CHAPITRE 30.

FONDATION DE LA RETRAITE DE SAINT-ANGE AU TERRITOIRE DE VÉTRALLA,
ET DE LA RETRAITE DE SAINT-EUTICE AU TERRITOIRE DE SORIANO.

C'est le propre des âmes qui ont une grande confiance, de tirer des grâces que le Seigneur leur accorde, un motif d'en espérer de nouvelles. C'est ainsi que le père Paul dilatait son cœur, à mesure que le Seigneur le favorisait et lui associait, en plus grand nombre, des hommes remplis de grâces et de vertus. Il ne laissait échapper aucune occasion favorable pour fonder de nouvelles retraites, espérant que Dieu lui enverrait d'autres sujets capables d'édifier par leur vie pénitente et de réveiller partout la dévotion envers Jésus-Christ crucifié, en prêchant les douleurs de sa passion et de sa mort. Cependant la Providence voulut que le vénérable père fût invité, en 1742, par monseigneur l'abbé évêque de Viterbe et de Toscanella, à venir donner une mission à Vétralla. Cette mission, bénie du ciel, produisit des fruits extraordinaires. Tous en furent extrêmement satisfaits. Témoins du grand bien qu'elle avait produit, les principaux habitants de Vétralla conçurent un vif désir d'avoir dans leur pays une retraite semblable à celle du mont Argentario, estimant qu'elle serait fort utile aux âmes. Le conseil général fut convoqué à cette fin, le 20 mai 1742, et l'un des principaux membres harangua les assistants en ces termes : «Chacun de vous, messieurs, sait à merveille le grand bien spirituel qu'a procuré à nos concitoyens la mission donnée en avril dernier par le célèbre missionnaire Paul de la Croix. Il n'est pas moins certain que nous retirerions plus d'avantage encore de son établissement à l'ermitage de Saint-Ange, si le père Paul se décide à y fonder une de ses retraites, comme il n'en a pas paru éloigné. Mû par ces considérations, je serais d'avis que messieurs les magistrats fissent connaître au père le vœu général de la cité, et prissent des mesures pour le déterminer à venir avec ses religieux dans cet ermitage». Tous applaudirent à cette proposition et votèrent à l'unanimité, au nombre de vingt-cinq. Les difficultés ne manquèrent pas, parce que toute bonne œuvre a ses traverses; mais le père Paul, dont la confiance en Dieu était si vive, les combattit sans se décourager jamais; il déploya toute sa sollicitude pour terminer au plus tôt l'entreprise commencée pour la plus grande gloire de Dieu. C'est pourquoi il écrivit d'une manière pressante au chanoine dom Biagio Pieri, son grand ami, ecclésiastique fort, respectable et très estimé à Vétralla, sa patrie. «Votre Révérence, lui dit-il, doit se faire le promoteur de cette œuvre pour la gloire de Dieu et dans l'intérêt spirituel de sa patrie et des lieux circonvoisins. Monsieur le chanoine, le moment est venu de montrer à Dieu que vous avez un cœur aimant, fort, constant et généreux pour surmonter toutes les attaques de l'ennemi armé contre cette entreprise. Oh! Si je pouvais vous parler de vive voix, vous entendriez les ineffables miséricordes que Dieu nous fait et les grandes choses que sa divine Majesté veut accomplir pour sa seule gloire! Et l'amante de la croix, sœur N..., que fait-elle? Etc.». Dans, une autre lettre, datée du 26 août 1742, il lui dit encore: «J'apprends de monsieur le gouverneur que les choses sont en bonne voie pour l'établissement de notre retraite, et ce n'est pas sans besoin. Ce n'est pas à moi qu'il écrit, mais à la mère Gertrude Salandri, qui m'en a donné avis et m'a prié d'adresser une supplique à la congrégation du bon gouvernement. Je le fais pour obéir, et j'envoie la supplique à une personne de qualité à Rome, pour qu'elle soit mise en bonne forme et présentée à la sacrée Congrégation».

Non content de ces démarches, le serviteur de Dieu y ajouta toutes celles qu'il crut nécessaires dans sa prudence pour la réussite de l'affaire. Il écrivit à de hauts personnages, au cardinal Colonna de Sciarra et au cardinal Rezzonico. Le premier lui répondit dans les termes bienveillants que voici : «Je ne perds pas de vue la demande que je dois faire au cardinal Riviera pour la fondation de la retraite de Vétralla, et comme Son Eminence a beaucoup de zèle et qu'elle est remplie de bonté pour moi, je me flatte d'un prompt et heureux résultat. Veuillez contribuer à cette fin par vos prières, afin que cela réussisse selon la volonté de Dieu». Le second daigna de sou côté lui écrire, le 1 4 juillet 1742 : «Je suis très charmé d'apprendre par votre dernière lettre, que vous êtes dans la disposition d'accepter la retraite que vous offre la commune de Vétralla. Quand vous ne pourriez l'ouvrir qu'avec trois ou quatre sujets, ne l'abandonnez pas. J'espère que la divine Providence saura trouver moyen de la peupler. (Qu'on remarque les paroles de ce digne prélat, depuis Souverain Pontife : la retraite en question compte en effet aujourd'hui un grand nombre de religieux.) Ne craignez pas, continue Son Éminence, les oppositions de l'ennemi qui vous fait la guerre. .J'ai la confiance que vous parviendrez à les surmonter à sa confusion. Je ne néglige pas de prier le Seigneur qu'il vous donne force et courage. Je vous remercie de vos charitables prières, et je vous souhaite l'abondance des bénédictions célestes». Cette affaire fut promptement conclue, grâce à la protection de ces éminents prélats.

Il est juste d'ajouter qu'on fut en partie redevable du succès à monsieur l'abbé comte Garagni de Turin, personnage très distingué et qui était fort aimé de Benoît XIV, de sainte mémoire. Déjà, dans d'autres circonstances, il avait secondé merveilleusement notre père, par son zèle et son crédit, dans le principe de la congrégation. C'est ce que nous avons eu soin de remarquer plus haut. Il employa de même tout son crédit pour la fondation de la retraite de Vétralla. Voici comment il répondait au père Paul dans une lettre du 12 octobre 1743 : «Je puis vous dire pour votre consolation qu'une large voie est ouverte à l'extension de votre congrégation. Ne cessez donc pas de prier et de faire prier; il semble que le Seigneur vous veuille dans plus d'un endroit, au voisinage de Rome».

Toutes les autorisations requises ayant été obtenues, au mois de février 1744, on prit possession de l'ermitage de Saint Ange. C'était, dit-on, un ancien couvent de moines bénédictins. Ces solitudes avaient donc déjà été sanctifiées. La joie et la satisfaction rayonnaient sur tous les visages. La cérémonie de la prise de possession fut très pieuse et très touchante. Le père Paul, une corde au cou, une couronne d'épines sur la tête, se présenta avec ses compagnons à l'église collégiale de la ville. Ensuite il prit la croix, et, ayant entonné les litanies des saints, il se rendit processionnellement avec les autres religieux à la nouvelle retraite. Quand on y fut arrivé, un notaire public fit lecture de l'acte de possession, puis on chanta une messe solennelle au maître autel. Un ancien tableau, œuvre d'un excellent artiste, se voyait sur cet autel. Comme il représente la mort du Sauveur sur la croix, mystère qui rappelle si bien l'idée du nouvel institut, sa vue semblait donner un nouvel élan à la piété. Aussi tous les assistants furent-ils très édifiés d'une cérémonie qui ne respirait que dévotion et recueillement. Le vénérable fondateur établit supérieur de cette maison le père Jean-Baptiste son frère, et il laissa avec lui quelques religieux. La pauvreté et la gêne où ils se trouvèrent; étaient bien grandes ; les bâtiments de l'ermitage étaient très petits et les provisions fort minces ; mais plus ils souffraient, plus la ferveur dont ils étaient animés leur inspirait de joie.

Cette retraite de Saint-Ange fit toujours depuis les délices du père Paul. C'est là qu'il prenait plaisir à se retirer pour jouir du recueillement et du silence. Elle présentait en effet une solitude très pieuse. Éloignée d'environ trois milles de toute habitation, et, située au milieu d'un bois, elle invitait à la prière et au recueillement, et favorisait les exercices de la vie religieuse.

Dans le temps même qu'on traitait de la fondation de Saint-Ange, le père Paul fut prié d'en faire une autre près de l'église de Saint-Eutice, au territoire de Soriano, qui est un des beaux fiefs de l'illustre famille Albani. Voici comment le vénérable père en donna la nouvelle au chanoine Dom Biagio Pieri, son ami : «Son éminence Albani, lui dit-il, tient beaucoup à ce que nous allions sans retard à Soriano. A cet effet, il veut bien se charger de nous faire tout obtenir de Sa Sainteté. Il nous permet, pour ce motif, de différer jusqu'au mois de mai la mission de Nettuno, où se trouvera le cardinal Alexandre. Ces prélats ont singulièrement pris à cœur la fondation de Saint-Eutice. Il faut adorer les dispositions de la Providence. J'ai déjà les lettres du pape. Ayez la bonté de dire à sœur N... que le moment est venu de nous seconder, que je lui recommande beaucoup un grand ouvrier qui commence à avoir de l'inclination pour notre congrégation (il s'agit certainement de dom Thomas Struzzieri). Il serait un de nos plus excellents ouvriers. Oh! Combien je le désire! Qu'elle prie beaucoup, j'espère qu'elle sera exaucée. Je me recommande à elle, ainsi que mes compagnons et surtout ceux du mont Argentario. Ah! Par charité, qu'elle ne nous perde de vue ni jour ni nuit, et moins encore votre Révérence dans le saint sacrifice. Je termine en toute hâte. Tout à vous ».

Les deux cardinaux obtinrent tout ce qu'ils désiraient. A leur prière, Benoît XIV fit écrire par le cardinal Valenti au gouverneur de Soriano, le 11 décembre 1743 ; il fit aussi écrire à l'évêque de Castellana qui était alors monseigneur Varro. «Sa Sainteté, lui disait-on, ayant appris que le cardinal de Saint Clément avait placé dans l'église de Saint-Eutice, au territoire de Soriano, dépendant de votre diocèse d'Orte, quelques prêtres séculiers qui, après avoir fait beaucoup de bien dans les environs, ont du s'éloigner, elle a résolu, pour le bien spirituel des âmes, d'établir dans cet endroit d'autres prêtres qui font partie d'une nouvelle congrégation intitulée de la passion de Notre Seigneur. A cet effet, le pape a désiré entendre le cardinal de Saint Clément. Celui-ci l'a remercié, comme il devait, de cette attention sainte et paternelle. C'est pour y donner suite que je viens par l'ordre de Sa Sainteté informer votre Grandeur de ce qui a été résolu. Le pape a déclaré qu'il suppléait, en vertu de l'autorité apostolique, à tout consentement qu'on prétendrait nécessaire, et en particulier au consentement des religieux mendiants qui sont au voisinage... Votre Grandeur devra donc user de son autorité pour ordonner, favoriser et établir cette sainte œuvre, et donner ainsi une prompte exécution aux ordres de Sa Sainteté. Je lui souhaite toute sorte de prospérités.

Son très affectionné serviteur,

Cardinal Valenti ».

La fondation de la retraite de Soriano eut donc lieu de cette sorte, à la satisfaction générale et au grand contentement de monseigneur l'évêque d'Orte. Il témoigna ses excellentes dispositions au vénérable fondateur par la lettre suivante:    «J'apprends avec un plaisir indicible par votre lettre que votre institut prospère de plus en plus pour la plus grande gloire de Dieu, et que déjà vous avez destiné quelques-uns de vos religieux pour la fondation de la nouvelle retraite de Saint-Eutice à Soriano. Je leur accorde bien volontiers le pouvoir de confesser, selon la demande de votre paternité; j'étends cette faculté aux cas réservés pour le père Marc-Aurèle. Je leur permets également de faire des catéchismes, certain comme je le suis, de leur piété et de leur doctrine, ainsi que de l'avantage spirituel qui résultera pour mes diocésains, de l'établissement de cette retraite. Pour moi, en particulier, je ne manquerai pas de les aider de mes prières. Je les unis de tout mon cœur aux vôtres, et je vous souhaite toutes les vraies consolations.

Varro, évêque d'Orte ».

Depuis, il y eut à Soriano une mission qui réussit parfaitement. A la suite de cette mission, on prit possession de la nouvelle retraite, avec les cérémonies si pleines de piété et d'humilité que nous avons décrites plus haut. C'était en l'année 1744. Le vénérable père considérait cette nouvelle retraite comme un sanctuaire, à cause dé l'église de Saint-Eutice qui y est annexée. Les reliques du saint martyr qui y reposent distillent visiblement la manne. Pour qu'on y servît Dieu avec ferveur, et qu'on s'y dévouât avec une parfaite charité au service du prochain, il y établit pour recteur le père Marc-Aurèle dont nous avons déjà loué la rare vertu. Le Seigneur se plut à bénir cette fondation. L'illustre famille Albani a toujours eu depuis lors une bienveillance et une affection spéciale pour la pauvre congrégation, ne cessant de la combler de bienfaits. Dès que la fondation fut achevée, son excellence le prince Horace écrivit au père Paul pour lui témoigner son contentement et sa joie. Il s'exprimait ainsi : «Parmi les nombreuses obligations que j'ai contractées envers mes oncles cardinaux, je regarde comme une des plus importantes celle de m'avoir procuré le grand avantage de cette sainte mission, que votre Révérence a donnée dans ma terre de Soriano, mission qui a été si profitable à mes vassaux, et par suite l'établissement des religieux de votre institut si exemplaire dans la retraite de Saint-Eutice. Dès le principe, j'en ressentis une satisfaction singulière. Cette satisfaction s'accroît en ce moment sans mesure, quand je considère que je verrai sans tarder, grâce à leur zèle, se ranimer l'esprit de piété dans tous les environs. Je remercie du fond du cœur votre Révérence, d'avoir été le principal promoteur de ce bien. Je la remercie de m'avoir fourni tant de motifs d'estimer son mérite et celui de ses collègues, ce qui m'engage à les servir et à les assister en tout ce qui pourra dépendre de moi. Je me recommande beaucoup à vos saintes prières. J'y ai beaucoup de confiance.

Votre dévoué serviteur ».

Ainsi parlait ce pieux seigneur. Fasse le ciel que ces vassaux si chrétiens s'accomplissent de jour en jour pour la plus grande gloire de Dieu.

   

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