CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN
ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS
Prot. N. 1532/00/L
DÉCRET
Cité du Vatican
Décembre 2001
CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN
ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS
En affirmant la
primauté de la Liturgie, "sommet auquel tend l’action de l’Église,
et en même temps, la source d’où découle toute sa certu" (Sacrosanctum
Concilium 10), le Concile Œcuménique Vatican II rappelle,
toutefois, que "la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la
participation à la seule liturgie" (ibidem 12). En effet, la
vie spirituelle des fidèles est aussi alimentée par "les pieux
exercices du peuple chrétien", et en particulier par ceux qui sont
préconisés par le Siège Apostolique et pratiqués dans les Églises
particulières sur mandat de l’Évêque, et avec son approbation. En
rappelant qu’il est important que de telles expressions cultuelles
soient conformes aux lois et aux normes de l’Église, les Pères
conciliaires ont délimité le domaine de leur signification sur les
plans théologique et pastoral: "les pieux exercices doivent être
réglés de façon à s’harmoniser avec la liturgie, à en découler d’une
certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa
nature, elle leur est de loin supérieure" (ibidem 13).
À la lumière d’un tel
enseignement autorisé et aussi d’autres règlements du Magistère de
l’Église concernant les pratiques de piété du peuple chrétien, et
après avoir recueilli les demandes qui ont été adressées ces
dernières années par les pasteurs, l’Assemblée plénière de la
Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements,
qui s’est déroulée du 26 au 28 septembre 2001, a approuvé le présent
Directoire. Ce dernier présente, selon une forme organique,
les liens existant entre la Liturgie et la piété populaire, tout en
rappelant les principes qui régissent ces relations et en
donnant des orientations destinées à leur application
fructueuse dans le cadre des Églises particulières, selon la
tradition particulière de chacune d’entre elles. Ainsi, il revient
aux Évêques, à un titre spécial, de favoriser la piété populaire,
qui a contribué dans le passé et contribue toujours à maintenir la
foi du peuple chrétien, en entretenant une attitude pastorale
positive à son égard et en l’encourageant.
Le Souverain Pontife
Jean-Paul II ayant approuvé le projet de publication du "Directoire
sur la piété populaire et la Liturgie. Principes et orientations"
(Lettre de la Secrétairerie d’État du 14 décembre 2001, Prot. N.
497.514), la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des
Sacrements est heureuse de le rendre public, en souhaitant que, par
ce moyen, les Pasteurs et les fidèles puissent bénéficier d’un
renouveau qui leur permette de croître dans le Christ, par Lui et
avec Lui, dans l’unité du Saint esprit, à la louange du Père des
cieux.
Nonobstant toutes
choses contraires.
Du siège de la
Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, le
17 décembre 2001.
Jorge A. Card. Medina
Estévez
Préfet
Francesco Pio Tamburrino
Archevêque Secrétaire
1. Afin
d’assurer la croissance et la promotion de la Liturgie, "sommet
auquel tend l’action de l’Église et la source d’où découle toute sa
vertu" , cette Congrégation est attentive à ce qu’on ne néglige pas
les autres formes de piété du peuple chrétien, dont l’apport
fructueux est l’union de la vie des fidèles à celle du Christ, dans
l’Église, selon l’enseignement du Concile Vatican II.
Au cours de cette
période consécutive au renouveau conciliaire, la situation de la
piété populaire chrétienne se présente de manières diverses en
fonction des pays et des traditions locales. On note des attitudes
contrastées, parmi lesquelles, il convient de citer: l’abandon
manifeste et hâtif de formes de piété héritées du passé, qui a pour
effet de laisser des vides qu’il est souvent impossible de combler;
l’attachement à des formes imparfaites ou erronées de dévotion, qui
éloignent les fidèles de la révélation biblique authentique et qui
entrent en concurrence avec l’économie sacramentelle; des critiques
injustifiées à l’encontre de la piété du peuple des humbles au nom
d’une prétendue "pureté" de la foi; l’exigence de sauvegarder les
richesses de la piété populaire, qui est l’expression d’un sentiment
religieux profond et mûr des croyants dans un espace et à une époque
déterminés; le besoin d’une purification des équivoques et la
nécessité de se prémunir contre les dangers du syncrétisme; la
vitalité renouvelée de la religiosité populaire, qui exprime une
résistance et une réaction envers une certaine culture
technologico-pragmatique et l’utilitarisme économique ; un manque
d’intérêt envers la piété populaire, qui n’a cessé de croître, et
qui est dû aux idéologies de la sécularisation et à l’agression des
"sectes" qui lui sont hostiles.
Cette question requiert
l’attention constante des Évêques, des prêtres et des diacres, ainsi
que des fidèles qui sont engagés dans la vie pastorale, et aussi des
chercheurs, qui ont à cœur d’assurer la promotion de la vie
liturgique auprès des fidèles, autant que le développement de la
piété populaire.
2. Les relations
existant entre la Liturgie et les pieux exercices ont été exprimées
explicitement par le Concile Vatican II dans la Constitution sur la
sainte Liturgie. En diverses circonstances, le Siège Apostolique et
les Conférences des Évêques ont traité plus amplement de ce sujet de
la piété populaire, et elle fut de nouveau présentée par Jean-Paul
II lui-même, parmi les tâches à accomplir dans le cadre du renouveau
liturgique, dans la Lettre apostolique Vicesimus Quintus Annus:
la "piété populaire ne peut être ni ignorée, ni traitée avec
indifférence ou mépris, car elle est riche de valeurs et déjà par
elle-même elle exprime le fond religieux de l’homme devant Dieu.
Mais elle a besoin sans cesse d’être évangélisée, pour que la foi
qui l’inspire s’exprime par un acte toujours plus réfléchi et
authentique. Les "pieux exercices" du peuple chrétien, comme aussi
les autres formes de dévotion, sont accueillis et recommandés,
pourvu qu’ils ne se substituent pas et qu’ils ne se mélangent pas
aux célébrations liturgiques. Une authentique pastorale liturgique
saura s’appuyer sur les richesses de la piété populaire, les
purifier et les orienter vers la liturgie comme offrande des
peuples".
3. Ainsi, dans
le but d’aider "les Évêques afin que, outre le culte liturgique,
soient favorisées et tenues en honneur les prières et les pratiques
de piété du peuple chrétien qui sont pleinement en accord avec les
normes de l’Église", il a semblé opportun à ce Dicastère de rédiger
le présent Directoire, qui contient un exposé aussi complet
que possible des relations entre la Liturgie et la piété populaire,
ainsi que certains principes et des indications concernant leur
application pratique.
4. Le Directoire
est constitué de deux parties. La première partie, intitulée
Caractères principaux, fournit des éléments destinés à
harmoniser le culte liturgique et la piété populaire. Il est tout
d’abord question de l’expérience mûrie tout au long de l’histoire et
de la description de la situation complexe propre à notre temps
(chap. I); puis, le Directoire présente l’ensemble des enseignements
du Magistère, qui constituent les bases indispensables pour réaliser
la communion ecclésiale et mener une action pastorale bénéfique
(chap. II); enfin, le document expose les principes théologiques, à
la lumière desquels il est possible d’affronter et de résoudre les
problèmes concernant les rapports entre la Liturgie et la piété
populaire (chap. III). Le développement d’une harmonie vraie et
féconde entre ces deux réalités dépend du respect effectif et sage
de ces présupposés. Au contraire, leur non-respect a pour
conséquences une ignorance mutuelle, qui est stérile, une confusion
dommageable ou une opposition polémique.
La seconde partie,
intitulée Orientations, présente un ensemble de propositions
concrètes, sans oublier néanmoins de mentionner les usages et les
pratiques de piété de certains lieux particuliers. Il reste qu’en
mentionnant les différentes expressions de la piété populaire, on
n’a pas voulu pour autant encourager leur adoption là où elles
n’existent pas. La présentation est réalisée en se référant à la
célébration de l’Année liturgique (chap. IV), à la vénération
particulière que l’Église porte à la Mère du Seigneur (chap. V), à
la dévotion envers les Anges, les Saints et les Bienheureux (chap.
VI), aux suffrages destinés aux frères et sœurs défunts (chap. VII),
à l’accomplissement des pèlerinages et aux manifestations de piété
dans les sanctuaires (chap. VIII).
L’ensemble de ce
Directoire, qui a pour but d’orienter et aussi, dans
certains cas, de prévenir de possibles abus et déviations, se
distingue en outre par son caractère constructif et son ton positif.
Dans cette perspective, les Orientations comprennent, au sujet des
dévotions particulières, de brèves notices historiques, suivies du
rappel des divers pieux exercices, auxquels elles donnent lieu, et
elles exposent les raisons théologiques qui constituent leur
fondement, en donnant des suggestions pratiques concernant le temps,
le lieu, le langage et les autres éléments qui sont nécessaires pour
réaliser l’harmonie indispensable entre les actions liturgiques et
les pieux exercices.
5. Les
propositions concrètes, qui concernent seulement l’Église latine et
en premier lieu le Rite Romain, sont adressées avant tout aux
Évêques, à qui il appartient de présider la communauté cultuelle de
leur diocèse, de faire progresser la vie liturgique et de coordonner
cette dernière avec les autres formes cultuelles; les destinataires
de ces propositions sont aussi les collaborateurs directs des
Évêques, c’est-à-dire leurs Vicaires, les prêtres et les diacres,
et, à un titre particulier, les recteurs des sanctuaires. Enfin,
elles sont adressées aux Supérieurs majeurs des instituts de vie
consacrée, masculins et féminins, parce qu’un grand nombre de
manifestations de la piété populaire se sont développées à leur
contact, et que, de cette collaboration des religieux, des
religieuses et des membres des instituts séculiers, on peut attendre
beaucoup de résultats positifs pour une juste harmonisation entre la
Liturgie et la piété populaire.
6. Au cours des
siècles, les Églises d’Occident se sont distinguées par leur
capacité de développer et d’enraciner, dans le peuple chrétien, avec
et à côté des célébrations liturgiques, des formes à la fois
multiples et variées pour exprimer, avec simplicité et ferveur, la
foi en Dieu, l’amour envers le Christ Rédempteur, l’invocation de
l’Esprit Saint, la dévotion envers la Vierge Marie, la vénération
des Saints, le devoir de la conversion et la charité fraternelle. Il
reste que, dans ce domaine si complexe, désigné communément par les
expressions de "religiosité populaire" ou de "piété populaire", la
terminologie employée n’est pas univoque, et c’est pourquoi il est
indispensable d’apporter quelques précisions. Tout en n’ayant pas la
prétention de trancher définitivement chacune des questions, il a
paru important de présenter la définition usuelle des locutions
employées dans ce document.
7. Dans le
Directoire, la locution "pieux exercice" désigne les expressions
publiques ou privées de la piété chrétienne qui, bien que ne faisant
pas partie de la Liturgie, sont en harmonie avec cette dernière,
c’est-à-dire conformes à son esprit, à ses normes et à ses rythmes;
de plus, ces expressions tirent d’une certaine manière leur
inspiration de la Liturgie, et elles doivent y conduire le peuple
chrétien. Certains pieux exercices sont accomplis sur l’ordre du
Siège Apostolique, d’autres sur l’ordre des Évêques; beaucoup
appartiennent aux traditions cultuelles des Églises particulières et
des familles religieuses. Les pieux exercices ont toujours une
référence dans la révélation divine publique, et un fondement
ecclésial: ils concernent, en effet, les réalités de la grâce
révélées par Dieu en Jésus Christ; de plus, ils doivent se conformer
"aux lois et aux normes de l’Église", et ils sont célébrés "selon
les coutumes ou les livres légitimement approuvés".
8. Dans ce
document, le terme "dévotions" est employé pour désigner les
diverses pratiques extérieures (par exemple, les prières ou les
chants; le respect de certains temps et la visite de lieux
particuliers, les insignes, les médailles, les habitudes et les
normes), qui, animées de l’intérieur par la foi, mettent un accent
particulier sur la relation entre, d’une part, le fidèle et, d’autre
part, les Divines Personnes de la Très Sainte Trinité, ou la
bienheureuse Vierge Marie en se référant à ses privilèges de grâce
ou aux titres qu’ils expriment, ou encore les Saints, considérés
dans leur configuration au Christ ou dans le rôle qu’ils ont exercé
dans la vie de l’Église.
9. La locution
"piété populaire" désigne ici les diverses manifestations cultuelles
de nature privée ou communautaire qui, dans le cadre de la foi
chrétienne, s’expriment d’abord, non pas selon les formes de la
sainte Liturgie, mais en empruntant des aspects particuliers
appartenant en propre au génie d’un peuple ou d’une ethnie, et donc
à leur culture.
La piété populaire,
définie très justement comme un "vrai trésor du Peuple de Dieu",
"traduit une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres
peuvent connaître. Elle rend capable de générosité et de sacrifice
jusqu’à l’héroïsme, lorsqu’il s’agit de manifester la foi. Elle
comporte un sens aigu d’attributs profonds de Dieu: la paternité, la
providence, la présence amoureuse et constante. Elle engendre des
attitudes intérieures rarement observées ailleurs au même degré:
patience, sens de la croix dans la vie quotidienne, détachement,
ouverture aux autres dévotions".
10. Les réalités
désignées par la locution "religiosité populaire" renvoient à une
expérience universelle: une certaine dimension religieuse est
toujours présente dans le cœur de chaque personne, comme dans la
culture de chaque peuple, en particulier dans le cadre de ses
manifestations collectives. De fait, chaque peuple tend à exprimer
sa propre vision totalisante de la transcendance, ainsi que sa
conception de la nature, de la société et de l’histoire en se
servant des médiations cultuelles, et il réalise ainsi une synthèse
particulière qui a une dimension humaine et spirituelle de grande
valeur.
La religiosité
populaire ne concerne pas uniquement la révélation chrétienne. En
effet, en de nombreuses régions, où vivent des sociétés imprégnées
d’éléments chrétiens selon des modes différents et variables,
jaillit une sorte de "catholicisme populaire", où coexistent, d’une
manière plus ou moins harmonieuse, divers éléments provenant du sens
religieux de la vie, de la culture propre du peuple et de la
révélation chrétienne.
Afin d’avoir une vision
d’ensemble de la question, il est indispensable d’exposer
succinctement différents éléments qui seront ensuite développés et
expliqués dans le présent Directoire.
11. L’histoire
enseigne que, à certaines époques, la foi a été soutenue par des
formes et des pratiques de piété, qui, dans la majorité des cas, ont
été souvent considérées par les fidèles comme des événements
particulièrement marquants et indissociables des célébrations
liturgiques. En vérité, "toute célébration liturgique, en tant
qu’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est
l’action sacrée par excellence, dont nulle action de l’Église ne
peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré".
Cependant, il faut surmonter l’équivoque qui consiste à soutenir que
la Liturgie ne serait pas "populaire": le renouveau conciliaire
s’est fixé comme objectif de promouvoir la participation du peuple à
la célébration de la Liturgie, en favorisant des moyens et des
éléments (les chants, la participation active, les ministères
dévolus aux laïcs...) qui, en d’autres temps, avaient suscité
l’élaboration de prières qui alternaient avec l’action liturgique ou
se substituaient à elle.
La primauté de la
Liturgie sur les autres formes de prières chrétiennes, qui sont
possibles et légitimes, doit trouver un écho dans la conscience des
fidèles: si les sacrements sont indispensables pour pouvoir
vivre unis au Christ, les diverses formes de la piété populaire ont,
en revanche, un caractère facultatif. On peut citer, à titre
d’illustration particulièrement importante et vénérable, le précepte
de la participation à la Messe dominicale; de leur côté, les pieux
exercices, qui, pourtant, peuvent être recommandés et répandus parmi
les fidèles d’une manière habituelle, ne font jamais l’objet d’une
obligation, même si certaines communautés ou des fidèles, à titre
personnel, ont toujours la possibilité de considérer qu’ils ont un
caractère impératif.
Ce principe doit être
enseigné aux prêtres et aux fidèles dans le cadre de leur formation
respective; en effet, il faut affirmer sans ambiguïté la primauté de
la prière liturgique et de l’année liturgique sur toutes les autres
pratiques de dévotion. Il est vrai, toutefois, que cette même
primauté ne peut en aucun cas être synonyme d’exclusion,
d’opposition et de marginalisation.
12. Le caractère
facultatif des pieux exercices ne peut en aucun cas signifier une
quelconque méconnaissance, ni même le mépris à leur égard.
L’attitude juste qu’il convient d’adopter est, au contraire, celle
qui consiste à valoriser d’une manière adéquate et avec sagesse, les
richesses non négligeables de la piété populaire, avec ses
potentialités et la qualité de la vie chrétienne qu’elle est capable
de susciter.
Puisque l’Évangile est
la mesure et le critère de toute forme, ancienne et nouvelle, de la
piété chrétienne, la valorisation des pieux exercices et des
pratiques de dévotion doit aller de pair avec un travail de
purification, en vue de les harmoniser avec le mystère chrétien.
Cette remarque vaut particulièrement pour les éléments de la piété
populaire assumés par la Liturgie chrétienne, car cette dernière "ne
peut absolument pas accueillir des rites de magie, de superstition,
de spiritisme, de vengeance ou à connotation sexuelle".
Ainsi, on comprend que
le renouveau liturgique voulu par le Concile Vatican II doive aussi,
en quelque sorte, inspirer l’évaluation et le renouveau des pieux
exercices et des pratiques de dévotion. La piété populaire doit
faire apparaître les éléments suivants: l’inspiration biblique,
car on ne peut concevoir une prière chrétienne sans référence
directe ou indirecte à un passage de la Bible; l’inspiration
liturgique, puisque la piété populaire met en relief ou du moins
se fait l’écho des mystères célébrés dans les actions liturgiques;
l’inspiration œcuménique, c’est-à-dire la prise en compte des
sensibilités et des traditions chrétiennes diverses, tout en évitant
de se prêter à des expériences inopportunes; l’inspiration
anthropologique, qui s’exprime, soit dans l’accueil de symboles
et d’expressions propres à un peuple, en évitant, toutefois, un
archaïsme qui serait privé de toute signification, soit dans
l’effort qui vise à engager un dialogue avec les sensibilités
contemporaines. Un tel renouveau ne sera fructueux que s’il est
réalisé graduellement et avec pédagogie, en tenant compte des lieux
et des circonstances.
13. La
différence objective entre, d’une part, les pieux exercices et les
pratiques de dévotion, et, d’autre part, la Liturgie, doit
apparaître clairement dans les expressions du culte chrétien. Cela
signifie, d’une part, que les formes particulières des pieux
exercices ne peuvent pas se mêler aux actions liturgiques, et,
d’autre part, que les actes de piété et de dévotion ont une place
qui leur est propre, en dehors de la célébration de l’Eucharistie et
des autres sacrements.
De plus, il faut éviter
le phénomène de la superposition, afin que le langage, le rythme, la
configuration, les accents théologiques de la piété populaire se
différencient bien des éléments correspondants dans les actions
liturgiques. De même, si cela est nécessaire, il convient de
remédier à une éventuelle concurrence ou opposition avec les actions
liturgiques, en garantissant en particulier le caractère primordial
du dimanche, des solennités, des temps et des jours liturgiques.
Enfin, il faut éviter
de qualifier les pieux exercices de "célébrations liturgiques", car
ils doivent conserver leur propre style, leur simplicité et leur
langage particulier.
14. Le langage
verbal et gestuel de la piété populaire, tout en conservant sa
simplicité et sa spontanéité d’expression, doit néanmoins toujours
être particulièrement soigné, afin de laisser apparaître, dans tous
les cas et en même temps, la vérité de la foi et la grandeur des
mystères chrétiens.
15. La piété
populaire se caractérise par une variété très riche d’expressions
corporelles, de gestes et de symboles. On peut citer, par exemple,
l’usage d’embrasser ou de toucher avec la main les images et les
lieux saints, les reliques ou les objets sacrés; le fait
d’entreprendre des pèlerinages ou d’organiser des processions, de
parcourir des tronçons de route ou certains parcours "spéciaux" à
pieds ou à genoux; la présentation d’offrandes, de cierges et
d’ex-voto; le port d’habits particuliers; le fait de s’agenouiller
et de se prosterner, de porter des médailles et des insignes... De
telles expressions, qui se transmettent depuis des siècles de père
en fils, constituent des moyens directs et simples destinés à
manifester extérieurement les sentiments présents dans le cœur des
fidèles, et aussi leur volonté de vivre d’une manière
authentiquement chrétienne. Sans cette dimension d’intériorité, les
gestes symboliques risquent de devenir des coutumes vides de sens
et, dans le pire des cas, de dégénérer en superstition.
16. Bien que les
énoncés des prières et les formules de dévotion soient rédigés en
employant un langage que l’on pourrait qualifier de moins rigoureux,
si on les compare aux prières de la Liturgie, ils doivent néanmoins
s’inspirer des textes de la Sainte Écriture, de la Liturgie, des
Pères et du Magistère, tout en étant conformes à la foi de l’Église.
L’emploi des textes des prières et des actes de piété, qui ont un
caractère stable et public, requiert l’approbation de l’Ordinaire du
lieu.
17. De même, le
chant, qui est l’expression naturelle de l’âme d’un peuple, occupe
une place de choix dans le cadre de la piété populaire. Le soin
apporté à conserver les chants traditionnels transmis par les
générations précédentes, doit être associé au sens biblique et
ecclésial, et, par conséquent, doit se conjuguer avec la nécessité
de révisions successives ou de nouvelles compositions.
Certains peuples ont
coutume d’associer le chant avec le battement des mains, le
mouvement rythmique du corps et la danse. Ces manières particulières
d’exprimer les sentiments intérieurs font partie des traditions
populaires, spécialement à l’occasion des fêtes des saints Patrons;
elles sont recevables dans la mesure où elles constituent les
expressions d’une vraie prière commune, et non pas simplement un
spectacle. Le fait qu’elles aient cours habituellement dans des
lieux bien déterminés ne signifie pas pour autant qu’on doive
encourager leur extension à d’autres lieux, dans lesquels leur usage
ne conviendrait pas par manque de connaturalité.
18. Une autre
expression très importante de la piété populaire est le recours aux
images sacrées; celles-ci sont réalisées en tenant compte des règles
de la culture ambiante et en fonction de la grande diversité des
artistes, et elles aident les fidèles à accéder aux mystères de la
foi chrétienne. Il convient d’affirmer que la vénération envers les
images sacrées appartient, par nature, à la piété catholique: le
signe tangible de cet attachement est constitué par le grand
patrimoine artistique, présent dans les églises et les sanctuaires,
à la constitution duquel la dévotion populaire a souvent contribué.
Il convient de rappeler
le principe relatif à l’emploi liturgique des images du Christ, de
la Vierge Marie et des Saints, qui est traditionnellement affirmé et
défendu par l’Église, consciente que "l’honneur rendu à l’image est
adressé à la personne qui est représentée". Les directives qui
s’imposent aux images sacrées présentées dans les églises -
concernant la vérité de la foi qu’elles expriment, ainsi que leur
hiérarchie, leur beauté et leur qualité - doivent s’appliquer aussi
aux images et aux objets destinés à la dévotion privée et
personnelle.
Puisque l’iconographie,
qui a sa place dans les édifices sacrés, n’est pas laissée à
l’initiative privée, les responsables des églises et des oratoires
doivent exercer la vigilance nécessaire, afin de garantir la
dignité, la beauté et la qualité des images présentées à la
vénération publique des fidèles, en veillant en particulier à ce que
des tableaux ou des statues inspirés par les dévotions privées de
quelques personnes, ne soient pas imposés de facto à la
vénération commune.
Les Évêques, de même
que les recteurs des sanctuaires, doivent s’assurer que les images
sacrées destinées à l’usage des fidèles, qui sont réalisées de
manières diverses, pour être exposées dans les maisons, ou portées
en pendentif, ou encore conservées personnellement, ne dégénèrent ni
dans la banalité, ni dans l’erreur.
19. En plus de
l’église, la piété populaire a comme espace privilégié le
sanctuaire - il ne s’agit pas toujours d’une église -, qui se
distingue par des formes et des pratiques particulières de dévotion,
dont la plus notable est le pélerinage. À côté de ces lieux de
culte, qui sont explicitement réservés à la prière communautaire et
privée, il en existe d’autres, non moins importants, à savoir la
maison, les lieux de vie et de travail, et, en certaines
circonstances, les rues et les places, qui, ainsi,
sont appelées à devenir elles aussi des lieux de manifestation de la
foi.
20.
L’alternance des jours et des nuits, la succession des mois
et le changement des saisons sont accompagnés par des expressions
variées de la piété populaire. De même, cette dernière est associée
à des jours particuliers, où sont célébrés des événements joyeux et
tristes de la vie personnelle, familiale et communautaire. Surtout,
la "fête", avec ses journées de préparation, est destinée à donner
du relief aux manifestations religieuses qui ont contribué à forger
la tradition particulière d’une communauté déterminée.
21. Les
manifestations de la piété populaire sont placées sous la
responsabilité de l’Ordinaire du lieu: c’est à lui qu’il appartient
de les réglementer, de les encourager dans le cadre de sa fonction
propre qui consiste à stimuler la vie chrétienne des fidèles, de les
purifier là où cela s’avère nécessaire, et de les évangéliser. Il
revient aussi à l’Ordinaire du lieu de veiller à ce que les
manifestations de la piété populaire ne se substituent pas et ne se
mélangent pas aux célébrations liturgiques; de même, il lui revient
d’approuver les textes des prières et des formules, qui sont
employés durant les actes publics de piété et dans le cadre des
pratiques de dévotion. Les dispositions prises par un Ordinaire, qui
sont destinées à son propre territoire de juridiction, concernent
l’Église particulière qui lui est confiée.
Il reste que des
fidèles, à titre personnel - qu’ils soient clercs ou laïcs - ainsi
que des groupes particuliers doivent éviter de proposer publiquement
et de propager des prières, des formules et des initiatives, sans le
consentement de l’Ordinaire.
Selon la norme de la
Constitution apostolique Pastor Bonus précitée (n. 70), cette
Congrégation est compétente pour aider les Évêques dans la
détermination des prières et des pratiques de piété du peuple
chrétien, pour émettre des dispositions qui s’appliquent à des cas
dépassant le cadre territorial d’une Église particulière, et pour
imposer des mesures complémentaires, si cela s’avère nécessaire.
***
22. Les rapports
entre la Liturgie et la piété populaire sont très anciens. Dans un
premier temps, il est nécessaire de présenter succinctement comment
ces relations ont été vécues tout au long des siècles. Sur ces
fondements, il sera ensuite possible d’émettre des idées ou
d’énoncer des suggestions, dans le but de contribuer, dans un nombre
non négligeable de cas, à résoudre certaines questions qui se posent
à notre époque.
23. La période
apostolique et post-apostolique a été marquée par une
interpénétration profonde entre les diverses expressions
liturgiques, qui sont qualifiées de nos jours respectivement de
"Liturgie" et de "piété populaire". Dans les communautés chrétiennes
les plus anciennes, la seule réalité qui est prise en considération
est le Christ (cf. Col 2, 16), avec ses paroles de vie (cf. Jn 6,
63), son commandement de l’amour réciproque (cf. Jn 13, 34), et les
actions rituelles qu’il a commandées d’accomplir en mémoire de lui
(cf. 1 Cor 11, 24-26). Tout le reste - les jours et les mois, les
saisons et les années, les fêtes et les nouvelles lunes, la
nourriture et les boissons... (cf. Gal 4, 10; Col 2, 16-19) - est
secondaire.
Dès les premières
générations chrétiennes, il est possible de relever l’existence de
signes et de gestes se rapportant à la piété personnelle; ceux-ci,
en tout premier lieu, provenaient de la tradition judaïque; de plus,
tout en se conformant à l’exemple donné par Jésus et saint Paul, ces
initiatives des chrétiens s’inspiraient de leurs conseils au sujet
de la prière incessante (cf. Lc 18, 1; Rm 12, 12; 1 Th 5, 17), qui
doit être adressée à Dieu pour obtenir ou commencer toute chose dans
l’action de grâce (cf. 1 Co 10, 31; 1 Th 2, 13; Col 3, 17). Le pieux
Israëlite commençait la journée en louant et en rendant grâce à
Dieu, et il accomplissait chaque action dans cet esprit tout au long
du jour; ainsi, chaque moment, qu’il fût joyeux ou triste, était
l’occasion d’exprimer une prière de louange, de demande ou de
pardon. Les Évangiles et les autres écrits du Nouveau Testament
contiennent des invocations adressées à Jésus, qui, répétées par les
fidèles en dehors du contexte liturgique, étaient devenues en
quelque sorte des prières jaculatoires, par lesquelles ils
exprimaient leur dévotion centrée sur le Christ. On peut penser que
les fidèles avaient l’habitude de répéter des locutions bibliques
telles que: "Jésus, Fils de David, aie pitié de moi" (Lc 18, 38);
"Seigneur, si tu le veux, tu peux me guérir" (Mt 8, 1); "Jésus,
souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume" (Lc 23, 42);
"Mon Seigneur et mon Dieu" (Jn 20, 28); "Seigneur Jésus, reçois mon
esprit" (Ac 7, 59). Cette forme de piété constituera le modèle à
partir duquel se développeront d’innombrables prières adressées au
Christ par les fidèles de tous les temps.
On a pu remarquer que,
jusqu’à la fin du II siècle, diverses formes et expressions de la
piété populaire, qui étaient d’origine judaïque, ou qui étaient
basées sur des éléments appartenant à la culture gréco-romaine, ou à
d’autres cultures, avaient pénétré spontanément dans la Liturgie.
Ainsi, par exemple, il a été souligné que le document connu sous le
nom de Traditio apostolica comprend un certain nombre
d’éléments qui proviennent de la culture populaire de cette époque.
De même, le culte des
martyrs, si important dans les Églises locales, contient des
éléments qui proviennent d’usages populaires concernant la mémoire
des défunts. De tels éléments de la piété populaire se retrouvent
aussi dans certaines expressions de vénération à l’égard de la
bienheureuse Vierge Marie, parmi lesquelles on peut citer la prière
du Sub tuum praesidium, et l’iconographie mariale présente
dans les catacombes de Priscille, à Rome.
Il est vrai que
l’Église fait preuve de beaucoup de rigueur pour exiger les
dispositions personnelles requises de la part des fidèles, et pour
imposer les conditions indispensables en vue d’une célébration des
mystères divins qui soit empreinte de dignité (cf. 1 Cor 11, 17-32);
pourtant, elle n’hésite pas à incorporer elle-même dans les rites
liturgiques des formes et des expressions de la piété individuelle,
familiale et communautaire.
À cette époque, la
Liturgie et la piété ne s’opposent pas, aussi bien sur le plan
doctrinal que pastoral: de fait, elles concourent toutes les deux
d’une manière harmonieuse à la célébration de l’unique mystère du
Christ, considéré dans son unité, et au soutien de la vie
surnaturelle et morale des disciples du Seigneur.
24. À partir du
IV siècle, le nouveau contexte politique et social dans lequel se
trouve l’Église, encourage cette dernière à poser la question des
rapports entre les expressions liturgiques et celles de la piété
populaire en des termes, non seulement de convergence spontanée,
mais aussi d’adaptation volontaire et d’inculturation.
Les diverses Église
locales, mues par des intentions intensément missionnaires et
pastorales, acceptaient volontiers d’accueillir dans la Liturgie,
tout en les purifiant, des formes cultuelles solennelles et
festives, appréciées par le peuple, qui, tout en provenant de
l’univers du paganisme, étaient capables d’émouvoir les âmes et de
toucher l’imagination. Ces formes, mises au service du culte, ne
paraissaient pas contraires à la Vérité de l’Évangile, ni à
l’authenticité du vrai culte chrétien. Ainsi, il s’avérait que les
multiples expressions cultuelles ancrées dans les sentiments
religieux les plus profonds de la personne humaine, qui
s’adressaient habituellement à des faux dieux et à des faux
sauveurs, trouvaient leur juste et véritable place dans le seul
culte rendu au Christ, vrai Dieu et vrai Sauveur.
25. Au cours des
IV et V siècles, le sens du sacré marque de plus en plus
explicitement le temps et les lieux. De fait, en ce qui concerne
tout d’abord le temps, les Églises locales, qui se référaient déjà
aux événements du Nouveau Testament relatifs au "jour du Seigneur",
aux festivités pascales et aux périodes réservées au jeûne (cf. Mc
2, 18-22), établirent en outre des jours bien déterminés en vue de
la célébration de certains mystères du Christ Sauveur, dont, en
particulier, l’Épiphanie, Noël et l’Ascension. Elles fixèrent aussi
certains jours pour honorer les mémoires des martyrs, le jour de
leur dies natali, pour évoquer l’entrée dans la vie éternelle
de leurs pasteurs en l’anniversaire de leur dies depositionis,
enfin, pour célébrer certains sacrements ou des engagements
solennels. La sacralisation d’un lieu a pour origine la convocation,
à cet endroit, de la communauté en vue de la célébration des
mystères divins et de la louange du Seigneur; ce lieu, qui est alors
soustrait au culte païen ou tout simplement à l’usage profane, est
exclusivement dédié au culte divin, et devient, du fait de la
disposition même de son espace architectonique, un reflet du mystère
du Christ et une image de l’Église célébrante.
26. C’est de
cette époque que date le processus de formation, et, par la suite,
de différenciation des diverses familles liturgiques. En effet, les
plus importantes Églises métropolitaines, pour des motifs tenant à
la langue, à la tradition théologique, à la sensibilité spirituelle
et au contexte social, célèbrent l’unique culte du Seigneur en se
référant à leurs propres usages culturels et populaires. Cette
démarche conduit progressivement à la création de familles
liturgiques qui possèdent chacune leur propre style de célébration
et un ensemble complexe de textes et de rites. Il convient de
relever la présence, dans ces diverses Liturgies, de nombreux
éléments d’origine populaire, y compris durant ces périodes, qui
sont généralement considérées comme particulièrement brillantes.
De plus, les Évêques et
les synodes régionaux interviennent dans l’organisation du culte, en
promulguant des normes, en vérifiant la rectitude doctrinale des
textes et en veillant sur leur beauté formelle, enfin en évaluant
l’ordonnancement des rites. Ces interventions contribuent à fixer
les formes liturgiques, ce qui a pour conséquence d’affaiblir la
créativité, dépourvue de tout caractère arbitraire, qui prévalait à
l’origine. L’analyse de ce phénomène a permis à certains
spécialistes de mettre en évidence l’une des causes de la future
prolifération des textes destinés à la piété privée et populaire.
27. Le
pontificat de saint Grégoire le Grand (590-604), éminent pasteur et
liturgiste, est généralement considéré comme une référence
exemplaire dans le domaine de la fécondité des rapports entre la
Liturgie et la piété populaire. De fait, ce Pontife entreprit de
réaliser une importante œuvre liturgique destinée à offrir au peuple
romain, par l’organisation des processions, des stations et des
rogations, des formes liturgiques qui, tout en correspondant à la
sensibilité populaire, étaient solidement ancrées dans la
célébration même des mystères divins; il promulgua de sages
directives afin d’éviter que la conversion des nouveaux peuples à
l’Évangile ne se fasse au détriment de leurs propres traditions
culturelles, mais, que, au contraire, la Liturgie puisse être
enrichie de nouvelles expressions cultuelles légitimes; il harmonisa
les nobles expressions du génie artistique avec celles, plus
simples, de la sensibilité populaire; il renforça l’unité du culte
chrétien en le centrant d’une manière intangible sur la célébration
de Pâques, de telle sorte que les divers événements de l’unique
mystère du salut - comme, par exemple, Noël, l’Épiphanie et
l’Ascension... - soient célébrés d’une manière particulière; enfin,
il favorisa l’extension du culte des Saints par la multiplication
des mémoires.
28. Dans
l’Orient chrétien, spécialement byzantin, la période médiévale est
marquée par la lutte contre l’hérésie iconoclaste, qui s’est
déroulée en deux phases (725-787 et 815-843); cette époque est
considérée comme une ligne de partage en ce qui concerne le
développement de la Liturgie; celle-ci est bien visible autant dans
les commentaires classiques sur la Liturgie eucharistique que dans
l’iconographie intéressant les édifices du culte.
Dans le domaine de la
Liturgie, on assiste à la fois à un accroissement considérable du
patrimoine iconographique, et à la fixation définitive des formes
rituelles. La Liturgie reflète la vision symbolique de l’univers, et
la conception hiérarchique et sacrale du monde. En elle convergent
des éléments aussi divers que les traits dominants de la société
chrétienne, les idéaux et les structures du monachisme, les
aspirations populaires, les intuitions des mystiques et les règles
des ascètes.
Après la fin de la
crise iconoclaste due au décret De sacris imaginibus du
Concile œcuménique de Nicée II (787) - une victoire qui fut
consolidée dans le "Triomphe de l’Orthodoxie" (843) - l’iconographie
se développe, s’organise d’une manière définitive et se dote d’une
légitimation doctrinale. L’icône, hiératique, d’une grande qualité
symbolique, constitue elle-même un élément de la célébration
liturgique: elle est un reflet du mystère qui est célébré, elle en
constitue même une forme de présence permanente, et elle le propose
au peuple fidèle.
29. En Occident,
la rencontre, qui remonte au V siècle, entre, d’une part, le
christianisme et, d’autre part, les nouveaux peuples, spécialement
les Celtes, les Wisigoths, les Anglo-saxons, les Francs et les
Germains, donne lieu, durant le haut Moyen Âge , à un processus de
formation de nouvelles cultures et de nouvelles institutions
politiques et sociales.
Durant la longue
période qui s’étend du VII siècle à la moitié du XV siècle, la
différenciation entre la Liturgie et la piété populaire commence,
dans un premier temps, à s’affirmer, puis elle ne cesse de
s’accentuer, dans un deuxième temps, jusqu’à la constatation de
l’existence d’un véritable dualisme dans les célébrations: à côté de
la Liturgie, célébrée en langue latine, on assiste au développement
d’une piété populaire communautaire, qui est exprimée en langue
vernaculaire.
30. Parmi les
causes qui, durant cette période, ont déterminé un tel dualisme, on
peut citer essentiellement:
- l’idée selon laquelle
la Liturgie relève plutôt de la compétence des clercs, les laïcs
devant se contenter d’en être en quelque sorte les spectateurs;
- la différenciation
particulièrement accentuée entre les diverses composantes de la
société chrétienne - c’est-à-dire entre les clercs, les moines et
les laïcs - donne naissance à des formes et à des styles très divers
de prières;
- l’attention, à la
fois distincte et approfondie, portée aux divers aspects de l’unique
mystère du Christ, dans les domaines liturgique et iconographique;
si, d’un côté, cet intérêt particulièrement vif peut être considéré
comme l’expression d’un attachement ardent à la vie et à l’œuvre du
Seigneur, d’un autre côté, il ne facilite pas la perception claire
de l’importance centrale de Pâques, et il favorise même la
multiplication des moments et des formes de célébration de caractère
populaire;
- la connaissance
insuffisante des Écritures de la part, non seulement des fidèles
laïcs, mais aussi de celle de nombreux clercs et religieux, rend
difficile l’accès à la clef indispensable qui permet d’ouvrir le
cœur à la compréhension de la structure et du langage symbolique de
la Liturgie;
- en revanche, la
diffusion de la littérature apocryphe, riche de récits miraculeux et
d’épisodes anecdotiques, exerce une influence considérable sur
l’iconographie et attire l’attention des fidèles en touchant leur
imagination;
- la rareté des
homélies, la disparition presque complète de la mystagogie et
l’insuffisance de la formation catéchétique, qui ont pour effet de
fermer la célébration liturgique à l’intelligence et à la
participation active des fidèles, encouragent ces derniers à adopter
des formes et des moments cultuels de substitution;
- la tendance à
l’allégorisme qui, en exerçant une trop grande influence sur
l’interprétation des textes et des rites, détourne les fidèles de la
compréhension de la vraie nature de la Liturgie;
- l’adoption de formes
et de structures d’origine populaire peut être considérée en quelque
sorte comme une revanche inconsciente contre une Liturgie qui, à
divers titres, s’est éloignée du peuple, tout en devenant pour
beaucoup incompréhensible.
31. Durant le
Moyen Âge, on vit surgir un grand nombre de mouvements spirituels et
d’associations, au profil juridique et ecclésial très divers, dont
la vie et les activités influèrent sur la mise en place des rapports
entre la Liturgie et la piété populaire.
Ainsi, par exemple, les
nouveaux ordres religieux de vie apostolique et évangélique, dédiés
à la prédication, adoptèrent des formes de célébration plus simples
que celles qui avaient cours dans les monastères, et aussi plus
proches du peuple et de ses manières de s’exprimer. De plus, ils
contribuèrent à la création d’un certain nombre de pieux exercices,
dans lesquels ils exprimaient leur propre charisme, ce qui leur
permit ainsi de le transmettre aux fidèles.
Les confréries
religieuses de toutes sortes, de nature cultuelle ou caritative, et
les corporations laïques, constituées à des fins professionnelles,
furent à l’origine d’une activité liturgique importante de caractère
populaire: elles érigèrent des chapelles pour leurs rassemblements
cultuels, elles choisirent un Patron, dont elles célébrèrent la
fête, et elles composèrent assez souvent, pour leur propre usage,
des petits offices et des formulaires de prières, dans lesquels
transparaissaient à la fois l’influence de la Liturgie et la
présence d’éléments appartenant à la piété populaire.
De leur côté, les
écoles de spiritualité constituaient alors des points de référence
importants dans la vie de l’Église; elles inspiraient des attitudes
et des modes de vie ancrés dans le Christ et dans l’Esprit Saint,
qui, tout en exerçant une influence non négligeable sur le choix de
certaines célébrations (par exemple, l’évocation des épisodes de la
Passion du Christ), étaient aussi à l’origine de nombreux pieux
exercices.
De même encore, la
société civile, qui se définissait elle-même volontiers comme une
societas christiana, modelait certaines de ses structures sur
celles de l’Église, allant jusqu’à fixer ses propres points de
repère sur les rythmes liturgiques; ainsi, par exemple, lorsque, le
soir venu, le son des cloches se faisait entendre, les paysans, qui
travaillaient dans les champs, savaient que le temps était venu de
rentrer au village, et cette sonnerie des cloches les invitait en
même temps à adresser une salutation à la Vierge Marie.
32. Ainsi, le
Moyen Âge a vu naître et se développer de nombreuses expressions de
la piété populaire, dont beaucoup, parmi elles, sont parvenues
jusqu’à notre époque. Citons notamment:
- l’organisation de
représentations sacrées, ayant pour objet les mystères célébrés
durant l’année liturgique, en particulier les événements du salut
que sont la Nativité du Christ, sa Passion, sa Mort et sa
Résurrection;
- la naissance de la
poésie en langue vernaculaire qui, en trouvant une application large
dans le domaine de la piété populaire, favorise la participation des
fidèles;
- l’apparition, auprès
ou à la place de certaines expressions liturgiques, de formes
alternatives ou parallèles, comme, par exemple, les diverses
modalités d’adoration du Saint-Sacrement destinées à compenser la
rareté de la communion eucharistique; la prière du Rosaire qui, vers
la fin du Moyen Âge, tend à se substituer à celle des Psaumes; et la
tendance à remplacer la Liturgie du Vendredi Saint par de pieux
exercices en l’honneur de la Passion du Seigneur.
- la multiplication des
formes populaires du culte adressé à la bienheureuse Vierge Marie et
aux Saints: pèlerinages aux lieux saints de la Palestine, et aux
tombes des Apôtres et des martyrs, vénération des reliques,
suppliques litaniques, suffrages pour les défunts;
- le développement
considérable des rites de bénédiction, constitués à la fois
d’éléments exprimant une foi chrétienne authentique, et d’autres qui
relèvent plutôt d’une sensibilité naturaliste, de croyances et de
pratiques populaires pré-chrétiennes;
- la constitution de
certains ensembles de "temps sacrés" , d’origine populaire, qui se
forment en marge de l’année liturgique: jours de fêtes à la fois
sacrées et profanes, triduums, septénaires, octaves, neuvaines et
mois dédiés à des dévotions particulières.
33. Au Moyen
Âge, les relations entre la Liturgie et la piété populaire sont à la
fois permanentes et complexes. De fait, durant toute cette période,
il est possible d’observer le double mouvement suivant: si, d’une
part, la liturgie inspire et produit certaines expressions de la
piété populaire, d’autre part, et en sens contraire, des formes de
la piété populaire sont accueillies et intégrées dans la Liturgie.
Ce double phénomène se produit surtout en ce qui concerne les rites
de consécration des personnes ou qui ont pour objet des engagements
personnels, les rites qui ont trait à la dédicace des lieux sacrés,
dans le domaine de l’institution d’un certain nombre de fêtes, et,
enfin, dans celui, ample et varié, des bénédictions.
Toutefois, on note, à
cette époque, un certain dualisme dans les rapports entre la
Liturgie et la piété populaire. Vers la fin du Moyen Âge, ces deux
réalités traversent une période de crise: dans la Liturgie, à cause
de la rupture de l’unité cultuelle, il arrive que des éléments
secondaires acquièrent une importance excessive au détriments des
éléments principaux; dans le domaine de la piété populaire, par
manque d’une catéchèse approfondie, des déviations et des
exagérations altèrent l’expression appropriée du culte chrétien.
34. Il ne semble
pas que l’époque moderne, du moins à ses débuts, ait été une période
très favorable pour l’élaboration d’une solution équilibrée dans le
domaine des relations entre la liturgie et la piété populaire. Dans
la seconde moitié du XV siècle, la devotio moderna,
qu’illustrèrent d’éminents maîtres de la vie spirituelle, et qui
connut une diffusion importante parmi les clercs et les laïcs
érudits, favorisa le développement d’un certain nombre de pieux
exercices, marqués par un style méditatif et un ton affectif, qui se
référaient essentiellement à l’humanité du Christ - c’est-à-dire, en
l’occurrence, les mystères de son enfance, de sa vie cachée, de sa
Passion et de sa Mort -. Toutefois, la primauté accordée à la
contemplation et la valorisation de la subjectivité, elles-mêmes
unies à un certain pragmatisme ascétique, qui exaltait le devoir à
accomplir, avaient pour conséquence que la Liturgie, en tant que
source primordiale de la vie chrétienne, n’exerçait pas une grande
ascendance spirituelle sur les hommes et les femmes de cette époque.
35. Parmi les
expressions les plus typiques de la devotio moderna, il
convient de citer l’ouvrage De imitatione Christi; ce livre a
exercé une influence extraordinaire et salutaire sur de nombreux
disciples du Seigneur, qui désiraient parvenir à la perfection
chrétienne. L’œuvre De imitatione Christi oriente les fidèles
vers un type de piété plutôt individuelle, en mettant l’accent sur
le détachement du monde et l’invitation à écouter la voix du Maître
intérieur; en revanche, il semble que, dans ce même ouvrage, la
place dévolue aux aspects communautaires et ecclésiaux de la prière,
ainsi qu’aux éléments de la spiritualité liturgique, soit trop
restreinte.
Les milieux qui
pratiquent la devotio moderna mettent en valeur un certain
nombre de pieux exercices de qualité, qui, certes,
manifestent sur le plan cultuel la dévotion de personnes sincérement
dévotes, mais qui, néanmoins, ont pour limite de ne pas toujours
contribuer à la valorisation pleine et entière de la célébration
liturgique.
36. Entre la fin
du XV siècle et le début du XVI siècle, les grandes découvertes
géographiques - en Afrique, en Amérique, et ensuite dans
l’Extrême-Orient - ont pour effet de présenter la question des
rapports entre la Liturgie et la piété populaire d’une manière
complètement nouvelle.
L’œuvre
d’évangélisation et de catéchèse, qui se déploie dans des pays
éloignés du centre, à la fois culturel et cultuel, du rite romain,
est accomplie non seulement grâce l’annonce de la Parole et à la
célébration des sacrements (cf. Mt 28,19), mais aussi au moyen des
pieux exercices propagés par les missionnaires.
Les pieux exercices
deviennent, par conséquent, un moyen de transmission de l’annonce de
l’Évangile, et, ils contribuent ensuite à maintenir la ferveur de la
foi chrétienne. Il reste que l’influence réciproque entre la
Liturgie et la culture autochtone demeure rare à cause des normes
qui régissaient alors la liturgie romaine (à l’exception, toutefois,
de ce qui s’est passé d’une certaine manière dans les Reducciones
du Paraguay). En revanche, dans le domaine de la piété
populaire, la rencontre avec cette culture locale n’a pas rencontré
de difficulté majeure.
37. Dans les
premières années du XVI siècle, parmi les hommes les plus convaincus
de la nécessité d’une réforme appropriée de l’Église, on peut citer
les moines camaldules Paul Giustiniani et Pierre Querini, auteurs
d’un Libellus ad Leonem X, qui contient d’importantes
indications en vue de revitaliser la Liturgie et d’en ouvrir les
trésors à tout le peuple de Dieu: il convient de citer, notamment,
la nécessité de l’instruction du clergé et des religieux, qui doit
surtout être un enseignement biblique; l’adoption de la langue
vernaculaire dans la célébration des mystères divins; la
réorganisation des livres liturgiques; l’élimination des éléments
illégitimes et altérés de certaines formes erronées de la piété
populaire; et la nécessité d’une catéchèse destinée, en particulier,
à transmettre aux fidèles la valeur de la Liturgie.
38. Peu de temps
après la clôture du Concile œcuménique de Latran V (16 mars 1517),
qui édicta quelques règles concernant l’éducation des jeunes à la
Liturgie, débuta la crise due à l’apparition du protestantisme, dont
les protagonistes soulevèrent de nombreuses objections sur des
points essentiels de la doctrine catholique à propos des sacrements
et du culte promu par l’Église, y compris la piété populaire.
Au cours de ses trois
phases, le Concile œcuménique de Trente (1545-1563), convoqué pour
faire face à la situation résultant de la propagation du mouvement
protestant parmi les membres du peuple de Dieu, s’attacha à étudier
les questions touchant la Liturgie et la piété populaire sous le
double aspect de la doctrine et du culte. Toutefois, étant donné le
contexte historique et le caractère dogmatique des thèmes qu’il
était appelé à traiter, le Concile aborda principalement les
questions d’ordre liturgique et sacramentel d’un point de vue
doctrinal: il réalisa cette étude en adoptant une attitude où se
mêlaient la dénonciation des erreurs et la condamnation des abus,
ainsi que la défense de la foi et de la tradition liturgique de
l’Église; il se montra aussi très attentif aux problèmes concernant
l’instruction liturgique du peuple, en proposant, dans le décret
De reformatione generali , un programme pastoral, dont la
réalisation était confiée au Saint-Siège et aux Évêques.
39. Conformément
aux dispositions émises par le Concile, de nombreuses provinces
ecclésiastiques tinrent des synodes, au cours desquels se manifesta
la préoccupation de conduire les fidèles à une participation active
durant la célébration des mystères divins. De leur côté, les
Pontifes Romains entreprirent une réforme liturgique de grande
ampleur: en effet, en un temps relativement bref, c’est-à-dire
exactement entre 1568 et 1614, le Calendrier et les livres
liturgiques du Rite romain furent révisés; de plus, en 1588, la
Sacrée Congrégation des Rites fut créée dans le but de veiller au
bon ordonnancement des célébrations liturgiques de l’Église romaine.
Enfin, le Catechismus ad parochos était destiné à remplir un
rôle de formation pastorale et liturgique.
40. La Liturgie
tira de nombreux avantages de la réforme opérée à la suite du
Concile de Trente: de nombreux rites furent renouvelés en tenant
compte des "normes vénérables et antiques des Pères", dans les
limites des connaissances scientifiques de l’époque; des éléments et
des ajouts étrangers à la Liturgie, trop liés à la sensibilité
populaire, furent supprimés; le contrôle du contenu doctrinal des
textes fut institué, afin que ces derniers soient le reflet exact de
la pureté de la foi; une unité rituelle remarquable fut restituée à
la Liturgie romaine, qui retrouva sa dignité et sa beauté.
Toutefois, il convient
de noter que cette réforme eut aussi, indirectement, quelques effets
négatifs: le caractère invariable, dont était revêtue la Liturgie,
semblait provenir des indications fournies par les rubriques, plus
que de sa propre nature; de plus, le fait que la Liturgie paraissait
résulter de l’action de la seule hiérarchie contribuait à renforcer
le dualisme, qui existait déjà entre cette dernière et la piété
populaire.
41. La Réforme
catholique, dans le cadre de son entreprise positive de rénovation
doctrinale, morale et institutionnelle de l’Église, unie à une
intention manifeste d’arrêter la propagation du protestantisme,
favorisa en un certain sens le développement de la culture baroque
aux contours si complexes. Et cette dernière, de son côté, exerça
une influence considérable sur les expressions littéraires,
artistiques et musicales de la piété catholique. Durant la période
post-tridentine, le rapport entre la Liturgie et la piété populaire
se présente sous un apect quelque peu différent: de fait, la
Liturgie entre dans une période d’uniformité substantielle et de
statisme constant; à l’inverse, la piété populaire connaît un
développement sans précédent.
Sans franchir certaines
limites, dues à la nécessité d’empêcher l’apparition de formes
exubérantes et fantaisistes, la Réforme catholique encouragea la
création et la diffusion des pieux exercices, qui, de fait,
constituèrent un moyen important pour la défense de la foi
catholique et l’entretien de la piété des fidèles. Ce fut le cas,
par exemple, des confréries vouées aux mystères de la Passion du
Seigneur, à la Vierge Marie et aux Saints, qui se multiplièrent,
ayant pour triple finalité la pénitence, la formation des laïcs et
les œuvres de charité. Cette piété populaire a laissé derrière elle
de très belles images, pleines d’émotion, dont la contemplation
continue à alimenter la foi et l’expérience religieuse des fidèles.
Les "missions
populaires", qui datent de cette époque, contribuent elles aussi à
la diffusion des pieux exercices. Celles-ci font apparaître la
coexistence entre la Liturgie et la piété populaire, tout en
manifestant un certain déséquilibre entre les deux composantes de
cette même réalité: en effet, les missions, dont le but est
essentiellement de conduire les fidèles à s’approcher du sacrement
de la réconciliation et à recevoir la communion eucharistique,
recourent abondamment aux pieux exercices; ceux-ci constituent donc
le moyen le plus sûr pour inciter ces mêmes fidèles à la conversion
dans le cadre d’une action de type cultuel, elle-même marquée par
une participation populaire qui ne fait jamais défaut.
Les pieux exercices
étaient souvent recueillis et consignés dans des livres de prières
qui, munis de l’approbation ecclésiastique, constituaient de
véritables manuels destinés au culte; ils étaient utilisés aussi
bien durant les divers moments de la journée, du mois et de l’année,
que dans les circonstances innombrables de la vie.
À l’époque de la
Réforme catholique, les relations entre la Liturgie et la piété
populaire ne se présentent pas seulement dans les termes contraires
de statisme et de développement, mais elles recouvrent aussi des
réalités que l’on peut qualifier d’anormales: ainsi, il arrive
parfois que les pieux exercices se déroulent à l’intérieur de
l’action liturgique elle-même, en se superposant à cette dernière,
et que, sur le plan pastoral, ils occupent une place primordiale par
rapport à la Liturgie. Ces attitudes ont pour effet d’accentuer
l’éloignement des fidèles par rapport à la Sainte Écriture; elles
ont aussi pour conséquence de ne pas mettre suffisamment l’accent
sur le caractère central du mystère pascal du Christ, qui s’exprime
d’une manière privilégiée dans la célébration dominicale.
42. À l’époque
de l’Illuminisme, la différence s’accentue entre la "religion des
érudits", qui est potentiellement proche de la Liturgie, et la
"religion des simples", qui, par nature, s’apparente à la piété
populaire. Il reste que si, de fait, les personnes instruites et le
peuple sont habitués à recourir aux mêmes pratiques religieuses, les
gens "doctes" font néanmoins preuve d’une pratique religieuse
éclairée par l’intelligence et le savoir, tout en affirmant leur
volonté de se démarquer des formes de la piété populaire qui, à
leurs yeux, se nourrissent de superstition et de fanatisme.
La Liturgie est alors
influencée par de nombreux facteurs, dont, en particulier, le
caractère aristocratique qui imprègne de multiples éléments de la
culture de cette époque, la méthode de l’encyclopédie qui permet de
rassembler tous les éléments de la connaissance, l’esprit critique
et de recherche qui conduit à la publication des antiques sources
liturgiques, et le caractère ascétique de certains mouvements qui,
bien qu’influencés par le jansénisme, incitent au retour à la pureté
de la Liturgie des premiers siècles chrétiens. Tout en répercutant
des éléments de la culture ambiante de cette époque, l’intérêt
renouvelé pour la Liturgie est animé par des considérations de
nature pastorale, qui concernent aussi bien les clercs que les
laïcs, comme on peut le constater en France, à partir du XVII
siècle.
L’Église ne manque pas
de prêter attention à la piété populaire dans les divers secteurs,
très vastes, de son action pastorale. De fait, elle n’hésite pas à
promouvoir un type d’action apostolique qui, dans une certaine
mesure, tend à une intégration réciproque de la Liturgie et de la
piété populaire. Ainsi, par exemple, la prédication est intégrée
dans des temps liturgiques significatifs, tels que le Carême et les
dimanches consacrés à la catéchèse des adultes; elle est destinée à
la conversion des âmes et des mœurs des fidèles, qui sont incités à
s’approcher du sacrement de la réconciliation, et à revenir à la
pratique de la Messe dominicale, tout en rappelant la valeur du
sacrement de l’Onction des malades et du Viatique.
La piété populaire,
qui, dans le passé, s’était révélée efficace pour endiguer les
effets négatifs du protestantisme, se révèle capable de contrer les
idées corrosives du rationalisme et, à l’intérieur de l’Église, de
remédier aux conséquences néfastes du jansénisme. Cette double
confrontation, ainsi que le développement ultérieur des missions
populaires, ont pour conséquence d’enrichir encore la piété
populaire: certains aspects du Mystère de la foi sont ainsi mis en
valeur d’une manière toute nouvelle; tel est le cas, par exemple, du
Cœur du Christ, et des nouveaux "jours" qui polarisent la piété des
fidèles, comme les neuf "premiers vendredis" du mois.
Au XVIII siècle, il
convient de souligner, en particulier, l’activité de Louis Antoine
Muratori qui sut conjuguer l’érudition avec la nécessité de
s’adapter aux nouvelles situations pastorales, en proposant dans son
ouvrage demeuré célèbre: Della regolata devozione dei cristiani,
une religiosité capable de tirer sa substance de la Liturgie et
de l’Écriture Sainte, tout en demeurant étrangère à toute
superstition et à toute activité relevant de la magie. De même, il
est important de faire référence à l’œuvre accomplie par le pape
Benoît XIV (Prospero Lambertini), à qui l’on doit l’initiative de
premier plan consistant à permettre l’usage de la Bible dans les
langues vernaculaires.
43. La Réforme
catholique avait renforcé les structures et l’unité du rite de
l’Église romaine. Durant le XVIII siècle, qui fut marqué par une
grande expansion missionnaire, l’Église avait introduit sa propre
Liturgie et ses structures institutionnelles au milieu des peuples à
qui le message évangélique était annoncé.
Au XVIII siècle, dans
les territoires de mission, les rapports entre la Liturgie et la
piété populaire se définissent en des termes semblables à ceux qui
étaient déjà observés aux XVI et XVII siècles, tout en les
accentuant:
- Dans le domaine de la
Liturgie, par crainte d’éventuelles conséquences négatives dans le
domaine de la foi, le problème de l’inculturation ne se pose
pratiquement pas à cette époque - même s’il convient pourtant de
mentionner les louables efforts de Matteo Ricci dans la question des
Rites chinois, et ceux de Roberto de’ Nobili à propos des
Rites indiens - ce qui a pour effet de maintenir intacte sa
physionomie romaine, tout en lui conférant un aspect qui demeure, au
moins en partie, étranger à la culture autochtone.
- Quant à la piété
populaire, elle est, d’une part, soumise au danger du syncrétisme
religieux, surtout là où l’évangélisation demeure superficielle; et,
d’autre part, elle acquiert progressivement une autonomie plus
grande et une maturité plus profonde, du fait qu’elle ne se limite
pas aux seuls pieux exercices diffusés par les évangélisateurs, mais
qu’elle en crée d’autres, qui s’enracinent dans la culture locale.
44. Au XIX
siècle, après la crise provoquée par la Révolution française, dont
l’intention était d’éradiquer la foi catholique en s’attaquant
notamment au culte chrétien, on assiste à un renouveau très
significatif de la Liturgie.
Cette renaissance fut
précédée et préparée par un développement vigoureux de
l’ecclésiologie, qui présentait l’Église, non seulement comme une
société hiérarchique, mais aussi comme le Peuple de Dieu et comme
une communauté réunie pour la célébration du culte. Parallèlement à
ce réveil de l’ecclésiologie, il convient de relever, comme prémices
du renouveau liturgique, la floraison des études bibliques et
patristiques, et le dynamisme ecclésial et œcuménique de certains
hommes tels que Antonio Rosmini († 1855) et John Henry Newman (†
1890).
Dans le processus de
renouveau du culte liturgique, il convient de mentionner
particulièrement l’œuvre de l’abbé bénédictin Prosper Guéranger (†
1875), restaurateur du monachisme en France et fondateur de l’abbaye
de Solesmes: sa conception de la Liturgie est empreinte d’amour de
l’Église et de la tradition; toutefois, la vénération dont il fait
preuve envers la Liturgie romaine, considérée par lui comme un
élément indispensable de l’unité de l’Église, l’incite à adopter une
attitude d’opposition à l’égard des expressions liturgiques
autochtones. Le renouveau liturgique promu par Dom Guéranger a le
mérite de ne pas constituer seulement un mouvement de type
académique, mais il a a surtout comme objectif de faire de la
Liturgie l’expression cultuelle, intériorisée et active de tout le
Peuple de Dieu.
45. Le XIX
siècle n’est pas seulement marqué par le renouveau de la Liturgie
mais il est caractérisé aussi par un développement de la piété
populaire, qui s’effectue d’une manière autonome. Ainsi, la
renaissance du chant liturgique coïncide avec la création de
nouveaux chants populaires; de même, la diffusion de certains
ouvrages liturgiques, tels que les missels bilingues à l’usage des
fidèles, s’accompagne de la prolifération des livrets de dévotion.
Le mouvement culturel
connu sous le nom de romantisme, qui met en valeur les sentiments
humains et religieux de l’homme, favorise la recherche, la
compréhension et la valorisation de la dimension populaire, y
compris dans le domaine cultuel.
Durant ce siècle, on
assiste aussi à un phénomène qui a une portée considérable: des
expressions cultuelles promues localement sur la base d’initiatives
venant du peuple, et se référant à des événements exceptionnels de
caractère surnaturel - miracles, apparitions...-, obtiennent
successivement une reconnaissance officielle, puis la faveur, et
enfin la protection de l’autorité ecclésiale, et elles sont insérées
dans la Liturgie elle-même. À titre d’illustration, on peut évoquer
les divers sanctuaires, édifiés pour accueillir des pèlerinages, qui
constituent à la fois des centres importants pour la Liturgie
pénitentielle et eucharistique, et aussi des lieux où s’exprime la
piété mariale du peuple.
Il reste qu’au XIX
siècle les relations entre, d’une part, la Liturgie, qui se situe
dans une phase de réveil, et, d’autre part, la piété populaire, qui
traverse une période d’expansion, sont perturbées par un élément
négatif: l’accentuation de la superposition des pieux exercices aux
actions liturgiques, qui était un phénomène déjà présent à l’époque
de la Réforme catholique.
46. Au début du
XX siècle, le pape saint Pie X (1903-1914) manifeste sa volonté de
rapprocher les fidèles de la Liturgie, c’est-à-dire de la rendre
"populaire". De fait, le Souverain Pontife souligne que les fidèles
ne peuvent acquérir le "vrai esprit chrétien" qu’en se tournant vers
"sa première et indispensable source, qui est la participation
active aux saints mystères, et à la prière publique et solennelle de
l’Église". Par ces paroles, saint Pie X affirmait avec autorité la
supériorité objective de la Liturgie sur toutes les autres formes de
piété; de plus, il interdisait toute espèce de confusion entre la
piété populaire et la Liturgie et, indirectement, il promouvait au
contraire l’idée d’une claire distinction entre ces deux domaines,
ouvrant ainsi la voie qui devait conduire à une compréhension plus
juste de leurs rapports.
Ainsi, le mouvement
liturgique prit naissance et se développa grâce à l’apport d’hommes
éminents pour leur science, leur piété et leur attachement passionné
à l’Église; il occupa une place remarquable dans la vie de l’Église
du XX siècle, et les Souverains Pontifes virent en lui une
manifestation de l’Esprit Saint. Le but ultime des protagonistes du
mouvement liturgique était de nature pastorale: il s’agissait
d’accroître chez les fidèles l’intelligence et donc aussi l’amour
envers la célébration des mystères divins, et de les aider à prendre
conscience de leur appartenance commune à un peuple sacerdotal (cf.
1 P 2,5).
On peut comprendre les
réactions de certains représentants particulièrement exigeants du
mouvement liturgique, qui se défiaient des manifestations de la
piété populaire, en les considérant comme un motif de décadence de
la Liturgie. En effet, ils étaient en présence de nombreux abus
provoqués, soit par la superposition de certains pieux exercices à
la Liturgie, soit, tout simplement, par la substitution de la
Liturgie elle-même par des expressions cultuelles d’origine
populaire. En outre, dans l’intention de restaurer le culte dans
toute sa pureté, ces mêmes personnes considéraient la Liturgie des
premiers siècles de l’Église comme un modèle insurpassable, et, par
conséquent, ils rejetaient d’une manière catégorique toutes les
expressions de la piété populaire d’origine médiévale, ou qui
dataient de la période postérieure au Concile de Trente.
Toutefois, un tel refus
ne tenait pas suffisamment compte du fait que les expressions de la
piété populaire, qui, généralement, avaient été approuvées et
recommandées par l’Église, avaient soutenu la vie spirituelle d’une
multitude de fidèles, et qu’elles avaient engendré des fruits
incomparables de sainteté, tout en contribuant très largement à la
sauvegarde de la foi et à la diffusion du message chrétien. Cela
explique pourquoi Pie XII, dans l’encyclique Mediator Dei du
21 novembre 1947, dont le contenu exhaustif manifestait l’intention
de son auteur de prendre la tête du mouvement liturgique, opposa à
ce refus la défense de ces pieux exercices, avec lesquels s’était
identifiée, en quelque sorte, la piété catholique durant les
derniers siècles.
Il revient au Concile
œcuménique Vatican II, dans la Constitution
Sacrosanctum Concilium,
d’avoir défini d’une manière juste et équilibrée les relations entre
la Liturgie et la piété populaire, en proclamant la primauté
indiscutable de la sainte Liturgie et la subordination des pieux
exercices par rapport à cette dernière, tout en réitérant leur
caractère valide et légitime.
47. Le parcours
historique, qui a été retracé, met en évidence le fait que la
question des rapports entre la Liturgie et la piété populaire ne se
posent pas seulement à l’époque contemporaine: tout au long des
siècles, elle s’est présentée de nombreuses fois, sous des
dénominations et des formes différentes, et il lui a été donné
diverses solutions. Il est donc nécessaire de tirer de l’expérience
de l’histoire quelques indications permettant de répondre aux
exigences pastorales qui se posent fréquemment et de façon urgente.
48. L’histoire
montre tout d’abord que les relations entre la Liturgie et la piété
populaire se détériorent durant les périodes où la conscience des
valeurs essentielles de la Liturgie s’atténue dans l’esprit des
fidèles. On peut citer les trois causes suivantes d’un tel
affaiblissement:
- la conscience
insuffisante ou sans cesse plus faible de la signification de Pâques
et du rôle central que cette célébration occupe dans l’histoire du
salut, et dont la Liturgie chrétienne est l’actualisation. Les
fidèles font alors preuve de la tendance, presqu’inévitable,
d’orienter leur piété vers d’autres épisodes salvifiques de la vie
du Christ, et aussi vers la bienheureuse Vierge Marie, les Anges et
les Saints, sans tenir compte de la "hiérarchie des valeurs";
- l’affaiblissement du
sens du sacerdoce commun, en vertu duquel les fidèles sont habilités
à "offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu, par Jésus
Christ" (1 P. 2, 5; cf. Rm 12, 1), et à participer pleinement, selon
leur condition, au culte de l’Église; un tel affaiblissement, qui va
souvent de pair avec une Liturgie célébrée par des clercs qui
interviennent même dans certaines parties de la célébration, qui ne
relèvent pas de leurs fonctions propres de ministres sacrés, a pour
conséquence d’orienter les fidèles vers la pratique des pieux
exercices, dont ils se sentent pour leur part les participants
actifs.
- la méconnaissance du
langage propre à la Liturgie - c’est-à-dire la langue, les signes,
les symboles et les gestes rituels - , a pour conséquence que le
sens profond de la célébration échappe en grande partie aux fidèles.
Cette ignorance peut même produire en eux l’impression qu’ils sont
étrangers à l’action liturgique; c’est pourquoi ils marquent
volontiers leur préférence pour les pieux exercices, dont le langage
correspond mieux à leur formation culturelle, ou bien encore ils ont
tendance à opter pour les dévotions particulières, qui répondent
d’une manière plus satisfaisante aux exigences et aux situations de
la vie quotidienne.
49. Chacun de
ces éléments, qu’il n’est pas rare de rencontrer ensemble dans un
même lieu, engendre un déséquilibre dans les rapports entre la
Liturgie et la piété populaire, au détriment de la première et pour
l’appauvrissement de la seconde. Pourtant, ces difficultés doivent
être surmontées en recourant à une action catéchétique et pastorale
bien menée et persévérante.
Au contraire, les
diverses composantes du renouveau liturgique, ainsi que le
développement du sens liturgique chez les fidèles, permettent à la
piété populaire de trouver une nouvelle dimension par rapport à la
Liturgie. Il convient de relever ce fait positif, qui est conforme à
l’orientation la plus profonde de la piété chrétienne.
50. À notre
époque, ce thème des rapports entre la Liturgie et la piété
populaire est considéré avant tout à la lumière des directives
contenues dans la Constitution
Sacrosanctum Concilium;
celles-ci cherchent à définir des relations harmonieuses entre ces
deux expressions de la piété, à partir du double postulat suivant:
la piété populaire est objectivement subordonnée à la Liturgie, et
elle trouve en même temps dans cette dernière sa finalité.
Par conséquent, il faut
avant tout éviter de poser la question des rapports entre la
Liturgie et la piété populaire en termes d’opposition, ou même
d’équivalence ou de substitution. De fait, la conscience de
l’importance primordiale de la Liturgie et la recherche de ses
expressions les plus justes ne doivent pas conduire à obscurcir la
nature profonde de la piété populaire, et tout autant à la mépriser
ou à la considérer comme superflue ou, tout simplement, à estimer
qu’elle serait préjudiciable à la vie cultuelle de l’Église.
Il est vrai qu’une
méconnaissance plus ou moins importante de la piété populaire, ou
des manifestations d’hostilité à l’égard de celle-ci, révèlent chez
leurs auteurs une évaluation inadéquate de certains éléments qui
constituent la vie de l’Église, et semblent plus provenir de
préjugés idéologiques que de la doctrine de la foi. De telles
attitudes ont les conséquences suivantes:
- elles ne tiennent pas
compte du fait que la piété populaire est elle aussi une réalité
ecclésiale promue et soutenue par l’Esprit Saint,
- elles méconnaissent
l’importance des fruits de grâce et de sainteté que la piété
populaire a produits et continue de produire dans l’ensemble de
l’Église.
- elles sont
fréquemment l’expression d’une recherche illusoire de la "Liturgie
pure"; de fait, l’expérience séculaire de l’Église montre bien que
cette "Liturgie pure" correspond plus à une aspiration illusoire
qu’à la réalité historique, à cause du caractère subjectif des
critères à partir desquels ladite pureté est établie.
- elle a tendance à
confondre une composante noble de l’esprit humain, en l’occurrence
les sentiments, qui déterminent légitimement les diverses
expressions de la piété liturgique et de la piété populaire, avec sa
dégénérescence, c’est-à-dire le sentimentalisme.
51. Toutefois,
les rapports entre la Liturgie et la piété populaire font apparaître
aussi le phénomène contraire d’une valorisation tellement importante
de la piété populaire qu’elle s’exerce au détriment de la Liturgie
de l’Église.
Un fait de ce genre est
à déplorer tout simplement dans certaines situations concrètes, mais
il peut être aussi le fruit d’un choix théorique qui engendre une
situation pastorale déviante: la Liturgie ne serait plus dans ce cas
"le sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps la
source d’où découle toute sa vertu", mais une expression cultuelle
qui serait considérée comme étrangère à la compréhension et à la
sensibilité du peuple et qui, ainsi, serait négligée et reléguée à
une place secondaire, ou encore qui serait réservée à des groupes
particuliers.
52. L’intention
louable de rendre plus proche le culte chrétien de l’homme
contemporain, surtout de celui qui n’a pas reçu une instruction
catéchétique suffisante, et la difficulté constante, de la part de
quelques cultures, d’assimiler certains éléments de la Liturgie, ne
doivent pas avoir pour effet de dévaluer, autant en théorie qu’en
pratique, l’expression primordiale et fondamentale du culte
liturgique. En agissant de cette manière, au lieu d’affronter les
difficultés concrètes avec prévoyance et persévérance, on aurait
tendance à les résoudre d’une manière trop simpliste.
53. Pour
justifier le choix qui tend à privilégier les exercices de la piété
populaire au détriment des actions liturgiques, on entend
fréquemment des affirmations de ce genre:
- la piété populaire
est un domaine particulièrement approprié pour célébrer d’une
manière à la fois libre et spontanée la "Vie" et ses multiples
expressions; en revanche, la Liturgie, centrée sur le "Mystère du
Christ" est, par nature, tournée vers le passé, elle inhibe la
spontanéité et elle se révèle répétitive et formaliste;
- La Liturgie ne
parvient pas à impliquer le fidèle dans la totalité de son être,
c’est-à-dire dans l’unité de son corps et de son esprit; en
revanche, la piété populaire, en s’adressant directement à l’homme,
concerne à la fois son corps, son cœur et son esprit;
- la piété populaire
est un domaine bien déterminé, qui, de surcroît, est adapté à la vie
de prière: en effet, grâce aux pieux exercices, le fidèle est
introduit dans un vrai dialogue avec le Seigneur, qui est constitué
d’expressions parfaitement compréhensibles et qu’il fait siennes; en
revanche, la Liturgie, en faisant prononcer par le fidèle des mots
qui ne sont pas les siens et qui sont souvent étrangers à son
contexte culturel, se révèle être, dans sa vie de prière, moins un
moyen qu’un empêchement.
- les diverses formes
de rites, qui constituent la piété populaire, sont reçues et
accueillies par le fidèle, à cause de la correspondance existant
entre sa propre culture et le langage des rites; en revanche, les
rites propres à la Liturgie ne sont pas compris par ce même fidèle,
parce que les formes expressives de ces rites proviennent d’un
univers culturel qu’il perçoit comme un monde différent et lointain.
54. De telles
affirmations accentuent d’une manière exagérée et dialectique la
différence indéniable qu’on peut relever, dans certaines aires
culturelles, entre les expressions propres à la Liturgie et celles
qui dépendent de la piété populaire.
Toutefois, il est
certain que la présence en certains endroits de ces idées est le
signe qu’une conception juste de la Liturgie chrétienne est
fortement compromise, sinon même complétement vidée de son contenu
essentiel.
À l’encontre de telles
opinions, il convient de rappeler la parole grave et réfléchie du
dernier Concile œcuménique: "toute célébration liturgique, en tant
qu’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est
l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église
ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré".
55. L’exaltation
unilatérale de la piété populaire, qui a pour corollaire la mise à
l’écart de la Liturgie, ne concorde pas avec le fait que les
éléments essentiels de cette dernière ont été institués par la
volonté du Christ lui-même; de plus, cette position a pour
conséquence préjudiciable de ne pas souligner, comme elle le
devrait, la valeur sotériologique et doxologique irremplaçable de la
Liturgie. Après l’Ascension du Seigneur dans la gloire de son Père
et à la suite du don de l’Esprit Saint, la glorification parfaite de
Dieu et le salut de l’homme sont réalisés avant tout et par
excellence par la célébration de la Liturgie; celle-ci requiert
l’adhésion de la foi, et par c’est par elle que le croyant est
inséré au cœur de l’événement fondamental du salut: la Passion, la
Mort et la Résurrection du Christ (cf. Rm 6, 2-6; 1 Co 11, 23-26).
L’Église, consciente de
son mystère et de l’efficacité de son action cultuelle et
salvifique, ne cesse pas d’affirmer que "c’est par la Liturgie,
surtout dans le divin sacrifice de l’Eucharistie, que "s’exerce
l’œuvre de notre rédemption" ", ce qui n’exclut pas l’importance
d’autres formes de piété.
56. La
dévalorisation de la Liturgie comporte un certain nombre de
conséquences sur un plan théorique autant que pratique: ainsi, elle
conduit inévitablement à obscurcir la vision chrétienne du mystère
de Dieu, qui se penche avec miséricorde vers l’homme déchu pour
l’attirer à Lui par l’incarnation de son Fils et le don de l’Esprit
Saint. Elle a aussi pour effet d’édulcorer le sens de l’histoire du
salut et la perception du rapport entre l’Ancienne et la Nouvelle
Alliance. De même, elle conduit à sous-estimer la Parole de Dieu,
qui est pourtant la seule Parole qui sauve, dont se nourrit et à
laquelle se réfère sans discontinuité la Liturgie. Cette
dévalorisation a encore pour effet d’atténuer dans l’esprit des
fidèles la conscience de la valeur de l’œuvre accomplie par le
Christ, le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge Marie, le seul
Sauveur et l’unique Médiateur (cf. 1 Tm 2, 5; Ac 4, 12). Enfin, elle
provoque la perte du sensus Ecclesiae chez les fidèles.
57. L’accent mis
exclusivement sur la piété populaire, qui, selon l’affirmation
susmentionnée, doit se déployer dans l’orbite de la foi chrétienne,
peut comporter les effets négatifs suivants: accélérer le processus
de détachement d’une partie des fidèles par rapport à la révélation
chrétienne; inclure de nouveau, d’une manière abusive ou
déséquilibrée, certains éléments de la religiosité cosmique et
naturelle; provoquer l’introduction, dans le culte chrétien, d’un
certain nombre d’éléments ambigus provenant de croyances
pré-chrétiennes, ou exprimant unilatéralement la culture ou la
psychologie d’un peuple ou d’une ethnie; créer l’illusion de pouvoir
atteindre la transcendance au moyen d’expériences néfastes;
compromettre le sens authentiquement chrétien du salut, qui est le
don gratuit de Dieu, en proposant, au contraire, un salut qui
proviendrait de la seule conquête de l’homme et serait donc le fruit
de ses efforts personnels (de fait, il ne faut jamais oublier le
danger potentiel de la déviation pélagienne); enfin, accentuer, dans
la mentalité des fidèles, le rôle des médiateurs secondaires, que
sont la Bienheureuse Vierge Marie, les Anges, les Saints et parfois,
parmi ces derniers, les principaux protagonistes de l’histoire
nationale, en leur faisant accomplir une fonction qui n’appartient
qu’à l’unique Médiateur, Jésus-Christ.
58. La liturgie
et la piété populaire sont deux expressions authentiques, quoique
non équivalentes, du culte chrétien. De fait, la Constitution sur la
sainte Liturgie montre bien qu’au lieu de vouloir les opposer ou de
considérer qu’ils sont deux éléments interchangeables, il convient
plutôt de les harmoniser: "Les pieux exercices du peuple chrétien
[...] doivent être réglés de façon à s’harmoniser avec la Liturgie,
à en découler d’une certaine manière, et à y introduire le peuple
parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure".
La Liturgie et la piété
populaire sont donc deux expressions cultuelles qui doivent se
situer dans une relation mutuelle et féconde, même si la Liturgie
est toujours appelée à constituer un point de référence permettant
de "canaliser avec lucidité et prudence les désirs ardents de prière
et de vie charismatique" qui se manifestent dans la piété populaire.
De son côté, la piété populaire, avec ses valeurs symboliques et
expressives, est en mesure d’aider la Liturgie à réussir son travail
d’inculturation, et elle peut aussi lui procurer des éléments
stimulants en vue d’accroître d’une manière efficace son dynamisme
et sa créativité.
59. À la lumière
de ce qui vient d’être exposé, la formation, aussi bien des clercs
que des laïcs, apparaît bien comme le moyen approprié pour résoudre
les causes de déséquilibre ou de tension entre la Liturgie et la
piété populaire. En plus de cette nécessaire formation liturgique,
qui est une œuvre de longue haleine, toujours à redécouvrir et à
approfondir, et en complément de cette dernière, une formation dans
le domaine de la piété populaire s’impose dans le but de constituer
une spiritualité harmonieuse et de qualité.
De fait, puisque "la
vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule
Liturgie", le fait de se limiter exclusivement à l’éducation
liturgique est insuffisante pour assurer correctement la croissance
spirituelle des fidèles dans toutes ses dimensions. Du reste,
l’action liturgique, et en particulier la participation à
l’Eucharistie, ne peut produire de fruit dans une vie marquée par
l’absence de toute prière individuelle, et dépourvue des valeurs qui
sont transmises par les formes traditionnelles de dévotion du peuple
chrétien. L’habitude prise à notre époque de se tourner vers des
pratiques "religieuses" en provenance de l’orient, qui sont adaptées
de façons diverses sur les autres continents, est un indice de la
quête spirituelle de nos contemporains, qui touche le sens même de
l’existence, en particulier face à la souffrance et aussi dans un
but de partage. Les générations post-conciliaires - d’une manière
variable selon les pays - n’ont pas fait l’expérience des formes de
dévotion que connaissaient bien les générations précédentes: afin
que la vie spirituelle de ces fidèles puisse s’épanouir d’une
manière vraiment personnelle, il est donc important d’intégrer
pleinement, dans la catéchèse et l’éducation, le patrimoine
constitué par la piété populaire, et d’une manière toute spéciale
les exercices spirituels recommandés par le Magistère.
60. Après
avoir exposé, dans un premier temps, l’attention portée à la piété
populaire par le Magistère du Concile Vatican II, des Pontifes
Romains et des Évêques, il a semblé opportun, dans un deuxième
temps, de présenter une synthèse organique des enseignements de ce
même Magistère dans le double but de faciliter l’élaboration
d’orientations doctrinales dans le domaine de la piété populaire, et
de favoriser une action pastorale appropriée.
61. Selon le
Magistère, la piété populaire est une réalité vivante qui se situe
dans l’Église, tout en étant indissociable de l’Église: elle trouve
sa source dans la présence constante et active de l’Esprit Saint qui
anime l’Église tout entière; son point de référence est constitué
par le Mystère du Christ Sauveur; sa finalité est la gloire de Dieu
et le salut des hommes; enfin, sa conformation dans l’histoire est
constituée par "la rencontre fructueuse entre l’œuvre
d’évangélisation et la culture". Le Magistère n’a donc pas manqué
d’exprimer maintes fois son estime envers la piété populaire et ses
diverses manifestations; en revanche, il n’a pas hésité à faire
connaître sa réprobation à tous ceux qui l’ignorent, la négligent ou
la méprisent, en leur enjoignant d’adopter envers elle une attitude
plus positive qui tienne compte de ses valeurs. Enfin, le Magistère
n’a pas hésité à présenter la piété populaire comme le "vrai trésor
du peuple de Dieu".
Le grand intérêt
manifesté par le Magistère envers la piété populaire est dû
essentiellement aux valeurs que cette dernière incarne à ses yeux.
La piété populaire a un
sens presqu’inné du sacré et de la transcendance. Elle manifeste une
soif de Dieu authentique et "un sens aigu des attributs profonds de
Dieu: la paternité, la providence, la présence amoureuse et
constante", la miséricorde.
Les documents du
Magistère se font l’écho des attitudes intérieures et des vertus
promues, mises en valeur et entretenues par la piété populaire d’une
manière toute particulière: ainsi, la patience et "la résignation
chrétienne dans les situations irrémédiables", la confiance en Dieu,
la force de supporter les souffrances et de discerner le "sens de la
croix dans la vie quotidienne", le désir sincère de plaire au
Seigneur, de réparer les offenses commises à son encontre, et de
faire pénitence, enfin, le détachement envers les choses
matérielles, la solidarité et l’ouverture aux autres, c’est-à-dire
"le sens de l’amitié, de la charité et de l’union familiale."
62. La piété
populaire se réfère volontiers au mystère du Fils de Dieu qui, par
amour pour les hommes, s’est fait petit enfant et notre frère, en
naissant, dans la pauvreté, d’une Femme elle-même humble et pauvre,
et elle évoque aussi avec un intérêt très vif le Mystère de la
Passion et de la Mort du Christ.
La piété populaire
offre une large place à l’évocation de l’au-delà, au désir de
communion avec ceux qui demeurent dans le ciel, la bienheureuse
Vierge Marie, les Anges et les Saints, et donc à la prière de
suffrages pour les âmes des défunts.
63. La fusion
harmonieuse entre le message du Christ et la culture d’un peuple,
dont les manifestations de la piété populaire constituent bien
souvent une bonne illustration, est un motif qui suscite l’estime du
Magistère à l’égard de celle-ci.
De fait, les
manifestations les plus appropriées de la piété populaire montrent
que, d’une part, le message chrétien parvient bien à assimiler les
éléments les plus caractéristiques de la culture d’un peuple, et
que, d’autre part, il réussit à rendre cette même culture perméable
au message évangélique en exerçant une influence bénéfique sur sa
conception de la vie, de la liberté, de la mission et du destin de
l’homme.
Ainsi, la transmission
des expressions propres à une culture, qui s’effectue des parents à
leurs enfants,et donc d’une génération à une autre, comporte en même
temps la transmission des principes chrétiens. Dans certains cas, la
fusion est tellement étroite que les éléments de la foi chrétienne
sont devenus en même temps des éléments intégrants de l’identité
culturelle d’un peuple. Il en est ainsi, par exemple, de la piété
qui s’exprime à l’égard de la Mère du Seigneur.
64. Le Magistère
souligne encore l’importance de la piété populaire pour la vie et la
conservation de la foi du peuple de Dieu et pour la promotion de
nouvelles initiatives dans le domaine de l’évangélisation.
Au sujet des différents
apports positifs de la piété populaire, il convient de noter, tout
d’abord, qu’il n’est pas possible de ne pas tenir compte de "ces
dévotions qui sont pratiquées en certaines régions par le peuple
fidèle avec une ferveur et une pureté d’intention émouvantes". De
même, on peut affirmer que la saine religiosité populaire, "peut
être, grâce à ses racines éminemment catholiques, une antidote
contre les sectes et une garantie de fidélité au message du salut".
La piété populaire montre aussi qu’elle constitue un instrument
providentiel pour la sauvegarde de la foi, dans les régions où les
chrétiens sont dépourvus d’assistance pastorale; de plus, là où
l’évangélisation s’avère insuffisante, "la population exprime en
grande partie sa propre foi en recourant surtout à la piété
populaire". Enfin, la piété populaire constitue un "point de départ"
approprié et irremplaçable "permettant au peuple de parvenir à une
foi plus mûre et plus profonde".
65. Le
Magistère, qui tient à mettre en évidence les valeurs propres de la
piété populaire, ne cesse, toutefois, de signaler certains dangers
qui peuvent la menacer: ainsi, la présence insuffisante de certains
éléments essentiels de la foi chrétienne, parmi lesquels la
signification de la Résurrection du Christ pour le salut de
l’humanité, le sens de l’appartenance à l’Église et la personne et
l’action du Saint Esprit; la disproportion entre, d’une part,
l’attachement envers le culte des Saints et, d’autre part,
l’affirmation de la souveraineté absolue de Jésus-Christ et de son
mystère; le contact direct trop rare avec la Sainte Écriture;
l’éloignement de la vie sacramentelle de l’Église; la tendance à
séparer le culte des obligations de la vie chrétienne; la conception
utilitariste de certaines formes de piété; l’emploi de "signes, de
gestes et de formules, qui, parfois, prennent une importance
excessive, jusqu’à la recherche du spectaculaire"; le risque, dans
des cas extrêmes, de "favoriser la pénétration des sectes et même en
arriver à la superstition, à la magie, au fatalisme ou à
l’oppression".
66. En vue de
remédier à ces carences et à ces défauts éventuels de la piété
populaire, le Magistère de notre temps rappelle avec insistance
qu’il faut l’"évangéliser", en établissant un contact fécond entre
cette dernière et la parole de l’Évangile. Cette relation
privilégiée contribuera à "la libérer progressivement de ses
défauts, en la purifiant et en la consolidant, et donc en faisant en
sorte que ses éléments ambigus acquièrent une physionomie plus
claire dans ses contenus de foi, d’espérance et de charité".
Toutefois, cette œuvre
d’ "évangélisation" de la piété populaire doit être accomplie en
tenant compte des réalités pastorales; celles-ci devraient inciter
ses protagonistes à adopter une attitude marquée par une grande
patience et un sens prudent de la tolérance, en s’inspirant de la
méthodologie suivie par l’Église au cours des siècles face aux
problèmes liés à l’inculturation de la foi chrétienne et de la
Liturgie, et aux questions inhérentes aux dévotions populaires.
67. En rappelant
que "la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à
la seule Liturgie" et que le chrétien "doit aussi entrer dans sa
chambre pour prier le Père dans le secret", et qu’ainsi, "enseigne
l’Apôtre, il doit prier sans relâche", le Magistère de l’Église
rappelle que chaque chrétien - qu’il soit clerc, religieux ou laïc -
est le sujet des diverses formes de prières, soit quand il prie en
privé, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, soit quand il prie de
façon communautaire dans des groupes d’origines et de physionomies
diverses.
68. Le
Saint-Père Jean-Paul II a tenu à souligner que la famille est
particulièrement concernée par la piété populaire. De fait,
l’Exhortation apostolique
Familiaris consortio,
après avoir exalté la famille en tant que sanctuaire
domestique de l’Église, affirme que "pour préparer et prolonger à la
maison le culte célébré à l’église, la famille chrétienne recourt à
la prière privée, qui présente une grande variété de formes: cette
variété, tout en témoignant de l’extraordinaire richesse de la
prière chrétienne animée par l’Esprit Saint, répond aux diverses
exigences et situations concrètes de celui qui se tourne vers le
Seigneur". Le même document ajoute que "outre les prières du matin
et du soir, sont à conseiller expressément [...]: la lecture et la
méditation de la Parole de Dieu, la préparation aux sacrements, la
dévotion et la consécration au Cœur de Jésus, différentes formes de
piété envers la Vierge Marie, la bénédiction de la table, les
pratiques de dévotion populaire".
69. Les
confréries et les autres pieuses associations sont aussi des sujets
importants de la piété populaire. Outre l’exercice de la charité et
l’engagement social, la promotion du culte chrétien constitue l’une
des finalités de ces institutions: il s’agit du culte envers la Très
Sainte Trinité, le Christ et ses mystères, la bienheureuse Vierge
Marie, les Anges, les Saints et les Bienheureux, de même que les
prières pour les âmes des fidèles défunts.
Les confréries
disposent souvent, en plus du calendrier liturgique, d’une sorte de
calendrier propre, dans lequel sont indiqués les fêtes
particulières, les offices, les neuvaines, les septénaires, les
triduums qui doivent être célébrés, de même que les jours
pénitentiels qu’il faut observer, et enfin les jours où doivent être
organisées des processions, accomplis certains pèlerinages ou encore
réalisées des œuvres de charité bien déterminées. Les confréries
disposent aussi de livres de dévotions propres, et d’insignes
distinctifs, comme des scapulaires, des médailles, des costumes et
des ceintures, et parfois aussi des lieux de culte et des cimetières
particuliers.
L’Église reconnaît les
confréries et leur accorde la personnalité juridique, elle approuve
leurs statuts et considère favorablement leurs finalités et leurs
activités cultuelles. Elle veille toutefois à ce que les confréries
soient bien insérées dans la vie de la paroisse et du diocèse, en se
gardant de toute attitude d’opposition ou d’isolement.
70. Les pieux
exercices constituent une expression typique de la piété populaire.
Ils sont très divers par leur origine historique et leur contenu,
par leur langage et leur style, par leur usage et leurs
destinataires. Leur importance a été soulignée par le Concile
Vatican II, qui les a vivement recommandés, tout en prenant le soin
de mentionner les conditions de leur légitimité et de leur validité.
71. La nature du
culte chrétien, ainsi que les caractéristiques qui lui sont propres,
exigent que les pieux exercices soient avant tout conformes à la
saine doctrine, ainsi qu’aux lois et aux normes de l’Église. Ils
doivent aussi être en harmonie avec la sainte Liturgie, tenir compte
autant que possible des temps de l’année liturgique et donc
favoriser "une participation consciente active à la prière commune
de l’Église".
72. Les pieux
exercices font partie intégrante du culte chrétien, ce qui explique
l’attention constante de l’Église à leur égard, afin que, par leur
entremise, Dieu soit glorifié d’une manière qui soit digne de Lui,
et que l’homme reçoive les fruits spirituels et l’aide lui
permettant de mener une vie chrétienne cohérente.
L’attitude des Pasteurs
à l’égard des exercices spirituels a revêtu divers aspects
complémentaires: elle a été faite d’incitation et d’encouragement,
d’orientation et, parfois, de correction. La vaste gamme des pieux
exercices comprend: tout d’abord, les pieux exercices qui sont
célébrés avec l’approbation du Siège Apostolique et ceux que ce
dernier a recommandés tout au long des siècles; puis, les pieux
exercices des Églises particulières "qui sont célébrés sur l’ordre
des Évêques, selon les coutumes ou les livres légitimement
approuvés" ; puis, les autres pieux exercices prévus par le droit
particulier ou les coutumes propres aux familles religieuses ou aux
confréries et aux autres pieuses associations de fidèles; ceux-ci
ont souvent reçu l’approbation explicite de l’Église; enfin, les
pieux exercices qui sont célébrés dans le cadre de la vie familiale
ou personnelle.
Certains pieux
exercices, introduits de façon coutumière par la communauté des
fidèles, et qui sont approuvés par le Magistère, jouissent de la
concession d’indulgences.
73.
L’enseignement de l’Église relatif aux rapports entre la Liturgie et
les pieux exercices peut être exprimé d’une manière concise de la
façon suivante: d’une part, la Liturgie étant, par nature, de loin
supérieure aux pieux exercices, il est nécessaire de lui conférer,
dans la vie pastorale, "la place primordiale qui lui revient face
aux pieux exercices"; d’autre part, la Liturgie et les pieux
exercices doivent coexister en tenant compte du respect de la
hiérarchie des valeurs et de la nature spécifique de chacune de ces
deux expressions cultuelles.
74. Le respect
attentif de ces principes doit permettre de consentir un réel effort
visant à harmoniser, si possible, les pieux exercices avec les
rythmes et les exigences de la Liturgie; ainsi il sera possible,
"sans mêler ou confondre les deux formes de piété", d’éviter la
confusion ou le mélange hybride entre la Liturgie et les pieux
exercices. Le respect de ces mêmes principes doit conduire à ne pas
opposer la Liturgie et les pieux exercices ou, contre l’avis même de
l’Église, à ne pas éliminer ces derniers, ce qui, dans le cas
contraire, aurait pour effet de laisser un vide que, dans la plupart
des cas, rien d’autre ne pourrait combler au grand détriment des
fidèles.
75. Le Siège
Apostolique s’est efforcé d’indiquer les critères théologiques et
pastoraux, historiques et littéraires qui doivent être employés, le
cas échéant, en vue de restaurer les pieux exercices. Il s’est
attaché à préciser de quelle manière les pieux exercices peuvent
accentuer leur référence à la Bible et à la Liturgie, dont ils
doivent s’inspirer, et quelle place ils doivent laisser à la
dimension œcuménique. De même le Siège Apostolique a donné des
indications visant à mettre en valeur le noyau essentiel des pieux
exercices, identifié grâce à la recherche historique, tout en tenant
compte, dans cette œuvre de restauration, de certains aspects de la
spiritualité contemporaine, des acquis d’une saine anthropologie et
de la culture ainsi que du style expressif du peuple à qui ils sont
destinés, sans pour autant rejeter les éléments traditionnels ancrés
dans les coutumes populaires.
76. Dans
l’histoire de la révélation, le salut de l’homme est constamment
présenté comme un don de Dieu, provenant de sa miséricorde, et
accordé d’une manière souveraine et totalement gratuite. L’ensemble
des événements et des paroles, par lesquels se manifeste et se
réalise le plan du salut, se présente sous la forme d’un dialogue
continu entre Dieu et l’homme. Ce dialogue, dont Dieu prend
l’initiative, exige de la part de l’homme une attitude d’écoute
ancrée dans la foi ainsi qu’une réponse d’ "obéissance de la foi"
(Rm 1, 5; 16, 26).
L’importance
particulière de ce dialogue de salut se manifeste dans l’Alliance
scellée sur le Sinaï entre Dieu et le peuple élu (cf. Ex 19-24), qui
fait de ce dernier la "propriété" du Seigneur, un "royaume de
prêtres et une nation sainte" (Ex 19, 6). Depuis lors Israël, qui,
pourtant, ne fut pas toujours fidèle à l’Alliance, trouva néanmoins
en cette dernière une inspiration et une force pour modeler son
comportement sur celui de Dieu lui-même (cf. Lv 11, 44-45; 19, 2) et
sur sa Parole.
Le culte et la prière
d’Israël ont avant tout pour objet la mémoire des mirabilia Dei,
c’est-à-dire les interventions salvifiques de Dieu dans
l’histoire, ce qui a pour effet de maintenir vive la vénération du
peuple à l’égard des événements par lesquels se sont accomplies les
promesses de Dieu; celles-ci, dès lors, constituent le point de
référence constant pour la réflexion de la foi et la vie de prière
d’Israël.
77. Conformément
à son dessein éternel de salut, "Dieu, qui avait souvent parlé, dans
le passé, à nos pères par les prophètes sous des formes
fragmentaires et variées, nous a parlé par le Fils qu’il a établi
héritier de toutes choses, et par qui aussi il a créé le monde" (He
1, 1-2). Le mystère du Christ, et surtout sa Pâque, c’est-à-dire son
passage de la Mort à la Résurrection, est, de fait, la révélation
pleine et définitive, et l’accomplissement des promesses du salut.
Puisque c’est par Jésus, "le Fils unique de Dieu" (Jn 3, 18) que le
Père nous a tout donné, sans rien garder pour lui-même (cf. Rm 8,
32; Jn 3, 16), il est évident que le point de référence essentiel
pour la foi et la vie de prière du peuple de Dieu se trouve dans la
personne et l’œuvre du Christ: en lui, nous avons le Maître de la
vérité (cf. Mt 22, 16), le Témoin fidèle (cf. Ap. 1, 5), le
souverain Prêtre (cf. He 4, 14), le Pasteur de nos âmes (cf. 1 P 2,
25), le Médiateur unique et parfait (cf. 1 Tm 2, 5; He 8, 6; 9, 15;
12, 24): c’est par lui que l’homme va vers le Père (cf. Jn 14, 6),
que montent vers Dieu la louange et la supplication de l’Église et
que descend sur l’humanité tout don de Dieu.
Mis au tombeau avec le
Christ et ressuscités avec lui dans le baptême (cf. Col. 2, 12; Rm
6, 4), soustraits à la domination de la chair et introduits dans
celle de l’Esprit Saint (cf. Rm 8, 9), nous sommes appelés à la
perfection, c’est-à-dire à la plénitude de la stature du Christ (cf
Ep 4, 13); dans le Christ, nous avons le modèle d’une existence dont
chaque moment reflète une attitude d’écoute de la parole du Père et
d’accueil de ses commandements, et qui exprime un consentement sans
partage du Fils à la volonté de son Père: "Ma nourriture est
d’accomplir la volonté de celui qui m’a envoyé" (Jn 4, 34).
Le Christ est donc le
modèle parfait de la piété filiale et du dialogue continuel avec le
Père, c’est-à-dire l’exemple parfait d’une recherche ininterrompue
de la relation vivante, intime et confiante avec Dieu, qui illumine,
soutient et guide l’homme durant toute son existence.
78. L’Esprit
Saint, qui a été donné aux fidèles pour les transformer
progressivement dans le Christ, les guide dans leur vie de communion
avec le Père (cf. Rm 8, 14); il répand en eux "l’esprit des fils
adoptifs", par lequel ils adoptent l’attitude filiale du Christ (cf.
Rm 8, 15-17) et ses propres sentiments (cf. Ph 2, 5). L’Esprit Saint
rend présent l’enseignement du Christ (cf. Jn 14, 26; 16, 13-25),
afin que les fidèles soient en mesure d’interpréter à la lumière de
cet enseignement les divers événements de la vie et de l’histoire;
il les conduit à la connaissance des profondeurs de Dieu (cf. 1 Co
2, 10) et il leur permet de faire de leur propre vie un "culte
spirituel" (cf. Rm 12, 1); il les soutient au milieu des
contradictions et des épreuves auxquelles ils sont confontés, au
cours de leur itinéraire laborieux de transformation dans le Christ;
enfin, il suscite, alimente et guide leur prière: "l’Esprit de Dieu
vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons que demander
pour prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intercède pour
nous, en des gémissements ineffables; et Celui qui voit le fond des
cœurs sait quels sont les désirs de l’Esprit: Il sait qu’en
intervenant pour les fidèles, l’Esprit veut ce que Dieu veut" (Rm 8,
26-27).
Le culte chrétien doit
à l’Esprit Saint à la fois son origine et son développement, et
c’est dans ce même Esprit qu’il s’accomplit et trouve son
achèvement. Ainsi, il convient d’affirmer que, sans la présence de
l’Esprit du Christ, il n’existe ni culte liturgique digne de ce nom,
ni piété populaire authentique.
79. À la lumière
des principes qui viennent d’être exposés, il paraît nécessaire
d’affirmer que la piété populaire constitue vraiment un élément du
dialogue entre Dieu et l’homme par le Christ et dans l’Esprit Saint.
Il ne fait aucun doute qu’elle porte en elle une empreinte
trinitaire, nonobstant certaines carences qu’on peut parfois
déplorer, comme, par exemple, la confusion entre Dieu le Père et
Jésus.
La piété populaire est,
de fait, très sensible au mystère de la paternité de Dieu: elle
s’émeut face à sa bonté, elle admire sa puissance et sa sagesse;
elle se réjouit de la beauté de la création et loue son auteur, le
Créateur; elle proclame que Dieu ordonne de faire le bien et
félicite ceux qui vivent honnêtement et qui cheminent dans la
droiture, tandis qu’elle réprouve le mal et fuit ceux qui
s’obstinent à suivre la voie de la haine et de la violence, de
l’injustice et du mensonge.
La piété populaire
concentre particulièrement son attention sur la figure du Christ,
Fils de Dieu et Sauveur de l’homme: elle traduit les sentiments
ressentis en présence du mystère de sa naissance, en évoquant
l’amour infini qui habite cet Enfant, vrai Dieu et en même temps
notre frère, pauvre et persécuté depuis le début de son existence.
La piété populaire aime aussi évoquer les nombreuses scènes de la
vie publique du Seigneur Jésus, dans la figure du Bon Pasteur qui se
porte à la rencontre des publicains et les pécheurs, ou du
Thaumaturge qui guérit les malades et secourt les pauvres, ou encore
du Maître qui dit la vérité. Surtout, la piété populaire aime
contempler les mystères de la Passion du Christ, en tant
qu’expression d’un amour sans limites envers les hommes et de
solidarité absolue avec leurs souffrances: Jésus trahi et abandonné,
flagellé et couronné d’épines, crucifié entre deux criminels,
détaché de la croix et déposé en terre, pleuré par ses amis et ses
disciples.
La piété populaire
considère aussi, dans le mystère de Dieu, la personne du
Saint-Esprit. Elle proclame, en effet, que "par l’Esprit Saint" le
Fils de Dieu "a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme"
et qu’à la naissance de l’Église, l’Esprit Saint fut donné aux
Apôtres (cf. Ac 2, 1-3). De même, la piété populaire met en valeur
la puissance de l’Esprit Saint et sa présence dans les sacrements de
l’Église, en particulier dans celui de la confirmation dont le
caractère, tel un sceau, imprime particulièrement l’âme du chrétien.
Elle est aussi consciente que c’est "au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit" que débute la célébration de l’Eucharistie, qu’est
conféré le baptême et qu’est accordé le pardon des péchés. Enfin,
elle sait que c’est en ce même nom des trois Personnes Divines que
s’accomplit la prière de la communauté chrétienne et qu’est invoquée
la bénédiction divine sur l’homme et toutes les autres créatures.
80. Il convient
donc de renforcer chez les fidèles la conscience de la présence de
la Très Sainte Trinité, que la piété populaire porte déjà en elle,
ne serait-ce qu’en germe. C’est dans ce but que les indications
suivantes sont données:
- Il est nécessaire
d’éclairer les fidèles au sujet du caractère particulier de la
prière chrétienne, qui est adressée au Père, par la médiation du
Christ Jésus et dans la puissance de l’Esprit Saint.
- De même, il est
nécessaire que les expressions de la piété populaire mettent plus
clairement en lumière la personne et l’action de l’Esprit Saint.
L’absence d’un "nom" attribué à l’Esprit Saint, de même que
l’habitude de ne pas le représenter en employant des images
anthropomorphiques ont eu pour conséquence une certaine absence, au
moins partielle, de l’Esprit Saint aussi bien au niveau des textes
que dans les autres formes d’expression de la piété populaire, sans
oublier le rôle que la musique et les gestes du corps peuvent jouer
pour manifester la présence de cette personne de la Très Sainte
Trinité. Une telle lacune peut être comblée en recourant à
l’évangélisation de la piété populaire, au sujet de laquelle le
Magistère de l’Église s’est maintes fois prononcé.
- Il est nécessaire
aussi que les expressions de la piété populaire mettent en valeur le
caractère primordial et fondateur de la Résurrection du Christ. De
fait, la proximité du Sauveur envers l’humanité souffrante, qui est
traduite d’une manière si intense dans le cadre de la piété
populaire, doit toujours être jointe à la réalité future de sa
glorification. Une telle attitude est nécessaire pour exposer
intégralement le projet de salut de Dieu dans le Christ, et pour
percevoir l’unité inséparable du Mystère pascal du Christ. C’est
seulement ainsi que peut apparaître le visage authentique de la
révélation chrétienne, qui est la réalisation de la victoire de la
vie sur la mort dans la célébration de Celui qui "n’est pas le Dieu
des morts, mais des vivants" (Mt 22, 32), c’est-à-dire du Christ, le
Vivant, qui était mort et qui, maintenant, vit pour les siècles des
siècles (cf. Ap 1, 18) et de l’Esprit Saint "qui est Seigneur et
donne la vie".
- Enfin, il est
nécessaire que la dévotion à la Passion du Christ conduise les
fidèles à une participation pleine et consciente à l’Eucharistie,
dans laquelle le corps du Christ offert en sacrifice pour chacun de
nous est donné en nourriture (cf. 1 Co 11, 24), et le sang de Jésus
versé sur la croix pour la nouvelle et éternelle Alliance et pour la
rémission des péchés, est donné comme boisson. Le moment le plus
intense et le plus significatif de cette participation se situe dans
la célébration du Triduum pascal, qui est le sommet de l’Année
liturgique, et dans la célébration dominicale des saints Mystères.
81. L’Église, ce
"peuple réuni dans l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit",
peut être définie comme une communauté cultuelle. De fait, selon la
volonté de son Seigneur et Fondateur, les nombreux rites qu’elle
célèbre ont pour finalité la gloire de Dieu et la sanctification de
l’homme; ceux-ci se rapportent tous, selon des manières différentes
et à des degrés divers, à la célébration du Mystère pascal du
Christ, et ils contribuent à la réalisation de la volonté de Dieu,
qui est de réunir ses enfants dispersés dans l’unité d’un seul
peuple.
L’Église, en célébrant
les divers rites, annonce l’Évangile du salut et proclame la Mort et
la Résurrection du Christ, et elle accomplit ainsi, par ces signes
sensibles, son œuvre de salut. Ainsi, dans l’Eucharistie, elle
célèbre le mémorial de la bienheureuse Passion, de la glorieuse
Résurrection et de l’admirable Ascension du Christ, et, dans les
autres sacrements, elle reçoit les autres dons de l’Esprit Saint,
qui proviennent de la Croix du Sauveur. L’Église glorifie le Père,
avec des psaumes et des hymnes, pour toutes les merveilles qu’il a
accomplies dans la Mort et l’Exaltation du Christ, son Fils, et elle
le supplie d’accorder le salut à tous les hommes, c’est-à-dire les
bienfaits du mystère pascal. Dans les sacramentaux, institués pour
venir en aide aux fidèles dans les situations et les nécessités les
plus variées, l’Église supplie le Seigneur, afin que toutes leurs
activités soient soutenues et illuminées par l’Esprit de Pâques.
82. L’activité
cultuelle de l’Église ne se limite pourtant pas à la célébration de
la Liturgie. De fait, les disciples du Christ, conformément à
l’exemple et à l’enseignement du Maître, prient aussi dans le secret
de leur maison (cf. Mt 6, 6). De même, ces derniers participent à
des réunions de prières organisées par des hommes et des femmes
réputés pour leur grande expérience religieuse, qui ont répondu à
certaines attentes spirituelles des fidèles en orientant leur piété
vers des aspects particuliers du mystère du Christ. Enfin, les
disciples du Christ prient dans des structures, qui sont issues de
la conscience collective de la communauté chrétienne d’une manière
presqu’anonyme, et dans lesquelles les exigences de la culture
populaire se mêlent harmonieusement aux données essentielles du
message évangélique.
83. Les vraies
formes de la piété populaire sont elles aussi les fruits de l’action
de l’Esprit Saint, et elles peuvent être considérées comme des
expressions de la piété de l’Église: en effet, elles sont mises en
œuvre par des fidèles qui vivent en communion avec l’Église, qui
professent sa foi et respectent les normes qui régissent son culte;
de plus, un grand nombre d’entre elles ont été explicitement
approuvées et recommandées par l’Église elle-même.
84. La piété
populaire, en tant qu’expression de la piété de l’Église, est
soumise aux lois générales du culte chrétien et à l’autorité
pastorale de l’Église, qui exerce par rapport à elle une action de
discernement, de reconnaissance de son authenticité, et de
rénovation en la mettant en relation avec la Parole révélée, la
tradition et la Liturgie elle-même.
De plus, il est
toujours nécessaire d’éclairer les expressions de la piété populaire
en recourant au "principe ecclésiologique" du culte chrétien.
L’application de ce principe, au niveau de la piété populaire, a
pour effet:
- de se faire une
conception plus adéquate des rapports entre l’Église particulière et
l’Église universelle. La piété populaire a tendance, en effet, à
concentrer son attention sur les valeurs et les centres d’intérêt
locaux et immédiats, et elle risque alors de se fermer aux valeurs
universelles et à la réflexion ecclésiologique.
- de réintégrer la
vénération de la bienheureuse Vierge Marie, des Anges, des Saints et
des Bienheureux, ainsi que les prières pour les défunts dans le
domaine très large de la Communion des Saints et dans le cadre des
rapports réciproques entre l’Église du ciel et l’Église encore en
pèlerinage sur cette terre.
- de comprendre d’une
manière à la fois correcte et féconde les relations entre les
ministères et les charismes; de fait, les premiers sont
nécessaires à l’expression du culte liturgique, tandis que les
seconds sont souvent présents dans les manifestations de la piété
populaire.
85. Les
sacrements de l’initiation chrétienne introduisent le fidèle dans
l’Église, peuple prophétique, sacerdotal et royal, à qui il
appartient de rendre à Dieu le culte en esprit et en vérité (cf Jn
4, 23). Le fidèle exerce donc ce sacerdoce par le Christ et dans
l’Esprit Saint, non seulement dans le cadre de la Liturgie, et
spécialement au cours de la célébration de l’Eucharistie, mais aussi
par de nombreuses autres expressions de la vie chrétienne, dont
celles qui font partie des manifestations de la piété populaire. De
fait, l’Esprit Saint lui confère la capacité d’offrir à Dieu des
sacrifices de louange, d’élever vers lui des prières et des
supplications, et, en premier lieu, de faire de sa propre vie un
"sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu" (Rm 12, 1; cf. He 12,
28).
86. En se basant
sur ce sacerdoce commun des fidèles, la piété populaire aide ces
derniers à persévérer dans la prière et la louange de Dieu le Père,
à rendre témoignage au Christ (cf. Ac 2, 42-47) et, en soutenant
leur vigilance dans l’attente de sa venue dans la gloire, elle rend
raison de l’espérance de la vie éternelle (cf. 1 P 3, 15). De plus,
tout en conservant des éléments spécifiques appartenant à un
contexte culturel particulier, la piété populaire exprime les
valeurs ecclésiales qui caractérisent, selon des manières
différentes et à des degrés divers, tout ce qui naît et se développe
à l’intérieur du Corps mystique du Christ.
87. La Parole de
Dieu, contenue dans la Sainte Écriture, gardée et proposée par le
Magistère de l’Église, et célébrée dans la Liturgie, constitue un
élément privilégié et irremplaçable de l’action de l’Esprit Saint
dans la vie cultuelle des fidèles.
Puisque l’écoute de la
Parole de Dieu permet à l’Église de s’édifier et de croître, le
peuple chrétien doit acquérir une grande familiarité avec la Sainte
Écriture et s’imprégner de son esprit, afin de pouvoir traduire,
d’une manière adéquate et conforme à la foi, les sentiments de piété
et de dévotion qui jaillissent au contact de Dieu qui sauve,
regénère et sanctifie.
La piété populaire
trouve dans la Sainte Écriture une source inépuisable d’inspiration,
des modèles de prière inégalables et des propositions de thèmes
particulièrement fécondes. En outre, la référence constante à la
Sainte Écriture constitue à la fois une référence et un critère pour
ceux qui ont la charge de tempérer l’exhubérance avec laquelle le
sentiment religieux populaire se manifeste en de nombreux cas,
donnant lieu à des expressions ambiguës et par conséquent
inadéquates de la piété populaire.
88. Toutefois
"la prière doit aller de pair avec la lecture de la Sainte Écriture,
pour que s’établisse le dialogue entre Dieu et l’homme; c’est
pourquoi il convient de prévoir, en principe, dans les diverses
formes de la piété populaire, l’insertion de textes de l’Écriture
Sainte, opportunément choisis et correctement commentés.
89. Pour
atteindre ce but, on prendra modèle sur les célébrations
liturgiques, qui comportent, comme éléments constitutifs, des textes
de la Sainte Écriture présentés selon des modes différents en
fonction des divers types de célébrations. Toutefois, puisqu’une
diversité légitime de projets et de présentations est laissée aux
différentes expressions de la piété populaire, il n’est sans doute
pas nécessaire de leur appliquer les mêmes dispositions que celles
qui sont prévues, en ce qui concerne la proclamation de la Parole de
Dieu, dans les rites qui font partie de la Liturgie.
On peut affirmer que,
dans les tous les cas, le modèle offert par la Liturgie constitue,
pour la piété populaire, une sorte de sauvegarde, qui lui permet de
maintenir une échelle correcte des valeurs, dont fait partie, en
premier lieu, l’attitude consistant à écouter avec attention Dieu
qui parle. De même, ce modèle permet à la fois de découvrir
l’harmonie existant entre l’Ancien et le Nouveau Testament, et
d’interpréter l’un des deux à la lumière de l’autre; de plus, en
tirant parti d’une expérience séculaire, ce même modèle apporte des
solutions qui ont pour objet, d’une part, une actualisation
appropriée du message biblique, et, d’autre part, la mise en valeur
d’un critère valide permettant d’évaluer l’authenticité de la
prière.
En ce qui concerne le
choix des textes, il est souhaitable de recourir à de brefs
passages, facilement mémorisables, incisifs et faciles à comprendre,
même s’ils sont difficiles à mettre en pratique. Il est vrai aussi
que quelques exercices de piété comme la Via Crucis et le
Rosaire facilitent une meilleure compréhension de la Sainte
Écriture: de fait, l’assimilation par la mémoire de ces gestes et de
ces prières permettent de se souvenir plus facilement des épisodes
évangéliques se rapportant à la vie de Jésus.
90. Depuis
toujours et en tous lieux, la religion populaire s’est intéressée
aux phénomènes et aux faits extraordinaires, qui sont souvent liés à
des révélations privées. Celles-ci concernent particulièrement la
piété mariale, du fait des "apparitions" et de leurs "messages"
respectifs, même si elles débordent ce cadre. À ce propos, il
convient de rappeler ce que déclare le Catéchisme de l’Église
Catholique: "Au fil des siècles il y a eu des révélations dites
"privées" dont certaines ont été reconnues par l’autorité de
l’Église. Elles n’appartiennent cependant pas au dépôt de la foi.
Leur rôle n’est pas d’ "améliorer" ou de "compléter" la Révélation
définitive du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement à une
certaine époque de l’histoire. Guidé par le Magistère de l’Église,
le sens des fidèles sait discerner et accueillir ce qui dans ces
révélations constitue un appel authentique du Christ ou de ses
saints à l’Église" (n. 67).
91. La piété
populaire est naturellement marquée par le contexte historique et
culturel dans lequel elle se développe. Ce caractère particulier se
traduit par la variété de ses expressions, qui ont prospéré et se
sont affermies dans les diverses Églises particulières tout au long
des siècles, et qui constituent autant de signes d’un véritable
enracinement de la foi dans des peuples particuliers et de son
intégration dans la vie quotidienne des fidèles. De fait, "la
religiosité populaire est la forme première et fondamentale d’
"inculturation" de la foi; tout en se conformant sans cesse aux
orientations de la Liturgie, elle est appelée à son tour à illuminer
la foi à partir du cœur". La piété populaire résulte donc de la
rencontre entre le dynamisme novateur du message de l’Évangile et
les diverses composantes d’une culture particulière.
92. Le processus
d’adaptation ou d’inculturation d’un pieux exercice ne devrait pas
présenter de difficultés particulières dans le domaine du langage,
dans celui des expressions musicales et artistiques, et en ce qui
concerne les gestes et les attitudes corporelles qui doivent être
adoptés. Il est vrai que, d’une part, les pieux exercices ne
touchent pas des aspects essentiels de la vie sacramentelle, et que,
d’autre part, ils sont très souvent d’origine populaire,
c’est-à-dire que, venant du peuple, ils ont été formulés par ce
dernier dans son propre langage avant d’être assumés par la foi
catholique.
Toutefois, le fait que
les pieux exercices et les pratiques de dévotion se réfèrent à
l’expression des sentiments populaires, ne signifie pas pour autant
qu’il faille les considérer sous un angle purement sujectif. Étant
sauve la compétence particulière de l’Ordinaire du lieu et des
Supérieurs Majeurs - s’il s’agit de dévotions liées à des Ordres
religieux -, il convient que la Conférence des Évêques se prononce à
propos des pieux exercices qui intéressent l’ensemble d’une nation
ou une partie importante du territoire.
Une attention soutenue
et un grand discernement sont donc nécessaires afin d’empêcher que
ne s’insinuent dans les pieux exercices, par le biais des
différentes formes de langages, des concepts contraires à la foi
chrétienne, ou que ne soient introduites des expressions cultuelles
viciées par le syncrétisme.
Il est nécessaire, en
particulier, que le pieux exercice, qui fait l’objet d’un processus
d’adaptation ou d’inculturation, conserve son identité profonde et
sa physionomie propre. Cela requiert de maintenir très explicitement
les références à son origine historique, ainsi que les éléments
doctrinaux et culturels qui le caractérisent.
En ce qui concerne la
question particulière de l’adoption de certaines formes de la piété
populaire dans le processus d’inculturation de la Liturgie, il faut
se conformer à l’Instruction qui a été promulguée par le Dicastère
sur ce sujet.
***
93. Dans
l’intention d’aider ceux qui doivent appliquer les principes qui
viennent d’être exposés dans l’action pastorale concrète, il a paru
souhaitable de présenter certaines orientations sur le rapport
nécessaire entre la piété populaire et la Liturgie, en vue de
susciter une vie pastorale à la fois harmonieuse et profitable aux
fidèles. Cette présentation des exercices et des pratiques de piété
les plus répandus ne prétend donc pas être exhaustive, et elle
ignore en particulier ceux qui ont un caractère local. Étant donné
qu’il est difficile de tracer des limites rigoureuses entre des
domaines qui ont tant d’affinités, les orientations en question
seront émaillées çà et là de certaines indications concernant plus
particulièrement la pastorale liturgique.
La présentation des
exercices et des pratiques de piété est répartie en quatre
chapitres:
- Le quatrième
concerne l’Année liturgique avec l’intention de réaliser au mieux
une harmonisation de ses célébrations avec les manifestations de la
piété populaire;
- le cinquième a
trait à la vénération de la sainte Mère du Seigneur, qui occupe une
place particulière aussi bien dans le domaine de la sainte Liturgie
que dans celui de la piété populaire;
- Le sixième est
sur le culte des Saints et des Bienheureux, qui occupe aussi un
espace important dans la Liturgie et dans la dévotion des fidèles;
- Le septième
concerne la prière pour les défunts, qui fait appel aux différentes
expressions de la vie cultuelle de l’Église;
- Le huitième
regarde enfin les sanctuaires et les pèlerinages, qui sont des lieux
significatifs et des expressions caractéristiques de la piété
populaire comportant de nombreuses implications dans le domaine
liturgique.
Puisqu’il se réfère à
des pieux exercices de nature et de caractère différents, qui sont
destinés à être appliqués dans des situations très diverses, le
texte formule des propositions en respectant constamment un certain
nombre de présupposés fondamentaux: la supériorité de la Liturgie
sur les autres expressions cultuelles; la dignité et la légitimité
de la piété populaire; la nécessité pastorale d’éviter toute forme
d’opposition entre la Liturgie et la piété populaire, ou au
contraire la confusion entre ces deux domaines, ce qui donnerait
lieu à ces célébrations de caractère hybride.
94. L’Année
liturgique est la structure temporelle à l’intérieur de laquelle
l’Église célèbre l’ensemble des mystères du Christ: "de
l’Incarnation et la Nativité jusqu’à l’Ascension, jusqu’au jour de
la Pentecôte, et jusqu’à l’attente de la bienheureuse espérance et
de l’avènement du Seigneur".
Au cours de l’Année
Liturgique "la célébration du mystère pascal constitue l’essentiel
du culte chrétien dans son déploiement quotidien, hebdomadaire et
annuel". Il s’ensuit que, dans le cadre des relations entre la
Liturgie et la piété populaire, la priorité donnée à la célébration
de l’Année liturgique sur toutes les autres formes d’expressions et
de pratiques de dévotions, doit être considérée comme un principe
fondamental.
95. Le "jour du
Seigneur", en tant que "jour de fête primordial" et "fondement et
noyau de toute l’Année liturgique", ne doit pas être subordonné aux
manifestations de la piété populaire. Il est évident que les pieux
exercices sont célébrés en prenant le dimanche comme point de
référence chronologique.
Pour le bien pastoral
des fidèles, il est licite de reporter au dimanche "per annum" les
célébrations du Seigneur, ou en l’honneur de la bienheureuse Vierge
Marie ou des Saints dont la date coïncide avec un jour de semaine,
dans la mesure où les fidèles font preuve d’une piété particulière à
leur égard et à condition qu’elles aient la primauté sur le dimanche
lui-même.
Puisque les traditions
populaires et culturelles risquent de prendre le pas sur la
célébration du dimanche, ce qui aurait pour effet de nuire à
l’esprit chrétien qui caractérise cette dernière, "dans ces cas, il
faut parler clairement, dans la catéchèse et des interventions
pastorales opportunes, en écartant ce qui est inconciliable avec
l’Évangile du Christ. Mais il ne faut pas oublier que de telles
traditions - et cela vaut analogiquement pour de nouvelles
propositions culturelles de la société civile - ne sont souvent pas
dépourvues de valeurs qui s’harmonisent sans difficulté avec les
exigences de la foi. Il appartient aux Pasteurs d’opérer un
discernement qui sauvegarde les valeurs présentes dans la culture
d’un contexte social déterminé, et surtout dans la religiosité
populaire, faisant en sorte que la célébration liturgique, notamment
celle des dimanches et des fêtes, n’en souffre pas mais en tire
plutôt avantage".
96. L’Avent est
un temps d’attente, de conversion et d’espérance:
- l’attente, qui
consiste à faire mémoire de la première et humble venue du Sauveur
dans notre chair mortelle; attente aussi de l’ultime et glorieuse
venue du Christ, Seigneur de l’histoire et Juge universel;
- la conversion, à
laquelle la Liturgie de ce temps invite souvent par la voix des
prophètes, spécialement par celle de Jean-Baptiste:
"convertissez-vous, parce que le Royaume des cieux est tout proche"
(Mt 3, 2);
- l’espérance joyeuse
que le salut opéré par le Christ (cf. Rm 8, 24-25) et les fruits de
la grâce déjà présents dans le monde parviennent à leur maturité et
à leur plénitude, de telle sorte que la promesse soit transformée en
possession, la foi en vision, et qu’ainsi "nous lui soyons
semblables parce que nous le verrons tel qu’il est". (1 Jn 3, 2).
97. Le temps
liturgique de l’Avent transparaît volontiers dans les formes de la
piété populaire, spécialement lorsqu’il s’agit de faire mémoire de
la préparation de la venue du Messie. La longue attente qui a
précédé la naissance du Sauveur est solidement ancrée dans la
conscience du peuple chrétien. Les fidèles savent que Dieu soutenait
l’espérance d’Israël dans la venue du Messie au moyen des
prophéties.
La piété populaire
n’élude pas l’événement extraordinaire de la révélation de ce Dieu
de gloire qui s’est fait petit enfant dans le sein d’une vierge,
humble et pauvre, mais elle contribue au contraire à en souligner le
caractère stupéfiant. Les fidèles sont particulièrement sensibles
aux difficultés que la Vierge Marie a dû affronter tandis qu’elle
attendait la naissance de son fils, et ils s’émeuvent à la pensée
qu’il n’y avait plus de place dans la salle commune pour Joseph et
Marie, qui s’apprêtait à donner le jour à son fils premier-né (cf.
Lc 2, 7).
L’Avent donne lieu à
des expressions variées de la piété populaire, qui soutiennent la
foi du peuple et transmettent de génération en génération un certain
nombre de valeurs, qui font partie de ce temps liturgique.
98. La
disposition de quatre cierges sur une couronne constituée de rameaux
toujours verts, qui est en usage spécialement dans les pays
germaniques et en Amérique du Nord, est devenue le symbole de
l’Avent dans les maisons des chrétiens.
La couronne de l’Avent,
qui consiste à allumer successivement, d’un dimanche à l’autre, les
quatre cierges, jusqu’à Noël, contribue à raviver la mémoire des
différentes étapes de l’histoire du salut antérieure au Christ, et
elle symbolise la lumière des prophéties qui tout au long de
l’histoire illuminèrent la nuit de l’attente du peuple de Dieu,
jusqu’à l’apparition du Soleil de justice (cf. Ml 3, 20; Lc, 1, 78).
99. Durant le
temps de l’Avent, différentes sortes de processions sont organisées
traditionnellement dans diverses régions; elles illustrent tantôt
l’annonce de la prochaine naissance du Sauveur, en parcourant les
rues de la ville (ainsi, la "chiara stella" de certaines contrées
d’Italie), tantôt l’évocation du chemin accompli par Joseph et Marie
vers Bethléem, et leur recherche d’un lieu hospitalier prêt à
accueillir la naissance de Jésus (le "posadas" de la tradition
hispanique et latino-américaine).
100. Dans
l’hémisphère nord, le temps de l’Avent est marqué par la célébration
des "Quatre-Temps d’hiver". Ceux-ci signalent à la fois l’entrée
dans une saison nouvelle et aussi une suspension des activités dans
certains secteurs de la société. La piété populaire est très
attentive au déroulement du cycle vital de la nature: tandis que se
célèbrent les "Quatre-temps d’hiver", la semence est enfouie dans le
sol en attendant que, par sa lumière et sa chaleur, le soleil la
fasse germer, en reprenant son cycle à partir du solstice d’hiver.
Dans les régions où la
piété populaire a suscité des formes de célébrations s’inspirant du
changement des saisons, il faudra les conserver et les valoriser
pour qu’elles constituent vraiment des moments privilégiés de
supplications adressées au Seigneur, et qu’elles permettent aux
fidèles de réfléchir sur les différents sens du travail humain: la
collaboration de l’homme à l’œuvre créatrice de Dieu,
l’autoréalisation de la personne, le service du bien commun et
l’actualisation du projet de la rédemption.
101. Durant le
temps de l’Avent, la Liturgie célèbre fréquemment et d’une manière
particulière la bienheureuse Vierge Marie: elle évoque certaines
femmes de l’Ancien Testament, qui furent les figures annonciatrices
de sa mission; elle exalte l’attitude de foi et d’humilité dont
Marie de Nazareth fit preuve en adhérant totalement et avec
empressement au plan de salut de Dieu; enfin, elle met en évidence
sa présence dans les événements de grâce qui précédèrent la
naissance du Sauveur. Durant le temps de l’Avent, la piété populaire
prête aussi une attention particulière à la Sainte Vierge Marie,
comme l’atteste incontestablement la variété considérable des pieux
exercices, parmi lesquels il convient de citer avant tout la
neuvaine de préparation à la solennité de l’Immaculée Conception et
celle qui précède la Nativité du Seigneur.
Il reste que la
valorisation de l’Avent, qui est "un moment particulièrement adapté
au culte de la Mère du Seigneur" ne signifie pas pour autant que ce
temps liturgique doive être présenté comme un "mois de Marie".
Dans les calendriers
liturgiques de l’Orient chrétien, la période de préparation au
mystère de la manifestation (Avent) du salut divin (Téophanie) dans
les mystères de la Nativité-Épiphanie du Fils unique de Dieu le Père
apparaît comme un temps éminemment marial. L’attention se concentre
sur la préparation à la venue du Seigneur dans le mystère de la
maternité divine. Pour l’Orient, tous les mystères qui se rapportent
à la Vierge Marie sont des mystères christologiques, c’est-à-dire
qu’ils se réfèrent au mystère de notre salut dans le Christ. Ainsi,
dans le rite copte, on chante, durant cette période, les louanges de
Marie dans les Theotokia; dans l’Orient syrien, ce temps est
appelé Subbara, c’est-à-dire Annonciation pour souligner son
caractère marial. Dans le rite byzantin, la préparation de Noël est
marquée par une série croissante de fêtes mariales et de refrains
chantés en l’honneur de la Vierge Marie.
102. La
solennité de l’Immaculée Conception (8 décembre), profondément
ancrée dans la vie spirituelle des fidèles, donne lieu à de
multiples manifestations de la piété populaire, dont la principale
est la Neuvaine de préparation à cette solennité. Il ne fait aucun
doute que le contenu de la fête de la Conception pure et sans tâche
de Marie, en tant que préparation prochaine à la naissance de Jésus,
s’harmonise bien avec quelques thèmes primordiaux de l’Avent: comme
la Liturgie de l’Avent, la solennité de l’Immaculée Conception
évoque aussi la longue attente messianique, et elle fait référence
aux prophéties et aux symboles de l’Ancien Testament.
Dans les lieux où la
Neuvaine préparatoire à la solennité de l’Immaculée Conception est
célébrée, il faudra mettre en lumière les textes prophétiques qui,
en partant de la prophétie de Genèse 3, 15 aboutissent au salut de
Gabriel à celle qui est "comblée de grâce" (lc 1, 28) et à l’annonce
de la naissance du Sauveur (cf. Lc 1, 31-33).
À l’approche de Noël,
les fidèles du continent américain célèbrent Notre-Dame de
Guadalupe, le 12 décembre, en accompagnant cette fête de multiples
manifestations populaires. Par cette célébration, ils se préparent
donc à bien accueillir le Sauveur: Marie "unie intimement à la
naissance de l’Église en Amérique, fut l’Étoile radieuse qui
illumina l’annonce du Christ Sauveur aux fils de ces peuples".
103. La Neuvaine
de préparation à Noël a pour origine le besoin de communiquer aux
fidèles les richesses d’une Liturgie à laquelle ils n’avaient pas
facilement accès. La Neuvaine de la Nativité s’est, de fait, révélée
très utile, et elle peut encore continuer à remplir cette fonction
salutaire. Toutefois, étant donné qu’à notre époque l’accès du
peuple à la participation aux célébrations liturgiques a été
facilité, il est souhaitable qu’entre le 17 et le 23 décembre, les
fidèles soient invités à participer aux Vêpres, qui sont solennisées
par la proclamation des "Grandes Antiennes O". Une telle célébration
pourrait être associée à certains éléments particulièrement chers à
la piété populaire, qui pourraient être mis en valeur avant ou après
les vêpres. Elle constituerait ainsi une excellente "Neuvaine de
Noël" à la fois pleinement liturgique et attentive aux exigences de
la piété populaire. Au cours de la célébration des Vêpres, il est
possible de mettre en évidence certains éléments déjà prévus par la
Liturgie (par exemple, l’homélie, l’usage de l’encens, l’adaptation
des intercessions).
104. Outre les
représentations de la crèche de Béthléem, qui existent depuis les
premiers siècles dans les églises, la coutume s’est répandue, à
partir du XIII siècle, d’installer de petites crèches dans les
maisons, en prenant exemple sur celle qui, en 1223, avait été
aménagée à Greccio par saint François d’Assise. Leur préparation - à
laquelle les enfants sont tout particulièrement associés - permet de
rendre présent le mystère de Noël auprès des différents membres de
la famille, qui, parfois, se recueillent pour un moment de prière ou
pour lire les passages de l’Écriture Sainte, qui concernent la
naissance de Jésus.
105. La piété
populaire, du fait de sa compréhension intuitive du mystère
chrétien, peut contribuer efficacement à sauvegarder certaines
valeurs présentes dans le temps liturgique de l’Avent, qui sont
menacées par les mœurs actuelles de la société de consommation; en
effet, de nos jours, la préparation de Noël se réduit à
l’organisation d’une "opération commerciale", qui est faite de
multiples propositions vides de sens.
La piété populaire
permet, en revanche, de mieux comprendre que la célébration de la
Nativité du Seigneur va de pair avec un climat de sobriété et de
joie simple, et qu’elle implique aussi une attitude de solidarité
envers les pauvres et les exclus; de plus, l’attente de la naissance
du Sauveur rend les fidèles plus sensibles à la valeur de la vie,
c’est-à-dire au devoir de respecter cette dernière et de la protéger
depuis la conception. Enfin, la piété populaire permet de percevoir
qu’il n’est pas possible de célébrer d’une manière convenable la
naissance de celui "qui sauvera son peuple de ses péchés" (Mt 1, 21)
sans consentir un effort pour renoncer au péché, en vivant dans
l’attente vigilante de Celui qui reviendra à la fin des temps.
106. Durant le
temps de Noël, l’Église célèbre le mystère de la manifestation du
Seigneur: son humble naissance à Béthléem, annoncée aux bergers, qui
constitue les prémices de cet Israël qui est appelé à accueillir le
Sauveur; l’Épiphanie des Mages "venus d’Orient" (Mt 2, 1), figures
de tous ces païens qui, dans le nouveau-né Jésus, reconnaîtront et
adoreront le Christ Messie; la théophanie du Jourdain, où Jésus est
désigné par le Père comme son "fils bien-aimé" (Mt 3, 17) et qui
marque publiquement le début de son ministère messianique; enfin, le
miracle accompli à Cana par lequel Jésus "manifesta sa gloire et ses
disciples crurent en lui" (Jn 2, 11).
107. La période
de Noël comprend, en plus des célébrations qui expriment la
signification primordiale de ce temps liturgique, un certain nombre
d’autres célébrations qui ont un rapport étroit avec le mystère de
la manifestation du Seigneur: le martyre des Saints Innocents (28
décembre), dont le sang fut versé à cause de la haine des hommes
contre Jésus, et aussi à cause du refus d’Hérode de reconnaître sa
seigneurie; la mémoire du Saint Nom de Jésus, le 3 janvier; la fête
de la Sainte Famille (dimanche dans l’octave de Noël), qui permet
d’évoquer cette famille, dans laquelle "Jésus croissait en sagesse,
en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes" (Lc 2, 52);
la solennité du 1 janvier, qui est la mémoire importante de la
maternité divine, virginale et salvifique de Marie; et, même si elle
est située hors du temps liturgique de Noël, la fête de la
Présentation du Seigneur (2 février), qui est la célébration de la
rencontre du Messie avec son peuple, représenté par Siméon et Anne,
durant laquelle est évoquée la prophétie messianique de Siméon.
108. La piété
populaire se fait l’écho, à travers des expressions qui lui sont
propres, d’une grande partie du mystère riche et complexe de la
manifestation du Seigneur. Elle est particulièrement attentive aux
événements de l’enfance du Sauveur, par lesquels celui-ci a
manifesté son amour pour nous. De fait, la piété populaire évoque
d’une manière intuitive:
- la valeur de la
"spiritualité du don de soi", qui est propre à Noël: "un enfant nous
est né, un fils nous a été donné" (cf. Is 9, 5), un don qui
est l’expression de l’amour infini de Dieu, qui "a tant aimé le
monde qu’il a donné son Fils unique" (Jn 3, 16);
- le message de
solidarité qui est apporté par l’événement de Noël: solidarité avec
l’homme pécheur, manifestée en Jésus, qui est Dieu fait homme "pour
nous et pour notre salut"; solidarité avec les pauvres, puisque le
Fils de Dieu "de riche qu’il était s’est fait pauvre" pour nous
enrichir "par sa pauvreté" (2 Co 8, 9);
- Le caractère sacré de
la vie et l’événement merveilleux qui s’accomplit à chaque fois
qu’une femme donne naissance à un enfant, parce que par
l’enfantement de Marie, le Verbe de Vie est venu parmi les hommes et
s’est donc rendu visible à nos yeux (cf. Jn 1, 2).
- Les valeurs de la
joie et de la paix messianique, auxquelles aspirent profondément les
hommes de notre temps: les Anges annoncent aux bergers la naissance
du Sauveur du monde, le "Prince de la paix" (Is 9, 5), et expriment
leurs souhaits de "paix sur la terre aux hommes que Dieu aime" (Lc
2, 14);
- l’atmosphère de
simplicité et de pauvreté, d’humilité et de confiance en Dieu, qui
entoure la naissance de l’enfant Jésus.
Grâce à sa
compréhension intuitive des valeurs propres au mystère de Noël, la
piété populaire est appelée à défendre la mémoire de la
manifestation du Seigneur, de telle sorte que la forte tradition
religieuse liée à cette solennité ne devienne pas une cible pour les
opérations mercantiles de la société consommation, et qu’elle ne
subisse pas les tentatives d’infiltration du néopaganisme.
109. Entre les
premières Vêpres de Noël et la célébration de la Messe de minuit,
les nombreuses expressions de la piété populaire, diverses selon les
pays, comprennent en particulier la tradition des chants de Noël,
qui contribuent à transmettre le message de joie et de paix propre à
cette solennité. Or, il est opportun de valoriser ces différentes
expressions et, le cas échéant, de les harmoniser avec les
célébrations de la Liturgie. Il convient de citer, par exemple:
- la représentation des
"crèches vivantes"; l’inauguration de la crèche familiale qui peut
donner lieu à un moment de prière réunissant tous les membres de la
famille. Cette prière peut comporter la lecture du récit de la
naissance de Jésus dans l’Évangile selon Saint Luc, avec des chants
typiques de Noël, auxquels se mêlent la supplication et la louange;
il convient que ce moment de prière soit surtout animé par les
enfants, qui sont les principaux participants de cette rencontre
familiale;
- l’inauguration de
l’arbre de Noël, qui se prête bien à l’organisation d’un moment de
prière réunissant toute la famille. De fait, en faisant abstraction
de ses origines historiques, l’arbre de Noël est devenu à notre
époque un symbole dont la signification est très importante et cette
coutume s’est répandue assez largement dans les milieux chrétiens;
il évoque soit l’arbre de vie planté au centre du jardin d’Éden (cf.
Gn 2, 9), soit l’arbre de la croix, et il a donc un sens
christologique: le Christ, le vrai arbre de vie, est de notre
lignée; cet arbre toujours vert et portant de nombreux fruits a
surgi de Marie, comme d’une terre à la fois vierge et féconde. Les
évangélisateurs des pays nordiques ont introduit une ornementation
chrétienne de l’arbre de Noël, où figurent surtout des symboles
évoquant des pommes et des hosties, qui sont suspendues à ses
branches. Il ne faut pas non plus oublier les "cadeaux"; parmi ceux
qui sont déposés aux pieds de l’arbre de Noël, certains sont
destinés aux pauvres, qui doivent faire partie intégrante de toute
famille chrétienne;
- le repas du soir de
Noël. La famille chrétienne qui, chaque jour, selon la tradition,
demande au Seigneur de bénir la table et rend grâce à Dieu pour la
nourriture qu’elle reçoit de lui, accomplira ce geste avec une
intensité particulière et une grande attention au cours de ce repas
du soir de Noël, au cours duquel se manifestent la solidité des
liens familiaux ainsi que la joie qui en découle.
110. L’Église
souhaite que, la nuit du 24 décembre, les fidèles participent si
possible à l’Office des lectures comme préparation immédiate à la
célébration de la Messe de minuit. Lorsque l’Office des lectures
n’est pas célébré, il convient d’organiser une veillée qui, en
s’inspirant de cet Office, peut être composée de chants, de lectures
et d’autres éléments de la piété populaire.
111. Durant la
Messe de minuit, dont la signification liturgique, particulièrement
intense, exerce une grande influence sur le peuple, il est possible
de mettre en valeur les éléments suivants:
- au début de la Messe,
le chant de l’annonce de la naissance du Seigneur, selon la formule
du Martyrologe Romain;
- la prière des fidèles
devra avoir un caractère vraiment universel dans le choix des
intentions et, si cela s’avère possible et opportun, par l’emploi de
diverses langues; à l’offertoire, la présentation des dons
comportera toujours un élément qui évoquera ceux qui vivent dans des
situations marquées par la pauvreté.
- à la fin de la
célébration, il sera possible de proposer aux fidèles de venir
embrasser une image ou une statue représentant l’Enfant Jésus, avant
de la déposer dans la crèche, qui doit être elle-même située dans
l’église ou dans l’une de ses annexes.
112. La fête de
la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph (le dimanche dans
l’octave de la Nativité) offre aux familles chrétiennes des
possibilités très amples pour accomplir certains rites, ou pour
organiser des moments de prières adaptés à cette célébration
liturgique.
L’évocation de Joseph,
de Marie et de l’Enfant Jésus qui se rendent à Jérusalem, comme
toute famille juive fidèle à la Loi, en vue d’accomplir les rites de
la Pâque (cf. Lc 2, 41-42), favorisera l’accueil de la proposition
pastorale consistant à encourager tous les membres de la famille à
participer ensemble, en ce jour, à la célébration de l’Eucharistie.
De même, cette fête constitue un cadre très approprié pour le
renouvellement de la consécration des différents membres de la
famille à la Sainte Famille de Nazareth, ainsi que la bénédiction
des enfants, prévue dans le Rituel, et, si l’occasion se présente,
le renouvellement des engagements des époux, devenus des parents,
prononcés le jour de leur mariage, de même que l’échange des
promesses par lesquelles des fiancés rendent public leur projet de
fonder une nouvelle famille.
Toutefois, en dehors du
jour même de cette fête, les fidèles se confient volontiers à la
Sainte Famille de Nazareth dans de nombreuses circonstances de leur
vie: ainsi, beaucoup font partie de l’Association de la Sainte
Famille dans le but de mieux conformer la vie de leur propre famille
au modèle de la Famille de Nazareth; de même, nombreux sont les
fidèles qui adressent de fréquentes prières à la Sainte Famille pour
se placer sous sa protection et demander son aide à l’heure de la
mort.
113. Le 28
décembre, l’Église célèbre, depuis le VI siècle, la mémoire des
enfants victimes de la fureur aveugle d’Hérode, qui désirait tuer
Jésus (cf. Mt 2, 16-17). La tradition liturgique les appelle les
"Saints Innocents" et elle les considère comme des martyrs. Tout au
long des siècles, l’art, la poésie et la piété populaire ont exprimé
les sentiments de tendresse et de sympathie des fidèles envers ce
"tendre troupeau d’agneaux immolés"; de tels sentiments ont toujours
été accompagnés d’un mouvement d’indignation due à la violence avec
laquelle ces enfants ont été arrachés des bras de leurs mères
d’avant d’être assassinés.
De nos jours les
enfants subissent ancore d’innombrables formes de violence, qui
attentent à leur vie et constituent des attaques contre leur
dignité, leur vie morale et leur droit de recevoir une éducation
digne de ce nom. Il faut toujours avoir présent à l’esprit la foule
innombrable des enfants vivant encore dans le sein de leurs mères et
qui sont tués avant même de voir le jour, à cause des lois qui
autorisent l’avortement, ce crime abominable. Attentive aux
problèmes concrets, la piété populaire a suscité, en de nombreux
endroits, des initiatives d’ordre cultuel mettant en valeur le
respect du caractère sacré de la vie, ainsi que des gestes de
charité dans des domaines aussi divers que l’assistance aux mères
qui attendent un enfant, l’adoption des enfants et le développement
de leur instruction.
114. Quelques
pieux exercices, qui marquent la date du 31 décembre, ont la piété
populaire pour origine. Dans la plus grande partie des pays
occidentaux ce jour coïncide avec la fin de l’année civile. Cette
fête conduit les fidèles à méditer sur le "mystère du temps" qui
passe à la fois rapidement et inexorablement. Cette réflexion
suscite en eux les deux réactions suivantes: tout d’abord, un
sentiment mêlé de repentir et de regret pour les fautes qui ont été
commises, et pour toutes les occasions de vivre dans la grâce de
Dieu, qui ont été perdues durant l’année qui s’achève; ensuite, le
désir de remercier Dieu pour tous les bienfaits reçus de lui.
Cette double attitude a
donné naissance respectivement à deux pieux exercices: d’une part,
l’exposition prolongée du Saint-Sacrement qui permet aux communautés
religieuses et aux fidèles de bénéficier de longs moments de prière,
surtout silencieuse; d’autre part, le chant du Te Deum, qui
exprime la louange et l’action de grâces des fidèles pour tous les
bienfaits obtenus de Dieu durant l’année qui va s’achever.
Dans certains lieux,
surtout dans les communautés monastiques et dans les associations de
laïcs, dont la spiritualité accorde une place importante à la
dévotion eucharistique, la nuit du 31 décembre est marquée par une
veillée de prières, qui s’achève par la célébration de la Sainte
Messe. Il convient d’encourager l’organisation de telles veillées;
toutefois, celles-ci doivent être célébrées en tenant compte des
éléments liturgiques de l’Octave de Noël; de plus, elles doivent
être conçues non seulement comme un acte de réparation tout à fait
juste face à l’insouciance et à la débauche, qui marquent le passage
d’une année à l’autre, mais encore comme une veillée offerte au
Seigneur pour les prémices du nouvel an.
115. Le 1
janvier, dans l’Octave de Noël, l’Église célèbre la solennité de la
bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu. La maternité divine et
virginale de Marie constitue un événement unique dans l’ordre du
salut: de fait, pour la Vierge Marie, elle fut la promesse et la
cause de sa gloire extraordinaire, et elle est pour nous la source
de toutes les grâces et du salut, puisque Marie est "celle qui nous
permit d’accueillir l’Auteur de la vie".
La solennité du 1
janvier, qui est éminemment mariale, offre un espace
particulièrement adapté pour une rencontre fructueuse entre la
Liturgie et les expressions de la piété populaire: d’un côté, la
Liturgie de la solennité doit être célébrée selon les formes qui lui
sont propres; la piété populaire des fidèles, pour sa part, et à
condition qu’elle soit éduquée, donne souvent lieu à des expressions
de louanges et de remerciements adressés à la Vierge Marie pour le
don de son divin Fils, et elle contribue ainsi à approfondir le
contenu de nombreuses formules de prières, à commencer par celle-ci,
qui est particulièrement appréciée des fidèles: "Sainte Marie, Mère
de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs".
116. En Occident
le 1 janvier marque le commencement de l’année civile. Les fidèles,
qui sont immergés eux aussi dans l’atmosphère festive si
caractéristique du début de l’année, échangent avec tous ceux qu’ils
rencontrent les vœux de "bonne année". Toutefois, tout en respectant
cette coutume, ils doivent être capables de lui donner une nouvelle
dimension en insistant sur sa signification chrétienne et ils
peuvent même en faire un acte de piété religieuse. En effet, les
fidèles savent que la "nouvelle année" est placée sous le pouvoir
souverain du Christ et c’est pourquoi, en échangeant les vœux du
nouvel an, ils confient ce dernier, d’une manière plus ou moins
explicite, au Seigneur tout-puissant, à qui appartiennent les jours
et les siècles pour l’éternité (cf. Ap 1, 8; 22, 13).
Cette volonté des
fidèles de conférer au nouvel an une dimension pleinement chrétienne
se traduit dans la coutume très répandue de chanter le Veni,
creator Spiritus, en ce jour du 1 janvier, pour demander à
l’Esprit Saint d’inspirer, tout au long de l’année, les pensées et
les actions de chaque fidèle et des communautés chrétiennes.
117. L’un des
principaux vœux de nouvel an, que se souhaitent mutuellement les
hommes et les femmes, est celui de la paix. Ce "vœu de la paix" a de
profondes racines bibliques et christologiques, qui se rapportent
spécialement au mystère de la Nativité. Les hommes de tous les temps
ont évoqué unanimement le "bien de la paix", tout en n’hésitant pas
à le remettre en cause fréquemment d’une manière violente et
destructrice, qui a pour nom: la guerre.
Depuis 1967, le Siège
Apostolique, qui a toujours montré sa solidarité avec les
aspirations profondes des peuples, a décidé de célébrer, à la date 1
janvier, la "Journée mondiale de la paix".
La piété populaire
n’est pas demeurée insensible à cette initiative du Siège
Apostolique; c’est pourquoi, dans le contexte de la naissance du
Prince de la paix, elle a fait de ce jour un moment intense de
prières pour la paix, et d’éducation à la paix et aux valeurs qui
lui sont indissolublement liées, parmi lesquelles il convient de
citer notamment la liberté, la solidarité et l’esprit fraternel, la
dignité de la personne humaine, le respect de la nature, le droit au
travail, et le caractère sacré de la vie, ce qui incite les
chrétiens à dénoncer les situations marquées par l’injustice, qui
ont pour effet de troubler les consciences et de menacer la paix.
118. Le contenu
très riche de la solennité de l’Épiphanie, dont l’origine remonte
aux premiers siècles, a inspiré le développement de multiples
traditions et de nombreuses expressions authentiques de la piété
populaire. Parmi ces dernières, il convient de citer:
- l’annonce solennelle
de la fête de Pâques et des principales fêtes de l’année; il est
opportun de favoriser son rétablissement, qui est déjà notable en
divers endroits, car elle aide les fidèles à mieux comprendre le
lien existant entre l’Épiphanie et Pâques, ainsi que l’orientation
de toutes les fêtes vers la solennité chrétienne la plus importante;
- L’échange des
"cadeaux de l’Épiphanie"; cette tradition s’inspire du récit
évangélique relatant les dons offerts par les Mages à l’enfant Jésus
(cf. Mt 2, 11) et, plus profondément, elle évoque le don fait par le
Père à l’humanité tout entière en la personne de l’Emmanuel, qui est
né parmi nous (cf. Is 7, 14; 9, 6; Mt 1, 23). Toutefois, il est
souhaitable que cet échange de cadeaux, à l’occasion de l’Épiphanie,
conserve son caractère religieux en reliant cette tradition à
l’évocation du récit évangélique: une telle référence explicite
contribuera à faire de ces cadeaux un geste de piété chrétienne, et
elle les détournera de certaines influences caractérisées par le
luxe, le faste et le gaspillage, qui sont étrangères à l’origine de
cette tradition;
- La bénédiction des
maisons, sur les portes desquelles les fidèles ont placé la croix du
Seigneur, le chiffre de l’année qui commence et les initiales des
noms traditionnels des saints Mages (C+M+B), qui sont aussi celles
de l’expression: "Christus mansionem benedicat", écrites avec de la
craie bénite. Ces gestes, qui sont accomplis en présence de nombreux
enfants accompagnés par les adultes, expriment le désir des fidèles
de recevoir la bénédiction du Christ par l’intercession des saints
Mages, et ils sont aussi l’occasion de recueillir des offrandes en
faveur des œuvres caritatives et missionnaires;
- Les gestes de
solidarité en faveur des hommes et des femmes qui, à l’exemple des
Mages, proviennent de pays lointains. Ainsi, la piété populaire
suscite chez les fidèles cette attitude d’accueil cordial et de
solidarité concrète à l’égard de tous hommes, qu’ils soient
chrétiens ou non.
- l’aide consentie à
l’évangélisation des peuples. Au niveau de la piété populaire, la
connotation missionnaire très forte de l’Épiphanie s’est traduite
par la multiplication d’initiatives en faveur des missions,
spécialement celles qui sont liées à "l’Œuvre missionnaire de la
Sainte Enfance" instituée par le Siège Apostolique;
- La désignation de
Saints Patrons. La coutume existe, dans de nombreuses communautés
religieuses et confréries, d’assigner à chacun de leurs membres, un
Saint, sous le patronage duquel il sera placé durant toute l’année.
119. Les
mystères du Baptême de Jésus et de la manifestation de sa mission,
lors des noces de Cana, sont étroitement liés à l’événement
salvifique de l’Épiphanie du Seigneur.
La fête du Baptême du
Seigneur, dont l’importance a été soulignée à une époque récente,
clôt le Temps de Noël; cela explique sans doute pourquoi elle ne
donne pas lieu à des expressions particulières de la piété
populaire. Elle peut néanmoins aider les fidèles à mieux prendre
conscience de la signification du baptême et, en particulier, de
leur propre naissance à la vie divine comme enfants de Dieu; il est
donc recommandé de promouvoir les initiatives suivantes: l’emploi du
Rite de l’aspersion d’eau bénite à toutes les messes de ce
dimanche, qui se célèbrent avec le concours du peuple; l’évocation
des thèmes et des symboles relatifs au baptême, au cours de
l’homélie et dans l’enseignement catéchétique.
120. Jusqu’en
1969, la fête du 2 février, qui est ancienne et d’origine orientale,
portait en Occident le nom de "purification de la bienheureuse
Vierge Marie", et elle concluait, en ce quarantième jour après la
Nativité du Seigneur, le temps liturgique de Noël.
Cette fête a toujours
eu un grand retentissement auprès des fidèles; en effet:
- ils participent
volontiers à la procession qui évoque l’entrée de Jésus dans le
Temple, et en premier lieu la rencontre du Fils avec Dieu le Père,
dans la demeure duquel il pénètre pour la première fois, ainsi que
sa rencontre avec Siméon et Anne. En Occident, cette procession,
dont le caractère pénitentiel s’était substitué à l’immoralité des
défilés païens, fut marquée par l’introduction du rite liturgique de
la bénédiction des cierges, allumés en l’honneur du Christ "lumière
pour éclairer les nations" (Lc 2, 32);
- ils se montrent
sensibles au geste accompli par la Vierge Marie, qui présente son
Fils dans le Temple et, qui, en obéissant à la Loi de Moïse, se
soumet au rite de la purification. La piété populaire a mis en
valeur cet épisode de la purification en le présentant comme un
témoignage de l’humilité de la Vierge Marie; c’est pourquoi le 2
février fut souvent considéré comme la fête de ceux qui
accomplissent d’humbles services dans l’Église.
121. La piété
populaire est sensible à l’événement, à la fois délibéré et
mystérieux, de la conception et de la naissance d’une vie nouvelle.
Les mères chrétiennes, en particulier, établissent sans peine une
relation entre, d’une part, la maternité de la Vierge Marie, qui est
la toute pure et la mère du Corps mystique, et, d’autre part, leur
propre maternité, tout en étant conscientes de certaines différences
importantes dues au caractère unique de la conception et de
l’enfantement de Marie: de fait, leur maternité s’inscrit aussi dans
le plan de Dieu et elles ont enfanté les futurs membres de ce même
Corps mystique. Cette intuition des mères chrétiennes, ainsi que
leur désir d’imiter le geste accompli par Marie (cf. Lc 2, 22-24),
ont inspiré le rite des relevailles, dont quelques éléments
reflétaient une vision négative de certains aspects de
l’accouchement.
Le Rituale Romanum
rénové prévoit la bénédiction d’une mère, soit avant, soit après
l’enfantement; il faut toutefois noter que la bénédiction
postérieure à l’accouchement ne peut être donnée que dans le cas où
la nouvelle mère n’a pas pu être présente à la cérémonie du baptême
de son enfant.
Il est néanmoins très
important que les mères et leurs proches parents, en demandant de
telles bénédictions, se conforment aux intentions de la prière de
l’Église, c’est-à-dire qu’elles aient lieu dans une communion de foi
et de charité, et dans la prière, afin que l’attente de l’enfant
s’effectue dans la joie (bénédiction avant l’enfantement) et avec le
désir de rendre grâces à Dieu pour le don reçu de lui (bénédiction
après l’enfantement).
122. Dans
certaines Églises locales, le 2 février est devenu la fête de ceux
qui se consacrent au service du Seigneur et de leurs frères dans les
diverses formes de la vie consacrée; cette signification
particulière provient de la valorisation de certains éléments du
récit évangélique de la fête de la Présentation du Seigneur (Lc 2,
22-40), comme, par exemple, l’obéissance de Joseph et de Marie à la
Loi du Seigneur, la pauvreté de ces saints époux et la virginité de
la Mère de Jésus.
123. La
célébration du 2 février doit conserver son caractère populaire,
tout en se conformant pleinement au sens authentique de la fête. Il
ne serait donc pas juste qu’en célébrant la Présentation du
Seigneur, la piété populaire obscurcisse le sens christologique de
cette fête, en insistant presqu’exclusivement sur ses aspects
mariologiques. Le fait qu’elle doive "être considérée [...] comme
une mémoire conjuguée du Fils et de la Mère" ne peut avoir pour
conséquence de favoriser une telle inversion de perspective. Ainsi,
le cierge béni, conservé dans les maisons, doit être pour les
fidèles le signe du Christ "lumière du monde", et donc un moyen
d’exprimer leur foi.
124. Le Carême
est le temps liturgique qui précède Pâques et prépare les fidèles à
célébrer cette solennité. C’est un temps d’écoute attentive de la
Parole de Dieu et de conversion, de préparation ou de rappel du
baptême, de réconciliation avec Dieu et avec les frères, et une
occasion de recourir plus fréquemment aux "diverses armes de la
pénitence chrétienne": la prière, le jeûne et l’aumône (cf. Mt 6,
1-6. 16-18).
Faute d’avoir pu
percevoir facilement les grands mystères de la foi exprimés par le
Carême, les expressions de la piété populaire répercutent peu les
valeurs et les thèmes principaux de ce temps liturgique: il convient
de citer, en particulier, le rapport entre le "signe des quarante
jours" et les sacrements de l’initiation chrétienne, ainsi que le
mystère de "l’exode" qui est présent tout au long de l’itinéraire du
Carême. En revanche, la tendance constante de la piété populaire à
évoquer les mystères de l’humanité du Christ, a incité les fidèles à
concentrer leur attention sur la Passion et la Mort du Seigneur.
125. Dans le
Rite romain, le début des quarante jours de pénitence est marqué par
le signe austère des cendres, qui caractérise la Liturgie du
Mercredi des Cendres. Ce signe a pour origine le rite antique au
cours duquel les pécheurs convertis se soumettaient à la pénitence
canonique; de fait, le geste qui consiste à se couvrir de cendres
signifie la reconnaissance de la fragilité et de la condition
mortelle de l’homme, qui ressent le besoin de se tourner vers la
miséricorde de Dieu pour obtenir de lui le salut. Ainsi, loin de le
réduire à un geste purement extérieur, l’Église a voulu le conserver
pour exprimer cette attitude de pénitence, à laquelle chaque baptisé
est appelé durant l’itinéraire du Carême. Il est donc nécessaire
d’aider les nombreux fidèles, qui viennent recevoir les cendres, à
comprendre le sens profond de ce geste, destiné à ouvrir leurs cœurs
à la conversion et au renouveau pascal.
En dépit de la
sécularisation de la société contemporaine, il faut expliquer
clairement au peuple chrétien que le Carême est un temps privilégié,
qui vise à orienter les âmes des fidèles vers les seules réalités
qui comptent vraiment. Cette attitude comporte l’engagement à suivre
l’Évangile et à lui conformer sa propre vie, ce qui se traduit par
l’accomplissement de bonnes œuvres, qui prennent la double forme
d’un renoncement à tout ce qui est superflu et luxueux, et de gestes
de solidarité envers les pauvres et tous ceux qui souffrent.
Les fidèles qui ne
s’approchent que rarement des sacrements de la Pénitence et de
l’Eucharistie savent bien que le temps du Carême et de Pâques est
lié au commandement de l’Église, issu d’une longue tradition, qui
leur impose de confesser au moins une fois par an leurs propres
péchés mortels et de recevoir la Sainte Communion, de préférence
durant le temps pascal.
126. Les
approches différentes de la Liturgie et de la piété populaire
concernant le Carême ne doivent pas constituer un obstacle pour
considérer le temps des "Quarante jours" comme un moment propice
permettant d’établir des relations étroites et fécondes entre ces
deux aspects du culte chrétien.
À titre d’exemple
destiné à illustrer cette interaction, la piété populaire privilégie
des jours et des pieux exercices bien précis, ainsi que des
activités apostoliques et caritatives déterminées, que la Liturgie
de Carême elle-même prévoit et recommande. La pratique du jeûne, qui
caractérise ce temps liturgique depuis les premiers siècles de
l’Église, est un "exercice" qui libère volontairement des désirs
liés à la vie sur cette terre; il permet donc de redécouvrir la
nécessité d’aspirer à la vie qui vient du ciel: "ce n’est pas
seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui
sort de la bouche de Dieu" (cf. Dt 8, 3; Mt 4, 4; Lc 4, 4; antienne
de la communion du premier Dimanche de Carême).
127. La fin de
l’itinéraire du Carême coïncide avec le commencement du Triduum
pascal, c’est-à-dire exactement à partir de la célébration de la
Messe in Cena Domini. Durant le Triduum pascal, le Vendredi
Saint, dédié à la célébration de la Passion du Seigneur, est le jour
par excellence de "l’Adoration de la sainte Croix".
Toutefois, la piété
populaire aime anticiper la vénération cultuelle de la Croix. De
fait, durant tout le temps du Carême, la piété des fidèles s’oriente
volontiers vers le mystère de la croix chaque vendredi qui, selon
une très antique tradition chrétienne, est le jour consacré à la
célébration de la mémoire de la Passion du Christ.
Les fidèles, en
contemplant le Sauveur crucifié, saisissent plus facilement la
signification de la souffrance illimitée et injuste que Jésus, le
Saint et l’Innocent, a subi pour le salut de l’homme, et ils
mesurent aussi beaucoup mieux la valeur unique et incomparable de
l’amour du Christ qui a manifesté sa proximité à l’égard de chaque
homme, ainsi que l’efficacité de son sacrifice rédempteur.
128. Les
expressions de dévotion envers le Christ crucifié, qui sont
nombreuses et variées, ont une importance particulière dans les
églises dédiées au mystère de la Croix, ou dans lesquelles sont
vénérées des reliques, considérées comme authentiques, du lignum
Crucis. Il est vrai que la "découverte de la sainte Croix", qui
remonte selon la tradition à la première moitié du IV siècle, et qui
fut suivie de la diffusion de parcelles très vénérées de cette même
Croix dans le monde entier, suscita un développement notable du
culte de la Croix.
Les manifestations de
dévotion, adressées au Christ crucifié, comprennent les éléments
habituels de la piété populaire, c’est-à-dire des chants et des
prières, ainsi que des gestes comme, par exemple, l’ostension de la
croix, sa vénération par un baiser, et aussi la procession et la
bénédiction avec la croix. Tous ces éléments s’insérent de manières
diverses dans le culte adressé au Christ crucifié, donnant lieu à un
certain nombre de pieux exercices, estimables à la fois pour la
valeur de leur contenu et de leur forme.
Il reste que la piété
envers la Croix a toujours besoin d’être éclairée. Il faut donc
montrer aux fidèles que la Croix se réfère avant tout à l’évènement
de la Résurrection: la Croix et le tombeau vide, la Mort et la
Résurrection du Christ sont inséparables dans le récit évangélique
et dans le plan de salut de Dieu. La foi chrétienne proclame que la
Croix est l’expression tangible du triomphe du Christ sur le pouvoir
des ténèbres; c’est pourquoi elle est souvent représentée couverte
de pierres précieuses, et elle est devenue un signe de bénédiction
quand elle est tracée sur soi-même ou sur d’autres personnes, et sur
des objets.
129. Les fidèles
ont volontiers mis en évidence certains aspects de la Passion du
Christ, qui sont devenus autant de dévotions particulières. Cette
attitude s’explique par la tendance, qui est propre à la piété
populaire, de spécifier et de différencier les divers éléments du
texte évangélique, qui, en l’occurrence, présente lui-même les
différents épisodes du récit de la Passion d’une manière détaillée.
Parmi ces dévotions liées à la Passion du Christ, on peut citer:
celle qui s’adresse à l’ "Ecce Homo", au Christ méprisé et torturé,
"portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre" (Jn 19, 5),
que Pilate présente au peuple; la dévotion aux saintes plaies du
Seigneur, en particulier celle qui s’adresse à la blessure de son
Cœur transpercé, et au sang jailli de ce Cœur et qui donne la vie;
l’évocation des instruments de la Passion, parmi lesquels la colonne
de la flagellation, l’escalier du prétoire, la couronne d’épines,
les clous, la lance qui transperça le côté du Christ, de même que le
saint suaire et le linceul de l’ensevelissement.
Ces diverses
expressions de la piété populaire, qui ont été promues dans certains
cas par des personnes réputées pour leur sainteté, sont légitimes.
Toutefois, afin d’éviter un morcellement excessif dans la
contemplation de l’unique mystère de la Croix, il convient de
souligner le caractère complexe de l’événement de la Passion en se
basant sur la tradition biblique et patristique.
130. L’Église
exhorte les fidèles à la lecture fréquente, individuelle et
communautaire, de la Parole de Dieu. Il ne fait aucun doute que,
dans l’ensemble de la Bible, les passages, qui narrent la Passion du
Seigneur, ont une valeur pastorale particulière, puisque, par
exemple, l’Ordo unctionis infirmorum eorumque pastoralis curae
suggère de lire, au moment de l’agonie du chrétien, le récit
tout entier, ou du moins quelques extraits, de cette Passion.
Durant le temps du
Carême, les communautés chrétiennes marqueront leur attachement au
Christ crucifié en témoignant leur prédilection pour la lecture de
la Passion du Seigneur, surtout le mercredi et le vendredi.
Une telle lecture,
d’une grande portée doctrinale, attire l’attention des fidèles sur
le contenu même du récit ou sur sa disposition générale, et elle
suscite en eux des sentiments de piété authentique, parmi lesquels
il convient de citer: le regret des fautes commises, qui provient de
leur perception que le Christ est mort pour la rémission des péchés
de tout le genre humain, et donc aussi de leurs propres péchés; la
compassion et la solidarité envers l’Innocent injustement persécuté;
le sentiment de gratitude envers Jésus pour l’amour infini dont,
durant sa Passion, ce Frère aîné a fait preuve envers tous les
hommes; l’engagement à suivre les exemples de douceur, de patience,
de miséricorde, de pardon des offenses et d’abandon confiant entre
les mains du Père, donnés par Jésus d’une manière à la fois
abondante et efficace durant sa Passion.
Lorsqu’elle est lue en
dehors de la célébration liturgique proprement dite, la Passion
pourra être opportunément "dramatisée" en faisant appel à divers
lecteurs correspondant aux différents personnages, et en intercalant
entre les différentes parties du récit des chants et des moments de
méditation silencieuse.
131. Parmi les
pieux exercices destinés à vénérer la Passion du Seigneur, peu sont
aussi estimés par les fidèles que la Via Crucis. Ce pieux
exercice leur permet de revivre avec une attention particulière
cette ultime étape du chemin parcouru par Jésus durant sa vie
terrestre: depuis le Mont des Oliviers, où dans "le domaine appelé
Gethsémani" (mc 14, 32), le Seigneur "fut saisi par l’angoisse" (Lc
22, 44), jusqu’au Mont du Calvaire où il fut crucifié entre deux
bandits (cf. Lc 23, 33), et au jardin où il fut déposé dans un
sépulcre neuf, creusé dans le roc (cf. Jn 19, 40-42).
Le témoignage de
l’attachement des fidèles chrétiens envers ce pieux exercice est
perceptible dans les innombrables Via Crucis qui sont érigées
aussi bien dans les églises, les sanctuaires et les cloîtres, qu’à
l’extérieur, dans la campagne ou sur les pentes des collines, qui
sont autant de lieux auxquels les diverses stations confèrent une
physionomie particulière.
132. La Via
Crucis peut être considérée comme la synthèse d’un certain
nombre de dévotions qui remontent au Moyen Âge: le pèlerinage en
Terre Sainte, durant lequel les fidèles se rendent sur les lieux
même de la Passion du Seigneur; l’évocation des "chutes du Christ"
sous le poids de la Croix et celle du "chemin de croix douloureux du
Christ", qui est marqué par une procession accomplie d’église en
église en mémoire des étapes parcourues par le Christ durant sa
Passion; la dévotion aux "stations du Christ", qui se réfèrent aux
différents endroits où le Christ fut contraint de s’arrêter au long
du chemin qui le conduisait au Calvaire, soit à cause de l’attitude
de ses bourreaux, soit du fait de l’épuisement de ses forces
physiques, ou encore, parce qu’il manifestait son amour envers les
hommes et les femmes, qui assistaient à sa Passion, en s’efforçant
d’établir un dialogue avec eux.
Dans sa forme actuelle,
déjà attestée dans la première moitié du XVII siècle, la Via
Crucis est constituée de quatorze stations; cette dévotion, qui
fut surtout diffusée par saint Leonardo da Porto Maurizio († 1751),
est approuvée par le Saint-Siège et enrichie d’indulgences.
133. La Via
Crucis est un chemin tracé par l’Esprit Saint, ce feu divin qui
brûlait dans le Cœur du Christ (cf. Lc 12, 49-50) et le poussait à
marcher vers le Calvaire; elle est aussi un chemin vénéré par
l’Église, qui a conservé le souvenir très vif des paroles et des
événements qui ont marqué les derniers jours de son Époux et
Seigneur.
De plus, des
expressions très variées, qui caractérisent la spiritualité
chrétienne, sont présentes dans le pieux exercice de la Via
Crucis: ainsi, la conception de la vie en tant que chemin ou
pèlerinage à accomplir, ou comme un passage, à travers le mystère de
la Croix, de l’exil de cette terre vers la patrie céleste; le désir
de s’unir profondément à la Passion du Christ; les exigences de la
sequela Christi, qui, pour le disciple, consiste à marcher
derrière le Maître, en portant chaque jour sa propre croix (cf. Lc
9, 23).
Toutes ces raisons
permettent d’afirmer que la Via Crucis est un exercice de
piété particulièrement adapté durant le temps du Carême.
134. Les
orientations suivantes sont destinées à accomplir le pieux exercice
de la Via Crucis d’une manière frutueuse:
- La forme
traditionnelle de la Via Crucis, avec ses quatorze
stations, doit être considérée comme la forme ordinaire et typique
de ce pieux exercice; toutefois, en certaines occasions, il peut
être permis de remplacer l’une ou l’autre des "stations" par
d’autres, qui évoquent certains épisodes du récit évangélique de ce
chemin douloureux accompli par le Christ, et qui ne font pas partie
de la forme traditionnelle.
- Il existe aussi
d’autres formes de la Via Crucis, qui sont, soit
approuvées par le Siège Apostolique, soit employées publiquement par
le Pontife Romain: celles-ci peuvent être employées selon
l’opportunité.
- La Via Crucis
est un pieux exercice qui évoque la Passion du Christ; toutefois, il
est opportun que sa conclusion permette aux fidèles d’ouvrir leur
cœur à l’attente, pleine de foi et d’espérance, de la résurrection;
c’est pourquoi, en prenant exemple sur la station à l’Anastasis
à la fin de la Via Crucis à Jérusalem, il est possible de
conclure le pieux exercice en évoquant la résurrection du Seigneur.
135. Les textes
de la Via Crucis sont innombrables. Ils ont été composés par
des pasteurs convaincus des fruits spirituels de ce pieux exercice,
auquel ils ont manifesté un sincère attachement; ces textes ont
aussi parfois pour auteurs de pieux fidèles laïcs, que leur
sainteté, leur doctrine ou leurs dons d’écrivains ont rendu
célèbres.
Le choix du texte de la
Via Crucis, tout en prenant en considération les indications
éventuelles des Évêques, devra être opéré en tenant compte à la fois
de la condition de ceux qui participent à ce pieux exercice, et du
principe pastoral consistant à associer d’une manière convenable la
continuité et l’innovation. Il reste que, dans tous les cas, le
choix devra toujours se porter de préférence sur les textes, qui
contiennent des citations bibliques judicieusement choisies, et qui
sont écrits dans un langage à la fois noble et simple.
Le fait d’accomplir la
Via Crucis d’une manière sage et équilibrée en alternant les
textes lus, le silence, les chants, la procession entre les stations
et les arrêts permettant la méditation, permet à ce pieux exercice
de porter tous ses fruits spirituels.
136. L’union du
Christ crucifié et de la Vierge des douleurs dans le projet de salut
de Dieu (cf. Lc 2, 34-35) a pour effet de les associer dans la
Liturgie et la piété populaire.
Tout comme le Christ
est "l’homme des douleurs" (Is 53, 3), par lequel il a plu à Dieu
"de tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les
cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix" (Col 1, 20),
Marie est aussi la "femme douloureuse", que Dieu a voulu associer à
son Fils comme une mère unie à sa Passion (socia passionis).
Dès l’enfance du Christ
et jusqu’à sa mort, la vie de la Vierge Marie fut associée au rejet
que subissait son Fils, et elle fut donc marquée tout entière par le
signe de l’épée, annoncée par Siméon (cf. Lc 2, 35). La piété du
peuple chrétien a donc distingué dans cette vie douloureuse de la
Mère, sept épisodes principaux, auxquels elle a donné le nom des
"sept douleurs" de la Vierge Marie.
Le pieux exercice de la
Via Matris dolorosa, ou plus simplement de la Via matris,
s’est formé sur le modèle de la Via Crucis, et il fut
approuvé par le Saint-Siège. Des ébauches de la Via Matris
existent depuis le XVI siècle, mais la forme actuelle de ce pieux
exercice ne remonte pas au-delà du XIX siècle. L’intuition
fondamentale de la Via Matrix est de présenter la vie entière
de la Vierge, depuis l’annonce prophétique de Siméon (cf. Lc 2,
34-35) jusqu’à la mort et la sépulture de son Fils, comme un chemin
de foi et de souffrances: il s’agit d’un chemin marqué par sept
"stations", qui correspondent aux "sept douleurs" de la Mère du
Seigneur.
137. Le pieux
exercice de la Via Matris s’harmonise bien avec certains
thèmes propres à l’itinéraire du Carême. De fait, étant donné que
les souffrances de la Vierge Marie ont été causées par le rejet du
Christ de la part des hommes, il est inévitable que la Via Matris
fasse constamment référence au mystère du Christ en tant que
serviteur souffrant du Seigneur (cf. Is 52, 13 - 53, 12), et rejeté
par son peuple (cf. Jn 1, 11; Lc 2, 1-7; 2, 34-35; 4, 28-29; Mt 26,
47-56; Ac 12, 1-5). De plus, ce pieux exercice renvoie aussi au
mystère de l’Église: les stations de la Via Matris
constituent, en effet, les étapes de ce chemin de foi et de
souffrances, sur lequel la Vierge Marie a précédé l’Église, et que
cette dernière devra suivre jusqu’à la consommation des siècles.
La "Piétà", qui est un
thème inépuisable de l’art chrétien depuis le Moyen Âge, peut être
considérée comme l’expression majeure de la Via Matris.
138. "Pendant la
Semaine Sainte, l’Église célèbre les mystères du salut accomplis par
le Christ les derniers jours de sa vie terreste, à partir de son
entrée messianique à Jérusalem".
L’implication du peuple
chrétien dans les rites de la Semaine Sainte est très forte; le rôle
de la piété populaire dans leur formation est donc tellement
importante que certains d’entre eux conservent des traces de leur
origine. Toutefois, au cours des siècles, les rites de la Semaine
Sainte se sont progressivement présentés sous la forme de deux
cycles parallèles: l’un de nature strictement liturgique, et l’autre
marqué par un certain nombre de pieux exercices, en particulier des
processions.
Une telle différence
devrait contribuer à la qualité de l’harmonisation entre les
célébrations liturgiques et les pieux exercices. En effet, il est
certain que, durant la Semaine Sainte, l’attention particulière
manifestée par le peuple envers des pieux exercices, auxquels il est
traditionnellement attaché, devrait conduire les fidèles à mieux
apprécier les actions liturgiques, grâce à l’apport spécifique des
actes de la piété populaire.
139. "La Semaine
Sainte commence avec le "Dimanche des Rameaux et de la Passion du
Seigneur", qui unit le présage du triomphe du Christ Roi et
l’annonce de sa Passion".
La procession qui
commémore l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem revêt un
caractère festif et populaire. Les fidèles aiment conserver chez
eux, ou dans les endroits où ils travaillent, les palmes, ou bien
les rameaux d’olivier ou d’autres arbres, qui ont été bénits et
portés durant la procession.
Toutefois, il est
nécessaire que les fidèles soient correctement instruits au sujet de
la véritable signification de cette célébration, afin qu’ils en
saisissent toute sa portée. Par exemple, il conviendra de leur
redire que le plus important est de participer à la procession
elle-même, et qu’il ne suffit donc pas de se procurer la palme ou le
rameau d’olivier; de plus, ceux-ci ne doivent pas être conservés en
guise d’amulettes, ou dans le seul but d’obtenir une guérison, ou
bien encore dans le but d’éloigner les esprits mauvais, c’est-à-dire
de protéger les maisons et les champs des dommages que ces esprits
pourraient leur causer; de telles attitudes relèveraient sans doute
de la superstition.
La palme et le rameau
d’olivier doivent avant tout être conservés comme un témoignage de
la foi dans le Christ, le roi messianique, et dans sa victoire
pascale.
140. Chaque
année, "durant le très saint Triduum de la crucifixion, de
l’ensevelissement et de la résurrection du Christ" ou Triduum
pascal, qui se situe entre la Messe de la Cène du Seigneur du soir
du Jeudi Saint et les Vêpres du Dimanche de la Résurrection,
l’Église célèbre, "uni au Christ, son Époux dans une intime
communion" les grands mystères de la Rédemption de l’humanité.
141. La piété
populaire est particulièrement sensible à l’adoration du
Saint-Sacrement, qui suit la célébration de la Messe de la Cène
du Seigneur. À la faveur d’un développement historique, dont les
diverses phases n’ont pas encore été totalement clarifiées, le lieu
du reposoir, où est placé le Saint-Sacrement,a été considéré de plus
en plus comme une évocation du "saint-sépulcre"; de fait, les
fidèles y venaient en grand nombre pour vénérer le corps de Jésus,
qui, après avoir été détaché de la Croix, avait été déposé dans le
tombeau, où il devait demeurer durant Quarante heures.
Il est nécessaire
d’éclairer les fidèles sur la vraie signification du reposoir: ce
geste de déposer le Saint-Sacrement au reposoir, qui doit être
accompli avec une austère solennité, est accompli essentiellement
dans le but de conserver le Corps du Seigneur en vue de la communion
des fidèles, durant l’Action liturgique du Vendredi Saint, ainsi que
pour la communion en Viatique des malades; il est aussi une
invitation à une adoration silencieuse et prolongée de
l’incomparable Sacrement qui a été institué en ce jour.
Il conviendra donc que
le lieu du reposoir ne soit pas qualifié de "sépulcre", et il faudra
veiller, au moment de sa préparation, à ne pas lui donner l’aspect
d’une sépulture: le tabernacle, en particulier, ne doit pas avoir la
forme d’un sépulcre ou d’une urne funéraire. Ainsi, le
Saint-Sacrement devra être conservé dans un tabernacle fermé, et il
ne sera donc jamais exposé dans un ostensoire.
En cette nuit du Jeudi
Saint, après minuit, l’adoration se fait sans solennité, puisque le
jour de la Passion du Seigneur a déjà commencé.
142. Le Vendredi
Saint, l’Église célèbre la Mort rédemptrice du Christ. Durant la
Liturgie de l’après-midi, elle médite donc sur la Passion de son
Seigneur, elle intercède pour le salut du monde, elle adore la Croix
et elle évoque sa propre origine, en se souvenant qu’elle est issue
du Cœur transpercé du Sauveur (cf. Jn 19, 34).
Parmi les
manifestations de la piété populaire du Vendredi Saint, outre la
Via Crucis, la procession évoquant la "mort du Christ" tient une
grande place. Cette dernière représente, avec les accents propres de
la piété populaire, le petit groupe des amis et des disciples de
Jésus qui, après avoir détaché son corps de la Croix, le portèrent
jusqu’au lieu où se trouvait le "sépulcre taillé dans le roc, où
personne encore n’avait été déposé" (Lc 23, 53).
L’atmosphère
particulière de la procession évoquant la "mort du Christ", qui est
caractérisée par l’austérité, le silence et la prière, permet aux
nombreux fidèles, qui y participent, de mieux percevoir les diverses
significations du mystère de la sépulture de Jésus.
143. Il est
nécessaire que de telles manifestations de la piété populaire, tant
du point du choix de l’horaire que de la manière de rassembler les
fidèles, n’apparaissent pas aux yeux de ces derniers comme des
éléments qui viendraient remplacer les célébrations liturgiques du
Vendredi Saint.
Dans le projet pastoral
du Vendredi Saint, il faudra donc veiller à accorder la première
place à la Liturgie solennelle qui doit être célébrée, tout en la
mettant particulièrement en valeur; il sera donc nécessaire de
montrer aux fidèles qu’aucun pieux exercice ne peut être préféré à
cette célébration et se substituer à elle.
Enfin, pour éviter de
se trouver en présence de célébrations hybrides, la procession
évoquant la "mort du Christ" ne doit pas être insérée dans le cadre
solennel de la Liturgie du Vendredi Saint.
144. En de
nombreux pays, la Semaine Sainte, et surtout le Vendredi Saint,
donnent lieu à des représentations de la Passion du Christ. Il
s’agit souvent de véritables "représentations sacrées", qu’il est
possible de considérer, à bon droit, comme des pieux exercices. De
fait, de telles représentations sacrées s’enracinent dans la
Liturgie elle-même. Certaines d’entre elles qui, sont nées, pour
ainsi dire, dans les sanctuaires monastiques, en suivant un
processus de dramatisation progressive, sont parvenues sur les
parvis des églises.
En de nombreux
endroits, la préparation et l’exécution de la représentation de la
Passion du Seigneur est confiée à des confréries, dont les membres
assument des obligations particulières de vie chrétienne. Durant les
représentations, les acteurs et les spectateurs sont unis dans une
même manifestation de foi et de piété authentiques. Il est très
souhaitable que les représentations sacrées de la Passion du
Seigneur demeurent des manifestations, durant lesquelles s’exprime
une piété sincère et gratuite, et qu’elles ne soient donc pas
dominées par des éléments folkloriques, qui font moins appel à
l’esprit religieux qu’à l’intérêt des touristes.
À l’occasion de ces
représentations sacrées, les fidèles doivent être instruits de la
différence essentielle qui existe entre, d’une part, la
"représentation" qui est une répétition commémorative d’une action
passée, et, d’autre part, "l’action liturgique", qui est une
anamnèse, c’est-à-dire la présence mystérieuse de l’événement unique
de la Passion, durant laquelle s’est accomplie la Rédemption de
l’humanité.
De même, il faut
rejeter toutes les pratiques pénitentielles consistant à se faire
clouer sur une croix.
145. À cause de
son importance doctrinale et pastorale, il est recommandé de ne pas
oublier d’évoquer "la mémoire des douleurs de la Bienheureuse Vierge
Marie". La piété populaire, en se référant au récit évangélique, a
mis en valeur l’association de la Mère à la Passion rédemptrice du
Fils (cf. Jn 19, 25-27; Lc 2, 34 s), et elle a donc suscité
différents pieux exercices, parmi lesquels il convient de citer:
- Le Planctus
Mariae, exprimé dans des œuvres litteraires et musicales
illustres, traduit d’une manière particulièrement intense la douleur
ressentie par la Vierge Martie, qui pleure non seulement à cause de
la mort de son Fils, innocent et saint, son bien le plus cher, mais
aussi à cause de l’égarement de son peuple et du péché de
l’humanité.
- L’Heure de la
"Desolata", durant laquelle les fidèles, avec des expressions de
dévotion intense, "tiennent compagnie" à la Mère du Seigneur,
demeurée seule, immergée dans une profonde douleur, après la mort de
son Fils unique; en contemplant la Pietà, c’est-à-dire la Vierge
serrant son Fils mort sur sa poitrine, ils comprennent qu’en la
personne de Marie se concentre la douleur de l’univers due à la mort
du Christ. De plus, Marie personnifie aussi toutes les mères qui,
tout au long de l’histoire, ont pleuré la mort d’un fils. Ce pieux
exercice qui, en certains endroits de l’Amérique latine, est appelé
El pésame, ne devra pas se limiter à exprimer des sentiments
humains face à la douleur d’une mère, mais, dans la foi en la
résurrection, il aidera à mieux comprendre la grandeur de l’amour
rédempteur du Christ, auquel sa Mère est associée.
146. "Le Samedi
Saint, l’Église demeure auprès du tombeau de son Seigneur, méditant
la Passion et la Mort du Christ, ainsi que sa descente aux enfers,
et elle attend sa Résurrection dans la prière et le jeûne."
La piété populaire ne
doit pas demeurer extérieure au caractère particulier du Samedi
Saint; c’est pourquoi les coutumes et les traditions de nature
festive qui caractérisaient cette journée, à une époque où la
célébration anticipée de la Résurrection était prescrite, doivent
être réservées à la nuit et au jour de Pâques.
147. La
tradition enseigne que Marie réunit en quelque sorte en sa personne
le corps de l’Église tout entière: elle est la "credentium collectio
universa". Ainsi, la Vierge Marie qui se tient près du sépulcre de
son Fils, selon les diverses représentations de la tradition
ecclésiale, est l’icône de l’Église Vierge, qui veille près du
tombeau de son Époux, dans l’attente de la célébration de la
Résurrection.
Cette intuition d’une
telle relation étroite entre Marie et l’Église provient du pieux
exercice appelé "l’Heure de la Mère": tandis que le corps du Fils
repose dans le sépulcre et que son âme est descendue aux enfers pour
annoncer aux ancêtres dans la foi, qui vivent encore dans l’ombre de
la mort, leur libération imminente, la Vierge, anticipant et
personnifiant l’Église, attend la victoire de son Fils sur la mort
en faisant preuve d’une foi inaltérable.
148. Le dimanche
de Pâques, qui est la plus grande solennité de l’année liturgique,
est marqué lui aussi par un certain nombre de manifestations de la
piété populaire: ce sont toutes des expressions cultuelles, qui
exaltent la vie nouvelle et la gloire du Christ ressuscité, ainsi
que la toute-puissance de Dieu qui jaillit de sa victoire sur le
péché et sur la mort.
147. La piété
populaire a eu l’intuition de la communion permanente du Fils avec
sa Mère, aussi bien dans la douleur et la mort, que dans la joie, à
l’heure de la résurrection.
L’affirmation de la
Liturgie, selon laquelle Dieu a comblé de joie la Vierge Marie par
la résurrection de son Fils, a été traduite et, en quelque sorte,
représentée par la piété populaire dans le pieux exercice de la
Rencontre de la Mère avec son Fils ressuscité: le matin de
Pâques deux processions, la première se formant autour de l’image de
la Mère douloureuse, et la seconde autour de celle du Christ
ressuscité, vont à la rencontre l’une de l’autre pour signifier que
la Vierge fut la première à participer pleinement au mystère de la
résurrection de son Fils.
La remarque déjà faite
à propos de la procession, qui évoque "la mort du Christ", vaut
aussi pour ce pieux exercice: son déroulement ne doit pas revêtir
une solennité équivalente, et encore moins supérieure à celle qui
caractérise les célébrations liturgiques du dimanche de Pâques, ni
donner lieu à des interférences inappropriées entre cette
manifestation de la piété populaire et la Liturgie.
La liturgie pascale est
marquée tout entière par la nouveauté: de fait, nouvelle est alors
la nature, puisque, dans l’hémisphère nord, la solennité de Pâques
coïncide avec le réveil du printemps; nouveaux sont le feu et l’eau;
et nouveaux sont les cœurs des chrétiens, renouvelés par le
sacrement de Pénitence, et comme cela est de bonne augure, par les
sacrements de l’Initiation chrétienne; nouvelle, en quelque sorte,
est aussi l’Eucharistie: tous ces éléments et ces signes sensibles
évoquent et transmettent la vie nouvelle inaugurée par le Christ
dans sa résurrection.
Parmi les pieux
exercices qui sont liés à l’événement pascal, il convient de citer
la traditionnelle bénédiction des œufs, qui est un symbole de la
vie, et la bénédiction de la table familiale; cette dernière est une
coutume traditionnelle et quotidienne dans de nombreuses familles
chrétiennes, qu’il convient d’encourager; de plus, le jour de
Pâques, elle revêt une signification toute particulière: le chef de
famille, ou un autre membre de la communauté domestique, bénit le
repas de fête en employant l’eau qui a été bénite durant la Vigile
pascale, et que les fidèles ont rapportée dans leurs demeures en
louant le Seigneur.
151. En certains
endroits, la fin de la veillée pascale, ou bien celle des deuxièmes
Vêpres de Pâques, sont marquées par un pieux exercice d’une courte
durée: des fleurs sont présentées pour être bénites, puis elles sont
distribuées aux fidèles comme un signe exprimant la joie pascale,
enfin l’image de la Vierge douloureuse est vénérée et couronnée,
tandis que les participants chantent le Regina caeli. Les
fidèles, qui s’étaient associés aux douleurs de la Vierge Marie
durant la Passion, manifestent ainsi, en communion avec elle, la
joie de la résurrection.
Ce pieux exercice, qui
ne doit pas être intercalé dans la Liturgie, reflète les divers
aspects du Mystère pascal, et il constitue une preuve supplémentaire
de la manière dont la piété populaire perçoit l’association de la
Mère à l’œuvre rédemptrice de son Fils.
152. La
bénédiction annuelle des familles, qui a lieu à leur domicile, se
déroule ordinairement durant le temps pascal, ou à d’autres moments
de l’année. Cette visite traditionnelle très appréciée par les
fidèles, que les curés et leurs collaborateurs sont vivement invités
à accomplir, constitue une occasion très précieuse pour ces derniers
de rappeler aux familles chrétiennes la présence constante de la
bénédiction de Dieu, et l’invitation à vivre en se conformant au
message de l’Évangile; cette démarche a donc pour but d’exhorter les
parents et les enfants à conserver et à développer le mystère de la
famille en tant qu’ "Église domestique".
153. À une
époque récente, un pieux exercice, dénommé Via lucis, s’est
répandu dans certaines régions. En prenant modèle sur la Via
Crucis, les fidèles, pendant la Via lucis, sont invités à
parcourir un itinéraire en considérant successivement les
différentes apparitions, qui permirent à Jésus - depuis sa
Résurrection jusqu’à son Ascension, et dans la perspective de la
Parousie - de manifester sa gloire à ses disciples, en attendant
qu’ils reçoivent l’Esprit Saint qu’il leur avait promis (cf. Jn 14,
26; 16, 13-15; Lc 24, 29), de conforter leur foi, de porter à leur
accomplissement ses nombreux enseignements sur le Royaume, et,
enfin, de définir la structure sacramentelle et hiérarchique de
l’Église.
Le pieux exercice de la
Via lucis permet aux fidèles d’évoquer l’événement central de
la foi - la Résurrection du Christ - et leur condition de disciples,
que le sacrement pascal du baptême a fait passer des ténèbres du
péché à la lumière de la grâce (cf. Col 1, 13; Ep 5, 8).
Pendant des siècles, la
Via Crucis, en permettant aux fidèles de participer à
l’événement initial du mystère pascal - la Passion -, a contribué à
fixer les divers aspects de son contenu dans la conscience du
peuple. À notre époque, d’une manière équivalente, la Via lucis
peut permettre de rendre présent auprès des fidèles le second
moment si vital de la Pâque du Seigneur, la Résurrection, à
condition que ce pieux exercice se déroule dans une grande fidélité
par rapport au texte évangélique.
On dit communément:
"per crucem ad lucem"; il est vrai que la Via lucis peut en
outre devenir une excellente pédagogie de la foi. De fait, la Via
lucis, avec la métaphore du chemin à parcourir, permet
aux fidèles de mieux comprendre l’itinéraire spirituel, qui part de
la constatation de la réalité de la souffrance, qui, selon le
dessein de Dieu, ne constitue pas le point d’ancrage définitif de la
vie humaine, et aboutit à l’espérance de rejoindre le vrai but
poursuivi par chaque homme: la libération, la joie, la paix, qui
sont des valeurs essentiellement pascales.
Enfin, dans une société
souvent marquée par l’angoisse et le néant, qui caractérisent la
"culture de la mort", la Via lucis constitue au contraire un
stimulant efficace permettant d’instaurer une "culture de la vie",
c’est-à-dire une culture ouverte aux attentes de l’espérance et aux
certitudes de la foi.
154. La dévotion
à la divine miséricorde, qui est liée à l’octave pascale, s’est
propagée à une époque récente, à partir des messages de la
religieuse, Sœur Faustine Kowalska, canonisée le 30 avril 2000; elle
est centrée sur la personne du Christ, mort et ressuscité, source de
l’Esprit Saint, qui pardonne les péchés et transmet la joie du
salut. Puisque la Liturgie du "deuxième Dimanche de Pâques ou de la
divine miséricorde"- comme il est désormais appelé - constitue le
réceptacle naturel où s’exprime l’accueil de la miséricorde du
Rédempteur de l’homme, les fidèles doivent donc être éduqués à
comprendre une telle dévotion à la lumière des célébrations
liturgiques de ces jours de Pâques. En effet, "le Christ de Pâques
est l’incarnation définitive de la miséricorde, son signe vivant:
signe du salut à la fois historique et eschatologique. Dans le même
esprit, la liturgie du temps pascal met sur nos lèvres les paroles
du Psaume: "Je chanterai sans fin les miséricordes du Seigneur" (Ps
89 (89), 2).
155. La Sainte
Écriture atteste que, durant les neuf jours qui séparent l’Ascension
de la Pentecôte, les apôtres "d’un seul cœur participaient
fidèlement à la prière, avec quelques femmes, dont Marie, la Mère de
Jésus, et avec ses frères" (Ac 1, 14), en attendant d’être "revêtus
d’une force venue d’en haut" (Lc 24, 49). Le pieux exercice de la
neuvaine de la Pentecôte est donc issu de la réflexion menée dans la
prière concernant ce mystère du salut, et il s’est propagé parmi les
fidèles.
Toutefois, il est
possible de constater qu’une telle "neuvaine" est déjà présente dans
le Missel et la Liturgie des Heures, surtout les Vêpres: les textes
bibliques et eucologiques font référence, de diverses manières, à
l’attente du Paraclet. C’est pourquoi, lorsque cela est possible, la
neuvaine de la Pentecôte peut consister dans la célébration
solennelle des Vêpres. Dans les lieux où une telle célébration n’est
pas possible, il faut faire en sorte que la neuvaine de la Pentecôte
respecte les thèmes liturgiques de chacun des jours, qui séparent
l’Ascension de la Vigile de la Pentecôte.
Dans certains endroits,
ces jours offrent l’occasion de célébrer la semaine de prières pour
l’unité des chrétiens.
156. Le temps
pascal se conclut, le cinquantième jour, avec le dimanche de la
Pentecôte, qui célèbre la venue de l’Esprit Saint sur les Apôtres
(cf. Ac 2, 1-4), les débuts de l’Église et le commencement de sa
mission dans toutes les langues auprès des divers peuples et
nations. Il convient de noter l’importance de la célébration de la
Messe de la Vigile, spécialement dans l’église cathédrale et aussi
dans les paroisses; de fait, celle-ci revêt le caractère d’une
prière intense et persévérante de la communauté chrétienne tout
entière, en s’inspirant de l’exemple des apôtres réunis dans une
prière unanime avec la Mère du Seigneur.
En exhortant à la
prière et à la mission, le mystère de la Pentecôte concerne aussi la
piété populaire, car celle-ci "est une démonstration continuelle de
la présence active de l’Esprit Saint dans l’Église. C’est lui qui
allume dans les cœurs la foi, l’espérance et l’amour, ces vertus
suprêmes qui donnent leur valeur à la piété chrétienne. C’est le
même Esprit qui ennoblit les formes si variées et si nombreuses par
lesquelles s’exprime le message chrétien, en accord avec la culture
et les coutumes propres à chaque lieu, à travers tous les siècles".
En employant des
formules bien connues, qui proviennent de la célébration de la
Pentecôte (Veni, Creator Spiritus, Veni, Sancte Spiritus) ou
à l’aide de supplications brèves (Emitte Spiritum tuum et
creabuntur...), les fidèles invoquent volontiers l’Esprit Saint,
en particulier lorsqu’ils commencent une activité ou un travail,
tout comme dans des situations difficiles à vivre. De même, le
troisième mystère glorieux du Rosaire est une invitation à méditer
la manifestation de l’Esprit Saint, le jour de la Pentecôte. De
plus, les fidèles sont coscients d’avoir reçu ce même Esprit Saint,
spécialement le jour de leur Confirmation, Esprit de sagesse et de
conseil qui les guide dans leur existence, Esprit de force et de
lumière qui les aide à prendre des décisions importantes et à
supporter les épreuves de la vie. Ils savent que, le jour de leur
baptême, leur corps est devenu le temple de l’Esprit Saint, et qu’il
doit donc être respecté et honoré, y compris dans la mort, et que,
au dernier jour, il ressuscitera par la puissance de l’Esprit Saint.
L’Esprit Saint, tout en
ouvrant nos cœurs à la communion avec Dieu dans la prière, nous
incite à nous tourner vers notre prochain avec des sentiments
authentiques de rencontre, de réconciliation, de témoignage, de
désir de justice et de paix, de renouveau moral, de vrai progrès
social et d’élan missionnaire. C’est dans cet esprit que, dans
certaines communautés, la Pentecôte est célébrée comme " une journée
de la souffrance pour les missions".
157. L’Église
célèbre la solennité de la Très Sainte Trinité le dimanche après la
Pentecôte. À la fin du Moyen Âge, la dévotion croissante des fidèles
à l’égard du mystère de Dieu Un et Trine, qui, depuis l’époque
carolingienne, avait occupé une place importante dans le domaine de
la piété privée et avait donné naissance à diverses expressions de
la piété liturgique, incita Jean XXII à étendre, en 1334, la fête de
la Trinité à toute l’Église latine. Cette décision eut à son tour
une influence déterminante dans l’apparition et le développement de
certains pieux exercices.
En ce qui concerne les
diverses formes qu’emprunte la piété populaire pour évoquer
l’incomparable Trinité, qui est "le mystère central de la foi et de
la vie chrétienne", il est sans doute moins important de présenter
tel ou tel pieux exercice en particulier, que de souligner à leur
propos que toute forme authentique de piété chrétienne doit avoir
pour référence incontournable le seul vrai Dieu Un et Trine,
c’est-à-dire "le Père tout-puissant et son Fils unique et l’Esprit
Saint". Tel est le mystère de Dieu, qui a été révélé dans le Christ
et par le Christ. Telle est sa manifestation dans l’histoire du
salut. Celle-ci, en effet, n’est autre que "l’histoire de la voie et
des moyens par lesquels le Dieu vrai et unique, Père, Fils et
Saint-Esprit, se révèle, se réconcilie et s’unit les hommes qui se
détournent du péché".
Il existe effectivement
un grand nombre de pieux exercices qui ont un aspect et une
dimension trinitaire. La plus grande partie d’entre eux débutent
avec le signe de la croix, accompagné des paroles: "au nom du Père
et du Fils et du Saint-Esprit"; or c’est cette même forme qui est
employée lors du baptême des disciples de Jésus (cf. Mt 28, 19), au
moment où commence pour chacun d’entre eux une vie de communion
intime avec Dieu, en tant que fils du Père, frères du Fils incarné
et temples de l’Esprit Saint. D’autres pieux exercices, qui adoptent
des formes semblables à celles de l’actuelle Liturgie des Heures,
s’ouvrent en rendant "Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit".
D’autres encore s’achèvent par la bénédiction donnée au nom des
trois Personnes divines. Et il existe aussi de nombreux exercices
qui, en s’inspirant du schéma typique de la prière liturgique, sont
adressés "au Père par le Christ et dans l’Esprit", et présentent
donc des formules doxologiques inspirées des textes liturgiques.
158. Le culte
représente le dialogue de Dieu avec l’homme par le Christ et dans
l’Esprit Saint; une telle affirmation est déjà présente dans la
première partie de ce Directoire. Il est donc nécessaire que
l’orientation trinitaire soit aussi un élément constant de la piété
populaire. Ainsi, il convient d’aider les fidèles à prendre
conscience que les pieux exercices en l’honneur de la bienheureuse
Vierge Marie, des Anges et des Saints ont comme finalité ultime le
Père, de qui tout procède et vers qui tout conduit; de même que le
Fils, le Verbe incarné, mort et ressuscité, unique médiateur (cf. 1
Tm 2, 5), sans lequel il est impossible d’accéder au Père (cf. Jn
14, 6), et enfin l’Esprit Saint, seule source de grâce et de
sanctification. Il est important d’écarter le risque d’entretenir
l’idée d’une "divinité" qui fasse abstraction des Personnes Divines.
159. Parmi les
pieux exercices qui s’adressent directement à Dieu Un et Trine, il
est important de mentionner, en plus de la brève doxologie (Gloire
au Père et au Fils et au Saint-Esprit) et de la doxologie
développée (Gloire à Dieu au plus haut des cieux...), le
Trisagion biblique (Saint, Saint, Saint), et liturgique (Dieu
Saint, Saint Fort, Saint Immortel, aie pitié de nous), très
répandu en Orient et dans certains pays, ordres et congrégations de
l’Occident.
Le Trisagion
liturgique, qui s’inspire d’autres chants composés à partir du
Trisagion biblique - comme, par exemple, le Sanctus de la
célébration eucharistique, de l’hymne du Te Deum, et
des Impropères du rite de l’adoration de la Croix du Vendredi
Saint, qui proviennent eux-mêmes de Isaïe 6, 3 et de Apocalypse 4, 8
-, est un pieux exercice durant lequel les participants prient, unis
aux puissances angéliques, en glorifiant de façon réitérée le Dieu
Saint, Fort et Immortel, avec des expressions de louange tirées de
la divine Écriture et de la Liturgie.
160. Le jeudi
qui suit la solennité de la Très Sainte Trinité, l’Église célèbre la
solennité du Très Saint Corps et Sang du Seigneur. La Fête-Dieu,
étendue à toute l’Église par le pape Urbain IV, en 1264, constitua,
d’une part, une réponse de la foi et du culte aux doctrines
hérétiques concernant le mystère de la présence réelle du Christ
dans l’Eucharistie, et, d’autre part, elle représenta le
couronnement d’un mouvement de dévotion ardente envers
l’incomparable Sacrement de l’autel.
La piété populaire
participa donc activement au processus qui aboutit à l’institution
de la fête du Corpus Domini; et cette dernière, à son tour,
fut la cause et le motif de l’apparition de nouvelles formes de
piété eucharistique dans le peuple de Dieu.
Pendant des siècles, la
célébration du Corpus Domini fut le principal point de
convergence de la piété populaire avec l’Eucharistie. Aux XVI et
XVII siècles, la foi, ravivée par la nécessité de réagir contre les
négations du mouvement protestant, et la culture - c’est-à-dire les
arts, la littérature et le folklore - ont toutes deux concouru à
rendre les multiples expressions de la piété populaire envers le
mystère de l’Eucharistie à la fois particulièrement vivantes et
significatives.
161. La dévotion
eucharistique, qui est tellement enracinée dans le peuple de Dieu,
doit toutefois être éduquée, afin de mettre en évidence ces deux
réalités fondamentales:
- la Pâque du Seigneur
est le point de référence suprême de la piété eucharistique; la
Pâque chrétienne, est, de fait, selon l’enseignement des Pères, la
fête de l’Eucharistie, tout comme, inversement, l’Eucharistie est
avant tout la célébration du mystère pascal, constitué par la
Passion, la Mort et la Résurrection de Jésus;
- toute forme de
dévotion eucharistique a une relation intrinsèque avec le Sacrifice
eucharistique, soit parce qu’elle est une préparation à sa
célébration, soit parce qu’elle constitue un prolongement des
aspects cultuels et existentiels présents dans cette même
célébration.
Le Rituel Romain
déclare à ce propos: "Lorsque les fidèles adorent le Christ présent
dans le Sacrement, ils doivent se rappeler que cette présence dérive
du sacrifice et tend à la communion sacramentelle en même temps que
spirituelle".
162. La
procession de la solennité du Corps et du Sang du Christ est en
quelque sorte la "forme typique" des processions eucharistiques.
Elle constitue, en effet, un prolongement de la célébration de
l’Eucharistie: aussitôt après la Messe, l’Hostie, qui a été
consacrée pendant la célébration, est portée en procession en dehors
de l’église afin que le peuple chrétien "rende un témoignage public
de foi et de piété envers le Saint-Sacrement".
Les fidèles comprennent
et manifestent une grande estime pour les valeurs exprimées dans la
procession du Corpus Domini: ils prennent conscience qu’ils
font partie de ce "peuple de Dieu", qui chemine avec son Seigneur,
et qui proclame sa foi en celui qui est vraiment le
"Dieu-avec-nous".
Toutefois, il est
nécessaire que les normes qui régissent le déroulement des
processions eucharistiques soient observées, en particulier celles
qui garantissent la dignité et le respect dû au Saint-Sacrement; de
même, il est tout aussi nécessaire que les éléments typiques de la
piété populaire, comme l’ornementation des rues et des fenêtres,
l’hommage floral, les autels où sera déposé le Saint-Sacrement
durant les haltes de la procession, les chants et les prières,
"visent à ce que tous manifestent leur foi au Christ et ne
s’occupent que du Seigneur", en écartant toutes formes de
compétition.
163. Les
processions eucharistiques se concluent ordinairement avec la
bénédiction du Saint-Sacrement. Dans le cas spécifique de la
procession du Corpus Domini, la bénédiction constitue la
conclusion solennelle de la procession tout entière: la bénédiction
habituelle du prêtre est remplacée par la bénédiction du
Saint-Sacrement.
Il est important que
les fidèles comprennent que la bénédiction du Saint-Sacrement n’est
pas une forme de piété eucharistique qui se suffirait à elle-même,
mais qu’elle constitue la conclusion d’une célébration cultuelle
suffisamment prolongée. La norme liturgique interdit donc
"l’exposition faite uniquement pour donner la bénédiction".
164. L’adoration
du Saint-Sacrement est une expression du culte chrétien envers
l’Eucharistie, qui est particulièrement répandue, et que l’Église
recommande vivement aux Pasteurs et aux fidèles.
Sa forme primitive peut
être reliée à l’adoration qui suit la célébration de la Messe in
Cena Domini du Jeudi Saint, devant les saintes Espèces déposées
au reposoir. Cette adoration constitue une expression très élevée de
la relation qui existe entre la célébration du mémorial du sacrifice
du Seigneur et sa présence permanente dans les Espèces consacrées.
La conservation des saintes Espèces, qui est motivée avant tout par
la nécessité de pouvoir en disposer dans le but d’administrer le
Viatique aux malades, a fait naître chez les fidèles l’habitude tout
à fait louable de se recueillir devant le tabernacle pour adorer le
Christ présent dans le Saint-Sacrement.
En effet, "la foi en la
présence réelle conduit connaturellement à la manifestation
extérieure et publique de cette même foi. (...) Aussi, la piété qui
pousse les fidèles à se rendre près de la sainte Eucharistie les
entraîne-t-elle à participer plus profondément au mystère pascal et
à répondre avec reconnaissance au don de Celui qui, par son
humanité, ne cesse de répandre la vie divine dans les membres de son
Corps. Demeurant près du Christ Seigneur, ils jouissent de
l’intimité de sa familiarité et, près de lui, ils lui ouvrent leur
cœur pour eux-mêmes et pour tous les leurs, prient pour la paix et
le salut du monde. Offrant leur vie entière au Père avec le Christ
dans l’Esprit Saint, ils puisent à cet admirable échange une
augmentation de leur foi, de leur espérance et de leur charité. Ils
nourrissent donc ainsi les vraies dispositions leur permettant, avec
la dévotion convenable, de célébrer le Mémorial du Seigneur et de
recevoir fréquemment ce Pain qui nous est donné par le Père".
165. L’adoration
du Saint-Sacrement, vers laquelle convergent des formes liturgiques
et des expressions de la piété populaire, dont il est difficile de
déterminer les limites, peut revêtir diverses modalités:
- la simple visite du
Saint-Sacrement présent dans le tabernacle est une rencontre de
courte durée avec le Christ, inspirée par la foi dans sa présence,
et caractérisée par la prière silencieuse.
- l’adoration du
Saint-Sacrement exposé, selon les normes liturgiques, dans
l’ostensoir ou la pyxide, pour une durée brève ou prolongée;
- l’adoration désignée
sous le nom d’Adoration perpétuelle, ainsi que celle dite des
Quarante Heures, qui mobilisent une communauté religieuse tout
entière, ou une association eucharistique, ou encore une communauté
paroissiale, et qui sont des occasions de mettre en valeur de
nombreuses expressions de la piété eucharistique.
Pendant ces moments
d’adoration, il conviendra d’aider les fidèles à recourir à la
Sainte Écriture, qui est un livre de prières incomparable, à
employer des chants et des prières adaptés, à se familiariser avec
quelques éléments simples de la Liturgie des Heures, à suivre le
rythme de l’Année liturgique, et à demeurer dans la prière
silencieuse. Ils comprendront ainsi progressivement qu’ils ne
doivent pas insérer des pratiques de dévotion en l’honneur de la
Vierge Marie et des Saints durant l’adoration du Saint-Sacrement.
Toutefois, à cause du lien étroit qui unit Marie au Christ, la
méditation des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption du
Rosaire peut contribuer à donner à la prière une orientation
profondément christologique.
166. Le vendredi
qui suit le deuxième dimanche après la Pentecôte, l’Église célèbre
la solennité du Sacré-Cœur de Jésus. De nombreuses expressions de
piété, qui s’ajoutent à la célébration liturgique, s’adressent au
Cœur du Christ. Il ne fait aucun doute, en effet, que, parmi les
expressions de la piété ecclésiale, la dévotion au Cœur du Sauveur a
été et demeure l’une des plus répandues et des plus estimées.
L’expression "Cœur de
Jésus", entendue dans le sens contenu dans la divine Écriture,
désigne le mystère même du Christ, c’est-à-dire la totalité de son
être, ou le centre intime et essentiel de sa personne: Fils de Dieu,
sagesse incréée; Amour infini, principe du salut et de
sanctification pour toute l’humanité. Le "Cœur du Christ"
s’identifie au Christ lui-même, Verbe incarné et rédempteur; dans
l’Esprit Saint, le Cœur de Jésus est orienté, par nature, avec un
amour infini à la fois divin et humain, vers le Père et vers les
hommes, ses frères.
167. La dévotion
au Cœur du Christ a des fondements solides dans la Sainte Écriture,
ainsi que les Pontifes Romains l’ont souvent rappelé.
Jésus, qui ne fait
qu’un avec le Père (cf. Jn 10, 30), invite ses disciples à vivre en
communion intime avec lui, à accueillir sa personne et ses paroles
comme des références normatives qui doivent inspirer leurs propres
comportements, et il se révèle comme un maître "doux et humble de
cœur" (Mt 11, 29). Il est possible d’affirmer que, en un certain
sens, la dévotion au Cœur du Christ est l’expression cultuelle de ce
regard que, selon la parole prophétique et évangélique, toutes les
générations chrétiennes portent vers Celui qui a été transpercé (cf.
Jn 19, 37; Za 12, 10), c’est-à-dire vers le Cœur du Christ,
transpercé par la lance, d’où jaillirent le sang et l’eau (cf. Jn
19, 34), qui sont les signes de "l’admirable Sacrement de toute
l’Église".
De même, le texte
johannique, qui narre la scène où le Christ montre ses mains et son
côté à ses disciples (cf. Jn 20, 20), et celle qui présente la
demande, que Thomas adresse au Christ, de pouvoir étendre sa main
pour la placer dans son côté (cf. Jn 20, 27), a exercé une influence
importante sur l’origine et le développement de la piété envers le
Sacré-Cœur de la pert des fidèles de l’Église.
168. Ces textes
et d’autres encore, qui présentent le Christ comme l’Agneau pascal,
certes immolé, mais aussi victorieux (cf. Ap 5, 6), ont fait l’objet
d’une méditation assidue de la part des Saints Pères, qui en
dévoilèrent les richesses doctrinales, et qui, dès lors, invitèrent
les fidèles à approfondir le mystère du Christ en entrant par la
porte ouverte de son Cœur. Ainsi, saint Augustin déclare: "l’entrée
est accessible grâce au Christ qui en est la porte. Celle-ci s’est
ouverte pour toi aussi, quand son Cœur fut ouvert par la lance.
Souviens-toi de ce qui en jaillit, et choisis donc par où tu peux
entrer. Du côté du Seigneur qui mourait sur la croix, le sang et
l’eau jaillirent, au moment où son Cœur fut ouvert par la lance.
L’eau te procure la purification et le sang la rédemption".
169. Le Moyen
Âge a été une époque particulièrement féconde pour le développement
de la dévotion envers le Sacré-Cœur du Sauveur. Des hommes célèbres
pour leur sainteté et leur doctrine, comme saint Bernard († 1153) et
saint Bonaventure († 1274), et des mystiques comme sainte Lutgarde
(† 1246), sainte Mathilde de Magdebourg († 1282), les saintes
religieuses Mathilde († 1299) et Gertrude († 1302) du monastère de
Helfte, Ludolphe de Saxe († 1378), sainte Catherine de Sienne (†
1380) approfondirent le mystère du Cœur du Christ, en qui ils virent
un "refuge", auprès duquel il est possible de refaire ses forces, le
foyer de la miséricorde, le lieu de la rencontre avec Jésus, le
Sauveur, la source de l’amour infini du Seigneur, la fontaine d’où
surgit l’eau vive du Saint-Esprit, la vraie terre promise et le
véritable paradis.
170. À l’époque
moderne, le culte rendu au Cœur du Sauveur connut de nouveaux
développements. En un temps marqué par le jansénisme, qui insistait
sur les rigueurs de la justice divine, la dévotion au Cœur du Christ
constitua une antidote efficace, qui contribua à susciter chez les
fidèles l’amour du Seigneur et la confiance dans son infinie
miséricorde, dont le Cœur est à la fois le gage et le symbole. Parmi
les nombreux saints et saintes qui ont été des apôtres insignes de
la dévotion du Sacré-Cœur, il convient de citer: saint François de
Sales († 1622), qui adopta comme norme de vie et d’apostolat
l’attitude fondamentale, qui est celle du Cœur du Christ,
caractérisée par l’humilité, la mansuétude (cf. Mt 11, 29), l’amour
tendre et miséricordieux; sainte Marguerite-Marie Alacoque († 1690),
à qui le Seigneur dévoila à plusieurs reprises les richesses de son
Cœur; saint Jean Eudes († 1680), qui promut le culte liturgique du
Sacré-Cœur; saint Claude la Colombière († 1682) et saint Jean Bosco
(† 1888).
171. Les formes
de dévotions au Cœur du Sauveur sont très nombreuses; certaines ont
été explicitement approuvées et fréquemment recommandées par le
Siège Apostolique. Parmi ces dernières, on peut citer:
- la consécration
personnelle, qui, selon Pie XI, "parmi toutes les pratiques se
référant au culte du Sacré-Cœur, est sans conteste la principale
d’entre elles";
- la consécration de
la famille, qui permet au foyer familial, tout en étant déjà
associé au mystère d’unité et d’amour entre le Christ et l’Église en
vertu du sacrement de mariage, de s’offrir sans partage au Seigneur
afin qu’il puisse régner dans le cœur de chacun de ses membres;
- les Litanies du
Cœur de Jésus, approuvées en 1891 pour toute l’Église, dont
l’inspiration est éminemment biblique, et qui ont été enrichies par
l’octroi d’indulgences.
- l’acte de
réparation est une prière formulée par le fidèle, qui, en se
souvenant de la bonté infinie du Christ, désire implorer sa
miséricorde et réparer les nombreuses et diverses offenses qui
blessent son Cœur rempli de douceur.
- La pratique des
neuf premiers vendredis du mois, qui a pour origine la "grande
promesse" faite par Jésus à sainte Marguerite-Marie Alacoque. À une
époque où la communion sacramentelle des fidèles était très rare, la
pratique des neuf premiers vendredis du mois contribua d’une manière
significative à la reprise de la pratique plus fréquente des
sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie. À notre époque, la
dévotion des neuf premiers vendredis du mois, si elle est pratiquée
d’une manière adéquate sur le plan pastoral, peut encore apporter
des fruits spirituels indéniables. Il reste qu’il est nécessaire que
les fidèles soient convenablement instruits sur les points suivants:
tout d’abord, il convient de ne pas pratiquer cette dévotion avec
une confiance qui ressemblerait plutôt à de la vaine crédulité, car,
dans l’ordre du salut, une telle attitude a pour effet de supprimer
les exigences incontournables, qui dérivent d’une foi vivante, et de
détourner l’attention du fidèle de l’obligation de mener une vie
conforme à l’Évangile; ensuite, il faut réaffirmer la place
absolument prédominante du dimanche, le "jour de fête primordial",
qui doit être marqué par la pleine participation des fidèles à la
célébration eucharistique.
172. La dévotion
à l’égard du Sacré-Cœur constitue, dans l’histoire, une expression
majeure de la piété de l’Église envers le Christ Jésus, son Époux et
son Seigneur; elle comporte une attitude fondamentale constituée par
la conversion et la réparation, l’amour et la gratitude,
l’engagement apostolique et la consécration au Christ et à son œuvre
de salut. C’est pourquoi le Siège Apostolique et les Évêques la
recommandent et en promeuvent le renouveau dans ses expressions
linguistiques et iconographiques, dans la prise de conscience de ses
racines bibliques et de sa relation avec les principales vérités de
la foi, et dans l’affirmation du primat de l’amour envers Dieu et le
prochain, en tant que contenu essentiel de la dévotion elle-même.
173. La piété
populaire tend à identifier une dévotion avec sa représentation
iconographique. Ce phénomène, qui est normal, a sans doute des
aspects positifs, mais il peut aussi donner lieu à quelques
inconvénients: un modèle iconographique, qui ne correspond plus au
goût des fidèles, peut conduire à une dépréciation de l’objet même
de la dévotion, indépendamment de son fondement théologique et des
éléments qui constituent son contenu historico-salvifique.
Ce fait a pu être
vérifié dans le domaine de la dévotion à l’égard du Sacré-Cœur:
certaines images picturales, parfois mièvres, s’avèrent inadaptées
pour exprimer la solidité du contenu théologique de cette dévotion,
et elles n’encouragent donc pas les fidèles à s’approcher du mystère
du Cœur du Sauveur.
À notre époque, la
tendance à représenter le Sacré-Cœur au moment de la Crucifixion est
bien accueillie, parce que cette image exprime au plus haut degré
l’amour du Christ. Le Sacré-Cœur s’identifie au Christ crucifié,
dont le côté, ouvert par la lance, laisse jaillir le sang et l’eau
(cf. Jn 19, 34).
174. Le
lendemain de la solennité du Sacré-Cœur, l’Église célèbre la mémoire
du Cœur Immaculé de Marie. La proximité de ces deux célébrations est
déjà en elle-même, au niveau liturgique, un signe de leur connexion
étroite: le mysterium du Cœur du Sauveur s’imprime et se
reflète dans le Cœur de sa Mère, qui est donc associée à ce mystère
tout en demeurant dans sa condition de disciple. De même que la
solennité du Sacré-Cœur célèbre l’ensemble des mystères du salut
accomplis par le Christ, en les synthétisant et en les ramenant à
leur source - qui, de fait, est le Cœur -, ainsi la mémoire du Cœur
Immaculé de Marie est la célébration complète de l’union du Cœur de
la Mère à l’œuvre de salut de son Fils: depuis l’incarnation jusqu’à
la mort et à la résurrection, et au don de l’Esprit Saint.
La dévotion au Cœur
Immaculé de Marie s’est beaucoup répandue à la suite des apparitions
de la Vierge Marie à Fatima, en 1917. À l’occasion de leur 25ème
anniversaire, en 1942, Pie XII consacra l’Église et l’humanité au
Cœur Immaculé de Marie, et, en 1944, la fête du Cœur Immaculé de
Marie fut étendue à toute l’Église.
Les expressions de la
piété populaire envers le Cœur Immaculé de Marie se calquent sur
celles qui s’adressent au Sacré-Cœur du Christ, tout en maintenant
la distance infranchissable entre le Fils, vrai Dieu, et la Mère,
dans sa condition de créature: il convient de citer, en particulier,
la consécration personnelle des fidèles, de même que celle des
familles, des communautés religieuses et des nations; la réparation,
accomplie au moyen de la prière, la mortification et les œuvres de
miséricorde; la pratique des Cinq premiers samedis du mois.
Il faut noter que les
observations faites à propos des Neuf premiers vendredis
s’appliquent à la communion sacramentelle des Cinq premiers
samedis consécutifs: il s’agit, en particulier, de la nécessité
d’évaluer à sa juste mesure le signe de ces cinq premiers samedis,
et de la manière adéquate de s’approcher de la communion dans le
contexte de la célébration de l’Eucharistie; ainsi, cette dévotion
doit être considérée comme une occasion propice pour vivre
intensément, avec une attitude inspirée de celle de la Vierge Marie,
le Mystère pascal qui se célèbre dans l’Eucharistie.
175. Dans le
contexte de la révélation biblique, c’est-à-dire aussi bien dans les
figures de l’Ancien Testament que dans la phase d’accomplissement et
de perfectionnement apportés par le Nouveau Testament, le sang est
intimement lié à la vie et donc, par antithèse, à la mort, avec les
thèmes de l’exode et de la Pâque, du sacerdoce et des sacrifices
cultuels, de la rédemption et de l’alliance.
Les figures
vétérotestamentaires relatives au sang et à sa valeur dans l’ordre
du salut trouvent leur parfait accomplissement dans le Christ,
surtout dans sa Pâque, c’est-à-dire dans sa mort et sa résurrection.
Le mystère du sang du Christ se situe donc au cœur même de la foi et
du salut.
Les principaux passages
de la Bible, qui illustrent le mystère du salut exprimé par le sang,
sont les suivants:
- l’événement de
l’incarnation du Verbe (cf. Jn 1, 14), et le rite de l’insertion du
nouveau-né Jésus dans le peuple de l’Ancienne Alliance, au moyen de
la circoncision (cf. Lc 2, 21);
- la figure biblique de
l’Agneau, particulièrement riche tant du point de vue du contenu que
des diverses implications qu’elle comporte: ainsi, la figure de cet
"Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde" (Jn 1, 29. 36), sur
laquelle se fixe l’image du "Serviteur souffrant" d’Isaïe 53, qui
porte sur lui les souffrances et le péché de l’humanité (cf. Is 53,
4-5); c’est aussi la figure de "l’Agneau pascal" (cf. Ex 12, 1; Jn
12, 36), symbole de la rédemption d’Israël (cf. Ac 8, 31-35; 1 Co 5,
7; 1 P 1, 18-20);
- le "calice de la
passion", dont parle Jésus, en faisant allusion à l’imminence de sa
mort rédemptrice, en particulier lorsqu’il pose la question suivante
aux fils de Zébédée: "pouvez-vous boire au calice que je vais boire
?" (Mt 20, 22; cf. Mc 10, 38), et le calice de l’agonie, celui du
jardin des oliviers (cf. Lc 22, 42-43), qui est marqué par la sueur
de sang (cf. Lc 22, 44);
- le calice de
l’Eucharistie qui, sous le signe du vin, contient le sang de la
nouvelle et éternelle Alliance, versé pour la rémission des péchés,
et qui est à la fois le mémorial de la Pâque du Seigneur (cf. 1 Co
11, 25), et la boisson du salut selon les paroles du Maître: "celui
qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et moi je le
ressusciterai au dernier jour" (Jn 6, 54);
- l’événement de la
mort du Christ, car par son sang versé sur la croix, Jésus donne la
paix au ciel et sur la terre (cf. 1 Col 1, 20);
- le coup de lance qui
transperce l’Agneau immolé, dont le côté ouvert laisse jaillir le
sang et l’eau (cf. Jn 19, 34), signe tangible de l’accomplissement
de la Rédemption, et expression de la vie sacramentelle de l’Église
- l’eau et le sang s’appliquant respectivement au Baptême et à
l’Eucharistie -, symbole aussi de l’Église, née du Cœur transpercé
du Christ endormi sur la croix.
176. Le mystère
du sang versé par Jésus se relie aux titres christologiques
suivants: tout d’abord celui de Rédempteur: le Christ, en
effet, nous a rachetés de l’esclavage antique avec son sang innocent
et précieux (cf. 1 P 1, 19) et "nous purifie de tout péché" (1 Jn 1,
7); puis celui de souverain Prêtre "des biens à venir", parce
que le Christ "entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, non
pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux, mais avec son
propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle" (He 9,
11-12); celui de Témoin fidèle (cf. Ap. 1, 5), vengeur du
sang des martyrs (cf, Ap 6, 10) qui "furent immolés pour la Parole
de Dieu et le témoignage qu’ils avaient rendu" (Ap 6, 9); celui de
Roi, qui, étant Dieu, "règne par le bois de la croix", orné
de la pourpre de son propre sang; enfin, celui d’Époux et d’Agneau
de Dieu, dans le sang duquel les membres de la communauté
ecclésiale - c’est-à-dire son Épouse - ont lavé leurs vêtements (cf.
Ap 7, 14; Ep 5, 25-27).
177. Du fait de
l’importance particulière du sang rédempteur, son évocation occupe
une place centrale et essentielle dans la célébration du culte:
avant tout, au cœur même de l’assemblée eucharistique, où l’Église
adresse à Dieu le Père, en action de grâces, le "calice de
bénédiction" (1 Co 10, 16; cf. 115-116, 13) et le présente aux
fidèles comme le sacrement de la vraie "communion au sang du Christ"
(cf. 1 Co 10, 16), puis,tout au long de l’Année liturgique. En
effet, l’Église évoque le mystère du Sang du Christ, non seulement
au cours de la solennité du Corps et du Sang du Seigneur (le Jeudi
qui suit la solennité de la Très Sainte Trinité), mais aussi à
l’occasion de nombreuses autres célébrations, si bien que la
célébration cultuelle du Sang versé pour notre rachat (cf. 1 P 1,
18) est présente durant toute l’Année liturgique. Ainsi, par
exemple, durant le temps de Noël, durant l’office des Vêpres,
l’Église, en se tournant vers le Christ, chante: "Nos quoque, qui
sancto tuo / redempti sumus sanguine, / ob diem natalis tui/
hymnum novum concinimus". Toutefois, surtout durant le Triduum
pascal, la valeur et l’efficacité rédemptrices du Sang du Christ
sont des motifs de célébration et d’adoration constantes de la part
des fidèles. Le Vendredi Saint, durant l’adoration de la Croix,
l’Église chante: "Mite corpus perforatur, sanguis unde
profluit; / terra, pontus, astra, mundus quo lavantur flumine !"; et
elle chante le jour même de Pâques: "Cuius corpus sanctissimum/ in
ara crucis torridum,/ sed et cruorem roseum/ gustando, deo
vivimus".
Dans certains lieux et
Calendriers particuliers, la fête du Très Précieux Sang du Christ
est encore célébrée le 1 juillet: elle évoque les différents titres
du Rédempteur.
178. La dévotion
à l’égard du Sang du Christ, présente dans le culte liturgique, est
passée dans la piété populaire, où elle a trouvé un large espace et
de nombreuses expressions. Parmi ces dernières, on peut citer:
- la Couronne du
Précieux Sang du Christ, constituée de lectures bibliques et de
prières, permet aux fidèles de méditer sur les "sept effusions du
sang" du Christ, qui sont explicitement ou implicitement évoquées
dans les Évangiles: le sang versé lors de la circoncision, dans le
jardin des oliviers, lors de la flagellation, du couronnement
d’épines, de la montée au Calvaire, au moment de la crucifixion, et
du coup de lance qui transperça le côté du Christ;
- les Litanies du
Sang du Christ: le formulaire actuel a été approuvé par le pape
Jean XXIII le 24 février 1960; il contient des éléments historiques
se rapportant au mystère du salut, et il est émaillé de nombreuses
références bibliques;
- l’Heure
d’adoration du précieux Sang du Christ, qui revêt des formes
très variées, tout en poursuivant un but unique: la louange et
l’adoration du Sang du Christ présent dans l’Eucharistie, l’action
de grâces pour les bienfaits de la Rédemption, la prière
d’intercession pour obtenir la miséricorde et le pardon, et
l’offrande du précieux Sang pour le bien de l’Église;
- La Via Sanguinis:
ce pieux exercice, institué récemment, a pour lieu d’origine, pour
des raisons d’ordre anthropologique et culturel, l’Afrique, où il
est aujourd’hui très répandu dans les communautés chrétiennes.
Durant la Via Sanguinis, les fidèles, en se rendant d’un
endroit à un autre comme dans la Via Crucis, revivent les
différents épisodes de la vie du Seigneur Jésus, durant lesquels ce
dernier versa son Sang pour notre rédemption.
179. La dévotion
envers le Sang du Seigneur, versé pour notre salut, et la prise de
conscience de sa valeur immense, ont favorisé la diffusion de
représentations iconographiques, qui ont été bien accueillies par
l’Église. Celles-ci sont essentiellement de deux sortes: d’une part,
celles qui se réfèrent à la coupe eucharistique contenant le sang de
l’Alliance nouvelle et éternelle, et, d’autre part, celles qui
montrent le sang rédempteur jaillissant des mains, des pieds et du
côté du Christ crucifié. Parfois, le sang inonde abondamment la
terre, comme un torrent de grâces qui lave les péchés; parfois, cinq
anges, se tenant près de la croix, tendent un calice dans lequel ils
recueillent le sang, qui jaillit de chacune des cinq plaies; il
arrive que ce même rôle soit rempli par un personnage féminin, qui
représente alors l’Église, l’Épouse de l’Agneau.
180. Durant le
Temps ordinaire, la solennité de l’Assomption de la bienheureuse
Vierge Marie (15 août) se détache en raison de ses multiples
significations d’ordre théologique. Cette célébration de la Mère du
Seigneur, qui remonte aux premiers siècles de l’Église, rassemble et
unit de nombreuses vérités de la foi. En effet, l’Assomption de la
Vierge Marie dans le ciel rappelle que:
- la Vierge Marie
apparaît comme "le fruit le plus excellent de la Rédemption", le
témoignage suprême de l’amplitude et de l’efficacité de l’œuvre de
salut opérée par le Christ (signification sotériologique);
- l’Assomption
constitue le gage de la participation future de tous les membres du
Corps mystique à la gloire pascale du Ressuscité (aspect
christologique);
- l’Assomption est pour
tous les hommes "la confirmation consolante que se réalisera
l’espérance finale: cette glorification totale est en effet le
destin de tous ceux que le Christ a fait frères, ayant avec eux "en
commun le sang et la chair" (He 2, 14; cf. Ga 4, 4)" (aspect
anthropologique);
- la Vierge Marie est
l’icône eschatologique de tout ce que l’Église "désire et espère
être tout entière" (aspect ecclésiologique);
- Elle est enfin la
preuve vivante de la fidélité du Seigneur à sa promesse: en effet,
celui-ci a préparé à son humble Servante une récompense magnifique
en réponse à son adhésion fidèle au projet divin, c’est-à-dire une
destinée de plénitude et de bonheur éternel, de glorification de son
âme immaculée et de son corps virginal, et de parfaite configuration
à son Fils ressuscité (aspect mariologique).
181. La piété
populaire est très sensible à la fête mariale du 15 août. De fait,
en de nombreux endroits, elle est considérée comme la fête par
antonomase de la Vierge, car elle est connue sous le nom de "jour de
sainte Marie", ou comme l’Immaculée pour l’Espagne ou pour
l’Amérique latine.
Dans les pays de
culture germanique, la coutume s’est répandue de bénir des herbes
aromatiques, le 15 août. Cette bénédiction, qui fut accueillie à une
certaine époque dans le Rituale Romanum, constitue un exemple
incontestable d’une évangélisation adéquate des rites et des
croyances pré-chrétiennes: pour obtenir ce que les païens désiraient
en recourant aux rites magiques, en particulier atténuer les
dommages dus aux plantes nuisibles et accroître l’efficacité des
herbes curatives, il est indispensable de se tourner vers Dieu,
puisque, c’est par sa Parole que "la terre produisit l’herbe, les
plantes qui portent leurs semences [...] et les arbres qui donnent,
selon leur espèce, le fruit qui porte sa semence" (Gn 1, 12).
De même, il est
possible de rattacher, pour une part, à cette même démarche
d’inculturation, l’usage antique d’attribuer à la Sainte Vierge, en
s’inspirant de la Sainte Écriture, des symboles et des titres
empruntés au monde végétal, comme ceux de la vigne, de l’épi, du
cèdre et du lys, et de voir en elle une fleur odoriférante pour ses
vertus et plus encore le "rameau sorti de la souche de Jessé" (Is
11, 1), qui a généré le fruit béni, Jésus.
182. En se
conformant à la prière suivante de Jésus: "Que tous ils soient un,
comme toi, Père tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en
nous eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé" (Jn 17,
21), l’Église invoque, à chaque Eucharistie, le don de l’unité et de
la paix. De plus, dans la partie concernant les Messes célébrées à
des intentions et pour des circonstances diverses, le même Missel
Romain contient trois formulaires de Messes "pour l’unité des
chrétiens". Cette intention particulière est aussi présente dans les
intercessions de la Liturgie des Heures.
Afin de respecter les
diverses sensibilités de "nos frères séparés", les expressions de la
piété populaire doivent elles aussi tenir compte des exigences de
l’œcuménisme. En effet, "la conversion des cœurs et la sainteté de
vie, unies aux prières publiques et privées pour l’unité des
chrétiens, doivent être regardées comme l’âme de tout l’œcuménisme
et peuvent à bon droit être appelées œcuménisme spirituel". Ainsi,
un autre moment privilégié de rencontre entre les catholiques et les
chrétiens appartenant à d’autres Églises ou Communautés ecclésiales,
peut être constitué par la prière commune des chrétiens, afin
d’obtenir la grâce de l’unité, pour présenter à Dieu les nécessités
et les préoccupations communes, ou bien encore pour rendre grâces à
Dieu et implorer son aide. "La prière commune est particulièrement
recommandée pendant la "Semaine de prières pour l’unité des
chrétiens", ou pendant la période qui s’écoule entre l’Ascension et
la Pentecôte". La prière pour l’unité des chrétiens est aussi
enrichie par des indulgences.
183. La piété
populaire, à la fois variée dans ses expressions et profonde dans
ses motivations, qui s’adresse à la Vierge Marie, est un fait
ecclésial remarquable et universel. Elle jaillit de la foi et de
l’amour du peuple de Dieu envers le Christ, Rédempteur du genre
humain, et de la compréhension de la mission que, dans l’ordre du
salut, Dieu a confiée à Marie de Nazareth; la Vierge Marie n’est
donc pas seulement la Mère du Seigneur et du Sauveur, mais elle est
aussi, sur le plan de la grâce, la Mère de tous les hommes.
De fait, "les fidèles
comprennent facilement le lien vital qui unit le Fils à la Mère. Ils
savent que le Fils est Dieu, et que elle, la Mère, est aussi leur
mère. Ils en déduisent la sainteté immaculée de la Vierge et, tout
en la vénérant comme une reine glorieuse dans le ciel, ils sont
certains que Marie, très miséricordieuse, intercède en leur faveur;
ils invoquent donc sa protection avec une grande confiance. Les plus
pauvres sentent particulièrement sa proximité. Ils savent qu’elle
connut comme eux la pauvreté, qu’elle souffrit beaucoup, et qu’elle
fit preuve de patience et de douceur. Ils ressentent à son égard de
la compassion pour la douleur qu’elle éprouva au moment de la
crucifixion et de la mort de son Fils, et ils se réjouissent avec
elle pour la résurrection de Jésus. Ils célèbrent avec joie ses
fêtes, ils participent volontiers aux processions organisées en son
honneur et ils se rendent en pèlerinage dans les sanctuaires qui lui
sont consacrés, ils aiment chanter ses louanges et ils lui offrent
leurs hommages en formulant des vœux. Enfin, ils ne tolèrent pas
qu’on l’offense et ils prennent spontanément sa défense contre ceux
qui refusent de l’honorer".
L’Église elle-même
exhorte tous ses fils - les ministres sacrés, les religieux et les
fidèles laïcs - à développer leur piété personnelle et communautaire
à l’aide des pieux exercices, qu’elle approuve et recommande. En
effet, le culte liturgique, nonobstant son importance objective et
sa valeur irremplaçable, son efficacité exemplaire et son aspect
normatif, n’épuise pas toutes les possibilités mises en œuvre par le
peuple de Dieu pour exprimer sa vénération envers la sainte Mère du
Seigneur.
184. Les
relations entre la Liturgie et la piété populaire mariale doivent
être établies à la lumière des principes et des normes, qui ont été
énoncés à plusieurs reprises dans le présent document. Il reste que,
par rapport à la piété mariale du peuple de Dieu, la liturgie doit
toujours apparaître comme une "forme exemplaire", une source
d’inspiration, un point de référence constant et un but ultime.
185. Toutefois,
il convient de rappeler brièvement quelques dispositions que le
Magistère de l’Église a promulguées au sujet des pieux exercices
relatifs à la Vierge Marie. Il faut en tenir compte dans le travail
de composition de nouveaux pieux exercices, ou lorsqu’il est
nécessaire de procéder à la révision de ceux qui existent déjà, ou,
simplement, dans le cadre de leur application dans les célébrations
cultuelles. L’attention des Pasteurs à l’égard de cette catégorie de
pieux exercices doit être proportionnelle à leur importance; de
fait, ces derniers sont, d’une part, le fruit et l’expression de la
piété mariale d’un peuple ou d’une communauté de fidèles, et,
d’autre part, ils constituent à leur tour la cause et un facteur non
négligeable dans l’élaboration de la "physionomie mariale" des
fidèles, c’est-à-dire de ce "style" particulier qui caractérise la
piété des fidèles envers la bienheureuse Vierge Marie.
186. La
disposition fondamentale du Magistère au sujet de ces pieux
exercices est qu’ils doivent être orientés vers "ce centre du culte
unique appelé à bon droit chrétien, car c’est du Christ qu’il
trouve son origine et son efficacité, c’est dans le Christ qu’il
trouve sa pleine expression et c’est par le Christ que, dans
l’Esprit, il conduit au Père". Ainsi, les pieux exercices célébrés
en l’honneur de la Vierge Marie doivent comporter les
caractéristiques communes suivantes, même si celles-ci peuvent
varier en fonction des particularités propres de chacun d’entre eux:
- ils expriment la note
trinitaire qui distingue et qualifie le culte rendu à Dieu, Père,
Fils et Saint-Esprit, révélé dans le Nouveau Testament, de même que
l’élément christologique, qui est une composante essentielle de ce
culte et met en lumière la médiation unique et nécessaire du Christ,
ainsi que sa dimension pneumatologique, puisque toute forme
authentique de piété provient de l’Esprit et qu’elle est accomplie
dans l’Esprit; enfin, ils soulignent le caractère ecclésial du culte
chrétien: en effet, les baptisés, qui forment le peuple de Dieu,
prient ensemble au nom du Seigneur (cf. Mt 18, 20) et ils sont unis
dans la Communion des Saints;
- ils se réfèrent
constamment à la Sainte Écriture, interprétée dans le cadre de la
sainte Tradition; tout en se conformant à la profession de la foi
catholique dans son intégralité, ils respectent les exigences du
mouvement œcuménique; ils considèrent avec attention les aspects
anthropologiques des expressions cultuelles, de telle sorte que ces
dernières soient bien le reflet d’une conception juste et vraie de
la personne humaine, et qu’elles correspondent à ses exigences; ils
mettent en évidence la dimension eschatologique de l’existence, qui
est essentielle dans le message de l’Évangile; enfin, ils illustrent
le caractère missionnaire de l’Église, et donc l’obligation de
témoigner qui incombe aux disciples du Seigneur.
187. Les pieux
exercices célébrés en l’honneur de la Vierge Marie sont presque tous
liés à une fête liturgique inscrite dans le Calendrier général du
Rite Romain, ou dans les Calendriers particuliers des diocèses ou
des familles religieuses.
Il arrive que, parfois,
le pieux exercice précède l’institution de la fête (c’est le cas du
saint Rosaire), parfois aussi la fête est de loin antérieure au
pieux exercice (comme pour l’Angelus Domini). Une telle
constatation permet de mettre en évidence le rapport existant entre
la Liturgie et les pieux exercices, et aussi le fait que ces
derniers atteignent leur point culminant dans la célébration de la
fête. La fête, parce qu’elle fait partie de la Liturgie, se rapporte
à l’histoire du salut, et elle célèbre un aspect de l’association de
la Vierge Marie au mystère du Christ. Elle doit donc être célébrée
en observant les normes liturgiques, et en respectant la hiérarchie
existant entre les "actes liturgiques" et les "pieux exercices", qui
leur sont associés.
De surcroît, une fête
de la bienheureuse Vierge Marie, en tant que manifestation
populaire, comporte des valeurs de nature anthropologique qui ne
doivent pas être négligées.
188. Parmi les
jours plus particulièrement dédiés à la Vierge Marie, le samedi
occupe une place particulière, puisqu’il a été élevé au rang de
mémoire de sainte Marie. Cette mémoire remonte certainement à
l’époque carolingienne (IX siècle), mais on ignore les motifs pour
lesquels le samedi fut choisi, à cette époque, comme un jour dédié à
la Vierge Marie. Il est vrai que de nombreuses explications furent
données par la suite, même si ces dernières ne satisfont pas
entièrement les spécialistes de l’histoire de la piété populaire.
De nos jours, tout en
faisant abstraction de ses origines historiques incertaines,
certaines valeurs propres à cette mémoire sont fréquemment mises en
évidence avec juste raison: "la spiritualité contemporaine est plus
sensible aux différents aspects qui appartiennent à l’être même de
cette célébration: la mémoire de la fidélité inébranlable de
la "bienheureuse Vierge Marie qui, en tant que mère et disciple,
durant le "grand samedi", au moment où le Christ gisait dans le
tombeau, demeurait forte uniquement grâce à sa foi et son espérance,
seule au milieu des disciples, dans l’attente confiante de la
Résurrection du Seigneur"; le prélude et l’introduction
à la célébration du dimanche, en tant que fête primordiale et
mémoire hebdomadaire de la Résurrection du Christ; le signe,
avec son rythme hebdomadaire, que la "Vierge Marie est constamment
présente et active dans la vie de l’Église".
De même, la piété
populaire est sensible à la valorisation du samedi, ce jour dédié à
la sainte Vierge Marie. Il n’est pas rare que les statuts de
certaines communautés religieuses et associations de fidèles
prévoient de rendre un hommage particulier à la Mère du Seigneur,
chaque samedi, en prescrivant quelques pieux exercices composés
spécialement pour ce jour précis.
189. Il est
fréquent de préparer et de faire précéder une fête, dont la
célébration est un moment culminant, par un triduum, un septénaire
ou une neuvaine. Ces "temps et ces modes d’expression propres à la
piété populaire" doivent être accomplis en harmonie avec les "temps
et les modes d’expression propres à la Liturgie".
Les triduums, les
septénaires et les neuvaines peuvent non seulement favoriser
l’élaboration de nouveaux pieux exercices en l’honneur de la
bienheureuse Vierge Marie, mais ils peuvent aussi aider les fidèles
à mieux comprendre la place et le rôle que celle-ci occupe dans le
mystère du Christ et de l’Église.
En effet, les pieux
exercices, loin de demeurer étrangers aux acquis progressifs, qui
proviennent de la recherche biblique et théologique au sujet de la
Mère du Sauveur, doivent devenir, sans modifier leur nature propre,
des moyens catéchétiques en vue de la présentation et de la
diffusion de ces divers éléments doctrinaux.
Les triduums, les
septénaires et les neuvaines peuvent être considérés comme une vraie
préparation à la fête mariale, s’ils contribuent à stimuler les
fidèles dans leur résolution de s’approcher des sacrements de la
Pénitence et de l’Eucharistie, et d’approfondir leur vie chrétienne,
en suivant l’exemple de la Vierge Marie, qui fut le premier et le
plus parfait disciple du Christ.
Dans certaines régions,
les apparitions de La Vierge Marie à Fatima inspirent aux fidèles
des rencontres de prières mariales, qui ont lieu le 13 de chaque
mois.
190. Au sujet de
la pratique du mois particulièrement dédié à la Vierge Marie, qui
est répandue dans de nombreuses Églises, tant de l’Orient que de
l’Occident, il est opportun de rappeler des orientations
essentielles.
En Occident, les mois
dédiés à la Vierge Marie, surgis à une époque, où les références à
la Liturgie en tant que forme normative du culte chrétien étaient
peu abondantes, se sont développés parallélement au culte
liturgique. Cette situation a engendré des problèmes de caractère
liturgico-pastoral, qui demeurent encore et qui, du fait de leur
importance, méritent d’être évalués très soigneusement.
191. En se
limitant à l’évocation de la coutume occidentale de célébrer un
"mois marial" en mai (en novembre, dans certains pays de
l’hémisphère sud), il est opportun de tenir compte à la fois des
exigences de la Liturgie, des diverses attentes des fidèles, et de
leur maturation dans la foi, et il convient aussi d’étudier
l’ensemble des problèmes, que pose cette pratique des "mois de
Marie", dans le cadre de la "pastorale d’ensemble" de l’Église
locale; ainsi, il est nécessaire de remédier aux situations, qui
sont marquées par des orientations contradictoires au niveau
pastoral, et qui ont pour effet de désorienter les fidèles, comme
cela pourrait advenir, par exemple, en présence d’initiatives visant
à la suppression du "mois de Marie".
Dans la plupart des
cas, la solution la plus opportune vise à harmoniser les éléments du
"mois marial" avec le temps de l’Année liturgique, dans lequel il se
situe. Ainsi, par exemple, durant le mois de mai, qui coïncide en
grande partie avec les cinquante jours du temps liturgique de
Pâques, les pieux exercices doivent mettre en évidence la
participation de la Vierge Marie au mystère pascal (cf. Jn, 19,
25-27) et à l’événement de la Pentecôte (cf. Ac 1, 14), qui inaugure
le chemin de l’Église, c’est-à-dire un itinéraire qu’elle-même, en
participant à la nouveauté inaugurée par le Ressuscité, parcourt
sous la conduite de l’Esprit Saint. Et puisque cette période des
"cinquante jours" est le temps liturgique particulièrement consacré
à la célébration et à la mystagogie des sacrements de l’initiation
chrétienne, les pieux exercices du mois de mai peuvent utilement
mettre en évidence la place éminente que la Vierge Marie, glorifiée
dans le ciel, occupe sur la terre, "ici et maintenant", dans la
célébration des sacrements du Baptême, de la Confirmation et de
l’Eucharistie.
Il est nécessaire, dans
tous les cas, de se conformer très soigneusement à la directive de
la Constitution
Sacrosanctum Concilium,
selon laquelle "on orientera les esprits des fidèles avant tout vers
les fêtes du Seigneur, par lesquelles se célèbrent pendant l’année
les mystères du salut", auxquels il est certain que la bienheureuse
Vierge Marie a été associée.
Il est sans doute
opportun de dispenser un enseignement catéchétique aux fidèles, dans
le but de les convaincre que le dimanche, mémoire hebdomadaire de la
Pâque, est vraiment "le jour de fête primordial". Enfin, en tenant
compte du fait que, dans la Liturgie Romaine, les quatre semaines de
l’Avent constituent un temps marial, qui est inséré d’une manière
harmonieuse dans l’Année liturgique, il faut aider les fidèles à
découvrir et à mettre en évidence, d’une manière convenable, les
nombreuses références à la Mère du Seigneur, qui sont proposées
durant toute cette période.
192. Le présent
document n’a pas pour objet d’énoncer la liste exhaustive des pieux
exercices recommandés par le Magistère. Il convient néanmoins de
mentionner ceux qui méritent une attention particulière, afin de
proposer quelques indications relatives à leur déroulement, et
suggérer éventuellement quelques améliorations.
193. La
directive conciliaire, selon laquelle il convient de favoriser la
"célébration sacrée de la parole de Dieu" à certains moments
particulièrement significatifs de l’Année liturgique, peut trouver
une application appropriée dans les célébrations cultuelles
destinées à honorer la Mère du Verbe incarné. Des initiatives de ce
genre correspondent parfaitement à la ligne générale de la piété
chrétienne; de plus, elles illustrent la conviction, selon laquelle
le fait de se comporter vis-à-vis de la Parole de Dieu, en prenant
modèle sur la Vierge Marie, est déjà un excellent hommage qui peut
lui est être rendu (cf. Lc 2, 19. 51). Dans le cadre des pieux
exercices, comme durant les célébrations liturgiques, les fidèles
doivent écouter avec foi la Parole, l’accueillir avec ferveur et la
conserver dans leur cœur; ils doivent aussi la méditer et savoir la
défendre par leur propre parole; ils sont tenus de la mettre
fidèlement en pratique et de lui conformer toute leur vie.
194. "Les
célébrations de la Parole, à cause des nombreuses possibilités qui
sont offertes sur les plans thématique et structurel, contiennent
des éléments multiples qui favorisent l’organisation de ce genre de
rencontres; celles-ci constituent à la fois une illustration de la
piété authentique des fidèles et un moment approprié en vue de
développer une catéchèse systématique sur la Vierge Marie.
Toutefois, l’expérience déjà acquise dans ce domaine permet de
constater qu’il faut veiller à ne pas considérer les célébrations de
la Parole, sous un aspect principalement intellectuel ou
exclusivement didactique; elles doivent, en revanche, - par les
cantiques, les prières et les autres modes de participation des
fidèles - réserver une juste place aux moyens d’expressions, simples
et familiers, de la piété populaire, qui s’adressent immédiatement
au cœur de l’homme".
195. En méditant
la traditionnelle prière de l’Angelus Domini trois fois par
jour, à l’aube, le midi et au crépuscule, les fidèles font mémoire
du message de Dieu, transmis à la Vierge Marie par l’archange saint
Gabriel. L’Angelus se réfère donc à l’événement central du
salut: selon le dessein du Père, le Verbe de Dieu, par l’action de
l’Esprit Saint, s’est fait homme dans le sein de la Vierge Marie.
La prière de l’Angelus
est profondément enracinée dans la piété du peuple chrétien, et
son usage est encouragé par l’exemple que donnent les Pontifes
Romains eux-mêmes. Si dans certains endroits, les transformations
des conditions de vie ne favorisent pas le maintien ou la diffusion
de la prière de l’Angelus, en de nombreux autres lieux, les
empêchements sont de mineure importance; ainsi, aucun moyen ne doit
être négligé pour maintenir bien vivante cette pieuse coutume, et
pour encourager sa diffusion; on peut donc au moins suggérer la
prière de trois Ave Maria. La prière de l’Angelus par
"sa structure simple, son caractère biblique [...], son rythme quasi
liturgique, qui sanctifie divers moments de la journée, son
ouverture au mystère pascal [...], font que, à des siècles de
distance, elle conserve inaltérée sa valeur et intacte sa
fraîcheur".
"Il est donc
souhaitable que, en quelques occasions, surtout dans les communautés
religieuses, dans les sanctuaires dédiés à la bienheureuse Vierge
Marie, au cours de certaines rencontres, l’Angelus Domini
[...] soit solennisé, par exemple, par le chant des Ave Maria,
et par la proclamation de l’évangile de l’Annonciation", ainsi
que la sonnerie des cloches.
196. Durant le
temps pascal, en se conformant à la disposition du pape Benoît XIV
(20 avril 1742), la célèbre antienne du Regina cæli remplace
la prière de l’Angelus Domini. Le Regina cæli, dont
l’origine date probablement des X-XI siècles, réussit à unir le
mystère de l’incarnation du Verbe (le Christ, que tu as porté
dans ton sein) et l’événement pascal (il est ressuscité,
comme il l’avait promis), tandis que "l’invitation à la joie"
(Réjouissez-vous), que la communauté ecclésiale adresse à la
Mère de Jésus pour la Résurrection de son Fils, se rattache à
"l’invitation à la joie" ("Réjouis-toi, comblée de grâce", Lc 1,
28), que Gabriel adresse à l’humble Servante du Seigneur, appelée à
devenir la mère du Messie sauveur.
En se référant aux
suggestions énoncées ci-dessus à propos de l’Angelus, il
convient parfois de solenniser le Regina cæli, non seulement
en chantant l’antienne, mais encore en proclamant l’évangile de la
Résurrection.
197. Le Rosaire
ou Psautier de la Vierge est l’une des plus belles prières qui
s’adressent à la Mère du Seigneur. Ainsi, "les Souverains Pontifes
ont à maintes reprises exhorté les fidèles à la prière fréquente du
Rosaire, qui s’inspire de l’Écriture Sainte et qui est centrée sur
la contemplation des événements du salut manifestés dans la vie du
Christ, auxquels la Vierge Marie fut étroitement associée. De plus,
la valeur et l’efficacité de cette prière sont attestées par les
témoignages de nombreux Pasteurs et d’hommes réputés pour la
sainteté de leur vie".
Le Rosaire est une
prière essentiellement contemplative, car sa méditation "exige que
le rythme soit calme et que l’on prenne son temps, afin que la
personne qui s’y livre puisse mieux méditer les mystères de la vie
du Seigneur". Le Rosaire est expressément recommandé dans la
formation et dans la vie spirituelle des clercs et des religieux.
198. L’Église
manifeste son estime à l’égard de la prière du saint Rosaire en
proposant un rite de la Bénédiction des chapelets. Ce rite
met en relief le caractère communautaire de la prière du Rosaire; de
fait, à la bénédiction des chapelets est jointe celle des personnes
qui méditent les mystères de la vie, de la mort et de la
résurrection du Seigneur, afin qu’elles "réussissent à établir une
harmonie parfaite entre la prière et leur vie".
De plus, comme le
suggère le Livre des Bénédictions, la bénédiction des
chapelets peut être accomplie d’une manière avantageuse "en présence
du peuple", spécialement à l’occasion des pélerinages dans
les sanctuaires dédiés à la Vierge Marie, ou au cours des
célébrations des fêtes de la bienheureuse Vierge Marie, en
particulier de celle du Rosaire, et au moment de la clôture du mois
du Rosaire, à la fin du mois d’octobre.
199. Les
suggestions qui sont présentées dans le présent document visent à
rendre la prière du Rosaire plus profitable pour les fidèles, tout
en respectant ses caractéristiques particulières.
Dans certaines
occasions, la prière du Rosaire peut prendre la forme d’une
célébration composée de divers éléments: "la proclamation des
passages de la Bible relatifs à chacun des mystères, le chant de
certaines parties de la prière, une sage répartition des rôles entre
les différents participants, la solennisation de l’introduction et
de la conclusion de la prière".
200. La
méditation du Rosaire peut consister en la récitation d’un chapelet
quotidien, qui correspond à l’une des trois séries de mystères. Dans
ce cas, et selon une coutume bien établie, des jours de la semaine
déterminés sont assignés aux différents mystères: ainsi, les
mystères joyeux sont médités le lundi et le jeudi, les mystères
douloureux le mardi et le vendredi, et les mystères glorieux le
mercredi, le samedi et le dimanche.
Si cette distribution
des mystères est observée d’une manière trop rigide, elle peut
parfois créer un contraste regrettable entre le contenu des
mystères, qui sont médités, et ce que propose la liturgie du jour:
c’est le cas, par exemple, lorsque la méditation des mystères
douloureux a lieu un vendredi, qui est en même temps le jour de
Noël. En présence de tels cas, il semble opportun de rappeler que
"la caractérisation liturgique d’un jour déterminé prévaut sur son
rang dans la semaine; de même, à certains jours de l’Année
liturgique, il est possible de prier le Rosaire en substituant
certains mystères par d’autres qui s’harmonisent mieux avec le temps
liturgique du moment". Par exemple, le 6 janvier, solennité de
l’Épiphanie, les fidèles prennent une bonne initiative en décidant
de méditer les mystères joyeux, et de consacrer ainsi le cinquième
mystère à l’adoration des Mages plutôt qu’au recouvrement de Jésus,
âgé de 12 ans, dans le Temple de Jérusalem. Il reste que de telles
substitutions doivent être effectuées avec pondération, et dans un
esprit de fidélité à la Sainte Écriture et à la Liturgie.
201. Dans le but
de favoriser la contemplation, et afin d’harmoniser l’âme avec la
voix de celui qui médite le saint Rosaire, un certain nombre de
Pasteurs et d’experts ont maintes fois suggéré de reprendre l’usage
de la "clausule", cet élément ancien qui n’a jamais complétement
disparu.
La clausule, qui
s’harmonise bien avec le caractère répétitif et méditatif du
Rosaire, est constituée de quelques mots qui suivent le nom de
Jésus, et ont un rapport avec le mystère énoncé. Une clausule
appropriée, permanente pour chaque dizaine, brève dans son énoncé et
fidèle à la Sainte Écriture et à la Liturgie, peut constituer une
aide de qualité en vue de la prière méditée du saint Rosaire.
202. "En
présentant aux fidèles la valeur et la beauté de la prière du
chapelet, il convient d’éviter d’employer des expressions qui, d’une
part, rejetteraient dans l’ombre d’autres formes excellentes de
prières et qui, d’autre part, ne tiendraient pas suffisamment compte
de l’existence d’autres formes de prières mariales de ce genre,
pourtant approuvées elles aussi par l’Église"., ou qui pourraient
provoquer un sentiment de culpabilité chez celui qui ne le médite
pas habituellement: "Le Rosaire est une prière excellente, au regard
de laquelle le fidèle doit pourtant se sentir sereinement libre,
invité à le réciter, en toute quiétude, par sa beauté intrinsèque".
203. Les
Litanies constituent l’une des formes de prières adressées à la
Vierge Marie recommandées par le Magistère. Elles sont
essentiellement composées d’une série d’invocations adressées à la
Vierge Marie, qui se succèdent selon un rythme uniforme, créant
ainsi un climat de prière caractérisé par une louange constante et
une supplication insistante. De fait, les invocations, qui sont
généralement très brèves, comprennent deux parties: la première est
une louange ("Virgo clemens"), la seconde est une
supplication ("ora pro nobis").
Deux formulaires de
litanies sont insérés dans les livres liturgiques du Rite Romain:
les litanies de Lorette, à l’égard desquelles les Pontifes
Romains ont constamment exprimé leur attachement; les litanies
pour le rite du couronnement d’une image de la bienheureuse Vierge
Marie, qui, dans certaines occasions, peuvent constituer une
alternative appropriée au formulaire des Litanies de Lorette.
Il s’avère qu’une
prolifération de formulaires de litanies n’est pas utile du point de
vue pastoral; toutefois, dans le même temps, il faut prendre en
considération le fait qu’une limitation imposée trop rigoureusement
aurait pour effet de ne pas tenir suffisamment compte de la richesse
de certaines Églises locales ou familles religieuses. La
Congrégation pour le Culte Divin a donc demandé instamment de
"retenir certains formulaires anciens ou nouveaux, réputés pour leur
rigueur doctrinale et la beauté de leurs invocations, qui sont en
usage dans des Églises locales ou des Instituts religieux". Il est
évident que cette exhortation concerne surtout des lieux déterminés
ou des communautés bien précises.
À la suite de la
prescription du pape Léon XIII, demandant que, durant le mois
d’octobre, la méditation du Rosaire s’achève avec le chant des
Litanies, beaucoup de fidèles ont commis l’erreur de penser que les
Litanies constituaient une sorte d’appendice du Rosaire. En réalité,
les Litanies sont avant tout un acte cultuel qui se suffit à
lui-même: de fait, elles peuvent être employées en guise d’hommage
adressé à la Vierge Marie, ou comme chant de procession, ou encore
être intégrées dans une célébration de la Parole de Dieu ou bien
dans d’autres célébrations.
204. En
parcourant l’histoire de la piété chrétienne, on note l’existence
d’expériences diverses, personnelles et communautaires, de
"consécration à la Vierge Marie" (oblatio, servitus, commendatio,
dedicatio). Elles apparaissent dans les livres de prières et
dans les statuts des associations mariales sous la forme de formules
de "consécration", ainsi que de prières composées en vue ou dans le
but de renouveler cette consécration.
Les Pontifes Romains
ont exprimé à maintes reprises leur attachement à l’égard de cette
pieuse pratique de la "consécration à Marie", spécialement en
prononçant publiquement eux-mêmes des formules qui sont demeurées
célèbres.
Saint Louis-Marie
Grignion de Montfort demeure un maître incontesté et renommé de la
spiritualité caractérisée par la pratique de la consécration; en
effet, "il proposait aux chrétiens la consécration au Christ par les
mains de Marie comme moyen efficace de vivre fidèlement les
promesses du baptême".
À la lumière de la
dernière volonté exprimée par le Christ sur la croix (cf. Jn 19,
25-27), l’acte de "consécration" est une reconnaissance de la place
unique occupée par Marie de Nazareth dans le mystère du Christ et de
l’Église, en particulier de la valeur exemplaire et universelle de
son témoignage évangélique, de la confiance en son intercession et
dans l’efficacité de sa protection, et il permet de mieux prendre
conscience des multiples aspects du rôle unique exercé par la Vierge
Marie, en tant que vraie Mère dans l’ordre de la grâce, à l’égard de
tous et de chacun de ses fils.
Il convient de noter,
toutefois, que le mot "consécration" est employé dans un sens large
et impropre: "on dit, par exemple, "consacrer les enfants à la
Vierge Marie", alors qu’en réalité on entend plutôt les placer sous
la protection de la Vierge et solliciter sa protection maternelle".
On peut donc mieux comprendre pourquoi un certain nombre de
personnes suggèrent d’employer le terme d’ "acte de confiance"
plutôt que celui de "consécration". De fait, à notre époque, à la
lumière des progrès accomplis par la théologie liturgique, qui
requiert l’emploi rigoureux des mots, on aurait tendance à réserver
le mot consécration à l’offrande totale et perpétuelle d’une
personne à Dieu, elle-même fondée sur les sacrements du Baptême et
de la Confirmation, et dont l’Église, par une intervention
spécifique, se porte garante.
Il est donc nécessaire
d’instruire les fidèles sur la nature d’une telle pratique. Si cette
dernière comporte, il est vrai, les caractères d’un don total et
perpétuel, il s’agit néanmoins d’une analogie par rapport à la
"consécration à Dieu"; de même, elle ne doit pas être le fruit d’une
émotion passagère, mais être le résultat d’une décision personnelle,
libre et mûrie dans le contexte d’une conception authentique du
dynamisme de la grâce; la consécration doit être réalisée d’une
manière appropriée, en s’inspirant des formes liturgiques: il
s’agira donc d’un acte de consécration au Père par le Christ dans
l’Esprit Saint, en implorant l’intercession glorieuse de la Vierge
Marie, à laquelle la personne s’offre totalement, afin de demeurer
fidèle aux promesses de son Baptême, et en adoptant à son égard une
attitude filiale; enfin, la consécration doit être accomplie en
dehors de la célébration du Sacrifice eucharistique, car il s’agit
d’un geste de dévotion qui ne peut être assimilé à la Liturgie: la
consécration à Marie, en effet, se distingue substantiellement des
autres formes de consécration liturgique.
205. L’histoire
de la piété mariale comporte la "dévotion" envers divers
scapulaires, dont le plus célèbre est celui de la bienheureuse
Vierge du Mont Carmel. La diffusion de cette pratique est vraiment
universelle, et il n’y a donc aucun doute que les directives
conciliaires concernant les pratiques et les pieux exercices
"recommandés tout au long des siècles par le Magistère",
s’appliquent aussi à elle.
Le scapulaire du Carmel
est une forme réduite de l’habit religieux des frères de la
Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel: bien que cette dévotion se
soit répandue au-delà du cercle des fidèles, qui sont en relation
avec la vie et la spiritualité de la famille carmélitaine, le
scapulaire conserve néanmoins de nombreux liens avec cette dernière.
Le scapulaire est le
signe extérieur d’une relation spéciale, filiale et confiante
entre la Vierge, Mère et Reine du Carmel, et les personnes qui se
confient à elle en lui consacrant tout leur être, et qui recourent
avec une entière confiance à son intercession maternelle; il est
aussi un rappel tangible de la primauté de la vie spirituelle et de
la nécessité de la prière d’oraison.
Le scapulaire, qui est
imposé au cours de la célébration d’un rite particulier, déterminé
par l’Église, "renouvelle le choix fait au baptême de revêtir le
Christ, avec le secours de la Vierge Marie qui veut avant tout que
nous devenions conformes au Christ, à la louange de la sainte
Trinité, jusqu’à ce que nous entrions avec l’habit des noces dans la
patrie du ciel".
L’imposition du
scapulaire du Carmel, tout comme la remise des autres scapulaires,
"doit retrouver l’authenticité de ses origines: il ne doit pas se
réduire à un geste plus ou moins improvisé, mais il doit plutôt être
le fruit d’une préparation particulièrement soignée, au cours de
laquelle le fidèle apprend à connaître la nature et les buts de
l’association, à laquelle il adhère, ainsi que les obligations
auxquelles il s’engage pour toute sa vie".
206. Les fidèles
aiment beaucoup porter sur eux, presque toujours attachées au cou,
des médailles portant l’image de la Bienheureuse Vierge Marie. Ce
geste de dévotion constitue de leur part un témoignage de foi, un
signe de vénération à l’égard de la sainte Mère du Seigneur, et
l’expression de leur confiance envers la protection maternelle de la
Vierge Marie.
L’Église bénit ces
objets de piété, en rappelant qu’ils "ont pour rôle de rappeler aux
fidèles l’amour de notre Seigneur et d’augmenter leur confiance dans
l’aide de la Vierge Marie", mais elle exhorte aussi les fidèles à ne
pas oublier que la dévotion envers la Mère de Jésus exige avant tout
"le témoignage d’une vie chrétienne qu’on est en droit d’attendre de
leur part".
Parmi les médailles, la
plus répandue est celle qui est connue sous le nom de "médaille
miraculeuse", qui a bénéficié dans le passé, et bénéficie encore de
nos jours d’une diffusion vraiment exceptionnelle. Elle a pour
origine les apparitions de la Vierge Marie, en 1830, à une humble
novice des Filles de la Charité, la future sainte Catherine Labouré.
La médaille, qui a été réalisée en suivant les indications fournies
par la Vierge à sainte Catherine, récapitule les mystères de la foi
concernant la personne de Marie: en effet, son symbolisme
particulièrement riche évoque à la fois le mystère de la Rédemption,
l’amour du Cœur du Christ et du Cœur douloureux de Marie, la
vocation de la Vierge Marie en tant que médiatrice de toutes grâces,
le mystère de l’Église, les relations entre la terre et le ciel, et
entre la vie temporelle et la vie éternelle.
La diffusion de la
"médaille miraculeuse" a connu une nouvelle impulsion grâce à saint
Maximilien-Marie Kolbe (+ 1941) et aux mouvements qu’il a suscités,
ou qui se sont inspirés de son apostolat marial. De fait, ce jeune
religieux des Tiers Mineurs Conventuels choisit la "médaille
miraculeuse" comme le signe distinctif de la Pieuse Union de la
Milice de l’Immaculée qu’il fonda, à Rome, en 1917.
La "médaille
miraculeuse", comme les autres médailles de la Vierge ou les autres
objets de culte, ne doit pas être considérée comme un talisman, ce
qui conduirait les fidèles à une vaine crédulité. La promesse de la
Vierge Marie, selon laquelle "les personnes qui porteront la
médaille recevront de grandes grâces", exige de la part des fidèles
une adhésion humble et fidèle au message chrétien, une prière
persévérante et confiante, et une conduite morale cohérente.
207. L’hymne
vénérable adressée à la Mère de Dieu, appelée "hymne Akathistos"
- dénommée ainsi parce qu’elle se chante debout - est l’une des
expressions les plus hautes et les plus célèbres de la piété mariale
de la tradition byzantine. Ce chef d’œuvre littéraire et théologique
présente, sous la forme d’une prière, la foi commune et universelle
de l’Église des premiers siècles au sujet de la Vierge Marie. Les
sources qui ont inspiré cette hymne sont les Saintes Écritures, la
doctrine définie par les Conciles œcuméniques de Nicée (325),
d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451), ainsi que la réflexion des
Pères orientaux des IV et V siècles. Durant l’année liturgique,
l’hymne acathiste est chantée solennellement le cinquième samedi de
Carême, et elle est reprise en de nombreuses autres occasions; son
usage est recommandé à la piété du clergé, des moines et des
fidèles.
Dans les années
récentes, cette hymne s’est répandue aussi dans les communautés de
fidèles de rite latin. Certaines célébrations solennelles mariales,
qui ont eu lieu à Rome en présence du Saint-Père, ont contribué à la
diffusion de l’hymne acathiste, qui a ainsi bénéficié d’un
retentissement très important dans toute l’Église. Cette hymne très
ancienne, qui est considérée comme un exemple magnifique de la
tradition mariale la plus antique de l’Église indivise, est à la
fois un appel et une prière d’intercession en faveur de l’unité des
chrétiens, qui est appelée à se réaliser sous la conduite de la Mère
du Seigneur: une telle richesse de louanges, rassemblée dans les
différentes formes de la grande tradition de l’Église, pourrait nous
aider à faire en sorte que celle-ci se remette à respirer pleinement
de ses "deux poumons", oriental et occidental".
208. Le culte
des saints, et spécialement des martyrs, qui s’enracine dans la
Sainte Écriture (cf. Ac 7, 54-60; Ap 6, 9-11; 7, 9-17) est un fait
très ancien, qui est attesté avec certitude dans l’Église, depuis la
première moitié du II siècle. L’Église, tant d’Occident que
d’Orient, a toujours vénéré les Saints, et elle n’a pas hésité à
défendre vigoureusement ce culte, en particulier à l’époque du
protestantisme, face aux objections qui étaient présentées contre
certains aspects traditionnels de cette dévotion; elle a aussi mis
en évidence les fondements théologiques de cette vénération, de même
que son étroite connexion avec la doctrine de la foi; enfin, elle a
édicté des normes dans le but de réglementer le culte des saints,
autant dans ses expressions liturgiques que populaires, et elle a
souligné la valeur exemplaire du témoignage de ces remarquables
disciples du Seigneur, hommes et femmes, dans le but d’inciter les
fidèles à mener comme eux une vie chrétienne authentique.
209. La
Constitution
Sacrosanctum Concilium,
dans le chapitre consacré à l’Année liturgique, met bien en évidence
l’existence ainsi que la signification ecclésiale de la vénération
des Saints et des Bienheureux: "L’Église a introduit dans le cycle
annuel les mémoires des martyrs et des autres saints qui, élevés à
la perfection par la grâce multiforme de Dieu et ayant déjà obtenu
possession du salut éternel, chantent à Dieu dans le ciel une
louange parfaite et intercèdent pour nous. Dans les anniversaires
des saints, l’Église proclame le mystère pascal en ces saints qui
ont souffert avec le Christ et sont glorifiés avec lui, et elle
propose aux fidèles leurs exemples qui les attirent tous au Père par
le Christ, et par leurs mérites elle obtient les bienfaits de Dieu".
210. Une
connaissance complète et adéquate de la doctrine de l’Église
concernant les Saints n’est possible que dans le cadre plus vaste
des articles de foi suivants:
- "l’Église est une,
sainte, catholique et apostolique". L’Église est "sainte", par la
présence en elle de "Jésus-Christ qui, avec le Père et l’Esprit
saint, est célébré comme le "seul saint"", grâce à l’action de
l’Esprit de sainteté, et parce qu’elle est dotée des moyens de
sanctification. Ainsi, l’Église, bien qu’elle soit composée d’hommes
pécheurs, est "parée, déjà sur la terre, d’une sainteté encore
imparfaite mais véritable"; elle est "le peuple saint de Dieu", dont
les membres, selon le témoignage des Écritures, sont appelés des
"saints" (cf. Ap 9, 13; 1 Co 6, 1; 16, 1).
- La "communion des
saints": l’Église du ciel, l’Église qui vit dans l’état dit du
"Purgatoire", c’est-à-dire dans l’attente de la purification finale,
et l’Église qui chemine sur la terre communient "dans la même
charité envers Dieu et envers le prochain"; de fait, tous ceux qui
appartiennent au Christ, et qui ont reçu le même Esprit Saint,
forment une seule Église, et sont tous unis dans le Christ.
- La doctrine de
l’unique médiation du Christ (cf. 1 Tm 2, 5): celle-ci n’exclut pas
d’autres médiations subordonnées, mais ces dernières s’exercent
toutefois à l’intérieur et en référence à la médiation du Christ.
211. La doctrine
de l’Église et sa Liturgie présentent les Saints et les Bienheureux
qui contemplent déjà "dans la lumière le Dieu Un et Trine". Ils sont
donc:
- des témoins
historiques de la vocation universelle à la sainteté. La sainteté
étant le fruit de la Rédemption accomplie par le Christ, les Saints
et les Bienheureux sont donc la preuve vivante que Dieu appelle ses
enfants à atteindre la plénitude de la stature du Christ, quels que
soient leur époque, le peuple auquel ils appartiennent, les
conditions socio-culturelles les plus variées, dans lesquelles ils
vivent, et leurs divers états de vie (cf. Ep 4, 13; Col 1, 28);
- des disciples
exemplaires du Seigneur et donc des modèles de vie évangélique;
ainsi, dans les procès de canonisation, l’Église reconnaît
l’héroïcité de leur vertu et elle les propose donc à l’imitation des
fidèles;
- des citoyens de la
Jérusalem céleste, qui chantent sans fin la gloire et la miséricorde
de Dieu. En effet, ils sont déjà passés de ce monde au Père, en
suivant le Christ dans sa Pâque;
- des intercesseurs et
des amis des fidèles durant leur pélerinage sur la terre: les
Saints, tout en connaissant le bonheur éternel auprès de Dieu, ne
sont pas indifférents aux peines de leurs frères et sœurs, et ils
les accompagnent sur leur chemin par leur prière et leur protection;
- des patrons des
Églises locales, dont ils furent souvent les fondateurs (saint
Eusèbe de Verceil) ou les Pasteurs illustres (saint Ambroise de
Milan); des patrons des différentes nations: c’est-à-dire des
apôtres de leur conversion à la foi chrétienne (saint Thomas, saint
Barthélemy, pour l’Inde), ou des figures privilégiées de leur
identité nationale (saint Patrick, pour l’Irlande); des patrons des
corporations et des professions (saint Omobono, pour les tailleurs);
des patrons et des protecteurs dans des circonstances particulières,
comme au moment de l’enfantement (sainte Anne, saint Raymond Nonat),
ou à l’heure de la mort (saint Joseph), et pour obtenir des grâces
particulières (ainsi, sainte Lucie pour conserver la vue), etc.
Ce que l’Église
confesse, elle en rend grâce à Dieu le Père, en proclamant: "dans la
vie des Saints, tu nous procures un modèle, dans leur intercession
un appui, et dans la communion avec eux une famille".
212. Enfin, il
convient de rappeler que le but ultime de la vénération des Saints
est la gloire de Dieu et la sanctification de l’homme, grâce au
témoignage de ces vies totalement conformes à la volonté divine, et
par l’imitation des vertus de ceux qui furent d’éminents disciples
du Seigneur.
De même, tant dans la
catéchèse que dans les différentes rencontres organisées en vue de
la transmission de la foi, il convient de montrer aux fidèles que la
relation avec les Saints, si elle est conçue à la lumière de la foi,
bien loin de diminuer "le culte d’adoration rendu à Dieu le Père par
le Christ dans l’Esprit, l’enrichit au contraire plus
glorieusement", et que "le culte authentique des saints ne consiste
pas tant à multiplier les actes extérieurs, mais plutôt à pratiquer
un amour fervent et effectif", qui se traduit dans le témoignage
d’une vie chrétienne exemplaire.
213. L’Église,
dans son enseignement, présente, dans un langage clair et sobre,
"l’existence des êtres spirituels et incorporels, que la Sainte
Écriture appelle les Anges, comme une vérité de foi. À ce témoignage
explicite de l’Écriture correspond l’unanimité de la Tradition".
Selon l’Écriture
Sainte, les Anges sont les messagers de Dieu, "invincibles porteurs
de ses ordres, attentifs au son de sa parole" (Ps 103, 20), placés
au service de son dessein de salut, "envoyés en service pour ceux
qui doivent hériter du salut" (He 1, 14).
214. Les fidèles
n’ignorent pas généralement les nombreux épisodes de l’Ancienne et
de la Nouvelle alliance, dans lesquels les saints Anges manifestent
leur présence. Ainsi, ils savent notamment que les Anges gardent les
portes du paradis terrestre (cf Gn 3, 24), qu’ils sauvent Agar et
son enfant Ismaël (cf. Gn 21, 17), qu’ils retiennent la main
d’Abraham qui s’apprête à sacrifier Isaac (cf Gn 22, 11), qu’ils
annoncent des naissances prodigieuses (cf. Jg 13, 3-7), qu’ils
gardent les pas du juste (cf. Ps 91, 11), qu’ils louent sans cesse
le Seigneur (cf. Is 6, 1-4), et qu’ils présentent à Dieu les prières
des Saints (cf. Ap 8, 3-4). Ils se souviennent aussi de l’Ange qui
intervint en faveur du prophète Elie, en fuite et à bout de forces
(cf. 1 R 19, 4-8), d’Azarias et de ses compagnons jetés dans la
fournaise (cf. Dn 3, 49-50), de Daniel enfermé dans la fosse aux
lions (cf. Dn 6, 23). Enfin, l’histoire de Tobie leur est familière:
Raphaël "l’un des sept Anges qui se tiennent devant le Seigneur" (Tb
12, 15), rendit de nombreux services à Tobie, au jeune Tobie, son
fils, et à Sara, la femme de ce dernier.
Les fidèles savent
aussi que les anges sont présents dans un certain nombre d’épisodes
de la vie de Jésus, où ils exercent une fonction particulière:
ainsi, l’Ange Gabriel annonce à Marie qu’elle concevra et donnera
naissance au Fils du Très-Haut (cf. Lc 1, 26-38), et, de même, un
Ange révèle à Joseph l’origine surnaturelle de la maternité de la
Vierge (cf. Mt 1, 18-25); les Anges annoncent aux bergers de
Béthléem la joyeuse nouvelle de la naissance du Sauveur (cf. Lc 2,
8-14); "l’Ange du Seigneur" protège la vie de l’enfant Jésus menacée
par Hérode (cf. Mt 2, 13-20); les Anges assistent Jésus pendant son
séjour dans le désert (cf. Mt 4, 11) et ils le réconfortent durant
son agonie (cf. Lc 22, 43); enfin, ils annoncent aux femmes, qui se
rendent au tombeau du Christ, que celui-ci est "ressuscité" (cf. Mc
16, 1-8), et ils interviennent encore au moment de l’Ascension pour
révéler aux disciples le sens de cet événement et pour annoncer que
"Jésus... reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller
vers le ciel" (Ac 1, 11).
Les fidèles comprennent
l’importance de l’avertissement de Jésus de ne pas mépriser un seul
des petits qui croient en lui, "parce que leurs Anges dans les cieux
contemplent sans cesse la face de mon Père" (Mt 18, 10), ainsi que
la parole réconfortante selon laquelle "il y a de la joie chez les
Anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit" (lc 15, 10).
Enfin, les fidèles savent que "le Fils de l’homme viendra dans sa
gloire, et tous les Anges avec lui" (Mt 25, 31) pour juger les
vivants et les morts, et mettre un point final à l’histoire.
215. L’Église
qui, à ses débuts, fut gardée et défendue par le ministère des Anges
(Ac 5, 17-20; 12, 6-11) expérimente constamment la"protection
mystérieuse et puissante" de ces esprits célestes, qu’elle vénère et
dont elle sollicite l’intercession.
Au cours de l’Année
liturgique, l’Église célèbre la participation des Anges aux
événements du salut; elle consacre aussi à leur mémoire certains
jours particuliers: le 29 septembre (fête des Archanges Michel,
Gabriel et Raphaël) et le 2 octobre (mémoire des Anges Gardiens).
L’Église célèbre encore en leur honneur une Messe votive, dont la
préface proclame que "la gloire de Dieu resplendit dans les Anges";
dans la célébration des mystères divins, elle s’associe au chant des
Anges pour proclamer la gloire du Dieu trois fois saint (cf. Is. 6,
3) et elle sollicite leur aide pour porter l’offrande eucharistique
"sur l’autel céleste, en présence de la gloire de Dieu"; elle
célèbre l’office de louange en leur présence (cf. Ps. 137, 1); elle
confie les prières des fidèles au ministère des Anges (cf. ap. 5, 8;
8, 3), ainsi que la douleur des pénitents, et la défense des
innocents contre les attaques du Malin; à la fin de chaque journée,
elle implore Dieu d’envoyer ses anges pour garder ceux qui prient
dans la paix; elle prie les esprits célestes de venir en aide aux
agonisants; et, au cours du rite des obsèques, elle supplie les
Anges d’accompagner l’âme du défunt jusqu’au paradis et de garder
son tombeau.
216. Tout au
long des siècles, les fidèles ont exprimé leur foi dans le ministère
des Anges en recourant à de nombreuses formes de piété: ainsi, ils
ont choisi les Anges comme patrons des villes et protecteurs des
corporations; ils ont érigé en leur honneur des sanctuaires célèbres
(le Mont-Saint-Michel en Normandie, Saint-Michel de Cluse dans le
Piémont, et Saint-Michel du Mont-Gargan dans les Pouilles), et fixé
des jours de fête; enfin, ils ont composé des hymnes et des pieux
exercices.
La piété populaire a
contribué, d’une manière particulière, au développement de la
dévotion envers l’Ange Gardien. Saint Basile le Grand (+379)
enseignait déjà que "chaque fidèle a, près de lui, un Ange qui le
protège et le conduit sur le chemin qui mène à la vie éternelle".
Cette doctrine vénérable s’est peu à peu consolidée tout au long des
siècles en se rattachant à des fondements bibliques et patristiques,
et elle a donné naissance à des expressions variées de la piété
populaire, jusqu’à l’œuvre de saint Bernard de Clairvaux (+ 1153),
qui est considéré comme le grand docteur et l’apôtre éminent de la
dévotion envers les Anges Gardiens. Pour saint Bernard, les Anges
Gardiens sont la preuve que "le ciel ne néglige rien de ce qui peut
nous être utile", c’est pourquoi il place "à nos côtés ces esprits
célestes qui ont pour mission de nous protéger, de nous instruire et
de nous guider".
La dévotion envers les
Anges Gardiens suscite aussi un style de vie qui est caractérisé
par:
- l’action de grâces
adressée à Dieu qui accepte de placer des esprits d’une si grande
sainteté et dignité au service des hommes;
- une attitude de
droiture et de piété, suscitée par la conscience de vivre
constamment en présence des saints Anges;
- une confiance sereine
dans les situations difficiles, inspirée par la conviction que le
Seigneur guide et assiste le fidèle sur le chemin de la justice, en
recourant en particulier au ministère des Anges.
Parmi les prières
adressées à l’Ange Gardien, celle de l’Angele Dei est
particulièrement répandue; dans de nombreuses familles, elle fait
partie de la prière du matin et du soir, et, en de nombreux
endroits, elle accompagne aussi la prière de l’Angelus Domini.
217. Les
expressions de la piété populaire envers les saints Anges sont
légitimes et bienfaisantes, mais elles peuvent donner lieu à des
déviations, parmi lesquelles il convient de citer:
- l’erreur suivante
peut progressivement s’immiscer dans l’âme de certains fidèles: le
monde et la vie seraient soumis à des tensions démiurgiques,
c’est-à-dire à la lutte incessante entre les bons esprits et les
esprits mauvais, ou entre les Anges et les démons; l’homme serait
alors terrassé par des puissances supérieures contre lesquelles il
ne pourrait rien faire. Une telle conception a pour effet
d’affaiblir le sens de la responsabilité personnelle; de plus, elle
ne concorde pas avec l’enseignement authentique de l’Évangile à
propos de la lutte contre le Malin; l’Évangile exige, en effet, du
disciple du Christ la droiture morale, l’engagement pour l’Évangile,
l’humilité et la prière;
- certains fidèles
peuvent être tentés de considérer les événements de la vie
quotidienne d’une manière schématique et simpliste, voire infantile,
en rendant le Malin responsable de leurs difficultés, y compris les
plus minimes, et, au contraire, en attribuant à l’Ange Gardien leurs
succès et leurs réalisations positives; or, de telles
interprétations n’ont aucun rapport, ou si peu, avec le véritable
progrès spirituel de la personne qui consiste à rejoindre le Christ.
Il faut aussi réprouver l’usage de donner aux Anges des noms
particuliers, que la Sainte Écriture ignore, hormis ceux de Michel,
Gabriel et Raphaël.
218. Dans sa
sagesse providentielle, Dieu réalisa son plan de salut en assignant
à Joseph de Nazareth, "homme juste" (cf. Mt 1, 19), et époux de la
Vierge Marie (cf. Ibid.; Lc 1, 27), une mission
particulièrement importante: d’une part, introduire légalement Jésus
dans la lignée de David de laquelle, selon la promesse des Écritures
(cf. 2 S 7, 5-16; 1 Ch 17, 11-14), devait naître le Messie Sauveur,
et, d’autre part, assumer la fonction de père et de gardien à
l’égard de cet enfant.
En vertu de cette
mission, saint Joseph est très présent dans les mystères de
l’enfance du Sauveur: il reçut de Dieu la révélation de l’origine
divine de la maternité de Marie (cf. Mt 1, 20-21), et il fut le
témoin privilégié de la naissance de Jésus à Bethléem (cf. Lc 2,
6-7), de l’adoration des bergers (cf. Lc 2, 15-16) et de celle des
Mages venus de l’Orient (cf. Mt 2, 11); il accomplit son devoir
religieux à l’égard de l’Enfant en l’introduisant dans l’Alliance
d’Abraham, lors de la circoncision (cf. Lc 2, 21), et en lui donnant
le nom de Jésus (cf, Mt 1, 21); selon de la Loi, il présenta
l’Enfant au Temple et le racheta en offrant le don des pauvres (cf.
Lc 2, 22-24; Esd 13, 2.12-13) et, rempli d’étonnement, il entendit
le cantique prophétique de Siméon (cf. Lc 2, 25-33); il protégea la
Mère et le Fils durant la persécution d’Hérode en fuyant en Égypte
(cf. Mt 2, 13-23); il se rendait chaque année à Jérusalem avec la
Mère et l’Enfant pour la fête de la Pâque et il assista, avec
effroi, à l’événement de la disparition de Jésus, âgé de 12 ans, qui
était demeuré dans le Temple (cf. Lc 2, 43-50); il vécut dans la
maison familiale de Nazareth, exerçant son autorité paternelle à
l’égard de Jésus, qui lui était soumis (cf. Lc 2, 51), et il lui
enseigna la Loi et son métier de charpentier.
219. Tout au
long des siècles, et surtout à l’époque récente, la réflexion de
l’Église a mis en évidence les vertus de saint Joseph, parmi
lesquelles: la foi, qui, chez lui, se traduisait par une adhésion
entière et courageuse au projet de salut de Dieu; l’obéissance
inconditionnelle et silencieuse à la volonté de Dieu; l’amour et le
respect fidèle de la Loi, la piété sincère et la force dans les
épreuves; l’amour virginal dont il fit preuve à l’égard de la Vierge
Marie, l’exercice assidu de ses devoirs de père de famille, et
l’attrait pour une vie cachée et laborieuse.
220. La piété
populaire met en valeur l’importance et l’universalité du patronage
de saint Joseph, "à la vigilance duquel Dieu a voulu confier les
débuts de notre rédemption" et "ses trésors les plus précieux".
Saint Joseph assume les patronages suivants: l’Église tout entière,
que le bienheureux Pie IX a voulu placer sous la protection spéciale
du saint Patriarche; les personnes qui se consacrent à Dieu en
choisissant le célibat pour le Royaume des cieux (cf. Mt 19, 12):
"ils ont en saint Joseph un exemple et un défenseur de leur
virginité"; les travailleurs et les artisans, dont le charpentier de
Nazareth est le modèle exemplaire; les agonisants, puisque, selon
une pieuse tradition, saint Joseph fut assisté, au moment de sa
mort, de Jésus et de Marie.
221. La Liturgie
fait souvent référence à la figure et au rôle de saint Joseph dans
les célébrations des mystères de la vie du Sauveur, en particulier
celles qui concernent sa naissance et son enfance, c’est-à-dire
durant le temps de l’Avent, celui de Noël, spécialement à l’occasion
de la fête de la Sainte Famille, lors de la solennité du 19 mars et
à l’occasion de la mémoire du 1 mai.
Le nom de saint Joseph
est mentionné dans le Communicantes du Canon Romain et dans
les Litanies des Saints. Les Prières pour les mourants
suggèrent d’invoquer le saint Patriarche; de même, la communauté
prie pour que l’âme du mourant, en quittant ce monde, soit
introduite "dans la paix de la Jérusalem céleste avec la Vierge
Marie, Mère de Dieu, saint Joseph, tous les Anges et les
Saints".
222. La
vénération de saint Joseph occupe aussi une place importante dans la
piété populaire: par exemple, dans des expressions diverses et
nombreuses du folklore de certains peuples; dans la coutume, datant
de la fin du XVII siècle, de considérer le mercredi comme un jour
dédié à saint Joseph; à ce propos, il convient de noter que certains
pieux exercices, comme les Sept mercredis, se rattachent à
cette pieuse tradition. La dévotion des fidèles à l’égard de saint
Joseph inspire aussi les pieuses invocations, que de nombreuses
personnes aiment prononcer spontanément, de même que certaines
formules de prières, comme celle qui fut composée par le pape Léon
XIII: Ad te, beate Joseph, et qui est dite chaque jour par de
nombreux fidèles, et aussi les Litanies de saint Joseph,
approuvées par saint Pie X, et, enfin, le pieux exercice du chapelet
des Sept angoisses et des sept joies de saint Joseph.
223. Des
difficultés d’harmonisation entre la Liturgie et les expressions de
la piété populaire peuvent surgir du fait que la solennité de saint
Joseph (19 mars) est célébrée durant le Carême, qui est un temps
liturgique tout entier consacré à la préparation des baptêmes et à
la célébration de la Passion du Seigneur. Il est donc indispensable
que les pratiques traditionnelles du "mois de saint Joseph" soient
en syntonie avec le temps liturgique qui est célébré. De fait, le
renouveau de la Liturgie a permis aux fidèles d’approfondir le
véritable sens du temps liturgique du Carême. En adaptant les
expressions de la piété populaire à cette exigence, il demeure
néanmoins nécessaire de favoriser et de répandre la dévotion à
l’égard de saint Joseph, en ayant constamment à l’esprit "l’exemple
éminent [...], qui surpasse les états de vie particuliers et qui est
proposé à la communauté chrétienne tout entière, quelles que soient
les conditions de vie et les obligations des fidèles".
224. À la
jonction entre l’Ancien et le Nouveau Testament, se dresse la figure
imposante de Jean, fils de Zacharie et d’Elisabeth, qui étaient tous
les deux des "justes devant Dieu" (Lc 1, 6); il est l’un des plus
grands personnages de l’histoire du salut. Alors qu’il était encore
dans le sein de sa mère, Jean reconnut le Sauveur, lui aussi caché
dans le sein de la Vierge Marie (cf. Lc 1, 39-45); sa naissance fut
marquée par de grands prodiges (cf. Lc 1, 57-66); il grandit dans le
désert en menant une vie austère et pénitente (cf. Lc 1, 80; Mt 3,
4); "prophète du Très-Haut" (Lc 1, 76), la parole de Dieu lui fut
adressée (cf. Lc 3, 2); "il parcourut toute la région du Jourdain en
proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés" (Lc
3, 3); tel un nouvel Élie, humble et fort, il prépara le peuple à
recevoir le Seigneur (cf. Lc 1, 17); conformément au dessein de
Dieu, il baptisa, dans les eaux du Jourdain, le Sauveur du monde
lui-même (cf. Mt 3, 13-16); il présenta Jésus à ses disciples en le
désignant comme "l’Agneau de Dieu" (Jn 1, 29), le "Fils de Dieu" (Jn
1, 34) et l’Époux de la nouvelle communauté messianique (cf. Jn 3,
28-30); le témoignage courageux qu’il rendit à la vérité lui valut
d’être emprisonné par Hérode, qui le fit décapiter (cf. Mc 6,
14-29); sa mort violente, tout comme auparavant sa naissance
miraculeuse et sa prédication prophétique, firent de lui le
précurseur du Seigneur. Jésus lui rendit un hommage incomparable en
proclamant que "parmi les hommes, aucun n’est plus grand que Jean"
(Lc, 7, 28).
225. Depuis les
premiers siècles de l’Église, les fidèles célèbrent avec ferveur le
culte de saint Jean Baptiste; il s’est même enrichi d’éléments
provenant de la culture populaire. Outre la célébration de sa mort
(le 29 août), au même titre que tous les autres saints, saint Jean
Baptiste est le seul dont on célèbre aussi solennellement la
naissance (24 juin), comme pour le Christ et la sainte Vierge Marie.
On peut constater que
beaucoup de baptistères sont dédiés à saint Jean Baptiste, ce qui
permet de souligner son rôle essentiel lors du baptême de Jésus; de
même, de nombreuses fontaines baptismales évoquent sa figure en le
représentant en train de baptiser. Son emprisonnement éprouvant et
sa mort violente font aussi de lui le patron de ceux qui sont en
prison, ainsi que des condamnés à mort, ou de ceux qui subissent de
lourdes peines à cause de leur foi.
Il est très probable
que la date de naissance de saint Jean Baptiste (24 juin) fut fixée
en fonction de celle de la conception du Christ (25 mars), et de sa
naissance (25 décembre): selon le signe donné par l’ange Gabriel au
moment où Marie conçut le Sauveur, la mère du Précurseur était déjà
enceinte depuis six mois (cf. Lc 1, 26. 36). Dans l’hémisphère nord,
la solennité du 24 juin est aussi liée au cycle solaire. Elle se
célèbre, en effet, au moment où le soleil, en se dirigeant vers le
sud du zodiaque, commence à descendre à l’horizon: ce phénomène
céleste est devenu le symbole de la figure de Jean Baptiste, qui, à
propos du Christ et de lui-même, déclara: "Lui, il faut qu’il
grandisse; et moi, que je diminue" (Jn 3, 30)
La mission de Jean, qui
était venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité (cf. Jn
1, 7), a donné naissance à la coutume d’allumer des feux dans la
nuit du 23 au 24 juin, et, là où cette tradition existait déjà, elle
a permis de lui donner une signification chrétienne: de fait,
l’Église bénit ces feux en priant pour que les fidèles passent des
ténèbres du monde à la Lumière de Dieu qui ne s’éteindra jamais.
226. Les
rapports mutuels entre la Liturgie et la piété populaire, et leur
influence réciproque, sont particulièrement importants dans le
domaine spécifique du culte des Saints et des Bienheureux. Il paraît
opportun de rappeler brièvement les principales formes de vénération
prévues dans la Liturgie de l’Église: ces diverses dispositions sont
destinées à éclairer et à guider les expressions de la piété
populaire.
227. La
célébration d’une fête en l’honneur d’un Saint - et cela vaut aussi
à leur propre niveau pour les Bienheureux - est sans aucun doute une
expression éminente du culte de la communauté ecclésiale: elle
inclut très souvent la célébration de l’Eucharistie. La
détermination du "jour de fête" du Saint est une décision très
importante sur le plan cultuel, mais elle est souvent complexe,
parce qu’elle dépend de nombreux facteurs d’ordre historique,
liturgique et culturel, qui ne sont pas faciles à harmoniser.
Dans l’Église de Rome
et dans d’autres Églises locales, la célébration la plus ancienne
fut celle de la mémoire des martyrs, le jour anniversaire de leur
passion, qui marquait à la fois leur suprême identification au
Christ et leur naissance au ciel; elle fut suivie par la célébration
du conditor Ecclesiae, c’est-à-dire les évêques qui avaient
dirigé ces Églises et les autres confesseurs de la foi, ainsi que de
la commémoration annuelle de la dédicace de l’église cathédrale. La
multiplication de ces diverses célébrations rendirent nécessaire la
constitution progressive des calendriers liturgiques locaux, où
furent mentionnés la date et le lieu de la mort de chacun des Saints
ou groupe de Saints.
Ces calendriers
particuliers permirent d’élaborer des calendriers généraux, dont les
plus célèbres sont le Martyrologe syriaque (V siècle), le
Martyrologium Hieronimianum (VI siècle), celui de saint Bède
(VIII siècle), de Lyon (IX siècle), de Usardo (IX siècle) et d’Adone
(IX siècle).
Le 14 janvier 1584,
Grégoire XIII promulgua l’édition typique du
Martyrologium
Romanum, destiné à l’usage liturgique. Jean-Paul II a promulgué
la première édition typique du Martyrologe Romain, qui a été révisé
à la suite du Concile Vatican II; tout en se référant à la tradition
romaine et en incorporant les données des différents martyrologes
anciens les plus importants, cette édition typique rassemble les
noms de très nombreux Saints et Bienheureux, et il constitue un
témoignage extrêmement riche des multiples formes de sainteté que
l’Esprit du Seigneur suscite dans l’Église à toutes les époques et
en tous lieux.
228. Le
Calendrier Romain est intimement lié à l’histoire du
Martyrologe; il a pour objet de mentionner le jour et le degré
des célébrations en l’honneur des Saints. Conformément à la
disposition du Concile Vatican II, le Calendrier Romain Général
comprend seulement les mémoires des "saints qui présentent
véritablement une importance universelle", en laissant aux
calendriers particuliers, qu’ils soient nationaux, régionaux,
diocésains ou des familles religieuses, le soin d’indiquer les
mémoires des autres Saints.
Il est opportun de
rappeler la raison pour laquelle le nombre des célébrations des
Saints a été réduit, ainsi que la nécessité d’en tenir compte sur le
plan pastoral: cette décision a été prise pour que "les fêtes des
saints ne l’emportent pas sur les fêtes qui célèbrent les mystères
du salut eux-mêmes". Au cours des siècles, en effet, "la
multiplication des fêtes, des vigiles et des octaves, ainsi que la
complication progressive des diverses parties de l’année liturgique"
avaient "souvent poussé les fidèles aux dévotions particulières, de
telle sorte que leurs esprits ont été quelque peu détournés des
mystères fondamentaux de notre rédemption".
229. À partir de
la réflexion sur les faits qui ont marqué l’origine, le
développement et les différentes révisions du Calendrier Romain
Général, il est possible de présenter les quelques orientations
pastorales suivantes:
- il est nécessaire
d’instruire les fidèles sur le lien existant entre les fêtes des
Saints et la célébration du mystère du Christ. En effet, la raison
d’être des fêtes des Saints est de mettre en lumière les
réalisations concrètes du dessein de salut de Dieu, et de "proclamer
les merveilles du Christ chez ses serviteurs"; les fêtes des membres
de l’Église, que sont les Saints, sont en réalité aussi des fêtes de
la Tête de cette même Église, c’est-à-dire des fêtes du Christ;
- il convient
d’habituer les fidèles à discerner la valeur et la signification
véritable des fêtes de ces Saints et de ces Saintes, dont la mission
particulière a marqué l’histoire du salut, et qui ont vécu dans une
relation étroite avec le Seigneur Jésus: on peut citer, en
particulier, saint Jean Baptiste (24 juin), saint Joseph (19 mars),
les saints Pierre et Paul (29 juin), les autres Apôtres et saint
Évangélistes, sainte Marie Madeleine (22 juillet) et sainte Marthe
de Béthanie (29 juillet), enfin saint Étienne (26 décembre);
- il convient
d’encourager les fidèles à célébrer en priorité les Saints qui, dans
l’Église particulière, sont considérés comme les plus importants:
par exemple, les Patrons ou ceux qui, les premiers, ont annoncé la
Bonne Nouvelle à la communauté des origines;
- enfin, il est utile
d’enseigner aux fidèles le critère d’ "universalité", qui
caractérise les Saints inscrits dans le Calendrier Général, ainsi
que le sens du degré de leur célébration liturgique: solennité, fête
et mémoire (obligatoire ou facultative).
230. Le jour de
la fête du saint revêt une grande importance tant du point de vue de
la Liturgie que de la piété populaire. Dans un laps de temps très
bref, de nombreuses expressions cultuelles de nature liturgique ou
populaire concourent à donner une physionomie propre à ce "jour du
Saint", ce qui ne va pas sans poser des difficultés, voire des
risques de conflits.
Les divergences
éventuelles doivent être résolues à la lumière des normes du
Missel Romain et du Calendrier Romain Général concernant
les degrés de célébrations des Saints et des Bienheureux, qui sont
fixées en fonction de leur relation avec la communauté chrétienne
(Patron principal du lieu, Titulaire de l’Église, Fondateur ou
Patron principal d’une famille religieuse). Il faut aussi tenir
compte du transfert éventuel de la fête du Saint au dimanche
suivant, et des dispositions concernant la célébration des fêtes des
Saints durant certains temps particuliers de l’Année liturgique.
Ces normes doivent être
observées, non seulement à cause de l’obéissance due à l’autorité
liturgique du Saint-Siège, mais aussi et surtout pour les raisons
qui justifient l’existence même de ces dispositions: le respect
envers le mystère du Christ et la cohérence avec l’esprit de la
Liturgie.
En particulier, il est
nécessaire d’éviter que les raisons qui ont justifié le déplacement
de dates de certaines fêtes de Saints ou de Bienheureux - par
exemple, du Carême au Temps ordinaire - ne soient pas suivies
d’effet dans la pratique pastorale: ainsi, le fait de célébrer la
fête liturgique d’un Saint en se conformant à la nouvelle date, tout
en continuant de la célébrer à l’ancienne date dans le cadre de la
piété populaire, a pour conséquence de rompre gravement l’harmonie
entre la Liturgie et la piété populaire, et, surtout, elle donne
lieu à une répétition inutile de la même célébration, tout en
générant chez les fidèles la confusion et le désarroi.
231. Il est
nécessaire que la fête du Saint soit préparée, puis célébrée avec
beaucoup de soin, tant du point de vue liturgique que pastoral.
Cette exigence comporte
avant tout une présentation adéquate de la finalité pastorale du
culte des Saints, qui est totalement destiné à célébrer la gloire de
Dieu, "admirable dans ses Saints", et aussi à encourager les fidèles
à conformer leur vie à l’enseignement et à l’exemple du Christ, en
imitant les Saints, qui sont les membres éminents de son Corps
mystique.
De plus, il est
nécessaire que la figure du Saint soit présentée d’une manière
appropriée. De fait, en se plaçant dans la perspective de la
conception très juste qui prévaut à notre époque, il convient qu’une
telle présentation ne se base pas tant sur des faits légendaires,
qui entourent parfois la vie du Saint, ni sur ses qualités de
thaumaturge, que sur la valeur de sa personnalité chrétienne, la
grandeur de sa sainteté et l’efficacité de son témoignage
évangélique, ainsi que sur le charisme personnel grâce auquel il a
enrichi la vie de l’Église.
232. Le "jour du
Saint" a aussi une grande valeur anthropologique: c’est un jour de
fête. Et il est notoire que la fête répond à une nécessité vitale de
l’homme, et qu’elle se fonde ultimement sur son aspiration à la
transcendance. Par ses manifestations empreintes de joie et de
gaieté, la fête affirme la valeur de la vie et de la création. En
rompant avec la monotonie de la vie quotidienne et avec certaines
formes de vie trop conventionnelles, en libérant aussi momentanément
les fidèles de leur asservissement à l’égard de trop nombreuses
contraintes matérielles, la fête exprime à la fois la recherche
d’une liberté sans entraves, l’aspiration à un bonheur parfait et
l’exaltation de la pure gratuité. Sur le plan culturel, la fête met
en évidence le génie particulier d’un peuple, c’est-à-dire les
valeurs qui le caractérisent et le distinguent des autres peuples,
et les expressions les plus réussies de sa propre culture, y compris
de son folklore. La fête est aussi un moyen de socialisation qui
permet d’étendre le cercle de ses amis, et d’ouvrir ses relations de
voisinage à de nouveaux membres de la communauté.
233. Divers
facteurs menacent la qualité de la "fête du Saint" tant du point de
vue religieux qu’anthropologique:
Du point de vue
religieux, il peut arriver que la "fête du Saint", appelée "fête
patronale" dans le cadre de la paroisse, soit progressivement vidée
du contenu spécifiquement chrétien qui était le sien à l’origine -
et qui consistait à honorer le Christ dans l’un de ses membres -, et
qu’elle devienne surtout une manifestation sociale ou folklorique,
et, dans le meilleur des cas, une occasion privilégiée de rencontre
et de dialogue entre les membres d’une même communauté.
Du point de vue
anthropologique, il convient de noter qu’il n’est pas rare que
des groupes ou des personnes, en croyant "faire la fête", se
détachent en réalité du véritable sens de cette expression en raison
de leurs comportements. En effet, la fête est la participation de
l’homme à la domination de Dieu sur la création et à son "repos"
actif, qui est toute autre chose qu’une oisiveté stérile; elle est
aussi la manifestation d’une joie simple et communicative, et non la
la soif démesurée d’un plaisir égoïste; enfin, elle est l’expression
d’une vraie liberté, et non la recherche de formes de divertissement
ambiguës, qui génèrent elles-mêmes sournoisement de nouvelles formes
d’esclavage. On peut donc affirmer avec certitude que la
transgression des normes éthiques, non seulement contredit la loi du
Seigneur, mais encore constitue une blessure à la signification
anthropologique de la fête.
234. Le jour de
la fête d’un Saint ou d’un Bienheureux n’est pas l’unique forme de
présence de ces derniers dans le cadre de la Liturgie. De fait, la
célébration de l’Eucharistie constitue un moment privilégié de
communion avec les Saints du ciel.
Dans le cadre de la
Liturgie de la Parole, les lectures de l’Ancien Testament présentent
souvent les figures des grands patriarches, des prophètes et
d’autres personnes réputées pour leur vertu et pour leur attachement
à la Loi du Seigneur. De leur côté, les lectures du Nouveau
Testament évoquent souvent les Apôtres et les autres Saints et
Saintes qui vécurent dans une relation de proximité et d’amitié avec
le Seigneur. En outre, les vies de certains Saints constituent des
illustrations tellement lumineuses des pages de l’Évangile, qu’il
suffit de proclamer ces quelques passages pour évoquer leurs
figures.
Les rapports constants
entre la Sainte Écriture et l’hagiographie chrétienne ont donné
lieu, dans le contexte de la célébration eucharistique, à la
formation d’un ensemble de Communs, dans lesquels sont proposés des
passages de la Bible qui illustrent les divers aspects de la vie des
Saints. À propos de la relation étroite entre la Sainte Écriture et
la vie des Saints, on peut observer encore que la Sainte Écriture
oriente et jalonne le chemin des Saints vers la plénitude de la
charité, et qu’ils sont donc, chacun pour leur part, des
commentateurs vivants de la Parole de Dieu.
Les Saints sont
mentionnés à divers moments de la Liturgie eucharistique. Durant
l’offrande du Sacrifice, il est fait mémoire des "présents d’Abel le
Juste, du sacrifice de notre père dans la foi, Abraham, et de
l’oblation pure et sainte que t’offrit Melchisédech, ton grand
prêtre". De fait, la Prière eucharistique constitue un moment
privilégié et unique pour exprimer notre communion avec les Saints;
elle permet, en effet, de vénérer leur mémoire et de solliciter leur
intercession, puisque "dans la communion de toute l’Église, nous
voulons nommer et honorer en premier lieu la bienheureuse Marie
toujours Vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus Christ, saint
Joseph, son époux, les saints Apôtres et martyrs: Pierre et Paul,
André [...] et tous les saints; accorde-nous, par leur prière et
leurs mérites, d’être toujours et partout, forts de ton secours et
de ta protection".
235. Au cours de
certaines grandes célébrations des sacrements, et à d’autres moments
où la prière de l’Église se fait plus instante, celle-ci invoque les
Saints par le chant simple et populaire des Litanies des Saints,
dont l’existence est attestée depuis le début du VII siècle. La
prière des Litanies est prévue, en particulier, lors de la Vigile
pascale, avant la bénédiction de l’eau baptismale, et aussi au cours
de la célébration du baptême et des ordinations à l’ordre sacré de
l’épiscopat, du presbytérat et du diaconat, de même que dans le rite
de la consécration des vierges et de la profession religieuse, dans
le rite de la dédicace d’une église et d’un autel, au cours des
rogations, durant les messes comportant des stations et durant les
processions pénitentielles, pour ordonner au Malin de s’éloigner
dans le cadre des exorcismes, et enfin pour recommander les
agonisants à la miséricorde de Dieu.
Les Litanies des
Saints, qui contiennent des éléments provenant à la fois de la
tradition liturgique et de la piété populaire, illustrent la
confiance de l’Église dans l’intercession des Saints, et elles
mettent en valeur son expérience de la communion qui unit l’Église
de la Jérusalem céleste et l’Église qui est encore en pèlerinage sur
la terre. Il est permis d’invoquer, dans les Litanies des Saints,
les noms de ceux qui sont inscrits dans les Calendriers liturgiques
des diocèses et des Instituts religieux. Il est évident qu’il est
interdit d’insérer dans les Litanies les noms de personnes, dont le
culte n’est pas reconnu.
236. Le Concile
Vatican II rappelle que "selon la Tradition, les saints sont l’objet
d’un culte dans l’Église, et l’on y vénère leurs reliques
authentiques et leurs images". L’expression "reliques des Saints"
indique surtout les corps - ou des éléments significatifs de ces
corps - de tous ceux qui, par la sainteté héroïque de leur vie, se
révélèrent sur cette terre des membres éminents du Corps mystique du
Christ et des temples vivants de l’Esprit Saint (cf. 1 Co 3, 16; 6,
19; 2 Co 6, 16). De plus, les objets qui ont appartenu aux Saints
sont aussi considérés comme des reliques: il s’agit des objets
personnels, des vêtements, des lettres, et des objets qui ont été
mis en contact avec leurs corps ou leurs tombeaux (huiles, morceaux
d’étoffe (brandea)), et aussi des objets qui ont touché les
images vénérées du Saint.
237. Le
Missel Romain renové recommande de "garder l’usage de déposer
sous l’autel à consacrer des reliques de saints, même non martyrs".
Cette place des reliques, par rapport à l’autel, indique donc que le
sacrifice des membres de l’Église a pour origine et prend tout son
sens, à partir de l’unique sacrifice de la Tête de cette même
Église; de plus, les reliques expriment symboliquement la communion
de toute l’Église à l’unique sacrifice du Christ, et donc la mission
qui est confiée à cette Église de témoigner, même au prix du sang,
de sa fidélité à son Époux et Seigneur.
Cette expression
éminemment liturgique du culte des reliques n’est pas la seule; en
effet, la piété populaire en comprend bien d’autres. Il est vrai
néanmoins que les fidèles aiment vénérer les reliques. Il est donc
nécessaire de mettre en place une pastorale, qui soit capable de
promouvoir le véritable sens du culte des reliques; il s’agit, en
effet:
- de s’assurer de leur
authenticité; lorsqu’un doute subsiste, il convient de soustraire
les reliques à la vénération des fidèles, en agissant avec la
prudence pastorale requise dans ce genre de situation.
- d’empêcher la
division excessive des reliques, qui ne respecte pas la dignité du
corps humain; les normes liturgiques prévoient, en effet, que les
reliques doivent être "assez grandes pour qu’on puisse comprendre
qu’elles sont les restes de corps humains";
- d’exhorter les
fidèles de ne pas se laisser gagner par la manie de collectionner
des reliques; il est arrivé que, dans le passé, on ait à déplorer
les conséquences déplorables de ce genre d’habitudes.
- de veiller au bon
usage des reliques, afin d’éviter tout risque de fraudes, toute
forme de trafic, et toute autre avilissement du culte en
superstition.
Les différent actes de
la dévotion populaire envers les reliques des Saints doivent être
accomplis avec une grande dignité, et dans un climat de foi
authentique. Parmi les principales expressions de la piété
populaire, on peut citer le fait d’embrasser les reliques, de les
illuminer et de les orner de fleurs, de les employer pour bénir ou
de les porter en procession, et aussi de les apporter aux malades
pour les réconforter et mettre ainsi en valeur leur demande de
guérison. Il faut éviter dans les tous les cas d’exposer des
reliques sur la table de l’autel, car celle-ci est réservée au Corps
et au Sang du roi des martyrs.
238. Le Concile
de Nicée II a défendu avec vigueur la vénération envers les saintes
images en déclarant: "conformément à la doctrine divinement inspirée
de nos Saints Pères et à la tradition de l’Église catholique... nous
définissons avec certitude que comme les représentations de la Croix
précieuse et vivifiante, aussi les vénérables et saintes images,
qu’elles soient peintes, en mosaïque ou de quelque autre matière
appropriée, doivent être placées dans les saintes églises de Dieu,
sur les saints ustensiles et les vêtements, sur les murs et les
tableaux, dans les maisons et les chemins, aussi bien l’image de
Dieu notre Seigneur et sauveur Jésus-Christ que celle de notre Dame
immaculée, la sainte Mère de Dieu, des saints anges, de tous les
saints et des justes".
Les Saints Pères
reconnaissaient dans le mystère du Christ, le Verbe incarné,
"l’image du Dieu invisible" (col 1, 15) et aussi le fondement du
culte adressé aux saintes images: "l’incarnation du Fils de Dieu a
inauguré une nouvelle "économie" des images".
239. La
vénération des images, qu’elles soient peintes, ou réalisées sous la
forme de statues, de bas-reliefs ou d’autres représentations, est
importante aussi bien dans le cadre de la Liturgie que dans le
domaine de la piété populaire: les fidèles prient devant elles, tant
dans les églises que dans leurs propres maisons. Ils les ornent de
fleurs, de lumières et de pierres précieuses; ils emploient des
formes diverses pour leur rendre un hommage religieux, ils les
portent en procession, ils accrochent auprès d’elles des ex-voto en
signe de reconnaissance; ils les déposent dans des cavités ou des
petits monuments érigés dans les champs ou le long des routes.
Toutefois, afin
d’éviter certaines déviations, la vénération des images doit être
fondée sur une conception théologique appropriée. Il est donc
nécessaire que les fidèles connaissent la doctrine de l’Église
concernant le culte des saintes images, qui est contenue dans les
décrets des conciles œcuméniques et dans le Catéchisme de l’Église
Catholique.
240. Selon
l’enseignement de l’Église, les images sacrées sont:
- la traduction
iconographique du message évangélique, dans la mesure où l’image et
la parole révélée s’éclairent mutuellement; la tradition ecclésiale
exige, en effet, que la sainte image "s’accorde avec la lettre du
message évangélique";
- des signes saints,
qui, comme tous les signes liturgiques, ont comme référence ultime
le Christ; de fait, les images des Saints "renvoient à la figure du
Christ qui est glorifié en eux";
- une évocation de nos
Frères les Saints, "qui continuent à participer à l’histoire du
salut du monde et auxquels nous sommes unis, spécialement dans la
célébration des sacrements";
- une aide pour la
prière: la contemplation des saintes images facilite la supplication
et stimule la prière de reconnaissance pour les grâces insignes que
Dieu a accomplies dans la vie des Saints;
- une exhortation à
imiter les Saints, car "plus les yeux se posent sur ces images, plus
le souvenir et le désir d’imiter ceux qui y sont représentés sont
vifs et augmentent chez celui qui les contemple"; le fidèle est
appelé à imprimer dans son cœur ce qu’il contemple avec les yeux: le
Saint est une "vraie image de l’homme nouveau", transformé dans le
Christ par l’action de l’Esprit Saint, qui est demeuré fidèle à sa
propre vocation;
- une forme de
catéchèse: "le peuple est instruit et confirmé dans la foi à travers
l’histoire des mystères de notre Rédemption, qui sont exprimés au
moyen des images peintes ou d’autres formes de représentation, et il
dispose ainsi des moyens qui lui permettent de se rappeler et de
méditer assidument les articles de la foi".
241. Il est
nécessaire avant tout d’enseigner aux fidèles le caractère relatif
du culte chrétien des images. En effet, les images ne sont pas
vénérées pour elles-mêmes, mais pour ceux qu’elles représentent.
C’est pourquoi "on doit leur rendre l’honneur et la vénération qui
leur sont dus, non qu’on croie qu’il y a en elles du divin ou
quelque vertu qui justifieraient leur culte, ou qu’on doive leur
demander quelque chose, ou qu’on doive mettre fermement sa confiance
dans les images, comme il arrivait autrefois aux païens qui
mettaient leur espérance dans les idoles, mais parce que l’honneur
qu’on leur rend remonte aux modèles originaux qu’elles
représentent".
242. À la
lumière de ces enseignements, les fidèles doivent éviter de
commettre l’erreur d’établir des comparaisons entre les saintes
images. Le fait que certaines images soient l’objet d’une vénération
particulière, jusqu’à devenir le symbole de l’identité religieuse et
culturelle d’un peuple, d’une ville ou d’un groupe, doit être
expliqué à la lumière de la grâce particulière qui est à l’origine
du culte rendu à ces images, et à partir des événements historiques
et des éléments culturels qui ont concouru à les établir dans cette
fonction de représentation: il est compréhensible que le peuple
veuille commémorer fréquemment un événement de ce genre; une telle
célébration renforce sa foi, glorifie Dieu, sauvegarde sa propre
identité culturelle, et lui permet d’adresser avec confiance des
prières incessantes, que le Seigneur, selon sa parole (cf. Mt 7, 7;
Lc 11, 9; Mc 11, 24) est prompt à exaucer; ainsi, par ce moyen,
l’amour de Dieu et du prochain augmente, l’espérance se dilate et la
vie spirituelle du peuple chrétien ne cesse de croître.
243. Les saintes
images sont, par nature, autant des signes sacrés que des œuvres
d’art. De fait, "surtout quand elles sont remarquables de beauté
artistique et de noblesse religieuse, elles sont comme un écho de
cette beauté qui vient de Dieu et conduit à Dieu". Toutefois,
l’image sacrée n’a pas d’abord pour fonction de procurer une
satisfaction esthétique, mais d’introduire au Mystère. Lorsque
l’aspect esthétique prend le dessus, ce qui arrive parfois, l’image
est considérée plus comme un "thème" artistique que comme un moyen
de transmettre un message spirituel.
En Occident, la
production iconographique, dont les thèmes sont très variés, n’est
pas soumise, à la différence de l’Orient, à des normes strictes
contenues dans des canons vénérables, qui sont en vigueur depuis des
siècles. Cela ne signifie pas pour autant que l’Église latine ait
négligé d’exercer une certaine vigilance sur la production
iconographique: ainsi, elle a interdit à de nombreuses reprises
d’exposer dans les églises des images, qui seraient contraires à la
foi, de même que celles qui ne seraient pas dignes ou qui pourraient
induire les fidèles en erreur, ou encore qui seraient l’expression
d’une abstraction désincarnée ou déshumanisante; de fait, certaines
images sont plus le reflet d’un humanisme clos sur lui-même que les
exemples d’une spiritualité authentique. Il faut réprouver aussi la
tendance qui consiste à retirer systématiquement les images des
lieux sacrés, ce qui a pour effet de nuire gravement à la piété des
fidèles.
La piété populaire est
attachée aux saintes images, en qui les fidèles reconnaissent des
éléments de leur propre culture: ils sont donc sensibles aux
représentations réalistes, aux personnages, qu’ils peuvent
facilement identifier, et aux évocations des différents aspects de
la vie de l’homme: la naissance, la souffrance, le mariage, le
travail et la mort. Il convient, toutefois, d’éviter que l’art
religieux populaire ne dégénère en des représentations
superficielles ou mièvres, qui seraient privés de contenu véritable:
c’est pourquoi les œuvres d’art destinées à l’usage liturgique ne
doivent pas s’affranchir des règles de l’iconographie, et elles sont
appelées à former un art chrétien véritable, dont les expressions
diffèrent en fonction des époques et des divers courants culturels.
244. L’usage
cultuel des images des Saints incite l’Église à les bénir, surtout
celles qui sont destinées à la vénération publique des fidèles.
l’Église demande donc que, en suivant l’exemple des Saints, "nous
imitions leur exemple pour suivre le Seigneur et parvenir à la
plénitude de l’homme parfait, qu’est le Christ". De même, l’Église a
promulgué des normes concernant l’accueil et la disposition des
images dans les édifices du culte; celles-ci doivent être
strictement suivies. Ainsi, il est interdit de poser sur l’autel des
statues et des images de Saints, ainsi que des reliques pour les
proposer à la vénération des fidèles. L’Ordinaire a le devoir de
veiller à ce que ne soient pas vénérées des images indignes, ou qui
induiraient les fidèles en erreur, ou encore qui les inciteraient à
s’adonner à des pratiques superstitieuses.
245. Les
relations entre la Liturgie et la piété populaire sont
particulièrement importantes dans le domaine des processions; cette
forme de culte, répandue dans le monde entier, a une valeur à la
fois religieuse et sociale extrêmement riche et variée. En
s’inspirant des modèles contenus dans la Sainte Écriture (cf. Esd.
14, 8-31; 2 S 6, 12-19; 1 Co 15, 25-16, 3), l’Église a institué un
certain nombre de processions liturgiques, qui appartiennent à des
catégories différentes:
- certaines processions
ont pour but d’évoquer des événements du salut qui concernent le
Christ lui-même: ainsi, la procession du 2 février qui commémore la
présentation du Seigneur au Temple (cf. Lc 2, 22-38), celle du
Dimanche des Rameaux, qui évoque l’entrée messianique de Jésus dans
la ville de Jérusalem (cf. Mt 21, 1-10; Mc 11, 1-11; Lc 19, 28-38;
Jn 12, 12-16). Il convient aussi de mentionner la procession de la
Vigile pascale, qui fait mémoire du "passage", accompli par le
Christ, des ténèbres du tombeau à la gloire de la Résurrection;
cette procession constitue aussi une synthèse et un accomplissement
de tous les exodes de l’ancien Israël, et elle est le prélude des
différents "passages" que le disciple du Christ est appelé à
effectuer dans la célébration des divers sacrements, surtout dans le
rite du baptême, de même que dans la célébration des obsèques;
- d’autres processions
correspondent à une dévotion particulière: il s’agit, en
particulier, de la procession de la solennité du Corps et du Sang du
Seigneur: les fidèles expriment leur action de grâces envers le
Saint-Sacrement, qui traverse la cité des hommes, et ils proclament
leur foi en l’adorant; le Saint-Sacrement, porté en procession, est
aussi une source de bénédictions et de nombreuses grâces (cf. Ac 10,
38). On peut citer aussi la procession des rogations, dont la date
est fixée actuellement dans chaque pays par la Conférence des
Évêques: elle a pour objet de demander publiquement la bénédiction
de Dieu sur les champs et sur le travail de l’homme, et elle a aussi
un caractère pénitentiel. Enfin, il convient de mentionner la
procession au cimetière du 2 novembre, le jour de la Commémoration
de tous les fidèles défunts;
- diverses autres
processions sont encore prévues dans le cadre de certaines
célébrations liturgiques: ainsi, les processions des stations de
Carême, durant lesquelles la communauté se rend du lieu fixé pour la
collecta à l’église de la statio; la procession
organisée pour recevoir, dans l’église paroissiale, le saint chrême
et les autres saintes huiles, qui ont été bénits durant la Messe
chrismale du Jeudi Saint; la procession de l’adoration de la Croix,
prévue dans la célébration liturgique du Vendredi Saint; la
procession qui a lieu durant les Vêpres du jour de Pâques, pendant
laquelle "en chantant des psaumes, on va en procession aux fonts
baptismaux"; les "processions" qui sont prévues à certains moments
de la célébration eucharistique: à l’entrée du célébrant et des
ministres, au moment de la proclamation de l’Évangile, lors de la
présentation des dons, au moment de la communion au Corps et au Sang
du Seigneur; la procession organisée pour porter le Viatique aux
malades, dans les endroits où elle est encore en vigueur; le cortège
funèbre qui accompagne le corps du défunt de sa maison à l’église,
et de l’église au cimetière; enfin, la procession organisée à
l’occasion de la translation des reliques.
246. La piété
populaire a réservé une place très importante aux processions,
surtout à partir du Moyen Âge, et ce mouvement a atteint son apogée
à l’époque baroque: pour honorer les Saints patrons d’une cité,
d’une contrée ou d’une corporation, les fidèles prirent alors
l’habitude de porter en procession les reliques ou une statue, ou
encore une image du Saint à travers les rues de la ville.
Les processions, dans
ses formes les plus authentiques, permettent au peuple d’exprimer sa
foi; de plus, leur enracinement dans la culture locale contribue à
réveiller le sentiment religieux des fidèles. Il reste que, au même
titre que les autres pieux exercices, les "processions de dévotion
en l’honneur des Saints" sont susceptibles d’engendrer quelques
erreurs préjudiciables à la foi chrétienne: ainsi, il peut arriver
que ces dévotions l’emportent sur les sacrements, qui sont alors
relégués au second plan, et que ces manifestations externes
prévalent sur les dispositions intérieures des fidèles; de même, la
procession peut être considérée à tort comme le moment le plus
important de la fête du Saint. On peut citer aussi la tendance, qui
prévaut chez certains fidèles insuffisamment instruits, de
considérer le christianisme uniquement comme la "religion des
Saints". Enfin, il faut prendre garde à ne pas transformer la
procession, qui doit constituer avant tout un témoignage de foi, en
un simple spectacle ou une parade de type folklorique.
247. Afin que la
procession conserve dans chaque cas son caractère authentique de
manifestation de la foi, il est nécessaire que les fidèles soient
instruits de sa nature particulière du point de vue théologique,
liturgique et anthropologique.
Sur le plan
théologique, il faut mettre en évidence le fait que la
procession est un signe de la nature profonde de l’Église: celle-ci
est le peuple de Dieu qui chemine avec le Christ, et derrière lui,
tout en étant conscient de ne pas avoir de demeure définitive dans
ce monde (cf. He 13, 14), ou encore un peuple qui marche sur les
routes de la cité terrestre vers la Jérusalem céleste. La procession
est aussi le signe du témoignage de foi que la communauté chrétienne
doit rendre à son Seigneur à l’intérieur des structures de la
société civile. Elle est, enfin, le signe de l’engagement
missionnaire de l’Église, qui, depuis ses débuts, et selon le
commandement du Seigneur (cf. Mt 28, 19-20), s’est lancée sur toutes
les routes et les chemins du monde entier pour annoncer l’Évangile
du salut.
Du point de vue
liturgique, les processions, y compris celles qui ont un
caractère plus populaire, doivent être orientées vers la célébration
de la Liturgie: ainsi, il convient de présenter une procession
organisée d’une église jusqu’à une autre église, comme le signe du
chemin que doit accomplir la communauté vivant dans le monde pour
rejoindre la communauté, qui demeure dans les cieux. De même, il est
important que la procession soit organisée par l’Église, et que ce
soit elle qui la préside, afin d’éviter des manifestations
irrespectueuses et dégradantes. Il faut faire en sorte de prévoir,
au début de la procession, un moment de prière, qui doit
nécessairement inclure la proclamation de la Parole de Dieu. Le
chant doit être mis en valeur, de préférence celui des psaumes, avec
l’apport éventuel des instruments de musique. Durant la procession,
il est opportun de munir les fidèles de cierges ou de flambeaux
allumés, et de prévoir des haltes, qui doivent alterner avec la
marche, donnant ainsi l’image de toute vie humaine, qui comporte
elle aussi des moments de marche, ponctués par des arrêts. La
procession doit se conclure par une prière doxologique, adressée à
Dieu, source de toute sainteté, et par la bénédiction de celui qui
la préside, l’Évêque, le prêtre ou le diacre.
Enfin, du point de vue
anthropologique, il faut insister sur le sens de la
procession en tant que "chemin accompli ensemble"; en effet, unis
par la prière et par les chants, et tendus vers le même but, les
fidèles découvrent qu’ils sont solidaires les uns des autres; cette
expérience les incite à mettre en pratique, dans leur propre vie,
les résolutions chrétiennes qu’ils ont formulées dans leur cœur au
cours de la procession.
248. "C’est en
face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son
sommet". Toutefois, la foi dans le Christ transforme cette énigme en
la certitude d’une vie sans fin. De fait, Jésus a déclaré qu’il a
été envoyé par le Père "pour que tout homme qui croit en lui ne
meure pas, mais obtienne la vie éternelle" (Jn 3, 16), et aussi: "la
volonté de mon Père, c’est que tout homme qui voit le Fils et croit
en lui obtienne la vie éternelle; et moi, je le ressusciterai au
dernier jour". (Jn 6, 40). En référence à l’Écriture Sainte,
l’Église professe donc sa foi dans la vie éternelle, par ces mots
contenus dans le Symbole de Nicée-Constantinople: "j’attends la
résurrection des morts et la vie du monde à venir".
En se fondant sur la
Parole de Dieu, l’Église croit et espère fermement que "tout comme
le Christ est vraiment ressuscité d’entre les morts et vit pour
l’éternité, les justes, eux aussi, après leur mort, sont appelés à
vivre pour toujours avec le Christ ressuscité".
249. La foi dans
la résurrection des morts, qui est un élément essentiel de la
révélation chrétienne, implique une vision spécifique de l’événement
inéluctable et mystérieux de la mort.
La mort est la
conclusion de la phase terrestre de la vie humaine, mais "pas de
notre être", puisque l’âme est immortelle. "Nos vies sont inscrites
dans un laps de temps déterminé, durant lequel nous nous
transformons et nous vieillissons; ainsi, comme pour toutes les
créatures, qui peuplent cette terre, la mort apparaît comme la fin
naturelle de la vie"; du point de vue de la foi, la mort est aussi
"la fin du pèlerinage de l’homme sur cette terre; elle est aussi la
fin de ce temps de grâce et de miséricorde que Dieu offre à chaque
homme pour mener à bonne fin sa vie terrestre selon son projet
divin, et pour décider de son destin éternel".
S’il est vrai que la
mort est un phénomène naturel, il apparaît aussi qu’elle correspond
au "salaire du péché" (Rm 6, 23). De fait, selon une interprétation
authentique des affirmations contenues dans la Sainte Écriture (cf.
Gn 2, 17; 3, 3; 3, 19; Sg 1, 13; Rm 5, 12; 6, 23), le Magistère de
l’Église "enseigne que la mort est entrée dans le monde à cause du
péché de l’homme".
Jésus, le Fils de Dieu,
"né d’une femme, sujet de la loi juive" (Ga 4, 4), a lui aussi subi
la mort, qui est propre à la condition humaine; et tout en éprouvant
de l’angoisse face à elle (cf. Mc 14, 33-34; He 5, 7-8), "il
l’accepta en se soumettant sans réserve et librement à la volonté de
son Père. L’obéissance de Jésus a transformé la malédiction de la
mort en bénédiction".
La mort est devenue le
passage à la plénitude de la vraie vie; l’Église renverse donc la
logique et la prospective de ce monde en appelant le jour de la mort
du chrétien son dies natalis, ou le jour de sa naissance au
ciel, où "la mort n’existera plus, et il n’y aura plus de pleurs, de
cris, ni de tristesse, car la première création aura disparu" (Ap
21, 4). Comme l’exprime si bien la Liturgie, la mort est donc le
prolongement de la vie d’ici-bas, selon un mode complètement
nouveau: "car pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur, la vie
n’est pas détruite, elle est transformée; et lorsque prend fin leur
séjour sur la terre, ils ont déjà une demeure éternelle dans les
cieux".
Enfin, la mort du
chrétien est un événement de grâce, dans la mesure où, dans le
Christ et par le Christ, elle acquiert un sens positif. Cette
certitude est fondée sur l’enseignement des Écritures: "en effet,
pour moi vivre, c’est le Christ, et mourir est un avantage" (Ph 1,
21); "voici une parole sûre: si nous sommes morts avec lui, avec lui
nous vivrons" (2 Tm 2, 11).
250. Selon la
foi de l’Église, le fait de "mourir avec le Christ" commence avec le
Baptême: en le recevant, le disciple du Seigneur est déjà
sacramentellement "mort avec le Christ" et ressuscité à une vie
nouvelle; s’il meurt dans la grâce du Christ, la mort physique est
le sceau de cette "mort avec le Christ", et elle le porte ainsi à
son propre achèvement en l’incorporant pleinement et pour toujours
au Christ Rédempteur.
Ainsi, l’Église, en
priant pour les âmes des défunts, implore Dieu en leur faveur pour
qu’ils obtiennent de Lui la vie éternelle; cette prière n’est pas
uniquement destinée aux disciples du Christ, mais aussi à tous les
défunts, dont Dieu seul connaît la foi.
251. Au moment
de sa mort, le juste rencontre Dieu, qui l’appelle à lui pour le
rendre participant de sa vie divine. Toutefois, personne ne peut
être accueilli dans l’amitié et l’intimité de Dieu, s’il n’a pas
d’abord été purifié des conséquences personnelles de toutes ses
fautes par Dieu lui-même. "L’Église appelle Purgatoire cette
purification finale des élus, qui est tout autre chose que le
châtiment des damnés. L’Église a formulé la doctrine de la foi
relative au Purgatoire en particulier dans les décrets des Conciles
de Florence et de Trente".
Cette doctrine a
suscité la pieuse habitude des prières de suffrages pour les âmes du
Purgatoire. Elles sont une supplication pressante adressée à Dieu
pour qu’il accorde sa miséricorde aux fidèles défunts, qu’il les
purifie du feu de sa charité et les introduise dans son Royaume de
lumière et de vie.
Les suffrages sont une
expression cultuelle de la foi dans la communion des Saints. De
fait, "l’Église en ses membres qui cheminent sur la terre a entouré
de beaucoup de piété la mémoire des défunts dès les premiers temps
du christianisme en offrant aussi pour eux ses suffrages, car "la
pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs
péchés, est une pensée sainte et pieuse" (2 M 12, 46)". Parmi ces
prières, viennent en premier lieu la célébration du sacrifice
eucharistique, puis d’autres expressions de piété, comme les
prières, les aumônes, les œuvres de miséricorde, les indulgences en
faveur des âmes des défunts.
252. Dans la
liturgie romaine, comme dans les autres liturgies latines et
orientales, les prières de suffrages pour les défunts sont
fréquentes et variées.
Les obsèques
chrétiennes comprennent, selon les différentes traditions, trois
moments essentiels, même si les conditions de vie dans les villes
imposent souvent de réduire leur nombre à deux, voire à un seul:
- La veillée de
prière dans la maison du défunt, ou, selon les circonstances,
dans un autre lieu adapté, durant laquelle les parents, les amis et
les fidèles élèvent vers Dieu des prières en faveur du défunt,
écoutent "les paroles de la vie éternelle" et, à la lumière de ces
dernières, dépassent les seules prospectives offertes par le monde
d’ici-bas, pour se tourner vers les promesses authentiques fondées
sur la foi dans le Christ ressuscité. La veillée de prières a aussi
pour but d’apporter du réconfort aux proches du défunts, et
d’exprimer la proximité des chrétiens à leur égard, selon les
paroles de l’Apôtre: "pleurez avec ceux qui pleurent" (Rm 12, 15).
- la célébration de
l’Eucharistie, qui est très souhaitable quand elle est possible.
Durant cette sainte messe, la communauté ecclésiale écoute "la
parole de Dieu qui proclame le mystère pascal, donne l’espérance de
se revoir dans le Royaume de Dieu, ravive la piété envers les
défunts et exhorte au témoignage d’une vie vraiment chrétienne".
Celui qui préside commente la Parole durant une homélie "qui doit
éviter la forme et le style d’un éloge funèbre". Dans l’Eucharistie,
"l’Église, telle une Mère, exprime sa communion effective avec le
défunt: en offrant au Père et dans l’Esprit Saint, le sacrifice de
la Mort et de la Résurrection du Christ, elle demande que son enfant
soit purifié de ses péchés et de leurs conséquences, et qu’il soit
admis à la plénitude pascale des noces éternelles dans le Royaume".
Une lecture attentive de la Messe des obsèques permet de comprendre
à quel point la Liturgie exprime que l’Eucharistie est le banquet
eschatologique, le vrai refrigerium chrétien du défunt.
- le rite de
l’adieu, le cortège funèbre et la sépulture: le
rite de l’adieu (ad Deum) au défunt est la "recommandation" de son
âme à Dieu de la part de l’Église, "l’ultime salutation adressée par
la communauté chrétienne à l’un de ses membres avant la sépulture de
son corps". Le cortège funèbre manifeste que la Mère Église, qui,
sacramentellement, a porté le chrétien dans son sein tout au long de
son pèlerinage sur la terre, désire accompagner son corps durant son
repos dans l’attente du jour de la résurrection (cf. 1 Co 15,
42-44).
253. Chacun des
rites des obsèques chrétiennes doit être accompli avec une grande
dignité et le sens religieux qui convient. Il est donc nécessaire
que le corps du défunt, qui a été le temple de l’Esprit Saint, soit
traité avec un grand respect, que l’ornementation funéraire soit
digne, et exempte de toute ostentation et de toute pompe inutile, et
que les signes liturgiques, comme la croix, le cierge pascal, l’eau
bénite et l’encens, soient employés d’une manière appropriée.
254. La piété
populaire s’est éloignée des pratiques de momification,
d’embaumement ou d’incinération du corps, car elles induisent l’idée
que la mort provoque la destruction totale de l’être humain; elle a
donc retenu l’inhumation comme modèle de sépulture pour le fidèle.
En effet, celle-ci évoque, d’une part, la terre d’où l’homme est
tiré (cf. Gn 2, 6), et à laquelle il doit retourner (cf. Gn 3, 19;
Si 17, 1) et, d’autre part, elle se réfère à la sépulture de Jésus,
grain de blé tombé en terre, qui a porté beaucoup de fruits (cf. Jn
12, 24).
Toutefois, à notre
époque, la pratique de l’incinération se répand pour des raisons
liées aux transformations des conditions de vie et d’environnement.
À ce propos la législation ecclésiastique dispose que "à ceux qui
ont choisi l’incinération de leur corps, on accordera les
funérailles chrétiennes, sauf s’il est évident qu’ils ont fait ce
choix pour des motifs contraires à la foi chrétienne". Les fidèles
qui ont fait ce choix sont expressément invités à ne pas conserver
les urnes des défunts de leurs familles dans leur maisons, mais à
leur donner une sépulture décente, jusqu’à ce que Dieu fasse
resurgir ceux qui reposent dans la terre et que la mer rende les
morts qu’elle contient (cf. Ap 20, 13).
255. l’Église
offre le sacrifice eucharistique pour les défunts, non seulement au
moment des funérailles, mais aussi le jour anniversaire de leur
mort, spécialement le troisième, ou le septième ou encore le
trentième jour après leur décès. La célébration de la Messe pour le
repos de l’âme d’un défunt, que l’on a connu sur cette terre, est la
manière chrétienne de se souvenir et de prolonger, dans le Seigneur,
la communion avec ceux qui ont franchi le seuil de la mort. De plus,
le 2 novembre, l’Église réitère l’offrande du saint sacrifice pour
tous les fidèles défunts, pour lesquels elle célèbre aussi la
Liturgie des Heures.
Au cours de la
célébration de l’Eucharistie et de celle des Vêpres, l’Église ne
manque jamais d’élever une prière de supplication quotidienne vers
le Seigneur, pour qu’il accorde "aux fidèles qui nous ont précédés,
marqués du signe de la foi, et [...] à tous ceux qui reposent dans
le Christ, la joie, la lumière et la paix."
Il est donc important
d’éduquer les sentiments des fidèles sur le sens qu’il convient
d’attribuer à la mort de leurs propres défunts, à partir de la
célébration eucharistique, et, ainsi, leur expliquer le véritable
sens de la prière de l’Église, qui vise à obtenir que les défunts de
tous les temps et en tous lieux, soient associés à la gloire du
Christ ressuscité; les fidèles doivent donc éviter de tomber dans
une vision trop possessive ou particulariste de la Messe pour leur
"propre" défunt. La célébration de la Messe pour les défunts est
aussi une occasion pour faire une catéchèse sur les fins dernières.
256. La piété
populaire, au même titre que la liturgie, est très attentive à
mettre en valeur la mémoire des défunts, et elle exhorte notamment
les fidèles à se tourner vers Dieu pour lui adresser des prières de
suffrages en faveur de ceux qui sont décédés
Dans le cadre de la
"commémoration des fidèles défunts", la question des relations entre
la Liturgie et la piété populaire doit être abordée avec beaucoup de
prudence et de délicatesse sur le plan pastoral, tant du point de
vue doctrinal que de celui de l’harmonisation nécessaire entre les
célébrations liturgiques et les pieux exercices.
257. Il est
avant tout nécessaire que les diverses expressions de la piété
populaire soient bien enracinées dans les éléments essentiels qui
constituent la foi chrétienne, c’est-à-dire, en l’occurrence, la
signification pascale de la mort de ceux qui, par le Baptême, ont
été incorporés au mystère de la mort et de la résurrection du Christ
(cf. Rm 6, 3-10), l’immortalité de l’âme (cf. Lc 23, 43), la
communion des saints, car "l’union de ceux qui sont encore en
chemin, avec leurs frères qui se sont endormis dans la paix du
Christ, n’est nullement interrompue; au contraire, selon la foi
constante de l’Église, cette union est renforcée par l’échange des
biens spirituels": "notre prière pour eux peut non seulement les
aider mais aussi rendre efficace leur intercession", de même que la
résurrection de la chair, la manifestation glorieuse du Christ, "qui
viendra juger les vivants et les morts", la récompense ou, au
contraire, le châtiment en fonction des œuvres accomplies par
chacun, et, enfin, la vie éternelle.
Les usages et les
traditions de certains peuples dans le domaine spécifique du "culte
des morts" sont profondément marqués par des éléments particuliers,
qui font partie de leur culture locale: il s’agit notamment de
conceptions anthropologiques qui sont liées au désir de prolonger
les liens familiaux, et plus généralement, les relations sociales et
amicales, avec les défunts. L’examen et l’évaluation de ces coutumes
doivent être effectués avec la prudence requise, afin d’éviter de
les considérer trop rapidement comme des relents de paganisme, à
moins que ces usages ne soient manifestement contraires à
l’Évangile.
258. Du point de
vue doctrinal, il faut éviter:
- le danger de
maintenir dans les expressions de la piété populaire envers les
défunts, des éléments ou des aspects inacceptables du culte païen
des ancêtres;
- l’invocation des
morts au moyen de pratiques divinatoires;
- le fait d’attribuer à
des personnes défuntes la signification de certains événements,
souvent imaginaires, dont la peur conditionne souvent le mode d’agir
des fidèles;
- le risque que
s’insinuent des formes de croyance en la réincarnation;
- le danger de nier
l’immortalité de l’âme et de dissocier la mort de la réalité future
de la résurrection, ce qui a pour effet de présenter la religion
chrétienne comme une religion des morts;
- l’application des
catégories spatio-temporelles à la condition des défunts.
259. L’erreur
doctrinale et pastorale, qui consiste à "occulter la mort et les
divers éléments qui l’entourent", est très répandue dans la société
moderne, ce qui entraîne souvent des conséquences dommageables.
Les médecins, le
personnel médical et les proches parents estiment souvent qu’il est
de leur devoir de cacher au malade le caractère imminent de sa mort,
et il est vrai aussi que ce dernier meurt presque toujours hors de
sa maison du fait des progrès de l’hospitalisation.
Il est habituel de
constater qu’aucune place n’est prévue pour accueillir la réalité
incontournable de la mort dans la civilisation urbaine de ce temps,
qui est uniquement celle des vivants: ainsi, dans les immeubles
situés dans les villes, l’exiguïté des appartements rend impossible
l’organisation d’une veillée funèbre dans l’une des pièces de
l’habitation; de même, dans les rues, l’intensité de la circulation
provoque l’interdiction des cortèges funèbres, car leur lenteur
constituerait une gêne pour le trafic automobile. De plus, on peut
facilement observer que, dans les aires urbaines, le cimetière a
changé de place: alors qu’autrefois, il était autour de l’église, ou
non loin d’elle, en particulier dans les villages - il était donc à
la fois une composante et un signe de la communion entre les vivants
et les défunts dans le Christ -, le cimetière est maintenant situé
dans la périphérie, et on l’installe toujours plus loin des
habitations, pour éviter qu’il ne soit englobé au fur et à mesure de
l’expansion de la ville.
La civilisation moderne
refuse "la visibilité de la mort", et elle s’efforce donc d’en
éliminer les signes. Dans un certain nombre de pays, ce rejet a pour
conséquence le développement de l’embaumement du cadavre: il s’agit,
par un procédé chimique, de conserver le corps du défunt afin qu’il
ait encore toutes les apparences de la vie.
Le chrétien doit, au
contraire, se familiariser avec la pensée de la mort et accepter
cette réalité dans la paix et la sérénité; il ne peut donc pas
adhérer intérieurement à ce phénomène d’ "intolérance à l’égard des
défunts", qui prive ces derniers de tout espace dans la vie des
cités contemporaines; il ne peut pas non plus accepter le refus de
la "visibilité de la mort": en effet, cette intolérance et ce rejet
sont les signes d’une fuite irresponsable par rapport à la réalité,
ou encore ils correspondent à une vision matérialiste de
l’existence, privée d’espérance et étrangère à la foi dans le Christ
mort et ressuscité.
Le chrétien doit aussi
s’opposer fermement aux nombreuses formes du "commerce de la mort",
dont les adeptes cherchent seulement à réaliser des gains démesurés
et honteux, en profitant de la crédulité des fidèles.
260. La piété
populaire envers les défunts s’exprime de multiples manières, selon
les lieux et en fonction de traditions très diverses. On peut citer
notamment:
- la neuvaine de
prières pour les défunts, en guise de préparation à la Commémoration
du 2 novembre, et l’octave, comme prolongement de cette célébration;
ces deux pieux exercices doivent être célébrés en respectant le
déroulement de la Liturgie;
- la visite au
cimetière: il arrive qu’elle soit accomplie d’une manière
communautaire, comme le jour de la Commémoration de tous les fidèles
défunts, ou à la fin d’une mission populaire, ou encore à l’occasion
de la prise de possession d’une paroisse par un nouveau curé. Il
peut s’agir aussi d’une visite privée: les fidèles se rendent alors
près des tombes de leurs proches, avec le désir de les entourer de
respect et d’honneur, en les ornant de fleurs et de lumières; une
telle visite doit avoir pour but de manifester les liens qui
existent entre le défunt et ses proches, et non pas se réduire à une
simple obligation, fondée sur une peur relevant de la superstition;
- l’adhésion à des
confréries et des associations pieuses qui ont pour but d’
"ensevelir les morts", en offrant des suffrages pour les défunts et
en manifestant la solidarité concrète des chrétiens avec les proches
parents du disparu, conformément à la conception chrétienne de la
mort.
- les suffrages
fréquents pour les défunts: ils peuvent revêtir différentes formes,
qui ont déjà été mentionnées: les aumônes, les diverses autres
œuvres de miséricorde, les indulgences, et, surtout, les prières,
notamment le psaume De profundis, ou la brève formule du
Requiem aeternam, qui accompagne souvent la prière de l’Angelus,
la méditation du chapelet, et la bénédiction de la table
familiale.
261. Le
sanctuaire, qu’il soit dédié à la Très Sainte Trinité, au Christ
Seigneur, à la binheureuse Vierge Marie, aux Anges, aux Saints ou
aux Bienheureux, est sans doute l’un des lieux où les rapports entre
la Liturgie et la piété populaire sont les plus fréquents et
concrets. "Dans les sanctuaires seront plus abondamment offerts aux
fidèles les moyens de salut en annonçant avec zèle la parole de
Dieu, en favorisant convenablement la vie liturgique surtout pour la
célébration de l’Eucharistie et de la pénitence, ainsi qu’en
entretenant les pratiques éprouvées de piété populaire".
En relation étroite
avec le sanctuaire, on trouve le pèlerinage, qui est lui aussi une
forme très répandue et caractéristique de la piété populaire.
À notre époque,
l’intérêt pour les sanctuaires et la participation aux pèlerinages,
loin de s’affaiblir du fait de la sécularisation, fait preuve au
contraire une grande vigueur parmi les fidèles.
Il paraît néanmoins
nécessaire, conformément à la finalité de ce Document, de présenter
quelques orientations dans le but d’instaurer et de favoriser des
relations harmonieuses entre les célébrations liturgiques et les
pieux exercices, dans le cadre de l’activité pastorale des
sanctuaires et pour le bon déroulement des pèlerinages.
262. Selon la
révélation chrétienne, le sanctuaire suprême et définitif est le
Christ ressuscité (cf. Jn 2, 18-21; Ap 21, 22), autour duquel se
rassemble et s’organise la communauté des disciples, qui est
elle-même la nouvelle demeure du Seigneur (cf. 1 P 2, 5; Ep 2,
19-22).
Du point de vue
théologique, le sanctuaire, dont l’origine provient assez souvent de
la piété populaire, est un signe de la présence active et
rédemptrice du Seigneur dans l’histoire; il est aussi un lieu où le
peuple de Dieu, qui chemine sur les routes du monde vers la Cité
future (cf. He 13, 14), fait une halte et reprend des forces avant
de poursuivre son pèlerinage.
263. Le
sanctuaire, comme les églises, a une grande valeur symbolique: il
est l’icône de la "demeure de Dieu parmi les hommes" (Ap 21, 3), et
il évoque "le mystère du Temple", qui s’accomplit dans le corps du
Christ (cf. Jn 1, 14; 2, 21), dans la communauté ecclésiale (cf. 1 P
2, 5), et dans la personne de chaque fidèle baptisé (cf. 1 Co 3,
16-17; 6, 19; 2 Co 6, 16).
Pour les fidèles, les
sanctuaires sont souvent, à cause de leur origine, la mémoire d’un
événement considéré par eux comme extraordinaire, et qui a provoqué
l’émergence de manifestations de dévotion durable, ou des
témoignages de piété et de reconnaissance de tout un peuple pour les
grâces reçues en ce lieu. À cause des nombreux signes de miséricorde
qui se manifestent dans les sanctuaires, ces derniers sont aussi des
lieux privilégiés où Dieu vient en aide aux hommes, et où se
manifeste l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie, des Saints
ou des Bienheureux. De même, leur emplacement, souvent élevé ou
solitaire, leur beauté austère ou, au contraire, agréable, font des
sanctuaires des témoins privilégiés de l’harmonie du cosmos, et des
lieux où se reflète la beauté de Dieu. La prédication, qui résonne
constamment dans les sanctuaires est, pour les fidèles à la fois un
appel efficace à la conversion, une invitation à vivre dans la
charité et à multiplier les œuvres de miséricorde, enfin, une
exhortation à vivre en suivant fidèlement le Christ. Les sacrements,
qui peuvent être reçus dans ces lieux, permettent de consolider la
foi des fidèles; ils leur permettent aussi de croître dans la grâce,
et ils leur procurent le secours et l’espérance dans les épreuves
qu’ils peuvent rencontrer. Les sanctuaires, en mettant en valeur un
aspect particulier du message évangélique, peuvent être considérés
comme une illustration et même un prolongement de la Parole de Dieu.
Enfin, l’orientation eschatologique des sanctuaires contribue à
transmettre aux fidèles le sens de la transcendance; leur présence
dans ces lieux les incitent à diriger leurs pas, à travers les
chemins de la vie d’ici-bas, vers le sanctuaire du ciel (cf. He 9,
11; Ap 21, 3).
"Toujours et partout,
les sanctuaires chrétiens ont été ou ont voulu être des signes de
Dieu, de son irruption dans l’histoire humaine. Chacun d’eux est un
mémorial du mystère de l’Incarnation et de la Rédemption".
264. "Par
sanctuaire on entend une église ou un autre lieu sacré où les
fidèles se rendent nombreux en pèlerinage pour un motif particulier
de piété avec l’approbation de l’Ordinaire du lieu".
La reconnaissance
canonique d’un lieu sacré comme sanctuaire diocésain, national ou
international dépend respectivement de l’Évêque diocésain, de la
Conférence des Évêques ou du Saint-Siège. L’approbation canonique
équivaut à une reconnaissance officielle du lieu sacré et de sa
finalité spécifique; cette dernière consiste à accueillir les
pèlerinages du peuple de Dieu organisés en ce lieu pour adorer le
Père, professer la foi, se réconcilier avec Dieu, avec l’Église et
avec ses frères, et implorer l’intercession de la Mère du Seigneur
ou d’un Saint.
Toutefois, il ne faut
pas oublier que, localement, de nombreux autres lieux de culte,
souvent humbles - comme certaines petites églises situées dans les
villes ou à la campagne - assument un rôle similaire à celui des
sanctuaires, tout en ne bénéficiant pas d’une reconnaissance
canonique. Ils font eux aussi partie de la "géographie" de la foi et
de la piété du peuple de Dieu, puisqu’ils marquent l’emplacement
d’une communauté qui demeure sur un territoire déterminé et qui,
dans la foi, chemine vers la Jérusalem céleste (cf. Ap 21).
265. Le
sanctuaire a une fonction principalement cultuelle. Les fidèles se
rendent, en effet, dans ce lieu pour participer aux célébrations
liturgiques et aux pieux exercices. Toutefois, cette fonction
cultuelle reconnue du sanctuaire ne doit pas obscurcir, dans la
conscience des fidèles, l’enseignement évangélique selon lequel le
lieu n’est pas un élément déterminant pour rendre un culte
authentique au Seigneur (cf. Jn 4, 20-24).
266. Les
responsables des sanctuaires ont le devoir de veiller à la qualité
exemplaire des cérémonies: "La promotion d’une Liturgie de qualité
fait partie des fonctions, qui sont dévolues aux sanctuaires; il
s’agit même d’une obligation inscrite dans le Code de droit
canonique. Cette promotion concerne moins l’obligation d’augmenter
le nombre des célébrations que celle d’améliorer la qualité de
celles qui existent déjà. Les recteurs des sanctuaires doivent être
bien conscients de leur responsabilité dans ce domaine. Ils doivent
comprendre, en effet, que les fidèles, qui se rendent dans les
différents sanctuaires, doivent en repartir réconfortés sur le plan
spirituel et édifiés par les célébrations liturgiques auxquelles ils
ont participé: celles-ci auront su leur transmettre le message du
salut par la noble simplicité de leurs rites et le respect fidèle
des normes liturgiques. Ces mêmes recteurs doivent savoir aussi que
les effets d’une célébration liturgique exemplaire ne se limitent
pas à ladite célébration accomplie dans le sanctuaire: en effet, les
prêtres et les fidèles, qui participent à des cérémonies de qualité,
sont portés à les faire connaître dans leurs propres lieux de culte
d’origine".
267. Pour de
nombreux fidèles, la visite du sanctuaire est une occasion
particulièrement favorable, et qui équivaut souvent à une recherche
très ardente, de s’approcher du sacrement de Pénitence. Il est donc
nécessaire de préparer avec soin les différents éléments qui font
partie de ce sacrement. Parmi ces derniers, on peut citer, en
particulier:
- le lieu de la
célébration: en plus des confessionnaux traditionnels disposés
dans l’église, il est souhaitable que, dans les sanctuaires les plus
fréquentés, un lieu soit réservé à la célébration du sacrement de
Pénitence, qui puisse convenir à des moments de préparation
communautaire et à des célébrations pénitentielles, dans le respect
des normes canoniques et tout en garantissant la discrétion requise
pour la confession; de plus, un tel lieu doit offrir un espace
adapté pour le dialogue du pénitent avec le confesseur.
- La préparation au
sacrement: les fidèles ont souvent besoin d’être aidés dans
l’accomplissement de certains actes qui font partie du sacrement: ce
soutien a surtout pour but d’orienter leur cœur vers Dieu, "parce
que la vérité de la Pénitence dépend d’une sincère conversion". Il
est donc utile d’organiser des rencontres de préparation, qui sont
proposées dans l’Ordo Paenitentiae, grâce auxquelles, par
l’écoute et la méditation de la Parole de Dieu, les fidèles sont
conduits à célébrer fructueusement le sacrement. Il convient du
moins de mettre à la disposition des fidèles, des personnes idoines
qui puissent les aider, non seulement à préparer la confession de
leurs péchés, mais encore et surtout à éprouver un sincère repentir
pour les fautes commises.
- Le choix du rite,
afin de permettre aux fidèles de mieux prendre conscience de la
dimension ecclésiale du sacrement de Pénitence. Dans cette optique,
la célébration du Rite pour la réconciliation de plusieurs
pénitents avec la confession et l’absolution individuelle
(seconde forme), à condition qu’elle soit préparée avec soin, ne
devrait pas constituer une exception, mais un fait normal; de telles
célébrations devraient notamment être organisées à des périodes
déterminées ou à l’occasion de célébrations particulièrement
importantes de l’Année liturgique. En effet, "la célébration
communautaire manifeste plus clairement la nature ecclésiale de la
Pénitence". La réconciliation avec absolution générale, qui, par
définition, ne comporte pas la confession individuelle et intégrale
des péchés, est une forme tout à fait exceptionnelle et
extraordinaire du sacrement de Pénitence, qui ne peut être
considérée sur le même plan que les deux autres formes ordinaires,
comme s’il s’agissait d’une simple alternative; de plus, la grande
affluence des pénitents, à l’occasion de certaines fêtes et de
pèlerinages, n’est pas une condition suffisante pour justifier le
recours à cette forme extraordinaire du sacrement.
268. "La
célébration de l’Eucharistie est le sommet et comme le foyer de
toute l’action pastorale des sanctuaires"; c’est pourquoi, il
convient de lui prêter la plus grande attention afin que son
déroulement soit exemplaire, et qu’elle puisse conduire les fidèles
à une rencontre profonde avec le Christ.
Il arrive souvent que
plusieurs groupes manifestent le désir de célébrer l’Eucharistie en
même temps, et séparément. Un tel choix a pour conséquence de
contredire la dimension ecclésiale du mystère eucharistique,
puisque, dans ce cas, la célébration de la Messe, au lieu d’être un
moment d’unité et de fraternité, est plutôt l’expression d’un
particularisme qui ne reflète pas les valeurs de communion et
d’universalité, qui sont propres à l’Église.
Une simple réflexion
sur la nature de la célébration de l’Eucharistie, "sacrement de
l’amour, signe de l’unité, lien de la charité", devrait convaincre
les prêtres, qui guident les pèlerinages, de faire tout pour
favoriser la réunion des différents groupes dans une même
concélébration, à condition qu’elle soit bien organisée et attentive
- si un tel cas se présente - à la diversité des langues. De même, à
l’occasion des rassemblements de fidèles appartenant à diverses
nationalités, il est vivement recommandé de chanter en langue latine
et en recourant à des mélodies faciles, au moins les parties de
l’Ordinaire de la Messe, spécialement le symbole de la foi et la
prière du Seigneur. Une telle célébration contribue à donner une
vraie image de la nature de l’Église et de l’Eucharistie; elle est
aussi une occasion pour les pèlerins de s’accueillir mutuellement,
tout en leur permettant de s’enrichir réciproquement.
269. L’Ordo
unctionis infirmorum eorumque pastoralis curae prévoit la
célébration communautaire du sacrement de l’Onction des malades dans
les sanctuaires, surtout à l’occasion des pèlerinages auxquels les
malades sont invités à participer. Cette disposition correspond
parfaitement à la nature du sacrement et à la fonction du
sanctuaire: il est juste que dans un lieu où l’invocation de la
miséricorde du Seigneur est plus intense, les fidèles puissent faire
l’expérience de la présence maternelle de l’Église en faveur de ses
enfants, qui sont atteints par l’épreuve de la maladie ou de la
vieillesse.
Le rite doit se
dérouler selon les indications de l’Ordo, en particulier
"s’il y a là plusieurs prêtres, chacun d’eux impose les mains sur
quelques malades et fait l’Onction, en disant la formule qui
l’accompagne. Les prières sont dites par le seul célébrant
principal".
270. Dans les
sanctuaires, outre l’Eucharistie, la Pénitence et la célébration
communautaire de l’Onction des malades, il arrive que les autres
sacrements soient célébrés plus moins fréquemment. Cela exige de la
part des responsables des sanctuaires, outre le respect des
dispositions émises par l’Évêque diocésain:
- la recherche d’une
entente sincère et d’une collaboration fructueuse entre le
sanctuaire et la communauté paroissiale;
- l’attention à la
nature de chacun des sacrements; ainsi, par exemple, les sacrements
de l’initiation chrétienne, qui requièrent une longue préparation et
ont pour effet d’enraciner le baptisé dans la communauté ecclésiale,
devraient être normalement célébrés dans le cadre de la paroisse;
- l’assurance que la
célébration de chacun des sacrements a bien fait l’objet d’une
préparation adéquate; les responsables d’un sanctuaire ne doivent
pas notamment s’engager à célébrer le sacrement de mariage sans
avoir reçu auparavant l’autorisation de l’Ordinaire ou du curé;
- l’évaluation sereine
des multiples situations concrètes, qui sont souvent imprévisibles,
et pour lesquelles il n’est pas possible d’établir des normes
rigides.
271. Le séjour
dans un sanctuaire offre un temps et un lieu favorables pour la
prière personnelle et communautaire, et il est aussi une occasion
privilégiée pour aider les fidèles à apprécier la beauté de la
Liturgie des Heures, et à s’associer à la louange quotidienne que,
au cours de son pèlerinage sur la terre, l’Église élève vers le
Père, par le Christ, et dans l’Esprit Saint.
Les recteurs des
sanctuaires sont donc invités à prévoir des célébrations dignes et
festives de la Liturgie des Heures, spécialement celles des Laudes
et des Vêpres, qu’ils introduiront d’une manière opportune dans les
programmes destinés aux pèlerins, en leur suggérant de prier une
partie ou la totalité d’un Office votif particulièrement lié au
sanctuaire.
Durant le pèlerinage,
et spécialement au cours des diverses étapes prévues durant le
trajet qui mène au sanctuaire, les prêtres qui accompagnent les
fidèles ne doivent pas omettre de leur proposer de prier au moins
quelques Heures de l’Office Divin.
272. Depuis les
premiers siècles, l’Église a coutume de bénir les personnes, les
lieux, la nourriture et les objets. Toutefois, à notre époque, cette
pratique se heurte à quelques difficultés, à cause d’habitudes et de
conceptions erronées profondément enracinées dans la mentalité de
certains groupes de fidèles. Les bénédictions constituent néanmoins,
dans le cadre des sanctuaires, une question d’ordre pastoral assez
importante; en effet, les nombreux fidèles, qui se rendent dans ces
lieux pour implorer la grâce et l’aide du Seigneur, ainsi que
l’intercession de la Mère de la miséricorde et des Saints, demandent
souvent aux prêtres de leur accorder les bénédictions les plus
variées. Dans le but de guider les recteurs des sanctuaires dans la
pastorale des bénédictions, les orientations suivantes leur sont
donc adressées:
- ils sont tenus
d’appliquer progressivement et patiemment les principes contenus
dans le Rituale Romanum, qui concourent tous à faire en sorte
que les bénédictions soient perçues avant tout par les fidèles comme
des expressions authentiques de la foi en Dieu, dispensateur de tous
biens;
- ils doivent mettre en
évidence d’une manière adéquate - quand cela s’avère possible - les
deux moments qui constituent "la structure typologique" de toute
bénédiction: d’une part, la proclamation de la Parole de Dieu, qui
donne un sens au signe sacré, et, d’autre part, la prière, par
laquelle l’Église loue Dieu et l’implore de lui accorder ses
bienfaits, comme le rappelle aussi le signe de la croix tracé par le
ministre ordonné.
- ils doivent opter
pour une célébration communautaire de préférence à une célébration
individuelle ou privée, et encourager les fidèles à participer
activement et consciemment à cette bénédiction.
273. Il est
souhaitable que, durant les périodes de grande affluence de
pèlerins, les recteurs des sanctuaires prévoient, durant la journée,
des moments particuliers réservés aux célébrations des bénédictions;
ils les organiseront de telle manière que les fidèles puissent
comprendre la vraie signification des bénédictions, et qu’ils
prennent l’engagement d’observer les commandements de Dieu, afin que
leur vie corresponde aux exigences qui résultent d’une demande de
bénédiction.
274.
D’innombrables moyens de communication sociale propagent
quotidiennement des nouvelles et des messages en tous genres; le
sanctuaire est pour sa part le lieu où est constamment proclamé un
message de vie: l’ "Évangile de Dieu" (Mc 1, 14; Rm 1, 1) ou
"l’Évangile de Jésus-Christ" (Mc 1, 1), c’est-à-dire la bonne
nouvelle qui vient de Dieu lui-même, et qui concerne Jésus-Christ:
celui-ci est le Sauveur de tous les peuples; c’est en lui seul que
la mort et la résurrection, le ciel et la terre se sont réconciliés
pour l’éternité.
Les éléments essentiels
du message évangélique doivent être proposés, d’une manière directe
ou indirecte, au fidèle qui se rend dans un sanctuaire: on peut
citer, en particulier, le contenu du discours sur la Montagne, qui
est un programme de vie, l’annonce joyeuse de la bonté et de la
paternité de Dieu et de sa providence miséricordieuse, le
commandement de la charité, la signification rédemptrice de la
croix, et le destin transcendant de toute vie humaine.
Beaucoup de sanctuaires
sont de véritables lieux d’évangélisation: le message du Christ est
transmis aux fidèles sous les formes les plus variées, afin de les
inciter, et aussi de les exhorter à la conversion et à la
persévérance, à suivre le Christ, et à conformer leur vie aux
exigences de la justice; enfin, le message du Christ leur apporte
aussi une parole de consolation et de paix.
Il ne faut pas non plus
oublier la coopération de beaucoup de sanctuaires à l’œuvre
évangélisatrice de l’Église, qui se présente sous les diverses
formes d’un soutien généreux aux missions "ad gentes".
275. La fonction
exemplaire du sanctuaire se déploie aussi dans le domaine de la
charité. Chaque sanctuaire est, en effet, par nature "un foyer qui
irradie la lumière et l’ardeur de la charité", du fait qu’on y
célèbre la présence miséricordieuse du Seigneur, ainsi que
l’exemplarité et l’intercession de la Vierge Marie et des Saints. Le
langage commun et celui des humbles définissent la charité comme "l’amour
qui s’exprime au nom de Dieu". Elle se manifeste concrètement dans
l’accueil et la miséricorde, dans la solidarité et le partage, dans
l’aide et dans le don de soi.
Grâce à la générosité
des fidèles et au zèle de leurs responsables, de nombreux
sanctuaires sont des lieux privilégiés, où il est possible de mettre
en relation l’amour de Dieu et la charité fraternelle avec les
divers besoins de la personne humaine. De fait, la charité du Christ
se répand largement dans ces endroits, de même que se manifestent la
sollicitude maternelle de la Vierge Marie et la proximité
fraternelle des Saints; cette attention bienveillante s’exprime
notamment:
- dans la fondation et
le soutien permanent d’un grand nombre de centres d’assistance
sociale, comme des établissements hospitaliers, des instituts
d’éducation destinés aux enfants pauvres et des hospices ou des
maisons de retraite pour les personnes âgées.
- "dans l’accueil et
l’hospitalité réservés aux pèlerins, surtout les plus pauvres, à qui
sont offerts, dans la mesure du possible, des lieux et des
structures pour se reposer;
- dans la sollicitude
et le dévouement, qui se manifestent à l’égard des personnes âgées,
des malades et des handicapés, à qui sont destinées les attentions
les plus délicates, et, en particulier, les meilleures places dans
les sanctuaires; de fait, les célébrations sont organisées en tenant
compte de leur présence, et donc de leur condition particulière,
sans pour autant les isoler des autres fidèles: cela est vrai
notamment en ce qui concerne la fixation des horaires. Enfin, il
n’est pas rare que s’instaure et se développe une collaboration
effective du sanctuaire avec les associations qui assurent
généralement le transport de ces personnes.
- dans la disponibilité
et le service de tous ceux qui se rendent dans le sanctuaire:
fidèles érudits et peu instruits, pauvres et riches, compatriotes et
étrangers".
276. Tout en
étant un lieu de culte, il n’est pas rare que le sanctuaire soit
aussi par nature un "bien culturel": en effet, dans ses différents
éléments, il constitue comme la synthèse des nombreuses
manifestations de la culture locale: témoignages historiques, œuvres
d’art, documents littéraires, expressions musicales typiques.
Le sanctuaire est donc
souvent un point de référence sûr qui permet de définir l’identité
culturelle d’un peuple. Et puisque le sanctuaire réalise une
synthèse harmonieuse entre la nature et la grâce, la piété et l’art,
il peut se présenter aussi comme une expression privilégiée de la
via pulchritudinis par la contemplation de la beauté de Dieu, du
mystère de la Tota pulchra, et de la merveilleuse proximité
des Saints.
De même, il faut noter
la tendance, toujours plus forte, de faire du sanctuaire un "centre
culturel" spécifique, c’est-à-dire un lieu où se tiennent des cours
et des conférences, et dans lequel sont promues des initiatives
intéressantes dans le domaine de l’édition; il est aussi un endroit
où sont organisées des représentations sacrées, des concerts, des
expositions et d’autres manifestations artistiques et littéraires.
L’activité culturelle
du sanctuaire se présente donc comme un ensemble d’initiatives qui
contribuent à la promotion de la personne humaine; ce rôle
supplémentaire, qui est assumé grâce à l’œuvre d’évangélisation et à
l’exercice de la charité, s’ajoute utilement à la fonction
primordiale du sanctuaire, en tant que lieu destiné à la célébration
du culte divin. Dans ce contexte, les responsables des sanctuaires
ont l’obligation de veiller à ce que cette dimension culturelle du
sanctuaire n’occulte pas sa fonction cultuelle.
277. En tant que
lieu d’annonce de la Parole de Dieu et d’exhortation à la
conversion, et aussi lieu d’intercession, de vie liturgique intense
et d’exercice de la charité, le sanctuaire peut être défini, dans
une certaine mesure et selon les indications du Directoire
œcuménique, comme un "bien spirituel" commun à tous les
chrétiens, c’est-à-dire ouvert aux frères et sœurs qui ne sont pas
en pleine communion avec l’Église catholique.
Le sanctuaire est donc
appelé à être un lieu où doit se manifester l’engagement œcuménique,
et où l’on témoigne d’une attention particulière à la nécessité, à
la fois grave et urgente, de réaliser l’unité de tous les disciples
du Christ, unique Seigneur et Sauveur.
Les recteurs des
sanctuaires sont donc appelés à aider les pèlerins à mieux prendre
conscience de cet "œcuménisme spirituel", dont parlent le décret
conciliaire Unitatis redintegratio et le Directoire
œcuménique; en effet, les chrétiens doivent toujours avoir
présent à l’esprit le but ultime de réaliser l’unité, en manifestant
ce désir dans la prière, la célébration eucharistique et la vie
quotidienne. Il convient donc que, dans les sanctuaires, la prière
pour l’unité des chrétiens soit intensifiée pendant certaines
périodes de l’Année liturgique, en profitant, en particulier, de
l’occasion donnée par la semaine de prières pour l’unité des
chrétiens, et aussi durant les jours qui séparent l’Ascension de la
Pentecôte, pendant lesquels les chrétiens évoquent la communauté de
Jérusalem réunie dans la prière et dans l’attente de la venue de
l’Esprit Saint, qui est destinée à la confirmer dans l’unité et dans
sa mission universelle.
De plus, les recteurs
des sanctuaires sont incités à saisir toutes les opportunités qui
peuvent se présenter pour organiser des rencontres de prières entre
les chrétiens des diverses confessions. Durant ces rencontres, qui
doivent être préparées avec soin et en commun, il convient de donner
la première place à la Parole de Dieu, et de mettre en valeur les
manières de prier, qui sont propres aux différentes confessions
chrétiennes.
Selon les
circonstances, il peut être opportun de prêter attention aux membres
des autres religions, même si cette démarche doit demeurer
exceptionnelle: de fait, il arrive que des sanctuaires soient
fréquentés par des non-chrétiens; ces derniers les visitent, car ils
sont attirés par les valeurs propres du christianisme. Il importe
donc que les actes du culte chrétien, qui se déroulent dans les
sanctuaires, soient strictement conformes avec l’identité catholique
de ces lieux, sans jamais cacher ce qui appartient en propre à la
foi de l’Église.
278. Dans les
sanctuaires dédiés à la Vierge Marie, l’engagement œcuménique
présente des aspects particuliers. En effet, sur le plan
surnaturel, sainte Marie, qui a donné naissance au Sauveur de
tous les peuples, et fut à la fois le modèle et le premier des
disciples du Christ, exerce certainement une mission de concorde et
d’unité à l’égard des disciples de son Fils; cela explique pourquoi
l’Église catholique la salue sous le vocable de Mater unitatis.
En revanche, sur le plan historique,la figure de Marie a été
souvent à l’origine de polémiques et de divisions entre les
chrétiens, du fait d’interprétations diverses de son rôle dans
l’histoire du salut. Toutefois, il faut reconnaître que, de nos
jours, le dialogue œcuménique s’avère particulièrement fructueux
dans le domaine de la mariologie.
279. Le
pèlerinage est une pratique religieuse universelle, et aussi une
expression typique de la piété populaire; il est étroitement lié au
sanctuaire, dans la vie duquel il constitue un élément
indispensable: en effet, il est possible d’affirmer que le
pèlerinage a besoin du sanctuaire, tout comme, inversement, le
sanctuaire a besoin du pèlerinage.
280. Dans la
Bible, il convient tout d’abord de mettre en évidence, à cause de
leur symbolisme religieux, les pèlerinages des patriarches Abraham,
Isaac et Jacob à Sichem (cf. Gn 12, 6-7; 33, 18-20), Béthel (cf. Gn
28, 10-20; 35, 1-15) et Mambré (Gn 13, 18; 18, 1-15), où Dieu se
manifesta à eux et promit de leur donner la "terre promise".
La montagne sur
laquelle Dieu se révéla à Moïse (cf. Ex 19-20), le Sinaï, devint,
pour les tribus des Hébreux, qui avaient fui l’Égypte, un lieu
sacré; puis, la traversée du désert du Sinaï prit pour eux l’aspect
d’un long pèlerinage, qui devait les conduire jusqu’à la terre
promise: ce voyage était béni de Dieu, qui marchait avec son peuple,
le guidait et le protégeait du milieu de la Nuée (cf. Nb 9, 15-23);
les signes de sa présence étaient l’Arche de l’Alliance (Nb
10-33-36) et la Tente de la Rencontre (cf. S. 7, 6).
Jérusalem devint le
siège du Temple et de l’Arche de l’Alliance, et elle fut considérée
par les Hébreux comme leur ville-sanctuaire, ainsi que le but par
excellence du "saint voyage" tant désiré (Ps 84, 6), durant lequel
le pèlerin avançait "parmi les cris de joie et les actions de grâce
de la multitude en fête" (Ps 42, 5), jusqu’à la "demeure de Dieu",
afin de se tenir en sa présence (cf. Ps 84, 6-8).
Trois fois par an, les
hommes, qui étaient membres du peuple d’Israël, devaient "se
présenter devant le Seigneur" (cf. Ex 23, 17), c’est-à-dire qu’ils
étaient tenus de se rendre au Temple de Jérusalem: cela donnait lieu
à trois pèlerinages à l’occasion de la fête des Azymes (la Pâque),
des Semaines (la Pentecôte) et des Tentes; de même, toutes les
pieuses familles israëlites ne manquaient pas de se rendre dans la
cité sainte pour la célébration annuelle de la Pâque; c’est ce que
faisait aussi la famille de Jésus (cf. Lc 2, 41). Durant sa vie
publique, Jésus se rendit régulièrement en pèlerinage à Jérusalem
(cf. Jn 11, 55-56). Il faut noter, à ce propos, que l’évangéliste
Luc présente l’action rédemptrice de Jésus comme un pèlerinage, qui
révèle le mystère de sa personne (cf. Lc 9, 51-19, 45); en effet, le
but intentionnel de la mission du Seigneur est la cité messianique,
Jérusalem; elle est le lieu de son sacrifice pascal et le terme de
son exode vers le Père: "Je suis sorti du Père, et je suis venu dans
le monde; maintenant, je quitte le monde, et je pars vers le Père"
(Jn 16, 28).
Enfin, il convient de
noter que l’Église commence son itinéraire missionnaire à l’occasion
d’un rassemblement d’un grand nombre de pèlerins à Jérusalem, qui
étaient "des juifs fervents issus de toutes les nations qui sont
sous le ciel" (Ac 2, 5).
281. Les
chrétiens considèrent qu’il n’existe plus aucun lieu de pèlerinage,
dans lequel ils ont l’obligation de se rendre; en effet, d’une part,
Jésus a dévoilé le mystère du Temple en l’attribuant à sa propre
personne (cf. Jn 2, 22-23), et, d’autre part, il est passé de ce
monde vers le Père (cf. Jn 13, 1), en accomplissant lui-même l’exode
définitif: ainsi, désormais, toute la vie des disciples du Christ
est une marche vers le sanctuaire céleste, et l’Église elle-même est
consciente d’être "en pèlerinage sur la terre".
Il reste que les
accointances indéniables existant entre, d’une part, la doctrine du
Christ et, d’autre part, les valeurs spirituelles du pèlerinage ont
incité l’Église, non seulement à affirmer la légitimité de cette
forme de piété, et même à l’encourager tout au long des siècles.
282. Durant les
trois premiers siècles, hormis quelques exceptions, le pèlerinage ne
fait pas partie des expressions du culte chrétien: l’Église
craignait alors la diffusion, parmi les baptisés, de coutumes
religieuses issues du judaïsme ou du paganisme, où la pratique du
pèlerinage était à son apogée.
Toutefois, on note
aussi, à cette époque, que, dans le contexte chrétien, de nouveaux
fondements sont posés, annonçant ainsi une reprise de cette pratique
du pèlerinage: il s’agit essentiellement du culte des martyrs; de
fait, les chrétiens se rendent près des tombeaux de ces témoins du
Christ particulièrement exemplaires pour vénérer leurs dépouilles
mortelles; or, ce qui n’était au départ qu’une "pieuse visite"
prendra progressivement l’aspect d’un véritable "pèlerinage de
dévotion".
283. Après la
paix de Constantin, et à la suite de l’identification des lieux
saints et de la découverte des reliques de la Passion du Christ, le
pèlerinage chrétien aborde une étape, qui peut être qualifiée de
tournant décisif: il se produit surtout à l’occasion de la visite
des chrétiens en Palestine; de fait, cette contrée tout entière est
bientôt considérée par eux comme une "Terre Sainte", en raison de la
présence des "lieux saints", à commencer par Jérusalem. Les récits
de pèlerins célèbres du IV siècle, témoignent de cet engouement: en
particulier, l’Itinerarium Burdigalense et l’Itinerarium
Egeriae.
Des basiliques sont
bientôt édifiées sur les "lieux saints": ainsi, l’Anastasis,
construite à l’endroit du Saint Sépulcre, et le Martyrium sur
le Mont du Calvaire, sont des édifices particulièrement visités par
les pèlerins, à cause de l’importance des événements du salut qu’ils
évoquent. Il en est de même des différents endroits où se sont
déroulées l’enfance du Sauveur et sa vie publique: ils sont eux
aussi devenus des lieux de pèlerinage, de même que, progressivement,
les lieux saints de l’Ancien Testament, en particulier le Mont
Sinaï.
284. Le Moyen
Âge est considéré comme l’âge d’or des pèlerinages: outre leur
fonction religieuse, leur rôle est décisif dans l’édification de la
chrétienté occidentale, car ils contribuent à amalgamer les divers
peuples qui vivent sur le continent européen, en stimulant leurs
échanges réciproques sur le plan culturel.
Les lieux de pèlerinage
sont alors nombreux. Tout d’abord, il faut citer Jérusalem, qui,
malgré l’occupation musulmane, continue à exercer une attraction
spirituelle très importante: ainsi, elle est à l’origine du
phénomène des croisades, dont la cause et le fondement étaient
justement de permettre aux fidèles de se rendre en pèlerinage au
sépulcre du Christ; elle inspire aussi la vénération des reliques de
la passion du Seigneur: ainsi, la tunique, la sainte face,
l’escalier saint (scala santa) et le linceul
attirent d’innombrables fidèles et pèlerins. Rome accueille
aussi, à cette époque, de nombreux pèlerins, qui viennent vénérer
les tombes des apôtres Pierre et Paul (ad limina Apostolorum),
visiter les catacombes et les basiliques, et rencontrer le
Successeur de Pierre, en reconnaisant ainsi le ministère particulier
que ce dernier exerce au service de l’Église universelle (ad
Petri sedem). De même, le pèlerinage de Saint-Jacques de
Compostelle est très fréquenté entre le IX et le XVI siècle, et
encore de nos jours: les pèlerins convergent vers ce lieu saint en
suivant les nombreux "chemins" qui sillonnent les différents pays
européens; ce pèlerinage comporte divers aspects d’ordre religieux,
social et caritatif, qui sont complémentaires. Parmi les autres
lieux de pèlerinage les plus renommés, on peu encore citer: Tours,
où se trouve le tombeau de saint Martin, vénérable fondateur de
cette Église; Canterbury, le lieu du martyre de saint Thomas Becket,
qui eut un grand retentissement dans toute l’Europe; le Mont-Gargan,
dans les Pouilles, Saint-Michel de Cluse dans le Piémont, le Mont
Saint-Michel en Normandie, qui sont dédiés à l’archange saint
Michel; enfin, Walsingham, Rocamadour et Lorette, qui sont des
sanctuaires célèbres dédiés à la Vierge Marie.
285. À l’époque
moderne, les changements culturels, les vicissitudes consécutives à
l’apparition des mouvements protestants, ainsi que l’influence de
l’illuminisme ont entraîné un déclin des pèlerinages: le "voyage
vers un pays lointain" est devenu alors un "pèlerinage spirituel",
un "itinéraire intérieur" ou une "procession symbolique", dont le
parcours est bref, comme dans le cas de la Via Crucis.
À partir de la seconde
moitié du XIX siècle, on assiste à une reprise des pèlerinages;
toutefois, leur physionomie change quelque peu: ils ont pour but de
conduire les fidèles dans des sanctuaires, qui évoquent l’identité
de la foi et de la culture d’une nation déterminée: ainsi, par
exemple, les sanctuaires d’Altötting, Aparecida, Assise, Caacupé,
Chartres, Coromoto, Czestochowa, Ernakulam-Angalamy, Fatima,
Guadalupe, Kevelaer, Knock, La Vang, Lorette, Lourdes, Mariazell,
Marienberg, Montevergine, Montserrat, Nagasaki, Namugongo, Padoue,
Pompei, San Giovanni Rotondo, Washington, Yamoussoukro, etc.
286. En dépit
des mutations qu’il a subies au cours des siècles, le pèlerinage
conserve, à notre époque, ses caractéristiques essentielles, qui
déterminent sa spiritualité particulière.
La dimension
eschatologique. Cette dimension essentielle est à l’origine du
pèlerinage: ce dernier est une "marche vers le sanctuaire",
c’est-à-dire un moment et une parabole du chemin qui mène au
Royaume; de fait, le pèlerinage aide le chrétien à prendre
conscience de la dimension eschatologique de sa vie en tant que
baptisé; il est, en effet, un homo viator, dont l’existence
se situe entre l’obscurité de la foi et la soif de la vision
éternelle, entre les limites étroites du temps et l’aspiration à la
vie qui ne finira pas, entre la fatigue éprouvée sur le chemin et
l’attente du repos éternel, entre les larmes de l’exil et le désir
du bonheur dans la patrie céleste, entre l’agitation de la vie
active et l’attrait pour la sérénité de la contemplation.
De plus, la longue
marche d’Israël vers la terre promise, appelée l’exode, fait partie
aussi de la spiritualité du pèlerinage: le pèlerin sait que "la cité
que nous avons ici-bas n’est pas définitive" (He 13, 14), et c’est
pourquoi au-delà du but immédiat du sanctuaire, il avance, à travers
le désert de la vie, vers le Ciel, qui est la vraie Terre promise.
On a déjà pu constater
que le fait de se rendre dans un sanctuaire constitue pour de
nombreux fidèles une occasion particulièrement favorable, et même
souvent désirée, de s’approcher du sacrement de la Pénitence; il est
vrai aussi que le pèlerinage a été vécu dans le passé - et il est
encore proposé de nos jours - comme une démarche pénitentielle.
Lorsque le pèlerinage
est accompli de la manière qui convient, le fidèle quitte le
sanctuaire avec la résolution de "changer de vie", c’est-à-dire
d’orienter sa vie vers Dieu avec plus de détermination; le pèlerin
désire donc donner une plus grande dimension transcendante à son
existence.
La dimension
festive. Au cours du pèlerinage, la dimension pénitentielle
coexiste avec la dimension festive. On peut même affirmer que cette
dimension festive est située au cœur du pèlerinage. Ce dernier
assume un certain nombre d’aspects anthropologiques de la fête.
La joie du pèlerinage
chrétien se présente comme le prolongement de l’allégresse ressentie
par le pieux pèlerin d’Israël: "Quelle joie quand on m’a dit: "nous
irons à la maison du Seigneur !"" (Ps 122, 1); elle contribue aussi
à rompre la monotonie de la vie quotidienne en présentant une
prospective différente de celle du monde; elle allège le poids
souvent pesant de la vie, qui, en particulier, pour les pauvres, est
un fardeau bien lourd à porter. Cette joie se présente aussi comme
une occasion d’exprimer la fraternité chrétienne, en accordant une
plus large place à la convivialité et à l’amitié; enfin, elle prend
l’aspect de manifestations spontanées, qui sont très souvent
réfrénées dans la vie quotidienne.
La dimension
cultuelle. Le pèlerinage est essentiellement un acte cultuel: de
fait, en marchant vers le sanctuaire, le pèlerin va à la rencontre
de Dieu pour demeurer en sa présence, l’adorer et lui ouvrir son
cœur.
Dans le sanctuaire, le
pèlerin accomplit un certain nombre d’actes cultuels, qui
appartiennent soit au domaine de la Liturgie, soit à celui de la
piété populaire. Sa prière prend des formes variées: prière de
louange et d’adoration adressée au Seigneur pour sa bonté
et sa sainteté; prière d’action de grâces pour les dons
reçus; prière ayant pour but l’accomplissement d’un vœu,
auquel le pèlerin s’était engagé face au Seigneur; prière de
demande de grâces nécessaires pour sa vie; prière sollicitant le
pardon de Dieu pour les péchés commis.
La prière du pèlerin
s’adresse très souvent à la bienheureuse Vierge Marie, aux Anges et
aux Saints, qu’il considère à juste raison comme des intercesseurs
auprès du Très-Haut. Les saintes images, qui sont vénérées dans le
sanctuaire, sont des signes de la présence de la Mère de Dieu et des
Saints auprès du Seigneur dans la gloire, "qui vit pour toujours
afin d’intercéder en faveur des hommes" (He 7, 25), et qui est
toujours présent dans la communauté réunie en son nom (cf. Mt 18,
20; 28, 20). L’image sacrée, vénérée dans le sanctuaire, qui
représente le Christ, ou la Vierge Marie, ou encore les Anges ou les
Saints, est le signe de la présence divine et de l’amour
providentiel de Dieu; c’est pourquoi ce signe est saint. Cette image
est aussi le témoignage des multiples prières qui se sont élevées
devant elle, de génération en génération: prières de supplications
dans les besoins, prières exprimant la douleur de celui qui est
affligé, prières aussi de jubilation et de remerciements de la part
de celui qui a obtenu grâces et miséricorde.
La dimension
apostolique. L’itinéraire du pèlerin reproduit, en un certain
sens, celui de Jésus et de ses disciples, qui parcoururent les
chemins de la Palestine pour annoncer l’Évangile du salut. Le
pèlerinage est donc une annonce de la foi, et les pèlerins sont des
"messagers itinérants du Christ".
La dimension de
communion. Le pèlerin, qui se rend dans un sanctuaire, est en
communion de foi et de charité, non seulement avec les personnes qui
accomplissent en sa compagnie le "saint voyage" (Ps 84, 6), mais
aussi avec le Seigneur lui-même; celui-ci chemine près de lui, tout
comme il marcha avec les disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24, 13-35). Le
pèlerin est aussi en communion avec sa communauté d’origine, et par
elle, avec toute l’Église, celle qui demeure dans le ciel et celle
qui chemine encore sur la terre. Il est encore en communion avec les
fidèles qui, tout au long des siècles, ont prié dans ce même
sanctuaire. Il est en communion avec la nature, qui entoure le
sanctuaire, et dont il admire la beauté, ce qui l’incite à la
respecter. Enfin, le pèlerin est en communion avec toute l’humanité,
dont les souffrances et l’espérance se manifestent de diverses
manières dans le sanctuaire, et qui a laissé en ce lieu de multiples
signes de ses talents et de son art.
287. À l’image
du sanctuaire, qui a été défini comme un lieu de prières, le
pèlerinage peut être présenté comme un chemin, dont chaque étape est
marquée et animée par la prière. Durant ce parcours, qui mène au
sanctuaire, la Parole de Dieu est destinée à éclairer, guider,
nourrir et soutenir le pèlerin.
La réussite d’un
pèlerinage, tant du point de vue culturel que pour les fruits
spirituels, qu’il peut apporter au fidèle, dépend du bon
ordonnancement des célébrations et de la présentation appropriée de
ses diverses phases.
Le départ du
pèlerinage doit être marqué par un moment de prières, qui se déroule
dans l’église paroissiale ou dans un lieu plus adapté; il peut
consister en la célébration de l’Eucharistie ou d’une partie de la
Liturgie des Heures, ou encore en une bénédiction particulière des
pèlerins.
La dernière étape
du pèlerinage doit donner lieu à une prière plus intense; il est
souhaitable que, à l’approche du sanctuaire, le chemin soit accompli
à pieds, et que des prières et des chants accompagnent cette
procession; les pèlerins ne manqueront pas de s’arrêter près des
édicules qui jalonnent éventuellement le trajet qui mène au
sanctuaire.
L’accueil des
pèlerins peut donner lieu à une sorte de "liturgie du seuil";
celle-ci n’est pas seulement destinée à souligner la dimension
humaine de la rencontre entre les pèlerins et les responsables du
sanctuaire, mais elle doit revêtir une signification éminente au
niveau de la foi. De plus, il est souhaitable, si possible, que les
responsables des sanctuaires aillent eux-mêmes à la rencontre des
pèlerins pour accomplir avec eux la dernière étape du chemin.
Le séjour dans
le sanctuaire doit évidemment constituer le moment le plus intense
du pèlerinage; il est caractérisé par l’engagement du pèlerin à la
conversion personnelle; ce dernier est appelé à la concrétiser en
recevant le sacrement de la réconciliation. Le séjour est aussi
marqué par des prières particulières, c’est-à-dire des prières
d’action de grâces, de supplications ou de demandes d’intercession,
qui sont liées au caractère propre du sanctuaire et aux buts du
pèlerinage, et aussi par la célébration de l’Eucharistie, qui est le
point culminant du pèlerinage.
La conclusion du
pèlerinage doit être soulignée par un moment de prières, qui a lieu
soit dans le sanctuaire, soit dans l’église, d’où les pèlerins sont
partis. Il est l’occasion pour les fidèles de rendre grâces à Dieu
pour le don du pèlerinage qui s’achève, et il leur permet aussi de
demander au Seigneur de les aider à mieux vivre leur vocation
chrétienne à leur retour à la maison.
Depuis les premiers
siècles de l’Église, le pèlerin désire emporter avec lui des
"souvenirs" du sanctuaire qu’il a visité. Il convient de veiller à
la qualité des objets, des images et des livres, afin qu’ils soient
en mesure de transmettre l’esprit authentique du lieu saint. Il faut
aussi veiller à ce que les points de vente, qui se trouvent dans
l’enceinte du sanctuaire, soient dépourvus de tout caractère
mercantile.
288. Ce
Directoire, dans ses deux parties, comporte de nombreuses
indications, propositions et orientations qui visent à favoriser et
à éclairer, en harmonie avec la Liturgie, les formes extrêmement
variées de la piété et de la religiosité populaire.
En prenant en compte la
diversité des traditions et des circonstances, tout comme la variété
des pieux exercices et des dévotions en tous genres, le présent
Directoire contient des présupposés fondamentaux, rappelle les
directives et transmet des suggestions, en vue d’une action
pastorale fructueuse.
Il revient aux Évêques,
avec l’aide de leurs collaborateurs immédiats, spécialement les
recteurs des sanctuaires, d’établir des normes et de donner des
orientations pratiques en tenant compte des traditions locales et
des expressions particulières de la religiosité et de la piété
populaire.
à l’Assemblée Plénière
de la Congrégation
pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements
(21 septembre
2001)
2. La Sainte liturgie,
que la Constitution
Sacrosanctum Concilium
qualifie de sommet de la vie ecclésiale, ne peut jamais être réduite
à une simple réalité esthétique, ni être considérée comme un outil
aux finalités purement pédagogiques ou œcuméniques. La célébration
des saints mystères est avant tout un acte de louange à la
souveraine majesté de Dieu, Un et Trine, et c’est une expression
voulue par Dieu Lui-même. Avec elle l’homme, de façon personnelle ou
communautaire, se présente devant Lui pour lui rendre grâce,
conscient que son être ne peut trouver sa plénitude sans Le louer et
sans accomplir Sa volonté, dans la recherche constante du Règne qui
est déjà présent, mais qui arrivera définitivement au jour de la
Parousie du Seigneur Jésus. La liturgie et la vie sont des réalités
indissociables. Une liturgie qui ne se refléterait pas dans la vie
deviendrait vide, et ne serait certainement pas agréée par Dieu.
3. La célébration
liturgique est un acte de la vertu de religion qui, de façon
cohérente avec sa nature, doit se caractériser par un sens profond
du sacré. En elle l’homme et la communauté doivent être conscients
de se trouver d’une façon particulière devant Celui qui est trois
fois saint et transcendant. Par conséquent, l’attitude requise ne
peut qu’être pénétrée de respect, de ce sens de stupeur qui provient
du fait de se savoir en présence de la majesté de Dieu. Peut-être
était-ce ce que Dieu voulait exprimer, en commandant à Moïse
d’enlever ses sandales devant le buisson ardent ? L’attitude de
Moïse et d’Élie ne naissait-elle pas de cette conscience, quand ils
n’osèrent pas regarder Dieu facie ad faciem ?
Le Peuple de Dieu a
besoin de voir dans les prêtres et les diacres un comportement plein
de révérence et de dignité, capable de l’aider à pénétrer les choses
invisibles, même avec peu de paroles et d’explications. Dans le
Missel Romain, dit de Saint Pie V, comme dans diverses liturgies
orientales, on trouve de très belles prières avec lesquelles le
prêtre exprime le plus profond sens d’humilité et de révérence face
aux saints mystères: celles-ci révèlent la substance même de toute
liturgie.
La célébration
liturgique présidée par le prêtre est une assemblée priante,
rassemblée dans la foi et attentive à la Parole de Dieu. Son premier
but est de présenter à la divine Majesté le Sacrifice vivant, pur et
saint, offert sur le Calvaire une fois pour toutes par le Seigneur
Jésus, qui se rend présent chaque fois que l’Église célèbre la
Sainte Messe pour exprimer le culte dû à Dieu en esprit et en
vérité.
Je connais l’engagement
de cette Congrégation pour promouvoir, avec les Évêques,
l’approfondissement de la vie liturgique dans l’Église. En vous
exprimant ma satisfaction, je souhaite que cette œuvre précieuse
contribue à rendre les célébrations toujours plus dignes et
fructueuses.
4. Votre assemblée
plénière, en vue également de préparer un directoire approprié, a
choisi comme thème central celui de la religiosité populaire.
Celle-ci constitue une expression de la foi qui bénéficie d’éléments
culturels d’un milieu déterminé, en interprétant et en interpellant
la sensibilité des participants de façon vive et efficace.
La religiosité
populaire, qui s’exprime dans des formes diversifiées et diffuses,
quand elle est sincère, a comme source la foi et doit être, par
conséquent, favorisée. Dans ses manifestations les plus
authentiques, elle ne s’oppose pas au caractère central de la Sainte
Liturgie, mais, en favorisant la foi du peuple qui la considère
comme une expression religieuse connaturelle, elle prédispose à la
célébration des mystères sacrés.
5. Une juste notion du
rapport entre ces deux expressions de foi doit maintenir fermement
certains points et, parmi ceux-ci, essentiellement que la liturgie
est le centre de la vie de l’Église et qu’aucune autre expression
religieuse ne peut s’y substituer ou être considérée au même niveau.
Il est important de
répéter, en outre, que la religiosité populaire a son couronnement
naturel dans la célébration liturgique, vers laquelle elle doit
s’orienter idéalement, bien qu’habituellement elle en reste
distincte, et cela doit être expliqué par une catéchèse appropriée.
Les expressions de la
religiosité populaire apparaissent parfois corrompues par des
éléments incompatibles avec la doctrine catholique. Dans ce cas il
faut les purifier avec prudence et patience, à travers des contacts
avec les responsables et par une catéchèse attentive et
respectueuse, à moins que des incohérences radicales ne rendent
nécessaires des mesures claires et immédiates.
Une telle évaluation
est avant tout de la compétence de l’Évêque diocésain ou des Évêques
concernés par de telles formes de religiosité sur un territoire.
Dans ce cas, il est opportun que les Pasteurs confrontent leurx
expériences pour offrir des orientations pastorales communes, en
évitant les contradictions dommageables au peuple chrétien.
Toutefois, que les Évêques aient à l’égard de la religiosité
populaire une attitude positive et encourageante, à moins de motifs
contraires évidents.
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