Sœur Aimée-de-Jésus était assistante de la Mère de la Fare
quand les Sacramentines sortirent de leur monastère. Tandis que la supérieure du
couvent, expulsée de Bollène, se réfugiait à Pont-Saint-Esprit, la Mère de
Gordon, accomplissant les obligations de sa charge, la remplaçait auprès des
religieuses chassées de leur monastère et réunies dans la maison hâtivement
louée pour en tenir lieu.
Elle eut à déployer pendant ces jours d'épreuve les dons de
prévoyante sagesse que Dieu lui avait largement départis : elle sut en effet
prouver que la malice des hommes et le malheur des temps, s'ils accroissent les
responsabilités des supérieures et en augmentent le mérite, sont impuissants à
faire fléchir les âmes où Dieu habite, et s'ils les éprouvent, n'arrivent pas à
les accabler.
Marguerite-Rose avait reçu le germe de ses qualités dans sa
famille noble et chrétienne. La grâce divine avait fait le reste. Née le 29
septembre 1733, à Mondragon, de Maurice de Gordon et de Marie-Anne de Bouchon,
baptisée le lendemain, elle perdait, à quatre ans, sa vertueuse mère. Mais déjà
les premières leçons maternelles avaient donné leur fruit. L'enfant révélait par
sa piété, sa grâce et sa douceur, quelle âme d'élite la mère disparue avait
commencé à former. Son père dont la foi égalait celle de sa chère épouse confia,
toute jeune encore, Marguerite-Rose aux religieuses du Saint-Sacrement de
Bollène, qui firent son éducation, et développèrent ses dispositions naturelles
à la piété.
À dix-huit ans, elle fut admise à la vêture et prit le nom de
Sœur Aimée-de-Jésus. C'était le 15 février 1751. Le 20 février 1752, elle
faisait profession entre les mains de Messire Jean-Pierre de Guilhermier, doyen
de la collégiale et official de Mgr l'évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux.
Quand son cher couvent fut fermé, en 1791, elle accomplissait
la quarante-et-unième année de sa vie religieuse.
Le mercredi 16 juillet elle montait à l'échafaud. Depuis le
dimanche précédent, aucune religieuse n'avait plus été jugée. Mais, ce jour-là,
sept comparurent à la fois au tribunal de sang. Trois Sacramentines du couvent
de Bollène, deux ursulines de la même ville, une ursuline du couvent de Pernes,
et enfin une cistercienne de l'abbaye Sainte-Catherine d'Avignon. L'accusateur
public les comprit toutes dans la même accusation. «Toutes insermentées...
ennemies jurées de toute espèce de liberté... elles ont sans cesse propagé le
plus dangereux fanatisme ; elles ont prêché l'intolérance et la superstition la
plus affreuse ; réfractaires à la loi, elles ont refusé de prêter le serment
qu'elle exigeait d'elles... etc.»
Sœur Aimée-de-Jésus consomma la première de ses compagnes, le
sacrifice suprême, couronnant toute une vie de mérites et de vertus par
l'effusion de son sang. Elle était âgée de soixante-et-un ans.
Abbé Méritan
|