NOUVELLE  ÉVANGÉLISATION
“Sur les routes de Marie, avec Benoît XVI”

 

Pierre Célestin
Pape, Saint
1221-1296

Si ce saint parut élevé dans le monde, ce ne fut que pour y donner l'exemple de la plus profonde humilité. Cette vertu le préserva des dangers qui accompagnent les honneurs, et le fit sortir victorieux de tous les pièges qui se rencontrent dans les grandes places.

Il naquit dans la Fouille, vers l'an 1221. Ceux dont il reçut le jour étaient fort distingués par leur vertu et par leur charité envers les pauvres. Il était encore fort jeune lorsqu'il perdit son père. Sa mère, quoique chargée du soin de douze enfants, le fit étudier, à cause de l'inclination extraordinaire qu'il montrait pour la piété. Ses progrès donnèrent de grandes espérances à tous ceux qui s'intéressaient à lui. Mais l'étude n'était pas son principal objet. Il envisageait sans cesse sa vraie destination ; le salut de son âme lui paraissait l'article essentiel ; il pensait qu'on ne pouvait prendre trop de précautions lorsqu'il s'agissait d'une éternité. D'un autre côté, il considérait que la voie qui mène à la vie est étroite; que nous rendrons tous un compte exact de nos pensées et de nos actions, et que sur ce compte sera réglée la sentence que le souverain juge prononcera. Plein de ces pensées, il mettait tout en œuvre pour s'assurer la possession d'un éternel bonheur.

Il résolut enfin de suivre l'attrait puissant qu'il se sentait pour la vie érémitique. Depuis longtemps il en faisait l'apprentissage par la pratique de la pénitence et de la contemplation. Il n'avait que vingt ans lorsqu'il se retira sur une montagne déserte. Il s'y creusa dans le roc une petite cellule où il pouvait à peine se tenir debout, et trouver assez de place pour étendre tout son corps. Les austérités qu'il y pratiqua durant l'espace de trois ans furent extraordinaires. Dieu l'y éprouva aussi par de rudes tentations qui purifièrent de plus en plus les affections de son cœur. Malgré les soins qu'il prenait pour se cacher aux yeux du monde, il fut à la fin découvert, et obligé de recevoir plusieurs visites. On le força quelque temps après d'entrer dans l'état ecclésiastique, et d'aller à Rome pour y recevoir les saints ordres.

En 1246, il retourna dans l'Abruzze, où il passa cinq ans dans une caverne du mont Morroni, près de Sulmone. Là, il reçut du ciel ces faveurs qui sont communiquées aux âmes contemplatives ; faveurs toutefois qu'il faut acheter par la patience dans les épreuves. Des illusions nocturnes le tourmentèrent horrible nient. Il tomba presque dans le désespoir; il n'osait plus dire la messe, et il fut même une fois violemment tenté d'abandonner sa solitude : mais le courage lui revint, par l'aveu qu'il fit de ses peines au directeur de sa conscience. C'était un saint religieux, fort versé dans la conduite des âmes. Il consola Pierre, en lui assurant que tout ce qu'il éprouvait n'était qu'un stratagème du démon, et qu'il ne lui en arriverait aucun mal s'il voulait seulement le mépriser. Le saint, ne recouvrant point encore toute sa tranquillité, résolut d'aller à Rome consulter le pape. Il eut sur la route une vision qui acheva de calmer ses inquiétudes. Un saint abbé, mort depuis peu, lui apparut et lui donna des avis conformes à ceux qu'il avait déjà reçus de son confesseur. Il lui dit même de renoncer à son voyage de Home, de retourner à sa cellule, et d'offrir tous les jours le saint sacrifice. Pierre obéit, et se trouva délivré de ses peines.

Les bois qui environnaient sa demeure ayant été abattus en 1251, il se retira sur le mont Magelle, avec deux solitaires qui s'étaient attachés à lui comme à leur père. Les trois serviteurs de Dieu se firent un petit enclos avec des épines et des branches d'arbres, et se bâtirent eux-mêmes des cellules. Quelque affreuse que parût leur solitude, ils y goûtaient la joie la plus pure. Inutilement le démon essaya de les troubler; avec les armes de la foi, ils vinrent à bout de triompher de tous ses efforts. Plusieurs personnes qui désiraient se consacrer à Dieu vinrent prier le saint de les recevoir sous sa conduite. Il s'en excusa en disant qu'il n'était pas capable de conduire les autres. Il fut pourtant obligé de céder à la fin, et il admit au nombre de ses disciples ceux qui lui parurent les plus fervents.

Pierre passait une grande partie de la nuit dans la prière et les larmes. Le jour, il s'occupait au travail des mains ou à copier des livres, sans cesser pour cela de s'entretenir intérieurement avec Dieu. Il traitait son corps comme un ennemi domestique, et le tenait dans cet état d'assujettissement qui l'empêche de se révolter. Jamais il ne mangeait de viande. Il jeûnait tous les jours, excepté le dimanche. Chaque année il faisait quatre carêmes. Durant trois de ces carêmes, ainsi que tous les vendredis, il n'avait d'autre nourriture que du pain et de l'eau, excepté que de temps en temps il substituait au pain quelques feuilles de chou. Le pain même qu'il mangeait était si dur, qu'il ne pouvait le couper; il était obligé de le casser par morceaux. Ses austérités allaient si loin, qu'il fut averti dans une vision de ménager son corps, et de ne point l'accabler sous tant de macérations. Il portait un cilice de crin de cheval, rempli de nœuds, et une chaîne de fer autour de sa ceinture. Il couchait sur la terre nue ou sur une planche, n'ayant pour chevet qu'une pierre ou une bûche. Malgré l'amour qu'il avait pour la contemplation, il ne refusait pas d'assister ceux qui s'adressaient à lui pour leurs besoins spirituels. On pouvait le consulter tous les jours, excepté les mercredis, les vendredis, et pendant ses carêmes, qu'il passait dans un silence absolu.

Le nombre des visites qu'il recevait s'augmentant de jour en jour, il craignit de tomber dans l'esprit de dissipation. Il se retira donc sur le sommet du mont Magelle, et s'y renferma, avec quelques-uns de ses disciples, dans une grotte où l'on pouvait à peine pénétrer. Son absence ne fit que rendre plus vif l'empressement de le voir et de le consulter. Il retourna sur le mont Morroni, où ceux qui se mirent sous sa conduite vécurent quelque temps dans des cellules séparées. Enfin il les rassembla tous dans un monastère où il introduisit la règle de S. Benoît, selon son austérité primitive. En 1254 obtint du pape Grégoire X l'approbation de son ordre. Le nouvel institut s'étendit depuis dans toute l'Europe. Le saint vit jusqu'à trente-six monastères de sa congrégation, et jusqu'à six cents personnes de l'un et de l'autre sexe qui en suivaient la règle.

Le pape Nicolas étant mort en 1292, le saint Siège resta vacant durant l'espace de vingt-sept mois, parce qu'on ne pouvait s'accorder sur le choix de son successeur. Les cardinaux assemblés à Pérouse se décidèrent enfin, et élurent tout d'une voix notre saint, que l'on appelait ordinairement Pierre de Morroni ou de Mouron, du lieu où il faisait sa résidence. Ils ne lui donnèrent leurs suffrages qu'à cause de son éminente sainteté. Cette élection, dans laquelle les brigues n'avaient eu aucune part, fut universellement applaudie. Pierre fut le seul qui en témoigna de la douleur. Les raisons qu'il allégua pour montrer qu'il n'était pas propre à remplir la place qu'on lui proposait n'ayant point été écoutées, il prit la fuite avec un de ses disciples, nommé Robert. La nouvelle de son départ ne se fut pas plus tôt répandue, qu'on le mit dans l'impossibilité d'exécuter son dessein. On l'arrêta en chemin, et on le força d'acquiescer à son élection. Il pria Robert de le suivre; mais cet humble disciple lui fit une réponse conforme aux instructions qu'il avait reçues. « Ne m'obligez pas, lui dit-il, à me jeter dans les » épines avec vous. Je suis le compagnon de votre fuite, et non « pas de votre exaltation. » Robert obtint, comme il le désirait, la liberté de rester dans la retraite.

Pour le saint, il retourna en gémissant à Morroni, où il était attendu par les rois de Naples et de Hongrie, ainsi que par un grand nombre de cardinaux et de princes, qui tous l'accompagnèrent dans la cathédrale d'Aquila, choisie pour la cérémonie de son sacre. Il y alla sans pompe, et voulut par humilité n'avoir qu'un âne pour monture. Il eût même fait la route à pied s'il lui eut été permis de suivre son inclination. Il fut sacré et couronné le 29 d'août, et prit le nom de Célestin V, qui depuis fut aussi donné aux moines qu'il avait institués. .

Le roi de Naples, par ses instances réitérées, lui persuada dé venir avec lui dans sa capitale, afin de remédier à certains abus. Le saint répondit parfaitement à la confiance du prince. Il porta de sages règlements au sujet des affaires ecclésiastiques, et pourvut de bons pasteurs tous lés bénéfices vacants. Il fit aussi une promotion de douze cardinaux, dont sept étaient de France.

La confiance dont il honora les étrangers lui attira des ennemis. Les cardinaux italiens se virent avec chagrin exclus de l'administration des affaires, qui jusque là leur avait été confiée. Bientôt on entendit leurs plaintes. Elles augmentèrent à l'occasion de quelques fautes qu'on fit commettre au saint et que les mécontents ne manquèrent pas d'exagérer. Ces fautes donnèrent à Célestin de grands scrupules. Il crut plus que jamais qu'il n'était point propre à la place qu'il occupait, et que le souverain pontificat ne convenait point à un homme qui n'avait point d'expérience et qui ignorait le droit canonique.

Cependant il continuait son genre de vie ordinaire. II s'était fait faire au milieu de son palais une cellule, dans laquelle il se renfermait comme un solitaire. Les honneurs et les richesses dont il était environné ne l'empêchaient point de pratiquer l'humilité et la pauvreté. Lorsque l'avent fut venu, il voulut le passer dans la retraite pour se préparer à la célébration de la fête de Noël. En même temps il confia le soin de l'Église à trois cardinaux. Une telle conduite parut déplacée dans un pape. Les murmures éclatèrent encore plus qu'auparavant. Pierre sentit aussi renouveler ses scrupules, quand il réfléchit qu'un pasteur est obligé de remplir par lui-même les devoirs de sa charge. Il se mit donc à délibérer sur le moyen de donner sa démission, afin de se délivrer des peines de conscience qui troublaient son repos, de se décharger d'un poids dont la pesanteur devenait de jour en jour plus accablante, et de suivre uniquement son inclination pour la solitude. Il consulta sur ce sujet plusieurs habiles canonistes, entre autres le cardinal Benoît Cajetan, qui tous assurèrent qu'un pape avait le droit d'abdiquer.

Le bruit de sa prochaine abdication s'étant répandu, plusieurs personnes mirent tout en usage pour l'en détourner. Mais rien ne put le faire renoncer à la résolution qu'il avait prise. Quelques jours après, il se tint un consistoire à Naples. Le roi y assista avec d'autres personnes qualifiées. Là, -en présence de l'assemblée, Célestin fit l'acte solennel de son abdication. Il quitta ensuite les marques de sa dignité, reprit son nom et son habit de religieux; puis, se prosternant aux pieds de ceux qui composaient le consistoire, il demanda pardon des fautes qu'il avait commises, et pria les cardinaux de les réparer, en faisant le meilleur choix qu'il leur serait possible pour remplir la chaire de S. Pierre. Il n'avait siégé que quatre mois. La gaîté que l'on remarqua sur son visage lorsqu'il vit accepter son abdication, prouva, encore plus que ses paroles, que l'humilité seule lui avait inspiré la démarche qu'il venait de faire. Le cardinal Benoît Cajetan, homme fort versé dans le droit civil et canonique, fut élu en sa place, et couronné Rome le ;i6 de-janvier de l'année suivante, sous le nom de Boniface VIII.

Un événement aussi extraordinaire donna lieu à diverses réflexions, chacun envisageant les choses selon qu'il était affecté. C'est ce que l'on voit en lisant les ouvrages de ces hommes célèbres qui, dans le même siècle, rétablissaient à Florence le goût de la belle littérature, Dante, aussi décrié pour ses mœurs que partial dans ses écrits, ne trouve que pusillanimité dans l'abdication de Célestin : mais il a été relevé avec force par un de ses compatriotes. C'est Pétrarque, qui s'exprime ainsi : « Cette action (l'abdication du pape Célestin) suppose une grandeur d'âme toute divine, qui ne peut se rencontrer que dans un homme parfaitement convaincu du néant de toutes les dignités du monde. Le mépris des honneurs vient d'un courage héroïque, et non de pusillanimité. Au contraire, le désir des honneurs ne possède qu'une âme qui n'a pas la force de s'élever au-dessus d'elle-même. » S. Célestin partit secrètement pour aller à Morroni se renfermer dans son monastère du Saint-Esprit. Il espérait y passer tranquillement le reste de sa vie, mais Dieu en ordonna autrement.

Quelques actes de sévérité que les circonstances rendaient peut-être nécessaires, firent beaucoup d'ennemis à Boniface. On publiait même qu'il n'avait suivi que les mouvements de son ambition, et qu'il avait employé la ruse pour supplanter Célestin. D'autres disaient qu'il n'avait pu monter sur le trône pontifical, attendu qu'un pape ne pouvait abdiquer.

Ces discours alarmèrent Boniface ; mais ses craintes augmentèrent encore quand il apprit qu'on s'empressait de toutes parts d'aller voir Célestin à Morroni. Appréhendant les suites de ce concours, il pria le roi de Naples de lui envoyer le saint à Rome, pour empêcher, disait-il, qu'il ne s'élevât des troubles dans l'Église. Célestin n'eut pas été plus tôt instruit de ce qui se passait, qu'il prit la fuite. Il s'embarqua ensuite pour passer la mer Adriatique ; mais un vent contraire l'obligea de relâcher au port de Vieste, dans la Capitanate. Le gouverneur l'arrêta, conformément aux ordres du roi de Naples, et le conduisit à Boniface, qui pour lors était à Anagni.

Boniface le retint quelque temps dans son palais. Il eut avec lui plusieurs conférences, pour tâcher de découvrir ce qu'il pensait de ceux qui regardaient son abdication comme nulle et invalide. Le saint déclara ingénument que, loin de se repentir de la démarche qu'il avait faite, il était prêt à la ratifier de nouveau. Plusieurs furent d'avis qu'il fallait sur cette déclaration le mettre en liberté, et le renvoyer dans son monastère. Mais Boniface, sous prétexte de prévenir les malheurs d'un schisme, le fit garder étroitement par des soldats dans la citadelle de Fumone, à neuf milles d'Anagni.

On lit dans les auteurs de la Vie de S. Célestin, qu'il souffrit dans la prison d'indignes traitements, sans toutefois laisser échapper aucune plainte; qu'au contraire, il chargea deux cardinaux qui le visitèrent, de dire à Boniface qu'il était content de son état, et qu'il n'en désirait point d'autre. Souvent il répétait les paroles suivantes avec une merveilleuse tranquillité : « Je ne souhaitais rien au monde qu'une cellule, et cette cellule on me l'a donnée. » II chantait presque sans interruption les louanges de Dieu, avec deux de ses moines qui lui tenaient compagnie.

Le jour de la Pentecôte de l'année 1296, après avoir entendu la messe avec beaucoup de ferveur, il dit à ses gardes qu'il mourrait avant la fin de la semaine; il fut pris aussitôt de la fièvre, et reçut l'extrême-onction. Malgré l'extrême faiblesse où il se trouvait, il ne voulut point permettre qu'on couvrît seulement d'un peu de paille les planches sur lesquelles il couchait. Plus il approchait de sa dernière heure, plus il semblait redoubler sa ferveur. Enfin, le samedi de la même semaine, qui était le 19 de mai, il rendit tranquillement l'esprit, en achevant ce verset du dernier psaume de Laudes : Que tout ce qui respire loue le Seigneur. Il était âgé de soixante-quinze ans. Il n'avait rien diminué de ses austérités pendant les dix mois que dura son emprisonnement. Le pape, accompagné de tous les cardinaux, fit pour lui un service solennel dans l'église de Saint-Pierre.

Son corps, qui avait été enterré à Ferentino, fut transporté ensuite à Aquila. Il est encore dans l'église des Célestins, près de cette ville. On rapporte plusieurs miracles authentiques du serviteur de Dieu, qui fut canonisé en 1313 par Clément V.

SOURCE : Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction : Jean-François Godescard.

 

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