CHAPITRE 35.

CLÉMENT XIII EST ÉLU PAPE.
LE PÈRE PAUL VA LUI OFFRIR SES HOMMAGES
ET LUI DEMANDER L'APPROBATION DE LA CONGRÉGATION.

La mort du grand pape Benoît XIV affligea profondément le père Paul. L'Église perdait en lui son chef, la république chrétienne, un père d'une sagesse et d'une piété éminentes, et lui-même, un protecteur plein de bonté. Le cardinal Charles Rezzonico ayant ensuite été élevé au trône pontifical, le serviteur de Dieu qui avait déjà reçu en tant d'occasions des témoignages signalés de sa bienveillance et de son affection, conçut un nouvel espoir de voir affermir de plus en plus la congrégation et de réparer les pertes que lui avait causées l'inconstance de quelques sujets. Il alla donc avec son frère baiser les pieds du nouveau pape; et le Saint-Père, dont le cœur était fort affectueux et qui, en tant de rencontres, s'était montré si bon pour le père Paul et l'avait appuyé de tout son crédit auprès de Benoît XIV, se montra tout disposé à approuver la congrégation et même à la consolider par des vœux solennels. Voici ce qu'en disait le Bienheureux dans une lettre au maître des novices de ce temps-là :

« 8 juillet 1758.

Je vous annonce que le cardinal Rezzonico est élu pape. Nous allons à Rome, le père Jean-Baptiste et moi, baiser les pieds de Sa Sainteté; et nous tâcherons de mettre en avant la question des voeux solennels et celle de notre établissement à Rome ».

Il lui disait dans une seconde lettre : «Pour le moment, je n'ai pas occasion d'aller à Rome. Le pape nous est très favorable et l'Esprit-Saint agit dans son cœur ; il désire beaucoup approuver et affermir la congrégation; il veut toutefois nommer auparavant une congrégation de quatre ou cinq cardinaux».

Le Bienheureux cependant ne cessait de recommander l'affaire à Dieu avec beaucoup d'instances; il demandait aux autres de prier aussi, plein de confiance que tant de prières réunies obtiendraient du Seigneur ce qui serait le plus expédient à l'avancement de son œuvre. On voit les sentiments qui l'animaient alors dans une lettre qu'il écrivait à un de ses amis, ecclésiastique de grande vertu : «Il est très vrai que l'exaltation du cardinal Rezzonico au trône pontifical peut nous être favorable, pourvu que le Bon Dieu veuille, comme j'espère, répandre sur nous ses grandes bénédictions. Mais pour cela, il faut le conjurer par de ferventes prières. Toute notre pauvre congrégation le fait et d'autres âmes pieuses le font aussi, afin d'obtenir que cette sainte œuvre puisse, au moyen des vœux solennels, s'enraciner plus profondément dans le champ de l'Évangile et la vigne de l'Église. C'est le seul point qui reste à décider et qu'on sollicite en ce moment. En effet, après l'approbation que vous connaissez, il y en a eu une seconde plus solennelle, par un bref apostolique, dans lequel ont été insérées les règles et les constitutions. Elles avaient été examinées sur l'ordre du pape, par les trois cardinaux Albani, Bezozzi et Gentili. Priez beaucoup de votre côté, afin qu'elle se propage dans tout le monde chrétien, et même chez les infidèles, d'autant plus qu'une mission nous est destinée pour les infidèles, et que déjà j'ai fait choix des sujets. Ils n'attendent plus qu'un appel de la propagande». Cette mission toutefois ne put avoir lieu à cause de la mort de plusieurs sujets de l'institut. Une congrégation particulière composée de cinq cardinaux fut donc nommée par le Saint-Père; mais les délibérations demandèrent beaucoup de temps, et Ie vénérable père, déjà vieux, fut obligé de multiplier ses voyages et d'écrire une infinité de lettres, surtout après que le père Thomas-Marie du côté de Jésus, alors procureur général, fut parti pour l'île de Corse avec monseigneur De Angelis. Mais l'homme de Dieu, qui avait si bien appris à ne prendre de souci, même dans les plus saintes entreprises, qu'autant que Dieu voulait, vivait dans une grande paix intérieure et cherchait avec une parfaite indifférence à se conformer toujours davantage à la sainte volonté de Dieu. Écrivant en confidence, le 28 août 1760, à l'ecclésiastique dont nous avons parlé plus haut, il lui disait : «Les affaires de notre pauvre congrégation prennent une bonne tournure à Rome. Le pape a choisi une congrégation de cinq cardinaux pour avoir leur avis, et puis, élever la congrégation à la qualité d'ordre religieux avec des vœux solennels. Si cela se fait, ce sera une faveur miraculeuse dans ces temps si déplorables. Pour moi je suis indifférent, et je serai également content du bon ou du mauvais succès. Dieu me fait la grâce de ne vouloir ni désirer autre chose que son bon plaisir».

Le vénérable fondateur continuait d'agir et de prier, sans négliger aucune des démarches nécessaires pour la réussite de cette affaire. Cependant il éprouvait à cet égard des obscurités et de grandes incertitudes. Aussi écrivait-il au père Jean-Marie de Saint Ignace, qui fut depuis son confesseur : «Je ressens un grand débat dans mon intérieur; j'ai des doutes, des craintes, et une grande répugnance à m'interposer dans cette affaire. Pour quel motif? je n'en sais rien, mais je crains beaucoup. Par charité, donnez-moi votre avis». Afin donc de mieux s'assurer de la sainte volonté de Dieu, il ordonna d'une manière pressante qu'on redoublât les prières dans la congrégation et qu'on célébrât un grand nombre de sacrifices. Plus le jour de la décision approchait, plus il semblait avoir le pressentiment de ce qui devait arriver. Dans la matinée même où les cardinaux députés tinrent leur dernière séance, il dit à son compagnon : «On n'en fera rien, vous le verrez». Il en fut ainsi. Leurs Éminences, prenant en considération la grande austérité de la règle, jugèrent plus expédient de laisser la congrégation avec des vœux simples. De cette manière, la porte restait toujours ouverte pour ceux qui n'auraient pas la force d'en soutenir les rigueurs. Puis, les mécontents étaient libres de s'en aller, et il ne serait resté que ces hommes généreux qui donnent avec joie et qui sont si agréables à Dieu. Ce furent là les sage, motifs qui guidèrent les cardinaux. Le Bienheureux qui reconnaissait dans cette décision la sainte volonté de Dieu, adora les dispositions du Très-haut et le remercia de tout son cœur de lui avoir manifesté ce qu'il cherchait uniquement : sa très sainte volonté. Il ne cessa dans la suite de lui en rendre d'affectueuses actions de grâces, à mesure qu'il connut mieux l'avantage qu'il y avait pour la congrégation de pouvoir se délivrer des sujets remuants et inquiets, qui ont perdu par leur faute l'esprit de prière, et de conserver au contraire dans une paix parfaite les religieux fidèles et fervents. Voilà pourquoi parmi les principaux avis que le bon père laissa aux supérieurs majeurs, avant de mourir, il leur donna celui-ci : «Gardez le froment et chassez l'ivraie. » Main s'il n'obtint pas l'approbation dont il s'agissait, il eut bien sujet de se réjouir dans le Seigneur. En effet, à cette occasion même, Clément XIII, de sainte mémoire, voulut lui témoigner sa bienveillance et son affection paternelle, en lui accordant  diverses grâces et divers privilèges.

   

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