Lintérêt de parler de cet évêque nest pas dans les détails de sa vie, que nous ne connaissons pratiquement pas, mais pour lexcellence de ses écrits, et tout particulièrement pour son homélie sur la Pâque, tout
récemment reconstituée à partir de fragments, dont on citera tout-à-lheure deux longs passages.
Méliton fut évêque de Sardes en Lydie1 , au second siècle, sous les empereurs romains Antonin le Pieux ( 161) et Marc-Aurèle ( 180). Sa mort doit se placer avant 190.
Sardes était encore importante au début du christianisme : saint Jean la mentionne dans lApocalypse (Ap 1:11 ; 3:1-6).
Parlant de Méliton de Sardes, lévêque Polycrate dÉphèse, qui vivait vingt ans après lui, atteste que toutes ses actions furent animées de lEsprit de Dieu.
Consulté par les fidèles de son temps sur lautorité de lÉcriture sainte, il fit un voyage en Palestine pour apprendre quels étaient les véritables livres de lAncien Testament et dans quel ordre on devait les ranger. Il composa une Apologie adressée à lempereur Marc-Aurèle en faveur des chrétiens. On lui a attribué dautres ouvrages ; Eusèbe a donné le titre dune vingtaine. De tout cela, en dehors des citations dEusèbe et dAnastase le Sinaïte, il ne subsiste que des fragments grecs et syriaques qui ne sont pas tous dune authenticité garantie. Tertullien et saint Jérôme ont qualifié Méliton dexcellent orateur et dhabile écrivain.
Polycrate se contente de dire que le corps de Méliton repose dans la ville de Sardes. Le Martyrologe Romain ne le mentionne pas actuellement, sans doute par manque dinformations historiques suffisantes, ce qui nenlève rien à sa gloire.
Voici maintenant les deux passages de son Homélie sur la Pâque, repris dans la Liturgie des Heures (le Jeudi Saint et le Lundi de Pâques).
Bien des choses ont été annoncées par de nombreux prophètes en vue du mystère de Pâques qui est le Christ : à lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.
Cest lui qui est venu des cieux sur la terre en faveur de lhomme qui souffre ; il a revêtu cette nature dans le sein de la Vierge et, quand il en est sorti, il était devenu homme ; il a pris sur lui les souffrances de lhomme qui souffre, avec un corps capable de souffrir, et il a détruit les souffrances de la chair ; par lesprit incapable de mourir, il a tué la mort homicide.
Conduit comme un agneau et immolé comme une brebis, il nous a délivrés de lidolâtrie du monde comme de la terre dEgypte ; il nous a libérés de lesclavage du démon comme de la puissance de Pharaon ; il a marqué nos âmes de son propre Esprit, et de son sang les membres de notre corps.
Cest lui qui a plongé la mort dans la honte et qui a mis le démon dans le deuil, comme Moïse a vaincu Pharaon. Cest lui qui a frappé le péché et a condamné linjustice à la stérilité, comme Moïse a condamné lEgypte.
Cest lui qui nous a fait passer de lesclavage à la liberté, des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la tyrannie à la royauté éternelle, lui qui a fait de nous un sacerdoce nouveau, un peuple choisi, pour toujours. Cest lui qui est la Pâque de notre salut.
Cest lui qui endura bien des épreuves en un grand nombre de personnages qui le préfiguraient : en Abel il a été tué ; en Isaac il a été lié sur le bois ; en Jacob il a été exilé ; en Joseph il a été vendu ; en Moïse il a été exposé à la mort ; dans lagneau il a été égorgé ; en David il a été en butte aux persécutions ; dans les prophètes il a été méprisé.
Cest lui qui sest incarné dans une vierge, a été suspendu au bois, enseveli dans la terre, ressuscité dentre les morts, élevé dans les hauteurs des cieux.
Cest lui, lagneau muet ; cest lui, lagneau égorgé ; cest lui qui est né de Marie, la brebis sans tache ; cest lui qui a été pris du troupeau, traîné à la boucherie, immolé sur le soir, mis au tombeau vers la nuit. Sur le bois, ses os nont pas été brisés ; dans la terre, il na pas connu la corruption ; il est ressuscité dentre les morts et il a ressuscité lhumanité gisant au fond du tombeau.
Comprenez-le, mes bien-aimés : le mystère de la Pâque est ancien et nouveau, provisoire et éternel, corruptible et incorruptible, mortel et immortel.
Il est ancien en raison de la Loi, mais nouveau en raison du Verbe ; provisoire en ce quil est figuratif, mais éternel parce quil donne la grâce ; corruptible puisquon immole une brebis, mais incorruptible parce quil contient la vie du Seigneur ; mortel, puisque le Seigneur est enseveli dans la terre, mais immortel par sa résurrection dentre les morts.
Oui, la Loi est ancienne, mais le Verbe est nouveau ; la figure est provisoire, mais la grâce est éternelle ; la brebis est corruptible, mais le Seigneur est incorruptible, lui qui a été immolé comme lagneau, et qui ressuscita comme Dieu.
Car il a été conduit comme une brebis vers labattoir, alors quil nétait pas une brebis ; il est comparé à lagneau muet, alors quil nétait pas un agneau. En effet, la figure a passé, et la vérité a été réalisée : Dieu a remplacé lagneau, un homme a remplacé la brebis, dans cet homme, le Christ, qui contient toute chose.
Ainsi donc, limmolation de la brebis et le rite de la Pâque et la lettre de la Loi ont abouti au Christ Jésus en vue de qui tout arriva dans la loi ancienne et davantage encore dans lordre nouveau.
Car la Loi est devenue le Verbe, et, dancienne, elle est devenue nouvelle (lune et lautre sorties de Sion et de Jérusalem), le commandement sest transformé en grâce, la figure en vérité, lagneau est devenu fils, la brebis est devenue homme et lhomme est devenu Dieu.
Le Seigneur, étant Dieu, revêtit lhomme, souffrit pour celui qui souffrait, fut enchaîné pour celui qui était captif, fut jugé pour le coupable, fut enseveli pour celui qui était enseveli. Il ressuscita des morts et déclara à haute voix : Qui disputera contre moi ? Quil se présente en face de moi ! Cest moi qui ai délivré le condamné ; cest moi qui ai rendu la vie au mort ; cest moi qui ai ressuscité lenseveli. Qui ose me contredire ? Cest moi, dit-il, qui suis le Christ, qui ai détruit la mort, qui ai triomphé de ladversaire, qui ai lié lennemi puissant, et qui ai emporté lhomme vers les hauteurs des cieux ; cest moi, dit-il, qui suis le Christ.
Venez donc, toutes les familles des hommes, pétries de péchés, et recevez le pardon des péchés. Car cest moi qui suis votre pardon, moi la Pâque du salut, moi lagneau immolé pour vous, moi votre rançon, moi votre vie, moi votre résurrection, moi votre lumière, moi votre salut, moi votre roi. Cest moi qui vous emmène vers les hauteurs des cieux ; cest moi qui vous ressusciterai ; cest moi qui vous ferai voir le Père qui existe de toute éternité ; cest moi qui vous ressusciterai par ma main puissante.
1 La Lydie était un royaume dAsie Mineure, à louest de lactuelle Turquie dAsie, sur la Mer Égée, et dont la capitale était Sardes. Là régna le fameux Crésus, puis la Lydie fut conquise par Cyrus, par Alexandre le Grand, enfin par Rome. Les restes archéologiques de Sardes sont près de lactuelle Salihli, non loin de Izmir, le port de Smyrne.
|