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Saint Joseph dans son contexte contemporain
 

La Révélation est complète et close depuis la mort du dernier apôtre. Il n’en demeure cependant pas moins qu’un certain Mystère subsiste, surtout lorsqu’il s’agit de personnages, comme Marie ou Joseph. En effet, quand dans les premiers siècles de l’ère chrétienne le paganisme était encore florissant, voire religion d’état, et quand les empereurs romains, déifiés, rejoignaient, après leur mort, un Panthéon déjà bien encombré, il aurait été dangereux et risqué de rendre un culte officiel, même modeste, tant à la Vierge Marie, qu’à son très chaste époux, Joseph.

Ce n’est que peu à peu, au long des siècles, à mesure que le besoin s’en faisait sentir, que Dieu permit que ce qui était comme caché dans l’Évangile, s’éclairât peu à peu, soit au travers des réflexions théologiques, soit par des révélations privées, reconnues par l’Église comme des explicitations de la Sainte Écriture.

Pour bien connaître un homme, comprendre véritablement ses façons d’agir ou ses réactions il faut le resituer dans son contexte contemporain et dans le milieu de vie, religieux et social qui fut le sien. Et la tâche se révèle souvent ardue quand la personne que l’on veut présenter a vécu deux millénaires avant nous. Et surtout quand cette personne est Saint Joseph, l’homme le plus silencieux de toute la Bible!

Les travaux archéologiques, linguistiques et historiques du XXe siècle permettent maintenant de lever un peu le voile qui estompe le Mystère de Joseph le Charpentier, père nourricier de Jésus.  Plusieurs auteurs, en fonction de leurs besoins et de leurs préoccupations propres, ont tenté de faire une synthèse des travaux déjà réalisés. Nous nous en inspirerons tout au long de ce chapitre, afin de faire revivre l’homme exceptionnel que fut Saint Joseph.

La pensée juive authentique, notamment celle de la Bible, ne se préoccupe des faits concrets que lorsqu’ils ont une signification religieuse, et manifestent la Volonté de Dieu. C’est peut-être pourquoi, outre les raisons énoncées plus haut, les trente premières années de la vie de Jésus semblent n’avoir que très peu intéressé les chrétiens judaïsants. Il importait peu que ces trente années survivent. Mais, disait déjà Robert Aron en 1960: “Dans le désarroi présent du monde, il se peut que ces trente années redeviennent d’actualité... et qu’en actualisant le drame antique du monde juif affronté au monde païen, on éclaire le drame contemporain de la civilisation chrétienne.”

Quelques rappels historiques sur la Palestine

Nazareth, géographiquement et spirituellement fait partie de la province de Palestine , creuset imprégné du sacré dès la plus haute Antiquité et prédestiné à tous les débats religieux. Partout on retrouve des vestiges des civilisations successives, comme si l’humanité avait voulu y superposer ses temples et ses autels. Partout on retrouve des traces des anciens cultes et même des sacrifices humains, et particulièrement de jeunes enfants.

On peut citer les cultes rendus aux Astartés et aux Baals [1], avant l’arrivée du peuple hébreu. Les cananéens adoraient le dieu de l’orage, le dieu du blé, le dieu du soleil, de la lune, du feu, de la fortune, etc. Le nombre des dieux cananéens est incalculable. C’est dans ce monde fondamentalement religieux, quoique polythéiste et paÎen, qu’arrivent les Hébreux conduits par Abraham. Cette terre éminemment religieuse restera religieuse, mais la multiplicité des dieux devra céder la place à un Dieu unique. C’est alors que, selon Robert Aron,“s’opère l’invention vraiment essentielle, l’apport propre du judaïsme dans le problème religieux: qu’il y ait autant de bénédictions, de prières adressées au Dieu unique qu’il y avait autrefois de divinités différentes. Une bénédiction pour chaque acte de la vie, une prière pour chaque circonstance, une invocation quand se manifeste chacune des forces naturelles...”

Ainsi le réseau sacré se reconstitue, non à partir des génies ou des dieux du polydémonisme ou du polythéisme, mais au moyen des prières multipliées en l’honneur du Dieu unique. [2]  C’est la vocation de la Palestine: faire se rencontrer Dieu et les hommes. Ce sera la vocation spéciale de Nazareth, toute petite localité à l’écart des grands courants d’idées de l’époque, et dont la population est restée simple, artisanale, campagnarde, avec des accents rustiques et peu évolués, mais farouchement respectueuse de la tradition juive. C’est là que s’installe la Sainte Famille à son retour d’Égypte. C’est là que Joseph, chef de la Sainte Famille va exercer son métier de charpentier. Et c’est là que Jésus grandira et se formera.

Le monde de Nazareth

Le monde juif de l’époque où vivait Saint Joseph commence à être mieux connu. A Nazareth, on parlait l’araméen, langue sémitique, proche de l’hébreu comme le français est proche de l’italien et l’on se soumettait, en tous points, à la loi et aux coutumes juives, dont le travail manuel et les pratiques religieuses constituaient la trame.

Le travail

Joseph était charpentier par tradition familiale et religieuse, car tout juif de l’époque biblique était tenu d’exercer un métier manuel et de l’enseigner à ses fils afin d’assurer  leur avenir. Le Talmud ne plaisante pas sur ce sujet: “Qui n’enseigne pas une profession manuelle à son fils, est comme s’il en faisait un brigand.”

Car, pour les juifs, le travail manuel était sacré et nul ne devait se soustraire à cette obligation. “Même les rabbins, ou les prêtres, devaient exercer un métier en plus de leur ministère”  et les plus savants docteurs avaient l’obligation de gagner leur pain grâce à leur métier.

En Israël, c’est le métier de laboureur qui était le plus honoré. Mais il existait des artisans qui, très intimement liés aux travaux de cette profession, leur rendaient de nombreux services. Parmi ces artisans, il y avait les charpentiers. Saint Justin écrit dans ‘Le dialogue avec Tryphon’, “Lorsque Jésus vint au Jourdain, on le croyait fils de Joseph le Charpentier, et il était, comme le prédisaient les Écritures, “sans apparence”, car on le tenait lui-même pour un charpentier. Durant son séjour parmi les hommes en effet, il exerçait un métier et fabriquait des charrues et des jougs, donnant ainsi l’exemple de la justice et du travail.”

On connait les métiers des grands rabbins antérieurs à ou contemporains de Jésus. Ainsi “Hillel était bûcheron, Rabbi Yehouda, boulanger, Rabbi Yohanan cordonnier, jusqu’à Saul de Tarse, apôtre du christianisme qui sera fabricant de tentes.”  [3]  

L’écriture des textes écrits dans les rouleaux de la Thora, que Joseph doit parfois lire à la synagogue, le jour du Sabbat, ne comporte que des consonnes. Cela est suffisant car tous les juifs doivent connaître par coeur les textes sacrés. Les consonnes ne sont, à vrai dire, que de simples points de repère destinés, peut-être, à soutenir des mémoires défaillantes. 

Le temps chez les juifs

Un autre point délicat et difficile à exprimer pour nous occidentaux du XXe siècle, est la notion du temps telle que la concevaient les juifs du temps de Joseph. “L’instant présent, comme tout instant, déborde pour eux  (les juifs) ses limites, et se situe dans la durée continue qui va du début à la fin des temps, c’est-à-dire de la création jusqu’à la venue du Messie. Leur vie n’est pas chronologique. Ils la passent en compagnie des grands hommes du passé qui demeurent toujours présents: rois, patriarches et prophètes sont toujours à leur côté, dans leurs émotions et leurs actes. Ils croient à la réalité présente de tout fait qui s’est accompli au cours de l’histoire d’Israël, mais aussi de tout fait qui reste à accomplir... Et le culte juif est une reconstitution de l’histoire,” vécue comme si elle était véritablement actuelle.

“Chaque instant fugitif possède pour le juif du temps de Jésus la saveur de l’éternité. Présent, passé et futur se rejoignent...” Pour mieux comprendre, on peut citer cet apologue midrashique: “Rabbi Lieber a eu une apparition du prophète Élie. Mais ce n’est pas à Rabbi Lieber qu’a été accordé le privilège de voir Élie, c’est Élie qui a obtenu le privilège d’une révélation de Rabbi Lieber.” [4] Pour le juif des temps bibliques, célébrer un évènement, c’est, véritablement, le revivre dans toute son intensité.

Pour nous, le temps est un instrument de mesure.”Pour les juifs et pour Joseph, c’est l’étoffe même de la vie sur laquelle chacun peut, à sa guise, à l’envers ou à l’endroit, d’un point direct ou inverse, tisser la trame de ses jours...   Selon Abraham Heschel [5], “l’existence n’implique essentiellement aucun pouvoir spacial, mais les années de notre vie sont pour nous d’une importance absolue; le temps est la seule propriété que nous possédons réellement et d’une façon si naturelle qu’il nous faut un effort pour en prendre conscience; les objets sont le rivage, mais le voyage se déroule dans le temps.”

Vie quotidienne et vie religieuse

Chez les juifs pieux de l’époque de Joseph, et tout laisse à penser que Saint Joseph était un juif pieux, vie religieuse et vie quotidienne sont si étroitement mêlées  qu’elles sont pratiquement indissociables. Pour bien comprendre cela, il faut essayer de se représenter la vie quotidienne d’un religieux appartenant à un grand ordre monastique. Les activités peuvent être nombreuses et prenantes, mais tout se passe constamment sous le regard de Dieu; les exercices spirituels prévus qui jalonnent la vie d’un religieux transforment même ses activités profanes en activités sacrées.

Saint Joseph se comporte, comme tous les juifs fidèles, en religieux chrétien avant l’heure. Il pratique les innombrables prescriptions de la Loi.  Sur la porte de sa maison il a placé une mezouza, petit tube de métal renfermant un parchemin sur lequel est inscrite la profession de foi fondamentale du judaïsme. “Écoute Israël, l’Éternel est  UN...” Il porte sur son front le phylactère, il récite, matin et soir, le texte sacré. Il pratique tous les autres rites domestiques: prières rituelles du lever, de la toilette, du déjeuner, du travail, du repos, etc, du coucher, et de tous les actes de la journée, même les plus vulgaires. On loue Dieu quand le soleil paraît, on loue Dieu quand il pleut, on le bénit de fertiliser la terre, etc, etc... Chez lui, on mange kacher  bien sûr. Même le vin doit être kacher, c’est-à-dire fabriqué par les seules mains juives, sinon il serait profané.

Puis il y a toutes les cérémonies domestiques et synagogales du Shabbat. “Le monde dans lequel vit le juif, est un monde entièrement sacré. Ses aspects, en apparence les plus laïcs, sont rattachés au divin: et l’homme, afin de participer à cet ordre à la fois surnaturel et naturel, doit en chaque circonstance passagère, en rendre hommage à l’Éternel.”  Le Talmud d’ailleurs précise: “Celui qui use du bien de ce monde sans réciter une bénédiction, profane une chose sainte...” [6] C’est seulement par la bénédiction, (la Berakha) que l’homme obtient le droit d’user des biens de ce monde. Il y a ainsi cent bénédictions quotidiennes qui, du lever au coucher, accompagnent le juif pieux du temps de Joseph.

Les principales prières [7] 

Outre les cent bénédictions qui jalonnent la journée, plusieurs offices et de nombreuses prières sanctifient la journée:

– l’office du soir ou Arbit ou Maarib, institué par Jacob commence la journée, car le monde a été créé à partir des ténèbres,

– l’office du matin, dit de Schahrit, de l’aurore, institué par Abraham,

– et l’office de l’après-midi, office de Minha, institué par Isaac.

Ainsi, pour les juifs, aucune heure n’est profane. 

Parmi les principales prières que Joseph et Jésus ont récitées, et qui ont très  certainement influencé la pensée de Jésus, on doit citer:

– Tout d’abord les psaumes, puis

– L’Alénou , qui évoque la mission d’Israël,

– Trois oraisons, leshema,  l’Amida, prière silencieuse, encore appelée le Shemomé-Esré,  et le Barekhou,

– Enfin le Kaddisch, probablement l’ancêtre du Notre-Père.

Et il ne faut pas oublier les nombreuses fêtes... qui ponctuaient l’année, fêtes dont la Pâque est la principale.

Pour résumer on peut dire que le peuple juif n’existe et ne vit que pour Dieu.

C’est dans ce monde de prière continuelle que vit, au jour le jour, la Sainte Famille, guidée par saint Joseph. Nous verrons plus loin, et plus en détails, et replacée dans ce contexte biblique, ce que dut être la vie à Nazareth.  Mais avant, il convient de se poser la question: “Saint Joseph, qui es-tu?”

Joseph, qui es-tu ? d’où viens-tu ?
Les généalogies. Son nom

Nous l’avons vu plus haut, au chapitre 3, comment Saint Joseph avait été, en quelque sorte, annoncé dans l’Ancien Testament.“La Bible est un livre  particulièrement typologique. Les personnages décrits y sont souvent image première et annonce d’un personnage à venir.”   [8] Souvenons-nous, notamment, de Joseph ben Jacob qui présente de nombreuses analogies avec Joseph, le Charpentier:

        – similitude de destin: l’un et l’autre durent aller en Égypte, l’un comme esclave, l’autre pour fuir ceux qui voulaient la mort de Jésus.

        – l’un fut appelé “Père des Pharaons”, car Pharaon (celui qui vivait à l’époque de Joseph) remit son empire entre ses mains et le nomma “Celui qui donne la vie”;  l’autre fut appelé “Père de Jésus” par le milieu social qui ignorait les circonstances extraordinaires de la naissance de L’Enfant-Dieu.

        – Joseph ben Jacob fut initié aux connaissances des Égyptiens. On peut penser,  avec Émile Moreau, “que Joseph le Charpentier, ‘père’ du Roi des Rois de l’univers  a lui aussi reçu une formation spirituelle pendant son séjour égyptien... Car, dans ces sociétés orientales, il n’y avait pas de séparation entre “manuels” et “intellectuels”. On était souvent les deux à la fois. Le travail manuel, qui n’était pas méprisé, assurait seulement l’indépendance matérielle nécessaire.”

        – tous les deux reçurent le charisme des songes et de leur interprétation.

        – de plus, “grâce à Joseph ben Jacob la survie du peuple de Dieu fut assurée dans la terre de Gessen. Grâce à Joseph le Charpentier, la survie de Jésus fut assurée, et la Rédemption put avoir lieu.”

        – Enfin,”similitude de destin: Joseph ben Jacob, par son intelligence technique économique, devint le père nourricier de l’Égypte, qu’il sauve des sept années de famine. Et Joseph le Charpentier, par la technique (et l’exercice) de son métier de charpentier devint le père nourricier de la Sainte Famille.”  

Les généalogies

Le midrash explique que la Thorah “subordonne la descendance de Jacob à celle de Joseph.”   Le psaume  77 (verset 16) dit par ailleurs: “Ton peuple, les fils de Jacob et de Joseph.”

Dans  Matthieu il est écrit: “Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus.”  Ici Jésus est rattaché à Marie. Quant à Luc, il dit: “Jésus était comme on le pensait, fils de Joseph.”  Jésus est rattaché à Joseph. 

Jésus a deux généalogies, toutes deux davidiques, mais l’une est royale (par Marie), et l’autre est sacerdotale. Ainsi, pour les hommes, Jésus était à la fois le Messie-Prêtre, et par l’élection de Salomon, le Messie-Roi.[9]  

On peut également rappeler ici comment Saint Ambroise [10] explique les différences existant entre les généalogies selon Saint Matthieu et selon Saint Luc: Joseph fils de Jacob, lui-même fils de Mathan, selon le premier. Fils d’Héli, lui-même fils de Melchi selon le second.

C’est en se penchant sur certaines particularités de la Loi juive que Saint Ambroise trouve la solution: “Suivant la prescription de la Loi, les deux frères Mathan et Melchi engendrèrent des fils utérins de la même épouse. Selon la tradition, Mathan, dont l’ascendance remonte à Salomon, a engendré Jacob, et il mourut laissant son épouse à Melchi, son frère, qui la maria et engendra ainsi Héli. Le même Héli ayant un frère décédé sans enfant, s’unit à sa veuve et engendra Joseph, lequel selon la Loi était appelé fils de Jacob: car c’est ainsi que suivant la Loi, le frère survivant suscitait une postérité au frère défunt.

Joseph est ainsi le fils de deux hommes différents et non pas engendré par les deux. Il est fils de l’un par la génération, et fils de l’autre légalement...”

Le nom de Joseph

Nos civilisations occidentales matérialistes et athées ont perdu le sens profond du nom auquel s’attache souvent toute une histoire et qui nous intègre dans notre famille, dans la vie de nos ancêtres, et nous rattache à nos racines profondes. Mais en Israël le nom avait une grande signification. Le nom de certaines personnes fut parfois imposé par Dieu Lui-même: ce fut le cas pour Jean le Baptiste, et pour Jésus.

Et le nom de Joseph, d’où vient-il? Ce nom, Joseph, ”vient de la naissance du premier Joseph, le fils de Jacob.”  Quand son épouse bien-aimée mais stérile, Rachel, put enfin enfanter, elle nomma son fils: Joseph, “Dieu a enlevé mon opprobre.”  Le deuxième Joseph, Joseph le Charpentier“méritait bien de s’appeler Joseph, car, en recevant chez lui Marie, il enlevait l’opprobre de son apparent adultère.”  [11] 

En hébreu, Joseph signifie également augmenter, croître, grandir. Plus que tous les autres hommes, Saint Joseph a été celui “qui croît”, en âge, en taille, en sagesse et en grâce, jusqu’à devenir l’époux de la Vierge choisie, et le “père”  et le gardien du Fils de Dieu. Joseph aura aussi autorité sur ce Fils de Dieu. Or,“ce mot autorité provient précisément du mot latin “augere” qui veut dire augmenter et rejoint ainsi la signification du nom hébreu de Joseph... Joseph a été appelé à établir son autorité sur le Fils de Dieu Lui-même. Celui qui commande au soleil, à la lune et aux étoiles lui sera obéissant.” [12] 

Jésus, dans le Nouveau Testament, sera toujours considéré comme le fils de Joseph, le  Charpentier. Pendant lontemps on a estimé que le métier de Joseph, donc de Jésus, était un métier manuel, d’artisan humble, jouissant de peu de considération. Des travaux récents montrent qu’au contraire, le fait d’être charpentier dans le monde de la Bible, c’était exercer un métier noble, et jouir d’une certaine notoriété religieuse.

Joseph le Charpentier

Le peuple de Dieu était devenu au fil des temps, un peuple de paysans, d’artisans et, probablement de commerçants à Jérusalem. Il y avait aussi des sages, les docteurs, qui enseignaient bénévolement à leurs disciples, lesquels ne parlaient pas en leur propre nom mais au nom de leur maître: “mon maître Untel enseigne ceci...”  Tous les docteurs en Israël étaient tenus de travailler de leurs mains pour vivre.

“Au temps de Joseph vivaient deux des plus grands Maîtres en Israël: Hillel et Shammaï , dont les “académies étaient rivales... Hillel était de son métier, bûcheron, et Shammaï, charpentier. C’est seulement après avoir assuré le pain du jour à leur famille qu’ils étudiaient ou qu’ils donnaient leur enseignement gratuitement à leurs disciples...”  [13]

David Flusser, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem écrit: “Les scribes avaient certes des défauts, mais ils n’étaient pas des mandarins. Ils demandaient qu’à tout enfant soit enseigné un métier manuel, et la plupart d’entre eux en exerçaient un par eux-mêmes. Ainsi les menuisiers étaient tenus pour une corporation particulièrement savante. Dans la discussion d’une question difficile, on avait coutume de dire: “N’y a-t-il pas parmi vous un charpentier, fils de charpentier, pour résoudre cette question?” [14]

Jésus, charpentier, fils de charpentier, “est venu résoudre toutes les  questions, par son enseignement, sa passion, sa mort et sa Résurrection... Justin, martyr du IIe siècle, a encore entendu parler en Palestine, de charrues sorties de l’atelier de Joseph, que Jésus aurait fabriquées...” C’est des païens, notamment d’Hiram, roi de Tyr, que les charpentiers juifs auraient acquis tous les secrets et le savoir-faire du métier de charpentier. Et les charpentiers étaient des personnages très importants. On lit, en effet, dans Jérémie (24, 1): “C’était après que Nabucatnetsar, roi de Babylone, eût emmené captifs, de Jérusalem à Babylone: Jéchonias, fils de Joachim, roi de Judah, les chefs de Judah, les charpentiers et les serruriers.”

Par ailleurs, “dans les sentences talmudiques, le mot araméen signifiant charpentier ou artisan était aussi employé pour désigner un savant ou un homme instruit.”  Le Talmud de Babylone dit: “il n’y a pas de charpentier, ni de fils de charpentier qui puisse expliquer cela.”  Et celui de Jérusalem: “C’est quelque chose que nul charpentier, fils de charpentier ne peut expliquer.” [15] 

Joseph était-il donc un rabbi ?

Ce qui précède laisse supposer que la corporation des charpentiers aurait fourni à Israël ses meilleurs rabbis. Il y avait une transmission familiale, à la fois des connaissances professionnelles et des connaissances religieuses. Le Deutéronome ne dit-il pas: “ces préceptes que je te donne, tu les inculqueras à tes enfants et tu en parleras quand tu seras dans ta maison, quand tu iras en voyage, quand tu te coucheras et quand tu te lèveras.” ? (Deut. VI, 7; XI, 19) Dans ces préceptes se trouve incluse la loi de Dieu. Après la formation familiale, le futur rabbi pouvait aller dans une communauté de prophètes, soit, entre autres, au Mont Carmel ou chez les Esséniens de Qumrân.

Alors, notre Joseph, père nourricier de Jésus?

Au temps de Joseph, le Charpentier, il semble bien établi que Qumrân avait essaimé un peu partout en Israël, sous la forme de petites fraternités locales, vivant l’esprit et la théologie de l’essénisme, dans ce que nous appelons le laïcat, sous la conduite d’un Maître. Les prêtres esséniens avaient déserté le Temple et remplaçaient les sacrifices d’animaux par des purifications par l’eau: des immersions.”  Nous reconnaissons là le Baptême proposé par Jean le Baptiste.

Notre Saint Joseph ne pouvait ignorer Qumrân. Peut-être même y est-il allé?...

En ce qui concerne Qumrân quelques points sont à signaler. Selon Émile Moreau, “Qumrân était en opposition avec les grands prêtres et les sadducéens.” Pour les adeptes de Qumrân, le Temple était profané, et les sacrifices qu’on y faisait étaient sans valeur, car les responsables, contraints de fraterniser avec les autorités romaines se trouvaient en état d’impureté légale. Par contre, on a trouvé des analogies entre l’enseignement de Jésus et celui de Qumrân. Des prêtres esséniens se seraient même  convertis au christianisme après la Pentecôte.  Par ailleurs “lorsque Jésus passa quarante jours dans “le désert”, cela signifiait Qumrân dans le langage du temps.  C’était là un “centre accueillant de solitude et de silence.”  Et d’après le cardinal Daniélou, le lieu traditionnel de la Tentation de Jésus au désert est situé sur la falaise où l’on a trouvé les Manuscrits de la Mer Morte.

Émile Moreau fait également remarquer que les Esséniens ne sont pas nommés dans les Évangiles: ils ne font pas opposition à l’enseignement de Jésus. Mais l’enseignement de Jésus est parfois assez proche de celui du grand rabbin Rabbi Hillel lequel enseignait quand Joseph était plus jeune. “Et l’on pourrait aussi bien se poser la question de savoir si Joseph n’aurait pas été l’un des disciples de ce grand Rabbi.” Il est possible aussi que Joseph ait subi l’influence d’une perspective de pensée  émanant de la diaspora juive: sens apocalyptique de la guerre messianique.

On ignore la formation spirituelle et théologique reçue par Rabbi Joseph le Charpentier qui “allait être chargé de l’éducation de Jésus... Mais ce n’est pas sans signification de savoir qu’il était Charpentier, et qu’ainsi Jésus, serait, à sa suite: “Charpentier, fils de Charpentier”...[16] 

De son côté Lucien Deiss[17] dira:“Le métier de charpentier, tektôn, était un métier estimé. Dans les sentences talmudiques, on disait par exemple, à propos d’une chose difficile à expliquer et à comprendre: c’est une chose que nul charpentier, fils de charpentier, -sous entendu: tout instruit qu’il soit- ne peut expliquer.” [18] Plus tard Jésus se souviendra de son travail de charpentier...

Voilà des informations nouvelles qui nous rassurent. Le Seigneur Dieu, le Père du Fils Unique, n’a pas confié l’éducation de Jésus à un ignorant mais à Joseph qui, humble parmi les humbles après Marie, devait cependant connaître et observer la Loi de Moïse, donc de Dieu dans toute sa perfection.

Joseph, comment as-tu vécu?

Voici donc Joseph replacé dans son milieu de vie. C’est probablement un juif pieux, mais cela ne fait pas encore de lui le futur époux de Marie et encore moins le futur père adoptif de Jésus. Il nous faut aller encore plus loin dans la connaissance du monde qui fut celui dans lequel le futur Saint Joseph évolua. Pour cela écoutons le Père Émile Moreau qui estime que “nous devons ouvrir notre esprit à la compréhension ou à la connaissance de ce qu’était le mariage chez les Hébreux, les modalités de la vie de famille et de la vie religieuse.”  

Le Père Moreau nous fait  comprendre, toute l’importance du mariage à l’époque de Joseph, et ce qu’il était dans sa réalité vécue. Il nous montre la réalité du mariage de Joseph et de Marie, il nous décrit la vie de la Sainte Famille à Nazareth, et il sait nous conduire dans les colonies juives d’Égypte, souvent considérées comme des lieux de refuge.

Ainsi, grâce et au-delà des contingences humaines,  Émile Moreau nous montre le rôle de Saint Joseph dans le Mystère de l’Incarnation, rôle peu connu et pourtant tellement important.

Le mariage de Joseph

Marie a été élevée au Temple à une époque où l’on était dans une ardente attente du Messie. La destinée commune des juifs de cette époque était le mariage qui était le grand devoir à assumer dans la vie. On se mariait jeune: treize à quatorze ans pour les jeunes filles; environ vingt cinq ans pour les jeunes hommes, une fois qu’ils possédaient le métier qui ferait vivre le ménage.

Le mariage, chez les hébreux, se déroulait en deux temps: “Le premier temps était constitué par une sorte d’accord juridique... Le fiancé remettait alors en cadeau, un bijou dans la main de la jeune fille en disant: “Ce bijou est le signe que tu es désormais ma femme... Ils étaient, à ce moment, définitivement engagés l’un et l’autre, mais n’habitaient pas encore ensemble...  Ensuite les noces étaient célébrées publiquement, avec de nombreux invités.” 

La première phase du mariage, c’était vraiment le mariage, le mariage au sens propre, pourrait-on dire. Rompre ce mariage était déjà un adultère, et la femme qui s’était rendue coupable de cet acte devait être lapidée. C’est donc ce que risquait Marie, enceinte. On comprend alors l’importance du “Oui” de Joseph à lAnge qui lui demanda de prendre chez lui son épouse. Ce sont donc deux vrais époux qui arrivèrent à Bethléem, qui présentèrent Jésus au Temple, qui accueillirent les mages, et qui durent ensuite fuir en Égypte.

La mission confiée à Joseph “n’était pas de tout repos. Elle avait commencé dans l’épreuve d’un apparent adultère, elle se continuait par l’épreuve d’un exode particulièrement délicat et dangereux... Les ordres n’étaient donnés que sur le moment. Il fallait obéir à l’instant même, sans bénéficier d’une perspective rassurante sur l’avenir.  A chaque jour suffisait sa peine, dans l’humilité profonde  d’une humble vie, vécue dans le mystère de la plus haute vocation.” [19] 

Joseph en Égypte

L’Égypte a joué un grand rôle dans l’histoire du peuple hébreu. Quand Joseph le Charpentier dut fuir en Égypte, vers quels lieux se dirigea-t-il? On pense à Alexandrie ou à Héliopolis. La communauté juive d’Héliopolis, en effet, étant réputée pour sa parfaite orthodoxie juive, on peut penser que c’est vers cette ville que Joseph se dirigea. Il faut savoir aussi qu’à cette époque, la “connaissance” s’était fixée  en Égypte,”ce monde sacral où il y avait toujours correspondance entre les lois de la nature et les lois spirituelles.”   [20] 

Joseph à Nazareth

Averti en songe, Joseph alla s’établir à Nazareth. Après plusieurs années d’absence, il doit se créer une nouvelle clientèle afin d’assurer la subsistance des siens.

Pour nous, la famille de Joseph et de Marie installée à Nazareth est l’icône de la Sainte Famille du ciel: “Le père est Joseph, il représente, quoique putatif, le Père créateur et législateur du monde, le Fils est Jésus, Verbe Incarné, encore dans son enfance humaine, et le Saint-Esprit a ouvert et imprégné pleinement Marie son épouse... Mais aux yeux des nazaréens, c’est une simple famille d’artisans-paysans... probablement alliée à d’autres familles du bourg...“ Il convient de rappeler ici“qu’en Israël on appelait “frères” les parents proches.”

Dans cette famille apparemment ordinaire, Joseph, homme jeune et courageux, sera le protecteur naturel de sa femme et de son fils. Joseph, en plus de son métier, devait s’occuper des cultures vivrières: blé, orge, vigne, olivier, figuier, légumes... et le lin qui, avec la laine des moutons, permettait la confection des vêtements. De son côté Marie, aidée de Jésus, devait aller chercher l’eau, faire le pain, ramasser plantes et baies comestibles, s’occuper du petit troupeau familial, filer et tisser le lin et la laine, et confectionner les vêtements. Et tout en travaillant, on chantait les psaumes ou quelques paragraphes de la Thorah.

Quand Jésus eut cinq ans, il passa “du gouvernement principal de sa mère, à celui de son père, comme le voulait la tradition juive.” Et dorénavant, chaque jour, Joseph apprendra à Jésus un nouveau récitatif, et lui fera réciter, par coeur, ceux appris précédemment. Cette fonction du père était une obligation qu’on ne pouvait transiger. “Lorsqu’un étranger se substituait au père selon la nature, pour enseigner quotidiennement la Thorah à son fils, cela constituait une sorte d’adoption et de paternité spirituelles... Et c’est ainsi qu’on peut considérer Joseph, comme véritablement père de Jésus, bien qu’il ne soit pour rien dans son engendrement charnel, car il a effectivement été son père sur le plan spirituel, en l’engendrant petit à petit, en tant qu’être humain, enfant bien sûr! dans la vie du monde à venir.”

Vers l’âge de douze ans, l’enfant juif accède à sa majorité spirituelle. Jésus pourra dès lors, comme tous les enfants de son âge, revêtir le talith (châle de prière), lire et commenter les livres saints dans la synagogue.

Le rôle pédagogique de Joseph le Charpentier ne s’arrête pas là. Quand Jésus sut la Thorah par coeur, il lui fit étudier la Mishna, commentaires oraux donnés par les Sages, puis les traditions orales et populaires, les haggada. Quand Jésus fut adolescent, Joseph dut probablement poursuivre cet enseignement, mais sous forme de dialogues, de réflexions et de discussions avec Jésus.

Sa mission remplie, Joseph disparaîtra, toujours discrètement et silencieusement de la vie de la Sainte Famille.

Joseph dans sa famille

La maison familiale était très simple et très peu meublée. Mais, à chaque porte de la maison, il y avait un petit tube, la mezouzah qui contenait quelques extraits de la Thorah. A l’intérieur de la maison on trouvait d’autres objets consacrés au culte familial: la menorah, chandelier à huit branches, destiné à la fête de Hanouka, mémorial de la purification du Temple après la victoire des Macchabées sur les Grecs, et aussi le chandelier à sept branches, lequel représentait les six jours de la création appuyés sur la branche centrale symbolisant le Shabbat de Dieu. Comme toutes les maîtresses de maison, Marie disposait d’un petit chandelier à deux branches (les deux tables de la Thorah), et c’est elle qui accomplissait le rite hebdomadaire de l’ouverture du Shabbat.

Parmi les objets du culte familial on notera aussi la coupe réservée au prophète Élie, toujours attendu chaque shabbat; et une méguilah, rouleau de parchemin sur laquelle on pouvait lire “Le Livre d’Esther”.

Le culte familial pascal était présidé par Joseph, et c’est Jésus qui posait les questions rituelles. Les jours de shabbat ordinaire, la Sainte Famille se rendait à la synagogue. Joseph et Jésus portaient la Kippa, la calotte rituelle, car on se couvre la tête devant Dieu, par respect. “Ainsi, dans la simplicité la plus banale d’une famille juive, se formait l’Enfant-Dieu, auprès d’un père  charpentier. On ignore jusqu’à quel âge dura cette formation “  de Jésus, car l’Évangile ne nous en parle pas. [21] 

Certes, nous ne savons que très peu de choses sur Joseph le Charpentier, mais, le fait d’avoir essayé de le resituer dans son contexte socio-historique contemporain, nous montre l’importance de la religion dans la société juive de l’époque de Jésus-Enfant. Et, dans ce contexte, on comprend l’impact que pouvait avoir, en Israël, le fait d’être un “charpentier, fils de charpentier.”

Mais revenons à Joseph.“Pour l’éducation humaine de l’Enfant qui... est, était et sera éternellement le Roi... de l’Univers entier, le Père divin allait-il prendre n’importe quel tenant-lieu de père, n’importe quel tout-venant d’homme?... Alors... quelle ne dut pas être la mesure de ce Joseph auquel une mission aussi extraordinaire a été confiée! Quelle valeur lui fallait-il posséder dans son humanité, avec les qualités de coeur, de courage et de culture que cela suppose?... “ Joseph a dû peser “le poids de son ‘oui’ Sans l’amen de Joseph, l’Incarnation, et donc potentiellement la Rédemption étaient inconcevables.”

Le premier et le plus grand des docteurs de l’Église, c’est Joseph le Charpentier, celui qui a instruit Jésus,“charpentier, fils de charpentier.” Seul Joseph a reçu l’unique, l’extraordinaire et sublime mission d’être constitué réprésentant légal de Dieu le Père auprès de Jésus-Enfant, avec la charge de sa formation humaine et religieuse. Et cet homme, hors du commun,  entre dans la vie et en sort dans une discrétion totale. Une fois sa mission accomplie, il s’efface, s’ensevelissant dans l’oubli. Quelle humilité! Et comme tout cela nous dépasse!

Émile Moreau terminera son étude consacrée à Joseph le Charpentier par ces mots: “Pour être justes et complaire à Jésus et à Marie, magnifions donc Joseph le Charpentier, Docteur et Saint unique, qui n’a jamais eu et n’aura jamais de semblable, ni de similaire. Il ne s’agit pas là de pieuseté enfantine ou “rétro”, mais d’un acte adulte de justice et d’amour.”   

La prière de Joseph et de la Sainte Famille 

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, deux occupations principales sanctifiaient la journée des juifs pieux de l’époque de Saint Joseph: la prière et le travail. Nous nous sommes longuement attardés sur le travail, et surtout le travail manuel. Nous n’y reviendrons pas.

Nous avons aussi longuement parlé de la prière juive. Nous y reviendrons cependant, et nous essaierons de contempler, simplement pour notre propre enseignement, la prière qui fut celle de la Sainte Famille pendant de longues années.

La prière à Nazareth

Nous savons déjà que“tout prend un sens religieux dans la vie d’une famille juive et que tout est soumis à un ordre voulu par Dieu. Joseph était trop ‘juste’ pour ne pas observer toutes les prescriptions et les suggestions même de la Loi. Or, dans la Loi et dans ses applications traditionnelles, la prière tient la première place... Pour montrer à Dieu son amour, le juif pieux se mettait chaque jour, et plusieurs fois par jour en prière... La prière était en honneur dans Israël, même si elle avait parfois à redouter le pharisaïsme... L’usage était de prier le matin et le soir, et aussi au “plein midi”, selon un mot des psaumes, c’est-à-dire à la sixième heure, comme on disait alors.

Le juif fidèle, pour prier, revêtait une sorte d’écharpe appelée taleth. C’était comme un ‘châle à prière’. Il était généralement fait de soie blanche ornée de broderies et se terminait par des franges appelées tsitsit. Pendant la prière on se fixait au front les téphilim, sortes de petites boîtes noires et carrées, faites de peaux d’animaux purs, dans lesquelles se trouvaient des passages de l’Écriture écrits sur parchemin. On se tournait vers la direction de Jérusalem, et si l’on était dans cette ville, vers la direction du Temple, et, si l’on était dans le Temple, vers la direction du Saint des Saints.” [22]

En principe, on ne priait pas à genoux, sauf dans les grandes circonstances: et cela était le signe d’une insistance particulière auprès de Dieu. La prière était marquée souvent par des gestes significatifs: “on se prosternait soit en pliant les genoux, soit, les genoux ployés, en étendant les mains, soit en inclinant le front très bas, ou même en se jetant la face contre terre... On ne joignait pas les mains... on devait prier humblement, les yeux baissés, en se frappant parfois la poitrine, et d’ordinaire à haute voix.”

Le schéma, commandement d’aimer Dieu de toutes ses forces, était récité matin et soir, et en maintes circonstances. “Il y avait une autre prière, plus longue, les “dix-huit bénédictions”.

La prière de Joseph et de la Sainte Famille.
Contexte contemporain
[23] 

Il est certain que la prière a tenu une grande place dans la vie de la Sainte Famille.

Lucien Deiss, rappelant le Traité des Pères, pour l’éducation des garçons, écrit dans “Joseph, Marie, Jésus”: “A cinq ans, on est prêt pour l’Écriture, à dix ans pour la Mishna, à treize ans pour les Commandements, à quinze ans pour le Talmud, à dix-huit ans pour le dais nuptial.”  [24] 

La prière du Shabbat

Le Shabbat commence le vendredi soir. Toute la famille se rend à la synagogue pour participer à l’office du soir. Les hommes portent la kipa, calotte qui indique la soumission à Dieu. Marie se rend seule dans la tribune réservée aux femmes...

A cette époque la prière était composée, en plus des psaumes, du schema, prière qui rappelle l’unicité de Dieu et que tout juif pieux doit réciter matin et soir, des Bénédictions, les Berakhot,  une pour la lumière, une pour le don de la terre, et la dernière pour rendre grâce de l’alliance, et de l’Amida, les dix-huit bénédictions, dont seules les trois premières étaient utilisées à l’époque de Jésus.

Le matin du Shabbat, dès son réveil, “Joseph, après avoir prononcé une courte prière, revêt le petit tallith, sous-vêtement dont les quatre coins sont ornés de tsitsits,ou franges rituelles. Il se lave les mains, le visage, se rince la bouche en accompagnant ces gestes d’une prière de bénédiction. Il se couvre la tête du châle de laine à rayures appelé  grand tallith. Il loue Dieu, il prend les  tephilims (petites boîtes renfermant des bandes de parchemin où sont inscrits des passages de l’Écriture) qu’il fixe au front et au bras gauche.  Il peut maintenant partir vers la synagogue.

Remarque : l’office matinal des juifs, Shaharith, comprenait un ensemble de prières, de psaumes et de lectures bibliques, et à nouveau le Shema  récité en se couvrant les yeux par respect.

A la maison, Marie a préparé un repas plus soigné que d’habitude et procédé à l’allumage des lumières: la cérémonie du Kiddoush.  Joseph bénit la coupe remplie de vin et tous les trois: Joseph, Marie et Jésus boivent à la même coupe en signe de communion. Vient ensuite un rite dont le Seigneur s’inspirera probablement lorsqu’Il instituera l’Eucharistie: “Après avoir pris le pain et l’avoir béni, Joseph le rompt et distribue à chacun un petit morceau. Jésus regarde avec une extrême attention: ne renouvellera-t-il pas le même geste lors de la multiplication des pains,” mais en transformant complètement le sens de cette liturgie, la remplissant de sa présence. [25] 

Quand nous entendons Jésus prononcer “les béatitudes”,  nous ne pouvons pas ne pas penser que Jésus devait s’inspirer de ce qu’il avait vécu à Nazareth, pendant trente ans auprès de Marie et de Joseph. [26] 

La piété de Joseph et de la Sainte Famille s’enracine dans la piété juive de l’époque. Il est très difficile à un chrétien de l’an 2000, même fidèle, même pieux, et même à un  religieux, d’imaginer ce qu’était la vie du juif fidèle au temps de Jésus, cette vie qui était un face-à-face permanent avec l’Éternel, une louange incessante au Dieu Très-Haut. A chaque étape de la journée, avant chaque action on bénissait le Seigneur.

Ainsi, dès le matin au réveil, on disait:“Sois loué, Éternel, toi qui rends la vie aux morts!”  En ouvrant les yeux “Béni soit Celui qui donne la vue aux aveugles!”  Puis en se levant: “Béni soit Celui qui délie les captifs!” En mettant les pieds à terre: “Béni soit Celui qui dirige les pas de l’homme!”  En nouant sa ceinture: “Béni soit Celui qui ceint Israël de force!”  En se lavant: “Fais en sorte qu’aujourd’hui et chaque jour je sois un sujet de grâce, de faveur et de miséricorde à tes Yeux comme aux yeux de tous ceux qui me voient. Sois loué, Éternel, toi qui accordes tes bienfaits à Israël ton peuple!” Et le soir, en allant se coucher sur sa natte: “Béni soit Celui qui verse le sommeil sur mes yeux et l’assoupissement sur mes paupières!”

Et naturellement chaque acte de la vie quotidienne était précédé d’une bénédiction particulière: en apercevant une étoile filante, ou des éclairs, en entendant le tonnerre, en subissant la tornade, en admirant des paysages, en respirant le parfum des violettes, des narcisses, du jasmin et de toutes les fleurs. On bénissait le Seigneur avant les repas:”Tu es béni, Seigneur notre Dieu, roi de l’univers, Toi qui as tiré le pain de la terre!” et après, pour le remercier.

On bénissait le Seigneur et on Lui rendait grâce dans le bonheur: “Béni soit le Bon et le Bienfaiteur!”  dans le malheur: “Béni soit le Juge de la Vérité!” dans son travail, en un mot, à chaque instant. Il y avait même des bénédictions qui maintenant nous font sourire, ou au contraire nous exaspèrent, c’est selon... Ainsi les hommes avaient une bénédiction particulière:”Béni sois-tu, Éternel, notre Dieu, Roi de l’univers, qui ne m’as pas créé femme!”  Les femmes, elles, étaient plus modestes et plus sages aussi: “Béni sois-Tu, Éternel, notre Dieu, Roi de l’univers, Toi qui m’as créée selon ta Volonté!”

Comme on le voit, la louange et l’action de grâce étaient permanentes sur les lèvres des juifs de l’époque de Joseph. [27] 



[1] Les Baals étaient des génies locaux, en nombre illimité car chaque colline, chaque arbre, chaque source, etc, avait son Baal. Il y avait le Baal du blé, de la danse, le Baal guérisseur des maladies.

[2] “Les années obscures de Jésus”  de Robert Aron. Éditions Desclée de Brouwer

[3] “Les années obscures de Jésus”  de Robert Aron. Éditions Desclée de Brouwer - Livre 1-Chapitre 2

[4] “Les années obscures de Jésus”  de Robert Aron. Éditions Desclée de Brouwer - Livre 1-Chapitre 2

[5] “La notion du temps dans la Bible”   n° 74 (nov.-déc. 1958) de A.J. Heschel

[6] Les années obscures de Jésus”  de Robert Aron. Éditions Desclée de Brouwer - Livre 1-Chapitre 2

[7] Les années obscures de Jésus”  de Robert Aron. Éditions Desclée de Brouwer -Livre 1- Chapitre 4

[8] “Joseph  le Charpentier, tel qu’en Orient”  d’Émile Moreau.  Éditions RÉSIAC - Chapitre III

[9] “Joseph  le Charpentier, tel qu’en Orient”  d’Émile Moreau.  Éditions RÉSIAC - Chapitre IV

[10] Voir Chapitre 6 - Saint Joseph vu par les Pères de l’Église

[11] “Joseph  le Charpentier, tel qu’en Orient”  d’Émile Moreau.  Éditions RÉSIAC - Chapitre V

[12] Notre père, Joseph le charpentier  de Daniel  FOUCHER - Éditions de MONTLIGEON

[13] “Joseph  le Charpentier, tel qu’en Orient”  d’Émile Moreau.  Éditions RÉSIAC -  Chapitre VI

[14] “Jésus”  de David Flusser. Éditions Le Seuil (pages 27-28)

[15] “Joseph  le Charpentier, tel qu’en Orient”  d’Émile Moreau.  Éditions RÉSIAC - Chapitre VII

[16]MOREAU Émile“Joseph  le Charpentier, tel qu’en Orient”    Éditions RÉSIAC - Chapitre VII

[17]DEISS Lucien “Joseph, Marie, Jésus”   Éditions Saint Paul

[18]DEISS Lucien “Joseph, Marie, Jésus”   Éditions Saint Paul

[19] “Joseph  le Charpentier, tel qu’en Orient”  d’Émile Moreau.  Éditions RÉSIAC - Chapitre I

[20] “Joseph  le Charpentier, tel qu’en Orient”  d’Émile Moreau.  Éditions RÉSIAC - Chapitre II

[21] ”Joseph  le Charpentier, tel qu’en Orient”  d’Émile Moreau.  Éditions RÉSIAC - Chapitre IX

[22]  S”aint Joseph “ de Mgr Cristiani. Éditions de l’Apostolat de la Presse (1962) - 1ère partie Chapitre III

[23] “Joseph, Marie, Jésus”    de Lucien DEISS- Éditions Saint Paul

[24] ”Joseph, Marie,Jésus “   de Lucien DEISS - Éditions Saint-Paul

[25] “Notre père, Joseph le charpentier” de Daniel FOUCHER - Éditions de Montligeon

[26]”Saint Joseph “ de Mgr CRISTIANI. Éditions de l’Apostolat de la Presse (1962) - 1ère partie Chapitre III.

[27] D’après  DEISS Lucien “Joseph, Marie, Jésus”   Éditions Saint Paul.
 

   

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