

« Saint Paul de la Croix maître de la vie
spirituelle :
sa doctrine et sa pratique touchant les visions,
révélations et extases »
Gaétan du Saint Nom de
Marie
Revue d’ascétique et de
mystique, 32, 1927, p. 361-392.
Grand mystique lui-même,
ayant eu à diriger des âmes favorisées des dons d’oraison les plus élevés, S.
Paul de la Croix était plus qualifié que personne pour donner un enseignement
théorique et pratique sur la manière de se conduire vis-à-vis des phénomènes
extraordinaires qui parfois accompagnent les grâces de contemplation infuse,
visions, paroles intérieures ou extérieures, extases, etc. Il l’a fait avec une
sagesse et une fermeté remarquables. Il sera donc intéressant de recueillir ici
les principaux passages de ses lettres récemment publiées, dans lesquels est
exposé cet enseignement.
Avant de voir quels conseils il
donnait aux autres sur ce sujet, nous croyons opportun de rappeler quelle était
sa ligne de conduite à l’égard des faveurs extraordinaires de ce genre qu’il
recevait ou qui le concernaient.
Ligne de conduite de S. Paul de la Croix
à l’égard des visions, révélations,
locutions, etc. …
qu’il eut lui-même ou qui le concernaient.
S. Paul de la Croix était
extrêmement lent et prudent pour accorder quelque foi ou crédit aux révélations,
visions, locutions, etc. … qu’il recevait du Ciel. Il préférait se tenir dans la
mort mystique ou nuit obscure de la pure foi.
Surtout il se gardait bien de
chercher de semblables communications surnaturelles. Il le déclare
solennellement dans une de ses lettres.
« Je vous ai demandé uniquement – écrit-il
à une religieuse –, que dans la sainte communion vous offriez le doux Jésus
Eucharistie au Père éternel et que vous le priez pour qu’Il m’éclaire, afin de
faire sûrement sa très sainte volonté dans une affaire qui, à mon avis, doit
tourner à la grande gloire de Dieu et au profit spirituel du prochain, mais je
ne vous ai pas dit de prier le Seigneur pour qu’il vous révèle ce que vous devez
me dire. Cela non, car je ne cherche pas de révélations : la sainte foi me
suffit. Rechercher de semblables choses, c’est s’exposer au danger d’être trompé
par l’ennemi infernal » (Lett. IV-98).
Quand notre Saint recevait de
semblables communications célestes il suivait le principe de S. Jean de la
Croix : n’y accorder aucun crédit.
« Bien des fois – nous
déclare le frère infirmier du Saint –, le Serviteur de Dieu me dit que bien
que les lumières de Dieu fussent vraies, néanmoins il les chassait pour marcher
en sécurité dans l’humilité. Il ajoutait que, bien des fois, il avait reçu de
Dieu des locutions intérieures et des illustrations claires, mais qu’il y allait
lentement pour leur accorder quelque crédit. Quand ce sont des lumières vraies,
disait-il, elles restent imprimées dans l’âme et dans le fond du cœur comme
quand une chose s’imprime dans la cire molle ».
Il disait encore : « Quand ce sont de vraies lumières de Dieu, on n’en perd
jamais le souvenir. » (Pr. O. Rom., V-2415 verso).
Un autre témoin, après avoir
déclaré que notre saint lui raconta avoir eu une locution intérieure, qui disait
qu’un certain malade ne guérirait pas, ajoute : « Le Serviteur de Dieu me dit
qu’il n’avait pas l’habitude de faire attention aux locutions intérieures. »
(Pr. A. Rom., V-2560 verso).
Si notre Saint avait été enclin à
croire facilement aux lumières, visions, etc. … qu’il pouvait recevoir du Ciel,
il aurait dû attacher d’autant plus d’importance aux révélations très flatteuses
pour lui, que certaines personnes disaient avoir reçues à son sujet. Cependant
ce fut tout le contraire.
« Je vous assure – écrit-il
à une religieuse –, que
je crois peu ou point à ce que vous m’écrivez, qu’il vous a été dit de me faire
savoir, que Dieu veut de grandes choses, de grandes choses de moi. Ce sont là
des paroles générales, car Dieu veut de grandes choses de moi, de vous et de
tout le monde. L’observance de ses divins préceptes et sacro-saints conseils,
l’obéissance à ses divines inspirations, accomplir toujours et en tout sa très
sainte volonté, s’appliquer fidèlement à acquérir toutes les vertus et la vie
éternelle, ce sont là non seulement de grandes choses, mais de très grandes
choses et les plus grandes choses. Et Dieu les veut de moi, de vous et de tout
le monde. Donc il ne faut pas croire à de semblables locutions, qui sont fort
sujettes aux illusions et ne demandez jamais à Dieu qu’Il vous fasse savoir ce
que vous devez dire à ceux qui se recommandent à vos prières, mais répondez
humblement que vous prierez selon leurs pieuses intentions. » (Lett.
IV-98).
A Agnès Grazi le Saint écrit :
« Je ne fais aucun cas de ce que Rosa dit de moi ; il est plus probable que
c’est une locution de son propre esprit. Il y aurait beaucoup de choses à dire,
mais je n’ai pas le temps. Certes je suis cher à Dieu et combien ! Précisément
étant le scélérat que je suis, puisque Jésus n’est pas venu pour les justes,
mais pour les pécheurs. Oh ! combien nous Lui sommes chers, nous autres
pécheurs, et moi plus que les autres, parce que j’ai fait pleurer Jésus plus que
tous. Dites tout cela à Rosa et dites-lui que Paul parle ainsi en vraie vérité,
comme il sent les choses devant Dieu. » (Lett. I-344).
Agnès Grazi, à qui le Saint
écrivait de la sorte, lui fit un jour savoir que lui-même, Père Paul, lui était
apparu. Voici ce que le Serviteur de Dieu lui répond : « Quant à ce qui vous
est arrivé mardi soir, riez-en comme d’une farce. Le diable a pris la figure de
qui lui ressemble et il ne pouvait mieux choisir. Ce n’est pas étonnant qu’il
prenne ma figure puisque cette vilaine bête ose même se transfigurer en ange de
lumière. N’en faites aucun cas. » (Lett. I-320).
Enseignement du Saint
au sujet des lumières, révélations,
visions, etc. …
La prudente réserve et
circonspection, que notre Saint observait dans sa propre conduite vis-à-vis des
révélations, locutions, etc. … était inculquée de même par lui aux autres.
Toujours il conseillera de s’en tenir à la foi et aux principes de la foi, sans
aller à la recherche de révélations ou autres faveurs extraordinaires. Qu’on
écoute à ce sujet le témoignage d’un des premiers Pères de la Congrégation
fondée par le Saint :
« Dans le chemin de l’oraison le
Serviteur de Dieu était extrêmement solide (sodissimo) ; il cherchait toujours
son Dieu dans l’obscurité de la foi. Foi, foi, répétait-il, obscurité de la foi.
Le chemin de l’âme, disait-il comme sous une impulsion de foi et avec une
animation qui lui était propre, est la foi. Il disait encore que, si en toutes
choses et surtout dans la sainte oraison l’âme se règle par la foi, il n’y a pas
de danger d’illusion, qu’il ne fallait ni chercher, ni aimer, ni désirer ou
visions ou révélations ou autres choses semblables, mais qu’il fallait même les
fuir, dans la crainte d’être trompé. Si ces choses viennent de Dieu, disait-il,
on ne fait pas mal pour cela en les rejetant et Dieu ne manquera pas de produire
son effet dans l’âme malgré qu’on ne s’attache qu’à la seule foi. » (Pr.
O. Rom. IV-2067).
Un autre des premiers
religieux-prêtres de la Congrégation, compagnon également de notre Saint, dit de
même : « Notre vénérable Père nous inculquait toujours, que dans le chemin de
la vertu et dans l’étude de la perfection chrétienne, il faut s’attacher à ce
qui est solide et substantiel et ne pas courir après les visions et les
révélations, dans lesquelles l’illusion se glisse facilement et dont le démon se
sert parfois pour nous retirer de l’application à la vertu et nous faire perdre
le peu de bien qu’on s’était acquis. Il ajoutait qu’à celui qui va à la
recherche de ces visions, révélations et dons semblables, il arrive facilement
que le poison de l’orgueil s’insinue lentement en lui. Par suite, et on perd le
mérite du bien qu’on a fait et on tombe facilement dans un état malheureux. Et
je sais que notre vénérable Père était fort éloigné de tout ce qui se rapporte à
des visions et des révélations. » (Pr. A. Rom. IV-1976).
Dans ses lettres notre Saint se
montre de même fort réservé et même quelque peu sceptique, quand il s’agit de
révélations, visions, etc. …
« Quant à ce que vous me dites
de ces servantes du Seigneur venues de Corneto – écrit-il à Agnès Grazi –, je
suis content que vous les ayez vues et que vous leur ayez parlé, mais je ne veux
pas que vous me disiez qu’elles pénètrent les cœurs. Vous croyez trop
facilement. Je sais bien qu’elles sont bonnes, bien que je ne les connaisse que
de nom, mais allons-y doucement pour parler de certaines choses et ne croyons
pas trop. Et cela je le dis pour votre règle générale. » (Lett.
I-138).
A un de ses religieux, qui devait
prêcher la retraite dans un couvent de religieuses, le Saint écrit : « Je
sais que dans ce couvent il y a une visionnaire ; soyez sur vos gardes pour ne
pas croire, car selon la connaissance que j’en ai, ce sont plutôt des
illusions. » (Lett. I-435).
Et à un prêtre de ses amis, qui
venait d’être nommé confesseur de ce même couvent, il écrit : « J’avais déjà
appris par Mgr l’Évêque votre destination pour le couvent de Saint-Bernard. Je
ne me sens pas peu de compassion pour vous, à cause de cette augmentation de
besogne, surtout que vous devez diriger des religieuses, chose si laborieuse et
périlleuse. En tout cas j’espère que Dieu vous accordera d’autant plus de
secours et de grâce afin que vous puissiez y bien réussir. Mais soyez sur vos
gardes, croyez peu, très peu, examinez les choses à fond, etc. … Appuyez-vous
sur les fruits, qui sont les solides vertus et non sur les feuilles, qui sont
certaines imaginations et idées fixes, ce sont souvent de grandes illusions.
Quelques-uns les prennent pour des lumières et des grâces, et donnent dans le
faux. » (Lett. III-321).
Les visions, locutions, etc. …,
dont une âme se croit favorisée, peuvent avoir, selon notre Saint, comme aussi
selon tous les maîtres de la vie spirituelle, trois causes : Dieu, le démon ou
la nature de l’individu.
« Les choses extraordinaires que
vous mentionnez – écrit notre saint à un prêtre de ses amis –, méritent
un profond examen pour arriver à savoir, si ce sont des choses naturelles,
préternaturelles ou surnaturelles venues de Dieu. » (Lett. III-237).
On voit que notre Saint énumère ces
trois causes selon l’ordre de leur fréquence : en premier lieu la nature, la
cause la plus fréquente de toutes ; en second lieu le préternaturel, le démon,
cause moins fréquente que la précédente ; troisièmement Dieu, la cause la plus
rare. C’est dans cet ordre que nous en traiterons ici.
La cause la plus fréquente de
prétendues visions, locutions, etc. … est la nature individuelle, c’est-à-dire
l’imagination de la personne qui croit les avoir.
Saint Paul de la Croix parle avec
une particulière fréquence de cette cause dans ses lettres, et par là on voit
qu’il se demande toujours en premier lieu si ces choses extraordinaires ne sont
pas exclusivement subjectives.
« Soyez bien sur vos gardes – écrit-il
à un prêtre –, car très souvent on prend pour lumières d’en-Haut ce qui est
effet du propre esprit. Experientia docet. Pour Lucie aussi, le chemin le plus
sûr c’est de se tenir dans son néant et de ne pas en sortir, à moins que le
souffle du Saint-Esprit ne la soulève. » (Lett. II-827).
A Agnès Grazi le Saint
écrit :
« Quant à ces lumières de torches, apparats, etc. … perspectives, etc. … elles
peuvent provenir d’une grande faiblesse de tête,
du peu de sommeil et aussi du démon ; c’est pourquoi il ne faut en faire aucun
cas, les rejeter, ne pas s’en troubler, mais les regarder plutôt comme une
farce. » (Lett.
I-165).
« Vous dites, que cette âme vous
visite, etc. … – écrit-il ailleurs à la même –, et moi je dis, que ce
n’est pas vrai. C’est votre imagination. Vous dites que vous la connaissez en
Dieu et moi je dis, que nous devons tous être unis comme un seul cœur par la
charité, mais quant à ces connaissances, elles ne sont pas pour vous. N’en
faites aucun cas. » (Lett. I-136).
Dans une autre lettre encore il
écrit à la même : « Dorénavant il ne faudra plus m’écrire si minutieusement
toutes ces imaginations, qui ne servent absolument à rien et qui naissent en
bonne partie de votre tête faible et de votre imagination trop vive. » (Lett.
I-144).
A un bienfaiteur qui croyait
recevoir des inspirations et des locutions surnaturelles pour la fondation d’un
couvent dans l’île d’Elbe, le Saint répond : « Je ne suis pas tellement oie,
que je ne comprenne tout. Vous parlez en langage chiffré, mais moi je vous
parlerai clairement et je dis que ce sont là de vrais fantômes et non des
lumières. L’île n’est pas destinée par la Providence à recevoir des fondations
de nos retraites et encore moins des couvents de femmes. Toute votre
correspondance à ce sujet est du temps perdu. » (Lett. I-791).
Citons encore ce passage d’une
lettre du Saint à une religieuse : « Hier soir j’ai reçu votre missive et je
remercie le Seigneur de ce que vous reconnaissez la vérité. J’espère que vous en
profiterez pour vous tenir davantage sur vos gardes. Il est certain que j’ai
toujours reconnu que dans vos locutions il y avait un mélange d’imagination et
de subtilité d’esprit. La voie courte est de s’humilier toujours et de se tenir
dans une sainte crainte filiale, sans jamais se fier à soi. » (Lett.
II-501).
Notre Saint n’ignore pas du reste,
que ce sont surtout les femmes, qui sont sujettes à des illusions sous ce
rapport. Il le déclare même ouvertement à un prêtre de ses amis en lui
écrivant : « La tête des femmes étant plus faible, et humide, elles sont plus
sujettes que nous autres aux illusions et idées fixes. La personne dont il
s’agit a la tête très faible et à cause du très peu de nourriture qu’elle prend
et à cause du peu de sommeil, etc. … C’est pourquoi il faut y aller doucement
pour croire et former un jugement certain à propos des lumières qu’elle apporte.
De cette manière on marche avec circonspection, car si ce doit être une œuvre de
Dieu, comme on l’espère avec fondement, le Seigneur se chargera de la découvrir
comme et quand il lui plaira. » (Lett. III-237).
Si notre Saint est toujours prêt à
faire la première part à la nature individuelle dans les visions, locutions,
etc. …, qu’on croit recevoir, il n’en fait pas pour cela aveuglément la cause
unique. Il admet fort bien qu’une personne qui a des visions, locutions, etc. …
qui sont le produit de sa nature puisse en avoir en même temps d’autres,
vraiment surnaturelles. Et en ceci nous pouvons admirer une fois de plus son
esprit de pondération et de mesure. Un autre directeur ayant une fois
expérimenté qu’une personne a été la victime de ses propres rêveries et
imaginations, aurait peut-être rejeté en bloc tout ce qu’elle croit recevoir en
fait de faveurs extraordinaires. Mais notre Saint n’était pas si absolu dans ses
jugements. Comme nous le disions plus haut, il ne croit pas qu’une personne, qui
s’est fait parfois illusion par rapport à des visions, locutions, apparitions,
etc. … qui étaient le fruit de son imagination, soit pour cela incapable d’en
recevoir d’autres, qui viennent vraiment de Dieu.
Nous le constatons surtout dans le
cas d’Agnès Grazi. C’était une personne d’une imagination extrêmement vive et
mobile, qui se figurait facilement avoir des visions, entendre des locutions
intérieures, etc. … tellement que notre Saint ne cesse de la prémunir et de
l’avertir de n’attacher aucune foi ou importance à tout cela, comme le montrent
les nombreuses citations de lettres à elle adressées, faites dans ce chapitre.
Et cependant notre Saint admet, qu’une partie des choses extraordinaires qui se
passent en elle, sont de Dieu, ainsi qu’on le voit par les passages suivants de
lettres, que le serviteur de Dieu lui écrivit :
« Bien que dans votre vie
spirituelle il y ait beaucoup de choses provenant de la propre imagination et du
propre esprit, croyez bien que le fond est l’œuvre de Dieu. Ah, quelle grande
perfection la Majesté divine veut de vous ! Et c’est pour cela qu’il fait un
divin travail dans votre âme pour y prendre ses délices et vous enrichir de ses
biens éternels. » (Lett. I-114).
« Ce matin j’ai reçu votre
lettre et j’ai remarqué beaucoup de choses, qui méritent d’être examinées. Je
voudrais que vous coupiez court le plus possible à certaines imaginations pour
fuir les illusions. L’essentiel de ce que vous m’écrivez n’est pas illusion,
mais il y a des enfantillages ». (Lett. I-302).
« Dans cette vue de la très
sainte Vierge de lundi, il n’y a pas de tromperie. Et quand l’esprit veut aller
en haut, tout absorbé en Dieu, laissez-le aller et faites oraison à la façon de
Dieu. Dans ces vues amoureuses d’aménité, qui enflamment l’âme d’amour de Dieu
et la rendent humble il n’y a pas d’illusion. Mais faites souvent des
protestations, que vous ne cherchez que Dieu ». (Lett. I-352).
Dans une de ses lettres à Agnès le
Saint demande : « Je voudrais que vous me donniez quelques renseignements sur
la manière, dont vous avez entendu ce que vous me dites de notre Congrégation,
si ce fut par une lumière en pure foi et si l’âme se trouvait en haut avec Dieu
d’une manière spéciale, etc. … et si vous avez entendu des paroles expresses ou
bien une intelligence mentale dans l’essence de l’âme, etc. … » (Lett.
I-297).
On voit que notre Saint admettait
fort bien qu’Agnès Grazi, tout en étant très exposée à être trompée par sa
propre imagination, pût avoir des locutions, visions, etc. … vraiment
surnaturelles.
Dans le passage suivant il est
question d’une autre âme d’oraison : dans ses inspirations le Saint reconnaît
aussi un mélange de naturel et de surnaturel.
« Hier soir je reçus votre
lettre, par laquelle j’apprends ce que vous me dites de votre cousine. Je vous
réponds, que je juge hic et nunc, que la dite inspiration n’est pas totaliter de
alto, mais que sa vive imagination y a une part. C’est pourquoi dites-lui,
qu’elle n’en fasse pas de cas et qu’elle chasse de semblables imaginations. Si
Dieu voulait une telle œuvre, Il se ferait entendre par des prodiges ». (Lett.
I-423).
Une autre cause de prétendues
apparitions, visions, locutions, révélations, etc. …, bien que moins fréquente
que la précédente, ce sont les tromperies et illusions du démon.
Car les faveurs extraordinaires que
Dieu communique à l’âme, soit par la voie des sens externes, vue, ouïe, etc. …
soit par les sens internes, mémoire et imagination, sont connues du démon et il
peut les contrefaire. Seules « les intimes et secrètes communications entre
l’âme et Dieu qui y demeure substantiellement, ne sont connues ni des anges, ni
du démon, parce que ces opérations, en tant que Dieu les fait par Lui-même,
comme, par exemple, certaines touches d’amour, sont totalement divines et
souveraines ». (S. Jean de la Croix, Nuit obscure de l’âme, L. II,
ch. 23).
Tauler dit de même : « Dans le
fond de l’âme il n’entre ni ange ni démon, ni quoi que ce soit. Celui-là seul y
entre qui l’a créée » (Institutions, ch. 22).
Tout ce qui entre au contraire dans
l’âme par les sens soit externes soit internes, comme les apparitions, visions,
etc. … est connu également du démon et peut être imité par lui.
Voilà pourquoi les tromperies et
illusions du démon sont si fréquentes et si dangereuses même pour les âmes qui
ont été élevées à l’oraison infuse. Aussi S. Paul de la Croix ne cesse-t-il
d’exhorter ces âmes à être sur leurs gardes et à bien se persuader que les
apparitions, visions, locutions, etc. dont elles croient jouir comme d’une
faveur divine, sont peut-être une supercherie du démon.
« Quand vous viennent ces
visions ou imaginations – écrit-il à Agnès Grazi, – mettez-vous dans
votre néant, faites-vous moindre qu’un fumier… Le démon sait faire le singe et
il sait de même se transfigurer en ange de lumière. Il sait prendre la figure de
la très sainte Vierge, des Saints et de Jésus-Christ lui-même. Il sait encore
causer une fausse paix et de fausses consolations. C’est pourquoi il ne faut
jamais s’y fier. Pour être dans le vrai, il faut s’appuyer sur la foi ». (Lett.
I-198).
Ailleurs il écrit encore à la
même : « Qu’en disant à Dieu que vous serez trompée, vous vous sentiez
retenir l’intérieur et que cela vous paraisse un signe que vous n’êtes pas
trompée, n’en faites aucun cas. Sachez que le démon aussi peut faire cela. Oh !
comme cette vilaine bête est fourbe ! » (Lett. I-100).
Et à un pieu séculier, qui
s’appliquait assidûment à l’oraison et qui éprouvait certaines absorptions
d’esprit, qui lui paraissaient des extases, il écrit : « Dans ces occurrences
faites des actes d’humilité, craignez que le diable ne se transfigure en ange de
lumière. Il peut opérer de semblables tendresses ou fausses absorptions qui
paraissent des extases. N’en faites aucun cas, méprisez-les ». (Lett.
I-534).
C’est surtout avec les locutions
intérieures qu’on court risque d’être trompé par le démon ou par sa propre
imagination, comme notre Saint le répète incessamment dans ses lettres.
« Tous sont d’accord – écrit-il –, pour
dire que ces locutions, visions, etc. … sont sujettes à mille illusions. Il est
vrai qu’il y a les bonnes, mais la plupart sont des illusions du démon, qui se
fait ange de lumière et qui tâche de s’insinuer peu à peu, sous couleur de bien,
par un secret orgueil, que même les hommes les mieux éclairés reconnaissent à
peine. Et c’est ainsi qu’il entraîne les âmes à la ruine ». (Lett.
I-424).
« Quand les locutions sont
extérieures – écrit-il encore ailleurs –, c’est alors qu’elles sont plus
dangereuses. Et même si on entend des choses saintes, il ne faut pas s’y fier,
mais les rejeter, comme celle que vous avez entendue : foi, foi, ou autres. Et
même quand elles causent quelque tranquillité il ne faut pas en faire de cas
parce que le démon aussi peut causer de la tranquillité, mais elle est fausse et
de peu de durée ». (Lett. I-150).
Et à un pieux séculier, qui
s’appliquait à l’oraison, le Saint écrit :
« Gardez-vous de prêter
l’oreille aux locutions intérieures et d’en faire cas ; la plupart du temps
elles sont ou de l’esprit propre ou de l’imagination
et
souvent aussi du démon »
(Lett. I-779).
Ce que le démon cherche par ses
tromperies c’est, comme notre Saint l’écrivit dans un passage de lettre cité
plus haut, d’inspirer aux âmes un secret orgueil et d’autres sentiments vicieux.
Nous parlerons plus longuement de ces mauvais effets un peu plus loin, quand
nous traiterons des signes, auxquels on peut distinguer les vraies apparitions,
visions, etc. … des fausses. Mais, même quand le démon ne réussit point par là à
perdre une âme, il croit gagner déjà beaucoup, s’il réussit à détourner son
attention de Dieu. C’est ce qu’enseigne notre Saint en écrivant à Agnès Grazi :
« Soyez bien attentive pour
refuser ces vues, qui vous détournent de Dieu. Le diable fait un grand gain,
s’il réussit à détourner quelque peu l’âme du Souverain Bien. Puisqu’il ne
réussit pas à faire pécher, il cherche à empêcher du moins un plus grand amour
de Dieu en pureté de foi. C’est pour cela qu’il se transfigure en ange de
lumière et met diverses représentations dans l’imagination, afin que l’âme jouée
s’attache aux folies et cesse de regarder d’un regard de pur amour ce Dieu, qui
enflamme l’âme d’amour et l’enrichit de toute vertu ». (Lett. I-311).
Non content de cette assertion
générale, notre Saint rapporte un exemple terrible de ces tromperies du démon.
« J’ai lu – écrit-il –, une
chose épouvantable et je puis dire que j’en ai lu plus d’une, mais quant à ces
transfigurations du démon en ange de lumière, une seule. Saint François de Sales
rapporte d’une jeune fille trompée, que le démon lui apparaissait sous la figure
de Jésus-Christ et disait l’office avec elle, elle entendait des chants très
doux, qui la ravissaient en extase. Le démon la communiait dans un nuage de
lumière avec une fausse hostie ; quand elle allait quêter pour les pauvres, il
multipliait le pain, etc. … J’abrège. On reconnut qu’elle était trompée et
orgueilleuse et mise à l’épreuve elle conçut du ressentiment, s’impatienta et
fit connaître son mauvais fond ». (Lett. I-144).
Au dire du Serviteur de Dieu il y
eut même des Saints, qui se laissèrent tromper durant quelque temps par le
démon. « Ne vous flattez pas si facilement ―écrit-il ―, que tout ce
qui vous arrive soit surnaturel, car on ne se fait pas peu illusion à soi-même,
comme il est arrivé même à des Saints et des Saintes, qui prirent parfois les
illusions du démon ou de leur propre imagination pour des opérations et des
lumières divines et il n’en était rien. Entre autres Sainte Catherine de Bologne
fut jouée durant bien cinq années par le démon et si Dieu ne l’avait secourue
qui sait où le démon l’aurait amenée avec ses tromperies ». (Lett.
I-819).
Rien d’étonnant donc que notre
Saint mît tant de circonspection à préserver les âmes qu’il dirigeait des
embûches du démon. « Il est vrai – écrit-il dans une lettre –, que le
démon vous a assailli avec beaucoup de tromperies et je m’en suis aperçu. Et
c’est pour cela que j’ai écrit comme vous savez. Mais grâces à Dieu il n’a rien
gagné » (Lett. I-549).
Aussi le Saint se réjouit-il quand
une âme se sent éclairée d’en haut quant à ces pièges que l’ennemi infernal lui
tend : « Je remercie toujours davantage la miséricorde de Dieu ― écrit-il ―, de
la charité qu’Il continue à votre âme et surtout des lumières qu’Il vous
communique, pour connaître les tromperies du démon. Appréciez-le, car c’est une
très grande grâce et humiliez-vous toujours davantage devant Dieu, afin qu’Il
vous la continue ». (Lett. I-279).
Une troisième cause d’apparitions,
visions, locutions, révélations, etc. … est Dieu, qui veut éclairer et
encourager par là une âme.
Mais comment savoir sûrement que
ces faits extraordinaires ont Dieu pour cause et ne proviennent pas de la nature
et de l’imagination ou bien de la supercherie du démon ? S. Paul de la Croix
nous en donne le moyen dans ses lettres en indiquant nettement les caractères et
les marques distinctives des faveurs qui viennent vraiment de Dieu.
Un premier signe et caractère de
tout ce qui vient de Dieu, c’est qu’il ne s’y trouve rien de contraire à la foi.
C’est là ce que notre Saint exige avant tout. Il écrit à ce sujet :
« Spiritus ubi vult spirat et
nescis unde veniat aut quo vadat, dit Jésus-Christ. C’est ainsi que je dirai à
Votre Révérence. Quant aux angoisses et suffocations, dont Votre Rév. me parle,
je voudrais m’informer un peu. Quand vivait Sainte Thérèse et d’autres Saints et
Saintes et quand leur esprit était approuvé par les uns et désapprouvé par les
autres, même des hommes les plus doctes, est-ce qu’ils s’inquiétaient pour
cela… ? Nous avons la Sainte Écriture, d’où tous les théologiens, moralistes,
mystiques, dogmatiques, polémistes, etc. … ont tiré leurs œuvres. Et ils ont
approuvé ou désapprouvé les esprits selon que ceux-ci s’accordaient ou non avec
ce que Dieu a daigné révéler et manifester dans la Sainte Écriture. Votre Esprit
s’accorde-t-il avec Elle ? On l’approuvera là où vous êtes, car la Sainte
Écriture en général ils la lisent et ils l’ont lue. S’il ne concorde pas avec
elle, il n’y a aucun savant qui puisse approuver ce qui n’est pas conforme avec
les Saintes Écritures ». (Lett. I-819).
Un second signe pour discerner si
surtout les locutions et révélations viennent de Dieu, c’est la nécessité ou
l’utilité spirituelle, qu’elles présentent. Notre Saint l’enseigne clairement en
plus d’une de ses lettres.
« Ces locutions, que Votre
Révérence mentionne – écrit-il à un
maître des novices –, sont
extrêmement dangereuses et je ne puis pas les approuver. Je vous dirai pourquoi,
à l’aide de ce peu d’expérience que Dieu m’a donnée. Quelle nécessité y a-t-il
que Dieu fasse savoir à un novice qu’Il désire plus de ferveur des novices dans
la sainte communion, etc. … ? Leur maître ne sait-il pas cela par lui-même, en
vertu des lumières que Dieu lui donne pour son office ? Ne sait-il pas de même
que Dieu est fort offensé, surtout par les sacrilèges ? Donc ne voyez-vous pas
que semblable locution n’et pas nécessaire ? Dieu ne révèle que propter magnam
gloriam suam et pour les besoins de la Sainte Église. Ce qu’on peut savoir par
les Livres Saints, par l’expérience que Dieu donne et surtout par les lumières
qu’Il accorde à ceux qu’Il a mis en charge, il ne faut pas désirer de le savoir,
même en ombre, par des locutions. Cette autre ensuite : Humilité, humilité, etc…
et après : humilité intérieure, attaché,
etc. …oh ! celle-là, oui, elle est vraiment frivole et, bien plus, extrêmement
suspecte, et si je dis fausse, non mentior, et je ne me trompe pas ».
(Lett. III-163).
Dans ses lettres le Saint rappelle
bien souvent les mêmes principes. Voici quelques passages qui s’y rapportent :
« Ne croyez pas à votre cœur, à
vos sentiments et surtout pas aux locutions. Principalement quand elles ne se
rapportent pas à des choses d’importance pour la gloire de Dieu ; elles sont la
plupart du temps de l’esprit propre ou du démon ». (Lett. I-147).
« A quoi servent ces
imaginations, de voir Sœur Lilia ou autre chose ? De voir des cristaux avec des
rubans, comme vous m’écrivîtes l’autre fois ? Ce sont des choses inutiles dans
lesquelles le démon peut faire de vilains jeux. Le malin n’est pas pressé, il y
va tout doucement pour mieux tromper. Ces visions, élévations, splendeurs,
etc. … plus elles sont fréquentes, plus elles sont suspectes ». (Lett.
I-144).
« Dites à votre cousine, qu’elle
ne tienne aucun compte de ces inspirations et qu’elle chasse ces imaginations.
Si Dieu voulait une œuvre semblable, Il se ferait entendre par des prodiges. En
outre l’Église de Dieu n’a aucun besoin d’une telle Congrégation, parce qu’il y
a les Servites de Marie, qui ont comme but de leur institut de prêcher les
douleurs de la très sainte Vierge et portent comme emblème un cœur transpercé de
sept glaives ». (Lett. I-423).
« Vous êtes bien trop franche
pour dire avec certitude, que Dieu vous fait écrire, qu’Il vous fait dire,
etc. … Oh ! combien il est difficile d’entendre cela ! Ne vous fiez pas tant et
humiliez-vous davantage, car dans ces minuties, Dieu n’a pas coutume de se faire
entendre aussi clairement que vous croyez. Je n’insiste pas, il n’y a du reste
rien de mal ». (Lett. I-241).
Mais le grand, le principal moyen
pour distinguer des autres les apparitions, visions, locutions, etc. … qui
viennent de Dieu, ce sont les effets qu’elles produisent dans l’âme.
« Quand les fruits sont bons –
écrit notre Saint –, l’arbre qui les produit est bon lui aussi. Quand
l’oraison et les choses qu’on y éprouve engendrent humilité, charité envers Dieu
et le prochain, amour des souffrances, connaissance de son propre néant, d’où
naît le mépris de soi-même et une grande ardeur pour aimer le Souverain bien,
dans ce cas il n’y a jamais d’illusion, car le démon ne peut pas produire de
semblables effets ». (Lett. I-196).
En cela notre Saint était
pleinement d’accord avec ses maîtres spirituels, S. François de Sales, S. Jean
de la Croix et Ste Thérèse.
Mais c’est avec une particulière fréquence et une éloquence toute personnelle
que S. Paul de la Croix décrit les excellents effets des faveurs extraordinaires
de Dieu. Il ne caractérise pas moins nettement les mauvais effets des autres. On
s’en convaincra pleinement en lisant les passages suivants de ses lettres :
« Quand Dieu parle aux âmes ou par
des intelligences ou des impressions, à la façon des anges, sans exprimer des
paroles articulées, mais par de très hautes intelligences (et celles-ci ne sont
pas sujettes à illusion, parce qu’elles sont purement intellectuelles),
Il le fait toujours avec grande majesté et les effets qu’il produit sont
inexplicables. Quand ce sont ensuite des locutions articulées intus et qu’elles
sont de Dieu ou de l’ange qui parle au nom du Souverain Maître (comme c’est
ordinairement le cas), ces locutions aussi ont lieu avec majesté, en des paroles
très dignes, magnifiques, qui opèrent ce qu’elles signifient et elles laissent
toujours des impressions merveilleuses, avec intelligence des choses célestes,
élévation en Dieu, intus, etc. … »
(Lett. III-163).
« Les grâces et dons de Dieu ont
coutume de causer au commencement une sainte crainte,
bien que pas toujours, mais la plupart du temps. Et ensuite peu à peu ils
illuminent l’intellect, enflamment la volonté d’une grande ardeur dans l’amour
de Dieu, donnent l’intelligence des choses célestes, causent des effets
admirables : élévation de l’esprit en Dieu, amour et zèle des âmes, amour pour
la vertu, la souffrance, un souverain anéantissement de soi, la soumission à
tous. Oh ! ma fille, qui pourra jamais expliquer les immenses richesses que les
dons de Dieu apportent à l’âme ! »
(Lett. I-150).
« Les choses de Dieu, ses dons
causent une grande connaissance de cette Majesté infinie, une grande
connaissance de son propre néant, tellement que l’âme s’abaisserait même, pour
ainsi dire, sous les pieds des démons, si bas est le sentiment qu’elle a
d’elle-même. Ils causent un grand détachement de tout, un grand amour pour la
croix, la souffrance, une grande condescendance pour tout ce qui n’est pas
péché, ce qui comprend une exacte obéissance ; ils causent une grande paix et
intelligence des choses célestes ; ils causent une grande inclination à
l’oraison, etc. … Quelquefois ils causent tous ces effets et d’autres, tous
ensemble ; d’autres fois, en partie. Mais toujours ils portent avec eux de bas
sentiments de soi-même et une grande estime et respect envers la Majesté divine.
Les œuvres du démon, au
contraire, semblent donner au commencement quelque paix de dévotion, mais cela
ne dure pas et en particulier ils engendrent une secrète présomption et estime
d’être quelque chose ; ils donnent, sinon de suite, du moins sous peu, trouble
d’esprit et attachement au propre savoir, d’où il suit qu’on n’estime pas le
prochain et qu’on est ami de son propre sentiment. » (Lett. I-443).
« Quand les lumières d’esprit
viennent avec une certaine paix superficielle, qui engendre une secrète estime
de nous-mêmes, de manière qu’il nous semble être agréables à Dieu, être dans
quelque état de perfection, ô Dieu, alors oui il faut être sur ses gardes,
chasser de soi de semblables choses et s’humilier devant Dieu. Celui qui sera
humble et obéissant chantera victoire. » (Lett. I-137).
« Tenez pour suspectes et
regardez même comme des illusions ces lumières, qui ne laissent pas grande
humilité, connaissance de soi-même, paix et un plus grand désir de plaire à
Dieu. » (Lett. I-433).
Cette règle générale de juger
d’après les fruits et les effets, notre Saint l’applique à chaque cas
particulier, quand quelque âme d’oraison lui fait connaître les choses
extraordinaires qui lui arrivent.
« Si le diable fait du fracas – écrit-il –, par
des tentations ou des imaginations, comme vous me le dites, n’en faites pas plus
de cas que d’une mouche et surtout coupez court de suite quand, en baisant le
crucifix, il vous semble être de chair ; coupez court de suite, allez-y en foi,
car le diable pourrait faire un grand jeu d’illusion. » (Lett.
I-276).
« Il faut vous tenir sur vos
gardes, ma fille, mais comme il faut, et surtout dans ces vues, et veiller
davantage quand il vous semble voir certains élancements au cou, etc. … S’ils
engendrent plus d’amour de Dieu, plus d’humilité, plus d’amour pour la
souffrance, plus de charité, etc. … il n’y a pas à douter si ces effets
persistent ; mais s’ils suscitent quelque petite étincelle de peu d’honnêteté,
croyez qu’ils sont du diable. » (Lett. I-327).
« Quant à ces douleurs sensibles
que vous éprouvez au cœur à propos de la Passion du doux Jésus, comme aussi ce
gonflement que vous sentez du côté du même cœur et cette chaleur sensible, qui
vous le rend comme insupportable, écoutez-moi attentivement : Examinez si ces
choses vous donnent plus d’amour de Dieu, une plus grande connaissance de votre
néant et de votre propre misère, plus de désir de souffrir par amour de Celui
qui a tant souffert pour nous ; examinez si augmente l’union avec Jésus-Christ
et la conformité à sa vie divine par l’imitation de ses vertus, surtout de
l’humilité de cœur, de la mansuétude, de la patience, du silence dans l’épreuve,
etc. … Si vous sentez en vous ces effets, comme je l’espère, rendez-en gloire à
Dieu. » (Lett. III-464).
Si notre Saint exige ces bons
effets pour s’assurer que les choses extraordinaires viennent réellement de
Dieu, il ne prétend cependant pas que la personne qui les reçoit soit exempte de
toute tentation.
« Le cas peut se présenter – écrit-il –, où
l’on reçoit des dons de Dieu et où ensuite on est tenté » (Lett.
I-221).
Du reste, même quand on a acquis
l’assurance, que les faveurs qu’on reçoit viennent réellement de Dieu, il faut
toujours conserver une certaine crainte, qui prévienne la présomption. C’est ce
que notre Saint enseigne en écrivant : « Dans toutes ces élévations, si l’âme
croît dans la connaissance de Dieu et de son néant et si elle connaît vivement
et avec certitude cette vérité, les choses vont bien. Mais il faut toujours se
tenir dans une sainte crainte de Dieu. Les cèdres du Liban sont tombés, comment
les roseaux fragiles d’âmes pécheresses et faibles ne craindraient-ils pas ?
Abandonnez-vous toujours davantage à Dieu avec une filiale confiance et la plus
grande pureté d’intention et fiez-vous à Lui. » (Lett. I-302).
De ce que S. Paul de la Croix
donne, avec la netteté et la précision que nous avons admirées dans les pages
précédentes, les signes auxquels on peut reconnaître si les choses
extraordinaires qu’on éprouve dans l’oraison, viennent de Dieu ou non, faut-il
conclure qu’il conseille à chaque âme de faire ce discernement par elle-même,
pour les accepter ou les rejeter ensuite, selon le résultat de cet examen ?
Nullement. Son principe est, qu’il faut rejeter toutes les apparitions, visions,
locutions, etc. … qui se présentent, sans même examiner si elles viennent de
Dieu ou non.
Et en cela il ne faisait que se
conformer à l’enseignement de son grand maître, S. Jean de la Croix.
La raison que le docteur mystique espagnol donne de cette doctrine, c’est que
l’âme qui admet ces apparitions, visions, locutions, etc. … même quand elles
viennent de Dieu, s’expose à six inconvénients : 1° elle marche moins par la foi
qui est le moyen adéquat pour s’unir à Dieu et elle va davantage par les sens ;
2° l’âme s’attache d’autant moins à l’invisible ; 3° elle ne pratique pas le
détachement entier et la nudité d’esprit parfaite ; 4° l’âme prend le change en
s’attachant à ces faveurs ; 5° elle perd la grâce que Dieu voulait lui faire ;
6° on s’expose à être trompé par le démon. – Le bon effet que ces faveurs
extraordinaires doivent opérer si elles viennent de Dieu, elles le procurent
toujours, même si on ne les admet pas et qu’on en éloigne les regards. Dieu, du
reste, se complaît à voir le saint détachement de cette âme qui, au lieu de
donner quelque attention ou affection à ces faveurs célestes, s’en détourne
entièrement et ne veut s’attacher qu’à Lui-même. Il la comble d’autant plus de
grâces. (Montée du Carmel, l. II, ch. 11).
En conformité avec ces principes,
S. Paul de la Croix écrit à une religieuse : « J’ai lu attentivement votre
lettre, surtout quant à ces visions, que vous avez eues. Bien que, d’après les
effets qu’elles ont produits dans votre âme, on n’y découvre aucune illusion
mais au contraire un grand avantage spirituel, ce qui indique qu’elles
provenaient de la miséricorde de Dieu, cependant je vous répète la doctrine de
S. Jean de la Croix, grand maître de la vie spirituelle, qui enseigne que les
visions, révélations, locutions, surtout quand elles sont fréquentes, doivent
toujours être chassées pour se libérer de l’illusion, si jamais il y en avait ;
car, dit le Saint, si elle viennent de Dieu, elles laissent leur bon effet et
l’impression divine dans l’âme, bien qu’on les chasse, et si elles viennent de
l’ennemi, on se délivre de la tromperie en les chassant. Vous agissez fort bien
en vous laissant guider par l’obéissance, car les âmes obéissantes ne seront
jamais trompées. » (Lett. III-540).
« J’ai lu de grandes choses à ce
sujet ― écrit-il encore. – Les saints, qui en ont écrit, enseignent qu’il
faut chasser de suite ces choses, car, si elles sont bonnes, elles causent leur
effet même si on les chasse et si elles ne le sont pas, l’âme échappe à la
tromperie. » (Lett. I-423).
Dans une lettre à un maître des
novices, le Saint développe davantage sa pensée. Il écrit : « Parmi cent et
peut-être mille de ces locutions articulées, à peine y en aura-t-il une ou deux
de vraies, et il est difficile, même aux grands maîtres de la vie spirituelle,
de les connaître et de distinguer les vraies des fausses, celles du propre
esprit et celles de l’ennemi, qui sait feindre aussi des effets, en apparence
semblables à ceux de Dieu ; par conséquent la meilleure ligne de conduite est de
commander à qui les a, de les chasser toujours, de s’humilier devant Dieu, de
protester que la sainte foi et les Saints Livres ainsi que les instructions du
père spirituel, qui parle au nom du Seigneur, suffisent, etc. … En agissant de
la sorte on donne gloire au Seigneur en se défiant de soi, en s’humiliant et en
s’estimant indigne de semblables grâces, et on se délivre de toute illusion. Si
elles sont de Dieu, l’âme reçoit infailliblement leur bon et saint effet, quoi
qu’on fasse pour les chasser » (Lett. III-164).
Par une comparaison bien choisie,
qui du reste est aussi de S. Jean de la Croix,
notre Saint montre que les vraies et bonnes apparitions, visions, etc. …
produisent leurs saints effets même si on les éloigne de soi.
A ce que nous déclare un témoin aux
procès de béatification, « le Serviteur de Dieu disait : Un homme, qui a les
épaules découvertes et à qui on jette des charbons ardents sur le dos, ne
manquera pas de sentir les ardeurs du feu et de recevoir des brûlures, quoiqu’il
n’ait pas le visage tourné vers celui qui lui jette des charbons ardents aux
épaules. De même celui qui s’attache à la seule pure foi dans la sainte oraison
et rejette les visions, révélations, etc. … ne manquera pas pour cela d’en
éprouver les bons effets si ces choses viennent de Dieu » (Pr. Ord. Rom.,
IV-2067).
Cette comparaison vient aussi sous
la plume du Saint. « Les locutions – écrit-il –, sont toujours
dangereuses et les maîtres de la vie spirituelle enseignent qu’il faut les
chasser toujours, quelles qu’elles soient, car si elles sont bonnes et vraies,
elles produiront toujours leur effet. Quand on les chasse, elles font comme les
charbons ardents qui touchent la peau : bien qu’on les secoue, ils laissent une
trace de brûlure. Prenez donc comme règle de conduite d’être grandement sur vos
gardes. Oh ! si vous saviez les effets admirables, que produisent les vraies
locutions et quelle impression de certitude infaillible elles font dans l’âme.
On peut les chasser tant qu’on veut, l’impression est infaillible, avec d’autres
effets admirables » (Lett. II-501).
Notre Saint confirme encore cette
doctrine de rejeter toutes les visions, locutions, etc. … par ce que Sainte
Thérèse aurait dit dans une apparition après sa mort. « Sainte Thérèse ― écrit-il ―, apparut
à une de ses saintes religieuses, qui murmurait de ce que son confesseur lui
faisait chasser les locutions, visions, etc. … ; elle lui dit : « Le confesseur
fait bien, ma fille, en n’approuvant pas vos locutions, visions, etc. … et en
vous les faisant chasser et dites-lui de ma part de continuer à agir de la
sorte, car sachez que de tant de visions, locutions, etc… que j’ai eues
moi-même, un petit nombre, un très petit nombre ont été vraies et bonnes. C’est
pourquoi laissez-vous guider. » Voilà ce que dit Sainte Thérèse. Et c’était
Sainte Thérèse ! Faites-en l’application. Marchons en foi et ne doutons point.
Habemus firmiorem propheticum sermonem »
(Lett. I-779).
C’est avec une singulière
insistance que notre Saint revient sur la nécessité de rejeter toutes les choses
extraordinaires qui se présentent durant l’oraison. Dans une seule lettre à
Agnès Grazi il y insiste jusqu’à quatre fois. (Lett. I-99).
A un maître des novices il écrit
aussi avec insistance : « Si jamais le diable tendait des pièges aux novices
par de fausses lumières, de vives imaginations, faites-les leur chasser de
suite. Ce ne serait pas une chose nouvelle, que le diable trompe des novices par
de fausses apparences et lumières et les fasse gonfler d’orgueil et de vaine
gloire. Veillez sur ce point. » (Lett. III-439).
Notre Saint ne se contente pas
qu’on rejette tout ce qui se présente d’extraordinaire, il veut encore qu’on
méprise ces choses et qu’on crache en face, même si ce sont de prétendues
apparitions de Notre Seigneur ou des Saints.
« Quand ces splendeurs se
présentent – écrit-il à Agnès Grazi –, faites avec une foi vive le signe
de la croix, méprisez-les, crachez-leur en face une fois ou deux et ensuite
dites le Credo. Faites ainsi et ne craignez rien. Cachez-vous dans le côté de
Jésus. » (Lett. I-136).
« Je vous commande encore – écrit-il
ailleurs à la même –, de chasser toutes les vues imaginatives, et quand vous
m’entendez ou me voyez, crachez sur l’image. Et même quand il vous semble voir
des représentations de Jésus et de Marie, crachez-leur en face avec l’intention
de cracher sur le diable, qui veut vous tromper. Croyez que je parle au nom de
Jésus-Christ » (Lett. I-99).
Dans une autre lettre, toujours à
la même Agnès, le Saint écrit : « Chassez avec grande constance les visions
imaginatives, etc. … Oh ! combien je me réjouis de ce que, quand vous avez vu ce
qui vous paraissait être Jésus, qui voulait vous communier par force, vous avez
fait les actes que vous me dites ! Oh ! comme vous avez bien fait ! Agissez
toujours ainsi en de semblables rencontres » (Lett. I-344).
Mais s’il faut rejeter ces
représentations avec constance et décision, même au besoin par les actes de
mépris mentionnés plus haut, il faut cependant que ce soit toujours en paix et
douceur, sans contorsions ou efforts qui troubleraient l’âme. C’est ce que notre
Saint recommande constamment.
« Ne quittez pas l’oraison – écrit-il
à Agnès Grazi –, quand ces images et splendeurs se présentent, car vous
feriez rire le diable. N’en faites aucun cas, protestez que vous ne voulez pas
ces choses, mais uniquement le bon plaisir de Dieu. Continuez à tenir les yeux
comme d’habitude durant l’oraison et la tête tranquille, sans vous tourner de
côté et d’autre, comme vous me dites » (Lett. I-352).
« Il faut chasser ces vues avec
constance – écrit-il encore à la même –, mais sans effort de tête ou
d’estomac ; il faut faire tout par la volonté » (Lett. I-196).
Ailleurs encore il lui recommande :
« Si ces vues continuent malgré tout, il faut s’en moquer comme des mouches
durant l’été et continuer à traiter amoureusement avec le Souverain Bien » (Lett.
I-203).
La seule chose qu’il faille retenir
et conserver de ces visions, locutions, etc., ce sont les bons effets, les
sentiments de vertu qu’elles laissent dans l’âme. Notre Saint exprime
excellemment cette pensée en disant qu’il faut en prendre les fruits et laisser
les feuilles.
« Quant à ces deux visions – écrit-il –, que
vous avez eues après la tentation contre la chasteté, bien que les signes qui
les accompagnent soient bons, je ne veux pas que vous vous y appuyiez ni que
vous en fassiez le moindre cas. Prenez les fruits et laissez là les feuilles. Si
ces visions vous ont donné une très profonde humilité et connaissance de votre
propre néant, un grand amour des souffrances, une grande charité pour le
prochain et surtout un vif désir d’être cachée, d’être méprisée de tous et de
vivre soumise à autrui par une exacte obéissance, si ces visions ont causé ces
effets, tant mieux. Mais, je le répète, prenez ces fruits et laissez les
feuilles, sans faire cas de ces choses qui sont vraiment dangereuses » (Lett.
II-733).
Et puisque les seules vertus
importent, c’est de celles-là qu’il convient de causer entre personnes
spirituelles et non de visions et de révélations.
« Ne croyez pas – écrit
notre Saint à Agnès Grazi –, que cette personne voie son ange gardien. Si son
père spirituel vous l’a dit, je n’ajoute rien à ce sujet, je ne loue ni ne
blâme, mais, ne lui en déplaise, je voudrais qu’il vous eût parlé des vertus que
cette personne pratique pour vous exciter à l’imiter, et non de visions » (Lett.
I-136).
Parmi les locutions et révélations,
que S. Paul de la Croix enseigne à rejeter, il comprend également les lumières
spéciales quant à l’avenir, qu’on pourrait recevoir durant l’oraison !
« Quand nous viennent certaines
lumières – écrit-il –, qui font connaître des choses occultes, il faut
les tenir pour très suspectes et les chasser avec grande constance, en vous
humiliant et en protestant, que vous ne cherchez que Dieu » (Lett.
I-548).
A plus forte raison s’oppose-t-il à
ce qu’on recherche semblable connaissance des choses futures dans l’oraison.
« Selon la doctrine des Saints – écrit-il –, prétendre
connaître dans l’oraison les choses futures et surtout celles de si peu
d’importance comme l’affaire de Dom Fabius, est s’exposer au plus évident danger
d’être trompé par le diable. Ah ! combien d’âmes qui ont été jouées de la
sorte. » (Lett. I-262).
Si on ne peut pas rechercher la
connaissance des choses futures dans l’oraison ni même l’accepter, quand elle se
présente spontanément, encore moins est-il permis de faire des prédictions !
C’est ce que notre Saint fait observer à plus d’une âme au cours de ses lettres
de direction.
A Agnès Grazi, par exemple, il
écrit : « Ne prédisez pas si facilement les choses, comme on a coutume de le
faire de nos jours, ce en quoi il y a grand danger d’illusion » (Lett.
I-138).
A un pieu chrétien vivant dans le
monde il écrit de même : « Je vous avoue en toute sincérité, que j’apprends
avec déplaisir que vous prédisez tant de choses, comme vous me le faites
connaître par votre lettre. Sachez, mon très cher Monsieur Thomas, que vous vous
exposez à mille illusions. Je vous dis en vérité que je ne découvre rien de
l’esprit de Jésus-Christ dans ces prédictions ; au contraire je vois que ce sont
des imaginations personnelles et que vos sentiments intérieurs proviennent de
vos sentiments naturels sous ce rapport, comme aussi d’illusions de l’ennemi.
C’est pourquoi chassez ces fausses lumières en toutes les occasions où elles se
présenteront, humiliez-vous et concentrez-vous dans votre néant et, avec un
profond détachement de tout, tenez-vous tout rapetissé aux pieds du Seigneur
comme un pauvre » (Lett. I-605).
Mais notre Saint ne se contente pas
de détourner les âmes des prédictions, révélations, visions, locutions, etc. …
et de montrer les dangers qu’il y aurait à leur accorder quelque crédit, il
prescrit aussi les remèdes à employer pour se prémunir contre le mal qu’elles
peuvent causer à l’âme. Ces remèdes sont principalement la foi et l’humilité.
Le premier remède est la foi ou
l’oraison en pure foi. Notre Saint ne cesse de le répéter, comme nous le voyons
par les passages suivants de lettres adressées à Agnès Grazi :
« Continuez toujours à vous
dépouiller de toutes ces imaginations, etc. … et réduisez toujours davantage
votre oraison en foi, tout abandonnée en Dieu » (Lett. I-185).
« Quant à la vision de cette
servante de Dieu, je vous commande, en qualité de père spirituel, par la sainte
obéissance, de la rejeter, et de même quant à toutes ces splendeurs et autres
imaginations. La foi, la vue amoureuse de Dieu en foi, c’est là le sûr chemin »
(Lett. I-161).
« S’il vous vient des
imaginations ou autres vues, chassez-les de suite, faites diversion et retournez
ensuite à la sainte oraison en pure foi, en cherchant Dieu seul et sa gloire.
Vivez morte à tout ce qui n’est pas Dieu » (Lett. I-100).
« Continuez à vous moquer de ces
représentations, ne regardez pas les ornements des salles royales, ni les
courtisans et encore moins les bouffons, mais rapprochez-vous de votre Roi, qui
a épousé votre âme en foi. Là tenez-vous tranquille, abandonnée et liquéfiée
d’amour, avec le plus profond anéantissement de vous-même et le plus grand
respect pour cette souveraine Majesté » (Lett. I-311).
Sans se contenter de recommander
ainsi en général l’oraison en pure et nue foi comme remède et préservatif contre
les apparitions, visions, etc. … notre Saint prescrit encore les actes de foi en
particulier, qu’il convient de faire.
« Quand vous viennent ces
intelligences ― écrit-il encore à Agnès Grazi ―, dites : “Je suis une
pauvre niaise, tout à fait ignorante ; je crois tout ce que croit et tient notre
sainte Mère l’Église catholique. Je crois que le Père est Dieu, le Fils est
Dieu, le Saint-Esprit est Dieu. Et il n’y a pas trois dieux, mais un seul Dieu
en trois Personnes. Le Père n’a pas de commencement et il n’est engendré de
personne ; le Fils est engendré éternellement du Père ; le Saint-Esprit procède
du Père et du Fils. Éternel est le Père, éternel est le Fils, éternel est le
Saint-Esprit. C’est un seul Dieu et éternel en trois Personnes divines et
éternelles”. Croyons et adorons en simplicité de sainte foi : ainsi nous
marcherons bien » (Lett. I-199).
Si c’est avec tant d’insistance que
notre Saint recommande l’oraison en pure et nue foi, et avec tant de sollicitude
qu’il prémunit les âmes contre les illusions et tromperies du démon, il reste
cependant toujours fidèle à son principe que tout doit se faire en paix et
tranquillité et que l’âme ne doit jamais s’inquiéter ou se troubler.
« Marcher en vive foi – écrit-il – ; c’est
là le sûr chemin. Ensuite il ne faut pas tant se laisser opprimer par des
craintes d’illusions, mais mettre sa confiance en Dieu, car le diable, ne
pouvant gagner autre chose, cherche à troubler au moins l’âme » (Lett.
I-549).
Ailleurs encore il écrit : « Il
faut marcher en bonne foi, sans vous inquiéter ou vous troubler, faire votre
partie et ensuite mettre votre confiance en Dieu et continuer l’oraison, mais le
plus en foi que possible » (Lett. I-145).
A ce premier remède contre les
illusions dans l’oraison, S. Paul de la Croix en ajoute de suite un second, qui
est l’humilité.
Comme le grand danger de ces choses
extraordinaires est qu’on en conçoive quelque présomption et orgueil – ce que le
démon cherche du reste –, le meilleur moyen pour échapper à ce péril est de
s’humilier profondément.
« Qui se tient dans son néant ― écrit
notre Saint ―, qui se méfie de lui-même et met sa confiance en Dieu ne sera
pas trompé » (Lett. I-535).
A Agnès Grazi il écrit : « Dans
ces images de l’esprit, c’est très souvent le diable qui se glisse pour tromper
l’âme sous couleur de bien. Il est vrai que, si l’âme est toute unie à Dieu et
qu’elle se méfie d’elle-même, elle s’aperçoit que c’est le démon, aux effets
qu’il produit, comme je vous l’ai écrit d’autres fois. Cette bête n’a même pas
épargné les plus grands serviteurs de Dieu, mais parce qu’ils étaient humbles,
ils se sont moqués du démon » (Lett. I-203).
Ailleurs encore il écrit à la
même : « Dans ces grandes douceurs et élévations d’esprit il y a toujours du
danger que le diable fasse quelque tromperie. Mais celui qui s’anéantit, qui se
méprise lui-même, qui se jette dans son néant et attribue tout à Dieu et rien à
lui-même échappe à toutes ces illusions » (Lett. 193)
Aussi était-ce un principe pour
notre Saint de guider toutes les âmes, mais surtout celles qui croient recevoir
des faveurs extraordinaires durant l’oraison par la voie sûre de l’humilité.
C’est lui-même qui nous le déclare :
« J’espère – écrit-il –, que
le Seigneur ne permettra pas que vous soyez trompée par le démon, car Dieu m’a
inspiré de vous guider d’une façon fondamentale, en vous faisant marcher dans
l’humilité et le mépris de vous-même, quoique jamais encore suffisamment » (Lett.
I-145).
Ces actes d’humilité à pratiquer
quand on croit recevoir quelque faveur extraordinaire durant l’oraison, notre
saint les inculque d’une façon à la fois théorique et pratique, comme on pourra
voir par les passages suivants extraits de ses lettres :
« Cette lumière, que vous me
dites avoir dans l’intellect et qui enflamme la volonté, est suspecte, si elle
enfle ensuite. C’est pourquoi il faut éloigner cette extravagance que vous me
dites, et vous mettre en la présence divine en vive foi, avec une attention
pleine d’amour, en concevant la plus haute idée de la Majesté divine et en vous
anéantissant de tout votre pouvoir devant elle. Si le diable fait du fracas, il
faut continuer à vous tenir anéanti, avec le souvenir des péchés et des propres
misères, sans oser passer plus avant, mais de rester fixe dans la connaissance
de soi-même et ainsi le diable sera joué. Mais il faut être fidèle à faire ce
que je dis. Avant de se livrer à ses très hautes contemplations, S. François de
Borgia s’arrêtait deux heures à méditer son néant, sa misère, etc. … » (Lett.
I-539).
« Quand vous viennent de
semblables absorptions, humiliez-vous beaucoup, méprisez-vous vous-même et si
l’absorption continue, levez-vous, quittez l’oraison, allez travailler ou
promenez-vous. Ne dites pas que c’est là de l’extase, vous n’êtes pas digne de
choses semblables. Dites à vous-même : « Un pécheur comme moi ne mérite que
d’être trompé par le démon. Seigneur, gardez-moi des illusions ! Mon Dieu, vous
savez que je suis pire que le démon ! C’est étonnant, ô Seigneur, que vous
souffriez un être semblable en votre présence ! Humilie-toi, vilaine bête ! Qui
es-tu, créature sordide ? Toi, des extases ? Ce seront des extases diaboliques !
Oh ! abîme de misères ! Comment est-ce que tu as l’audace de laisser passer par
ton esprit de semblables pensées d’extase ? Pense que tu es coupable de
lèse-majesté divine et humilie-toi jusqu’à l’enfer » (Lett. I-534).
« On ne saurait douter, que les
lumières spirituelles que vous avez, ne soient fort matérielles et pleines d’une
vive imagination, au moins en majeure partie. C’est pourquoi vous ne pouvez
jamais être suffisamment incrédule par rapport à ces visions, locutions et
autres. Chassez-les avec courage, anéantissez-vous devant Dieu en disant :
“Seigneur, je ne mérite pas d’entendre votre voix, je ne mérite pas vos
embrassements, je mérite les embrassements des démons. O mon Dieu, délivrez mon
âme des illusions du démon !” » (Lett. I-343).
« Vos si fréquentes imaginations
ne m’ont pas l’air peu suspectes et je crains que le diable cherche à vous
jouer, mais j’espère qu’il ne réussira pas. Entre temps continuez à obéir aux
conseils, qui vous ont été donnés. Chassez-les, méprisez-les avec l’intention de
mépriser le démon. Mettez-vous en oraison dépouillée de tout désir, hormis celui
de plaire à Dieu. Je voudrais que, comme préparation à l’oraison, après l’acte
de foi à la présence de Dieu, vous vous convainquiez bien, que vous êtes un
fumier puant, une créature pleine de pourriture, une boule grouillante de vers
et que vous disiez ensuite : “O mon âme, combien tu es malodorante devant Dieu.”
Quand vous viennent ces visions ou représentations imaginatives,
anéantissez-vous et faites-vous moins qu’un fumier. Figurez-vous qu’une puanteur
pestilentielle s’exhale de vous. Demandez miséricorde à Dieu, étonnez-vous que
l’enfer ne vous engloutisse point » (Lett. I-198).
Pour mieux tenir les personnes qui
croient recevoir des faveurs extraordinaires de Dieu, dans l’humilité, le Saint
ne leur enseigne pas seulement à pratiquer cette vertu, il a encore soin de les
humilier lui-même à l’occasion.
« Je ne vous ai pas dit dans une
autre lettre – écrit-il à Agnès Grazi ―, de prier Dieu de vouloir vous
révéler si c’était sa très sainte volonté, que je continue l’œuvre, etc. … mais
de supplier le Seigneur d’éclairer qui il Lui plaît, car je savais fort bien que
vous n’êtes pas une personne à avoir des révélations » (Lett. I-186).
« Cette nuit – écrit-il
encore à la même ―, on est venu porter une lettre de vous à cette retraite,
avec beaucoup d’empressement, mais avec peu de nécessité. J’y ai lu pas mal de
bêtises. Vous dites que vous avez vu le Père éternel etc. … et que vous avez
remercié le Père éternel et son Dieu parce que je suis resté là quatre jours.
Peut-il exister plus grande erreur que de remercier le Père éternel et son
Dieu ? Comment ? Y a-t-il peut-être plusieurs dieux ? Est-ce que le Père n’est
peut-être pas Dieu ? Ah, j’ai compassion de votre ignorance et Dieu vous excuse.
Ce serait du reste une erreur contre la foi. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu,
le Saint-Esprit est Dieu… Je sais fort bien que vous croyez tout cela, mais vous
frappez à côté pour vouloir trop voler et y aller trop subtilement. A terre, à
terre, o cendre ! Chassez ces vues matérielles, fuyez-les, car elles sont
sujettes à des illusions infinies… Remercions la Majesté divine de nous avoir
donné la lumière de la sainte foi et restons à terre » (Lett. I-211).
Ailleurs encore le Saint écrit à la
même Agnès : « Quant à la guérison de cette séculière, cela peut avoir une
cause naturelle. Votre main serait plutôt apte à augmenter le mal. N’écoutez pas
les religieuses qui disent que c’est un miracle. Ce sont des choses ridicules »
(Lett. I-161).
C’était du reste le principe de
notre Saint qu’un directeur spirituel doit faire semblant de faire peu de cas de
ces choses extraordinaires, afin de maintenir les âmes dans l’humilité. C’est
pourquoi il écrit à un directeur de religieuses qui le consultait à propos de
faits extraordinaires, qui venaient d’arriver : « Mon avis serait de montrer
que vous n’en faites pas de cas et de garder le secret le plus rigoureux, afin
qu’elle se maintienne toujours plus humble, extrêmement secrète et cachée à
tous » (Lett. III-237).
Monte Argentario-Orbetello.
GAÉTAN DU SAINT NOM
DE MARIE,
Prêtre Passioniste



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