Sebastiano Valfrè naît
à Verduno, dans le diocèse d'Alba, le 9 mars 1639, dans une famille
très pauvre : tellement pauvre que plus tard, quand son fils
spirituel, le Duc Vittorio Amedeo II, voulut lui manifester sa
reconnaissance en lui confiant l'archidiocèse de Turin en 1689, Sebastiano fit venir exprès ses parents si pauvres dans la capitale,
pour convaincre le Duc de changer de candidat ! Les parents Valfrè
avaient en effet une nombreuse famille à élever et Sébastien
s'évertuait à ne pas leur être à charge. Très tôt il désira devenir
prêtre.
Malgré bien des
difficultés, il acheva brillamment ses études à Alba, à Bra et à
Turin, où d'ailleurs il se fit copiste pour gagner sa vie, puis
entra en 1651 dans la Congrégation de l'Oratoire, fondée à Rome par
saint Filippo Neri en 1575, et dont une maison s'était ouverte
depuis deux ans à Turin, grâce à l'activité du père Pier Antonio
Defera ; ce dernier avait été sollicité par le nonce au Piémont,
Alessandro Crescenzi, qui était très dévôt de s. Filippo Neri et
voulait en propager le culte et les œuvres. De son côté, le père
Defera se fit assister par un autre prêtre, Ottavio Cambiani, une
figure assez modeste quant aux dons naturels, mais qui avait une
intense vie spirituelle ; ensemble ils avaient mis sur pied
l'Oratoire selon un style de totale simplicité évangélique, qu'une
chronique manuscrite nous décrit en ces termes : "Le capital dont
ils disposaient, était la vertu et la confiance en Dieu ; ils
n'avaient pas grand chose, mais ils étaient riches de piété, ils
exerçaient dans leur toute petite chapelle avec un grand cœur et un
esprit fervent" (cette chapelle avait été récupérée dans une
boutique louée chez les Blancardi, près de l'église de
S.François-d'Assise).
Quand le jeune
sous-diacre Sebastiano fait la demande d'entrer dans cet Oratorio,
l'œuvre n'est pas brillante: le père Defera venait de s'éteindre
prématurément à trente-quatre ans, après seulement une année et
demie de travail apostolique sur mille fronts. Mais il avait eu le
temps de donner l'impulsion à une immense activi-té: cérémonies dans
la chapelle, confessions, visites à l'hôpital et dans la prison.
Huit mois après sa mort, il n'y avait dans cet Oratorio que le père Cambiani, qui voyait la fin prochaine de sa Congrégation. Sebastiano
ne s'effraya pas de la situation et demanda son admission en
connaissance de cause : pauvre, il aimait cette pauvreté ; il s'y
donna à tous les travaux les plus humbles en même temps qu'il
entreprenait tout un ensemble d'activités apostoliques, qu'il mena
de front jusqu'à sa mort, à quatre-vingts ans.
Une année après son
admission, Sebastiano recevait l'ordination sacerdotale en 1652, des
mains de son évêque à Alba Pompea, et célébra sa première messe dans
la paroisse de ses chers parents à Verduno. Revenu à Turin, il se
vit confier la confrérie de laïques qui se réunissaient de temps en
temps pour des exercices de dévotion ; Sebastiano savait surtout
susciter l'enthousiasme des jeunes.
En 1656, il fut reçu
docteur en Théologie à l'université de Turin et nommé maître des
novices, signe que son activité avait déjà suscité bien des
vocations. Successivement, en 1671, il fut nommé supérieur de la
Congrégation en dépit de ses réclamations. Son gouvernement fut une
parfaite copie de celui de saint Filippo Neri. Il acquit ainsi une
immense renommée de directeur d'âmes, de confesseur, de prédicateur
et de missionnaire. Toujours joyeux, malgré d'intenses épreuves
intérieures, il eut le don de lire dans les cœurs et de connaître
l'avenir (il avait annoncé le moment de sa mort plusieurs mois à
l'avance).
Pendant soixante
années, il parcourut les rues et les places de la ville, enseignant
le catéchisme, s'offrant à soulager toute sorte de pauvreté, avec la
même disponibilité avec laquelle à la cour royale il exerçait la
charge de confesseur de la Famille Royale ; dans la prison, les
hôpitaux, dans la citadelle et ses dépendances, pendant la guerre,
redonnant du courage, donnant partout un réel témoignage de charité
chrétienne. Homme d'intense prière, nourri de contemplation, il
acquit un grand zèle pour la prédication grâce à son excellente
préparation intellectuelle et à sa profonde expérience spirituelle.
Jeune diacre, puis préfet de l'Oratoire et supérieur de la
congrégation, partout il annonçait l'Evangile, dans tous les
couvents et monastères où on l'appelait, ainsi que dans les
paroisses : jamais il ne refusa un service.
Son désir d'annoncer la
Parole du Seigneur le conduisit aussi ailleurs : sa façon toute
simple de parler aux plus petits l'amena à rencontrer toutes sortes
de personnes. Ainsi, place Carlina, il venait faire du catéchisme
aux négociants en vin, et en même temps à leurs clients ; peu à peu
un groupe se formait autour de lui, les questions arrivaient et il y
répondait.
Il fut le premier à
Turin, en 1694, peut-être même le premier en Italie et donc dans le
monde chrétien à célébrer la fête du Cœur Sacré de Jésus, cette fête
qui devait être officiellement instituée seulement un siècle plus
tard. Il se préoccupa aussi des jeunes et écrivit pour eux un petit
catéchisme qui devait être encore longtemps en usage dans l'Eglise.
On pourrait croire
qu'un tel dévouement ne laissait pas beaucoup de temps à notre
Bienheureux pour exercer d'autres activités, et pourtant il fut
aussi un excellent apôtre de la Charité, s'approchant des plus
pauvres et participant à toutes les initiatives charitables qui
fleurissaient à Turin. De nombreuses fois les soldats de ronde
témoignèrent l'avoir vu de nuit, dans les rues, chargé de quelque
malheureux pour le conduire à l'hospice, ou monter furtivement les
escaliers de maisons misérables pour aller poser devant la porte un
sac de vivres ou de vêtements. Il n'y eut aucune catégorie de
miséreux à Turin qui n'ait pas reçu d'aide concrète de lui.
L'estime qu'on avait de
lui à la cour, où le Duc l'avait pris comme confesseur et comme
précepteur de ses enfants, donnèrent au père Valfrè la possibilité
d'avoir aussi une intense activité sociale et politique. Très écouté
du Duc, auquel il rappelait - et par écrit, que la justice doit
précéder la charité, le Bienheureux exerça une profonde influence
sur la société savoyarde, à une époque marquée par les guerres, les
conflits de juridiction, les difficiles rapports avec les minorités
vaudoises et juives.
Dans les épineuses
questions qui mettaient en opposition la Cour savoyarde et le
Saint-Siège, le père Valfrè comprit l'importante nécessité que les
représentants diplomatiques de Rome fussent des ecclésiastiques
cultivés, certes, mais aussi formés spirituellement. C'est lui qui
suggéra la fondation d'une Ecole pour la formation du personnel
diplomatique de l'Eglise, à l'origine de l'Académie Pontificale
Ecclésiastique qui, lors de son troisième centenaire fêté le 26
avril 2001, ne manqua pas de le rappeler lors de la solennelle
célébration en la basilique Saint-Pierre du Vatican.
Le père Sebastiano ne
s'arrêta pas même aux derniers jours de son existence, malgré la
maladie. Le 24 janvier, il avait fait la prédication aux moniales de
Sainte-Croix, puis tout de suite après s'était rendu à la prison
pour assister un condamné à mort ; il courut vite à la maison pour
être à l'heure au Salut du Saint-Sacrement et s'agenouilla dans
l'église, puis passa immédiatement dans les couloirs froids de
l'Oratoire pour participer aux exercices de la communauté ;
fiévreux, il célébra quand même la Messe le lendemain 25, et écouta
la confession de nombreux pénitents, mais fut contraint de s'aliter
; il passa les peu de jours qui lui restaient de sa vie sur cette
terre, à recevoir continuellement ceux qui voulaient se confesser ou
simplement lui rendre une visite amicale, et rendit l'esprit le 30
janvier 1710, vers huit heures du matin.
Toute la ville de Turin
voulut revoir encore une fois, ce prêtre qu'on avait vu pendant
soixante ans parcourir toutes les rues et les places de la ville,
catéchisant et faisant tout le bien possible.
Grégoire XVI a inscrit
Sebastiano Valfrè au catalogue des Bienheureux le 15 juillet 1834.
Pendant très longtemps, dans l'église où reposaient ses restes, on a
conservé la chaire d'où il avait enseigné et qui semblait continuer
de proclamer : Catéchisme, catéchisme ! |