3-La vocation d’Ozanam

3-1-Frédéric Ozanam avait une conscience claire de sa vocation

Frédéric Ozanam fut un prophète, mais un prophète chrétien. Comme il l'affirme dans une lettre à Ernest Falconnet, en 1834: "Les idées religieuses ne sauraient avoir aucune valeur si elles n'ont une valeur pratique et positive. La religion sert moins à penser qu'à agir..." Jeune homme, Frédéric a toujours pensé qu'il avait une mission propre, qui lui intimait l'obligation de sortir de lui-même, de se mêler au monde et à ceux qui l'habitent, afin de mettre à leur disposition les lumières et les forces que, malgré son indignité, Dieu lui avait imparties. Il a 18 ans quand il avoue à son ami Fortoul: "Lorsque mes yeux se tournent vers la société, la variété prodigieuse des événements fait naître en moi les sentiments les plus divers... Ces considérations m'animent et me pénètrent d'une sorte d'enthousiasme. Je me dis qu'il est grand le spectacle auquel nous sommes appelés; qu'il est beau d'assister à une époque aussi solennelle; que la mission d'un jeune homme dans la société est aujourd'hui bien grave et bien importante... Je me réjouis d'être né à une époque où, peut-être, j'aurai à faire beaucoup de bien, et alors je ressens une nouvelle ardeur pour le travail".

3-2-C’était un homme d’une foi robuste et rayonnante

Ozanam rêvait d'un véritable renouveau du catholicisme, d’un catholicisme "plein de jeunesse et de force qui s'éléverait tout à coup sur le monde, qui se mettrait à la tête du siècle renaissant pour le conduire à la civilisation, au bonheur."

On pourrait croire qu’il s’agit bien d’un rêve, d’une utopie, au lendemain de la Révolution de 1830 et de l'avènement du roi-bourgeois... mais, chez Frédéric, cette vision procède d'une lucidité qui trouve son secret et sa force, dans une foi chrétienne sans cesse renouvelée.

Dans une lettre de 1852 à son ami Charles Hommais, il déclare : "Je suis bien plus profondément convaincu par les preuves intérieures du christianisme. J'appelle ainsi cette expérience de chaque jour qui me fait trouver dans la foi de mon enfance toute la force et toute la lumière de mon âge mûr, toute la sanctification de mes joies domestiques, toute la consolation de mes peines... Nous n'avons pas deux vies, l'une pour chercher la vérité, l'autre pour la pratiquer.

A une époque d'incrédulité où l'institution ecclésiale est bafouée, la foi solidement ancrée de Frédéric s'épanouit tout naturellement au sein de l'Église "mon Église", comme il se plaisait à dire. Or, celle-ci ne peut être pour lui que la sainte Église catholique romaine au sein de laquelle il a été baptisé, élevé, instruit, et qui, à ses yeux, a l'immense supériorité d'avoir à sa tête un Pontife dont l'autorité est le reflet de celle de Dieu.

Catholique libéral, convaincu de l'alliance naturelle qui doit exister entre l'Evangile, l'Église et la Liberté, Frédéric Ozanam est aussi un catholique romain, ultramontain comme on disait à son époque. C’est à Rome qu’il trouve le foyer rayonnant, le centre vivant d'un christianisme authentique. Or, voici qu'en 1846 accède au Souverain Pontificat un pape, Pie IX, qui est à la fois jeune, libéral, et décidé à faire de la papauté le recours suprême d'une humanité en perdition.

La dévotion de Frédéric pour Pie IX — qui le recevra plusieurs fois à Rome — est à la mesure de l'espérance qu'il met dans l'Église catholique. Quand il en parle, c'est avec ferveur: "Le pape, écrit-il, en 1847, à son ami Jean-Jacques Ampère, tel que je le vois, est comme les plus grands de ses prédécesseurs, pénétré d'une foi profonde en son titre de Vicaire de Jésus-Christ et d'un profond sentiment de son indignité... Il laisse s'effacer à demi cette qualité de prince temporel qui avait peut-être trop paru depuis Jules II et Léon X et qui avait contribué à soulever tant de préventions chez nous et ailleurs. Et, en même temps, on retrouve en lui, plus reconnaissable que jamais, l'évêque de Rome, cette autorité paternelle et désintéressée que personne n'aurait le courage de haïr, et à laquelle il est bien difficile de ne pas se rendre."

3-3-Les engagements de Frédéric Ozanam

La lucidité de Frédéric, nourrie par la foi, n'a d'égale que son courage, un courage que les contemporains ne s'attendaient pas à trouver chez un homme professionnellement installé et de santé fragile:

        – Courage, au sein d'une Église alors très cléricale, de considérer que, comme laïc, il a une mission propre.

        – Courage de dénoncer les paresses d'un clergé que les avantages du Concordat de 1801 ont tendance à rendre moins sensible aux malheurs de ce monde. Et Frédéric n'hésite pas, à travers son frère aîné, l'abbé Alphonse, à interpeller les prêtres:"Vous ne remplissez pas véritablement votre mission... Si un plus grand nombre de chrétiens et surtout d'ecclésiastiques s'étaient occupés des ouvriers depuis dix ans, nous serions plus sûrs de l'avenir..." et encore "il faut que les cures renoncent à leurs petites paroisses bourgeoises, troupeau d'élite au milieu d'une immense population qu'ils ne connaissent pas..."

Ces positions courageuses, renforcées par ses options politiques, la démocratie chrétienne et sociale, font naître des inimitiés, aussi bien chez les catholiques conservateurs que parmi ceux qui se réfèrent à un socialisme éloigné de l'Église. Mais, aux yeux de beaucoup d'hommes de sa génération, il apparaît comme un guide. Lui-même le reconnaissait déjà avec son humilité costumière dans une lettre (1834) à son ami Ernest Falconnet:"Je suis environné, sous certain rapport, de séductions de toute espèce; on me sollicite, on se dispute à qui m'aura, on me met en avant... Parce que Dieu et l'éducation m'ont doué de quelque tact, de quelque étendue d'idées, de quelque largeur de tolérance, on veut faire de moi une sorte de chef de la jeunesse catholique de ce pays-ci, plusieurs de jeunes m'accordent une estime dont je me sens très indigne... Cependant, le concours de circonstances extérieures ne peut-il pas être un signe de la volonté de Dieu?...

Il écrira un mois plus tard, à son frère Charles-Alphonse, lors de  l’avènement la Seconde République: C'est une mauvaise alliance que celle des catholiques avec la bourgeoisie vaincue; il vaudrait mieux s'appuyer sur le peuple qui est le véritable allié de l'Église, pauvre comme elle, dévoué comme elle, béni comme elle de toutes les bénédictions du Sauveur."

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