Mémoires
sur la Vie de Monsieur
Nicolas Roland, prêtre,
Chanoine Théologal de l’Église de Reims,
et Fondateur de la Communauté
du Saint-Enfant-Jésus,
décédé le 27 avril 1678,
âgé de 35 ans et 5 mois

Chapitre I
Sa naissance, l’origine de ses parents,
et ses premières années
Monsieur Nicolas Roland, naquit à Reims, le deux décembre
1642,
de Monsieur
Jean-Baptiste
Roland, Commissaire ordinaire des guerres, et de Dame Nicole Beuvelet, native de
Marle, en Picardie, tous deux fort craignants Dieu et assistant soigneusement au
Service divin aussi bien qu’aux Prédications, y conduisant leurs enfants et
domestiques ; ils avaient une inclination particulière à faire l’aumône,
assistant les pauvres dans les temps de cherté, de pain, d’habits, couvertures,
et tout autre besoin; leur faisant apprendre des métiers pour gagner leur vie.
Aussitôt qu’il fut né, Monsieur son père envoya à Marle, pour
en donner avis à Monsieur Beuvelet, son aïeul, et le prier de venir le tenir sur
les Saints fonds de baptême ; mais la mort qui le prévint l’en empêcha, et ce
fut son fils, Monsieur Beuvelet, avocat au Parlement, et depuis fait prêtre à
Paris, à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, où il est mort en réputation d’une haute
piété. Il le tint avec Mademoiselle Barbe Beuvelet, sa sœur, femme de Monsieur
Tourtebatte, Conseiller au Parlement de Laon : on lui donna au baptême le nom de
Nicolas, comme son aïeul maternel, qui était un homme d’une piété très connue.
Sa bourse, ses greniers aussi bien que son cœur, étaient ouverts aux pauvres, et
son inclination pour eux était si grande que, pour les secourir, il allait les
chercher tous les dimanches au sortir du Service Divin, où il assistait
régulièrement. Outre ses charités quotidiennes, il faisait l’aumône trois fois
la semaine, disant que cela n’appauvrissait pas. En temps de cherté, il faisait
travailler sans nécessité les pauvres gens, à dessein de leur faire gagner leur
vie, et éviter l’oisiveté. Il n’inspirait que la charité, la douceur et la
patience à ses enfants ; aussi, leur donna-t-il l’exemple jusqu’à la mort ; car
il eut une grande maladie, l’espace de six mois, qu’il supporta avec la plus
grande patience. L’amour qu’il avait pour les pauvres, fit que trois jours avant
sa mort, il voulut encore les voir passer devant sa chambre, leur faisant faire
une distribution de pain, de vin et de viande ; se recommandant à leurs prières.
Il mourut après avoir souffert avec un grand abandon à la volonté de Dieu ; il
lui avait demandé de faire lui-même son purgatoire en ce monde. Il disait avec
consolation qu’il l’avait obtenu par les cuisantes douleurs qu’il souffrait. Il
reçut très souvent le Saint-Sacrement, qu’il faisait apporter, ce qu’il faisait
à genoux, nonobstant ses extrêmes douleurs.
Le premier soin des pieux parents de Monsieur Roland, après
son baptême, fut de le donner à une pieuse et vertueuse nourrice, dont la
dévotion était d’aller tous les jours au tombeau de saint Rémi, et à l’église de
Sainte Nourrice, pour leur offrir son nourrisson. Elle eut grand soin, aussitôt
qu’il commença à parler, de lui faire prononcer le saint Nom de Jésus et de
Marie, et de lui apprendre ses prières et ses devoirs envers Dieu.
On a remarqué qu’il correspondait aux soins de cette
vertueuse nourrice, avec l’inclination qu’il avait sucée avec le lait.
De retour à la maison paternelle, le jeune enfant eut toutes
les qualités qui rendent aimable à cet âge, jointes à celles qui donnent les
plus heureuses espérances pour l’avenir : il annonça de grands talents par la
rapidité de ses premiers succès ; il apprit à lire en quatre mois, quoi qu’il ne
fut âgé que de cinq ans ; il avait la mémoire belle et heureuse ; il récitait
des vers en compagnie, avec une facilité et une grâce qui le faisait admirer.
Ses plus agréables divertissements, dans cet âge tendre,
étaient ce qu’un bon chrétien doit savoir. Il secondait si parfaitement les
desseins de ses parents à l’élever en la crainte de Dieu, que de ces petits
commencements, on pouvait juger que le Ciel le destinait à de grandes
entreprises. Sa manière d’agir et de parler lui gagnait tous les cœurs, et sa
docilité le rendait susceptible de tout bien. Il était avantagé de la nature,
beau et bien fait de sa personne ; son abord affable, civil et obligeant ; sa
conversation était agréable. Il parlait de Dieu avec plaisir et aimait à en
entendre parler : il était plein de joie lorsqu’il trouvait quelqu’un qui aimait
à en entendre parler.
Il commença à étudier extrêmement jeune. On a rapporté de
lui, qu’étant aux petites écoles, il importunait ses parents pour avoir la
liberté d’aller en classe; lesquels ne le voulaient pas à cause de sa grande
jeunesse. Il les importuna tant, qu’ils lui accordèrent. Il y fut avec une robe
et, quoique les écoliers se moquassent de lui, il ne se rebuta pas ; il
s’appliqua avec plaisir à l’étude ; il y fit en peu de temps de grands progrès,
ce qui fit voir dès lors que le don de science lui était communiqué.
Dès ce temps, ses mœurs étaient réglées : il vivait dans la
maison dans la plus grande douceur avec les domestiques ; et parmi ses
compagnons de classe, il n’a jamais eu aucun démêlé avec qui que ce soit ; il se
retirait facilement de la compagnie de ceux dont on lui faisait connaître les
mauvaises inclinations. Il arriva cependant qu’un de ses compagnons de classe
lui conseilla de prendre de l’argent à sa mère ; la mère s’en étant aperçu, lui
demanda si ce n’était pas lui qui l’avait pris. Il changea bientôt de couleur,
et en tremblant, il dit qu’il avait pris cinquante sols et qu’il avait été les
cacher dans les fossés de la ville : (Ceci fait voir son enfance) que c’était un
de ses compagnons qui lui avait appris à les prendre. Ce coup lui servit
d’avertissement, dont il fit son profit.
Il était franc et ouvert ; haïssait la dissimulation et le
mensonge. Éloigné des crieries, emportements et contestations indiscrètes, il
défendait paisiblement la vérité ; n’employait jamais le jurement ; en détestait
jusqu’à l’apparence. Il ne pouvait souffrir de paroles qui soient contre la
pudeur, et tous ceux qui l’ont connu depuis sa plus tendre enfance, jusqu’à sa
mort, ont rapporté de lui, que jamais on ne lui a entendu dire une parole contre
cette vertu. Ses paroles l’auraient justifié contre d’injustes soupçons qu’on
aurait pu former contre lui, et ceux qui l’ont conversé, rendent témoignage que
personne n’était plus retenu en ses discours et en sa conduite.
Il était inconsolable quand il avait déplu en quelque chose à
ses parents ou à ses maîtres i il ne fallait lui dire qu'une parole un peu sèche
ou lui montrer un air plus grave pour l'attrister ; on pouvait le corriger par
un regard, quoi qu’il ne fut nullement d'un naturel timide.
Ses progrès dans la piété devinrent sensibles à mesure qu'il
croissait en âge, il n'omit aucun des moyens propres à la nourrir, il se
plaisait à la prière et à la lecture de la vie des Saints ; il pratiquait des
pénitences et des mortifications pour les imiter, se privant quelquefois de son
repas pour en faire part aux pauvres ; il endurait le froid, il couchait sur la
dure ; une de ses Tantes l'a trouvé une fois couché dessous une table sur
laquelle il y avait un tapis qui le cachait ; elle lui demanda ce qu’il faisait
là, il répondit qu'il prétendait y passer la nuit, il la pria de n'en rien dire
et de le laisser ; comme c’était en hiver et qu'il n'avait encore que huit à
neuf ans, elle lui dit, c’est donc pour vous faire mourir, il faut vous retirer
; mais pourquoi ma Tante. Saint François n'en est pas mort pour y avoir couché
presque toute sa vie : n'ayant pas égard à sa dévotion, elle le fit aller
coucher dans son lit. Les domestiques lui dirent qu'ils s'étaient déjà aperçus
qu'il ne restait pas dans le lit, qu'ils l'avaient trouvé nombre de fois dans la
ruelle du lit couché sur le plancher, y priant Dieu. On lui défendit de se lever
davantage, et on mit un jeune homme qui était son parent pour coucher dans sa
chambre et l'observer.
Étant âgé de dix ans, M. Beuvelet son oncle, maternel et son
parrain, homme d’une très haute piété qui est mort en odeur de sainteté en un
Séminaire de Paris (Saint-Nicolas-du-Chardonnet) lui mettant la main sur la tête
dit : Voilà un enfant qui sera un grand Serviteur de Dieu et qui servira son
Église.
Ce cher oncle et parrain désira l'avoir pour l’avancer dans
les études à Paris ; mais il en fut empêché par une maladie qui lui survint, et
qui l'obligea de le laisser chez M. son Père ; après qu’il fut guéri, on le mit
en pension chez les Pères Jésuites où il profita avec succès, se faisant
toujours paraître des plus éclatants du Collège ; il paraissait avec la plus
grande liberté dans toutes les Tragédies ; ce qui parut particulièrement devant
la Cour, lorsque le Roi vint se faire sacrer à Reims ; car jouant sa pièce,
comme on se prit à rire, il s’arrêta pour en donner le loisir, puis après que le
bruit fut passé, il reprit le fil de son discours avec tranquillité comme s'il
n'eut pas été interrompu. Ce qui le fit admirer de toute l'assemblée.
Pendant ses études il ne perdait point de temps dans les
compagnies, tant il lui était cher, le donnant tout à ses petites dévotions et à
ses livres : fuyant les divertissements des enfants de son âge ; il était ennemi
de la médisance, parmi ses compagnons il ne souffrait pas qu’on parlât mal de
qui que cc soit, s'il arrivait à quelques-uns de le faire, aussitôt la rougeur
lui montait au visage et prenait la défense des absents.
Dieu qui avait prévenu ce Jeune Enfant, comme parle
l'Écriture, des bénédictions de sa miséricorde, lui avait donné un esprit étendu
et pénétrant, une mémoire belle et heureuse, un cœur grand, généreux, capable de
grands desseins, que les contradictions et toutes les difficultés ne rebutaient
pas ; Dieu le menait comme par la main sans qu'il se sut. Un jour se trouvant à
Saint-Pierre-les-Dames, où Monsieur l'Évêque du Puy
y donnait les Ordres, le
Siège Archiépiscopal de Reims étant vacant : ce jeune écolier se sentit si fort
porté à demander la tonsure (quoiqu'il n'eut pour lors que dix à onze ans),
qu'il courut en grande hâte, prendre une soutane et un surplis, prenant un
cierge chez un marchand qu'il rencontra, et retournant à Saint-Pierre, il arriva
que la Cérémonie était faite, Monsieur l'Évêque avait déjà quitté ses habits de
cérémonie ; le jeune enfant fendant la presse parvint malgré le rebut des
officiers, jusqu'à Monsieur l'Évêque, qui s'était retourné et voyant que set
enfant lui demandait la tonsure de si bonne grâce, qu'il ne put lui refuser ; il
reprit ses babils de Cérémonie et le tonsura.
La vivacité qui ne l'a jamais quitté pendant sa vie, et qui
n'a cessé d'être pour lui la matière de bien des combats, et l'occasion de bien
des victoires, comme on le verra dans la suite, se développa dans sa plus tendre
enfance ; il était d'un naturel fier, bouillant et colère, il travailla dès lors
à se modérer par la docilité et par le respect qu'il avait pour ses parents et
ses maîtres desquels il était très aimé, et pour qui il avait de son côté
l'attachement le plus tendre.
Chapitre 2
De la vie que M. Roland a menée
dans le siècle
Quoique M. Roland eut été enclin au bien dès sa jeunesse, et
que ses parents eurent grand soin de le former et pousser dans les sciences, ce
ne fut toutefois que dans le dessein de l'engager dans le monde ; il quitta les
études et commença comme il le dit lui-même, sa vie mondaine ; son bel esprit,
ses grâces naturelles, son humeur gaie le rendait aimable à ses parents et à
ceux de sa condition, et l'engageait à suivre le train du monde honnêtement ; il
se trouvait fréquemment dans les assemblées, dans les bals, desquels néanmoins
il est toujours sorti avec honneur selon les personnes du monde. Ce que
toutefois il a regretté tous les jours de sa vie, comme un temps perdu, et mal
employé, où il avait disait-il couru risque de se perdre plusieurs fois, si ce
n'eut été une grande et infinie miséricorde de Dieu qui, par sa bonté m'a
préservé de tomber dans les désordres de l'impureté qui perd ordinairement la
jeunesse.
Dans la dix-septième année de M. Roland, il lui arriva une
petite disgrâce à l'occasion d'un bal où il avait été contre la défense de M.
son Père ; cette disgrâce fut pour lui un coup de grâce : car cela lui fit
reconnaître son égarement et la vanité du monde.
M. son Père ayant toujours dessein de l'engager dans le
monde, après cette disgrâce apaisée fut pour lui plein de bonté, et lui donna
nue somme d'argent avec liberté de voir les raretés dans les pays éloignés,
comme il est ordinaire aux enfants de famille, pour lui faire suivre ensuite ce
qu'on appelle le beau monde, mais la grâce se servit de cette liberté pour lui
changer tout à fait le cœur : car ayant vu plusieurs pays et s'étant avancé dans
les lettres et dans le négoce, selon les intentions de M. son Père, il alla
aussi sur mer, où il fit rencontre d'un Capitaine de Vaisseau, qui voulut
l'engager au mal ce qu'il reconnut par ses paroles, il lui répondit qu'il avait
ordre de son père de retourner ; voyant qu'il ne pouvait s'en défendre, il eut
recours à la Sainte Vierge qui le protégea miraculeusement : car le vaisseau
s'arrêta soudain, sans que la force des matelots le puisse faire marcher par le
commandement de leur maître ; le vaisseau étant approché d'un autre, il se jeta
dedans pour gagner terre. Ce qu’il connut être une protection particulière de la
Sainte Vierge, pour laquelle il a eu une dévotion tendre et reconnaissante tous
les jours de sa vie.
Étant échappé de cette occasion dangereuse et périlleuse, il
retourna à Paris, et contre toute l'espérance de sa famille, il prit la
résolution de se consacrer au service de Dieu dans la Compagnie de Jésus et
commença dès lors à fréquenter des personnes de piété et s'adonna tout de bon à
réformer ses mœurs.
CHAPITRE III
M. Roland quitte le monde et reprend
ses études
Dans le séjour qu'il fit à Paris, il commença sa conversion
sincère à Dieu par une retraite spirituelle qu'il fit dans une maison réformée,
après laquelle le dessein de se faire Jésuite, n'ayant pas réussi, parce que la
Providence en avait d'autres sur lui, comme on le verra dans la suite ; il se
dépouilla des habits du siècle, quitta le pourpoint de brocard, prit la soutane
et revint à Reims, bien résolu de se donner tout à Dieu, ce qui étonna
grandement ses parents et toutes les personnes de sa connaissance ; mais
particulièrement une jeune demoiselle qu'il avait aimée sous l'espérance du
mariage, laquelle dans cet étonnement, joint à quelques autres petites
disgrâces, se donna aussi à Dieu à son tour, et à son exemple, et a vécu depuis
en réputation de piété.
Peu de jours après l'arrivée de M. Roland chez M. son père,
il retourna à Paris pour y étudier en Philosophie, il se retira dans un quartier
de Paris assez détourné chez un menuisier pour y vivre d'une manière pauvre et
inconnue au monde ; il se revêtit de vieux habits noirs, à l'insu de M. son
Père, pour paraître un pauvre écolier parmi ses compagnons de classe :
commençant dès ce temps-là à pratiquer la Sainte pauvreté qu'il a aimée toute sa
vie.
Mais comme la grâce agissait fortement et noblement dans son
cœur, il crut devoir changer cette première demeure en celle d'une Communauté de
la rue Saint-Dominique ; où vivaient alors de bons Ecclésiastiques et laïques ;
il y fit un séjour de trois années, donnant des exemples continuels des vertus
les plus héroïques, dans cet intervalle, il conçut le désir d'accompagner les
premiers ouvriers qui ont été à Siam ; mais la Providence, en ayant ordonné
autrement, il prit le bonnet de Docteur dans une Université du Royaume, en un
âge où à peine les autres sont en état non de prêcher, mais d’être des auditeurs
raisonnables de la Sainte Parole.
Il prêcha à l'âge de vingt deux ans dans la Cathédrale, avec
un applaudissement général. Dans ses premiers sermons il avait les ornements du
langage, il était semblable en cela à saint Pierre Chrysologue qui a été Évêque
de Ravenne et qui est reconnu pour un Père de l'Église et a bien été un
prédicateur fleuri, et d'ailleurs étant jeune, il avait besoin de réputation
pour faire les grands biens que Dieu a fait paraître dans toutes ses démarches.
Chapitre 4
Monsieur Roland se dispose à la prêtrise
M. Roland s'était rempli depuis son retour à Dieu de l'esprit
de M. Beuvelet son oncle et son parrain : qui a éclaté dans toute la France, et
dans Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Pour se disposer à la prêtrise, il fit une
retraite de tente jours, durant laquelle il se pénétra de la dignité du sacré
caractère de Prêtre dont il allait être bientôt revêtu, et se traça un plan de
vie qu'il gardât jusqu'à la mort. Il s’y remplit des sentiments d'humilité,
d'abnégation de lui-même et de mort à tout ce qui est du monde, sentiments qu'il
a toujours gardés depuis ; car ayant reçu la prêtrise, il ne voulut pas célébrer
sa première Messe haute, ni y souffrir d'assemblée de famille, pour éviter,
disait-il, toute complaisance et dissipation, il invita seulement M. son père et
Mme sa mère, et la célébra secrètement, pénétré de respect, de foi et
d'amour. Il s'était disposé à cette grande action par la fuite du monde, en
s'enfermant dans un Monastère des plus austères. Peu de jours après qu'il fut
Prêtre, il obtint de ses parents la liberté de se retirer dans une maison à
part, pour répondre. plus aisément aux desseins de Dieu sur lui. Mais avant de
se mettre tout à fait à son particulier, il fit un voyage à Paris, pour puiser
dans les Séminaires de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, de Saint-Sulpice, de la
Communauté de Saint-Lazare, aussi bien que dans les Sociétés des personnes de
piété, desquelles il recherchait la conversation avec diligence ; (et ces
personnes ont dit, et pendant sa vie et depuis sa mort, que dans les entretiens
qu'il avait eus avec elles, il les avait embaumées de l'odeur de ses vertus)
pour prendre les maximes les plus pures du sacerdoce, lesquelles il a conservées
depuis. Mais son esprit n’était point encore satisfait, il rechercha encore
d'autres moyens de son avancement ; ce qui lui fit faire un voyage à Rouen, y
étant attiré par l'odeur de sainteté d'un Curé de cette ville nommé M. de
Saint-Amand, chez lequel il demeura six mois pour apprendre la vertu qui lui
coûta chère ; car il en revint si infirme et si desséché qu'il fallut le mettre
au lit à son retour.
Un disciple de M. Roland a rapporté que le dessein qu'il
avait eu en faisant ce voyage, était de puiser le fondement des vertus
apostoliques qui étaient en M. le Curé de Saint-Amand, qu'il fut traité fort
durement par ce saint Curé, par un ordre de la divine Providence, comme il le
dit un jour à un de ses Confrères, (ce bon Curé me reçut avec refus, lorsque je
le priai de me donner quelque petite place en son logis, pour y faire une
Retraite, ainsi qu'il l'accordait à tout autre. Je n'ai pas de place pour vous
mettre, M., me, dit-il, à moins que vous ne preniez ma chambre, quelque
instance, que vous me puissiez faire : hé ! Monsieur, lui répartis-je, quelque
place que ce fut, je m'en accommoderai : mais non de votre chambre : il y a ici
un dessous d’escalier, si vous le voulez prendre. Je le pris au mot, et ne pris
point d'autre place tant que je fus avec lui cette fois). Ce fut sous la
conduite de ce bon Curé, que M. Roland fit de grands progrès dans la vertu de
pauvreté et du dénouement, car il parut inconnu et comme un pauvre
Ecclésiastique, comme il avait déjà paru pauvre étudiant lorsqu'il se fut retiré
chez un pauvre Artisan à Paris pour y vivre inconnu au monde. Les maximes qu'il
avait puisé de ce bon Curé sont celles-ci :
Que dans les contradictions, il fallait dire, tant pis, tant
mieux ; tant pis pour la nature ; tant mieux pour l'âme.
Que l'abstraction de toutes choses surpasse toutes pratiques.
Ne se plaindre jamais ; car qui se plaint pèche.
Ne s'excuser jamais lorsqu'on nous accuse.
Plutôt devoir que thésauriser.
Ne parler jamais du boire, ni du manger.
Ne contester jamais avec personne.
Aimer mieux accepter les pertes que faire l'aumône.
Aller contre ses inclinations en toutes choses.
Ne s'enquérir d'aucune nouvelle.
Ne trouver à redire à rien.
Connaître et suivre les mouvements de l'esprit de Dieu.
Ne se laisser jamais obscurcir l'âme par la moindre attache.
Plus pratiquer la vertu que d'en parler.
S'attacher fortement à sa fin qui est Dieu et faiblement aux
moyens qui sont les créatures.
Qu'un serviteur mal adroit est un trésor.
Ne se faire servir que dans les choses qu'on ne peut faire.
Aller à la destruction de tout amour propre.
S'examiner tous les jours sur quatre choses : 1° sur la
conformité à la volonté de Dieu, 2° sur l'amour du prochain, 3° sur la
mortification, 4° sur la vertu particulière.
Peu de paroles d'un homme uni à Dieu, sont plus que plusieurs
dites par amour propre.
Un serviteur de Dieu détestait trois choses : 1° le mot de
tien ou de mien, 2° celui de faveur, 3° celui de mérite.
CHAPITRE 5
Monsieur Roland fait de sa maison
un petit séminaire
M. Roland étant de retour à Reims, les occasions d'exercer
son zèle ne tardèrent pas à se présenter, bientôt la vaste carrière s'ouvrit
devant lui, mais dans la multitude de ses bonnes œuvres, il eut soif d'établir
l'ordre qui devait y régner ; il fit toujours passer ce qui est de devoir et de
justice avant ce qui est de charité et surérogation.
Comme Chanoine, il était tenu d'assister à l'office divin ;
il donna l’exemple d'une assiduité scrupuleuse, il assistait exactement à toutes
les heures, et ne manquait jamais d'y chanter, la tendre piété dont il était
pénétré, rendait cette occupation chère à son cœur, l'esprit de foi l'animait,
il y voyait la fonction des Anges, il la remplissait avec autant d'empressement
que de respect. Comme Théologal, il avait à prêcher chaque Dimanche de l'année,
il ne manqua aucun des jours marqués à s'acquitter par lui-même de ce devoir. On
admirait dès lors dans M. Roland, le saint Prêtre, le fervent chanoine, le digne
ouvrier tic la vigne du Seigneur ; on pouvait en effet le regarder comme l'homme
de Dieu pour la ville de Reims ; il était à la tête de toutes les bonnes œuvres.
Pour répandre l'esprit Ecclésiastique dont il était lui-même
rempli il fit de sa maison un petit Séminaire où l'on vit plusieurs enfants de
famille et autres entrer en Communauté pour y vivre d'une manière cléricale ; et
par les Conférences qu'il y faisait formait des sujets propres à servir
l'Église. Ceux qui pour des raisons de santé et de famille, ne pouvaient se
rendre à la Communauté, y avaient entrée libre et journalière pour les exercices
Ecclésiastiques et spirituels ; il leur donnait d'excellentes leçons pour les
former à l'oraison, à laquelle ils vaquaient avec lui pendant une demi-heure. Il
leur faisait ensuite une Conférence sur la Sainte Écriture, ce qui produisait
son fruit avec le temps,
Le dessein de M. Roland dans ces exercices, était de faire de
ses disciples des Missionnaires, ou de bons Curés pour le ministère des autels.
Il avait un attrait particulier : ce qu'il a fait voir dés lors qu'il prit la
soutane ; car dès qu'il apprenait qu'il y avait quelque Mission il s'y joignait
afin d'y travailler et contribuer à la dépense. On ne pourrait dire combien il
se forma sous sa direction de Prêtres zélés pour les Catéchismes et pour toutes
les parties du gouvernement spirituel des paroisses, Tous ceux qui ont demeuré
chez lui ont répandu dans les endroits où la Providence les a appelés, l'odeur
de leurs vertus et sainteté, et on voit encore aujourd'hui dans la Ville, une
quantité de bons Prêtres qui ont été formés par sa main; qui ne se sont point
démenti des principes qu'il leur a donnés depuis quinze ans qu’il est décédé, et
tous avouent qu'ils lui ont une très grande obligation ayant tiré de lui
l'estime de leur ministère ; ce qui est cause aussi du regret de plusieurs
autres qui ont laissé l'occasion de le pratiquer dans leur jeunesse. Il fit même
son possible pour transférer sa petite Communauté dans une Paroisse de la Ville,
pour qu'elle fut plus utile, mais la mort prévint ce dessin et Notre Seigneur se
contenta de sa volonté.
On vivait dans ce petit Séminaire qu'il dressait chez lui
avec une grande édification sous sa conduite ; aussi n'épargnait-il ni santé, ni
biens, il aurait voulu donner sa vie pour leur perfection, son zèle ne lui
donnait aucun repos, il entendait les confessions générales de ces jeunes
hommes, leur faisait des entretiens spirituels. Il avait dressé des pratiques
journalières pour vivre dans sa petite Communauté. On y vivait dans la plus
grande austérité, y pratiquant beaucoup de macérations, et avec une sobriété si
extraordinaire, dit un de ses disciples, qu’en l'espace d'un an que j'y ai
demeuré, je n'ai jamais entendu personne se plaindre du boire ou du manger, ni
en faire un seul mot d'entretien. On y servait ordinairement quelques fruits
pour le dessert, mais on n'y touchait pas par esprit de mortification.
Quoiqu'on n'y parlait pas sans nécessité, et même à voix
basse hors le temps des récréations, on y tenait trois fois le silence la
semaine ; on y faisait aussi les coulpes, ou on s'accusait de ses fautes ; on
avait aussi chacun en particulier un admoniteur pour l'avertir des manquements
qu'il avait remarqués en soi, et dans tous ces exercices, M. Roland était le
premier à donner l'exemple.
Son zèle pour le salut des âmes ne demeura pas satisfait, en
dressant ces jeunes hommes à la vertu, il faisait et procurait des Conférences
Ecclésiastiques afin d'exhorter les Prêtres à s'acquitter de leur ministère. où
plusieurs personnes de qualité et de mérite se trouvaient ; ce qui se faisait
tous les Mardis. Un jour Messieurs les Évêques de Châlons et d'Évreux s'y
trouvèrent, et ils furent dans l'étonnement de voir qu'un jeune Prêtre put avoir
des conceptions si fortes, un zèle si ardent, et une onction si extraordinaire
dans ses paroles. Ils dirent à sa louange que cet homme de Dieu ne laissait
aucun doute qu'il ne fut rempli des vérités qu'il enseignait, que l’esprit de
Dieu parlait par sa bouche.
M. Roland a eu une grande partie de l'esprit de saint Charles
qu'il a renouvelé dans le Diocèse de Reims, en inspirant l'esprit Ecclésiastique
à tous ceux qui vivaient dans sa petite Communauté, n'y ayant point encore fie
séminaire dans la ville de Reims.
CHAPITRE 6
Ses prédications, ses missions
M. Roland joignait à une piété solide et éclairée un zèle
ardent, laborieux et infatigable. Sa fonction de Théologal lui donna occasion de
le satisfaire, et de mettre en usage au profit des âmes le grand talent de la
parole que le Ciel lui avait confié.
Un zèle si ardent ne se bornait pas aux fonctions Théologales
qui lui fournissait cependant une vaste matière ; il se répandait de tous
côtés ; et partout où on l'appelait sa parole était efficace, ainsi que son
exemple. Les fruits de cette divine semence germaient avec abondance où il
allait la jeter et l'arroser de ses travaux ; ses paroles étaient persuasives,
son style était apostolique et populaire, ce qui faisait qu'il profitait à
tous ; il appuyait les vérités qu'il avançait sur l’Écriture Sainte et les
Pères, ce qui était cause que les libertins se trouvaient sans répartie,
lorsqu'il les reprenait de leurs vices ; il n'épargnait aucune condition, et on
eut dit à l'entendre prêcher qu'il eut voulu expirer sur la place, afin de
convaincre chacun des devoirs de son état, et quoiqu'il fut d'une complexion
très faible et déjà épuisée par ses austérités, son zèle ne laissait rien à dire
sur les matières qu'il entreprenait. Ce qui rendait ses paroles si énergiques,
c’est qu’il puisait à la source des sciences par la communication qu'il avait
avec Dieu ; car il ne se mettait à l'étude qu'avec des dispositions dignes de
Dieu : d'autant qu'il s'était fait un directoire de ses intentions, dont il se
servait, par lequel il renonçait avant que d'étudier, à toute éloquence humaine,
et recherche des créatures et de soi-même ; avec protestations de n'apprendre
les divines Écritures que pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ; et puis
commençant par la prière, à la fin de laquelle il faisait une prière plus
fervente encore, suivie d'une lecture dans le livre de l'Imitation de
Jésus-Christ, qui était la nourriture ordinaire de son âme.
Ce qui le facilitait encore dans ses prédications était son
heureuse mémoire ; car souvent n'ayant pu trouver du temps pour ses sermons, il
ne lui fallait qu’une demi heure pour le dresser. Il arriva un jour chez un de
ses amis fort las et fatigué d'un voyage long et pénible pour la saison, il le
pria de prêcher comme faisaient ordinairement les personnes qui connaissaient
son mérite, et pour les grands fruits qu'il faisait partout où il passait. Il
arriva le samedi soi, il lui accorda de prêcher le lendemain, parce qu'il ne
refusait rien de ce qui regardait la gloire de Dieu, et disposa son sermon. On
ne sait par quelle occasion il apprit le besoin du peuple avant de monter en
chaire ; il y monta cependant dans la résolution de prêcher ce qu'il avait
disposé ; mais se mettant à genoux, pour faire son invocation, à ce qu'il a dit
lui-même, il fut poussé intérieurement de changer son sujet ; et tout son
discours. Il y réussit très heureusement avec l'admiration des personnes
savantes, et au grand profit de tout le peuple : ce qui parut même à
l'extérieur, car on vit un changement merveilleux dans cette paroisse, sur la
réforme des mœurs et des vices qui y régnaient auparavant.
On voit par ce qui vient d'être dit, que M. Roland
n'enfouissait pas le talent qu'il avait reçu du Seigneur, et qu'il ne bornait
pas son zèle à paraître dans le Chœur, et dans une des stalles de la Cathédrale.
Partout où il voyait du bien à faire, il y courait, il se prêtait à toutes les
bonnes œuvres ; il a demeuré avec les premiers Évêques de France qui ont été
dans la Chine, M. Béril, Messieurs de Liopolis et de Méthélopolie ; il déplorait
son malheur de ne pouvoir aller aux Missions étrangères, disant qu'il ne
méritait pas l'honneur du martyre.
Il s'unissait à tous les gens de bien indifféremment, soit
séculiers ou Réguliers, lesquels il connaissait particulièrement dans toutes les
Villes du Royaume. et cette union le tenait dans une confusion continuelle que
son humilité lui suggérait, croyant de ne rien faire pour Dieu en comparaison
d'eux. Il ne se faisait aucune Mission qu'il ne voulut y contribuer de sa
personne ou de ses moyens, ce qu'il fit voir quand il alla à Sommepy en
Champagne avec les Pères de l'Oratoire, où il travailla pendant un mois entier ;
on le voyait dans de semblables occasions se consumer par l'ardeur de son zèle.
Son talent pour les Conférences spirituelles était extraordinaire, elles
faisaient une impression admirable sur les cœurs de tous ceux qui y assistaient.
Après la mission de Sommepy M. Roland engagea Messieurs les
Missionnaires à demeurer pour une Mission à Fismes. En attendant qu'il eut
obtenu la permission des Supérieurs, dans l'intervalle du temps il partit de
Sommepy en poste et vint à Fismes témoigner à M. Martin qui en était Curé depuis
peu de temps et qui était un de ses disciples, ayant demeuré près de quatre ans
dans sa petite Communauté, le dessein qu'il avait eu de l'aider à mettre sa
paroisse en bon état. Voici ce que dit le disciple de son maître dans cette
Mission.
« Le zèle de M. Roland pour l'avancement de la gloire de
Dieu, était si ardent et si infatigable, que je peux dire qu'il s'en trouve peu
de semblable, que ni les fatigues, ni les persécutions, ni les respects humains,
ni les mauvais jugements, ni l'incertitude du succès ne faisait aucune
impression sur son esprit lorsqu'il croyait que Dieu demandait de lui qu'il
entreprit quelque chose pour sa gloire. Sans m'avoir écrit ni parlé du désir
qu'il avait qu'il se fit une Mission dans ma paroisse, il vint en diligence
m'avertir qu'il croyait que Dieu demandait cela de lui et de moi ; et sur ce que
je lui représentais que n'étant pas encore bien accommodé, il me serait
difficile de bien recevoir Messieurs les Missionnaires et d'en faire la dépense,
il me dit de ne me point mettre en peine, que ces Messieurs y contribueraient,
et que la dépense ne me serait pas si fort à charge que je le croyais ; et comme
je lui dis qu'il me pressait bien l'épée dans les reins, que cette affaire me
paraissait un peu précipitée, il me dit qu'il craignait fort que je ne fusse
déjà déchu de ma grâce ; et que le peu de zèle qu'il m'avait cru auparavant
commençait à s'éteindre, puisque je résistais aux desseins que Dieu avait sur ma
paroisse ; je lui dis en riant : faites-moi au moins la grâce d'entrer et de
vous rafraîchir, et nous conviendrons ensemble des moyens de donner une heureuse
suite à une si louable entreprise. Il attacha son cheval à la porte du dehors,
et me dit d'un air fort sérieux et dédaigneux, qu'il protestait n'entrer jamais
chez moi, ni d'y boire, ni manger, si je ne consentais à cette Mission, et qu'il
s'en retournerait avec la même vitesse qu'il était venu, sans rien prendre, en
secouant la poussière de ses pieds contre ma maison, puisque je refusais de
recevoir dans mon champ les ouvriers de la moisson. Cela m'obligea à me rendre à
ses justes désirs, et je crois que cette Mission suivie de celle de Sommepy,
dans lesquelles il se fatigua considérablement, ont abrégé ses jours ; car outre
les prédications qu'il faisait, il était des dix et douze heures au
confessionnal et en faisant la clôture de la Mission, il parla avec tant de feu
et de force contre la rechute dans le péché, et de la persévérance dans la grâce
que sa voix s'éteignit entièrement. »
Étant de retour à Reims, accablé des fatigues que lui avaient
causées ces deux Missions, il résolut de faire encore un voyage à Beaune, à
dessein de se dévouer d'une manière toute particulière aux mystères de l'Enfance
du Sauveur, et en fit dans cette Ville un vœu exprès sur le tombeau de la
Vénérable Sœur Marguerite surnommée du Très Saint Sacrement, à laquelle il
portait une grande vénération ; ce qui fut d'une grande édification pour tout le
couvent et d'une particulière consolation pour les Religieuses qui le
conversèrent, principalement la Supérieure qui en parle avec estime, comme d'un
homme rempli de l'esprit de Dieu ; elle lui donna une figure de Jésus Enfant que
la Vénérable Sœur Marguerite honorait dans ses stations.
CIIAPITRE 7
Son attrait pour l’éducation de la jeunesse
Quoiqu'il soit vrai que la gloire de Dieu et le salut des
âmes soient la fin de tous les Ouvriers Évangéliques, il n'est pas moins vrai,
que presque tous sont inspirés d'y travailler d'une certaine manière, et qu'ils
se sentent déterminés par attrait à certaines bonnes œuvres. L'attrait de M.
Roland était l'instruction de la jeunesse.
Dès la vingt-septième année de son âge considérant que le
peuple et les grandes personnes profitent peu des meilleurs sermons, et que le
défaut d'éducation et d'Instruction de la Jeunesse, a toujours été et est encore
la source des plus grands dérèglements, il résolut de remédier à ce mal en
travaillant de tout son pouvoir, à établir des écoles gratuites pour
l'Instruction des petites filles : ce dessein formé il fit un voyage à Rouen,
pour y prêcher le Carême ; mais la prédication n'était qu'un saint prétexte, son
principal dessein était de voir et de converser avec des gens de piété ; il les
vit et les édifia comme il en fut édifié : il vit plus particulièrement M. de
Saint-Amand chez lequel il avait passé six mois après sa prêtrise, dans la
pratique de toutes les vertus les plus austères ; il y vit aussi le Père Barré
de l'ordre des Minimes, lequel avait commencé des écoles d'instruction gratuites
pour les jeunes garçons et les jeunes filles dans la ville de Rouen, avec le
succès qu'on a vu depuis dans presque toutes les Provinces du Royaume.
M. Roland contracta une étroite et sainte amitié avec le Père
Barré et renouvela l'estime et la vénération qu'il avait toujours eue; pour la
vertu de M. de Saint-Amand, l'un et l'autre reconnurent l'esprit qui animait M.
Roland et l'aidèrent de leurs conseils à exécuter la pieuse résolution qu'il
avait formée d'établir des écoles gratuites dans la Ville de Reims.
Mais en prêchant, conversant et faisant plusieurs entretiens
spirituels, M. Roland y contracta de grandes incommodités, de sorte qu'à son
retour à Reims, les médecins lui ordonnèrent de prendre le lait pour se
rétablir, mais en voulant guérir son corps ils affligèrent son âme, en lui
défendant de célébrer la Sainte Messe ; cependant il sembla acquiescer à leur
ordonnance. Il invita M. Rogier, son ami intime, de venir passer quelque temps
avec lui à une maison de campagne, pour lui dire la Messe tous les jours, ce
qu'il fit avec plaisir, mais M. Roland se levait dès les trois heures du matin,
pour offrir à Dieu le Saint Sacrifice, trompant ainsi innocemment les médecins
et ses parents.
Ce fut en ce temps là même de ses infirmités, que méditant et
se rappelant le dessein qu'il avait eu en allant prêcher à Rouen, et sentant que
son zèle pour l'instruction de la Jeunesse croissait de plus en plus il crut que
Dieu demandait cette œuvre de lui ; car disait-il souvent Dieu demandera un
compte terrible à toutes les personnes qui devaient et pouvaient instruire les
âmes, et leur refusaient ce secours ; car disait-il encore, les âmes que nous
aurons laisser tomber dans le péché faute d'instruction demanderont vengeance au
tribunal de la Justice Divine. Ce fut donc dans ce pieux sentiment qu'il forma
de nouveau le dessein généreux d'établir une Communauté, où on travailla aux
écoles gratuites ; et Dieu qui le lui avait inspiré, le soutint par sa
Providence, laquelle parut manifestement : car les Messieurs de la Ville lui
ayant refusé l'administration des petits orphelins, dans la crainte qu'ils
avaient de quelque établissement, lui offrirent l'administration spirituelle des
dits enfants, ce que M. Roland reçut avec plaisir, comme on le verra dans le
chapitre suivant.
Chapitre 8
L’établissement des écoles gratuites
Le zèle de M. Roland fit qu’il considéra l’administration des
Orphelins que les Messieurs de la Ville venaient de lui confier, comme un ordre
de la divine Providence, et comme un moyen d'exécuter le dessein que la même
Providence lui avait inspiré. Ce fut en cette occasion qu'il fit paraître la
grandeur de son âme, et la générosité de son esprit, en ce que nous allons dire,
aussi bien que son abandon aux soins de la même Providence, et qu’il fit
paraître son dégagement pour les biens temporels.
Il commença donc à prendre le soin de cette maison où il y
avait plus de quarante personnes à nourrir, et où il n'y avait pas un sols pour
y faire la dépense ; d'autant que la personne qui les gouvernait auparavant sous
le bon plaisir des dits Messieurs, leur portait les aumônes et les quêtes qu’on
leur faisait journellement. Les dits Messieurs payaient l'intérêt de cet argent
qui leur était porté, et ne voulaient cependant prendre aucun soin de la dite
maison.
M. Roland s'en voyant chargé; ne se contenta pas de pourvoir
au spirituel, il pourvut à tout, fournissant tout ce qui était nécessaire. Il
trouva ces pauvres enfants tous nus et comme des squelettes, faute de
nourriture ; leur pauvreté était si grande qu'ils manquaient du pur nécessaire ;
ils étaient si infectes et si abandonnés, qu'on ne pouvait les voir sans horreur
dans l'infection et la fange où ils étaient : leur habitation était, dit un
disciple de M. Roland, plutôt une étable qu’un hôpital, j'en peux parler,
continue-t-il, non pour l’avoir ouï dire, mais pour l'avoir vu de mes propres
yeux, puisque cet homme de Dieu me fit la grâce de vouloir bien me charger du
soin temporel de cette maison, me fournissant à ce sujet tout ce qui était de
besoin. Il pensa d’abord à les fournir d'habits, de linge et à les bien nourrir.
Ne regardant ces pauvres enfants que par l'œil de la foi, il ne voyait que
Jésus-Christ en eux ; et se souvenant qu'il avait été assez pauvre dans cette
étable, il fallait le mettre plis décemment ; il fit faire des bois de lits pour
coucher ces enfants, car auparavant il y avait de grandes couchettes, où ils
étaient six ou huit ensemble, sans comparaison comme des bêtes, tant l'ordre y
était mal gardé, et je suis témoin que le tout se faisait de ses libéralités, et
il me donnait de sa bourse de quoi fournir à tous les besoins de ces enfants.
Si les dits enfants étaient bien nourris et alimentés par les
soins de M. Roland, il prenait et faisait prendre encore un soin particulier de
leur éducation, ce qu'on n'avait pas fait avant qu'il s'en fut chargé : car
avant c'était chose déplorable pour la corruption de leurs mœurs et l'ignorance,
ils ne savaient ce que c'était de la connaissance de Dieu et du salut ; on se
contentait de leur donner à manger tellement quellement, ce que M. Roland fit
cesser, ayant changé les dites personnes en d'autres dans lesquelles il
remarquait de la piété, afin que la maison changeât de face, comme il arriva en
peu de temps
Mais comme son dessein ne se terminait pas à la seule charité
pour le soin des Orphelins et que cela ne lui servait que de prétexte, pour
l'établissement des Écoles, il ne se donna point de repos qu'il n'exécutât cette
pieuse entreprise, pour laquelle il fit plusieurs voyages à Paris et à Rouen,
afin de voir par lui-même le grand bien que faisaient les Filles de la
Providence que le Père Barré Minime avait établi dans ces deux grandes villes
avec succès : il lui demanda de ses filles qui avaient déjà l'expérience de
l'emploi auquel il désirait les employer. Le Père Barré accéda à sa demande et
lui donna la supérieure de sa maison de Rouen avec deux autres Maîtresses que M.
Roland fit conduire à Reims, et les logeât dans la Maison des Orphelins ; sous
prétexte de leur rendre service, quelque temps après il obtint de M. l'Écolâtre
l'approbation pour établir quelques écoles dans la maison des dits Enfants, où
on recevait toutes les petites filles et même les grandes qui se présentaient
pour apprendre à lire et y être instruites des vérités du salut. Ce nouvel
exercice commença bientôt à éclater dans la Ville, et donna aussi commencement
aux contradictions qui s'élevèrent et s'accrurent depuis, comme on le verra dans
le chapitre des vertus que ce saint homme a pratiquées. Il commença donc ainsi
l'établissement des Écoles gratuites et fit pour cela de grandes dépenses pour
accommoder cette nouvelle maison, où il n'y avait que les Orphelins avec
quelques personnes pour pourvoir à leurs besoins ; lesquelles il mit dehors avec
des récompenses sortables à leurs travaux, et la maison commença à s'accommoder
avec vigilance ; où il y recevait des sujets à proportion que les classes
s'augmentaient. Tout ce qu'on avait besoin, on le prenait chez lui, et on ne
faisait presque qu'un ménage ; car toutes les provisions étaient pour ses filles
à qui il avait donné une entière liberté d'aller prendre chez lui pour elles et
pour les Orphelins tout ce qu'elles avaient besoin : il se faisait aussi un
grand plaisir de leur donner et fournir de tout, comme les avares s'en font un
d'amasser de l'argent : toutes ces délices étaient pour le bien de cette maison,
non seulement il n'y épargnait ni soin, ni argent, mais il y procurait encore
tous les secours spirituels ; ses jours et ses nuits étaient employés à cette
œuvre, et tous ses soins ne furent pas sans fruit : car cette maison jeta un tel
éclat en peu de temps, que le diable et le monde se déclarèrent ouvertement ses
ennemis : mais M. Roland n'en fut que plus encouragé à poursuivre son
entreprise, car disait-il, c'est une marque que cette œuvre est de Dieu puisque
les puissances de l'enfer s'intéressent à l'empêcher. On voyait déjà dès ce
temps le bien que cet Institut ferait dans la suite, car dans ces écoles
nouvellement établies, on y rencontrait des filles de tout âge, et même des
femmes qui déploraient leur vie passée ; durant laquelle elles avaient été dans
une grande ignorance des choses nécessaires au salut.
Les Sœurs de cette Communauté faisaient aussi un très grand
progrès sous la conduite de ce Saint Instituteur qui y répandait sa doctrine et
son zèle avec tant d'onction, qu'elles auraient volontiers donné leur vie à sa
persuasion, tant elles se sentaient animées du zèle de la gloire de Dieu et du
salut de la jeunesse qui leur était confiée.
La bonne odeur que répandait la conduite de ces premières
filles de M. Roland en attira bientôt d'autres, le nombre s'augmenta en peu
d'années, ce qui fit qu'on multipliât les Écoles en différents quartiers de la
Ville et même de la campagne : toutes les personnes qui pratiquaient le Saint
Fondateur; se faisaient un plaisir à son exemple de participer à ce bien.
Ses vues dans ce nouvel Institut, étaient de former des
maîtresses d’écoles pour instruire gratuitement ; pour en former aussi qui
puissent instruire dans les campagnes sous la conduite des bons Curés ; d'y
prendre encore des personnes de piété en retraite, qui est un bien
considérable ; il voulait aussi que les petits Orphelins y fussent bien élevés,
d'autant, disait-il que c'est l'origine de la Maison, et qui nous représentent
Jésus-Christ en l'état de son Enfance ; et c'est à cette fin qu'il a donné pour
titre à cette Maison, la Communauté du Saint-Enfant-Jésus. Tous ces pieux
desseins firent qu'il n'épargna rien pour y donner de bons principes pour le
Règlement de cet Établissement et pour former les dites Filles à une perfection
qui réponde à la sainteté de l'état que demande une vie apostolique, ainsi que
l'ont rapporté celles qui ont vu commencer l'Établissement ; dans les maximes
qu'elles ont reçues de M. Roland, lesquelles maximes seront dans ce manuscrit
pour l'utilité des Sœurs aussi bien qu’une partie des vertus qu'il a jugé leur
être les plus nécessaires pour se sanctifier dans cette Communauté.
Les dites Filles ont expérimenté sa charité, son zèle et sa
douceur paternelle, tout le temps qu'il a vécu, elles ont été témoin de ses
rares vertus, de la pénétration de son esprit, surtout de la grande édification
qu'il leur a donnée par son extrême pauvreté et sa grande mortification ; aussi
suivaient-elles son exemple autant que la faiblesse de la nature leur permettait
; elles vivaient et étaient accommodées très chrétiennement, et le bon Fondateur
se trouvait souvent obligé à veiller à leurs besoins, tant elles se négligeaient
elles-mêmes pour ne s'attacher qu'à leurs devoirs ; ce qui a duré plusieurs
années, comme le rapportent ceux qui ont conversé ces saintes Filles.
Je ne dois pas oublier, dit un Disciple de M. Roland, de vous
dire que ce saint homme ne se contentait pas de rendre ses services et de se
dépouiller de tout ce qu'il pouvait posséder, jusques là même que dès qu'il
pouvait toucher quelque argent de ses parents ou d'ailleurs, on voyait en lui un
saint empressement de l'envoyer en cette maison, sans le laisser coucher chez
lui, ce qui marquait son grand détachement ; et un jour M. son père lui en ayant
apporté, à peine fut-il à la porte qu'il appela son garçon et lui dit :
Déchargez-moi de cet argent et le portez à ces pauvres enfants ; ce qui fait
voir le désir qu'il avait de l'avancement de cette maison. Il ne négligeait
aucun moyen pour le procurer et engager sa famille pour répondre du temporel, se
servant pour cela de sollicitations engageantes.
Chapitre 9
Suite de l’établissement de la Communauté
et de conduite qu’il y a gardée
M. Roland ne se contenta pas d'avoir établi la Communauté du
Saint-Enfant-Jésus, et d’y fournir tout ce qui est nécessaire, tant pour
l'ornement et décoration de la Chapelle qu'il a fait bâtir à ses propres dépens,
comme de tous les ameublements qui étaient nécessaires aux Sœurs et aux
Orphelins dans cette nouvelle maison qu'il avait achetée de ses propres deniers,
comme il est dit au chapitre précédent.
Il voulut pourvoir aussi à leur conduite spirituelle, par
lui-même et par d'autres, afin que cet Institut puisse être solidement établi,
et qu'il fut utile au public ; c'est pourquoi qu'il n'y épargna rien et fut
infatigable à solliciter sa consommation par de longs et pénibles voyages dans
lesquels il essuya de très grandes peines et rebuts.
Il ne connaissait point de personnes qu'il crut être à Dieu,
qu'il ne les employa à son dessein, leur demandant et suivant leurs avis et
conseils en tout ce qu'elles pouvaient pour le bien de cette Maison ; car
c'était son propre d'aller toujours par l'avis des autres, et de se communiquer
dans le bien qu'il voulait entreprendre, ne fût-ce qu'à un simple Clerc, pourvu
qu'il fut un bon serviteur de Dieu ; comme aussi de gagner de saints Prêtres
pour l'aider à dresser la conduite de ses Filles par des entretiens, Conférences
et exhortations générales et particulières, il était plein de joie, lorsqu'il
trouvait un quelqu'un qui se prêtait pour l'aider en cette bonne œuvre.
Voici les principales vues qu'il avait sur cette Communauté :
1° Qu'on y vive en grande perfection ; car disait-il, une
poignée de gens qui vont à la perfection de la belle manière, de quelque
condition qu'elles soient, rendent plus de gloire à Dieu qu'une Ville, même
qu'une Province ne saurait lui en rendre ;
2° Que l'unique but de cette Maison soit de demeurer en habit
séculier et non cloîtrée, pour être libre d'aller enseigner dans tous les
quartiers de la Ville et même dans les Campagnes où elles pourront être envoyées
par les Supérieurs.
3° Que l'unique emploi des Sœurs soit de travailler au salut
des aines, par le travail des Écoles et des instructions, autant que le sexe en
est capable ;
4° Que l'esprit de pauvreté, d'humilité, de zèle et de
dépendance y soit gardé dans la rigueur ; que les Sœurs s'éloignent
soigneusement de toute communication et de tout commerce avec les créatures ;
5° Que les personnes qui veulent se sacrifier entièrement
pour servir Dieu dans le prochain y soient reçues de quelque condition qu'elles
soient sans en exiger de dote, pourvu qu'elles aient les qualités nécessaires.
Il ne faisait dans cette Maison aucune distinction des
personnes. Il ne voulait pas non plus qu'on fit distinction de celles qui
avaient apporté du bien, et de celles qui n'en avaient pas apporté ; il voulait
que l'on veillât avec plus de soin sur celles que leur vertu portait à se
négliger elles-mêmes.
Il estimait que c'était un sujet d'exclusion dans une fille
lorsqu'elle recherchait ses intérêts : qu'elle épargnait ses forces, et qu'elle
était adonnée à des communications et attachée à sa famille.
Il demandait un grand dénouement et fuite de toute curiosité
et propriété.
La grande maxime sur cette Communauté était que toutes sortes
d'esprits n'y étaient pas propres ; car disait-il, il faut une vie au-dessus du
commun, pour exercer avec édification les fonctions de leur emploi, il faut une
grande mort à elles-mêmes ; il faut une grande simplicité et candeur pour obéir
an dedans, après qu'on a commandé au dehors. Il faut une grande humilité pour
dominer dans les classes sans se perdre par les vains applaudissements des
créatures.
Il voulait qu'avec les exercices de l'école, on joignit le
travail des mains qui ne devait consister que pour le besoin de l'usage de la
maison, afin d'éviter l'extinction des instructions, et d'y introduire des
manufactures.
Plusieurs personnes de mérite, qu'il se faisait un plaisir de
consulter pendant sa vie, ont assuré que les maximes sus dites étaient ses
sentiments sur la Maison, pour lui avoir oui dire plusieurs fois et s'en sont
entretenu dans les rencontres, où l'on parlait de son souvenir.
Il avait une grande attention à tout ce qui pouvait mortifier
les inclinations des Sœurs, et ne permettait pas qu'on leur passât rien pour les
faire entrer dans l'esprit de mort à elles-mêmes et de mortification de leurs
sens.
Une de ses maximes encore était qu'il valait mieux couper un
lien que de vouloir le dénouer ; il voulait dire par là qu'il fallait rompre
tout d'un coup les attaches qu'on avait aux créatures plutôt que de tant
marchander. Une autre était : tout ou rien ; il ne pouvait souffrir le partage
que tant de gens veulent faire avec Dieu et la créature ; il disait souvent
qu'une personne qui se donnait à Dieu sans réserve, avançait plus en trois mois,
qu'une autre en dix ans.
Il avait tant d'attrait et de désir que les Sœurs
s'acquittassent bien de l'école que lui-même l'allait apprendre dans toutes les
Villes où il passait lorsqu'il apprenait qu'il y en avait d'établies par de
bonnes méthodes, il faisait venir des Maîtresses expérimentées pour les dresser
dans cette maison, le tout à ses frais et dépens, et dans ces occasions, sa
longanimité et sa charité étaient si grandes, que quelques grossières que
fussent ces filles, cela ne le rebutait pas.
Pour réussir à l'entreprise qu'il faisait de n'introduire,
dans cette Communauté, que des personnes déterminées à correspondre au dessein
que Dieu lui avait inspiré ; il examinait lui-même le caractère et l'esprit des
filles ; il les éprouvait en toutes choses, principalement dans l'abnégation et
la mort à toute recherche d'elle-même.
Il leur dressait des Règlements de fois à autres, selon les
difficultés qui pouvaient se présenter dans ce nouvel Établissement, il leur
donnait journellement des avis de vive voix, dont nous donnerons l'abrégé
ci-après, avec quelques chapitres des vertus les plus nécessaires aux Sœurs de
cette Communauté que l'on a trouvé écrites de sa propre main, et qui sont très
utiles pour toutes sortes de personnes consacrées au service de Dieu dans des
cloîtres ou maisons régulières.
Une des raisons que M. Roland eut d'établir plutôt l'école
des filles que celle des garçons qu'il avait cependant envie d'établir dans la
suite, ce fut, disait-il, que les mères, les filles aînées des familles et les
servantes sont pour l'ordinaire plus chargées de l'éducation des enfants que les
pères : ce qui l'engageait à exhorter les Sœurs à ne pas s'épargner pour
instruire ces grandes personnes de leurs devoirs envers les enfants qui sont
commis à leurs soins.
Chapitre 10
Le dernier voyage que M. Roland fit à Paris,
de ce qu’il y souffrit et des sentiments
qu’il eut sur les approches de la mort
Après que ce grand Serviteur de Dieu eut passé plusieurs
années dans la pratique de toutes les vertus chrétiennes et ecclésiastiques, et
qu'il eut essuyé beaucoup de peines, d'opprobres et de contradictions des
créatures, sans que cela l'ait jamais fait désister d'un instant de ses pieuses
entreprises ; sa confiance et son abandon à Dieu était si parfait que les plus
grands obstacles n'ont jamais put lui faire concevoir aucune défiance du succès
de ce qu'il avait entrepris pour sa gloire et le salut des âmes, étant certain
que Dieu prend plaisir à faire mieux paraître sa puissance et la force de sa
grâce, lorsqu'il y a plus d'opposition de la part des hommes.
Après plusieurs voyages à dessein d'établir les écoles
gratuites, il en fit encore un à Paris sur l'espérance que M. l'Archevêque lui
avait donnée, lorsqu'il permit qu'on bénisse la Chapelle de la Communauté ; il
partit donc de Reims dans une saison fort incommode, peu avant les Avents, et
n'en revint que la Semaine Sainte, passant cette hiver dans d'extrêmes peines et
incommodités pour les rebuts qu'il avait eu des créatures et les épreuves de
Dieu qui redoublèrent aussi en lui, comme nous allons voir. Toutes ces épreuves
ne l’abattirent pas, il s'occupa tout ce temps à solliciter la consommation de
son Établissement avec plus d'ardeur que jamais, passant une grande partie du
temps en attendant dans l'antichambre du dit Seigneur qui passait et repassait
souvent devant lui sans lui rien dire, comme étant occupé à de plus grandes
affaires, mais bien plus par un ordre de la Providence, pour achever de purifier
son Serviteur, qui le voulait bientôt retirer de ce monde ; il passait le temps
qui lui restait d'après ses sollicitations en retraite dans le Couvent des
Révérends Pères Carmes déchaussés, en gémissements, en larmes en prières
continuelles ; et par je ne sais quelle rencontre, une personne de grand mérite
qui était son ami, le voyant si atténué et bouffi par l’abondance des humeurs
causées par le grand froid et ses grandes abstinences, lui prédit que dans peu
de temps il partirait de ce monde.
M. Roland prit cet avis comme venant du ciel, et se disposa à
la mort par un nouvel esprit de pénitence, et par une retraite dont le premier
motif fut d'y considérer et méditer ces paroles : La mort est proche. Il fit en
six semaines trois fois sa confession générale, ainsi que l'a assuré le Révérend
Père César, très digne Religieux du Couvent des Carmes déchaussés, qui était son
confesseur dans les séjours qu'il faisait à Paris, lors de ses voyages. Voici ce
qu'il dit de son Saint pénitent : J'entendis la Confession de cet humble
pénitent avec une sensible consolation, après l'avoir refusé plusieurs fois,
dans la certitude qu'il n'en avait aucun besoin ; car je ne trouvais point
d'homme plus pur dans tous ceux que je conversais depuis longtemps dans tous les
différents pays où je me suis trouvé ; mais quoique sa vertu m'avait toujours
apparu depuis que j'eus de sa connaissance ; je peux assurer que dans ce temps
il était tout autre qu'il n'avait encore été ; car quand il aurait été le plus
grand scélérat de la terre, on n'aurait pu remarquer en lui plus de componction.
Aussi était-il à ses yeux comme le plus abominable des hommes, et indigne de la
vie ; il ne pouvait trouver des termes assez durs pour s'exprimer. Quand il eut
achevé sa Confession générale recommencée par trois fois, non par scrupule, mais
par un instinct visible de la grâce, il pensa retourner à Reims.
Son départ de Paris fut sans succès de son voyage, et se
voyant sur le point de mourir, comme en effet il s'y était disposé, il me dit en
partant qu'il sentait bien que Dieu voulait le retirer de cette vie comme un
homme qui ne faisait qu'empêcher son œuvre. (Jusqu'ici ce sont les paroles de ce
bon Père qui en parlait avec l'estime d'un Saint, et dit qu'il espérait que
cette Communauté aurait en M. Roland un puissant protecteur auprès. de Dieu pour
son Établissement.) Ce qui s'est trouvé véritable, comme on le verra dans le
chapitre suivant.
Chapitre 11
Comme M. Roland tomba malade à son retour de Paris,
ainsi qu'il en avait ressenti les approches
par ses longues infirmités, et des sentiments
dans lesquels il est mort
M. Roland étant de retour de ce voyage, il donna des preuves
plus visibles de ses rares vertus qu'il n'avait encore fait : car il parut en
lui un si grand changement qu'on le prenait pour un autre lui-même par son
humilité, charité, patience, douceur, et son détachement du monde ; il ne
parlait plus de cette vie que comme d'un bannissement. Nous sommes, disait-il,
mais avec une onction qui pénétrait le cœur, nous sommes des exilés de notre
patrie, il faut se disposer pour y retourner ; que faisons-nous, sinon de nous
éloigner (le notre centre qui est Dieu (ce sont ses propres termes). Son
humilité le faisait cacher à ses propres yeux ; néanmoins il ne pouvait retenir
le feu que Dieu même allumait en lui, ce qui lui faisait dire simplement ses
sentiments sur l'état de l'autre vie. Quand irons-nous à cette autre vie, où on
jouit de l'unique beauté, bonté et amour, quel bannissement de vivre ici-bas ;
Ce n'est pas que dans ce temps, il ne fut dans de grandes épreuves, comme nous
allons voir, mais c'étaient les approches de la mort qu'il ressentait en lui,
ainsi que la pierre qui approche de son centre redouble ses mouvements, ainsi
cette âme désirait d'être unie à Dieu, Ses incommodités s'augmentant tous les
jours, on le vit depuis le Jeudi-Saint qu'il revint à Reims jusqu'au deuxième
mardi d'après Pâques qu'il tombât tout à fait malade de la maladie dont il est
mort, ayant passé tout ce temps dans l'exercice d'une très grande charité, tant
les jours que les nuits, auprès des Sœurs très dangereusement malades de fièvres
pourpreuses, sans que personne l'en put retirer. On craignait le danger pour lui
atténué et fatigué qu'il était. Cette crainte de la part de ses amis, ne fut pas
sans fondement, car il tomba malade de la même maladie la nuit du mardi au
mercredi de la seconde semaine d'après Pâques.
Cette annonce de sa mort prochaine ne le surprit pas, il
l'avait présente, l'ayant choisie pour le sujet de sa retraite qu'il avait faite
un mois auparavant. Durant cette maladie qui ne dura que neuf jours, il donna
encore l'exemple des plus grandes vertus, comme on va le voir dans le rapport
qu'en a fait M. Guyart son disciple et son intime ami, qui en a été témoin,
l'ayant gardé lui-même tout le temps de la maladie.
« M. Roland se sentant frappé de cette maladie il me dit
(c'est M. Guyart qui parle) qu'il n'en échapperait point, ce qui l'obligea à se
munir des Sacrements, chercher un digne successeur et faire son testament,
malgré les médecins qui l'assuraient de sa guérison ; et quand en ce temps, il
faisait des propositions de se donner à Dieu plus parfaitement, de se retirer
dans l’ermitage de Caen où était mort M. Bernier, il retournait aussitôt à
lui-même, disant que ses projets étaient vains puisqu'il devait bientôt mourir ;
il avait une parfaite connaissance et une docilité à l'épreuve dans cette
maladie ; il ne se plaignait point du tout au milieu de ses plus grandes peines,
il ne demandait et ne refusait rien ; il m'a avoué qu'il souffrait comme une âme
entièrement abandonnée, ne voyant qu'un Dieu en colère, que le jugement dernier,
qu'une éternité embrasée, qu'un monceau de péchés ; il m'a dit que l'homme ne
pouvait point porter plus de peine, ni d'accablement, que son état était une
agonie, et qu'il ne trouvait de la consolation que dans le jardin des Olives.
Lorsqu'on lui apporta le Saint Viatique et l'Extrême-onction
il fit une exhortation si forte et si touchante qu'il tirât les larmes des yeux
de Messieurs les Chanoines qui accompagnaient le Saint-Sacrement ; il la finit
par ces paroles : Voici, mes Frères, que je vais bientôt entrer dans le grand
jour de l'éternité, là je connaîtrai mes terribles obligations et mes
infidélités, je tremble quand j'y pense, priez le Seigneur qu'il me fasse
miséricorde, et en particulier du scandale que je vous ai donné par mon
infidélité et mon peu d'assiduité à l'Office divin. Il se regardait comme le
plus grand pécheur du monde, et croyait qu'il ne faisait rien que d'attirer la
colère de Dieu, et regardait toute la vie qu'il avait menée comme une
abomination. Ce fut dans ce sentiment qu'il priât la Supérieure de sa Communauté
de filles, de demander pardon à genoux pour lui à chaque sœur en particulier, et
à toutes en général de la mauvaise conduite, disait-il, en versant des larmes de
componction; qu'il avait tenue sur chacune d'elles, et du peu d'avancement dans
la voie de la perfection qu'elles avaient fait sous sa direction. Quant au
général, il croyait et disait que sa mauvaise vie seule empêchait la
consommation de cet Établissement, sentiment qu'il gardait depuis longtemps, lui
ayant entendu dire depuis longtemps et plusieurs fois, que c'était la Maison de
Dieu, et qu'il en prendrait soin lorsque je ne m'en mêlerai plus, s'appuyant sur
ce qu'une personne de mérite lui avait dit : Monsieur et cher Ami, tout ce que
vous désirez pour la Maison de l'Enfant-Jésus s'accomplira bientôt, prenez bon
courage, mais vous n'en verrez pas la consommation. Ce qui lui fit croire par un
bas sentiment de lui-même qu'il était seul celui qui mettait obstacle à l'œuvre
de Dieu. »
Quoique cet homme de Dieu fut si bien pénétré des biens de
l'autre vie, et qu'il lui sembla déjà en ressentir des Avant goûts, ce n'était
que par un sentiment de la pureté et de la force de sa foi, de l'esprit de mort
à lui-même et à toutes les créatures ; car il fut durant cinq jours de sa
maladie dans de si furieux assauts contre l'ennemi du salut, que les personnes
qui l'ont vu, ainsi que moi, en avaient jusqu'au frémissement de voir qu'un si
Saint homme qui avait vécu dans une si grande vertu, fut traité de la sorte.
Dieu l'a permis pour achever de purifier son Serviteur de ce qui pouvait y avoir
encore de nature en lui ; car durant ces cinq jours qu'il passa dans ces peines
si terribles, tout son désir était de mourir en vrai chrétien : on l'entendait
souvent répéter ces paroles d'un ton enflammé :
Seigneur, mon Dieu, faites-moi la grâce d'être du nombre des
Élus.
Dans tout ce temps d'épreuve et de combat. on ne l'a pas vu
tomber dans aucune impatience ni découragement, au contraire animé de confiance,
il chantait et se faisait chanter des cantiques sur le désir de voir Dieu et de
l'aimer sans partage. Cet assaut se passa très peu avant que d'expirer. Dieu le
permettant ainsi, pour que celui qui l'avait servi depuis le temps de sa
conversion jusqu'à ce moment, le passa sans aucune consolation ni de lui, ni de
ses créatures : car on peut dire avec assurance, comme tous ceux qui l'ont
connu, que cet homme de Dieu n'a jamais eu que des croix, des peines, des
travaux et des opprobres en toutes ses entreprises. Ce qui donna lieu de croire
qu'il est d'autant plus élevé dans le Ciel.
Enfin ce qu'on a remarqué et qui fait espérer que cela est,
ce sont ses mérites et les venus qu'il a pratiquées. Plusieurs personnes ont
assuré après sa mort que bien des choses leur étaient arrivées, comme ce bon
Serviteur de Dieu leur avait prédit pendant sa vie ; et d'autres ont aussi
assuré avoir reçu de grandes grâces et secours de Dieu, de s'être adressées à
lui après sa mort dans leurs peines et afflictions, ce qui se peut croire
pieusement, d'autant que ce sont toutes personnes de piété et de mérite.
Le père César, très digne Religieux du Couvent des Carmes
déchaussés à Paris, qui avait entendu la confession générale qu'il fit durant sa
retraite pour se préparer à la mort, dit à plusieurs de ses amis, que la
Communauté du Saint-Enfant-Jésus, aurait en M. Roland, un puissant protecteur
auprès de Dieu pour son Établissement : ce qui s'est trouvé véritable. Car dès
le moment que Monseigneur l'Archevêque eut appris sa mort, il prit lui-même la
Communauté comme sienne, et dit qu'il la soutiendrait toujours ce qu'on a cru
être un effet de la protection de Dieu sur cette Maison provenant du mérite de
son Serviteur.
Monseigneur l'Archevêque accorda peu de temps après, que le
Saint Sacrement fut posé dans la Chapelle, qu'il avait permis de bénir du vivant
du pieux Fondateur, il a confirmé et approuvé tout ce qu'il avait fait de son
vivant dans cette Maison ; il y a fait plusieurs fois les Ordres pour marquer
l'estime qu'il faisait de cette Communauté. Il fit faire ensuite par le
ministère de M. de la Salle, disciple et ami du défunt qui, au lit de la mort,
l'avait chargé du soin de sa Communauté et de l'exécution de son testament, tous
les traités avec les Corps de la Ville pour sa consommation.
Il est à remarquer que, quoique son Éminence eut fait à M.
Roland plusieurs refus sur cet Établissement, ce n'était que par un secret de la
divine Providence, car il l'aimait et l'estimait ; il a avoué que c'était un
grand serviteur de Dieu, qu'il ne l'avait fait souffrir que pour modérer
l'ardeur de son zèle, il faisait fond sur ses lumières, ainsi qu'on l'a remarqué
en la personne d'un de ses disciples qui étant interdit pour quelque fait qu'on
lui avait imposé, non seulement M. l'Archevêque lui rendit ses pouvoirs, mais
encore sur le témoignage de M. Roland, il lui donna une Cure et un Doyenné des
plus considérables de son Diocèse.
La Ville ayant donné son consentement pour la bonne œuvre
qu'avait fait M. Roland pour l'instruction dans les écoles du lieu de sa
naissance, M. l'Archevêque donna son agrément pour cette œuvre qui l'intéressait
plus que personne et se hâtât d'obtenir les Lettres-Patentes.
L'affaire fut assurée dès qu'elle fut entre ses mains. Son
crédit à la cour ne le rendait pas timide à demander une grâce de cette nature,
dans un temps où les plus grandes lui étaient prodiguées, et ou elles le
prévenaient sans lui donner la peine de les attendre. Un prélat moins puissant
eût pu échouer dans cette rencontre, où pour y réussir il eut été obligé de
compter tous ses pas et de mesurer toutes ses démarches ; mais le frère d'un
Ministre tout puissant auprès du Prince, n'avait pas besoin de ces timides
précautions ; il suffisait que le frère de M. de Louvois partit désirer une
chose, pour qu'on allât au-devant de ses demandes.
Jamais Monseigneur l'Archevêque de Reims ne fit mieux valoir
pour le bien de son Diocèse l'autorité qu'il avait en Cour et la faveur dont le
Prince l'honorait que dans cette occasion. Les Lettres-Patentes obtenues de
Louis XIV aussitôt que demandées, et ensuite enregistrées au Parlement, aux
frais de Monseigneur Le Tellier, furent remises entre les mains de M. de la
Salle digne successeur de M. Roland dans la Communauté.
Monseigneur l'Archevêque fit plus encore en accordant sa
protection à une: œuvre qu'il regardait comme la sienne après le décès de M.
Roland ; il voulut y contribuer par ses libéralités, et fournir de ses biens à
l'établissement d'une Maison, qu'on peut appeler, à juste titre, un Séminaire de
Maîtresses d'écoles. Par sa protection, par sa faveur, par ses largesses, elle
fut très bien cimentée, et elle parvint en peu de temps à un état florissant et
très utile au public. Ainsi, si cette Communauté doit son origine à M. Roland,
elle doit ses progrès aux soins laborieux de M. de la Salle et sa stabilité à M.
Le Tellier. Heureuses celles qui composent cette Communauté, si elles conservent
toujours l'esprit de leur Saint Fondateur, et si elles ne déchoient jamais de
leur première ferveur.
Je dirai encore un mot sur les opprobres que ce Saint homme a
soufferts, qui ne se sont point terminés avec sa vie, qui a finir le vingt sept
Avril, mil six cent soixante dix huit, âgé de Trente cinq ans cinq mois.
M. Roland ayant marqué dans son testament que son désir était
qu'après sa mort on le revêtit de ses habits de Prêtre et qu'on l'enterrât avec,
on exécuta son désir, on le coucha sur un lit de parade, à la vénération des
personnes de piété. Des libertins qui l'avaient haï pendant sa vie, parce qu'il
les reprenait vivement de leurs vices scandaleux, lui tirèrent par une fenêtre
de la Chambre où il était exposé des coups d'arquebuse. Ce qui fait connaître
que M. Roland était destiné aux souffrances.
Tout ce qui est écrit dans ce mémoire, a été reconnu,
recueilli et déclaré de plusieurs personnes de probité, qui ont demeuré avec lui
dans son petit Séminaire, qui l'ont conversé et pratiqué dans toutes les
circonstances, et dans ses voyages et maladies. De sorte que si on veut se
donner la peine encore aujourd'hui de s'informer de tous les chapitres sus dits,
on verra qu'il n'y a rien qui ne soit véritable, et ceux qui ont connu M. Roland
ont dit que ce ne sont que de petits fragments de ses mœurs, auprès de ce qu'il
était.
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