

CHAPITRE 21.
CHARITÉ DE PAUL PENDANT LE SIÈGE DE MONT PHILIPPE.
SA MAISON EST ENFIN ACHEVÉE.
SA JOIE LORS DE L'OUVERTURE DE SON ÉGLISE.
Les serviteurs de Dieu sont
toujours en paix au milieu même du tumulte et de l'agitation du dehors; ils sont
disposés à servir le prochain en toute occasion. La plus grande partie des
troupes espagnoles étaient campées au pied du mont Argentario ; elles bloquaient
tout à la fois la ville d'Orbetello et le fort de mont Philippe, occupés alors
par les Autrichiens. Le siège dura plusieurs mois. Paul ne perdit pas une si
belle occasion d'exercer son héroïque charité. Sans cesse il était appelé, soit
pour implorer la grâce des déserteurs, que les règles militaires condamnent à
mort, soit pour d'autres offices de charité, et particulièrement pour entendre
les confessions. Le nombre de ceux qui voulaient s'adresser à lui n'était pas
petit. Comme il ne savait pas assez bien l'espagnol, leur confession lui
demandait beaucoup de temps et le fatiguait doublement. Mais ce ministère avait
bien d'autres difficultés pour lui. On était au plus fort de l'été, et il
descendait au camp, situé dans la plaine, à l'heure où le soleil était le moins
supportable, surtout dans ces parages. Souffrant depuis plusieurs mois d'une
grave incommodité, ses courses exposaient sa santé, il y risquait même sa vie. A
chaque instant, le canon de la forteresse grondait sur le camp ennemi, les
boulets tombaient çà et là avec fracas, et tuaient, tantôt l'un tantôt l'autre.
Le vénérable père, dont la charité croissait à proportion des difficultés et des
dangers, courait partout où le besoin l'appelait et remplissait avec intrépidité
son ministère. Enfin, il en vint jusqu'à se placer sous le canon, à l'endroit
même où l'artillerie faisait le plus de ravages, pour confesser un pauvre soldat
fui était blessé. Mais le Seigneur qui se plaît à voir ses serviteurs exposer
généreusement leur vie pour son amour, sait aussi les préserver du mal; en cette
rencontre, il protégea visiblement son fidèle ministre. Sa providence le sauva
encore d'un autre danger. Il fut sur le point d'être arrêté comme suspect et
d'être puni très sévèrement par les Autrichiens qui tenaient garnison dans le
fort. La charité du serviteur de Dieu brilla tellement dans toutes ces
circonstances, qu'après la reddition des deux places, Espagnols, Autrichiens,
Indigènes, tous eurent une plus haute idée que jamais de sa sainteté.
La paix et la tranquillité ayant
été rétablies, le serviteur de Dieu songea à poursuivre ses constructions. Mais
l'achat et le transport des matériaux et des bois dans un lieu si éloigné,
avaient coûté beaucoup, et avaient absorbé les aumônes, bien qu'abondantes, de
la ville d'Orbetello. Sachant donc combien était grande la libéralité et la
munificence du roi des Deux Siciles, don Charles, depuis roi d'Espagne, il
résolut d'aller à Naples avec son frère, pour demander un subside et
l'approbation royale pour conduire son entreprise à bonne fin. Il entreprit
effectivement ce voyage. Ayant demandé audience, il fut reçu avec une rare bonté
par ce pieux monarque, au moment où il était à table. Les vues du père Paul
plurent beaucoup à sa majesté et elle ordonna sur-le-champ qu'on lui remit cent
pistoles d'or. Ce don ne fut que le commencement et le gage d'une foule d'autres
faveurs que sa royale munificence accorda depuis au père Paul et à la pauvre
congrégation. Muni de ce secours, de vénérable fondateur partit de Naples; les
constructions montèrent dès lors à vue d'œil. Pour accélérer encore plus les
travaux, lui même et ses compagnons servaient de manœuvres, portant les
matériaux ou remplissant d'autres offices plus bas et plus pénibles pour aider
les maçons. Ce nouvel exercice d'humilité et de pénitence lui comptait beaucoup
de fatigue et de peine, parce que l'ermitage de saint Antoine où il demeurait
encore, était éloigné d'un mille et demi des nouvelles constructions. Ils y
venaient pieds nus, et le chemin était en partie pierreux, en partie hérissé
d'épines. Arrivés sur les lieux, ils travaillaient tout le jour, et le soir, de
retour à l'ermitage, ils ne prenaient qu'un chétif repas, bien qu'ils fussent
fatigués et épuisés. Le repos de la nuit n'était pas exempt de mortification,
surtout lorsque vint la saison des chaleurs et que le nombre de ses compagnons
eut été porté à neuf. Ils n'avaient pour se loger tous que deux petites pièces;
la chaleur, le manque d'air, les insectes, faisaient que leur repos était plutôt
un tourment qu'un délassement. Paul, qui était leur père et leur maître à tous,
les encourageait par ses discours et son exemple. Lui-même cependant,
indépendamment de toutes ces incommodités, était alors percé jusqu'au fond de
l'âme par les contradictions. C'était le démon qui les suscitait, afin
d'empêcher l'érection d'un monastère, où devaient se former, dans la retraite,
des hommes selon le cœur de Dieu et des ouvriers zélés. Ses souffrances et sa
parfaite résignation à la volonté divine, dans cette conjoncture, nous sont
révélées dans une lettre qu'il écrivit alors à une personne de beaucoup de
piété. Tout autre récit serait pâle à coté de celui-là, «Ô Dieu! dit-il, quelle
n'est pas la rage des démons! Quel fracas font les mauvaises langues ! Je ne
sais de quel côté me tourner, et Dieu sait en quel état je suis». Il dit dans
une autre lettre : «Les démons nous persécutent par malice et les hommes avec
bonne intention, j'aime à le croire. Il suffit; il faut prier beaucoup, parce
que des tempêtes s'élèvent de toutes parts et que les vents sont déchaînés
contre nous. Dieu soit béni! Oh! si vous saviez dans quelle tribulation se
trouve le pauvre Paul ! Ah ! La verge de Dieu est sur moi d'une manière
indicible, et je crains que cela n'aille toujours en augmentant.... Priez le
Seigneur de me châtier avec miséricorde et de sauver mon âme qui lui coûte si
cher». Les sentiments exprimés dans cette lettre sont ceux de la vertu et ne
respirent que charité. La conduite de Paul y répondait parfaitement. Rien de
plus charitable que sa manière d'agir envers ceux qui le combattaient, le
tournaient en ridicule et l'insultaient même. Ils étaient sans doute en petit
nombre, car selon qu'il le dit lui-même : « Par une disposition de la providence
de notre grand Dieu, tous les bons habitants d'Orbetello sont pleins d'ardeur
pour construire notre retraite et y joindre une église dédiée à la Présentation
de la sainte Vierge. La ville de Portercole est également disposée tout entière
en notre faveur». Ce sont encore ses propres paroles. Ce petit nombre cependant
faisait de grands et vigoureux efforts, recourait à tous les moyens pour
discréditer le serviteur de Dieu et ruiner son œuvre,, ou du moins pour la rente
ridicule et méprisable. Le vénérable père était informé de tout ; néanmoins,
chaque fois qu'il les rencontrait dans Orbetello, il les saluait le premier et
leur donnait d'autres marques d'une affection et d'un respect sincère. Plusieurs
se présentèrent au monastère. Oubliant pour ainsi dire leurs manœuvres contre sa
personne, le père Paul leur témoigna la plus parfaite charité ; il les
accueillit avec bonté, les invita même à sa table, et en les congédiant, il leur
donna quelques petits objets de piété, don léger en apparence, mais qui était
relevé par une affection bien grande. C'est ainsi que ce vrai disciple de
Jésus-Christ tâchait de vaincre le mal par le bien, et se disposait à recevoir
la grâce après laquelle il soupirait. Le Seigneur qui avait permis ces tempêtes,
fit renaître la tranquillité et la paix, si bien que le jour de l'Exaltation de
la Sainte Croix de l'année 1737, l'église de la Présentation fut bénite
solennellement par le vicaire général d'Orbetello, au nom de Son Éminence le
cardinal Altieri. Le père Paul avait obtenu à cet effet un bref du souverain
Pontife Clément XIII, qui lui fut expédié le 31 août de la même année. Après la
cérémonie qui fut fort pieuse, les religieux firent leur entrée dans la nouvelle
retraite. Voici ce qu'écrivait à ce sujet le bienheureux à une personne de
piété : « Après bien des peines, nous obtînmes un bref apostolique, et le 1 4
septembre, jour de l'Exaltation de la Sainte Croix, fête principale de notre
pauvre petite congrégation naissante, eut lieu l'entrée solennelle et la
bénédiction de l'église et de la retraite. J'eus la consolation de précéder,
portant la croix attachée au cou avec une corde; suivaient mes compagnons, au
nombre de huit, c'est-à-dire cinq prêtres, moi compris, et quatre frères
laïques. Il y eut un discours analogue à la circonstance, et la cérémonie fut
ainsi achevée. Tous servent Dieu avec ferveur, excepté l'indigne créature qui
vous écrit ».
Outre le peuple des environs, les
officiers Espagnols vinrent aussi rehausser par leur présence la joie de cette
fête et leur musique fit retentir la montagne des louanges de la divine Majesté,
à qui l'on érigeait un nouveau temple. Cependant il manquait quelque chose à la
satisfaction du père Paul : il n'avait pas encore obtenu la faveur d'y garder le
Saint-Sacrement. Écoutons comment il laisse échapper les soupirs de son cœur. Il
écrivait à un de ses pénitents qui se fit depuis religieux dans la congrégation
et y mourut en grande réputation de sainteté : « Mon cher ami, la retraite est
complètement achevée, les cellules sont faites, il ne reste plus qu'à arranger
un peu l'église, afin qu'elle puisse recevoir plus décemment le Saint-Sacrement.
0 vrai Dieu ! Une heure m'en paraît mille jusqu'à ce que je voie mon amour Jésus
au Sacrement, dans notre église, afin de pouvoir m'entretenir au pied du Saint
Autel pendant les heures les plus tranquilles ! Et qui me donnera les ailes de
la colombe, pour m'envoler sur celles de l'amour dans son Cœur divin » !
Trois ans se passèrent au milieu
de ces grands et vifs désirs. Enfin Paul eut la consolation de voir ses vœux
accomplis. Le cardinal abbé lui accorda la grâce qu'il souhaitait. Le serviteur
de Dieu en écrivit ensuite, le cœur pénétré de reconnaissance, au comte Garagni,
gentilhomme de Turin, qui était un ecclésiastique rempli de l'esprit de sa
vocation et grand ami de Paul. «J'ai enfin reçu les constitutions avec le
rescrit qui m'autorise à garder le Saint-Sacrement. Nous le placerons ce matin
même, jour de la solennité qui lui est consacrée, dans le tabernacle, après la
messe solennelle que nous ferons suivre d'un te Deum laudamus, en action de
grâces d'un si grand bienfait. Le malheur est que je n'ai pas au cœur une
étincelle de véritable amour pour Dieu. Sans cela, je ne résisterais pas, que
dis-je ? je tomberais évanoui, je mourrais, je serais réduit en cendre à la vue
de tant de grâces et de miséricordes, dont la Majesté divine comble cet horrible
néant et ce monstre détestable d'ingratitude ». Ainsi écrivait le père Paul le
premier juin 1741. Le rescrit dont il parle arriva à temps pour qu'il pût jouir
avec une consolation plus sensible de la grâce qui lui était accordée. On allait
célébrer la fête solennelle du corpus Domini, dans laquelle la sainte Église est
tout occupée à honorer cet auguste sacrement par les sentiments les plus vifs de
foi, d'amour et de dévotion. II y eut dans cette coïncidence une disposition
spéciale du Seigneur. C'est ce que le cardinal Rezzonico, depuis pape sous le
nom de Clément XIII, faisait remarquer au père Paul dans une de ses lettres.
Nous dirons dans la suite quelle affection et quelle bienveillance il eut
toujours pour le bienheureux. Citons ici les paroles pleines de sagesse qu'il
lui adressait. « A mon avis, ce n'est pas sans un dessein particulier de la
divine Providence que le vicaire de Barletta a différé son voyage jusqu'à ce
moment. Il l'a différé afin d'emporter avec lui la faculté qui vous est accordée
par le cardinal Altieri, de garder le Saint-Sacrement dans votre église, et
qu'ainsi vous commenciez précisément à jouir de la présence réelle de
Jésus-Christ, le jour auquel la sainte Église célèbre la mémoire de ce grand et
ineffable bienfait accordé à tout le genre humain. J'en ai une joie extrême,
parce que j'espère que vous réparerez en quelque sorte tant d'irrévérences qui
se commettent chaque jour dans le monde envers le très saint Sacrement ».
Voilà ce qu'écrivait ce pieux
cardinal. Il avait fait la connaissance du père Paul par l'entremise de
monseigneur Crescenzi, et il fut si charmé de sa vertu, de sa prudence, qu'il
l'invita plus d'une fois à loger dans son palais, quand il irait à Rome. « Vous
y trouverez, lui disait le cardinal, avec cette modestie et cette humilité qui
est le propre des âmes magnanimes, vous y trouverez un pauvre et chétif
logement, qui sera tout semblable à votre monastère et où vous jouirez d'une
entière liberté, tant pour traiter vos affaires que pour remplir vos saints
exercices. II n'y aura personne pour vous déranger ». Il reçut en effet le père
Paul dans sa demeure, comme il le désirait, et l'on vit croître toujours
davantage les effets de cette tendre charité qui remplissait son cœur. Il
contribua de la manière la plus efficace à l'établissement de la congrégation.
Il le fit avec tant d'empressement et de joie qu'il écrivait ensuite au père
Paul : « C'est une grande consolation pour moi de voir que le Seigneur a voulu
tant soit peu se servir de moi.... C'est lui en effet qui a inspiré à
monseigneur Crescenzi la pensée de me charger de votre affaire au moment où il
allait s'éloigner ».



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