Synésius de Cyrène
Évêque, Père de l'Église,
(
v. 370 - v. 414)

HOMÉLIES
de
Synésius de Cyrène

I.

Je ne laisserai point passer cette fête sans vous adresser la parole; mais il ne faut pas non plus trop de paroles : si je parle pour louer Dieu, je serai court pour ne pas retarder cette fête. Voulez-vous honorer dignement la Divinité? N’allez pas, au sortir du jeûne, vous livrer aux excès de la table. Que la tempérance préside à vos religieuses agapes. Notre Dieu est la sagesse même, la raison même. Si les libations produisent le désordre de la pensée et le trouble de l’entendement, ne sont-elles pas contraires à la raison? Certains plaisirs conviennent aux serviteurs de Dieu, d’autres aux serviteurs des démons. Réjouissez-vous dans le Seigneur avec tremblement[1],  c’est-à-dire dans vos festins souvenez-vous toujours de Dieu; car c’est alors surtout que vous êtes exposé à glisser dans le péché. Quand le corps s’abandonne aux satisfactions sensuelles, l’âme cesse de connaître les joies intellectuelles. Le Seigneur tient en main une coupe de vin pur, pleine de mélange; il en a versé tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre, et cependant le breuvage n’en est point encore épuisé[2]. Vous n’avez qu’à boire de cette coupe, et vous devenez digne de prendre place au banquet de l’époux. Elle est fortifiante cette coupe pleine de vin; il suffit qu’elle nous soit offerte pour que nous nous élevions vers l’intelligence. Les paroles sacrées sont assez claires, mais elles demandent cependant quelque explication. Il tient une coupe de vin pur, pleine de mélange ; il en a versé tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre. Si c’est une coupe de vin pur, comment est-elle pleine de mélange? Si c’est une seule coupe, comment en a-t-il versé tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre? Les mots paraissent absurdes, mais le sens qu’ils cachent ne l’est point. Dieu n’a pas besoin de termes inspirés; l’esprit divin dédaigne les minutieux scrupules de l’écrivain. Voulez-vous savoir l’exacte vérité qui se dégage de ces expressions contradictoires? Quelle est cette coupe à laquelle fait allusion le livre sacré? C’est la parole que Dieu présente aux hommes dans l’ancien comme dans le nouveau Testament. Telle est la liqueur qui désaltère l’âme. La parole est pure dans l’un comme dans l’autre Testament, et l’union des deux Testaments, voilà le mélange. L’ancien Testament nous a donné les promesses, le nouveau la réalité. Il a versé tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre : cela signifie la succession des enseignements que nous trouvons dans la loi de Moïse et dans la loi du Christ. Une coupe, unique en effet, comme l’esprit qui a inspiré le prophète et l’apôtre, et qui, semblable à un peintre habile, après avoir tracé d’abord une simple esquisse de la sagesse, nous en a donné ensuite le tableau achevé. Cependant le breuvage n’est pas encore épuisé.

II.

Nuit sainte, qui fait luire sur les cœurs purifiés une lumière telle que n’en a jamais répandu le soleil pendant le jour ! Car même ce qu’il y a de plus magnifique dans l’univers ne peut se comparer au Créateur. Elle est incréée cette lumière qui éclaire les âmes, et qui a donné au soleil visible ses rayons, reflets de la splendeur divine. Soyez persévérants, et ce jour restera comme le plus heureux de votre vie. Chacun de vous est comme un ministre de Dieu parmi nous. C’est à vous, n’en doutez pas, que s’appliquent ces paroles: Ils habitent sur la terre, mais toutes leurs pensées sont dans le ciel. Prenez garde de déchoir. Les nouvelles souillures que l’on contracte après avoir été purifié s’effacent difficilement.

*****

Les habitants de Léontopolis[3] ont résolu (pouvait-on s’attendre à voir leur humeur ainsi s’adoucir?) de ne plus se poursuivre mutuellement : aujourd’hui c’est au voisinage qu’ils s’en prennent, sous prétexte de lois violées; tandis que naguère chez eux les frères en lutte avec les frères, le fils avec son père, le père avec ses enfants, appelaient les uns sur les autres toutes les rigueurs de la justice. Sans doute, en portant ailleurs leurs attaques, ils ne vont plus s’entredétruire; mais avec tous ces procès de particulier à particulier, de ville à ville, ils font le malheur de leurs pauvres voisins. Ils se croiraient perdus si leur cité ne faisait pas métier d’accuser, de dénoncer. Mais les accusations mêmes dont nous sommes l’objet prouvent clairement que nous n’avons aucun tort: il nous suffit d’avoir un juge qui veuille nous écouter. Nous avons appris à cultiver la terre, et non à faire des plaidoyers. Depuis un temps immémorial nos adversaires ont un territoire nettement délimité : pourquoi veulent-ils aujourd’hui l’étendre? Pourquoi réclament-ils plus que ce qui leur est attribué, et viennent-ils nous tourmenter? Nous souffrons plus qu’eux des chaleurs torrides; notre territoire est plus exposé à la sécheresse. Ils veulent nous faire acheter ce qui reste d’eau. Comme nous ne pouvons cette année, faute d’argent, rien leur donner, ils prétendent jouir au moins de nos souffrances. Tel est le but qu’ils poursuivent avec le procès qu’ils viennent de nous intenter; les décisions qu’ils ont prises n’ont pas d’autre objet. Ils ont encore une prétention qu’il appartient à nous les premiers, à nous seuls de signaler, et qui montre clairement leur injustice. Après avoir inventé depuis longtemps toute sorte de faussetés pour s’attribuer un droit sur des eaux qui ne leur appartiennent pas, ils se sont adressés à ce vénérable tribunal…


[1] Psaumes, II, 11.

[2] Id., LXXIV, 9. La version que donne la Bible de Vence est celle-ci: Le Seigneur tient en sa main une coupe de vin pur plein d’amertume, et il en verse tantôt à l’un et tantôt à l’autre; cependant la lie n’en est point encore épuisée. Noue avons dû traduire autrement, pour mettre le sens d’accord avec le commentaire qu’en donne Synésius.

[3] Ville de la Basse Égypte. — Ce morceau évidemment ne se rattache en aucune façon à ce qui précède. C’est sans doute un fragment d’un plaidoyer écrit, contre les habitants de Léontopolis, pour la propriété d’eaux que l’on se disputait.
 

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