Ode naquit, dans le
Hainaut, de parents nobles et pieux ; elle eut pour père Wibert
et pour mère Thesceline. Dès ses plus tendres années elle apprit
à fuir les attraits du monde, elle aimait la pureté de l'âme et
celle du corps, et «elle fit à Dieu le sacrifice de sa beauté,
qui était remarquable, quoique ses parents l'eussent destinée
pour devenir l'épouse d'un jeune homme nommé Simon, qui, par ses
bonnes mœurs, sa naissance et sa fortune, méritait toute leur
confiance. Les deux familles s'étaient entendues et avaient fixé
le jour du mariage, sans qu'Ode y eût consenti. Son obéissance
envers ses parents la fit aller à l'église pour se marier;
mais le prêtre lui ayant demandé à trois reprises si elle
était venue librement et volontairement, elle ne répondit pas,
jusqu'à ce que, cédant a une des dames qui étaient auprès
d'elle, elle déclarât publiquement, qu'elle ne voulait ni de
l'époux qui était présent, ni de tout autre époux, puisque
depuis sa jeunesse elle était unie à celui, à qui elle voulait
être fidèle à jamais. Tout le monde demeura interdit de cette
réponse, et Simon, qui se croyait méprisé, dit à son tour qu'il
ne la voulait pas pour épouse.
Les parents retournèrent chez eux pleins de confusion et de
trouble. Le père alla trouver Simon, lui fit des excuses et lui
promit de faire changer les sentiments de sa fille. Mais Ode,
apprenant le projet de son père, se rendit à la maison,
s'enferma dans sa chambre et après avoir prié Dieu avec ferveur,
elle se défigura le visage avec un couteau, afin de pouvoir
tenir la promesse qu'elle lui avait faite. Elle resta assez
longtemps dans sa chambre sans que l'on découvrît son état,
jusqu'à ce que les membres de la famille, craignant qu'elle ne
fût évanouie, frappassent à sa porte. Voyant qu'elle n'ouvrait
ni ne parlait, ils ouvrirent eux-mêmes, et virent avec
étonnement et effroi ces traits naguère si beaux entièrement
effacés par le sang qui les couvrait. Rien ne put adoucir la
tristesse des parents de la jeune fille.
L'abbé de
Bonne-Espérance, ayant eu connaissance de ce fait, envoya deux
de ses religieux pour savoir ce qui en était, pour consoler les
parents et connaître les intentions de la fille. Ceux-ci ayant
appris qu'Ode n'avait d'autre désir que de quitter le monde et
que l'action qu'elle venait de faire avait pour but de la rendre
incapable d'y rester, firent leurs efforts pour obtenir, à cet
effet, le consentement du père, efforts longtemps infructueux,
jusqu'à ce qu'enfin, entièrement convaincu, il permît à sa fille
de suivre sa vocation. Dès que l'abbé fut informé de cette
résolution, il se rendit lui-même auprès d'Ode, qui se jeta
aussitôt à ses pieds, et, après quelques moments de conférence
avec lui, elle prit congé de ses parents et de ses amis, et fut
conduite par l'abbé Odon dans le monastère qui était à
Rivroëlles.
Ode se voyant
délivrée de toutes les entraves, servit Dieu avec ferveur et
dévotion dans le couvent, et se soumit volontairement à toutes
les abstinences et austérités, mais surtout aux mépris et aux
humiliations : car elle fut regardée, quelque temps après, comme
attaquée de la lèpre, et séparée du reste de la communauté ; ce
qu'elle supporta avec la plus grande patience et humilité. Mais
cette épreuve l'éleva à un si haut degré de vertu, qu'on la
jugea enfin digne de diriger les autres. Devenue supérieure,
elle ne se montra ni hautaine ni orgueilleuse ; mais affable et
douce envers ses inférieures, qu'elle guida si bien dans le
chemin de la perfection, qu'elles eurent le bonheur de
l'atteindre.
Elle avait beaucoup
de vertus, mais celle qui brillait le plus en elle, c'était sa
compassion pour les pauvres malades. Non seulement elle soignait
et consolait ceux que renfermait le couvent ; elle avait encore
une personne de confiance par laquelle elle venait au secours de
ceux du dehors. En un mot, ses traits portaient le cachet de sa
sainteté, ses mœurs celui de l'honnêteté et ses conseils celui
de la sagesse ; son corps et son esprit trahissaient une
admirable candeur et une charité qui se répandait sur tous.
Lorsqu'elle eut rempli la mesure de ses jours, et qu'elle fut
sur le point de recevoir le prix de tous ses travaux, elle fut
attaquée d'une fièvre, qui augmenta de jour eu jour et qui était
accompagnée de beaucoup d'autres maux, qui la purifièrent et la
rendirent digne d'être présentée à son céleste Époux. Cependant
elle ne négligeait pas de prier encore nuit et jour pour le
salut de son âme et de rendre à ses sœurs tous les soins qu'elle
pouvait leur donner. Celles-ci l'ayant priée un jour de vouloir
employer ses prières pour elles, elle leur répondit :
« Pourquoi demander cela à une pécheresse comme moi, qui n'ai
aucun pouvoir, qui ne me souviens pas d'avoir fait une seule
bonne œuvre ? Priez plutôt Dieu pour moi, afin que mes péchés me
soient remis, et que mon âme, en sortant de cette vie, entre
dans le sein d'Abraham. » Après avoir fait ses Pâques et
avoir e’été munie des SS. Sacrements, elle rendit l'âme le 20
Avril 1158.
SOURCE : Alban Butler : Vie
des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction :
Jean-François Godescard.
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