et de son édifiante conversation. Il
était facile de voir qu'il avait grandement avancé dans la
perfection pendant les onze années qu'il avait passées avec les
Pères de la compagnie de Jésus. De tous les religieux qui prêchaient
au Japon quand j'y allai, c'est lui
qui avait le plus de réputation, et dont la parole était la
plus féconde en heureux résultats. Le feu avec lequel il parlait,
plus encore que la force de ses discours, touchait les cœurs et les
convertissait. A ce grand mérite d'orateur il joignait l'humilité la
plus profonde, ne cherchant uniquement que le salut des âmes et sa
propre sanctification. Bien d'autres religieux de la compagnie de
Jésus ont eu le bonheur de verser leur sang pour la foi ; mais on
doit compter le bienheureux Paul Miki parmi les plus illustres
martyrs
de cette société (Voir les Bollandistcs, t. Ier de février, p. 735
et 736).
Le 9 décembre
1596 des gardes furent mis à la maison des Pères jésuites d'Ozaca.
Le bienheureux Paul Miki se trouva ainsi prisonnier avec deux autres
religieux japonais du même ordre, le frère Jean de Goto et le frère
Jacques Quizaï. Il y continua ses prédications et eut la consolation
de convertir et de baptiser six païens.
Le 11 du même
mois, Taïcosama donna ordre de mettre h mort tous les Pères.
Mais il restreignit ensuite la sentence aux Pères franciscains,
arrêtés à Ozaca et à Méaco.
Le 31 décembre
1596, ce tyran, qui se trouvait à Ozaca, donna ordre de faire
partir le Père franciscain et ses compagnons détenus dans cette
ville. Les gardes qu'on avait mis à la maison des Jésuites n'en
avaient pas été retirés. Quoique la sentence n'atteignît point les
Jésuites, le gouverneur d'Ozaca n'avait pas osé mettre en liberté
les trois religieux de cet ordre, Paul Miki, Jacques Quizaï et Jean
de Goto. Bien plus, il crut devoir les joindre aux Franciscains
qu'il expédiait à Méaco. On lui représenta vainement que la sentence
de mort ne concernait que ces derniers : il fit partir avec eux les
trois autres. Quelques chrétiens offrirent à l'un de ses serviteurs
une grande somme d'argent pour délivrer les trois Jésuites,
alléguant que c'était par erreur et contre la volonté de Taïcosama
qu'on les envoyait à la mort. Dieu, qui réservait à ces trois
religieux la palme du martyre, ne permit pas que ces tentatives
réussissent. Paul Miki, informé de ce qui s'était passé, écrivit aux
chrétiens qui avaient tenté de les délivrer, lui et ses deux
confrères, pour leur en faire des reproches : Est-ce donc ainsi,
leur disait-il, que vous m aimez ? Quoi ! vous avez voulu me
priver de cette immense faveur de Dieu, pour laquelle vous auriez dû
au contraire vous réjouir et louer son infinie bonté ? (Voir les
Bollandistes, t. Ier
de février, p. 753.)
Parti d'Ozaca le
1er janvier 1597, ce bienheureux détachement de futurs
martyrs faisait route pour Méaco,
lorsque Paul Miki, ne pouvant contenir sa joie, tint ù ses
compagnons un discours qui nous a été
conservé : « J'ai atteint, leur dit-il, ma trente-troisième année :
c'est l'âge auquel notre divin Sauveur a voulu mourir pour nous.
C'est aujourd'hui la fête du saint nom de Jésus ; et, quoique
indigne, j'ai le bonheur d'appartenir à la compagnie qui porte ce
nom. C'est mercredi : et à pareil jour, Jésus fut vendu aux Juifs.
On dit que nous devons être mis à mort un vendredi, jour aussi de la
mort de Jésus, notre divin Rédempteur. J'éprouve une grande joie de
ce que, malgré mon indignité, je puis ainsi en quelque chose imiter
ce divin maître, qui a tant « souffert pour nous. » (Voir les
Bollandistes, t. 1er de février, p. 736, n. 98.)
Dans la prison,
il adressait de fréquents discours aux gardes et aux prisonniers,
détenus pour leurs crimes, leur prouvant la vérité de la religion
chrétienne, et les exhortant à l'embrasser. Quelques-uns lui
promirent de se faire chrétiens. S'étant mis à parler de la passion
de notre divin Sauveur, son visage s'enflamma, sa parole devint
toute de feu, et les auditeurs furent profondément émus, surtout
lorsqu'à la fin ils l'entendirent exalter la dignité du martyre, et
féliciter ceux que Dieu favorisait d'une si grande grâce. A ce
discours se trouvait l'un des six qu'il avait convertis et baptisés,
lors de sa détention à Ozaca. C'était un homme renommé pour sa
valeur militaire. Ce discours le toucha vivement, et à la fin son
impression fut telle, que sans aucune crainte de la mort, il se mita
crier tout haut qu'il était chrétien.
La nuit du 2 au 3
janvier (1597), la première que Paul Miki passait dans la prison de
Méaco, les vingt- quatre bienheureux se préparaient à l'amputation
de l'oreille et à la promenade ignominieuse qui devait avoir lieu le
lendemain. Le bienheureux Paul, s'entretenant seul avec Dieu,
épanchait par moments tout haut les sentiments de son âme. Il dit
entre autres ces paroles : « Oh ! que je suis heureux de
m'immoler pour Jésus-Christ à trente-trois ans, âge auquel ce divin
Sauveur s'est immolé pour notre salut ! Je suis parti d'Ozaca le
jour de la Circoncision, et c'est à pareil jour que notre divin
Sauveur donnait les prémices de son sang. J'ai été enchaîné
aujourd'hui jeudi, et c'est un jeudi que Jésus fut pris et «subit
l'ignominie des chaînes. Demain vendredi, je serai traîné dans les
rues de Méaco ! » Au milieu de ces effusions il versait des
larmes de joie.
Le lendemain, 3
janvier, les vingt-quatre bienheureux furent tirés de la prison et
conduits à la grande place de Méaco, où les exécuteurs leur
coupèrent une partie de l'oreille, puis les donnèrent en spectacle,
en les promenant dans les rues. Quand on les eut ramenés en prison,
le bienheureux Paul
Miki embrassa les Pères franciscains. C'est, leur dit-il,
à votre ombre que nous avons trouvé, mes deux confrères et moi, un
si grand bienfait. Et il les en remerciait avec effusion.
Stupéfaits de cette scène, les soldats et les conducteurs des chars
se disaient les uns aux autres :
Quelle est donc cette race d'hommes*!
Et en quel lieu du monde en trouverait-on qui se réjouissent ainsi
au milieu des opprobres !
Promenés
successivement à Ozaca et à Sacaia, les bienheureux
martyrs partirent de cette dernière
ville le 9 janvier 1597. « Le long de la route, ils prêchaient
Jésus-Christ avec beaucoup de zèle, dans tous les lieux de leur
passage, surtout le Père Martin de l'Ascension qui avait assez bien
appris la langue japonaise, et Paul Miki à qui elle était naturelle.
Il semblait d'ailleurs que le Saint-Esprit se fût emparé du cœur de
celui-ci, au moment où il fut arrêté prisonnier. Les gardes disaient
qu'il n'était presque pas possible de ne pas se rendre après l'avoir
entendu parler de sa religion, et un officier idolâtre en fit un
jour une heureuse expérience. Les martyrs
passant par le Naugato furent consignés en arrivant un soir
fort tard à cet officier, homme dur jusqu'à la brutalité. Il les
traita avec une inhumanité extrême, et les renferma tous ensemble
comme on aurait fait d'un troupeau de bêtes, dans une espèce
d'étable obscure, d'une malpropreté et d'une puanteur
insupportables. Miki, plus touché de ce qu'il voyait souffrir à ses
compagnons, et surtout aux trois enfants dont nous avons parlé, que
de ce qui le regardait, chercha l'occasion de voir cet officier et
la trouva. Il lui parla du vrai Dieu et lui dit des choses si
touchantes, que non-seulement il lui inspira de l'humanité, mais
qu'il le convertit même et en fit un fervent chrétien. La même chose
lui arriva en plusieurs autres endroits ; et les bonzes se
plaignirent hautement de ce que l'empereur prenait pour abolir le
Christianisme, des moyens qui étaient bien plus capables de
l'étendre dans les lieux 'où il n'était point établi. »
(Charlevoix, Histoire du
Japon,
t. IV, p. 81, édition de Paris, 1754.)
Avant d'arriver à
Facata, le bienheureux Paul Miki écrivit en ces termes au père
vice-provincial de sa compagnie :
« Nous ne désirons plus qu'une seule
chose en cette vie, c'est de pouvoir nous confesser et communier une
fois avant d'arriver à Nagasaki. Les Pères franciscains ne
connaissant pas encore suffisamment notre langue, il ne nous est pas
facile de leur exposer entièrement l'état de notre conscience. Ce
serait une grande consolation pour nous d'avoir pour nous entendre
le père François Pasio. »
Partis de Facata
le 1er février 1597, les bienheureux
arrivèrent à Carazu, où les attendait un des principaux officiers,
nommé Fazamburo, qui devait, à partir de cet endroit, conduire les
condamnés jusqu'à Nagasaki et présider à l'exécution. Ce haut
fonctionnaire avait été lié d'amitié avec Paul Miki. Aussi dès qu'il
l'aperçut, il le salua et lui témoigna combien il était affligé de
son sort. Mourir pour la loi de Dieu, répondit Paul, ce
n'est pas un sort qu'on doive déplorer. Je ne vous demande qu'une
seule chose, et je vous la demande instamment, c'est qu'à Nagasaki
vous m'accordiez quelques moments pour me confesser, et pour
communier. Les Pères franciscains firent la même demande.
Lorsque, arrivé
au lieu du supplice, il aperçut la croix qui lui était destinée, il
dit à la foule des spectateurs : « C'est pour avoir prêché la loi
de Jésus-Christ que j'ai été arrêté. Embrassez-la, cette religion
sainte, et que rien ne puisse jamais vous la faire abandonner :
sauvez vos âmes. Quant à moi, c'est aujourd'hui ma pâque. Oh! que
Dieu est bon pour moi ! » Les Japonais essayèrent en ce moment
de lui baiser les habits ; mais il ne le permit pas. Et comme les
Portugais qui se trouvaient présents venaient aussi pour les lui
baiser, l'humble martyr s'éloigna d'eux en témoignant la peine que
lui causaient ces marques de vénération.
Mais fidèle à remplir jusqu'au bout le ministère de la prédication,
il adressa de nouveau à la foule des spectateurs de salutaires
paroles. Puis, le visage rayonnant de joie, il quitte ceux qui
l'entourent et s'avance courageusement jusqu'à la croix sur laquelle
il va expirer. On l'y attache, on l'élève; et du haut de cette
chaire, l'admirable prédicateur songe encore à sauver des âmes, à
faire triompher la foi qu'il va sceller de son sang. La relation du
Père Froès fait ainsi mention de ce mémorable discours : « Le
bienheureux Paul Miki, se voyant sur la plus glorieuse chaire qu'il
eût jamais occupée, déclara d'abord qu'il était membre de la
compagnie de Jésus, qu'il était mis à mort pour avoir prêché
l'Évangile, et qu'il rendait grâces à Dieu pour un si grand
bienfait. Puis il ajouta : Arrivé au terme où vous me voyez, je
ne pense pas qu'aucun de vous me croie capable de trahir la vérité.
Eh bien, je vous le déclare, il n'y a point d'autre moyen de salut
que la religion chrétienne. Et comme cette religion nous ordonne de
pardonner à nos ennemis, et à tous ceux qui nous ont offensés, je
pardonne, quant à moi, très-volontiers à l'empereur et aux auteurs
de ma mort. Je les conjure de recevoir h baptême. Après quoi
tournant les yeux vers ses glorieux compagnons, il se mit à les
encourager dans ce suprême combat. » Ayant ainsi achevé sa dernière
prédication, il adresse en particulier la parole à
quelques-uns des chrétiens, et avec une parfaite placidité d'esprit,
il les charge de saluer de sa part certaines personnes absentes.
Puis, pendant qu'il répète ces paroles. Mon Dieu, je remets mon
âme entre vos mains. Saints de Dieu, venez à notre secours, il
reçoit le double coup de lance.
Pierre Baptiste
Prêtre et religieux franciscain
Né en Espagne à
San Estevan, il était arrivé à cette première jeunesse où le monde
fait scintiller ses plus brillants mensonges, lorsqu'il prit la
généreuse résolution de le fouler aux pieds, en embrassant
l'institut du séraphique saint François. Après le noviciat et les
études, il fut élevé au sacerdoce. Dès lors il brillait dans son
ordre comme un rare modèle de science et de sainteté. Le feu de
l'amour divin travaillait cette âme, où il ne trouvait point
d'obstacle, et y formait l'or pur des vertus héroïques, comme pour
la façonner de loin à la sublime vocation du martyre. Les divers
emplois qui lui furent successivement confiés, avaient mis en
évidence, malgré son humilité, les trésors de grâce dont il s'était
rapidement enrichi. On le choisit pour la mission des Indes, et il
remplit à Manille la charge de gardien, c'est-à-dire, de
supérieur d'un couvent de son ordre. Plus tard on lui confia celle
de commissaire, qui est d'une juridiction plus étendue. Mais
Dieu qui voulait élever et embellir de plus en plus cette âme
d'élite, selon les grands desseins qu'il avait sur elle, lui donnait
un attrait irrésistible pour la solitude et la contemplation. Comme
Jésus, avant les trois années d'apostolat que devait terminer le
crucifiement fut conduit par l'esprit dans le désert, ainsi
le bienheureux Pierre-Baptiste, avant cette mission, qu'il devait
achever, lui aussi, sur une croix, se sentit fortement poussé à
s'enfoncer dans un désert de vie contemplative, où son
âme plus libre de tous soins et de toutes distractions put se
plonger et se liquéfier dans la fournaise de l'amour divin. Dans ce
but, il demanda et obtint d'être déchargé de ses fonctions de
commissaire. C'était, dans les desseins de Dieu, la dernière
préparation. Le jour vint, où le même esprit qui l'avait poussé à la
solitude, l'en retira et tourna les flammes de son zèle vers le
Japon.
Qu'importe que des relations inexactes sur la situation véritable de
cette contrée soient entrées pour peu ou pour beaucoup dans la
formation de ce dessein? Ce sont là des causes secondes dont Dieu se
sert quelquefois pour arriver à ses fins. On a déjà vu comment sous
la conduite du bienheureux Pierre-Baptiste les enfants de Saint
François vinrent, à travers les entraves d'une persécution déjà
menaçante, commencer au Japon
cet apostolat tout de feu, qui jetait les
païens dans l'admiration et les convertissait en foule. Dieu avait
accordé le don des miracles au chef de cette sainte milice comme le
prouve le fait suivant, rapporté par les Bollandistes : Une jeune
fille japonaise, dont le père se nommait Corne Gioia, était atteinte
d'une affreuse lèpre. On l'amena au bienheureux Pierre-Baptiste.
C'était le jour de la Pentecôte. Le saint religieux, touché de
compassion en la voyant, se mit à prier, et la jeune fille fut
subitement guérie. Au même instant des langues de feu parurent sur
la tête de tous ceux qui étaient présents. Plus tard, tous ces
heureux spectateurs confessèrent la foi : les uns en versant leur
sang en compagnie du bienheureux Pierre-Baptiste ; les autres par la
perte de leurs biens. Tel est le valeureux capitaine que nous allons
voir bientôt mener au combat et à la victoire l'héroïque troupe des
martyrs
de Nagasaki.
Martin d’Aguire ou de l’Ascension
Prêtre et religieux franciscain
Au rapport de
Barezzo, il était né à Vergara, dans la province de Guipuscoa ; et
cet historien est en cela d'accord avec la relation rédigée par
l'ordre d'Urbain VIII, et mentionnée plus haut. On y lit ces mots :
« Le frère Martin de F Ascension, ou d'Aguirre, prêtre,
prédicateur et professeur de théologie, était de la « ville de
Vergara, dans la province de Guipuscoa, en Espagne. » C'est
aussi le sentiment suivi parle général actuel de l'ordre des
Franciscains, comme l'atteste sa circulaire du 8 septembre 1861. Il
est donc probable que le père Jésuite Froes s'est trompé en le
faisant natif de Varanguela en Biscaye. Quoique le bienheureux
Martin de l'Ascension eût déjà rempli les fonctions de prédicateur
et de professeur de théologie, il n'était âgé que de trente ans
lorsqu'il alla cueillir au Japon la
palme du martyre. « II savait assez bien la langue japonaise, et
prêchait avec un grand zèle et beaucoup de fruit. » (Hist. du
Japon, par le P. de Charlevoix, t.
IV, p. 55, édit. Paris, 1754.) Pendant que les bienheureux étaient
conduits à Nagasaki, lieu du supplice, c'est lui surtout qui les
exhortait à la constance, et s'excitait avec eux à bénir Dieu d'une
si grande faveur. La Providence a permis qu'une de ces exhortations
nous ait été conservée. Elle fut traduite en japonais durant le
trajet même, et ce précieux écrit fut trouvé sur la poitrine d'un
des vingt-six martyrs crucifiés. Froes
l'a publiée en latin. Nous la donnons d'après ce texte : « Mes
frères, regardons-nous comme de grands pécheurs, et comme incapables
de reconnaître le prix du bienfait dont Dieu nous favorise par cette
affliction passagère. Un grand nombre de Saints, et en particulier
saint François, ont soupiré avec ardeur après la couronne du martyre
; et il ne leur a pas été donné d'y arriver. Cette couronne, voilà
que Dieu nous l'offre. Et il veut nous la faire conquérir, non par
un moyen quelconque, mais « par l'instrument de la croix ! Jésus
aimait ardemment les Apôtres ; et cependant c'est à deux ou trois
seulement qu'il a daigné accorder la faveur de mourir sur la croix.
Parmi les autres Saints, les uns ont eu la tête tranchée, les autres
ont été plongés dans des chaudières bouillantes ; on en a fait
mourir plusieurs parle feu ; et d'autres dans des étangs glacés ;
ceux-ci ont été coupés en morceaux; ceux-là, sciés par le milieu du
corps ; d'autres jetés dans des précipices. Pour nous, mes frères,
quoique indignes de cette faveur, voilà que nous avons en partage et
qu'on nous prépare l'instrument triomphal sur lequel le Fils de Dieu
a expiré pour le salut du monde ! C'est là un privilège si grand,
que l'intelligence des Anges ne suffirait pas pour l'apprécier
dignement. C'est pourquoi, préparons-nous à supporter avec courage
tous les tourments que les bourreaux vont nous faire subir.
Armons-nous du souvenir de la glorieuse passion de Jésus : lui,
exempt de tout péché, puisqu'il était la sainteté infinie, a voulu
néanmoins pour notre salut endurer les tourments et les ignominies.
Oui, Dieu use à notre égard d'une miséricorde infinie. Pour un seul
péché mortel nous avons mérité la peine éternelle de l'enfer, et il
daigne nous la commuer en cette peine d'un moment. Implorons, mes
frères, le secours de la grâce ; car l'homme est faible par
lui-même, et il lui est difficile parles seules forces de la nature
de supporter les tourments. Ayons recours à la très- « sainte Mère
de Dieu, qui est le refuge des pécheurs, au glorieux saint François,
à notre saint Ange gardien, à tous les Saints : conjurons-les
d'intercéder pour nous. » Ces discours du bienheureux Martin
animaient les confesseurs de la foi, et leur causaient une grande
consolation. Sa croix se trouva placée la douzième eu partant de
l'orient, c'est-à-dire, immédiatement après celle du bienheureux
Pierre-Baptiste et à sa droite ; comme si le ciel, en ménageant
cette circonstance, eût voulu attester qu'il était le digne
lieutenant de son digne capitaine.
C'est encore sur
le sol de l'Espagne, si fertile en saints, que cet apôtre avait été
préparé et mûri pour la gloire du martyre. Il était né à Monte-Rey,
en Galice, et avait à peine atteint sa trentième année, lorsqu'il se
dirigea vers cette terre lointaine du Japon,
pour la réchauffer des ardeurs de son zèle et la fertiliser de son
sang. Renfermé, avec ses glorieux compagnons, dans la prison de
Méaco, il attendait d'un moment à l'autre le signal du départ pour
Nagasaki, où ils devaient être crucifiés, lorsqu'il écrivit ces
lignes, adressées à un de ses amis, et que les Bollandistes ont
reproduites (premier tome de février, page 756, n° 82) : « Nous
sommes en perpétuelle attente du moment où il nous sera donné de
verser notre sang pour l'amour de notre divin Sauveur. C'est ce qui
nous cause une immense joie. Elle est augmentée par la consolation
de voir les chrétiens si fervents, qu'ils souffrent du retard, et
qu'à leur gré les bourreaux sont trop lents à venir. Nous en
sommes stupéfaits : ils accourent en nombre de Fucimo et des
montagnes éloignées. Ils disent hautement : « Si
les chrétiens sont condamnés à mourir à cause de leur foi, nous
voulons partager le même sort : nous aussi nous sommes chrétiens. On
ne nous permet pas de communiquer avec eux. J'ai honte de moi-même
en voyant des hommes si récemment entrés dans le sein de l'Église,
montrer un tel courage en face de la mort. »
Lorsqu'il se vit
élevé sur l'instrument de son supplice, il parut surabonder de
joie ; et il attendit ainsi le double coup de lance. Sa croix se
trouvait la quinzième en partant de l'orient.
Ce jeune
religieux qui cueillait la palme du martyre
H l'âge de vingt-trois
ans, est un des plus frappants exemples de ces innocences plusieurs
fois naufragées, que la grâce non-seulement n'abandonne pas malgré
les inconstances et les rechutes, mais qu'elle se plaît, une fois
victorieuse, à élever rapidement à une perfection
sublime el à décorer de ses faveurs les plus privilégiées. Aux
chrétiens presque abattus et désespérés, à la pensée de conversions
souvent réitérées et autant de fois ruinées, on dira désormais :
Songez au bienheureux Philippe de Jésus, et que votre âme s'ouvre à
la confiance.
Il était né à
Mexico, de parents espagnols. Dès les premières années de sa
jeunesse, l'infortuné, se laissant séduire aux attraits de la
volupté, but à la coupe empoisonnée ; et bientôt sou enivrement fut
tel qu'il dépassa les plus emportés par ses folies et ses désordres.
Sa famille désolée, après toutes les autres tentatives inutiles,
prit le parti extrême de le repousser de son sein comme un objet
déshonorant dont on a horreur. Ce traitement sévère fut comme un
coup de tonnerre, qui fit rentrer en lui-même le malheureux enfant
prodigue. Il pleura, il revint à Dieu, et trop instruit par sa
triste expérience des dangers du monde, il alla se jeter aux pieds
des enfants de Saint-François, revêtit leur humble bure et s'enrôla
dans leur milice. Mais l'ennemi du salut l'y avait suivi; et pour
ressaisir cette âme qui lui échappait, il redoubla ses artifices les
plus captieux, ses attaques les plus acharnées.
Le malheureux
jeune homme lutta quelque temps. Bientôt, infidèle à la grâce, il
rendit les armes, et quitta le saint habit
pour retourner dans le siècle. Toutefois, les jours de son noviciat
ne devaient pas lui être inutiles; ils furent sa planche de salut.
Il avait vu de ses yeux et dans sa réalité la plus intime la
sainteté de ces enfants du séraphique saint François. Les admirables
exemples de leur vertu lui avaient laissé au cœur une impression
profonde, et l'image du couvent, ce paradis de la terre, que le
monde ne soupçonne même pas, se représentait souvent à son esprit.
On conçoit le chagrin de sa famille en voyant le malheureux jeune
homme retourner en arrière, et sa trop juste crainte qu'il ne se
précipitât de nouveau dans ses anciens désordres. Elle résolut de
l'éloigner, et dans ce but elle le fit passer eu Chine pour y faire
le négoce. Là, le jeune de «Las Casas, abandonné à lui-même,
environné de toutes les séductions du plaisir, et sans aucune gêne,
aucun frein qui puisse le retenir, se met à considérer le péril
extrême où il se trouve, et il en est effrayé. Le souvenir du
couvent se ravive ; la pensée d'assurer à tout prix le salut de son
âme l'emporte : c'en est fait, la grâce a reconquis cette fois pour
toujours le jeune égaré : ce saint habit, qu'il a si lâchement
quitté, il est résolu de le reprendre. C'est dans le couvent de
Manille, nommé le monastère des Anges, que les Franciscains
de là réforme de saint Pierre d'Alcantara, vont, sans le
savoir, serrer dans leurs bras un saint et un martyr. Il se hâte de
mettre ordre aux affaires de son négoce ; et le voilà de nouveau
enrôlé dans la milice sainte. On ne tarde pas à s'apercevoir que les
ardeurs de l'amour divin ont transformé cette âme. Le frère Philippe
de Jésus ne court pas, il vole dans le chemin de la perfection. A
l'heureuse nouvelle de ce changement, ses parents au comble de la
joie demandent à le voir une dernière fois ; et le père commissaire,
croyant devoir leur accorder cette consolation, donne ordre au frère
Philippe de partir pour Mexico. Dans les desseins de Dieu, cet ordre
n'était pas pour que le frère Philippe de Jésus revît ses parents,
mais pour l'envoyer au martyre. Un gai- lion commandé par dom
Mathias de Landecho appareillait pour la Nouvelle-Espagne. Le jeune
religieux monte à son bord. On part. Le pilote dirige vers
l'Amérique; mais un pilote supérieur, qui commande aux vents et aux
flots, avait un autre but. Pendant le voyage, ou aperçut un jour
dans le ciel du côté du Japon une
croix blanche, de la figure de celles qui sont en usage dans ce pays
pour le supplice des criminels. Au bout d'un quart d'heure cette
croix devint rouge; et après un autre quart d'heure un nuage obscur
vint la dérober aux regards. Tout l'équipage fut témoin du
phénomène, et le frère Philippe de Jésus comprit
que la palme du martyre lui était destinée. Nous avons raconté
précédemment comment la tempête et les vents endommagèrent ce navire
à la hauteur du port japonais de Firando et le forcèrent à y
relâcher. Le bienheureux Philippe de Jésus était sur la terre
japonaise qu'il devait bientôt arroser de son sang. Il fut envoyé au
couvent des Franciscains de Méaco, et il se disposait à recevoir les
ordres sacrés des mains de l'évêque du
Japon,
lorsqu'on mit des gardes à ce couvent, et qu'il se trouva compris
dans la liste des privilégiés, qu'atteignait l'édit de mort prononcé
par le tyran Taïcosama. Arrivé sur cette colline de Nagasaki, où la
sainte milice allait consommer son triomphe, et voyant la croix qui
lui était destinée, il se mit à genoux, pour l'embrasser, et
s'écria : O bienheureux navire, ô aiglon, à jamais béni, dont
l'infortune, loin de m avoir été préjudiciable, m a procuré le plus
précieux de tous les biens ! Dans cette croix destinée au
bienheureux Philippe de Jésus, on avait mal placé la pièce
transversale du milieu, destinée à servir comme de siège au patient
et à soutenir le poids de son corps. L'ouvrier ayant mal pris ses
mesures l'avait fixée trop bas. Quand on eut élevé la croix, où le
martyr était attaché, au moyen d'anneaux de fer, au cou, aux bras et
aux pieds, son corps ne se trouvant pas appuyé, l'anneau du cou
l'étranglait. Il criait : Jésus ! Jésus ! Le magistrat s'en
étant aperçu, se hâta de le faire percer de trois coups de lance,
avant qu'il fût suffoqué. En sorte qu'arrivé le dernier au
Japon,
il entra vainqueur le premier de tous
dans la céleste patrie. Sa croix fut la treizième, à partir de
l'orient.
Gonçalo Garcia
Frère lai,
religieux de l’Orde des franciscain
Il était né à
Bazaiu, dans les Indes orientales, d'un père portugais et d'une mère
indienne. Ayant passé plusieurs années à faire le commerce au
Japon, il en avait parfaitement appris
la langue, et l'on peut croire que ce ne fut pas sans un dessein
particulier de Dieu, puisqu'il était destiné à devenir un jour
l'interprète du bienheureux père Pierre-Baptiste, dont il fut le
compagnon inséparable jusque sur la croix. Il fit, on ne sait à
quelle occasion, un voyage aux Philippines. Là, Dieu l'attendait
pour l'enrichir de trésors tout différents de ceux qu'il avait
amassés. Il eut le bonheur de connaître les Franciscains et d'entrer
en relation avec eux. Ils étaient, comme nous l'avons déjà dit, de
la réforme austère de saint Pierre d'Alcantara.
Qu'elle est puissante la prédication muette de la véritable pauvreté
évangélique ! A la vue de ces mendiants volontaires de Jésus-Christ,
le riche commerçant Gonçalo Garcia fut touché. Ces biens terrestres,
qu'il avait recherchés et accumulés avec passion et au prix de tant
de travaux, commencèrent à se décolorer à ses yeux. Il finit
par les mépriser, et ne crut pas acheter trop cher par leur complet
sacrifice le bonheur de la vie religieuse. Une fois revêtu de la
bure, sa ferveur alla toujours croissant et ne se démentit jamais.
Le bienheureux Pierre-Baptiste le choisit pour l'accompagner au
Japon.
On savait dans ce pays les grandes richesses que Gonzalez avait
abandonnées pour devenir le pauvre de Jésus-Christ. Taïcosama
lui-même en était informé. Il fut frappé de cet exemple, et l'on dit
qu'il avait pris ce religieux en affection et le voyait volontiers.
Lorsqu'on eut élevé la croix à laquelle il était attaché, il se mit
à prêcher la foi avec véhémence, exhortant les Japonais à
reconnaître la vérité de la religion chrétienne. Mais s'abîmant
jusqu'au bout dans les sentiments de l'humilité la plus profonde,
lorsque percé de deux lances il était sur le point d'expirer, on
l'entendit proférer les paroles du bon larron : Seigneur,
souvenez-vous de moi (Domine, memento mei), comme pour se
déclarer pécheur et digne par les égarements de sa vie passée, de la
mort qu'il subissait. Sa croix fut la quatorzième à partir de
l'orient.
Né à Padilha, non
loin de Valladolid, dans le diocèse de Palencia, il entra d'abord
chez les Cordeliers, et vécut quelque temps parmi eux avec une
grande réputation de sainteté. C'était une de ces âmes d'élite que
le feu de l'amour de Dieu dévore, et qui cherchent à lui offrir
l'holocauste le plus complet. Sachant que les Franciscains de
l'étroite observance, dont saint Pierre d'Alcantara fut le
fondateur, suivaient un institut plus sévère, il désira et obtint de
passer dans cette autre branche de la grande famille de saint
François. Là, de nouveaux progrès dans la perfection préparèrent le
saint religieux aux hauts desseins que Dieu avait sur lui. Ils ne
tardèrent pas à s'accomplir. Il fut du nombre de ceux qu'on envoya
aux îles Philippines ; et sur ce nouveau théâtre ses vertus
brillèrent d'un admirable éclat. Dieu lui conféra le don des
miracles, et les Bollandistes, d'après les historiens, rapportent
les deux suivants : une femme indienne était à l'extrémité. Elle ne
parlait plus, et l'on pensait qu'elle allait rendre le dernier
soupir. Le bienheureux fit un signe de croix sur sa bouche. A
l'instant elle recouvra la parole, demanda le baptême et eut le
bonheur de le recevoir. Un Indien avait été piqué à la jambe par un
de ces terribles serpents, si nombreux dans ce pays, et dont le
venin est mortel. Déjà la jambe était enflée. Le Frère François y
fit un signe de croix, et la guérison fut instantanée.
Son oraison était
continuelle, et la flamme d'amour qui brûlait dans son âme, trop
vive pour qu'il pût la tenir cachée, se reflétait au dehors sur ses
traits. Mais ce qu'il y eut surtout d'admirable en lui, ce fut son
ardente soif du salut des âmes. Aussi les fruits de son zèle furent
immenses. C'est lui, nous disent les historiens, qui opérait les
conversions en plus grand nombre. Sa mémoire était si prodigieuse,
qu'on ne douta point que ce ne fût un don surnaturel. Tout ce qu'il
avait lu ou entendu, il le retenait exactement et sans aucune peine.
Et le peu de temps qu'il lui fallut pour apprendre parfaitement la
langue japonaise, confirma dans la pensée qu'il en avait reçu la
science infuse. Voyant tous ces dons précieux du frère François de
Saint-Michel, et surtout son ardent désir de travailler au salut des
âmes, le Père commissaire, le bienheureux Pierre-Baptiste ne balança
pas à l'emmener avec lui au
Japon.
On ne saurait dire avec quelle ardeur
il se mit à l'œuvre. Lorsque ces grossiers païens ne pouvaient
comprendre par ses paroles les mystères de notre sainte foi, son
zèle lui suggérait de leur en donner l'intelligence par des
représentations matérielles. Nous citerons comme exemple ce qu'il
fit à Méaco pendant la semaine sainte. Il avait préparé le monument
où, selon nos saints rites, l'auguste sacrement doit être déposé le
jeudi saint. Les Japonais regardaient ces préparatifs et n'en
pouvaient comprendre le but, malgré ses explications réitérées. Dans
la matinée du jeudi saint, ayant achevé de disposer les lampes, les
cierges et tout le reste de l'ornementation, il se dépouilla de ses
habits jusqu'à la ceinture, se fit attacher les mains derrière le
dos par un de ces spectateurs païens, et lui dit de le frapper
fortement et sans pitié avec des cordes. Le Japonais exécuta
ponctuellement, et bientôt les épaules du bienheureux furent en sang
et couvertes de meurtrissures. Pendant qu'il recevait cette grêle de
coups, il serrait son crucifix, et conjurait le divin Sauveur
d'ouvrir les yeux de l'âme à ces pauvres païens, et de leur faire
comprendre, par cette faible image des douleurs de la passion, les
mystères de notre sainte foi. C'est ainsi que ce vaillant athlète
avait préludé au grand combat qui l'attendait. Il soupirait après le
martyre ; et quand le moment en fut venu, on le vit éclater en
transports de joie, qui durèrent sur l'instrument du supplice
jusqu'au double coup de lance, et allèrent continuer au ciel, pour
ne jamais finir. Bienheureux François de Saint-Michel, prenez pitié
de notre misère, et laissez tomber du ciel dans nos âmes, une
étincelle de vos ardeurs ! Sa croix se trouvait la seizième à partir
de l'orient.
Les dix-sept Japonais laïques,
du Tiers-Ordre
des Franciscains
Il était du
royaume d'Oaris et avait reçu depuis peu le baptême. La relation du
Père Froès dit que sa profession était d'aiguiser les glaives. Il
aidait les Pères franciscains en qualité d'interprète, lorsqu'il fut
arrêté avec le bienheureux Martin de l'Ascension à Ozaca. Les
Bollandistes (au premier tome de février, page 738) relatent
plusieurs autres noms sous lesquels on le trouve désigné chez divers
historiens ; et cette variété de dénominations se rencontre aussi
pour quelques autres de ces bienheureux
martyrs. La bulle d'Urbain VIII, du 14 septembre 1627, qui
met au rang des bienheureux vingt-trois de ces martyrs japonais, ne
relate point leurs noms ; après avoir mentionné les six religieux
profès de l'ordre de Saint- François, elle se contente de désigner
ainsi les dix- sept autres : « Cœterivero ldici,familiares et
coadjutores eorumdem sexprofessorum erant (les autres qui
étaient laïques, aidaient les Pères franciscains et vivaient avec
eux). » Le lecteur ne doit donc pas être surpris de trouver quelques
différences dans la manière de nommer quelques-uns de ces glorieux
martyrs.
La croix du
bienheureux Côrne Tachegia se trouva la deuxième du côté de
l'orient.
Originaire du
royaume d'Isc, il habitait dans le voisinage du couvent des Pères
franciscains. La relation de Froès nous fait connaître qu'il était
fabricant de flèches. Il était le père de Thomas Cozaki, l'un de ces
trois admirables enfants dont nous parlerons bientôt; et par un
privilège bien rare, cet heureux père eut le bonheur de voir son
cher fils cueillir avec lui la palme du martyre. Leurs croix ne se
trouvèrent pas à côté l'une de l'autre. En suivant de l'orient au
couchant la ligne sur laquelle on avait rangé les saints
martyrs, la croix de Michel Cozaki se
trouvait la quatrième, et celle de son fils la vingtième. Peut-être
Dieu voulut-il, pour embellir sa couronne, lui faire joindre au
sacrifice de sa vie, celui de ne pas reposer son dernier regard sur
son cher enfant. Mais qui dira les joies de leurs embrassements,
lorsque vainqueurs ils s'envolèrent tous deux à la céleste patrie !
II était du
royaume d'Oaris et avait reçu depuis peu le baptême. Il remplissait
auprès des Pères franciscains l'office d'interprète. Sa croix se
trouva placée la septième en partant de l'orient, entre celles des
deux Jésuites japonais Paul Miki et Jean de Goto. Il eut le bonheur
d'y confesser courageusement la foi, jusqu'au double coup de lance,
qui fit entrer sou âme victorieuse dans les joies du triomphe
éternel.
C'était le frère
cadet du bienheureux Paul Ibarki ; mais il était chrétien depuis
huit ans, tandis que son frère Paul, ainsi qu'il a été dit, n'avait
reçu le baptême que peu avant son martyre. Un historien l'appelle
le grand serviteur de Dieu, Léon. Il était catéchiste et le
principal interprète des Pères franciscains. On admirait son zèle
pour les œuvres de charité, en particulier pour le soin des malades
incurables. Sa croix fut la dix-huitième à partir de l'Orient.
Parmi les
chrétiens condamnés à mourir, il y avait trois enfants : Louis,
baptisé seulement depuis quelques jours, Antoine et Thomas. Ils
servaient à l'autel chez les Pères de Saint-François et avaient été
mis des premiers sur la liste. 11 n'avait tenu qu'à eux de
n'y être pas. On avait même refusé d'abord d'y mettre le petit Louis
; mais il fit tant par ses pleurs et par ses prières qu'il obtint
d'être inscrit. Pendant qu'il était en prison avec les autres
confesseurs de la foi, un païen de distinction alla le trouver, et
lui promit de le délivrer s'il voulait renoncer au baptême :
l'enfant répondit avec fermeté : C'est au contraire vous qui
devez vous faire chrétien, puisqu'il n'y a pas d’autre moyen de se
sauver. Le décret du tyran Taïcosama portait qu'on couperait aux
condamnés le nez et les deux oreilles. Mais on se contenta de leur
couper le bout de l'oreille gauche. Le petit Louis supporta ce
commencement de torture, non-seulement sans la moindre faiblesse,
mais avec un air de joie céleste, qui jetait les spectateurs dans la
stupéfaction. Lorsqu'on eut mis les bienheureux sur des chars, pour
les promener dans les rues de Méaco, les regards se portèrent
surtout sur les trois enfants, qui, semblables à des anges, les
mains liées derrière le dos, et le visage rayonnant de joie,
chantaient d'une voix claire et assurée l'oraison dominicale, la
salutation angélique et d'autres prières. La foule, ne pouvant
contenir son émotion à ce spectacle, éclatait partout en pleurs et
en sanglots.
La bienheureuse
troupe des martyrs, dirigée vers
Nagasaki, était arrivée à Carazu, où l'attendait
un officier supérieur nommé Fazamburo, chargé de la conduire
jusqu'au lieu du supplice. Ce gentilhomme avait été lié d'amitié
avec Paul Miki, l'un des bienheureux captifs ; et dans le but de le
délivrer, il s'efforçait de lui faire abjurer la foi. Ne pouvant
rien gagner, il s'approcha du petit Louis. L'âge si tendre de cet
enfant l'avait touché de compassion. — Mon enfant, lui
dit-il, votre vie dépend de moi. Si vous voulez entrer à mon
service, je vous délivrerai. — L'enfant répondit : Je ne
décide rien de moi-même ; je ferai ce que le Père Pierre jugera bon.
Le bienheureux Pierre-Baptiste, ce digne et admirable chef de la
glorieuse milice, dit à l'officier : II acceptera votre
proposition, pourvu qu’il lui soit permis de rester chrétien
Non, repartit Fazamburo, il faut qu’il abandonne la
foi chrétienne. Alors le petit Louis répondit sans hésiter :
A cette condition, je ne
désire point de vivre ; car pour cette courte et misérable vie, je
perdrais une vie éternellement heureuse.
Dès qu'on fut
arrivé au lieu du supplice, il demanda quelle était sa croix ; et
quand les exécuteurs la lui eurent indiquée, il y courut avec un
transport de joie, qui émut et frappa d'admiration tous les
spectateurs.
Ces généreux
martyrs attachés à leurs croix furent
élevés de terre à peu près en même temps. et l'on
vit alors une céleste joie rayonner sur leurs visages. Mais nul ne
la fit éclater plus vivement que le petit Louis. Il la manifestait
par ses yeux, parle sourire de ses lèvres et le mouvement
significatif de ses doigts. C'est sur lui principalement, nous dit
un historien, que se portèrent les regards de la foule. Le double
coup de lance vint percer sa poitrine, et cet ange de la terre alla
joindre les anges du ciel. Bienheureux enfant, qu'il nous soit donné
de vous voir un jour! Sa croix était placée la neuvième à côté de
celle d'Antoine, cet autre enfant qui servait à l'autel avec lui. Et
tous deux se trouvaient ainsi tout près du bienheureux
Pierre-Baptiste, du côté de son cœur.
Antoine
enfant de 13
ans
Il était né à
Nagasaki, d'un père chinois et d'une mère japonaise. Ses heureuses
qualités le rendirent particulièrement cher au bienheureux Pierre-
Baptiste supérieur des Franciscains, qui l'employait à servir les
messes avec le petit Louis. Lorsqu'on vint dans le couvent d'Ozacapour
y faire les arrestations prescrites par le gouverneur de cette
ville, il eût été
facile à ces deux
enfants de fuir avant qu'on eût mis la main sur eux. Mais ils
résolurent de se laisser prendre, et de suivre leurs maîtres dans
les fers et jusqu'à la mort. Ils furent donc arrêtés, et on leur lia
les mains derrière le dos. En cette posture, ils se mirent à marcher
en tête des autres captifs, faisant éclater une joie et une ferveur
qui ne se démentirent pas un seul instant. Cependant une épreuve
terrible attendait le jeune Antoine à Nagasaki. Son père et sa mère
habitaient cette ville. Au moment où il approchait du lieu du
supplice, il les voit venir à sa rencontre, abîmés de douleur et
fondant en larmes. Ce n'est pas qu'ils ne fussent chrétiens et
qu'ils n'eussent même d'abord béni Dieu, d'avoir réservé à leur
enfant la couronne du martyre. Mais en ce moment, la tendresse
naturelle prenant le dessus, ils chancellent ils faiblissent et
veulent sauver leur cher fils. Ils le conjurent de ne pas se livrer
ainsi à la mort à l'entrée de l'adolescence ; d'attendre pour
confesser la foi un âge plus avancé, ajoutant que les occasions ne
lui manqueraient pas un peu plus tard. Et à ces supplications ils
joignaient le déchirant spectacle de leurs gémissements et de leurs
larmes. L'admirable enfant, qui ne se ressentait point de la
faiblesse de son âge, parce que la grâce lui communiquait
intérieurement la fermeté de l'âge viril, comprit tout le danger des
embûches que lui tendait la rage du démon par l'intermédiaire de ses
parents. Il leur répondit : «J'ai la ferme confiance que Dieu me
donnera le courage de sortir vainqueur de cette lutte. Cessez donc
vos conseils et vos supplications ; et n'exposez pas ainsi notre
sainte foi au mépris et à la risée des païens. Vos tentatives
seraient inutiles : je suis résolu de verser mon sang pour le
triomphe de la foi chrétienne. » Le magistrat qui présidait à
l'exécution avait remarqué cette scène ; et ne pouvant contenir son
émotion, il s'approcha du petit Antoine et lui dit :
« Ne résistez pas aux sollicitations
de vos parents. Il est vrai qu'ils sont pauvres ; mais je vous
prendrai dans ma maison et vous traiterai comme mon propre fils. Je
vous promets de vous obtenir de Taïcosama de grandes richesses et
les distinctions les plus honorables. »
L'enfant repousse
ce nouvel assaut : Ne serait-ce pas une insigne folie, répond-il, de
préférer ces avantages d'un moment à des biens éternels ? Mais
puisque vous me promettez ces faveurs, dites-moi, consentez-vous à
ce que j'en jouisse dans la maison des religieux, en les partageant
avec le père Pierre et avec les siens ? — Nullement, dit le
magistrat, elles seront pour vous seul. — Eh bien, reprend l'enfant,
vous comprendrez bientôt combien je méprise vos promesses et la vie
elle-même. Le martyre ne me
fait pas peur : la croix où je vais être attaché ne me trouble
point. C'est au contraire ce que je désire uniquement, par amour
pour Jésus qui a voulu expirer aussi sur une croix pour nous
sauver. — En même temps il tourne le dos au magistrat, et détachant
le Queimon
suspendu à son côté, il le donne à sa mère en lui disant :
« Voilà pour vous consoler ; je
prierai Dieu pour vous au ciel. Ne me pleurez pas, mais pleurez
plutôt ces pauvres infidèles. Moi, je vais jouir à jamais de la vue
de mon Dieu, tandis que ces malheureux restent dans leur
aveuglement. Il ne faut pas qu'ils puissent croire que vous vous
affligez de me voir mourir pour Dieu. Vous devez au contraire vous
en réjouir, puisque lui-même est mort pour nous. »
Lorsqu'on eut
élevé la croix sur laquelle il était attaché et qui se trouvait à
côté de celle du bienheureux Pierre-Baptiste, il invita ce père à
chanter avec lui le psaume, Laudate, pueri, Dominum. Le Père,
qui était absorbé et comme ravi en extase, ne répondit point. Alors
le saint enfant, avec une voix ravissante et toute céleste, entonna
tout seul le psaume ; et continuant de le chanter, il arrivait au
Gloria Patri, lorsque le fer de la lance perçant son cœur, il
alla terminer son cantique avec les anges dans le ciel. Et vous
aussi, héroïque enfant, obtenez-nous la grâce de vous voir un jour
clans la céleste patrie.
En racontant
l'histoire de Louis et d'Antoine, nous avons déjà fait connaître
celle du bienheureux Thomas. Ce fut la même ardeur, la même
allégresse, la même constance. Nous n'ajouterons que cette
particularité. Lorsqu'on lui coupait, comme aux autres captifs, le
bout de l'oreille, il dit au bourreau : Coupez-la plus haut, si
vous voulez, et rassasiez- vous à loisir du sang chrétien. Nous
avons déjà dit que cet admirable enfant eut le bonheur d'avoir
son père Michel Cozaki pour compagnon de son martyre. Élevés en
croix à peu près simultanément, au même moment aussi le coup de
lance leur ouvrait la céleste patrie. Heureux père, heureux enfant !
Mattias
Japonais
substitué à un autre du même nom
Ce Japonais,
baptisé depuis peu, dut au nom qu'il portait le bonheur de prendre
rang parmi les martyrs. Ce n'est pas
lui qui était sur la liste des condamnés, mais un autre Mathias. Et
celui-ci se trouvant absent lors de l'arrestation, l'autre fut mis à
sa place. Voici comment cette substitution eut lieu. Le gouverneur
de Méaco, pour se conformer à la volonté de l'empereur, donna ordre
de dresser une liste de tous les chrétiens qui s'étaient attachés
aux religieux de Saint-François, et appartenaient à leur communauté.
Cette liste atteignit le chiffre de cent soixante-dix. Ce nombre fut
jugé trop considérable. Il y eut ordre de remanier la liste en
demandant à chaque chrétien, s'il appartenait réellement à la
communauté des Pères. S'ils répondaient négativement, on devait
effacer leur nom : si leur réponse était affirmative, ils devaient
apposer eux-mêmes leur signature sur la liste. Mais cette fois
encore on aboutit à un chiffre qui parut trop fort.
Parmi tous ces
noms on en choisit douze, et la liste fut ainsi définitivement
fixée. Ordre fut donné d'arrêter ces douze chrétiens avec les cinq
religieux franciscains de Méaco. Ils devaient être joints à ceux
qu'on attendait d'Ozaca, puis envoyés tous ensemble à Nagasaki, pour
y être crucifiés, selon le décret de Taicosama.
On vint donc au
couvent des Franciscains pour exécuter ces arrestations. Chacun de
ceux dont le nom se trouvait sur la liste des douze, était appelé à
son tour. L'un d'eux, qui se nommait Mathias et qui était le
pourvoyeur du couvent des Franciscains pour les choses nécessaires à
la dépense de la table, se trouvait alors absent. Ne le voyant pas
comparaître, les exécuteurs criaient de tous côtés : Où est
Mathias ? Que Mathias se présente. Dans le voisinage du couvent
habitait un chrétien de même nom, et qui avait reçu depuis peu le
baptême. Entendant prononcer ce nom de Mathias, il se présente
sur-le-champ aux exécuteurs, et leur dit : Voici un Mathias : ce
n est pas celui que vous demandez ; mais moi aussi je suis chrétien
et l'ami de ces Pères. — Cela
suffit, dirent les exécuteurs ; c'est inutile d'en chercher
un autre. Ils l'arrêtèrent, et c'est ainsi qu'il eut le bonheur
d'être mis au nombre des martyrs.
On ne peut s'empêcher de lui appliquer ces paroles : « Le sort
tomba sur Mathias et il fut adjoint aux onze (Cecidit sors super
Mathiam, et annumeratus est cum undecim). » Quant à l'autre Mathias,
il ne fut point recherché. Le courage et la constance de ce
bienheureux substitué ne se démentirent pas un seul moment. Crucifié
entre le bienheureux François de Saint-Michel et le bienheureux Léon
Carasumaro, il persévéra jusqu'au coup de lance qui lui ouvrit le
ciel.
Il était encore
dans sa première enfance, lorsque ses parents le firent baptiser.
Devenu orphelin, au lieu d'être instruit de la religion chrétienne,
il fut élevé dans le paganisme, et s'enrôla même dans une secte de
bonzes. Mais un jour, faisant réflexion qu'il avait reçu le baptême,
il sentit tout à coup son âme éclairée et embrasée tout à la fois
par un rayon de lumière divine. Fidèle à cet appel intérieur de la
grâce, il alla
trouver les Pères franciscains, fut instruit, abjura ses erreurs et
rentra dans le sein de l'Église. Dès lors il ne voulut plus quitter
ses chers maîtres. Il vivait avec eux. les secondant et les servant
dans l'œuvre de leur apostolat, avec un zèle et une ferveur
admirables. Lorsqu'on dressa la liste définitive des chrétiens
attachés à la communauté des Franciscains, et qui devaient être
crucifiés à Nagasaki, son nom y fut inscrit. Sa constance fut
inébranlable. Percé du double coup de lance, il expira sur sa croix,
qui se trouvait la dix-neuvième, en suivant la ligne d'orient en
occident.
Un historien le
désigne sous le nom de François Sacquier, et dit qu'il était
médecin. Il avait quarante ans lorsque l'édit de Taïcosama vint lui
offrir la couronne du martyre. Il était d'Ozaca, et s'était attaché
aux Pères franciscains. Il est probable qu'il soignait les malades,
en qualité de médecin ou d'infirmier, dans les deux hôpitaux établis
par ces religieux. Il fut réputé appartenant à leur
communauté, puisque son nom fut inscrit en cette qualité sur la
liste privilégiée. La croix du haut de laquelle il monta victorieux
au ciel, se trouva la vingt-quatrième en allant d'orient en
occident, ou la troisième dans l'ordre inverse.
C'était un
médecin âgé de quarante-six ans. Zélé pour la foi qu'il avait eu le
bonheur d'embrasser, il composa quelques traités pour la défendre
contre les préjugés de sa nation. Il s'était, lui aussi, attaché aux
religieux de Saint-François, prêchant avec zèle et leur servant
d'interprète. La croix sur laquelle il expira martyr était la
vingt-deuxième à partir de l'extrémité orientale de la ligne, la
cinquième dans le sens opposé.
Il était de Méaco
et avait reçu le baptême depuis plusieurs années. Il servait
d'interprète aux Pères franciscains. On l'arrêta comme faisant
partie de leur communauté ; et il eut ainsi le bonheur d'être mis au
nombre des martyrs. La croix, de
laquelle il monta vainqueur au ciel, était la quatrième en partant
de l'occident, la vingt-troisième en partant de l'orient.
Jean Kimoia
(appelé aussi
Quizuya)
Il était de Méaco
et habitait dans le voisinage du couvent des Franciscains. Il avait
été baptisé récemment, et fut l'un des douze inscrits à Méaco sur la
liste, comme faisant partie de la communauté des Pères franciscains.
La croix sur laquelle il eut le bonheur de professer sa foi en la
scellant de son sang, fut la troisième du côté occidental.
Il était
originaire du royaume d'Isc, et habitait avec les Pères franciscains
en qualité d'élève. C'est à l'âge de dix-neuf ans qu'il eut le
bonheur de répandre son sang pour la foi. Sa croix se trouvait la
deuxième du côté de l'occident.
Ce fervent
chrétien, originaire du royaume d'Oaris, composa divers écrits pour
l'instruction des néophytes. Il remplissait, sous la direction des
Pères franciscains les fonctions de catéchiste, et leur servait
d'interprète. On l'arrêta comme appartenant à leur communauté. Sa
croix se trouva placée la première du côté de l'occident.
Ce sont eux que
les bollandistes et d'autres historiens appellent les deux
surajoutés (adaucti). Ils n'avaient point été mis sur la liste
ni arrêtés avec les autres. Lorsque, le 3 janvier 1597, on conduisit
les vingt-quatre captifs sur la grande place de Méaco pour leur
couper une partie de l'oreille, François et Pierre n'avaient pas
encore été adjoints à la bienheureuse milice. Voici comment ils
eurent ce bonheur. La glorieuse troupe, ignominieusement promenée
dans les rues, était partie de Méaco. Les Pères jésuites songèrent à
pourvoir à ses besoins durant son trajet jusqu'à Nagasaki. Le
chrétien Pierre Sukégiro, dont ils connaissaient l'admirable vertu,
fut l'homme de confiance qu'ils choisirent : ils le chargèrent de
suivre constamment les bienheureux captifs, de leur prodiguer ses
soins et de subvenir à leurs nécessités. De son côté, le chrétien
François s'adjoignit à la glorieuse troupe dans le même but. Ce
dernier, que nous trouvons aussi désigné par
les noms de Gains François et de François Fahelente,
était un charpentier, baptisé seulement depuis huit mois, et qui
avait reçu tout récemment le sacrement de la Confirmation. Dès qu'il
apprit l'arrestation des Pères franciscains, il se présenta
courageusement et déclara que lui aussi était chrétien. Il visita
les religieux dans la prison, et lorsqu'on les promena sur des chars
dans les rues de Méaco, il se joignit à eux pour subir la même
ignominie. Les licteurs s'efforcèrent en vain de le chasser du char
à coups de fouet et de bâton. Il s'y cramponna, et sa constance
l'emportant, il fit lui aussi la mémorable promenade, comble
d'ignominie dans le but du tyran, mais véritablement triomphale aux
yeux de Dieu et des Anges, et à jamais glorieuse dans les fastes de
l'Église. Tels étaient les deux hommes auxquels était échu en
partage le précieux office de servir les bienheureux captifs jusqu'à
leur arrivée au lieu du supplice. Tous deux étaient partis de Méaco
avec un ardent désir de verser leur sang pour la foi. Aussi pendant
le trajet, ils communiquaient hardiment avec les captifs, sans
craindre de se compromettre, et multipliaient leurs soins auprès
d'eux, malgré les mauvais traitements réitérés des gardes, qui les
repoussaient et voulaient, à force de rebuts, les obliger à se
retirer. Une charité si héroïque fut remarquée par les païens et les
frappa d'admiration. Taïcosama lui-même, qui en fut informé, ne put
s'empêcher de dire : Que les chrétiens sont courageux, et comme
ils sont cordialement unis ! A chaque nouvelle station, les
captifs étaient attendus par de nouveaux soldats et consignés entre
leurs mains par ceux qui les avaient conduits. Une de ces troupes de
satellites, ne pouvant empêcher nos deux généreux chrétiens de
continuer auprès des captifs leurs soins assidus, les arrêta, leur
prit l'argent dont ils étaient munis, et les réunissant aux
vingt-quatre condamnés, les transmit aux soldats de la station
suivante, comme étant du nombre de ceux qui devaient être crucifiés.
« Non-seulement, dit la relation du Père Froes, ils n'en
témoignèrent aucun trouble, mais ils firent au contraire éclater une
joie inexprimable. » Ils ne s'occupèrent plus dès ce moment qu'à
fortifier leur âme par de ferventes prières. Arrivés au lieu du
supplice, ces deux fortunés surnuméraires semblaient dire par
l'air radieux et serein de leur visage qu'ils étaient au comble du
bonheur. Le Père jésuite Rodriguez, qui était venu avec un autre
Père pour entendre la confession des bienheureux
martyrs
avant qu'on
les attachât aux croix, fit un dernier effort auprès de Fazamburo
pour sauver au moins ces deux, qui n'étaient point sur la liste.
Fazamburo répondit, qu'ils lui avaient été consignés par les
ministres de l'empereur avec un écrit, et qu'il ne pouvait les
excepter. Le Père objecta qu'il pouvait au moins différer leur
exécution, jusqu'à ce qu'on eût consulté le gouverneur de Méaco : il
ne put rien obtenir. C'est qu'au ciel il y avait aussi deux
couronnes préparées pour ces bienheureux surnuméraires ; ils
reçurent le double coup de lance, l'un sur la première, l'autre sur
la troisième croix du côté de l'orient.
Né de parents
chrétiens, l'an 1578, dans l'île de Goto, dont le nom lui est resté,
il s'était attaché aux Pères jésuites, remplissant sous leur
direction les fonctions de catéchiste et les servant à l'autel. 11
avait demandé avec instance d'être reçu dans leur ordre, et cette
faveur lui fut accordée peu avant son arrestation. On admirait dans
ce jeune homme une admirable candeur, jointe au plus mâle courage.
Lorsqu'on mit des gardes à la maison des Jésuites d'Ozaca, où il se
trouvait, il lui eût été facile de se soustraire au danger ; mais il
ne le voulut pas. C'est par ses soins que les objets de la
sacristie, dont il était chargé, furent mis en sûreté. Une fois
arrêté avec Paul Miki et Jacques Kisaï, ils ne se séparèrent plus.
Lorsque la bienheureuse troupe approchait du lieu du supplice, un
Père jésuite obtint de Fazamburo, cet officier supérieur qui
présidait à l'exécution, de pouvoir entendre la confession des trois
religieux de son ordre. Il les prit à l'écart ; et après qu'ils
eurent reçu l'absolution, Paul Miki, dont le degré dans la compagnie
de Jésus était celui de scholastique, renouvela ses vœux. Jean de
Goto et Jacques Kisaï, qui étaient novices, firent les vœux qu'on
nomme dans cette société les vœux de dévotion. Le délai
accordé par Fazamburo venait d'expirer. Les vingt-six
martyrs
sont bientôt
sur le lieu même du supplice auprès de leurs croix. Au moment où le
bienheureux Jean de Goto est sur le point d'être attaché à la
sienne, il voit venir son père, qui s'approche pour lui faire ses
adieux ; et lui adressant le premier la parole : Vous le voyez
bien, mon père, lui dit-il, le salut éternel doit être
préféré à tout! Ayez soin de ne rien négliger pour vous l'assurer. — Mon
fils, lui répond cet admirable chrétien, je vous remercie de
votre excellente exhortation. Et vous aussi, en ce moment, soyez
ferme et supportez avec joie la mort, puisque vous la subissez pour
la cause de notre sainte foi. Quant à moi et à votre mère, nous
sommes près, s il le faut, à mourir pour la même cause. Le
bienheureux Jean félicite son père, et lui donne son chapelet. Puis,
il donne en souvenir à sa mère l'étoffe dont il avait entouré sa
tête. Le généreux père, surmontant les indicibles flots de sa
douleur, reste ferme au pied de la croix de son cher enfant, voit de
ses yeux les deux lances le traverser de part en part, et se retire
teint de son sang, qu'il baise et vénère comme le sang d'un martyr.
« C'était, dit
Charlevoix, un bon artisan du royaume de Bigen, lequel avait reçu le
baptême dans sa jeunesse et s'était ensuite marié. Sa femme ayant
renoncé au christianisme, je ne sais à quelle occasion, il la
quitta, mit un fils unique, qu'il avait eu, en lieu sûr, pour être
élevé dans la crainte de Dieu, et se retira chez les Jésuites d'Ozaca.
Son emploi principal dans cette maison, était de recevoir les hôtes;
car les missionnaires exerçaient partout l'hospitalité. Mais comme
il était parfaitement instruit de sa religion, on le faisait servir
assez souvent de catéchiste. Cet emploi était en grand honneur dans
l'église du
Japon,
et on n'y admettait que des personnes
d'une vertu éprouvée, et qui se consacraient pour toujours au
service des autels. Ordinairement c'étaient des jeunes gens de
grande espérance, que leurs parents dévouaient dès leur enfance au
Seigneur. La cérémonie de leur réception se faisait toujours avec
beaucoup d'appareil. Ils portaient un habit long, peu différent de
celui des missionnaires. Ils vivaient avec ces religieux, et
observaient exactement la même forme de vie. Il y avait déjà
plusieurs années que Kisaï avait été élevé à cette dignité. Il ne se
pouvait rien ajouter à la ferveur avec laquelle il en remplissait
tous les devoirs ; et ce qui relevait infiniment le mérite d'une vie
si saintement occupée, c'était l'esprit intérieur dont il était
animé. Tout le temps qu'il avait de libre il l'occupait à la
prière. »
Son exercice de
piété le plus habituel était de méditer la passion de Noire-Seigneur
Jésus-Christ, dont il avait une traduction japonaise, transcrite de
sa main en très-beaux caractères. Après son arrestation, quelques
chrétiens lui dirent, qu'ils lui portaient envie ; et ils lui
donnaient des témoignages de grande vénération. L'humble vieillard
leur répondit par ces mots : Je suis un grand pécheur. On
voulut avoir quelques parcelles de ses vêtements pour les conserver
comme reliques. Mais lorsqu'on lui en fit la demande, son visage se
troubla et l'on ne put rien obtenir. Désespérant de vaincre les
répugnances de son humilité, ces fervents chrétiens usèrent de
violence et lui arrachèrent les objets qu'ils désiraient. Fort de ce
profond mépris de lui-même, cet athlète de soixante-quatre ans
soutint le combat jusqu'au bout avec une admirable constance. Au
moment où les deux lances lui transpercèrent la poitrine, il
répétait les noms de Jésus et de Marie. Sa croix était
la cinquième du côté de l'orient.
VOIR
: Récit sur les 26 Martyrs de
Nagasaki
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