Mechtilde eut pour père
Berthold, comte d'Andech, et pour mère Sophie d'Amertala,
remarquables tous deux par leur vertu et leur naissance, puisque
Frédéric Barberousse appelait notre Bienheureuse sa parente.
Elle
naquit vers l'an 1125, et dès l'âge de cinq ans elle fut consacrée
au Seigneur dans le couvent des Augustines de Diessen, situé près du
lac d'Ambre, et fondé, vers l'an 1130, par son père et Othon de
Wolfratshausen. Dans cette pépinière son esprit et son corps se
développèrent, mais plus encore sa vertu et sa piété. Elle soumit,
par des jeûnes continuels, la chair à l'empire de l'esprit, et
donna, de cette manière, a son âme des armes pour combattre le vice.
Elle s'interdisait l'usage de la viande, du vin et des bains, et
forte de sa confiance en Dieu, elle refusait dans ses maladies toute
espèce de remèdes. Elle ne se fortifiait que plus souvent à la table
de l'Agneau qui porte les péchés du monde, et elle lui préparait
toujours un temple pur et agréable.
Elle joignait à ces
vertus une obéissance absolue, et ne voyait dans les ordres de ses
supérieures que la volonté de Dieu. Pour acquérir cette vertu dans
toute sa perfection, elle quittait son ouvrage au premier coup de la
cloche, persuadée qu'elle suivait ainsi la voix du Seigneur, et
qu'elle se fortifiait de plus en plus dans le combat qu'elle livrait
aux penchants pervers du cœur, et aux insinuations de l'esprit
malin.
Élevée dans son esprit,
au-dessus des régions terrestres, toujours couvertes de brouillards
et de nuages, elle voyait à ses pieds toutes les choses de la terre,
et contemplait avec pitié ceux qui courent avec une si inconcevable
ardeur après ces vains fantômes. Pleine de cette sérénité d'esprit
et de ce calme du cœur qu'on remarque dans les enfants de Dieu, il
n'y avait pas un moment où elle ne pût répéter du fond de son âme ce
cantique de virginité et d'amour : « J'ai méprisé le monde et sa
gloire, par amour pour mon Seigneur Jésus-Christ, que j'ai vu avec
une foi pure, que j'ai cherché, avec une espérance inébranlable ,
que j'ai aimé d'un amour parfait. »
Les peines et les
épreuves auxquelles Mechtilde se vit soumise lui donnèrent plus
d'une occasion de pratiquer la patience chrétienne. Malgré les
grands progrès qu'elle avait déjà faits dans la vertu, elle fut
exposée à des tentations de plus d'un genre, qu'elle sut toujours
surmonter, en reconnaissant sa faiblesse, et par la confiance
filiale qu'elle plaçait en Dieu. Éloignée elle-même de toute espèce
d'envie, elle fut forcée plus d'une fois de goûter des fruits amers
de cet arbre ; mais son humilité et son affabilité parvinrent
toujours à en arrêter les effets. Car, bien que la noblesse de sa
naissance la plaçât au-dessus de toutes les autres sœurs, elle se
regardait comme leur servante, et voulait non-seulement ne pas leur
être préférée, mais encore ne pas être considérée comme leur
égale. — Sa conduite vérifiait d'une 'manière frappante, ce que le
Prophète dit de l'homme juste : Celui qui marche dans la justice
et qui parle dans la vérité ; qui a horreur d'un bien acquis par
extorsion ; qui garde ses mains pures et rejette tous les présents ;
qui bouche ses oreilles, pour ne pas entendre des paroles de sang,
et qui ferme ses yeux afin de ne pas voir le mal : celui-là
demeurera dans les lieux élevés ; il se retirera dans de hautes
roches fortifiées de toutes parts ; et ses y eux contempleront le
Roi dans l'éclat de sa beauté.
Elle exerçait en effet un si grand empire sur ses sens, que jamais
elle ne fut dans le cas de devoir déplorer une faiblesse. Elle
répondait aux injures par un silence si extraordinaire, qu'on eût
dit que pas un mot n'était parvenu jusqu'à son âme, et qu'elle était
privée de la parole ; mais dès qu'elle ouvrait la bouche pour
prononcer des paroles de vie et d'amour, on croyait converser avec
un esprit céleste.
Ces moyens
infaillibles qu'elle employait pour assurer son salut préservèrent
son cœur de tout péché , et les yeux de Dieu comme ceux des hommes
reposaient sur elle avec satisfaction. Aussi les charmes de sa vertu
durent-ils lui attirer bien des louanges, qu'elle n'écoutait qu'avec
une impatience qu'il lui était impossible de cacher. Pour se mettre
à l'abri des dangers de ce genre, elle ne recevait que rarement des
visites, même de ses frères, et elle savait les rendre courtes. Dans
tout ce qu'elle faisait elle était un miroir de sainteté. Elle ne
voulait rien posséder en propre, et regardait toute sa fortune comme
un bien commun ; elle s'amusait avec ceux qui étaient gais,
s'affligeait avec ceux qui étaient tristes, partageait les douleurs
de ceux qui souffraient ; elle était respectueuse envers ses
parents, sévère et affectueuse envers ceux qui étaient plus jeunes
qu'elle, prévenante, douce et humble envers tous.
L'épouse du
Seigneur aurait bien voulu passer toute sa vie dans l'obscurité ;
mais ses sœurs en jugèrent autrement, et, malgré sa jeunesse, la
placèrent sur le chandelier, et la choisirent unanimement pour leur
supérieure. Mechtilde se fit une loi, du moment où elle entra dans
ses nouvelles fonctions, de ne se distinguer en rien de ses
inférieures, à moins que ce fût par son zèle à observer la règle de
l'ordre. Marchant avec fermeté dans cette voie de la perfection,
servant de modèle à ses sœurs dans toutes les vertus, portant
toujours le nom de sœur et non celui de supérieure, et
choisissant toujours pour elle-même ce qu'il y avait de moins bon,
elle s'attacha tous les cœurs, qu'il lui fut facile d'élever au plus
haut point de la perfection évangélique. Elle fit en peu de temps du
couvent de Diessen une pépinière féconde pour le ciel, et on
admirait de tous côtés l'héroïsme de ces pieuses épouses de Jésus.
La haute sagesse de
Mechtilde ne put échapper à l'attention de Conrad, évêque
d'Augsbourg, qui, à. la mort de Gisèle, abbesse d'Edelstetten en
Souabe,
nomma en sa place la servante de Dieu, pour porter remède au
relâchement dans lequel ce monastère était tombé. Elle employa
diverses raisons pour éloigner d'elle ce fardeau, et persista dans
ses refus jusqu'à ce que le Pape Anastase IV la déterminât par une
lettre à accepter cette dignité. Il lui en coûta bien des larmes
pour se séparer d'une communauté qui lui était devenue si chère, et
ce qui seul fut capable de porter quelque adoucissement à sa
douleur, ce fut la joie inattendue avec laquelle la reçurent les
religieuses d'Edelstetten. En 1153 l'évêque Conrad l'installa
solennellement comme abbesse.
La nouvelle
supérieure rétablit en peu de temps l'ancien ordre et l'esprit d'une
parfaite régularité. Son extérieur imposant, sa douceur, son
affabilité, ses manières modestes, humbles et pleines de l'Esprit
divin, ses paroles sages et persuasives, en un mot toute sa personne
qui ne respirait qu'amour et bienveillance, fit bientôt l'impression
la plus salutaire sur les religieuses. Quoique sévère en tout, elle
savait approprier ses préceptes à tous les caractères et à toutes
les forces : les plus zélées s'y soumettaient avec une joie,
évidente ; celles qui étaient plus faibles se sentaient attirées par
les autres d'une manière irrésistible, et les âmes tièdes plièrent
d'abord sans murmure, et éprouvèrent plus tard un attrait inconnu
pour la vertu. La seule mesure qui rencontra quelque opposition, ce
fut la sévère clôture que l'on exigea des religieuses, cet égide du
recueillement et de la modestie virginale ; et l'évêque
d'Augsbourg fut obligé d'intervenir, pour amener, par la sévérité et
la douceur, toute l'entreprise au but auquel on aspirait. Usant avec
énergie de son autorité épiscopale, il ferma la porte du couvent, et
pour couper court à toute espèce de désordre, on renvoya
quelques-unes des plus rebelles.
Dès ce moment une vie
nouvelle anima l'abbesse, ses années semblèrent se rajeunir, et avec
elles son esprit de charité, ses élans vers les lieux élevés de la
contemplation. Fidèle aux paroles de l'Apôtre, elle ne tenait à la
terre que par son corps, car elle vivait déjà dans le ciel.
Elle passait la plupart de son temps à l'église, où elle se joignait
aux Anges et aux Saints pour déposer devant le trône du Très-Haut
l'offrande de sa prière et de ses soupirs. Elle ne négligeait
cependant en aucune manière les intérêts de sa maison, qu'elle
regardait au contraire comme l'objet principal de son zèle. D'une
austérité inflexible pour elle-même, elle usait de bonté et
d'indulgence envers ses sœurs, sans transgresser néanmoins les
règles de la prudence et de l'ordre.
Sa compassion
était si grande, qu'elle sentait au fond de l'âme les besoins et la
misère de son prochain, et il n'y avait que les larmes et de prompts
bienfaits qui pussent guérir les plaies que sa sensibilité avait
faites à son cœur. C'est pourquoi tous les pauvres et les
malheureux, les veuves surtout et les orphelins étaient ses amis et
ses protégés, qui par reconnaissance, mais au grand regret de leur
bienfaitrice, publiaient partout ses louanges.
Avançant
rapidement dans la carrière de sa vie, où chaque pas était marqué
par un bienfait et glorifié par quelque vertu, elle approcha enfin
du terme après lequel elle soupirait, et se réjouit dans le
Seigneur, lorsqu'elle se sentit au point de passer à l'éternité.
Dans sa dernière maladie, elle quitta le couvent d'Edelstetten, et
se rendit à Diessen, pour y terminer ses jours. Elle donna encore,
avant sa mort, d'utiles leçons à ses sœurs, fit des dons
considérables à la communauté, reçut ensuite les saints sacrements
des mourants et entra dans les joies du Seigneur le 31 Mai 1160. Son
corps fut enterré dans l'église du couvent, où sa fête se célèbre le
lendemain du dimanche de Trinité.
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