La vie de ce
saint apôtre fut écrite par Eigil, son disciple, qui fut depuis abbé
de Fulda, et gouverna ce monastère depuis l'an 818 jusqu'en 822. Ce
document mérite toute confiance, si nous considérons le savoir, la
piété et les lumières d'Eigil, qui, comme il le dit dans son
prologue, passa vingt ans auprès de son maître, et l'assista dans
ses derniers moments. Il a en outre soumis plusieurs fois son
ouvrage au jugement des moines de Fulda. Eigil rédigea cette
biographie à la prière d'une pieuse vierge, nommée Angildruth.
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Saint Boniface
voyageant dans la Norique, c'est-à-dire, dans une partie de
la Bavière actuelle, et y répandant à pleines mains la semence de
l'Évangile, fit la connaissance des parents de notre Saint, qui
descendaient d'une maison noble et qui professaient déjà le
christianisme avant l'arrivée de l'apôtre de l'Allemagne. Il naquit
vers l'an 712. Ses parents le confièrent à saint Boniface, pour
qu'il fût élevé dans les sciences et dans la piété, et Sturmius
conçut une affection si tendre pour son maître, que, malgré les
larmes de ses parents, il le suivit dans ses voyages apostoliques.
Ils arrivèrent de la sorte à Fritzlar, où il fut placé sous la
conduite du saint abbé Wigbert, qui lui tint lieu de père et de
maître et l'instruisit avec le plus grand soin dans la vertu et la
théologie. Disciple plein d'ardeur, il fit des progrès rapides dans
la science du salut : Dieu lui accorda des lumières extraordinaires
pour comprendre les
mystères de l'Écriture : nuit et jour son esprit était plongé dans
la méditation de la loi divine, et les fruits qu'il en recueillit
furent une charité sans bornes,
une profonde humilité, une douceur prévenante, et une constante
sérénité d'esprit, qui lui gagnait tous les cœurs. Au dehors, son
maintien était noble,
sa conduite mâle et toutes ses actions portaient l'empreinte de
l'innocence et de la candeur. A peine eut-il atteint l'âge prescrit
par les canons,
qu'il fut élevé de l'avis unanime de toute la
communauté,
à la prêtrise, et fut chargé d'annoncer la parole de Dieu. Il
convertit et baptisa une foule d'infidèles ; mais il ne
bornait pas là ses soins : il travaillait encore fort utilement
auprès de ceux qui avaient déjà reçu les lumières de la foi, mais
qui ne laissaient pas de demeurer encore attachés à certaines
pratiques superstitieuses. Il en réconcilia d'autres, qui
entretenaient des haines et des inimitiés invétérées, et rétablit
entre eux la paix et l'union chrétienne : partout enfin il se montra
comme un luminaire bienfaisant au milieu des ténèbres de l'idolâtrie
et de la superstition.
Ayant employé près de trois ans dans les exercices de la
prédication, il se sentit tellement porté à la solitude, que ne
pouvant résister au désir qu'il avait de se retirer, il en demanda
la permission à saint Boniface, et l'obtint. Le Saint s'associa deux
compagnons, et, après avoir reçu la bénédiction du prélat, ils se
rendirent dans la forêt appelée Buchonie, pour y mener la vie des
anachorètes. Déjà ils avaient marché pendant trois jours dans les
bois, sans trouver un abri, lorsqu'ils arrivèrent à Hersfeld ou
Hirschfeld, où se trouvait très-probablement une petite église.
Ils s'y
arrêtèrent pendant quelque temps, mortifiant sans cesse la chair par
les jeûnes et d'autres austérités.
Après cela saint
Sturmius retourna auprès de Boniface, son maître, à qui il fit la
description de la situation de ce lieu, de la nature du sol, des
eaux qui y répandaient la fertilité, et des vallées. L'archevêque
garda son anachorète (c'est ainsi qu'il appelait saint Sturmius)
quelque temps auprès de lui, pesa mûrement tout ce qu'il en avait
appris touchant le lieu de son habitation , mais trouva qu'il
n'était cependant pas propre à la fondation d'une communauté, comme
étant trop exposé aux incursions des voisins (les Saxons), et lui
conseilla de pénétrer plus avant dans la forêt, jusqu'à ce qu'il
trouvât un lieu où il pût s'établir sans danger. Encouragé par les
exhortations et l'affection de son père spirituel, il retourna dans
la solitude, où ses compagnons l'attendaient avec impatience.
Lorsqu'il leur eut fait part du conseil de leur prélat, ils
continuèrent leur marche le long de la rivière de Fulda, cherchant
sur ses bords quelque lieu qui répondît à leurs désirs. Le troisième
jour, ils arrivèrent à une petite rivière qui se jette dans la Fulda
; mais ne trouvant point de retraite commode, ils s'embarquèrent sur
la Fulda et la redescendirent jusqu'à leur cellule, où ils servirent
le Seigneur dans
la prière et les veilles. Cependant Boniface manda de nouveau à
noire Saint de venir le rejoindre : ils se revirent à Fritzlar, en
se témoignant réciproquement la joie la plus cordiale. Ce fut là que
le prélat exhorta pour la première fois le saint anachorète de se
relâcher un peu à l'avenir de ses austérités, en lui faisant
connaître son désir de former une communauté religieuse dans les
forêts de la Buchonie. Ayant pris à cet égard des
renseignements
ultérieurs,
il encouragea son disciple à exécuter ce projet, et le renvoya en le
fortifiant de sa bénédiction paternelle. Celui-ci se remit en route,
parcourut sur un âne, et au milieu de grands dangers, les
forêts,
sans avoir sur lui d'autre arme que le signe de la croix. Un jour il
rencontra sur la route qui conduisait de la Thuringe à Mayence et
qui servait de voie au commerce, une troupe d'escalâtes,
qui le raillèrent et voulurent même passer à des voies de fait ;
mais la main invisible de la Providence le protégea; il ne fut pas
possible de lui faire aucun mal. Il arriva ainsi dans la contrée où
se trouve aujourd'hui la ville de Fulda
; ce lieu lui plut, et il se hâta de retourner auprès de saint
Boniface, qui voyageait alors entre Fritzlar et Amneburg, pour lui
faire part de la découverte d'un endroit propre à la fondation d'un
couvent. Après avoir reçu les instructions nécessaires, Sturmius,
plein de zèle pour sa pieuse entreprise, retourna a Hersfeld, auprès
de ses compagnons,
dont le nombre s'était déjà accru,
mais qu'à sa grande douleur il ne trouva pas disposés à entrer dans
ses vues. Ils se séparèrent même de lui et se retirèrent dans un
endroit nommé Crichlar.
Saint Boniface ,
pour pouvoir fonder dans le pays de Fulda , qui porte, dans la vie
de saint Sturmius, le nom d'Eichlohe, la pieuse pépinière qu'il
avait projetée, alla trouver le Roi des Francs, Carloman , à qui
appartenait le fonds de cette terre , et le sollicita à s'en
dessaisir pour la faire servir à une si bonne œuvre. Carloman lui
donna aussitôt une étendue de quatre mille pas, et les seigneurs
dits de Crabfeld, qui y avaient des possessions, encouragés
par l'exemple et les exhortations du Roi, prouvèrent aussi leur
bienfaisance en faisant de riches donations.
Lorsqu'il fut
convenablement pourvu à tout par des actes authentiques, saint
Sturmius se rendit à Chrichlar auprès de ses frères, en choisit
sept, et vint avec eux, le 12 Janvier 744, sous le règne des deux
frères Pépin et Carloman, à l'endroit où s'éleva par la suite le
célèbre couvent de Fulda.
Les saints
anachorètes commencèrent leur entreprise avec Dieu, en implorant par
des cantiques, la prière, les veilles et le jeûne, sa bénédiction,
sans laquelle nul projet ne réussit. Après cela ils mirent
courageusement la main à l'œuvre, abattirent les arbres et
arrachèrent de tous côtés les broussailles. Deux mois étaient à
peine écoulés, lorsque S. Boniface, avec une suite nombreuse, vint
visiter ces lieux ; voyant qu'il pouvait espérer les plus
grandes choses pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, il ne
put retenir des larmes de joie, et rendit de ferventes actions de
grâces au Seigneur pour le secours qu'il lui avait prêté. Il y passa
encore quelque temps, dans une retraite complète, sur une éminence
voisine, qui reçut ensuite, en mémoire de cette circonstance, le nom
de Bischofsberg (Mont de l’Évêque) ; après cela il continua ses
courses apostoliques avec ses compagnons.
Cependant la
construction du couvent et de l'église, dirigée par S. Sturmius,
avançait rapidement, et avant même qu'elle ne fût terminée, il se
présenta des hommes pieux, avides de servir le Seigneur dans cette
communauté, en se livrant à la retraite, à la méditation et aux
œuvres de pénitence.
Au bout d'un an,
on y vit de nouveau l'apôtre de l’Allemagne, qui était de toutes les
institutions pieuses qui se formèrent à cette époque. Il expliqua à
la communauté naissante les saintes Écritures et les traditions, lui
prescrivit une règle sage, et lui ordonna, pour entretenir la
discipline et la piété, de pratiquer des jeûnes sévères, et de
s'abstenir du vin et de toute boisson forte. Cette dernière
disposition fut cependant modifiée plus tard par un décret synodal
sous le règne de Pépin, en faveur de ceux qui étaient malades ou
d'une constitution faible ; quoiqu'il y eût toujours des moines qui
l'observassent toute leur vie, en ne buvant ni vin ni aucune autre
boisson enivrante. Saint Boniface, après avoir donné à saint
Sturmius les instructions nécessaires pour la direction de sa
communauté, s'éloigna de nouveau, continuant néanmoins ô visiter de
temps en temps cette sainte pépinière, où il se reposait
ordinairement de ses travaux en se fortifiant par la prière et par
la méditation des saintes Écritures.
Le nombre des
frères était déjà assez considérable, lorsqu'ils témoignèrent le
désir d'adopter pour la communauté la règle de saint Benoît.
Sturmius fut envoyé dans ce but en Italie, pour y visiter les
monastères et s'y pénétrer de l'esprit de ce saint ordre dans toute
sa perfection, afin qu'il fût en état de le faire entrer aussi dans
les cœurs de ses frères. Son départ eut lieu la quatrième année de
son arrivée à Fulda, c'est-à-dire vers l'an 748. Il s'accompagna de
deux de ses frères, prit le chemin de Rome, visita les plus célèbres
couvents d'Italie, probablement celui du Mont-Cassin, recueillit,
comme une abeille diligente, les exemples de vertu des moines les
plus saints, et retourna, au bout de deux ans, à Fulda, avec un
riche trésor de préceptes et de modèles. Mais avant d'y arriver, il
fut atteint, au couvent de Kitzingen, sur le Mein, d'une maladie qui
dura quatre semaines. Lorsqu'il fut rétabli, il alla trouver d'abord
saint Boniface, qui se tenait alors dans la Thuringe, et qui, après
avoir reçu le rapport de son disciple le congédia en lui adressant
ces paroles : « Vas-y donc, et tâche d'affermir le nouveau monastère
de Fulda sur la base du genre de vie de ces moines, dont tu as
recueilli les exemples ! » Après quatre jours de marche il fut rendu
aux siens, qui virent avec étonnement en lui l'image fidèle de
toutes les vertus dont il avait été le témoin en Italie.
Conformément à la décision du saint archevêque il se chargea, sous
le titre d’abbé, de la direction du couvent, montrant toujours à ses
frères dans sa personne l'exemple de ce qu'il leur prescrivait.
Depuis cette
époque, la réputation des moines de Fulda commença à se répandre
dans toutes les contrées. Les sévères austérités, la touchante
concorde, et la sainte rivalité de ces religieux attirèrent de tous
côtés un grand nombre de personnes dans cet asile de la vertu et de
la perfection, qui devint la pépinière de beaucoup de prélats
distingués par leur science et leur sainteté.
Après la mort de
son père spirituel, S. Sturmius se vit exposé aux traits de la
calomnie ; mais sa vertu, après être sortie de cette épreuve
avec gloire, n'en brilla qu'avec plus d'éclat. Il se trouva dans
Fulda trois faux frères, qui portèrent des plaintes contre leur abbé
auprès de S. Lui, archevêque de Mayence. Celui-ci se laissa séduire
par leur piété hypocrite et ajouta foi à leurs calomnies. Ils
accusèrent saint Sturmius de tramer des complots contre Pépin, et
parvinrent même à se faire écouter à la cour. Le Saint, que ses
actions auraient dû justifier aux yeux de tout le monde, fut obligé
de comparaître devant Pépin ; mais au lieu de se justifier, chose
qui fut très-facile pour lui, il se borna à montrer du doigt le
ciel, en disant : « Là-haut est mon témoin et mon juge. Le Seigneur
est mon soutien, c'est pourquoi je n'ai pas été confondu. » Le
conseil des méchants prévalut, et Sturmius fut banni dans un
monastère de France, qu'on croit être celui de Jumièges, où il fut
reçu en frère, et traité par l'abbé et tous les religieux avec le
plus grand respect ^ comme il convenait à ses mérites.
L'absence de leur
chef spirituel affligea si fort les moines de Fulda, que
quelques-uns voulurent quitter le couvent, et d'autres aller faire
des représentations au Roi. Les plus sages l'emportèrent : ils
eurent recours à Dieu par les prières et le jeûne, pour qu'il voulût
manifester l'innocence du Saint. Lui leur donna un autre supérieur,
dans la personne d'un des membres de son clergé, nommé Marc ; mais
les moines le rejetèrent unanimement. Ils prirent en même temps la
résolution de se rendre en corps jusqu'au trône de Pépin et de
redemander leur abbé. Le saint archevêque, instruit de ce dessein,
chercha à calmer les esprits agités, en leur permettant de choisir
un abbé dans leur sein. On accéda à cette proposition, le choix
tomba sur Preszold, que saint Sturmius avait élevé et qu'il aimait
comme un fils. Ce véritable serviteur de Dieu travailla
non-seulement à réunir les esprits, mais à procurer le
rétablissement de son maître.
Cependant on
faisait des prières continuelles dans les églises et les monastères
du pays, pour que le Seigneur leur rendît leur père, et elles eurent
bientôt leur effet. Pépin, de son propre mouvement, ordonna au
serviteur de Dieu de se rendre à la cour, et de demeurer parmi les
clercs ou religieux qui desservaient sa chapelle, jusqu'à ce qu'il
lui eût fait connaître ses intentions. Ce prince, allant un jour à
la chasse de grand matin, voulut selon sa coutume entrer dans sa
chapelle, pour y faire ses prières. Il arriva, à cette occasion
qu'il le rencontra dans la chapelle, et il lui adressa ces paroles :
« Puisque la Providence nous a amenés ici, je dois vous déclarer que
je ne sais pas pourquoi vos moines vous ont accusé, ni pourquoi je
me suis fâché contre vous. » Le Saint répondit avec beaucoup
d'humilité et de modestie : « Quoique je sois pécheur, je n'ai rien
fait contre le service de Votre Majesté. » Pépin repartit : « Si
vous avez eu des desseins hostiles contre moi, que Dieu vous le
pardonne, moi je veux l'oublier de bon cœur, et vous aurez à
l'avenir toujours part à ma bienveillance et à mon amitié. » Lorsque
les religieux de la Buchonie eurent appris ce qui venait de se
passer, ils supplièrent le Roi de rétablir leur maître dans sa
première dignité. Le Roi y consentit et confirma en outre les
privilèges que le Pape Zacharie avait accordés au monastère. Ceci
arriva en 758.
A la nouvelle de
l'approche de saint Sturmius, les religieux allèrent en procession
au devant de lui, avec la croix d'or et les reliques de l'abbaye, et
ils le reçurent avec de grandes réjouissances. Preszold lui remit la
crosse, et le Saint s'appliqua aussitôt à corriger ce qu'il y avait
de défectueux dans la vie et les mœurs de ses disciples. Il orna et
enrichit l'église, augmenta les bâtiments, changea le cours de la
Fulda et la fit entrer dans l'enclos de l’abbaye, afin de faciliter
les travaux exécutés par les moines, et mit, en un mot, le plus
grand ordre dans toutes les affaires de la maison. Il crut devoir
diminuer quelque chose de la rigueur de la première règle, pour le
rendre plus conforme à celle de saint Benoît.
Le Roi Pépin, et
depuis lui son fils, Charlemagne, considérant les grandes dépenses
que le Saint était obligé de soutenir pour une communauté de quatre
cents religieux , sans les domestiques, firent encore diverses
donations à son monastère , entre autres de terres situées à
Hammelbourg. Dans les chartes de donation il est dit qu'ils en usent
ainsi pour tâcher de reconnaître le mérite de l'abbé. Il acquit dans
la suite encore plus de crédit sur l'esprit de Charlemagne, et il
fut même chargé d'une mission importante auprès de Thassilon, duc de
Bavière. Mais Charlemagne l'employa encore plus utilement pour
l'Église à la conversion des Saxons. S. Sturmius, accompagné de
plusieurs prêtres de sa communauté, instruisit et baptisa en 776 et
777 une grande partie de ces peuples encore idolâtres, et les
détermina à abattre leurs forêts sacrées, à démolir leurs temples et
à construire des églises chrétiennes. Mais ceux qui demeurèrent dans
leur infidélité, firent dans la suite tomber dans l'apostasie
plusieurs des nouveaux convertis. Ils avancèrent ensemble jusques
sur le Rhin, exercèrent partout de grands ravages, et, à leur
retour, ayant fait un camp à peu de distance de Fulda, ils formèrent
le
projet d'attaquer le couvent, de tuer les moines et d'incendier les
bâtiments.
Le Saint fut averti à temps de ce dessein : il assembla donc ses
frères,
les informa du danger qui les menaçait et leur ordonna de se
refugier,
avec le corps de saint Boniface, à Hammelbourg, tandis que lui irait
au-devant des barbares et tâcherait de les détourner de leur projet.
On prit aussitôt des mesures pour mettre en sûreté le saint corps,
et toute la communauté prit la fuite; en route les moines se
reposaient dans des tentes élevées à la hâte ; mais le quatrième
jour déjà ils reçurent l'heureuse nouvelle de la défaite des
ennemis. Le retour des serviteurs de Dieu ressembla à un véritable
triomphe. D'après l'auteur de la vie du
Saint et les annales de Fulda,
ceci arriva en 778.
Charlemagne, qui avait beaucoup de vénération pour notre Saint, le
pria, après qu'il eut dompté les Saxons, d'aller de nouveau leur
prêcher l'Évangile. Quoique courbé par l'âge et les infirmités, il
se rendit néanmoins avec ses compagnons à Heresbourg, pour y
attendre le Roi. C'est là qu'il fut atteint d'une maladie, qui
l'obligea de revenir à Fulda avec Wintar, médecin du Roi, qui lui
prolongea la vie encore de quelques mois. Mais celui-ci lui ayant
fait prendre un jour un remède qui produisit un effet contraire à ce
qu'on attendait, le Saint pressentit aussitôt que sa fin était
prochaine, fit sonner toutes les cloches du couvent, fit assembler
tous les religieux autour de lui, leur adressa une grande
exhortation, dans laquelle il les pria de lui pardonner s'il ne leur
avait pas toujours prêché d'exemple, et pardonna en même temps à
tous ceux qui lui avaient fait de la peine, nommément à
l'archevêque.
Le lendemain, qui
fut le jour de sa mort (17 Décembre 779), l'un des moines qui
entouraient son lit, lui adressa encore ces paroles : « Nous ne
doutons pas un instant que vous n'alliez entrer dans la vie
éternelle. C'est pourquoi nous demandons à votre tendresse
paternelle de se souvenir alors de nous, et d'intercéder pour vos
disciples, qui mettent beaucoup de confiance dans votre prière. »
Alors le Saint, se retournant vers ses frères, leur dit : «
Conduisez-vous toujours comme il convient, faites en sorte par vos
actions, que je puisse utilement prier pour vous, et vos vœux »
seront accomplis. » Là-dessus, il rendit son âme à son Créateur,
ayant atteint environ l'âge de soixante-sept ans. Quoique l'on fût
persuadé de la sainteté de notre abbé, on célébra pendant plusieurs
années à Fulda l'anniversaire de sa mort et non sa fête. Ce qui fait
que son nom ne se trouve dans aucun des martyrologes du neuvième
siècle, pas même dans celui de Rhaban-Maur, qui ne le composa que
soixante ans après sa mort. Ce ne fut que le Pape Innocent II qui le
déclara Saint par une canonisation solennelle qu'il fit au concile
de Latran, l'an 1139, et il en adressa un bref le 19 Avril à Conrad,
abbé de Fulda, et à ses religieux. Sa fête ne fut néanmoins établie
que trois cents ans après, lorsque Jean, évêque de Wurtzbourg, fit
la publication du bref d'Innocent, le dernier Dimanche du mois de
Novembre 1439. Il ordonna que sa fête serait d'office double et
chômée d'obligation dans tout son diocèse et dans tous les lieux qui
étaient de la dépendance de l'abbaye de Fulda. Les reliques du Saint
se conservèrent dans l'église de cette abbaye; lorsqu'on les leva de
terre en 1613, on remarqua avec étonnement, à la grandeur des os,
que saint Sturmius avait été d'une taille gigantesque.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godescard. |