Raphaëlle Marie
Porras y Ayllon
Religieuse, Fondatrice, Sainte
1850-1925

Raphaëlle Porras naquit le 1er mars 1850 à Pedro-Abad, près de Cordoue ; elle entra chez les Sœurs de Marie Réparatrice ; mais la maison de Cordoue fut dissoute, et un nouveau couvent fut fondé à Madrid, qui demeura indépendant et fut appelé : les Ancelles du Sacré-Cœur. Sœur Raphaëlle-Marie du Sacré-Cœur y fut élue supérieure à 27 ans.

Elle passa les trente-deux dernières années de sa vie dans la maison de Rome, dans l'oubli le plus complet, et y mourut le 6 janvier 1925.

Les « Ancelles » sont aujourd'hui au nombre de 2.700, répandues en Europe, en Amérique et au Japon. Elles ont 56 couvents et 11.000 élèves.

Les œuvres de Dieu sont toujours admirables ; magna et mirabilia sunt opéra tua, Domine ; mais beaucoup plus encore mère Raphaëlle-Marie quand elles se réalisent en un domaine plus noble et avec une finalité plus élevée. C'est pourquoi, si Nous pouvons Nous exprimer ainsi, elles ne sont jamais plus admirables que dans la préparation et la formation des saints. Il y a trois étapes pour l'admirer dans la vie de Raphaëlle Marie : une préparation providentielle, une activité voulue seulement par Dieu et un long déclin sur la croix.

Préparation providentielle :

Peu de noms sont aussi suggestifs que celui de l'antique Cordoue, où tant de races et de civilisations, attirées par sa richesse et son charme, sont venues déposer ce sédiment de culture et de siècles qui forment l'âme de ses fils, dans laquelle paraissent s'harmoniser la délicate grâce andalouse et la sage gravité romaine, la typique austérité ibérique et la richesse imaginative et ornementale de l'envahisseur arabe.

Elle fut une fille authentique de cette terre lumineuse, Raphaëlle Marie, mais enrichie en outre du chrême chrétien reçu à l'école d'une mère exemplaire et que fit pénétrer profondément la main consacrée de saints ministres du Seigneur. Car c'est en cela que commencera à se manifester le fait que Dieu l'a choisie pour quelque chose : en cela que jamais ne lui manquera, dans les épreuves décisives de sa vie, celui qui, au nom de Dieu, lui indiquera le chemin.

Une enfance innocente, une jeunesse chaste, même au milieu des périls de ce monde qui, en raison de son origine, pourrait la croire de lui ; puis, orpheline, une période de plus en plus retirée, consacrée à la charité et à la dévotion ; finalement le fruit naturel de sa piété chrétienne réalisé dans un désir : celui de se consumer comme une flamme silencieuse devant un Tabernacle caché ; et, s'ajoutant à tout cela, jamais ne lui manqueront l'opposition de ceux qui, pour elle et pour sa sœur, rêvaient autre chose, ni les critiques pour son genre de vie, ni même le scandale en apprenant que le premier pas était fait et que le nid familial était resté vide.

Dans les mains toujours paternelles de l'artiste divin, le marteau et le ciseau ont commencé à travailler ; déjà le diamant est dégagé et laisse échapper quelques reflets ; mais que de chemin il lui reste à parcourir, sans qu'elle le sache. Elle était née exactement au milieu du siècle et nous sommes seulement en 1874, l'année où la Providence lui fera rencontrer ce prêtre, remarquable pour de nombreuses raisons, aux vues élevées et aux décisions énergiques, que fut don José Antonio Ortiz Urruela.

A quoi bon détailler maintenant cette période agitée de deux ans, alors que les faits extérieurs sont de minime importance ? A la lumière de Dieu et avec la perspective du temps, les êtres humains, avec leurs désirs et activités, avec leurs mouvements et leurs soucis, avec même leurs erreurs et excès possibles, semblent de petites fourmis jouant à changer les petits grains de pierre de la fourmilière ou de petites gouttes d'eau perdues dans le puissant et irrésistible flux et reflux des vagues de la mer. Ce qui importe est de voir la main de Dieu qui se prépare un diamant, une âme selon le Cœur divin de son Fils — et cette âme est celle de Raphaëlle Marie, encore jeune, à peine vingt-sept ans — avec un clair idéal, la sainteté au moyen de la réparation, et avec dans ses mains une œuvre, qu'elle n'a pas cherchée, ce Noviciat isolé et errant, dont elle devient le centre naturel sans le vouloir. Aussi elle dira : « Je ne veux pas être fondatrice » ; mais c'est inutile parce que Dieu le veut comme II veut une nouvelle plante, quand il laisse le zéphyr enlever une semence et la transporter au loin.

Activité selon la volonté de Dieu :

C'est le deuxième tiers du XIXe siècle et de nombreuses choses connaissent une profonde transformation. Pourquoi ne se noterait-elle pas aussi dans ce que la vie religieuse a de contingent, en l'enrichissant de formes nouvelles, plus en harmonie avec son temps et plus capables de produire des fruits de sainteté et d'apostolat ? Dans le classique attachement à la tradition qui caractérise l'âme espagnole, elle ne pouvait se faire sans surmonter quelques difficultés. Et là même où la ligne se brise sous le frottement, la Providence avait placé Raphaëlle Marie qui, aspirant au calme et à l'isolement, en arrivait à se retrouver errante et fondatrice.

De nouveau, les hommes et les événements passent à travers son histoire comme la navette entre les fils de la trame, qui sans savoir ce qu'elle fait confectionne un précieux tissu. Son guide principal mourra ; mais il s'en trouvera d'autres ; de ville en ville, de résidence en résidence, de tourment en tourment, surmontant un obstacle aujourd'hui et un autre demain, Raphaëlle Marie, ou si vous préférez, Marie du Sacré-Cœur, fidèle à son esprit, ne redressera pas un front altier, mais ne reculera pas non plus. En 1880, un illustre Prince de l'Église, le cardinal Moreno, accordera à l'Institut sa première approbation. Toutefois, il y aura encore sept autres années d'activités extérieures, parce que la plante est tendre et sa rapide croissance pourrait elle-même lui porter préjudice si Dieu ne la tenait cachée, afin que, en la fortifiant, elle avance sur le chemin de la sainteté, en mettant comme base de tout : un amour sans limites devant le sacrifice, une obéissance des plus délicates à la règle, une dévotion des plus tendres au Sacrement des autels et ce quelque chose de solide, équilibré et fort, qui resplendira toujours en elle et qu'elle apprit aux leçons d'un grand patriarche de la vie religieuse, saint Ignace de Loyola, aux écrits duquel, — Exercices, Constitutions — elle puisera sans crainte d'erreur comme à la source de sa spiritualité.

Maintenant, la plante a vraiment sa vie propre. Les desseins de Dieu sur Raphaëlle Marie se trouveront-ils accomplis 7 En aucune manière : l'essentiel manque, car la Providence, qui avait disposé de commencer sa sainteté en la faisant fondatrice, veut la compléter en la sacrifiant comme victime. Son rôle se réduisit à l'accepter tout entier, avec amour et avec cette sorte de grâce naturelle qui donne l'impression qu'elle ne fait rien. Dans ses Exercices fervents et répétés, elle avait souvent fait ses « oblations de plus grande estime et plus grande importance » (Exercices « 97 »), elle avait demandé à plusieurs reprises cette « humilité des plus parfaites... (voulant et choisissant) davantage d'opprobres avec le Christ qui en était plein, que d'honneurs..., (désirant) davantage d'être jugée vaine et folle pour le Christ, qui le premier fut tenu pour tel, que sage et prudente dans ce monde » (Exercices « 167 »). Et le Seigneur l'avait prise au mot. L'artiste divin laisse le marteau et le ciseau et approche le diamant de la roue de la vie qui tourne vertigineusement. Dans le lointain, surgit le profil d'une Croix !

Croix :

Ici non plus, très chers fils et filles, nous n'avons à nous arrêter aux faits purement extérieurs qui, étant humains, ont à participer à ces contrastes - terre et ciel - capables de désorienter ceux qui oublieraient une Providence qui cherche ses fins en permettant que les créatures se meuvent librement et aussi en se servant des bonnes intentions de tous, comme lorsqu'elle permet que le vent s'élève, entraîne les lourds nuages et les fasse courir à travers le ciel, déchargeant de leurs noires profondeurs la grêle et la foudre. Et combien devait-il s'en accumuler dans le ciel de la Mère du Sacré-Cœur jusqu'à ce qu'elle en arrive à cette renonciation de 1893, ici, à Rome ! Et combien devaient se révéler douloureux pour son esprit si délicat ces incompréhensions, ces doutes, ces méfiances qui, peu à peu, l'isolaient des humains, l'entouraient d'ombres et la poussaient, lentement mais inexorablement vers cette Croix où l'attendait Celui qu'elle avait aimé depuis toujours et qui faisait d'elle sa « victime d'amour ».

Elle a seulement quarante-trois ans et une nature des plus riches ; il lui reste trente-deux autres années de vie, qui seront plus de six lustres interminables d'anéantissement progressif et de martyre dans l'ombre. Et, consciente de sa vocation, elle entre dans l'ombre, avec la grandeur des âmes qui vont au sacrifice les yeux ouverts ; qui, du haut de la Croix, ne desserrent pas les lèvres pour laisser entendre un gémissement ; qui savent savourer jour par jour, l'amertume d'une immolation d'autant plus douloureuse qu'elle est plus lente, plus ignorée, plus longue. Dans l'ombre, pour obéir, pour renoncer à elle-même, pour travailler sans pouvoir y sentir que les brouillards qui l'entourent se sont dissipés. Dans l'ombre, non pas pour oublier, ce qui serait trop doux, mais bien pour être oubliée, ce qui est la plus haute couronne du sacrifice. Dans l'ombre, pour se faire remarquer seulement par une vie plus austère, une pénitence plus rigide, une humilité plus profonde. « L'Ami qu'elle porte dans le cœur ne la laisse pas reposer » ; et, à ce même Cœur divin, auquel elle donne tout — sa fondation, sa vie - auquel elle a tout offert, elle s'offre tous les jours du fond de son ombre en esprit de réparation, pour les péchés du monde, pour la gloire du Père et la sanctification des âmes.

Le 24 décembre 1924, Notre grand Prédécesseur, de sainte mémoire, ouvrait la Porte Sainte de l'Année Jubilaire 1925. Treize jours plus tard, les portes du ciel s'ouvraient pour la Mère Marie du Sacré-Cœur.

Œuvre de la Bienheureuse demeure :

L'artiste divin a terminé son travail et le diamant, bien poli sur toutes ses facettes, est une œuvre merveilleuse et parfaite : qui pensera en le voyant étinceler dans le ciel, enchâssé dans la couronne des Saints, qui pensera en le voyant si beau et si bien achevé, aux tours qu'il fallut lui donner pour le polir, aux parcelles infinies qu'il fallut lui arracher à coups vifs et aux instruments dont la Providence se servit ?

Aujourd'hui, les Religieuses Servantes du Sacré-Cœur de Jésus, avec leurs collèges et écoles, leurs maisons d'Exercices, résidences, associations et œuvres, de toutes catégories, font un bien immense, de l'Espagne natale jusqu'au lointain Japon, où Nous avons appris avec plaisir les fruits qu'elles recueillent. Mais la racine de tout cela se trouve dans le sacrifice et dans la sainteté d'une âme qui se laissa gouverner par la Providence divine.

Sa suavité, son humilité, sa stricte obéissance, son amour de l'abnégation et du sacrifice, sa fidélité à un esprit sûr, équilibré et ferme, son adhésion filiale et sans condition au Siège de Pierre, sa dévotion à ce Cœur divin, caché sous les voiles de l'Eucharistie, sont l'exemple qu'elle a laissé à tous et spécialement à vous, ses filles, qu'elle aima tant ! Sur ce chemin, le Seigneur ne vous refusera jamais ses grâces. En gage de celles-ci et en témoignage de Notre bienveillance particulière, Nous désirons donner avec un amour paternel, la Bénédiction apostolique, tout d'abord au très cher Institut, avec toutes ses maisons, personnes et œuvres et tous ses projets ; ensuite à tous ceux qui bénéficient de son apostolat ; et enfin, d'une manière spéciale, aux présents, ainsi qu'à toutes les personnes qu'ils portent en ce moment dans leur pensée et dans leur cœur.

Elle fut canonisée à Rome par le Pape Paul VI, le 23 janvier 1977.

S. S. Pie XII: Allocution aux pèlerins venus aux cérémonies de béatification de la Mère Raphaëlle Marie du Sacré-Cœur ; 16 mai 1952.

 

pour toute suggestion ou demande d'informations