SAINTE
ROSE DE LIMA
dominicaine
(1586-1617)

 


Extrait biographique

Rose de Lima est une des Saintes vers lesquelles on se sent attiré comme d'instinct et qu'on aime tout de suite. Son nom d'abord, puis nous ne savons quel parfum poétique répandu sur cette vie simple, humble, ignorée, contrastant d'une façon si suave avec les scènes sanglantes qu'avait vues jusque-là le Nouveau Monde; et aussi, avouons-le, une joie bien légitime, une fierté de famille de voir l'Ordre de Saint-Dominique s'emparer d'une terre encore jeune par une gloire si pure, — notre héroïne étant la première fleur de sainteté éclose sur le sol américain, — tout cela marque l'illustre vierge d'un caractère à part, et dès qu'on approche d'elle, on ne peut se défendre d'un charme inconnu. Puisse cette biographie, rapide, abrégé d'une grande et belle Vie, édifier, instruire et intéresser le lecteur[1]!

* * * * *

I. — Dans la seconde moitié du XVIe siècle, une famille d'origine espagnole se trouvait fixée à Lima. Le père, Gaspard Flores, ancien militaire, était né à Puerto-Rico : il appartenait par ses ancêtres à l'aristocratie de Tolède, mais les bouleversements politiques avaient fait sombrer sa fortune ; il vivait dans la médiocrité. Marie Oliva, son épouse, originaire de Lima, avait eu déjà dix enfants, quand le 20 avril 1586, elle mit au monde une fille, dont la naissance, à rencontre des enfantements précédents, ne lui coûta presque aucune douleur. L'enfant fut ondoyée immédiatement, et la cérémonie du baptême différée jusqu'à la Pentecôte, fête désignée en espagnol sous le nom de « Pâque des Roses ».

Isabelle de Herrera, son aïeule maternelle, la tint sur les fonts sacrés et lui imposa son nom. Celui de Rose, qu'elle devait immortaliser, ne lui fut donné que plus tard, à la suite du prodige que nous allons rapporter. Un jour que la petite fille reposait dans son berceau, sa mère, en se penchant pour la contempler, remarqua sur sa figure l'image d'une rose fraîchement épanouie. Ravie d'un tel fait, Oliva prit l'enfant dans ses bras, la couvrit de ses baisers et lui dit tout bas, ou plutôt se dit à elle-même : « Désormais tu seras ma Rose, ma petite Rose, je ne t'appellerai plus autrement. » Elle comptait sans la marraine. Celle-ci, en effet, d'un caractère peu endurant, et très vexée sans doute de n'avoir pas été témoin de la merveille, crut voir dans ce changement de nom un mépris pour sa personne : de là des discussions interminables au logis, discussions dont l'innocente fillette allait être bientôt la victime. Quand elle eut un peu grandi, courait-elle à sa mère en répondant au nom de Rose, l'aïeule saisissant la verge la frappait rudement : se rendait-elle au contraire à l'invitation de la marraine qui l'appelait Isabelle, la verge, changeant de mains, servait encore au même usage dans celles de sa mère. Ainsi tiraillée, ne sachant comment faire pour contenter son monde, la pauvre enfant porta patiemment le poids de ces conflits domestiques jusqu'à ce qu'il plut au Seigneur de mettre un terme à cette guerre cent fois renouvelée. A l'époque où la fille de Marie Oliva reçut le sacrement de Confirmation, l'archevêque de Lima, saint Turribius, poussé par une inspiration céleste, substitua de son propre mouvement le nom de Rose à celui d'Isabelle. Devant l'autorité du fait accompli, toute hésitation cessa, et l'aïeule elle-même n'osa plus se plaindre. Plus tard cependant, la jeune fille eut un scrupule à cet égard, sachant que ce nom ne lui avait pas été donné au baptême et craignant de ne le devoir qu'à la vanité, par allusion à sa beauté naissante. Sa conscience s'alarma; mais la Très Sainte Vierge vint la rassurer. Elle lui apparut dans l'église des Frères-Prêcheurs, tenant l'Enfant Jésus dans ses bras. « Mon divin Fils, lui dit-elle, approuve le nom de Rose et désire que tu y ajoutes le mien : à l'avenir tu t'appelleras Rose de Sainte-Marie. »

Quelques jours se passèrent; puis un matin, après avoir communié, la jeune fille pria sa mère de l'appeler désormais Rose de Saint-Marie. « Jésus et Marie le veulent, ajouta-t-elle, et plus vous répéterez ces mots, plus vous comblerez mon cœur de joie et l'embraserez de l'amour divin. » Les noms célestes lui furent acquis pour toujours. Cette faveur, gage d'une prédilection singulière, était aussi l'indice de l'appel d'en haut. Le Ciel choisissait et marquait cette âme d'enfant pour de grandes choses : voyons comment elle répondit à ses desseins.

Bien avant cette époque, et dès le berceau, Rose montrait que son esprit et son cœur semblaient uniquement occupés de Dieu. Sa mère était frappée de ce qu'elle découvrait en elle d'admirable et de surnaturel : son entourage la félicitait d'avoir une enfant dont tout l'extérieur portait déjà l'empreinte des faveurs divines, et chacun pouvait se demander : « Que sera-t-elle un jour? »

A certains récits que les historiens nous ont conservés, on saisit sans peine les premières lueurs de cette générosité qui sera le trait le plus expressif de sa mâle vertu. Destinée à rester dans l'obscurité, Rose n'aura qu'un amour au cœur, celui de Jésus crucifié ; mais elle donnera de cet amour un héroïque témoignage par la souffrance acceptée ou recherchée avec un courage, une ténacité, une persistance qui nous confondent.

Elle était d'habitude souriante et gracieuse. Une fois cependant on la vit pleurer. Sa mère, fière de sa beauté, l'avait portée dans une maison du voisinage pour la montrer à une de ses amies. Mais l'enfant, âgée de quelques semaines, ne cessa de jeter des cris, comme si un sentiment inné d'humilité et de modestie se fût trouvé froissé de cette exhibition : dès son retour au foyer domestique, elle redevint tranquille. N'était-ce pas un signe de l'aversion profonde qu'elle aurait pour le monde? Dans une autre circonstance, elle révéla une force d'âme bien supérieure à la nature. Un jour, qu'elle refermait un grand coffre, le pouce de sa main droite se trouva pris sous le couvercle, que Rose n'eut pas la force d'arrêter à temps. Sa mère accourut : mais l'enfant, dissimulant sa douleur, glissait sa main sous son tablier en disant : « Ce n'est rien. » On s'aperçut bientôt qu'un dépôt de sang coagulé s'était formé sous l'ongle. Le chirurgien consulté appliqua d'abord un onguent corrosif qui dévora l'ongle en partie, puis il arracha avec des pinces ce qui en restait. Rose tendait sa petite main, et pendant qu'on lui ouvrait le doigt, s'efforçait de sourire et d'encourager sa mère qui tremblait pour elle. Le chirurgien ne revenait pas de surprise, et longtemps après, il avouait n'avoir jamais rencontré, dans sa longue carrière, d'héroïsme comparable à celui de cette enfant de trois ans.

Soumise plus tard à de nouvelles opérations non moins cruelles, Rose, loin de frémir, restait sereine et joyeuse, comme si elle eût eu déjà l'intuition que la douleur était sa voie et le moyen de prouver à Dieu son amour et sa soumission.

Un matin, tandis qu'elle s'amusait au jardin avec son frère aîné, celui-ci, écartant le voile de sa sœur, se mit à répandre de la terre dans ses cheveux. Rose qui recherchait avidement la souffrance aimait aussi la propreté : elle ne prit point cette souillure pour un badinage, et laissant là le jeu, s'éloigna au plus vite. « D'où vient cette susceptibilité? dit alors le petit espiègle; tu ne sais pas, ma sœur, que la chevelure des jeunes personnes est souvent une occasion de péché : au lieu donc de te complaire dans la tienne, tu ferais beaucoup mieux de la tenir pour ce qu'elle vaut. » L'apostrophe n'était sur les lèvres du frère qu'une nouvelle taquinerie : elle produisit un effet fort inattendu. Ce fut pour Rose un trait de lumière : elle comprit et l'horreur du péché et le prix inestimable de la vertu. Alors, sans hésiter, n'ayant alors que cinq ans, l'imitatrice de sainte Catherine de Sienne coupe sa blonde chevelure et fait le vœu de virginité perpétuelle.

Les onze Religieux, six de l'Ordre de Saint-Dominique et cinq de la Compagnie de Jésus, qui entendirent ses confessions, ont tous affirmé après sa mort qu'elle n'avait jamais commis la moindre faute vénielle contre ce vœu.

II. — L'obéissance fut la loi de la vie entière de notre angélique Sainte : à aucun prix elle ne se serait permis de transgresser un ordre, d'enfreindre une défense. Sa délicatesse à cet égard allait si loin qu'elle résolut, pour se maintenir dans une complète dépendance, de ne rien prendre par elle-même de ce qui était nécessaire à son travail journalier : elle priait donc chaque matin sa mère de lui remettre tout ce dont elle avait besoin. Ennuyée d'une importunité qui lui semblait peu sensée, sa mère lui dit un jour sur un ton de colère : « Me prends-tu donc pour ta servante ? Ne peux-tu pas me laisser tranquille, et pourvoir toi-même à tes nécessités ?» — « Pardonnez-moi, ma mère, répondit doucement la jeune fille; je voulais joindre au mérite de mon travail celui de l'obéissance et vous payer ainsi le tribut de mon respect filial : je tâcherai désormais d'apporter plus de discrétion dans mes demandes. »

Frappée de cette réponse, Marie Oliva voulut mettre à l'épreuve cet esprit d'obéissance. Un jour que l'enfant brodait des fleurs en soie sur une étoffe : « Tu t'y prends mal, lui dit-elle : tiens ton ouvrage autrement et passe la soie de telle façon. » Le conseil était contraire à toutes les règles de l'art. N'importe, Rose ne répliqua rien et fit ce qu'on lui commandait, quoiqu'elle sût gâter ainsi son travail. C'est ce qui arriva. Quelques heures après, nouvelle inspection de l'ouvrage et grande explosion de mécontentement. « Mais ces fleurs sont faites à l'envers ! mais ce sont des monstres et non des fleurs !» — « Malgré mon peu de goût, reprit l'enfant avec douceur, je trouvais comme vous, ma mère, ces fleurs fort mal réussies; mais je ne pouvais faire autrement sans m'écarter de la méthode que vous m'aviez donnée, et j'aime encore mieux obéir que suivre mon propre jugement. » Qui n'admirerait l'héroïsme de cette simple action ?

Rose s'était fait une loi de ne jamais boire sans permission, et, dans son amour de la pénitence, elle demandait cette permission tout au plus une fois en trois jours. Or sa mère, n'ayant pas remarqué ces intervalles, répondait parfois négativement: la jeune fille attendait patiemment que trois autres jours se fussent écoulés, et loin de se plaindre de ces refus, elle avoua même un jour qu'elle les trouvait trop rares.

Les parents de Rose, avons-nous dit, n'étaient pas riches : il leur fallait travailler beaucoup pour élever la nombreuse famille que le Ciel leur avait donnée. L'aimable enfant le savait. Ardente et empressée, elle employait toute son activité à adoucir les moments de gêne où le nécessaire allait peut-être manquer. Elle était d'une adresse incomparable. Fait vraiment inouï et humainement inexplicable, tout en consacrant douze heures par jour à la prière, elle faisait encore plus de besogne en une journée que quatre ouvrières réunies. La chose a été attestée par un grand nombre de témoins. La famille de la Massa, chez qui demeura la Sainte, les trois dernières années de sa vie, déposa que ses ouvrages étaient en outre d'une incomparable beauté : ils se trouvaient aussi frais au moment où elle les terminait que si les Anges seuls y eussent mis la main, et les fleurs qui naissaient entre ses doigts rivalisaient avec celles des parterres.

Cette assistance miraculeuse ne s'étendait pas seulement aux travaux d'aiguille : elle relevait encore les autres industries de l'admirable vierge. Rose s'était réservé le soin du jardin de ses parents Elle y fit des semis, des greffes, des boutures et obtint des plantes remarquables, qu'elle vendait au marché de la ville. Mais voici la merveille. Les fleurs des diverses saisons s'épanouissaient ensemble dans ce jardin béni, et l'éclat de leurs couleurs, la suavité de leurs parfums dépassaient tout ce qu'on avait jamais vu et senti. Comme on demandait un jour à l'habile jardinière si la culture de ses plantes était de quelque utilité à sa famille : « C'est un fort petit commerce à la vérité, répondit-elle en souriant, mais la miséricorde de mon Fiancé céleste en augmente le bénéfice. »

Elle était l'ange du foyer. La maladie visitait-elle l'humble logis, Rose passait les jours et les nuits au chevet des infirmes et ne le quittait plus à moins d'en être arrachée par l'obligation de rendre quelque autre service. Elle faisait les lits, préparait les remèdes, et se prêtait aux choses mêmes les plus répugnantes. La mère comprit, sans doute, à la longue qu'elle possédait un trésor : toutefois son caractère violent lui faisait vite oublier les services rendus par sa plus jeune fille. Elle la trouvait exagérée dans ses pratiques pieuses. Son silence, ses longues oraisons, son aversion du monde l'exaspéraient à tel point qu'elle l'accablait d'injures, de soufflets et de coups ; Dieu le permettant ainsi pour donner à cette âme choisie un trait de ressemblance — et des plus saisissants — avec son divin Fils.

Les frères de notre Sainte voulaient, de leur côté, voir en elle un esprit dérangé ; ils lui prédisaient qu'elle finirait ses jours dans les cachots de l'Inquisition et la traitaient de fourbe et d'hypocrite. Douce et calme au milieu de ces orages, l'humble vierge supportait tout en patience, et savait allier la déférence la plus parfaite avec les pressantes réclamations de la grâce céleste. Appelée par Dieu, elle n'était plus du monde et ne devait plus vivre selon le monde. Aussi, quand l'obéissance la poussait hors de la voie crucifiante, comme elle s'ingéniait pour y rentrer! quelle sagacité surprenante pour trouver la pénitence dans ce qui semblait propre à flatter la nature ! Un jour, sa mère lui fit prendre pour coiffure une couronne de fleurs. Pour compenser l'éclat de cette parure, la jeune fille glissa en dessous une longue aiguille dont elle enfonça la pointe dans sa tête, en y plaçant les fleurs. Le port de cette couronne devint ainsi un tourment. Un autre jour, on commit l'imprudence de s'extasier devant la beauté de ses mains. C'en fut assez pour que la généreuse enfant plongeât dans la chaux vive ces mains qui furent affreusement brûlées. Pendant un mois, elle endura de grandes douleurs sans regretter une seule fois de s'être condamnée à ce supplice. La guérison recouvrée, Marie de Flores, pour rendre à la peau sa beauté première, se mit un soir à frictionner les doigts de sa fille avec une composition très estimée au Pérou, et les enferma dans des gants jusqu'au lendemain. En vain Rose avait-elle instamment demandé qu'on lui épargnât cette recherche. Elle dut se soumettre. Mais Dieu prit lui-même en mains sa défense. Une fois couchée et la lumière éteinte, la jeune fille venait, non sans peine, de céder au sommeil, quand une vive douleur la réveilla. Ses mains brûlaient comme si elles eussent été plongées dans le feu : des flammes s'en échappaient et éclairaient toute la chambre. Dans son effroi et craignant un incendie, Rose s'empressa de retirer ses gants et aussitôt le feu s'éteignit. Le lendemain, les mains gardaient encore des traces de brûlures; mais il fallut expliquer à la mère le prodige opéré.

Nous ne pouvons nous arrêter longtemps sur les moyens employés par cette jeune fille de quinze ans pour suivre l'attrait mystérieux qui l'emportait loin du monde et des frivolités terrestres. Parfois, si un ordre formel l'obligeait à paraître en société, elle se frottait le visage avec un poivre très mordant qui la défigurait et lui causait de grandes douleurs, ou encore elle se laissait tomber sur le pied une lourde pierre, et se trouvait contrainte de rester à la maison. Par d'héroïques stratagèmes, manifestement inspirés d'en haut, elle obtint enfin de se tenir éloignée de toute réunion mondaine et de suivre son goût pour la solitude et la retraite avec Dieu. Ses parents lui permirent de se construire au fond de leur jardin un ermitage rustique, mesurant cinq pieds de long sur quatre de large : une simple ouverture servait de fenêtre; un siège, une table et une grande croix formaient tout le mobilier. « C'est trop étroit, lui dit son confesseur, vous ne saunez rester dans un pareil réduit. » — « Oh ! répondit Rose, c'est bien assez grand pour Jésus et pour moi; tous les deux, nous y serons à l'aise. » Cette humble cabane fut pendant plusieurs années le lieu de retraite où elle venait s'entretenir avec son Bien-Aimé: chaque matin, dès l'aube, elle s'enfuyait dans sa chère cellule, et là, seule avec son Dieu, priait, travaillait, souffrait.

A Lima, comme dans tous les pays chauds et humides, les moustiques sont nombreux. L'ermitage de Rose, placé sous les arbres, en était infesté. Chose étrange, au lieu de la troubler par leurs désagréables piqûres, ils vivaient avec elle en bonne intelligence. Quand sa mère se hasardait dans la cellule, toute la troupe semblait se donner le mot pour la dévorer. « Sous cette plaie d'Egypte qui ne laissait aucun moment de repos, écrit l'un de ses biographes, Rose, au grand étonnement de ses visiteurs, demeurait tranquille et nullement tourmentée. »

III. — Depuis longtemps déjà l'angélique enfant s'était éprise d'amour pour sainte Catherine de Sienne : le récit de sa vie avait ému profondément son âme. Elle brûlait de suivre de plus près l'héroïque vierge; aussi son rêve le plus cher était-il d'être admise parmi les Sœurs du Tiers-Ordre de la Pénitence. Mais nul chemin n'est sans épines : des difficultés surgirent qui parurent un moment rendre impossible la réalisation de tels désirs. Une tante de l'archevêque Turribius, fondatrice d'un couvent de Clarisses à Lima, crut faire une bonne œuvre en proposant la fille des Flores aux Religieuses nouvellement arrivées. Rose fut agréée sans même avoir été avertie. Tout en exprimant sa reconnaissance, elle demanda à réfléchir. La mère consultée refusa son consentement, et sa décision eût fait loi si elle ne s'était, trouvée en opposition avec le jugement des directeurs de Rose. Ceux-ci, pensant qu'une jeune fille d'une telle piété serait mieux à sa place dans un couvent qu'au milieu du monde, lui conseillèrent de sacrifier son attrait pour l'Ordre de Saint-Dominique, et d'entrer résolument dans le monastère disposé à l'accueillir. Rose crut voir dans cet avis la volonté de Dieu, et sans rien dire, quitta, un dimanche matin, la maison paternelle, accompagnée d'un de ses frères qu'elle avait mis dans le secret. Passant devant l'église de Saint-Dominique, elle voulut s'y arrêter pour prendre la bénédiction de Notre-Dame du Rosaire. A peine s'était-elle agenouillée, qu'elle se sentit comme rivée au sol. En vain essaya-t-elle de faire un mouvement : peine inutile. Son frère s'approche ; mais il eut beau déployer toute sa force, il ne put parvenir à la soulever. Dans cette extrémité, la candide enfant croit comprendre que Dieu n'approuve pas son projet. Levant les yeux vers Marie : « O ma Mère, dit-elle, je vous promets, si vous me délivrez, de retourner à la maison de mes parents et d'y rester jusqu'à ce que vous m'ordonniez d'en sortir. » A ces mots, elle vit la Madone lui sourire : en même temps la vie et le mouvement revenaient dans ses membres. Elle put se lever et partir.

Assurée cette fois de la volonté divine, Rose revint à son désir d'appartenir à l'Ordre de sa protectrice, sainte Catherine de Sienne. Une circonstance singulière l'affermit dans cette résolution. Un jour qu'avec quelques pieuses jeunes filles, elle était occupée à orner une grande statue de la Sainte que l'on devait porter en procession à travers les rues, elle vit, pendant un temps assez long, un papillon noir et blanc voltiger autour d'elle, passant et repassant comme avec insistance devant ses yeux. En même temps une lumière intérieure lui fit comprendre que Dieu, par ce signe, l'autorisait à prendre l’habit blanc et noir du Tiers-Ordre dominicain. Sans plus tarder, elle demanda le consentement de sa famille, qui ne le refusa pas, et, le jour de Saint-Laurent 1606, elle reçut des mains de son confesseur, le Père Alphonse Vélasquez, le vêtement tant désiré de la Pénitence de Saint-Dominique. Elle avait vingt ans.

Or, à cette époque, le receveur des domaines royaux, Gonzalve de la Massa, qui fréquentait la famille de Rose, et tenait notre Sainte en grande estime, la pressait d'entrer chez les Carmélites. La vie de Tertiaire dans le monde ne lui semblait ni assez élevée, ni assez sûre pour Rose; lui-même s'offrait pour constituer la dot et aplanir toutes les autres difficultés. Rose, craignant de lui déplaire par un refus formel, demanda que l'on soumît la proposition à l'examen de quatre théologiens de l'Ordre de Saint-Dominique, promettant de suivre leur décision. 11 arriva que deux des théologiens opinèrent pour le Carmel et deux pour le Tiers-Ordre : et telle fut la ténacité des deux partis, qu'aucun ne voulut céder. Faute de majorité, Rose déclara qu'elle restait dans la voie où elle était entrée. Mais l'ennemi des âmes ne se tint pas pour battu. Ayant échoué en se servant des autres, il essaya d'entrer directement en lice pour lui enlever un habit gagné au prix de tant de luttes. Il lui suggéra qu'elle était indigne de le porter.

« Blanche au dehors, lui disait-il, noire au dedans, c'est pure hypocrisie. Tu veux passer pour une Sainte, et c'est tout. » De fait, quand la jeune fille, vêtue des livrées dominicaines, et marchant avec une modestie ravissante, passait dans les rues, on se la montrait du doigt et plus d'un la comparait tout haut à la vierge de Sienne. Profondément affectée de tels hommages, la pauvre enfant n'osait plus sortir et ne savait à quoi se résoudre. Dans son angoisse, elle eut recours à Notre-Dame du Saint Rosaire. A peine fut-elle à genoux devant l'autel que toute inquiétude disparut, son visage abattu reprit sa beauté sereine et une douce splendeur forma autour de sa tête comme une auréole de gloire. Quelques tertiaires présentes s'extasiaient devant ce spectacle. Rose les aperçut et toute joyeuse leur dit : « Courage, mes Sœurs, louons Dieu dont la bonté nous tient unies ensemble par un lien d'indestructible charité. » Satan était vaincu. C'est à partir de ce moment que le confesseur de Rose la vit plusieurs fois prendre et garder pendant quelques instants les traits de sainte Catherine.

IV. — Fille de saint Dominique, Rose de Sainte-Marie entendait justifier ce beau titre pour réaliser, dans la mesure du possible, le type achevé que Dieu lui-même lui mettait sous les yeux. C'est de ce côté qu'elle va diriger ses efforts, et nous allons voir quelle base solide elle posa, par l'humilité et la pénitence, à la vie de sublime contemplation où elle fut élevée.

Notre Sainte ne se bornait pas à recevoir avec patience et avec joie les injures et les railleries, de quelque côté qu'elles vinssent : pensant toujours en avoir mérité davantage, elle avait l'habitude, quand on l'accusait, d'amplifier encore ce qu'on lui imputait, comme si, à l'entendre, elle eût été coupable de grands crimes et digne d'être méprisée et maltraitée de tous.

Rien ne lui était plus insupportable que les louanges : elles étaient pour elle comme un trait acéré qui semblait percer son cœur ; à ses gémissements et à ses larmes on pouvait comprendre combien ces discours flatteurs lui étaient à charge. Si une adversité, si un accident fâcheux tombait sur sa famille, elle l'attribuait sérieusement à ses fautes, et comme elle se croyait très sincèrement la créature la plus misérable qui fût au monde, elle désirait vivement voir les autres partager sa conviction. Quand elle se présentait au saint tribunal, c'était avec une abondance de larmes et des soupirs qui l'auraient fait aisément passer pour une insigne pécheresse. Toutefois cette contrition si extraordinaire était toujours accompagnée et relevée par les ardeurs croissantes de la charité, et c'est dans cet esprit qu'avant de commencer, elle disait à son confesseur : « Dieu soit avec vous, mon Père. Que Jésus soit notre amour ! quand donc viendra le jour où nous l'aimerons parfaitement? Ah! qui ne l'aime pas, ou il ne le connaît pas ou il est sans cœur. » Outre les confessions sacramentelles, qu'elle renouvelait plusieurs fois la semaine, elle en faisait une spirituelle chaque jour, aux pieds de son Père saint Dominique : elle lui accusait en détail tout ce qui pouvait être l'ombre d'une négligence ; puis elle demandait humblement au Seigneur, par les mérites du saint Patriarche, le pardon et le remède.

Elle cachait avec soin ses maladies, pour augmenter ses souffrances et aussi pour éviter d'attirer l'attention. Mais, ce qu'elle cherchait à dérober avec plus de soin encore, c'étaient ses progrès dans la vertu et les faveurs extraordinaires qu'elle recevait de Dieu. Rose ne parlait jamais de ces dernières que pressée par l'obéissance et avec une extrême réserve. « Dès mon enfance, déclara-t-elle un jour, j'ai supplié Dieu de ne pas permettre que les grâces opérées en moi par sa bonté fussent manifestées au dehors, et, connaissant la sincérité de ma prière, il a daigné m'exaucer. »

Si prodigieuse que nous paraisse sa vie, il est clair d'après cette parole que bien des merveilles nous en sont restées inconnues. Cependant Rose ne pouvait soustraire aux regards des hommes beaucoup d'actes héroïques: ses jeûnes et ses abstinences étaient forcément connus de ceux qui vivaient avec elle.

Dès son plus bas âge, elle s'imposait de nombreuses privations et s'interdit, entre autres choses, l'usage des fruits. A six ans, elle commença à jeûner au pain et à l'eau trois fois la semaine. Par une de ces pieuses adresses qu'on rencontre chez les Saints, elle avait trouvé le moyen de mortifier son appétit à la table commune, et cela, sous les yeux de sa mère, si prompte, pour la moindre indisposition, à accuser les rigueurs excessives de sa fille. Une servante Indienne, nommée Marianne, avait fini, à force d'amitié et de caresses de la part de Rose, par devenir un instrument docile des pénitences de sa jeune maîtresse. Rose obtint qu'à chaque repas, sous un prétexte quelconque, Marianne lui servît un mets spécial, composé de quelques herbes sauvages soigneusement dissimulées dans un semblant d'apprêt. Quelquefois elle s'en allait dans les champs à la cueillette de plantes ou racines nauséabondes, pour en fabriquer une sorte de liqueur mélangée d'absinthe et de fiel dont elle arrosait ses aliments, de sorte qu'on ne saurait vraiment dire si elle ne souffrait davantage en mangeant qu'en s'abstenant de manger. Les jours de jeûne ecclésiastique, elle se bornait à prendre, une seule fois, un peu de pain et d'eau. On la vit, pendant des Carêmes entiers, se sustenter seulement avec cinq pépins d'orange ou de citron chaque jour ; on la vit rester sept semaines sans boire, malgré les chaleurs insupportables du pays.

Rien de ce qui pouvait la faire ressembler à Jésus souffrant ne lui paraissait au-dessus de ses forces. Dès sa quatorzième année, elle sortait, la nuit, dans le jardin, et, chargeant ses épaules meurtries par les disciplines d'une grande et lourde croix, elle marchait à pas lents dans les allées, méditant sur le trajet douloureux du Calvaire et se laissant parfois tomber à terre pour mieux imiter le Sauveur. Elle accomplissait ce pèlerinage pieds nus et par les plus rigoureuses températures.

Quoique son corps fût fort affaibli par les jeûnes, Rose ne laissait pas de pratiquer d'autres austérités presque incroyables. Elle se fit un cilice de crins, hérissé de pointes d'aiguilles et descendant jusqu'au-dessous des genoux. Elle le porta longtemps et ne le quitta que par obéissance. Mais aussitôt elle le remplaça par un sac grossier, dont le poids accablant et les aspérités ne lui permettaient de faire aucun mouvement sans ressentir dans tous ses membres un douloureux martyre.

Elle s'était tressé une discipline de cordes très rudes et armées de gros nœuds, et en faisait usage tous les jours, quelquefois à plusieurs reprises. Elle se servait aussi de chaînettes de fer, et avec tant de force que son sang jaillissait contre les murailles.

Elle se ceignit les reins d'une chaîne de fer à trois tours, la ferma d'un cadenas et en jeta la clef dans un puits. Cette ceinture, pénétrant dans les chairs, produisit à la longue des douleurs intolérables, auxquelles on ne pouvait apporter de soulagement par suite de la précaution héroïque de faire disparaître la clef du cadenas. La prière de la douce victime fit céder l'obstacle ; un soir, la serrure s'ouvrit par miracle et la chaîne tomba à terre.

Rose se rappela qu'à l'invitation du Sauveur, sainte Catherine de Sienne avait porté la couronne d'épines : devenue sa sœur par le Tiers-Ordre, elle aspirait à lui ressembler en ce point comme en tant d'autres. Après avoir essayé d'une couronne tressée de cordes et d'épines, elle se procura une lame d'argent qu'elle courba en cercle, munit d'un triple rang de clous très aigus, et serra fortement autour de sa tête, la recouvrant de son voile. De temps en temps, principalement le matin, en faisant sa toilette, elle changeait la position de sa couronne, afin de multiplier les plaies.

Quand parfois quelque mouvement tendait les muscles de la tête, sa souffrance était si vive que son visage se contractait et qu'elle perdait l'usage de la parole. Longtemps on ignora autour d'elle cette effroyable pénitence. Mais un jour que le père de Rose, une verge à la main, poursuivait un de ses fils pour le corriger, il heurta la jeune fille à l'endroit de la couronne, et aussitôt trois jets de sang s'échappèrent de son front. Rose se retira précipitamment dans sa chambre; sa mère l'y suivit, et demeura interdite en apercevant le sanglant bandeau. Elle en parla au confesseur de Rose, Juan de Villalobos, recteur du collège des Jésuites, lequel se fit apporter la couronne, qu'il avait autorisée sans l'avoir vue, et voulut dissuader sa pénitente de porter désormais le terrible instrument. Mais celle-ci plaida si bien sa cause, que le Père se contenta d'émousser avec une lime la pointe trop acérée des clous, et laissa l'héroïque vierge suivre l'inspiration de l'Esprit Saint.

Ce n'est pas tout. Rose, remarquant un jour que dans la répartition des pénitences ses pieds étaient épargnés, imagina de les exposer nus à la bouche d'un four embrasé, si bien que depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il ne restait rien en elle qui n'eût sa part d'expiation.

Si la journée de Rose était ainsi remplie de mortifications de tout genre, la nuit, elle aussi, avait son tour. Après divers essais, Rose inventa un lit plutôt de torture que de repos. Elle plaça, sur une longue planche, des morceaux de bois non equarris, les lia avec des cordes et remplit les intervalles de cailloux pointus, de débris de tuile et de vaisselle. Comme oreiller, elle se servit successivement d'une bûche, d'une pierre rugueuse, d'un sac garni de copeaux et de fragments de jonc ou d'osier qui lui écorchaient le visage. Avant de se coucher, Rose remplissait sa bouche d'un breuvage de fiel qu'elle tenait en réserve dans un flacon près de son lit. Ce breuvage amer lui causait, surtout au réveil, une inflammation du gosier accompagnée d'une soif inextinguible.

L'on aurait tort de croire que l'habitude de la souffrance en ôtâî à notre Sainte ou en diminuât même la sensation. Maintes fois la pauvre enfant ne pouvait approcher sans frémir de sa terrible couche. Un soir, elle luttait plus péniblement que de coutume contre la répugnance de la nature, quand Jésus-Christ lui apparut sous une forme visible. « Souviens-toi, ma fille, dit-il, que le lit de la croix sur lequel je m'endormis du sommeil de la mort était plus dur, plus étroit, plus effrayant que le tien ! » Consolée par ces paroles, Rose reprit courage, et pendant seize années continua cette horrible macération.

Si pénible et si agité que dût être le sommeil sur une pareille couche, encore voulait-elle vaincre cet ennemi, le plus difficile à terrasser, de l'aveu de sainte Catherine elle-même. Sur les vingt-quatre heures de la journée, Rose en donnait douze à la prière, dix au travail des mains et réduisit à deux heures le temps consacré au repos et aux autres nécessités de la vie. Mais quelle violence il fallut faire à la nature pour obtenir un tel résultat! L'héroïque jeune fille avait enfoncé un très gros clou dans le mur de sa chambre, à six pieds environ de hauteur. Dès que le sommeil la poursuivait, elle venait se pendre à ce clou par les cheveux qu'elle avait gardés sur le devant de la tête, et lorsqu'elle sentait qu'ils allaient céder, elle appuyait la pointe des pieds sur le plancher. Elle passait ainsi des nuits entières, veillant et priant avec Notre-Seigneur. En outre, elle fit faire une croix dans les bras de laquelle étaient fixés deux clous, capables de supporter le poids de son corps. Voulait-elle prier plus longuement la nuit? elle dressait cette croix contre la muraille et s'y tenait suspendue pendant son oraison. C'est à la suite de cette pénitence qu'elle n'eut plus de combats à soutenir contre le sommeil. L'ennemi était vaincu par le même instrument qui a vaincu le péché.

V. — Assurément une vie de mortifications si extraordinaires ne saurait être proposée pour modèle : les voies des élus ne sont pas les mêmes pour tous. Néanmoins, ce spectacle, propre à épouvanter notre faiblesse, ne doit pas nous décourager : tout en louant Dieu, toujours admirable dans ses Saints, nous pouvons, sans viser si haut, suivre au moins la vierge de Lima dans la pratique de vertus plus à notre portée, qu'elle savait faire éclore sur chacune de ses douleurs.

Dans cette existence, semée de merveilles sans nombre, il est un fait peut-être plus admirable, c'est de voir la frêle adolescente, malgré ses maladies et ses pénitences, toujours la première au travail, toujours douce et affable, montrant une gaieté qui faisait le charme de ses parents et de ses amis. Prétendra-t-on qu'il n'y a rien à glaner ici?

Mais là ne se termine point le chapitre des souffrances de notre bienheureuse Sœur. Une âme prédestinée comme la sienne pour être, au milieu du monde, une représentation vivante de Jésus crucifié, devait connaître tous les genres de peines, et spécialement les peines intérieures. « Parce que vous étiez agréable à Dieu, disait l'archange Raphaël à Tobie, il a été nécessaire que la tentation vous éprouvât. » II est pour les âmes justes, en effet, des heures sombres, qui succèdent par intervalles aux merveilleuses clartés de l'oraison, et aux jouissances sensibles de la grâce. Rose connut cette épreuve et y montra un prodigieux courage. Un changement subit s'opérait parfois dans son intérieur : elle se voyait seule dans un désert, au milieu d'une nuit épaisse : tout sentiment des choses de Dieu avait disparu. C'était comme une espèce de mort et de déchirement, une sorte de réprobation, qui lui faisait crier comme Jésus mourant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonnée ? »

L'espace de quinze années, il ne se passa pas un jour que la jeune vierge ne fût ainsi réduite à une mystérieuse agonie, durant une heure et plus ; l'habitude, loin de diminuer son tourment, ne servait qu'à en augmenter la rigueur. Les consolations qui suivaient, « inondaient, il est vrai, son âme en proportion de la grandeur de ses peines », mais le lendemain, à heure fixe, le même supplice recommençait. Il fallait que le calice fût bien amer pour que cette Sainte, si patiente et si mortifiée, priât Dieu de le détourner de ses lèvres. Mais incontinent, elle ajoutait : « Que votre volonté se fasse et non pas la mienne », et cette complète soumission lui apportait un peu de soulagement.

Ce n'était là du reste qu'un surcroît ajouté à ses peines ordinaires : la souffrance était l'état normal de sa vie. Dans son amour généreux pour Jésus-Christ, remarque un historien, elle eût rougi de se voir sans croix un seul instant : le Bien-Aimé de son cœur ne le permit pas. Rose eut à souffrir de tous les côtés à la fois : de la part de sa famille qui, croyant à un état fiévreux, voulait l'obliger à force remèdes : de la part même de directeurs inexpérimentés, trop prompts à rejeter sur la rêverie, l'imagination, l'excès du jeûne ou de la fatigue, les phénomènes extraordinaires dont elle était l'objet ; enfin les maladies ne la quittèrent jamais complètement.

La conduite de Dieu sur cette âme d'élite impressionna les plus fameux théologiens de l'Université de Lima, et l'on jugea utile de soumettre la fille de saint Dominique à de longs et minutieux interrogatoires. Elle répondit à tout sans hésitation. Avant de lever la séance, les docteurs déclarèrent à l'unanimité : « 1° que Rose était arrivée à l'oraison d'union par la yoie la plus directe et sans avoir presque passé par la voie purgative, le Seigneur ayant attiré son cœur à lui dès sa plus tendre enfance; 2° qu'elle avait supporté avec un courage héroïque la plus accablante épreuve qui se puisse imaginer, et qu'elle avait gardé dans cet état d'abandon et de désolation une soumission parfaite à la volonté divine. »

A dater de ce moment, elle fut regardée par les hommes de piété qui eurent occasion de la connaître comme une âme remplie de l'Esprit de Dieu, possédant le don de sagesse et gouvernée par une science divinement infuse. Un jour qu'elle se trouvait à l'église de Saint-Dominique, elle pria le Frère sacristain d'appeler son confesseur. Le Frère se rend aussitôt vers le Père de Lorenzana, religieux de grand savoir et de haute perfection, et lui dit : « Mon Père, la petite Rose est là, qui vous attend. — Ah ! mon Frère, répondit le saint homme, que dites-vous? cette Rose que vous appelez petite, l'univers entier connaîtra un jour sa grandeur devant Dieu. »

VI. — On conçoit facilement qu'une âme dévouée à Dieu avec tant de générosité, devait recevoir dès ici-bas des récompenses hors de pair. Son Epoux céleste l'honorait de communications et de visions merveilleuses : elle vivait avec lui dans la plus étonnante et la plus divine familiarité.

Sous ce rapport, la vie de sainte Rose contient des traits ravissants qu'il faut lire avec la simplicité des enfants de Dieu. Malgré les longues heures qu'elle passait en oraison, la pieuse vierge ne laissait pas d'employer un certain temps à la lecture. Or, il arriva plusieurs fois que l'Enfant Jésus vint se poser sur le livre entr'ouvert. Sa taille, d'une ténuité extrême, ne dépassait guère la longueur de la main, mais ce corps et le visage étaient d'une grâce incomparable. « Lis-moi, lui disait-il intérieurement; lis-moi avec attention, car je suis le Verbe ou la Parole éternelle, et si petit que tu me voies, je n'en renferme pas moins les trésors de la sagesse et toute la science de Dieu. »

Quand Rose, occupée de son travail manuel, faisait ses fleurs ou sa broderie, il s'asseyait sur son métier, lui souriant doucement, tendant vers elle ses petits bras comme pour l'inviter à le caresser. On suppose que ces faveurs durent lui être accordées tous les jours, à partir d'une certaine époque, car elle se plaignait amoureusement lorsque Jésus tardait à paraître. « Voici l'heure, et le Bien-Aimé ne paraît pas, disait-elle. La douzième heure a sonné et je suis encore privée de son aimable présence ! Venez, Seigneur, vous le savez, votre petite Rose ne peut vivre sans vous! »

Une fois elle était demeurée très tard à sa cellule du jardin paternel. Après une longue oraison, elle fut prise d'un vertige : le malaise, loin de passer, ne faisait que croître : Rose était comme anéantie et se sentait près de mourir. Minuit venait de sonner; comment appeler au secours? Elle essaya cependant de sortir et de se traîner vers la maison de ses parents, afin de prendre quelques gouttes d'un élixir dont elle avait parfois expérimenté la puissance. Une pensée subite traversa son esprit : « C'est dimanche aujourd'hui et je dois communier : sacrifierai-je ce bonheur pour un soulagement corporel? D'autre part, si je refuse à mon corps le secours qu'il réclame, ma faiblesse ne me permettra pas d'aller à l'église! » Dans cette perplexité, elle recourut à son divin Epoux. Jésus apparut et lui dit : — « Applique tes lèvres à la plaie de mon côté ; il a été ouvert pour le salut du genre humain ; mes fidèles y trouveront toujours le réconfort dont ils ont besoin. » Et le Seigneur la fit boire non de bouche, comme sainte Catherine de Sienne, mais de cœur, à l'ouverture qui donne entrée à son adorable Cœur. — Une force nouvelle se répandit immédiatement dans les membres de Rose, en même temps qu'une joie surnaturelle inondait son âme.

La Sainte aimait beaucoup les fleurs. Elle en avait partout, dans son jardin, autour de son ermitage. Elle cultivait avec une sollicitude particulière un basilic très beau, qu'elle se proposait de porter à l'église quand il serait en pleine floraison. Peut-être s'y était-elle un peu trop attachée. Un matin, sans que le fait pût s'expliquer naturellement, le basilic se trouva déraciné et flétri. Rose se retirait tout attristée, lorsque Jésus se présenta à elle. « Eh quoi! lui dit-il, vas-tu t'affliger pour la perte de cette plante, quand je te reste, Moi qui suis la fleur des champs et le lis delà vallée? Tu es ma fleur, mais je veux que dans ton cœur il n'y ait place pour nul autre que pour Moi. »

Rose comprit la leçon, et s'appliqua si bien au détachement total et absolu, que le Seigneur pouvait dire, un peu plus tard, à une pieuse femme de Lima qui jouissait aussi des familiarités divines : « Je porte ma Rose dans l'endroit le plus intime de mon cœur, parce que le sien est tout à moi. » C'était vrai à la lettre. Le regard du Maître s'arrêtait donc sur cette petite fleur du parterre angélique, et bientôt un délicieux mystère d'amour allait s'accomplir en elle.

Un dimanche des Rameaux, après la bénédiction des palmes, les sacristains se répandirent dans l'église pour les distribuer au peuple. Tous les assistants reçurent la leur; mais soit inattention, soit oubli, seule parmi ses compagnes, Rose n'eut point de part à la distribution commune. Ce fut avec grande confusion qu'elle suivit la procession les mains vides. Quand la cérémonie eut pris fin, elle accourut se réfugier dans la chapelle du Rosaire, et là, sous le regard de sa bonne Mère, donna libre cours à ses larmes. Puis, surmontant son chagrin : « A Dieu ne plaise, ô ma douce Souveraine, dit-elle, que je regrette plus longtemps une palme qui m'eût été donnée par une main mortelle ! N'êtes-vous pas le palmier magnifique qui embellit le désert de Cadès? Vous me donnerez un de vos rameaux et celui-là ne se flétrira pas. » Soudain la Reine du ciel abaisse un regard joyeux sur l'Enfant Jésus qu'elle tenait dans ses bras et le reporte ensuite sur Rose avec une ineffable tendresse. Le divin Enfant la regarde à son tour et prononce distinctement ces mots : « Rose de mon cœur, sois mon épouse. » Hors d'elle-même, Rose s'écrie : « Je suis votre servante, Seigneur. Oui, si vous voulez ce que je n'oserais ambitionner, je serai à vous et vous demeurerai éternellement fidèle ! » — « Tu vois, ma fille, ajouta Marie, le rare honneur que Jésus a daigné te faire en te prenant pour épouse : pouvait-il mieux te prouver la grandeur de son amour? » L'extase de Rose se prolongea longtemps, et son âme fut gratifiée d'une plénitude de dons célestes que la parole humaine est impuissante à décrire. A peine rentrée dans son ermitage, Rose pria l'un de ses frères de lui dessiner un anneau avec un emblème religieux, sans rien lui dire de la merveille accomplie en sa faveur. Celui-ci réfléchit quelques instants, et, saisissant un papier, y traça le dessin d'un anneau, orné d'un brillant sur lequel il écrivit le nom de Jésus. Rose lui demanda une petite inscription à l'intérieur du cercle : et sous le coup de la même inspiration, le jeune homme prit .la plume et traça ces mots en exergue : Rosa cordis mei, tu mibi sponsa esto : « Rose de mon cœur, sois mon épouse. » La pieuse enfant ne fit rien paraître de sa surprise; mais on devine sa joie et sa reconnaissance en entendant répéter et confirmer par son frère, ignorant de ce qui s'était passé, les paroles mêmes de son divin Époux. L'anneau fut fabriqué, l'inscription gravée, et la sainte fille le porta au doigt jusqu'à sa mort.

Dès lors, son amour ne fit plus que s'élever; les élans de son âme, qu'elle ne pouvait plus comprimer, se traduisaient par des paroles de feu ou par des invitations aux êtres de la création à aimer leur auteur. « Eléments, disait-elle, eaux et terres, anges et hommes, insectes et oiseaux, plantes fleuries, grands arbres, venez à mon aide : aimons^Dieu, aimons Dieu! »

Parfois, saisissant une harpe, bien qu'elle n'eût jamais appris à manier cet instrument, elle en tirait de doux accords pour accompagner la plaintive mélodie qu'elle adressait au Ciel. Et, à sa voix, les arbres, les plantes et les fleurs s'agitaient en cadence, comme pour payer un tribut à la louange du Créateur. Nous avons parlé plus haut des moustiques qui hantaient l'ermitage de Rose. Le matin, notre Bienheureuse, ouvrant la porte et la fenêtre de sa petite cellule, disait gracieusement à ces nombreux hôtes : « Allons, mes petits amis, chantons ensemble les grandeurs du Tout-Puissant. » Aussitôt, comme s'ils eussent été doués d'intelligence, guêpes, abeilles, moucherons se divisaient en deux chœurs, les uns volaient et accompagnaient le chant de Rose du bourdonnement de leurs ailes, tandis que les autres demeuraient immobiles et silencieux : au bout de quelques instants, le second chœur reprenait l'accompagnement et le premier se reposait. Cela durait jusqu'à ce que la Sainte leur rendît la liberté. « Allez maintenant, petites sœurs, disait-elle, allez chercher votre nourriture, et ne manquez pas de revenir au coucher du soleil, afin que nous reprenions notre cantique. »

Pendant le Carême de l'année 1617, le dernier qu'elle passa sur terre, un petit oiseau vint un soir, après le coucher du soleil, chanter auprès de sa fenêtre. La Sainte l'écouta avec attendrissement et se prit à l'aimer. Le lendemain, le petit oiseau revint encore et à la même heure. Rose le reconnut et l'écouta avec encore plus de bonheur que la veille. Enfin, l'oiseau fut très exact, et elle ne manqua plus, dés lors, de se placer près de la fenêtre pour attendre son charmant visiteur. Rose composa même un cantique pour l'inviter à chanter : l'oiseau la suivait fort attentivement et reprenait ensuite de son mieux. Ce naïf entretien entre les deux créatures du bon Dieu durait environ une heure, après quoi l'oiseau s'envolait, et la Sainte un peu triste, disait alors pour se consoler : « Mon petit chantre m'a abandonnée : béni soit Dieu qui est toujours avec moi ! »

VII. — L'amour divin croissait de jour en jour dans le cœur de Rose, et il plut au Seigneur de rendre visible en diverses circonstances le feu qui la consumait. Une personne qui, par extraordinaire, passa une fois la nuit dans la chambre où couchait la servante de Dieu, vit des rayons lumineux se projeter au milieu des ténèbres. Très étonnée de ce phénomène, elle voulut en connaître la cause. Rose s'était levée sans bruit pour faire oraison, et les rayons aperçus par sa compagne partaient de son visage.

Combien de fois encore le prêtre qui lui donnait la communion aperçut sa tête entourée d'une auréole brillante ! Le P. Louis de Bilbao attesta qu'en lui présentant la sainte hostie, il avait peine à soutenir l'éclat de son visage qui paraissait en feu.

Juan de Lorenzana remarqua également qu'un changement merveilleux s'opérait sur ses traits quand elle s'approchait de la sainte Table : « On eût dit, affirmait-il, la tête radieuse d'un corps déjà glorifié. »

Tout cela se passait avant la communion. Qu'était-ce quand la pieuse vierge possédait dans son cœur Celui qui est venu apporter le feu sur la terre? Aucune expression ne saurait rendre ces choses ineffables. « Quand je communie, dit-elle à un de ses confesseurs, il me semble qu'un soleil descend dans ma poitrine. Voyez ici-bas : le soleil ranime tout par sa chaleur et sa lumière ; il colore les fleurs et fait mûrir les fruits ; ses rayons pénètrent dans les eaux de la mer, ils font miroiter les pierres précieuses sur les montagnes, il réjouit les petits oiseaux, éclaire et t vivifie l'univers. Eh bien ! voilà ce que fait dans mon âme la chair de Jésus-Christ. Elle relève tout ce qui était languissant; sa présence réchauffe, éclaire, illumine. »

Le pain eucharistique la fortifiait à tel point qu'elle ne prenait généralement aucune autre nourriture de toute la journée. En vain la pressait-on de rompre son jeûne : « La table du Seigneur m'a si bien nourrie, répondait-elle, que je ne puis rien manger. » L'expérience le prouva, une seule bouchée de pain ou quelques gouttes d'eau lui causaient alors d'affreux étouffements. Voilà pourquoi, quand elle communiait chaque jour, pendant l'octave de certaines fêtes, il lui arrivait parfois de passer la semaine entière sans prendre aucun aliment.

Les jours où le Saint-Sacrement était exposé, elle ne quittait pas l'église et demeurait en adoration depuis le matin jusqu'au soir, agenouillée, immobile comme une statue, sans détourner un instant les yeux de l'ostensoir.

Tel était son amour pour la divine Eucharistie qu'elle aurait voulu verser son sang en témoignage de la présence réelle. Souvent elle avait exprimé ce désir; on crut même une fois qu'il allait se réaliser. Le 24 août 1615, une flotte hollandaise parut sur les côtes du Pérou; elle s'approchait déjà du port de Lima, et l'on s'attendait à voir la ville saccagée. Rose seule demeura intrépide au milieu de la consternation générale, et, malgré la faiblesse de son sexe, elle entra dans l'église, se plaça sur le marchepied de l'autel, et animée d'un courage qui étonna les témoins de cette scène, elle se mit en devoir de défendre le tabernacle au péril de sa vie.

Alors, prenant des ciseaux, elle coupa un peu le bas de sa robe blanche qui traînait jusqu'à terre, replia ses manches et quitta ses souliers. « Je me prépare au combat, répondit-elle à ceux qui lui demandaient la raison de sa manière de faire : rien ne doit gêner mes mouvements. A mesure que les hérétiques entreront, je veux monter sur l'autel, embrasser le tabernacle, le couvrir de mon corps; et quand les bourreaux porteront la main sur moi, je les prierai de ne pas me faire mourir d'un seul coup, mais de me déchirer par morceaux, afin que le plus longtemps possible ils épargnent le Saint des saints. » On en fut quitte pour une fausse alerte : un messager vint annoncer que l'amiral hollandais venait d'être frappé d'apoplexie, et la flotte, privée de chef, prenait le large.

Assurément Rose partagea la joie de toute la ville, mais elle fit paraître aussi une douleur sincère d'avoir manqué l'occasion du martyre.

Sans parler de l'assurance certaine qu'elle ne perdrait jamais l'amour de Dieu, le divin Maître inonda son épouse bien-aimée de tous les dons merveilleux qu'il communique à ses plus chers amis : opérations surnaturelles, pénétration des cœurs, visions prophétiques. Durant dix ans, Rose ne cessa de prédire avec les plus minutieux détails la fondation d'un monastère de Dominicaines à Lima. Cette ville n'était pas encore très étendue : elle possédait déjà bon nombre de couvents et il n'était guère probable que le gouvernement en autorisât un nouveau. L'eût-il permis, où trouver les ressources nécessitées par une entreprise de cette nature ? N'importe, Rose ne varia jamais dans son affirmation. « Quand vous y verriez plus de difficultés encore, mon Père, disait-elle à son confesseur, quand vous supposeriez l'opposition de l'Espagne et de l'Amérique entière, soyez certain que la fondation se fera dans le lieu que je vous désigne : le monastère sera florissant, peuplé de saintes âmes : vous le verrez de vos yeux. »

Un jour qu'elle revenait sur ce sujet, elle se mit à dire que si l'autorisation, que l'on sollicitait alors, arrivait de son vivant, elle se chargerait seule, s'il le fallait, des frais de construction. Sa mère, en l'entendant, n'y tient plus. « Tu es folle, lui dit-elle ; où prendrais-tu cet argent ? Tu ferais mieux de te taire que de nous conter pareilles inepties. » Rose, pourtant si docile, ne se tut point. « Patience, bonne mère, répliqua-t-elle, patience : le temps viendra où vous reconnaîtrez la vérité de mes paroles, car vous serez la première à prendre le voile dans cette maison ; vous y ferez profession et persévérerez dans l'état religieux jusqu'à la mort. » C'était par trop fort vraiment, et la colère de Marie de Flores ne connut plus de bornes. « Moi, religieuse! moi, qui ne sais ni chanter, ni psalmodier; moi, qui ne puis tenir en place, aller me renfermer dans une clôture ! Va chanter à d'autres tes absurdités : les Grecs auront des calendes avant que je prenne le voile dominicain. »

Le commencement de l'année 1629 ne vit pas les calendes grecques, mais il vit Marie de Flores, veuve et sexagénaire, prendre le voile au nouveau monastère de Sainte-Catherine. L'année suivante, elle y faisait profession, et elle y mourut longtemps après en bonne et fervente Dominicaine.

VIII. — Rose, on l'a vu, répondait par de saintes folies et des prodiges d'amour aux faveurs qu'elle recevait d'en haut. Son esprit industrieux cherchait sans cesse quelque nouveau moyen de témoigner son affection à son Bien-Aimé. Voici une note que l'on trouva parmi ses papiers : «Jésus! — L'an 1616, avec le secours de mon Sauveur et de sa sainte Mère, je prépare un trousseau à mon très doux Jésus, qui doit bientôt naître pauvre, nu et tremblant dans l'étable de Bethléem. J'emploierai à tisser sa petite chemise cinquante litanies, neuf Rosaires et cinq jours de jeûne en mémoire de son Incarnation. Je composerai ses langes de neuf stations au pied du Saint-Sacrement, de neuf divisions du Psautier rosarien et de neuf jours déjeune pour honorer les neuf mois qu'il passa dans le sein de sa mère. Je formerai les bandelettes qui doivent l'entourer de cinq jours d'abstinence, cinq Rosaires et cinq stations en l'honneur de sa Nativité. Je lui ferai une couverture de cinq couronnes du Seigneur, cinq jeûnes absolus et autant de stations en mémoire de sa circoncision. Quant aux franges destinées à broder son vêtement et au toit qui protégera sa crèche, je les composerai de trente-trois communions, trente-trois assistances à la Messe, trente-trois heures d'oraison mentale, trente-trois Pater, Ave, Credo avec autant de Gloria et de Salve Regina, de trente-trois jours de jeûne et trois mille coups de discipline, par vénération pour les trente-trois années qu'il passa sur la terre. Enfin je déposerai pour aliments dans son berceau mes larmes, mes soupirs, mes affections et surtout mon cœur et mon âme, afin de ne plus rien posséder qui ne soit tout à lui. » L'Enfant Jésus montra dans la suite comment il agréait de telles inventions de l'amour.

A cette piété si vive envers Jésus, correspondait une tendre et filiale dévotion pour Marie, dévotion qui valut à Rose des faveurs signalées de la Reine des d'eux. A onze ans, la pieuse enfant avait obtenu d'être chargée d'entretenir la chapelle du Rosaire. Elle venait si souvent prier dans cette chapelle, elle mettait tant de soin à l'orner, qu'on l'accusait d'y avoir élu domicile. De nombreuses grâces lui furent accordées, les unes connues de Dieu seul, d'autres qui ne purent échapper aux regards des hommes. Pendant les années qu'elle habita nuit et jour sa cellule rustique, les visites de la Vierge Marie devinrent à peu près quotidiennes, et ses attentions pour sa fidèle servante des plus délicates.

Depuis longtemps la pieuse fille était affligée d'insomnie. Ses forces s'en allaient, sa vie même semblait menacée. Son confesseur lui ordonna d'user des remèdes prescrits par les médecins pour ramener le sommeil, et de se lever ensuite à une certaine heure qu'il lui fixa. Rose, après avoir eu de la peine à s'endormir, ne pouvait plus se réveiller et se désolait de manquer ainsi d'obéissance. Elle confia sa peine à sa bonne Mère, qui daigna apparaître à l'heure désirée auprès du lit de son enfant : « Lève-toi, ma fille, lui disait-elle d'une voix douce, voici l'heure de l'oraison. » Et Rose ouvrant les yeux s'éveillait dans le sourire de l'auguste Vierge.

Une nuit, le sommeil avait été plus long à venir. Rose était à peine endormie quand sonna l'heure du lever. « Je me lève, ma bonne Mère, je me lève tout de suite », répondit-elle à l'appel de Marie. Mais la nature fut plus forte que la volonté, et la pauvre enfant retomba endormie sur sa couche. La Sainte Vierge se rapprocha et la touchant de la main : « Lève-toi., ma petite fille, dit-elle, l'heure est déjà passée : c'est la seconde fois que je t'appelle. » A ce nom gracieux de « ma petite fille », Rose ouvrit les yeux ; mais déjà sa Mère du Ciel s'était retirée, et elle ne put, comme les autres jours, contempler son radieux visage. Toute confuse, elle vit là une punition de sa négligence, et pleura amèrement. Chaque fois que la jeune Sainte avait quelque grâce à demander, pour elle ou pour les autres, elle venait à la chapelle du Rosaire et priait en regardant le visage de la statue, jusqu'à ce qu'elle y découvrît une expression favorable. Elle se retirait ators pleine de confiance, et le pressentiment qu'elle avait d'être exaucée ne la trompa jamais. Quelque effort qu'elle fît en pareille circonstance pour cacher sa joie, la sérénité de son visage la trahissait. « Aujourd'hui, lui disait-on, vous avez été l'objet de nouvelles faveurs. » — « C'est vrai, répondit-elle, ma bonne Mère du ciel comble sans cesse de bienfaits sa misérable enfant. » Interrogée un jour sur le mode de ses communications avec la Sainte Vierge, elle fit avec sa simplicité ordinaire l'aveu suivant : «Je n'entends aucune parole ; mais accoutumée à étudier la physionomie de ma bonne Mère, je lis dans ses yeux tout ce qu'elle veut me dire, et je la comprends aussi bien que si elle s'exprimait verbalement. Le visage de son Fils est pour moi un livre non moins intelligible. Je le regarde en priant, et l'expression de ce visage me dit sur quoi je puis compter. »

IX. — Intime avec Jésus et Marie, la pieuse fille vivait aussi dans une douce familiarité avec son Ange gardien. Tantôt il se montrait sous des traits aimables, pour prier ou converser avec elle, tantôt il se chargeait de ses messages et lui rendait d'utiles services.

Il arriva une fois que Rose était renfermée dans son ermitage; sa mère, qui en avait la clef, suivant la convention faite entre elles deux, oubliait d'aller chercher sa fille, et il était minuit passé. Tout à coup Rose aperçoit par sa petite lucarne une forme légère venir de son côté. Elle comprit que c'était son bon Ange. La porte s'ouvrit, il fit signe à Rose de le suivre. L'un et l'autre traversèrent le jardin, arrivèrent à la maison, dont la porte s'ouvrit également, et l'aimable gardien de Rose ne la quitta que lorsqu'elle eut gagné sa chambre.

Une autre fois, encore le soir, Rose fut prise d'une défaillance soudaine, dans son ermitage. Elle consulta son bon Ange, et la porte, fermée à clef, s'ouvrit à l'instant. Rose arriva pâle, presque évanouie, à la maison paternelle. Sa mère s'empresse, et ordonne à la servante d'aller vite acheter du chocolat, aliment regardé alors au Pérou comme un tonique souverain. « Ma mère, dit Rose, n'envoyez pas ; on va m'apporter ce remède de la maison de la Massa. — Mais, ma fille, reprit Marie de Flores, comment veux-tu qu'on devine que cela t'est nécessaire?» Elle parlait encore, quand quelqu'un frappa à la porte. C'était un domestique du questeur royal, lequel déposa sur la table une tasse pleine d'un chocolat tout préparé. « De la part de ma maîtresse, dit-il, j'apporte ceci à dona Rosa ». Marie de Flores ne revenait pas de surprise. « Cessez de vous étonner, ma mère, dit Rose, c'est une attention de mon Ange gardien ; il se charge souvent de mes commissions ».

Hélas ! s'il y a de bons esprits, il s'en trouve aussi de mauvais, et notre vierge se vit plusieurs fois aux prises avec ces derniers. Une nuit que retirée dans sa cellule elle se livrait à la contemplation, un de ces monstres infernaux entreprit de lui faire quitter son pieux exercice. Il prit la forme d'un énorme chien noir, jetant des flammes par les yeux, et ouvrant une gueule garnie de formidables dents. Le hideux animal hurlait, dressait une queue aux poils hérissés, et rôdait autour de Rose, en répandant une odeur de soufre insupportable. Voyant Rose impassible, il se jeta sur elle, la roula par terre en la meurtrissant. Rose s'écria alors : Domine, ne tradas bestiis animas confidentes tibi ; « Seigneur, ne livrez pas aux bêtes les âmes qui se confient en vous. » (Ps. 73.) A ces mots, le monstre disparut et Rose, tout étonnée de se voir saine et sauve, reprit en paix son oraison.

Un autre jour, pendant qu'elle faisait une lecture spirituelle dans Louis de Grenade, le démon lui jeta une pierre par derrière. Le choc fut si violent que Rose tomba par terre ; mais se relevant sans blessure, elle fit honte à son lâche ennemi. Celui-ci, pour se venger, eut l'idée de s'en prendre au livre. Il le lui arracha des mains, le mit en pièces et le jeta dans un fossé. Un instant après, Rose ayant fait chercher le volume, il lui fut rapporté intact et sans souillure.

Le nom de la Massa s'est présenté plusieurs fois déjà dans notre récit. C'était une famille espagnole, dont le chef, appelé Gonzalve, remplissait l'office de questeur royal, ou receveur des domaines de la couronne au Pérou. Les époux de la Massa, modèles de fidélité aux devoirs domestiques, s'étaient attachés à la famille des Flores, et pensèrent faire un acte charitable en prenant Rose à leur charge dans leur propre maison. Dieu permit que la chose s'arrangeât ainsi, pour donner sans doute de nouveaux témoins aux vertus héroïques de sa servante. Rose, en effet, passa dans la maison du questeur les trois dernières années de sa vie. Traitée comme une fille d'adoption, bien que les époux de la Massa eussent plusieurs enfants, elle pouvait librement vaquer à ses pratiques, travailler au profit de ses parents, et là encore elle recevait de Dieu des grâces extraordinaires.

Un soir qu'elle priait avec la famille devant une image de la Sainte Face, vénérée dans l'oratoire privé du questeur Gonzalve, la figure du Christ laissa couler des gouttes de sueur en abondance. Le miracle fut canoniquement attesté ; il avait duré plusieurs heures consécutives.

Une autre fois, une peinture, représentant la Sainte Vierge ayant sur ses genoux l'Enfant Jésus endormi, prit, au regard de Rose, une expression délicieuse de joie, pendant que la dame de la Massa racontait des miracles opérés par la Madone d'Atocha, près de Madrid.

Rose avait obtenu de se construire au grenier un petit réduit avec de vieilles planches. Elle s'y retirait pour goûter une plus grande solitude ; plusieurs fois elle y eut à subir de nouveau les assauts du démon, et elle en triompha par sa confiance en Dieu.

Que dire de son zèle pour le salut des âmes? « S'il m'était donné, disait-elle souvent, de faire l'office de prédicateur, je parcourrais pieds nus, couverte d'un cilice, et un crucifix à la main, tous les quartiers de la ville, en criant aux pécheurs : « Ayez donc pitié de vos âmes! cessez d'offenser Dieu. Rentrez au bercail, le bon Pasteur vous appelle; bientôt peut-être il ne sera plus temps! » Et pour aider le ministère des hommes apostoliques, elle redoublait parfois de prières et de mortifications, frappait à coups de poing sur sa couronne d'épines ou se flagellait avec ses chaînes de fer. Regrettant que son sexe ne lui permît pas de travailler par elle-même à la conversion des peuples, elle forma un projet qui contient en germe l'idée de nos Ecoles apostoliques. Elle voulait adopter un enfant pauvre mais intelligent, pour être élevé par les Religieux de l'Ordre avec les aumônes de quelques personnes pieuses. Devenu prêtre, elle l'aurait prié, pour reconnaître ses bienfaits, d'aller planter dans un pays encore sauvage la croix de Jésus-Christ, et de lui donner une petite participation à ses mérites. La mort l'empêcha de réaliser cette pensée.

X. — Le Seigneur avait révélé à Rose, dés son enfance, qu'elle mourrait le jour de la fête de saint Barthélémy, et plus tard il lui fit comprendre d'une manière très précise que ce serait l'an 1617, un peu après minuit.

Vers la fin d'avril de cette année-là, Rose crut bon d'en avertir la dame de la Massa. « Sachez, ma mère, lui dit-elle, que dans quatre mois, je partagerai le sort réservé à toute chair, et mon âme délivrée de ses liens s'envolera vers son Bien-Aimé. Les douleurs de ma dernière maladie seront atroces, et je viens réclamer deux services de votre amitié. Lorsque, dévorée par une fièvre brûlante, j'implorerai un verre d'eau froide pour rafraîchir ma gorge et mes entrailles desséchées, au nom de Jésus-Christ, ne me le refusez pas. La seconde grâce que j'implore de vous, c'est qu'après ma mort, vous et ma mère rendiez seules à mon corps les services nécessaires. » Marie de la Massa, vivement émue, lui dit d'avoir confiance dans le sentiment maternel qu'elle lui portait.

Une dernière fois, Rose alla se prosterner devant sa chère statue de Notre-Dame du Rosaire, et lui fit les plus touchants adieux. De là, elle se rendit au petit ermitage du jardin paternel. Elle en baisa le sol et se mit à chanter avec l'accent d'une indicible poésie et d'un rythme admirable la fin de son exil et les joies de la patrie. Une vision mystérieuse, regardée par ses historiens comme l'un des faits les plus extraordinaires de sa vie, vint la préparer aux luttes suprêmes. Voici en quels termes la Sainte la rapporta : « Un jour que mon âme jouissait du repos de la contemplation, je me vis entourée d'une lumière éblouissante qui émanait de la Divinité, présente en tous lieux. Au milieu de cette lumière, je distinguai deux arcs superposés, aux couleurs éclatantes, et portant à leur centre une croix arrosée de sang, avec l'inscription « Jesus Nazarenus rex judaeorum », et on y voyait la place des clous qui l'avaient percée. L'humanité du Verbe remplissait l'espace enfermé dans cette double voûte et opérait en moi des effets délicieux. Je me croyais délivrée des liens de ce monde et transportée au ciel. Auprès de Jésus-Christ se trouvaient une balance et des poids. De nombreuses phalanges d'esprits angéliques vinrent s'incliner devant sa Majesté; beaucoup d'âmes arrivaient comme moi de la terre, s'inclinaient également et se retiraient à l'écart. Quelques Anges s'approchèrent alors, prirent la balance, placèrent des poids dans l'un des plateaux et chargèrent l'autre d'afflictions et de tribulations jusqu'à ce qu'il y en eût une mesure égale. Le Sauveur souleva la balance, comme pour s'assurer que l'équilibre était bien établi ; puis il distribua les afflictions aux âmes présentes et j'en reçus une des plus grosses parts. Quand le plateau fut vide, il y mit grâces sur grâces jusqu'à ce qu'il y en eût un poids égal à celui des afflictions, et il les distribua dans la même proportion, me faisant par conséquent une part abondante. J'entendis Jésus-Christ disant : « L'affliction est toujours la compagne de la grâce; la grâce est proportionnée à la douleur. La mesure de mes dons augmente avec la mesure des épreuves. La Croix est la véritable et unique route « pour aller au ciel. »

Or, au cours de cette vision, Rose connut que dans la longue agonie qu'elle devait subir, chacun de ses membres aurait son supplice particulier, qu'elle endurerait la soif du Sauveur mourant, que d'intolérables douleurs pénétreraient ses os, et que ces tortures, sans intervalles de soulagement, dépasseraient la proportion dans laquelle Dieu les contient d'ordinaire, selon les lois de la nature. Soumise à tout, elle accepta amoureusement le calice et s'abandonna d'avance aux dispositions de la Providence.

Le 31 juillet, elle était encore bien portante; mais le lendemain, vers minuit, une avalanche de maux fondit sur elle tout d'un coup. On la trouva inanimée sur le parquet de sa chambre, les membres crispés, respirant à peine.

On la déposa sur son lit. Le confesseur, appelé en toute hâte, lui ordonna, en vertu de l'obéissance, d'expliquer aux médecins ce qu'elle éprouvait. « II me semble, dit-elle, que l'on promène sur moi un fer brûlant depuis le sommet de la tête jusqu'aux pieds, et que l'on me passe une épée de feu à travers le cœur. Je sens comme une boule de fer rouge qui roule à travers mes tempes ; ma tête me produit l'effet d'être serrée dans un casque de fer, et secouée comme par des coups de marteau qui la frapperaient sans relâche. Cet incendie intérieur pénètre jusqu'à la moelle de mes os, et j'éprouve dans toutes les articulations des douleurs dont je ne saurais dire ni la violence ni la nature. Ma vie s'éteint sous l'action de ces tortures, lesquelles mettront encore du temps à la détruire. Que la volonté de Dieu s'accomplisse en moi sans réserve ! »

Par une grâce spéciale, bien que son corps fût frappé de paralysie, Rose conserva la parole et l'usage de la raison. « Seigneur, murmurait-elle, ne m'épargnez pas, comblez la mesure : ajoutez douleur sur douleur selon votre bon plaisir ! » Le 22 août, elle reçut le saint Viatique et l'Extrême-Onction avec une joie qui frappa tous les assistants. Que pouvait-elle craindre ! Elle était assurée de son salut et savait même qu'elle irait droit au ciel sans passer par le Purgatoire. Un dernier acte de piété filiale lui restait à accomplir.

Sa mère se tenait près du lit, les yeux noyés de larmes, et son père, malade et infirme, s'était fait transporter pour lui adresser un dernier adieu. Rose les regarda doucement et leur baisa les mains avec respect : « Je vais quitter, leur dit-elle, cette vie que vous m'avez donnée ; je vous prie de me bénir. » Et, songeant plus particulièrement à la douleur de sa mère, elle ajouta d'une voix émue : « Seigneur, je la remets entre vos mains : ne permettez pas que son cœur soit brisé par l'affliction. » Dieu l'exauça d'une manière surnaturelle, car dès qu'elle eut rendu l'âme, sa mère se sentit inondée de consolation et dut même se retirer pour cacher la joie qui remplissait son cœur. Ce fut la dernière recommandation de Rose à son céleste Epoux. L'heure de la délivrance approchait. Minée par le feu d'une fièvre ardente, la Sainte tressaillait de bonheur, attendant le signal du départ. Minuit vint à sonner. Rose prend en main le cierge bénit, s'arme du signe de la croix, fait écarter son oreiller pour mourir la tête appuyée sur le bois, comme son divin Sauveur, et les yeux fixés au ciel, expire en disant : « Jésus ! Jésus! soyez avec moi! » Elle avait trente-et-un ans et quatre mois.

Marie de la Massa et Marie de Flores rendirent les derniers devoirs au corps de la défunte, et lui mirent, suivant l'usage du Pérou pour les vierges, une couronne de fleurs sur la tête.

Rose elle-même, peu après sa mort, apparut dans des visions distinctes à trois personnes de Lima, connues pour leur éminente vertu. Elles l'aperçurent vêtue de blanc, une palme à la main, conduite par les Anges devant le trône de la Sainte Vierge, et recevant de Marie la couronne de gloire. Sur la terre également, le trépas de l'humble fille de saint Dominique fut moins un deuil qu'une explosion d'allégresse divine. Le confesseur de Rose, Jean de Lorenzana, en contemplant son visage, si beau dans la mort, s'écria : « O Rose, bienheureux les auteurs de vos jours ! bienheureuse l'heure à laquelle vous êtes venue en ce monde! bienheureux ceux qui vous ont connue et qui ont occupé quelque place dans votre cœur ! Vous êtes morte comme vous avez vécu, emportant au ciel votre robe baptismale dans toute sa pureté ; suivez, suivez maintenant l'Agneau partout où il va! »

Toute la journée, il se fit auprès de la dépouille mortelle, un concours de peuple prodigieux, et le soir, quand on transporta dans l'église de nos Pères les précieux restes, ce fut l'occasion d'un triomphe comme le Nouveau Monde n'en avait jamais vu.

Le clergé séculier, les communautés et les confréries, les membres même du Chapitre métropolitain, qui ne prenaient part d'ordinaire qu'aux funérailles des archevêques, allèrent pour la levée du corps. Le Conseil royal, la noblesse, la Cour de justice et les autorités militaires se rendirent également à la maison mortuaire.

Le cortège s'avança lentement, au milieu des acclamations d'une foule enthousiaste ; l'archevêque reçut le corps à la porte de l'église, et l'on déposa le cercueil, découvert, sur une estrade dans la chapelle du Rosaire. Tout à coup, la foule s'écrie : « Miracle ! miracle ! » On venait de voir la statue de Notre-Dame du Rosaire saluer d'un gracieux sourire sa fille bien-aimée.

Le lendemain, on célébra la cérémonie funèbre, vingt fois interrompue par des cris de reconnaissance ou des supplications. Il fallut, pour satisfaire le peuple, remettre à plus tard l'inhumation. Des milliers de personnes, venues de cinq à six lieues à la ronde, voulaient contempler le saint cadavre ; on en approchait des malades, des infirmes, des petits enfants ; beaucoup furent guéris par un simple attouchement. Malgré les soins des Religieux et les efforts des soldats du vice-roi, pour protéger la vénérable dépouille, on arrachait par lambeaux le voile et la tunique de Rose ; et il fallut renouveler ses vêtements jusqu'à six fois. Ce ne fut qu'en trompant la foule que l'on parvint, le troisième jour, a opérer la sépulture, sous le cloître du couvent.

Dix-huit mois après, par ordre de l'archevêque Turribius, le corps de Rose fut rapporté solennellement à l'église de Saint-Dominique et déposé à côté du maître-autel ; plus tard on le transporta, dans la chapelle de Sainte-Catherine de Sienne, de la même église. Des miracles marquèrent ces translations et honorèrent le sépulcre de l'humble vierge.

L'an 1668, Clément IX béatifia la servante de Dieu, et Clément X la canonisa trois ans après. Le nom de Rose fut inscrit au Martyrologe romain et sa fête fixée, pour l'Eglise universelle, au 30 août. En même temps, le Souverain Pontife déclara Patronne du Pérou et de toute l'Amérique cette première fleur de sainteté produite par le Nouveau Monde.

O Rose, notre sœur, qu'à votre considération Dieu nous bénisse, et que notre âme ait la vie, grâce à vous. (Liturgie dominicaine).

Soeur Marie Ancilla


[1] Voir Sainte Rose, Tertiaire dominicaine, patronne du Nouveau Monde, par A.-L. Masson. — Lyon, imp. Vitte, 1898.

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