Sacrifié en même temps que son Fils...
Il y a quelques
années j'avais été surpris au cours d'un échange entre cathos
"bon teint", par la prise de position de certains qui pensaient
impossible que Dieu ait pu prévoir délibérément, dans son plan
de
Rédemption,
la tragédie de la Croix. La mission de Jésus avait simplement
dérivé et échoué par le refus (inattendu ?) du peuple juif. En
effet, comment ce Père de toute bonté aurait-il pu sacrifier
volontairement son Fils bien aimé et le conduire à des
souffrances aussi affreuses et indignes ?... De même,
pensaient-ils, le Christ ne pouvait imaginer avant qu'elles ne
surviennent les épreuves qu'il allait subir. L'une des tenants
de cette thèse était une bonne sœur ayant pignon sur rue au
Diocèse et reconnue pour ses compétences en théologie ?
Je pense que cette
thèse oublie que le Père s'est sacrifié en même temps que son
Fils. Là où est le Fils, là est le Père ! Le Père était présent
sur la Croix. Pur esprit, Il n'a pas ressenti les souffrances
physiques comme peuvent les subir une créature, ni verser un
sang inexistant. Mais nous-mêmes savons combien la souffrance de
ceux que nous aimons peut nous être intolérable. Ce Dieu tout
Amour a tout vécu de la Passion de son Fils. Ce Dieu éternel,
hors du temps et de l'espace, a suivi minute par minute, seconde
par seconde, la détresse et la déréliction de Gethsémani. Il a
suivi son fils tout au long de cette nuit interminable sous la
dérision et l'opprobre des soldats. Il a suivi Jésus depuis le
palais d'Hérode jusqu'à celui de Pilate. Il a souffert sous les
huées du peuple juif, son peuple !... Il a suivi le Christ sur
cet ignoble chemin de Croix. Il était là pour la crucifixion,
pour l'élévation de la Croix. Et si Jésus, homme, a pu un
instant se sentir "abandonné", le Père a cependant souffert
d'une intense et atroce compassion l'agonie de son Fils.
Le sacrifice de la
Croix n'est pas seulement le sacrifice de Jésus. C'est aussi le
sacrifice du Dieu trinitaire. A l'inverse des dieux imaginés
dans l'antiquité, le Dieu de Jésus-Christ ne pouvait se
contenter de regarder, depuis un Olympe tranquille, l'humanité
souffrir et peiner seule sur une terre désolée. Par ce sacrifice
délibéré, en vue de la Rédemption de l'humanité, Dieu a voulu
partager intimement les souffrances de ces hommes qu'Il aime. Si
Jésus a assumé la souffrance physique, comme la ressentent les
créatures, c'est cependant le sacrifice de la Trinité toute
entière qui a été consommé.
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La culture
chrétienne élémentaire nous a toujours appris à contempler dans
l'adoration et la compassion les souffrances du Christ. Plus
rarement, notre attention a été appelée sur la souffrance du
Père, pourtant indissociable de celles de Jésus.
Dieu-Amour a choisi
de donner la liberté aux hommes, une liberté sans laquelle
aucune forme d'amour ne pouvait avoir de valeur. Par cette
liberté Il faisait le pari de la victoire de l'amour sur le
mal,… la victoire d'un véritable amour, pas d'un amour imposé.
Par ce pari, Il laissait au mal un espace d'action dont Il
connaissait, dès le commencement, les ravages à venir.
Et ce mal lui est
insupportable. Il aime trop ces hommes dont Il prévoit de leur
faire partager sa divinité pour l'éternité, ces petits dont Il
veut "qu'aucun ne soit perdu !" Aussi, dans cet espace temporel
qui conduit justement l'humanité à l'éternité, chacune de ces
victoires partielles du mal sur le bien sont pour Dieu des
causes d'une souffrance extrême. "Dieu est victime du mal"
(Zundel). Pour conduire l'humanité au sommet de l'Amour, pour la
conduire à la victoire définitive de l'Amour, Dieu dans son pari
a accepté pour Lui cette souffrance. Il a accepté d’être
victime.
Nous devons être
attentifs à cette souffrance de Dieu.
Dans le plan divin,
la révélation du Dieu de Jésus-Christ n'a été prévue pour ne
toucher, dans ce premier temps historique où nous nous trouvons
encore, qu'une faible part de l'humanité. Et, parmi ceux qui ont
pu être touchés, combien n'hésitent pas à s'en détourner pour
suivre les injonctions d'un monde avide de facilité, de plaisir,
de pouvoir, de profit, de refus de la souffrance. Dans tous les
siècles, les civilisations développées se sont écartées des lois
naturelles que le créateur avait arrêtées pour le bien-être de
sa création. Mais, depuis près d'un demi-siècle, notre
civilisation, elle, s'affranchi ouvertement des préceptes
éternels essentiels. Ainsi, le génocide des 200 000 avortements
que notre pays connaît chaque année doit être pour notre Dieu
une source de souffrance infinie !
Plus encore, ils
sont nombreux ceux qui, ayant adhéré à la foi en Jésus-Christ,
se laissent cependant prendre par l'esprit du siècle. Les
tendances du monde, des habitudes qui s'écartent chaque jour
davantage des lois divines, l'idée que ces lois divines
pourraient évoluer au gré des mœurs et des goûts de notre
milieu, au gré des avancées scientifiques exploitées à des fins
de moindre effort et de refus égoïste de la souffrance… Autant
d'éléments qui entraînent loin du Seigneur des âmes qui,
pourtant avaient été touchées par la révélation, des âmes
"choisies" !... Cela est encore plus inacceptable pour notre
Dieu. "Je suis plus atteint par les petites infidélités des
âmes choisies que par les lourdes fautes de ceux qui ne me
connaissent pas encore" a révélé Jésus à divers grands et
grandes mystiques. Alors qu'en est-il au cœur de Dieu de toutes
ces dérives atroces où se laissent entraîner certains qui
pourtant avaient accepté de se tourner vers Lui ?
Bien plus encore,
nous vivons dans l'histoire de notre siècle et avons le
sentiment que toutes les choses passent et n'ont qu'un temps.
Dieu vit hors du temps et embrase d'un seul élan toute
l'histoire de l'humanité. Ces souffrances que nous Lui
infligeons s'imposent à Lui non pas pour un instant, mais pour
toute la durée de cette histoire de l'homme avec son Dieu. Nos
fautes d'aujourd'hui étaient déjà présentes dans l'angoisse de
Gethsémani. Celles, commises par nos ancêtres juifs ou chrétiens
des premiers temps, meurtrissent encore aujourd'hui le cœur de
notre Dieu.
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La passion du
Christ cependant conduit à la Résurrection. Cette souffrance
innommable, incommensurable de Jésus, partagée avec le Père dans
la communion de l'Esprit, conduit à la Glorification du Père, à
la Glorification du Dieu Trinitaire. Le mal est définitivement
vaincu par ce sacrifice divin. Le Dieu amour règne pour
l'éternité… Le “Royaume” est déjà là !
Pourtant la
création poursuit sa marche historique dans la souffrance que
lui impose la présence toujours factuelle du mal.
Mon Seigneur et mon
Dieu, augmente en nous la foi !... Fais-nous prendre conscience
de cette résonance que chacune de nos actions peut avoir sur le
fond de ton cœur. Si nous percevions à quel point la moindre
infidélité de notre part est pour Toi cause de douleur, nous
serions capables de mieux résister au mal. Si nous percevions à
quel point le moindre acte d'amour de notre part est pour Toi
source de joie, nous serions capables de toujours nous tourner
vers le bien !
Paulette Leblanc |