

INTRODUCTION
L'objet propre de la Théologie
ascétique et mystique, c'est la perfection de la vie chrétienne.
1. Il a plu à la bonté divine de
nous communiquer, outre la vie naturelle de l'âme, une vie surnaturelle, la vie
de la grâce, qui est une participation à la vie même de Dieu, ainsi que nous
l'avons montré dans notre Tr. de Gratia. Comme cette vie nous est donnée en
vertu des mérites infinis de N. S. Jésus Christ, et qu'il en est la cause
exemplaire la plus parfaite, on l'appelle avec raison vie chrétienne. Toute vie
a besoin de se perfectionner, et elle se perfectionne en se rapprochant de sa
fin. La perfection absolue c'est l'obtention de cette fin ; ce n'est qu'au ciel
que nous l'atteindrons : là nous posséderons Dieu par la vision béatifique et
l'amour pur, et notre vie aura son plein épanouissement ; alors en effet nous
serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu'il est, similes ei
erimus quoniam videbimus eum sicuti est (Joan., III, 2). Sur terre nous ne
pouvons acquérir qu’une perfection relative, en nous rapprochant sans cesse de
cette union intime avec Dieu qui nous prépare à la vision béatifique. C’est de
cette perfection relative que nous allons traiter : après avoir exposé les
principes généraux sur la nature de la vie chrétienne, sa perfection,
l’obligation de tendre à cette perfection et les moyens généraux par lesquels on
y parvient, nous décrirons successivement les trois voies, purgative,
illuminative et unitive par lesquelles passent les âmes généreuses, avides de
progrès spirituel.
Mais auparavant, il nous faut, dans une courte Introduction, résoudre quelques
questions préliminaires.
2. Dans cette Introduction nous
traiterons cinq questions :
I. Nature de la Théologie ascétique
;
II. Ses sources ;
III. Sa méthode ;
IV. Son excellence et sa nécessité ;
V. Sa division.
§ I. Nature de la
Théologie ascétique
Pour mieux expliquer ce qu'est la
Théologie ascétique, nous exposerons successivement : 1° les noms princlpaux qui
lui ont été donnés ; 2° sa place dans les sciences théologiques ; 3° ses
rapports avec le Dogme et la Morale ; 4° la distinction entre l'Ascétique et la
Mystique.
I. Ses différents
noms
3. La théologie ascétique porte
différents noms.
a) On l'appelle la science des
saints, et avec raison ; car elle nous vient des saints qui l'ont vécue encore
plus qu'ils ne l'ont enseignée, et elle est destinée à faire des saints, en nous
expliquant ce qu'est la sainteté et quels sont les moyens d'y parvenir.
b) D'autres la nomment science spirituelle, parce qu'elle forme des spirituels,
c'est-à-dire des hommes intérieurs, animés de l'esprit de Dieu.
c) Mais, comme elle est une science pratique, on l'appelle aussi l'art de la
perfection, puisque son but est de conduire les âmes à la perfection chrétienne
; ou encore l'art des arts, puisqu'il n'est pas d'art plus excellent que celui
de perfectionner une âme dans la plus noble des vies, la vie surnaturelle.
d) Cependant le nom qui aujourd'hui lui est le plus fréquemment donné est celui
de théologie ascétique et mystique. 1) Le mot ascétique vient du grec
‘exercice’, ‘effort’ et désigne tout exercice laborieux qui se rapporte à
l'éducation physique ou morale de l'homme. Or la perfection chrétienne suppose
des efforts que S. Paul compare volontiers à ces exercices d'entraînement
auxquels se soumettaient les lutteurs pour gagner la victoire. Il était donc
naturel de désigner sous le nom d'ascèse les efforts de l'âme chrétienne luttant
pour acquérir la perfection. C'est ce que firent Clément d'Alexandrie et
Origène, et à leur suite un grand nombre de Pères. Il n'est donc pas étonnant
qu'on ait donné le nom d'ascétique à la science qui traite des efforts
nécessaires pour acquérir la perfection chrétienne. 2) Toutefois, pendant de
longs siècles, le mot qui prévalut pour désigner cette science fut celui de
Théologie mystique (‘mystérieux’, ‘secret’ et surtout ‘secret religieux’) parce
qu'elle exposait les secrets de la perfection. Puis le moment vint où ces deux
mots furent employés dans le même sens ; mais l'usage a prévalu de réserver le
nom d'ascétique à cette partie de la science spirituelle qui traite des premiers
degrés de la perfection jusqu'au seuil de la contemplation, et le nom de
mystique à celle qui s'occupe de la contemplation et de la voie unitive.
e) Quoiqu'il en soit, il résulte de toutes ces notions que la science dont nous
nous occupons est bien la science de la perfection chrétienne : c'est ce qui va
nous permettre de lui assigner sa place dans le plan général de la Théologie.
II. Sa place en
théologie
4. Nul n'a mieux fait comprendre
que Saint Thomas l'unité organique qui règne dans la science théologique. Il
divise sa Somme en trois parties : dans la première, il traite de Dieu premier
principe qu'il étudie en lui-même, dans l'unité de sa nature et la trinité de
ses personnes ; et dans les œuvres qu'il a créées, qu'il conserve et qu'il
gouverne par sa providence. Dans la seconde, il s'occupe de Dieu fin dernière,
vers lequel doivent tendre les hommes en orientant leurs actions vers lui, sous
la direction de la loi et l'impulsion de la grâce, en pratiquant les vertus
théologales et morales et les devoirs particuliers à chaque état. La troisième
nous montre le Verbe Incarné se faisant notre voie pour aller à Dieu et
instituant les sacrements pour nous communiquer la grâce, afin de nous conduire
à la vie éternelle. Dans ce plan, la théologie ascétique et mystique se rattache
à la seconde partie de la Somme, tout en s'appuyant sur les deux autres.
5. Depuis lors, tout en respectant l'unité organique de la Théologie, on l'a
divisée en trois parties : la Dogmatique, la Morale et 1'Ascétique.
a) Le Dogme nous enseigne ce qu'il faut croire sur Dieu, la vie divine, la
communication qu'il en a voulu faire aux créatures raisonnables et surtout à
l'homme, la perte de cette vie par le péché originel, sa restauration par le
Verbe incarné, son action dans l'âme régénérée, sa diffusion par les sacrements,
sa consommation dans la gloire.
b) La Morale nous montre comment nous devons répondre à cet amour de Dieu en
cultivant la vie divine dont il a bien voulu nous donner une participation,
comment nous devons éviter le péché et pratiquer les vertus et les devoirs
d'état qui sont de précepte.
c) Mais quand on veut perfectionner cette vie, aller au delà de ce qui est un
strict commandement et progresser dans la pratique des vertus d'une façon
méthodique, c'est l'Ascétique qui intervient en nous traçant des règles de
perfection.
III. Ses rapports
avec le Dogme et la Morale
6. L'Ascétique est donc une partie
de la morale chrétienne, mais la partie la plus noble, celle qui tend à faire de
nous des chrétiens parfaits. Tout en étant devenue une branche spéciale de la
Théologie, elle conserve avec le Dogme et la Morale des rapports intimes.
1° Elle a son fondement dans le Dogme. Quand elle veut exposer la nature de la
vie chrétienne, c'est au Dogme qu'elle demande des lumières. Cette vie est en
effet une participation à la vie même de Dieu : il faut donc remonter jusqu'à la
Sainte Trinité pour y trouver le principe et l'origine de cette vie, suivre ses
péripéties, voir comment, conférée à nos premiers parents, elle fut perdue par
leur faute et restaurée par le Christ rédempteur ; quel est son organisme et son
fonctionnement dans notre âme, par quels canaux mystérieux elle y est apportée
et augmentée, comment elle se transforme en vision béatifique dans le ciel. Or
toutes ces questions sont traitées dans la Théologie dogmatique ; et qu'on ne
dise pas qu'on peut les présupposer ; si on ne les rappelle dans une courte et
vivante synthèse, l'Ascétique apparaitra sans base, et on demandera aux âmes des
sacrifices très durs sans pouvoir les justifier par un exposé de ce que Dieu a
fait pour nous. Il est donc bien vrai que le dogme est, selon la belle
expression du Cardinal Manning, la source de la dévotion.
7. 2° Elle s'appuie aussi sur la Morale et la complète. Celle-ci explique les
préceptes que nous devons pratiquer pour acquérir et conserver la vie divine. Or
l'Ascétique, qui nous fournit les moyens de la perfectionner, suppose évidemment
la connaissance et la pratique des commandements ; ce serait une dangereuse
illusion de négliger les préceptes sous prétexte de cultiver les conseils et de
prétendre pratiquer les plus hautes vertus avant de savoir résister aux
tentations et éviter le péché.
8. 3° Cependant l'Ascétique est bien une branche distincte de la Théologie
dogmatique et morale. Elle a en effet son objet propre : elle choisit dans
l'enseignement de Notre Seigneur, de l'Eglise et des Saints tout ce qui se
rapporte à la perfection de la vie chrétienne, sa nature, son obligation, ses
moyens, et coordonne tous ces éléments de manière à en former une véritable
science. 1) Elle se distingue du Dogme, qui ne nous propose directement que des
vérités à croire parce que, tout en s'appuyant sur ces vérités, elle les oriente
vers la pratique, les utilisant pour nous faire comprendre, goûter et réaliser
la perfection chrétienne. 2) Elle se distingue de la Morale, parce que, tout en
rappelant les commandements de Dieu et de l'Eglise, base de toute vie
spirituelle, elle nous propose les conseils évangéliques, et, pour chaque vertu,
un degré plus élevé que celui qui est strictement obligatoire. C'est donc bien
la science de la perfection chrétienne.
9. De là son double caractère de sciençe à la fois spéculative et pratique.
Assurément elle contient une doctrine spéculative, puisqu'elle remonte jusqu'au
Dogme pour expliquer la nature de la vie chrétienne ; mais elle est surtout
pratique, parce qu'elle recherche les moyens à prendre pour cultiver cette vie.
C'est même, entre les mains d'un sage directeur, un art véritable, qui consiste
à appliquer avec tact et dévouement les principes généraux à chaque âme en
particulier, l'art le plus excellent et le plus difficile de tous, ars artium
regimen animarum. Les principes et règles que nous donnerons tendront à former
de bons directeurs.
IV. Différence entre l’Ascétique
et la Mystique
Ce que nous avons dit s'applique à la fois à l'une et à l'autre.
10. A) Pour les distinguer, on peut définir la théologie ascétique cette partie
de la science spirituelle qui a pour objet propre la théorie et la pratique de
la perfection chrétienne depuis ses débuts jusqu'au seuil de la contemplation
infuse. Nous faisons commencer la perfection avec le désir sincère de progresser
dans la vie spirituelle, et l'ascétique conduit l'âme, à travers les voies
purgative et illuminative, jusqu'à la contemplation acquise.
11. B) La Mystique est cette partie de la science spirituelle qui a pour objet
propre la théorie et la pratique de la vie contemplative, depuis la première
nuit des sens et la quiétude jusqu'au mariage spirituel.
a) Nous évitons donc, dans notre définition, de faire de l'Ascétique l'étude des
voies ordinaires de la perfection, et de la Mystique l'étude des voies
extraordinaires... aujourd'hui en effet on réserve plutôt ce mot
d'extraordinaire à une catégorie spéciale de phénomènes mystiques, ceux qui sont
des grâces gratuitement données venant s'ajouter à la contemplation, comme les
extases et les révélations.
b) La contemplation est une vue simp/e et affectueuse de Dieu ou des choses
divines : elle s'appelle acquise quand elle est le fruit de notre activité aidée
de la grâce, infuse quand, dépassant cette activité, elle est opérée par Dieu
avec notre consentelnent (n° 1299).
c) C'est à dessein que nous réunissons dans un seul et même traité la théologie
ascétique et mystique. 1) Assurément il y a des différences profondes entre
l'une et l'autre, que nous aurons soin de signaler plus tard ; mais il y a aussi
entre les deux états, ascétique et mystique, une certaine continuité qui fait
que l'un est une sorte de préparation à l'autre, et que Dieu utilise, quand il
le juge à propos, les dispositions de l’ascète pour l’élever aux états
mystiques. 2) En tout cas, l’étude de la mystique projette beaucoup de lumiere
sur l'ascé- tique et réciproquement; car les voies de Dieu sont harmonieuses, et
l'action si puissante qu'il exerce sur les âmes mystiques fait mieux saisir, par
le relief avec lequel elle apparaît, son action moins forte sur les débutants ;
ainsi les épreuves passives décrites par S. Jean de la Croix font mieux
comprendre les sécheresses ordinaires qu'on éprouve dans les états inférieurs,
et de même on comprend mieux les voies mystiques quand on voit à quelle
docilité, à quelle souplesse arrive une âme qui, pendant de longues années,
s'est livrée aux rudes travaux de l'ascèse. Ces deux parties d'une même science
s'éclairent donc naturellement et gagnent à n'être pas séparées.
§ II. Les sources
de la Théologie ascétique et mystique
12. Puisque la science spirituelle
est une des branches de la Théologie, il est évident que ses sources sont les
mêmes que pour celle-ci : avant tout, les sources qui contiennent ou
interprètent le donné révélé, l'Ecriture et la Tradition ; puis les sources
secondaires, toutes ces connaissances qui nous viennent de la raison éclairée
par la foi et par l'expérience. Nous n'avons donc ici qu'à signaler l'usage
qu'on en peut faire en Théologie ascétique.
I. De la sainte
Ecriture
Nous n'y trouvons pas sans doute
une synthèse de la doctrine spirituelle, mais de très riches documents dispersés
çà et là, dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, sous forme de
doctrines, de préceptes et de conseils, de prières, et d'exemples.
13. 1° Des doctrines spéculatives sur Dieu, sa nature, ses attributs, son
immensité qui pénètre tout, son infinie sagesse, sa bonté, sa justice, sa
miséricorde, son action providentielle qui s'exerce sur toutes les créatures
mais surtout sur les hommes pour les sauver ; sa vie intime, la génération
mystérieuse de l'Eternelle Sagesse ou du Verbe, la procession du Saint Esprit,
lien mutuel du Père et du Fils ; ses œuvres : en particulier ce qu'il a fait
pour l'homme, pour lui communiquer une participation à sa vie divine, le
restaurer après sa chute, par l'Incarnation du Verbe et la Rédemption, le
sanctifier par les sacrements, et lui préparer dans le ciel les joies éternelles
de la vision béatifique et de l'amour pur. Il est évident que cet enseignement
si noble, si élevé est un puissant stimulant pour accroître notre amour de Dieu
et notre désir de la perfection.
14. 2° Un enseignement moral composé de préceptes et de conseils : le Décalogue,
qui se résume tout entier dans l'amour de Dieu et du prochain et par conséquent
dans le culte divin et le respect des droits d'autrui ; l'enseignement si élevé
des Prophètes, qui rappelant sans cesse la bonté, la justice et l'amour de Dieu
pour son peuple, le détourne du péché et surtout des pratiques idolâtriques, lui
inculque le respect et l'amour de Dieu, la justice, l'équité, la bonté à l'égard
de tous, mais surtout des faibles et des opprimés ; les conseils si sages des
livres sapientiaux, qui contiennent par anticipation tout un exposé des vertus
chrétiennes ; mais par dessus tout l'admirable doctrine de Jésus, la synthèse
ascétique condensée dans le sermon sur la Montagne, la doctrine plus élevée
encore que nous trouvons dans les discours que nous rapporte S. Jean et qu'il
commente dans ses Epîtres ; la théologie Spirituelle de S. Paul, si riche en
aperçus dogmatiques et en applications pratiques. Le pâle résumé que nous en
donnerons bientôt nous montrera que le Nouveau Testament est déjà un code de
perfection.
15. 3° Des prières pour nourrir notre piété et notre vie intérieure. En est-il
de plus belles que celles que nous trouvons dans les Psaumes, et que l'Eglise a
jugées si propres à glorifier Dieu et à nous sanctifier, qu'elle les a
transportées dans sa Liturgie, dans le Missel et dans le Bréviaire ? Il en est
d'autres encore qu'on trouve de ci de là dans les livres historiques ou
sapientiaux ; et surtout il y a le Pater, la prière la plus belle, la plus
simple, la plus complète dans sa brièveté que l'on puisse trouver, et la prière
sacerdotale de Notre Seigneur, sans parler des doxologies que l'on trouve déjà
dans les Epîtres de S. Paul et dans l'Apocalypse.
16. 4° Des exemples qui nous entraînent à la pratique de la vertu. a) L'Ancien
Testament fait défiler devant nous une série de patriarches, de prophètes et
d'autres personnages illustres, qui n'ont pas été sans faiblesses, mais dont les
vertus ont été célébrées par S. Paul (Hebr. Ch. XI en entier) et longuement
décrites par les Pères qui les proposent à notre imitation. Et en effet qui
n'admirerait la piété d'Abel et d'Hénoch, la vertu solide de Noë pratiquant le
bien au milieu d'une génération corrompue, la foi et la confiance d'Abraham, la
chasteté et la prudence de Joseph, le courage, la sagesse et la constance de
Moïse, l'intrépidité, la piété et la sagesse de David, la vie austère des
Prophètes, la vaillance des Machabées et tant d'autres exemples qu'il serait
trop long de mentionner ? b) Dans le Nouveau Testament, c'est tout d'abord Jésus
qui nous apparaît comme le type idéal de la sainteté, puis Marie et Joseph, ses
fidèles imitateurs, les Apôtres, qui, d'abord imparfaits, se dévouent corps et
âme à la prédication de l'Evangile aussi bien qu'à la pratique des vertus
chrétiennes et apostoliques, si bien qu'ils nous disent plus éloquemment par
leurs exemples que par leurs paroles : « Imitatores mei estote sicut et ego
Christi ». Si plusieurs de ces saints personnages ont eu leurs défaillances, la
façon dont ils les ont rachetées n'en donne que plus de valeur à leurs exemples,
en nous montrant comment on peut racheter ses fautes par la pénitence.
Pour donner une idée des richesses ascétiques qu'on trouve dans la sainte
Ecriture, nous ferons en Appendice un résumé synthétique de la spiritualité des
Synoptiques, de S. Paul et de S. Jean.
II. La tradition
17. La Tradition complète la sainte
Ecriture en nous transmettant des vérités qui ne sont pas contenues dans
celle-ci, et de plus l'interprète d'une façon authentique. Elle se manifeste par
le magistère solennel et par le magistère ordinaire.
1° Le magistère solennel, qui consiste surtout dans les définitions des Conciles
et des Souverains Pontifes, ne s'est occupé que rarement des questions à
proprement parler ascétiques et mystiques ; mais il a eu souvent à intervenir
pour éclaircir et préciser les vérités qui forment la base de la spiritualité :
comme la vie divine considérée dans sa source, l'élévation de l'homme à l'état
surnaturel, le péché originel et ses suites, la rédemption, la grâce communiquée
à l'homme régénéré, le mérite qui augmente en nous la vie divine, les sacrements
qui confèrent la grâce, le saint sacrifice de la messe où sont appliqués les
fruits de la rédemption. Au cours de notre travail, nous aurons à utiliser
toutes ces définitions.
18. 2° Le magistère ordinaire s'exerce de deux façons, d'une manière théorique
et pratique. A) L’enseignement théorique nous est donné d’une façon négative par
la condamnation des propositions des faux mystiques, et d’une façon positive par
la doctrine commune des Pères et des théologiens ou par les conclusions qui se
dégagent des vies des Saints. a) Il s'est trouvé, à diverses époques, de faux
mystiques qui ont altéré la vraie notion de la perfection chrétienne : tels les
Encratites et les Montanistes dans les premiers siècles, les Fraticelles et
certains mystiques allemands du Moyen-Age, Molinos et les Quiétistes dans les
temps moderpes ; en les condamnant, l'Eglise nous a montré les écueils à éviter
et par là même la voie à suivre.
19. b) Par contre il s'est formé peu à peu une doctrine commune sur toutes les
grandes questions de spiritualité, qui forme comme le commentaire vivant des
enseignements bibliques : on la trouve chez les Pères, les théologiens et
auteurs spirituels, et, quand on les fréquente on est frappé de l'unanimité qui
se manifeste sur tous les points vitaux qui se rapportent à la nature de la
perfection, aux moyens nécessaires pour y arriver, aux principales étapes à
suivre. Sans doute il reste quelques points controversés, mais sur des questions
accessoires, et ces discussions ne font que mieux ressortir l'unanimité morale
qui existe sur le reste. L'approbation tacite que donne l’Eglise à cet
enseignement commun nous est un sûr garant de vérité.
20. B) L'enseignement pratique se trouve surtout dans la canonisation des Saints
qui ont enseigné et pratiqué l'ensemble de ces doctrines spirituelles. On sait
avec quel soin minutieux on procède à la revision de leurs écrits aussi bien
qu'à l'examen de leurs vertus ; de l'étude de ces documents il est facile de
dégager des principes de spiritualité sur la nature et les moyens de perfection,
qui seront l'expression de la pensée de l'Eglise. On peut s'en rendre compte en
lisant l'ouvrage si documenté de Benoît XIV : de Servorum Dei Beatificatione et
Ca- nonizatione, ou quelques-uns des procès de Canonisation, ou enfin des
biographies de Saints écrites selon les règles d'une sage critique.
III. La raison
éclairée par la foi et l’expérience
21. La raison naturelle étant un
don de Dieu absolument nécessaire à l'homme pour connaître la vérité, qu'elle
soit naturelle ou surnatutelle, a une part très large dans l'étude de la
spiritualité, comme de toutes les autres branches de la science ecclésiastique.
Mais, quand il s'agit de vérités révélées, elle a besoin d'être guidée et
perfectionnée par les lumière de la foi ; et, pour appliquer les principes
généraux aux âmes, elle doit s'appuyer sur l'expérience psychologique.
22. 1° Son premier rôle est de recueillir, d'interpréter et de coordonner les
données de l'Ecriture et de la Tradition ; celles-ci sont en effet dispersées
dans différents livres, et ont besoin d'être réunies pour former un tout. De
plus les paroles sacrées ont été prononcées en telle et telle circonstance, à
l'occasion de telle ou telle question, dans tel milieu donné ; de même les
textes de la Tradition ont été souvent motivés par les circonstances de temps,
de personnes. a) Pour en saisir la portée, il faut les situer dans leur milieu,
les rapprocher d'enseignements analogues, puis les grouper et les interpréter à
la lumière de l'ensemble des vérités chrétiennes. b) Ce premier travail fait, on
peut de ces principes tirer des conclusions, en montrer le bien fondé et les
applications multiples aux mille détails de la vie humaine, dans les situations
les plus diverses. c) Principes et conclusions seront enfin coordonnés en une
vaste synthèse et formeront une véritable science. d) C'est à elle aussi qu’il
convient de défendre la doctrine ascétique contre ses détracteurs. Plusieurs
l'attaquent au nom de la raison et de la science, et ne voient qu'illusion là où
il y a de sublimes réalités. Répondre à ces critiques en s'appuyant sur la
philosophie et la science est précisément le rôle de la raison.
23. 2° La spiritualité étant une science vécue, il importe de montrer
historiquement comment elle a été mise en pratique ; et pour cela il faut lire
des biographies de Saints, anciens et modernes, de diverses conditions et de
divers pays, pour constater de quelle façon les règles ascétiques ont été
interprétées, adaptées aux divers temps comme aux différentes nations, aux
devoirs d’état particuliers. Et, comme il n'y a pas que des saints dans l'Eglise,
il faut bien se rendre compte des obstacles qui s'opposent à la pratique de la
perfection, des moyens employés pour en triompher. Des études psychologiques
s'imposent donc, et à la lecture il faut joindre l’observatlon.
24. 3° C'est encore à la raison, éclairée par la foi, qu'il appartient
d'appliquer les principes et les règles générales à chaque personne en
particulier, en tenant compte de son tempérament, de son caractère, de son âge
et de son sexe, de sa situation sociale, de ses devoirs d’état, comme aussi des
attraits surnaturels de la grâce, en tenant compte aussi des règles sur le
discernement des esprits. Pour remplir ce triple rôle, il faut non seulement une
intelligence pénétrante, mais un jugement droit, beaucoup de tact et de
discernement. Il y faut joindre l'étude de la psychologie pratique, des
tempéraments, des maladies nerveuses et des états morbides qui ont tant
d'influence sur l'esprit et la volonté, etc. Et comme il s'agit d'une science
surnaturelle, il ne faut pas oublier que la lumière de la foi y joue un rôle
prépondérant, et que les dons du S. Esprit la complètent merveilleusement; en
particulier le don de science, qui des choses humaines nous élève jusqu'à Dieu,
le don d'intelligence qui nous fait mieux pénétrer les vérités révélées, le don
de sagesse qui nous les fait discerner et goûter, le don de conseil qui nous
permet d'en faire l'application à chacun en particulier. Aussi les Saints, qui
se laissent conduire par l'Esprit de Dieu, sont en même temps les plus aptes à
mieux comprendre et à mieux appliquer les principes de la vie spirituelle ; ils
ont une certaine connaturalité pour les choses divines, qui les leur fait mieux
saisir et goûter (Matth., XI, 25).
§ III. La méthode
à suivre
Pour mieux utiliser les sources que
nous venons de décrire, quelle méthode faut-il employer ? Est-ce la méthode
expérimentale, descriptive, ou la méthode déductive, ou enfin l'union des deux ?
Quel est l'esprit qui doit présider à l'emploi de ces méthodes ?
25. 1° La méthode expérimentale, descriptive ou psychologique consiste à
observer en soi ou dans les autres les faits ascétiques ou mystiques, à les
classer, les coordonner, pour en induire les signes ou marques caractéristiques
de chaque état, les vertus ou dispositions qui conviennent à chacun d'eux ; et
cela sans s'inquiéter de la nature ou de la cause de ces phénomènes, sans se
demander s'ils procèdent des vertus, des dons du S. Esprit, ou de grâces
miraculeuses. Cette méthode, dans sa partie positive, a de nombreux avantages ;
car il faut bien connaître les faits avant d'en expliquer la nature et la cause.
26. Mais, si on l'emploie exclusivement : a) elle ne peut constituer une
véritable science ; sans doute elle en fournit les bases, à savoir les faits et
les inductions immédiates qu'on en peut tirer ; elle peut même constater quels
sont les moyens pratiques qui généralement réussissent le mieux. Toutefois, tant
qu'on ne remonte pas à la nature intime et à la cause de ces faits, on fait
plutôt de la psychologie que de la théologie ; ou, si l’on décrit minutieusement
les moyens de pratiquer telle ou telle vertu, on ne montre pas assez le ressort,
le stimulant à pratiquer cette vertu. b) De là on s'expose à tomber dans des
opinions mal fondées. Si, dans la contemplation, on ne distingue pas ce qui est
miraculeux, comme l'extase, la lévitation, de ce qui en constitue l'élément
essentiel, c'est-à-dire, le regard prolongé et affectueux sur Dieu sous l’action
d'une grâce spéciale, on pourra en conclure trop facilement que toute
contemplation est miraculeuse : ce qui est contraire à la doctrine commune. c)
Beaucoup des controverses sur les états mystiques s'atténueraient si aux
descriptions de ces états on ajoutait les distinctions et les précisions que
fournit l'étude théologique. Ainsi la distihction entre la contemplation acquise
et infuse permet de mieux comprendre certains états d'âme très réels et de
concilier certaines opinions qui, à première vue, semblaient contradictoires. De
même, dans la contemplation passive, il y a bien des degrés : il en est où
suffit l'usage perfectionné des dons, il en est d’autres où Dieu doit intervenir
pour agencer nos idées et nous aider à en tirer des conclusions frappantes, il
en est enfin qui ne s'expliquent guère que par des connaissances infuses. Toutes
ces distinctions sont les résultats de longues et patientes recherches à la fois
spéculatives et pratiques ; en les faisant, on réduirait le nombre des
divergences qui séparent les diverses écoles.
27. 2° La méthode doctrinale ou déductive consiste à étudier avec soin ce que
nous enseignent sur la vie spirituelle l’Ecriture, la Tradition, la théologie,
en particulier la Somme de S. Thomas, à en déduire des conclusions sur la nature
de la vie chrétienne, sa perfection, l'obligation et les moyens d'y tendre, sans
se préoccuper suffisamment des faits psychologiques, du tempérament et du
caractère des dirigés, de leurs attraits, des résultats produits sur telle ou
telle âme par tel ou tel moyen ; sans étudier en détail les phénomènes mystiques
décrits par1es Saints qui les ont éprouvés, comme Ste Térèse, S. Jean de la
Croix, S. François de Sales, etc., ou du moins sans en tenir un compte
suffisant. Comme nous sommes exposés à nous tromper dans nos déductions, surtout
quand nous les multiplions, il est sage de les soumettre au contrôle des faits.
Si, par exemple, on constate que la contemplation infuse est assez rare, on
mettra quelques restrictions à la thèse soutenue par quelques écoles, à savoir
que tous sont appelés aux plus hauts degrés de la contemplation.
28. 3° Union des deux méthodes. A) Il faut donc savoir combiner harmonieusement
les deux méthodes. C'est en réalité ce que font la plupart des auteurs ; il y a
seulement entre eux cette différence que les uns s'appuient davantage sur les
faits et les autres sur les principes. Nous essaierons de tenir le juste milieu,
sans avoir la prétention d'y réussir. a) Les principes de théologie mystique,
déduits par les grands maîtres, des vérités révélées nous aideront à mieux
observer les faits, à les analyser d'une façon plus complète, à les ordonner
d'une façon plus méthodique, à les interpréter plus sagement ; nous n'oublierons
pas en effet que les mystiques décrivent leurs impressions, sans vouloir,
souvent du moins, en expliquer la nature. Les principes nous aideront aussi à
rechercher la cause des faits en tenant compte des vérités déjà connues, à les
coordonner de manière à en faire une véritable science.
b) Par ailleurs l'étude des faits ascétiques et mystiques corrigera ce qu'il y
aurait de trop rigide et de trop absolu dans des conclusions purement
dialectiques ; il ne peut y avoir en effet d'opposition absolue entre les
principes et les faits ; si donc l'expérience montre que le nombre des mystiques
est restreint, il ne faut pas se hâter de conclure que cela tient uniquement aux
résistances qu'on oppose à la grâce. Il est utile aussi de se demander pourquoi
dans les causes de canonisation on juge de la sainteté beaucoup plus par la
pratique des vertus héroïques que par le genre d'oraison ou de contemplation ;
ces faits pourront en effet montrer que le degré de sainteté n'est pas toujours
et nécessairement en rapport avec le genre et le degré d’oraison.
29. B) Comment fusionner ces deux méthodes ? a) Il faut tout d'abord étudier le
donné révélé, tel qu'il nous est fourni par l'Ecriture et la Tradition, y
compris le magistère ordinaire de l'Eglise ; et, à l'aide de ce donné,
déterminer, par la méthode déductive, ce qu'est la vie et la perfection
chrétienne, quels sont ses différents degrés, la marche progressive suivie
généralement pour arriver à la contemplation, en passant par la mortification,
la pratique des vertus morales et théologales ; en quoi consiste cette
contemplation, soit dans ses éléments essentiels, soit dans les phénomènes
extraordinaires qui parfois l’accompagnent.
30. b) A cette étude doctrinale il faut joindre la méthode d'observation : 1)
examiner avec soin les âmes, leurs qualités et leurs défauts, leur physionomie
spéciale ; leurs attraits et leurs répugnances, les mouvements de la nature et
de la grâce qui se produisent en elles ; ces connaissances psychologiques
permettront de mieux préciser les moyens de perfection qui leur conviennent le
mieux, les vertus dont elles ont le plus besoin et vers lesquelles la grâce les
incline, leur correspondance à cette grâce, les obstacles qu'elles rencontrent
et les moyens qui leur réussissent le mieux pour en triompher. 2) Pour élargir
le champ de son expérience, on lira attentivement les vies de Saints, surtout
celles qui, sans dissimuler leurs défauts, montrent la façon progressive dont
ils les ont combattus, comment et par quels moyens ils ont pratiqué les vertus ;
si et comment ils sont passés de la vie ascétique à la vie mystique, sous
quelles influences. 3) C'est aussi dans la vie des contemplatifs qu'on étudiera
les phénomènes divers de la contemplation, depuis les premières lueurs indécises
jusqu'aux plus hauts sommets, les effets de sainteté produits par ces grâces,
les épreuves auxquelles ils ont été soumis, les vertus qu'ils ont pratiquées.
Tout cela viendra compléter et parfois rectifier les connaissances théoriques
qu'on avait acquises.
31. c) A l'aide des principes théologiques et des phénomènes mystiques bien
étudiés et bien classifiés, on pourra remonter plus facilement à la nature de la
contemplation, à ses causes, à ses espèces, distinguer ce qu'il y a en elle de
normal et d'extraordinaire. 1) On se demandera dans quelle mesure les dons du S.
Esprit sont les principes formels de la contemplation, et comment il les faut
cultiver pour se mettre dans les dispositions intérieures favorables à la
contemplation. 2) On examinera si les phénomènes dûment constatés s’expliquent
tous par les dons du S. Esprit, si quelques-uns ne supposent pas des espèces
infuses, et comment elles opèrent dans l'âme ; ou bien si c'est l'amour qui
produit ces états d'âme, sans connaissances nouvelles. 3) C'est alors qu'on
pourra mieux voir en quoi consiste l’état passif, et dans quelle mesure l'âme y
demeure active, la part de Dieu et de l'âme dans la contemplation infuse ; ce
qui est ordinaire en cet état, et ce qui devient extraordinaire et
préternaturel. Ainsi on pourra mieux étudier le problème de la vocation à l'état
mystique et du nombre plus ou moins grand des vrais contemplatifs. En procédant
ainsi, nous aurons plus de chance d'arriver à la vérité, à des conclusions
pratiques pour la direction des âmes : une étude de ce genre sera non moins
attrayante que sanctifiante.
32. 4° En quel esprit doit-on suivre cette méthode ? Quelle que soit la méthode
employée, il est-nécessaire d'étudier ces difficiles problèmes avec beaucoup de
calme, de pondération, en vue de connaître la vérité, et non pour faire
triompher à tout prix le système qui a nos préférences. a) Par conséquent, il
importe de dégager et de mettre en lumière tout ce qui est certain ou
communément admis, et de rejeter au second plan ce qui est controversé. La
direction à donner aux âmes ne dépend pas des questions controversées mais des
doctrines communément reçues. Il y a unanimité dans toutes les écoles pour
reconnaître que le renoncement et la charité, le sacrifice et l'amour sont
nécessaires à toutes les âmes et dans toutes les voies, et que la combinaison
harmonieuse de ce double élément dépend beaucoup du caractère des personnes
qu'on dirige. Tout le monde admet qu'il ne faut jamais cesser de pratiquer
l'esprit de pénitence, bien qu'il prenne différentes formes selon les différents
degrés de perfection ; qu'il faut pratiquer les vertus morales et théologales
d'une façon de plus en plus parfaite pour arriver à la voie unitive, et que les
dons du Saint Esprit, cultivés avec soin, donnent à notre âme une souplesse qui
la rend plus docile aux inspirations de la grâce, et la préparent, si Dieu l’y
appelle, à la contemplation. On est d’accord aussi sur ce point important que la
contemplation infuse est essentiellement gratuite, que Dieu la donne à qui il
veut et quand il le veut ; que par conséquent on ne peut se mettre soi-même dans
l'état passif, et que les marques d'une vocation prochaine à cet état sont
celles que décrit si bien S. Jean de la Croix. Et lorsque les âmes arrivent à la
contemplation, elles doivent, de l'aveu de tous, progresser dans la conformité
parfaite à la volonté de Dieu, le saint abandon et surtout l'humilité, vertus
que recommande constamment Ste Thérèse. On peut donc diriger prudemment les
âmes, même celles qui sont appelées à la contemplation, sans avoir résolu toutes
les questions controversées que se posent encore les auteurs contemporains.
33. b) Il nous semble aussi que si on aborde ces problèmes avec un esprit
conciliant, en cherchant ce qui nous rapproche plus encore que ce qui nous
divise, on arrivera non pas sans doute à supprimer ces controverses, mais à les
adoucir, à les atténuer, à voir l'âme de vérité que contient chaque système.
C'est tout ce qu'on peut faire ici-bas : il faut savoir attendre les lumières de
la vision béatifique pour résoudre un certain nombre de problèmes difficiles.
§ IV. Excellence
et nécessité de la Théologie ascétique
Le peu que nous avons dit sur la
nature, les sources et la méthode de la Théologie ascétique nous permet
d'entrevoir son excellence et sa nécessité.
I. Excellence de
la théologie ascétique
34. Son excellence se tire de son
objet. Or son objet est l'un des plus nobles qu'on puisse étudier. C’est en
effet une participation de la vie divine communiquée à l'âme, et cultivée par
elle avec une ardeur inlassable. Et si nous analysons cette notion, nous verrons
combien cette branche de la théologie est digne de notre attention.
1° Nous y étudions tout d'abord Dieu dans ses rapports les plus intimes avec
l'âme : la Sainte Trinité habitant et vivant en nous, nous communiquant une
participation à sa vie, collaborant à nos bonnes œuvres, et par là nous aidant à
augmenter sans cesse en nous cette vie surnaturelle, à purifier notre âme, à
l'embellir par la pratique des vertus, à la transformer jusqu'à ce qu'elle soit
mûre pour la vision béatifique. Peut-on imaginer rien de plus grand, de plus
excellent que cette action de Dieu transformant les âmes pour se les unir, se
les assimiler d'une façon si parfaite ?
2° Nous étudions ensuite l'âme elle-même dans sa collaboration avec Dieu, se
dégageant peu à peu de ses défauts, de ses imperfections, cultivant 1es vertus
chrétiennes, s'efforçant d'imiter les vertus de son divin Modèle, malgré les
obstacles qu'elle trouve au dedans et au dehors, cultivant les dons du Saint
Esprit, acquérant une souplesse merveilleuse pour obéir aux moindres touches de
la grâce, et se rapprochant ainsi chaque jour de son Père céleste. Si
aujourd'hui on considère toutes les questions se rapportant à la vie comme les
plus dignes de captiver notre attention, que dire d’une science qui traite de la
vie surnaturelle, de la participation à la vie même de Dieu, qui en décrit les
origines, les progrès, et son entier épanouissement dans le ciel ? N'est-ce pas
là l'objet le plus noble de nos études ? N'est-ce pas aussi le plus nécessaire ?
II. Nécessité de
la théologie ascétique
Pour arriver à plus de précision en
une matière si délicate, nous exposerons : 1° sa nécessité pour le prêtre ; 2°
sa très grande utilité pour les laïques ; 3° la manière pratique de l'étudier.
1° Nécessité pour le Prêtre
35. Le prêtre doit se sanctifier et sanctifier ses frères, et, à ce double point
de vue, il est obligé d'étudier la science des saints.
A) Que le prêtre soit obligé non seulement de tendre à la perfection, mais de la
posséder à un degré plus élevé que le simple religieux; c'est ce que nous
démontrerons plus tard avec Saint Thomas. Or la connaissance de la vie
chrétienne et des moyens qui contribuent à la perfectionner, est normalement
nécessaire pour arriver à la perfection.
a) La connaissance allume et stimule le désir. Savoir ce qu'est la sainteté, son
excellence, son obligation, ses effets merveilleux dans l'âme, sa fécondité,
c'est déjà la désirer. La connaissance d'un bien tend à nous le faire désirer :
on ne peut contempler long-temps et avec attention un fruit délicieux sans que
naisse la pensée de le goûter. Or le désir, surtout quand il est ardent et
prolongé, est déjà un commencement d'action : il met en branle la volonté et la
pousse vers l'obtention du bien saisi par l'intelligence ; il lui donne de
l'élan, des énergies pour l'atteindre, et soutient son effort pour le conquérir
: ce qui est d'autant plus nécessaire que bien des obstacles s'opposent à notre
progrès spirituel.
b) Voir en détail les nombreuses étapes à parcourir pour arriver à la
perfection, les efforts soutenus faits par les saints pour triompher des
difficultés et avancer sans cesse vers le but désiré, enflamme les courages,
soutient l'ardeur au milieu de la lutte, empêche le relâchement et la tiédeur,
surtout si en même temps on considère les secours et les réconforts que Dieu a
préparés aux âmes de bonne volonté.
c) Cette étude s'impose encore plus à notre époque : « Nous vivons en effet dans
une atmosphère de dissipation, de rationalisme, de naturalisme, de sensualisme,
qui pénètre, même à leur insu, une multitude d'âmes chrétiennes, et qui envahit
jusqu'au sanctuaire » (Giroux, Rapport cité, p. 156). Les deux ou trois années
qu'on passe à la caserne font participer les jeunes clercs eux-mêmes, ceux
surtout qui n'ont pas reçu dans leur famille une éducation profondément
chrétienne, à cet esprit fâcheux. Or quel est le meilleur moyen de réagir contre
ces tendances funestes de notre temps, sinon de vivre dans la compagnie de Notre
Seigneur et des Saints par l'étude méthodique et suivie des principes de
spiritualité, qui sont en opposition directe avec la triple concupiscence ?
36. B) Pour la sanctification des âmes qui lui sont confiées. a) Même lorsqu'il
s'agit des pécheurs, un prêtre a besoin de connaître l'Ascétique pour leur
apprendre comment il faut éviter les occasions de péché, combattre les passions,
résister aux tentations, pratiquer les vertus contraires aux vices qu'il s'agit
d'éviter. Sans doute la théologie morale suggère déjà brièvement ces choses ;
mais l'Ascétique les synthétise et les développe. b) Mais de plus il y a dans
presque toutes les paroisses des âmes d'élite que Dieu appelle à la perfection,
et qui, si elles sont bien dirigées, aideront le prêtre dans l'exercice de
l'apostolat par leurs prières, leurs exemples et mille petites industries. On
peut en tout cas en former quelques-unes en faisant un choix parmi les enfants
qu'on élève au catéchisme ou au patronage. Or, pour réussir en cette œuvre si
importante, il est nécessaire au prêtre d'être un bon directeur, de posséder les
règles tracées par les saints et contenues dans les livres de spiritualité ;
sans cela, on n'a ni le goût ni l'aptitude requise pour cet art si difficile de
former les âmes.
37. c) A plus forte raison l'étude des voies spirituelles est nécessaire pour la
direction des âmes ferventes appelées à la sainteté, et qu'on rencontre parfois
jusque dans les plus petites campagnes. Pour les conduire jusqu'à l'oraison de
simplicité et à la contemplation ordinaire, il faut connaître non seulement l'
Ascétique mais encore la Mystique sous peine de s'égarer et de mettre obstacle
au progrès de ces personnes. C'est la remarque de sainte Thérèse : « Pour cela
un directeur est très nécessaire, mais il est à désirer qu'il ait de
l'expérience... Mon opinion est et sera toujours que tout chrétien doit,
lorsqu'il le peut, communiquer avec des hommes doctes, et plus ils le seront,
mieux cela vaudra. Ceux qui marchent par les voies de l'oraison en ont plus
besoin que les autres ; et cela, à proportion qu'ils seront plus spirituels...
Ce dont je suis très persuadée, c'est que le démon ne séduira point par ses
artifices une personne d'oraison qui consulte des théologiens, à moins qu'elle
ne veuille se tromper elle-même. Selon moi, il redoute extrêmement la science
humble et vertueuse : il sait qu'il sera démasqué par elle, et qu'il se retirera
avec perte » (Vie par elle-même, ch. 13, p. 173-177 de l’éd. des carmélites de
Paris). Saint Jean de la Croix ne tient pas un autre langage : « De tels maîtres
spirituels (ignorant les voies mystiques) ne comprennent pas les âmes engagées
dans cette contemplation paisible et solitaire ; ils les forcent à reprendre le
chemin de la méditation et du travail de la mémoire, à faire des actes
intérieurs où les dites âmes ne trouvent que sécheresse et distraction… Qu’on le
sache bien : celui qui se trompe par ignorance, alors que son ministère lui
impose le devoir d’acquérir les connaissances indispensables, n'échappera pas à
un châtiment qui sera selon la mesure du mal produit. » (La vive flamme d’amour,
strophe III, v. 3, §. 11).
Qu'on ne dise pas : Si je rencontre de ces âmes, je les abandonnerai au Saint
Esprit pour qu'il les dirige. Le Saint Esprit vous répondrait qu'il vous les a
confiées, et que vous devez collaborer avec Lui à leur direction ; sans doute,
Il peut lui-même les conduire ; mais, pour éviter tout danger d'illusion, Il
veut que cette conduite soit soumise à l'approbation d'un directeur visible.
2° Utilité pour
les laïques
38. Nous disons utilité et non pas
nécessité : car les laïques peuvent se laisser conduire par un directeur
instruit et expérimenté, et ne sont donc pas obligés absolument d'étudier la
Théologie ascétique. Toutefois cette étude leur sera très utile pour trois
raisons principales : a) Pour stimuler et entretenir le désir de la perfection,
comme aussi pour donner une certaine connaissance de la nature de la vie
chrétienne et des moyens qui nous permettent de la perfectionner. On ne désire
point ce qu'on ne connaît pas, tandis que la lecture des livres spirituels
excite ou augmente le désir sincère de mettre en pratique ce qu'on a lu. Que
d'âmes, par exemple, se sont portées avec ardeur vers la perfection en lisant
l'Imitation, le Combat spirituel, l'Introduction à la vie dévote, la Pratique de
l' amour de Dieu ? b) De plus, même lorsqu'on a un guide spirituel, la lecture
d'une bonne Théologie ascétique facilite et complète la direction. On sait mieux
ce qu'il faut dire en confession ou en direction ; on comprend et on retient
mieux les conseils du directeur, quand on les retrouve dans un livre qu'on peut
relire. Le directeur, de son côté, se voit dispensé d'entrer dans de nombreux
détails, et se contente, après quelques avis substantiels, de faire lire quelque
traité où le dirigé trouvera les éclaircissements et les compléments
nécessaires. Ainsi la direction pourra être plus courte, sans rien perdre de son
profit : le livre continuera et complétera l'action du directeur. c) Enfin la
lecture d'un traité de vie spirituelle pourra suppléer, dans une certaine
mesure, à la direc- tion qu'on ne peut recevoir, faute de guide spirituel, ou du
moins qu'on ne reçoit que rarement. Sans doute, comme nous le dirons plus tard,
la direction est le moyen normal pour se former à la perfection ; mais lorsque,
pour une raison ou pour une autre, on ne peut trouver un bon directeur, le Bon
Dieu y supplée, et l’un des moyens dont il se sert est précisément un de ces
livres qui, d’une façon précise et méthodique, tracent la voie à suivre pour
devenir parfait.
3° De la manière
d'étudier cette science
39. Trois conditions sont requises
pour acquérir les connaissances nécessaires à la direction des âmes : un Manuel,
la lecture des grands maîtres, la pratique. A) L'étude d'un Manuel. Assurément
les lectures spirituelles qu'on fait dans un séminaire, la pratique de la
direction, et surtout l'acquisition progressive des vertus aident beaucoup le
séminariste à se former lui-même à l'art difficile de la direction des âmes.
Cependant il y faut joindre aussi l'étude d'un bon Manuel. 1) Les lectures
spirituelles sont avant tout un exercice de piété, une série d'instructions, de
conseils et d'exhortations sur la vie spirituelle, et il est bien rare qu'on y
traite d'une façon méthodique et complète toutes les questions de spiritualité.
2) En tout cas, si les séminaristes n’ont pas un Manuel, auquel ils puissent
rattacher logiquement les divers conseils qu’on leur donne, et qu'ils puissent
relire de temps en temps, ils auront vite oublié ce qu'ils avaient entendu, et
manqueront de la science compétente. Or cette science est une de celles que le
jeune clerc doit acquérir au Séminaire, dit avec raison Pie X (Motu proprio, 9
sept. 1910)
40. B) L'étude approfondie des Maîtres spirituels, en particulier des auteurs
canonisés, ou de ceux qui, sans l'être, ont vécu en saints. a) C'est en effet à
leur contact que le cœur s'échauffe, que l'intelligence, éclairée de la foi,
perçoit plus clairement et goûte mieux que dans un livre didactique les grands
principes de la vie spirituelle, et que la volonté, soutenue par la grâce, est
entraînée à la pratique des vertus si vivement décrites par ceux qui s'y sont
vaillamment exercés. En y joignant la lecture de la vie des Saints, on
comprendra mieux encore pourquoi et comment on doit les imiter, et
l'irrésistible influence de leurs exemples ajoutera une nouvelle force à leurs
enseignements. b) Cette étude, commencée au Séminaire, devra se poursuivre et
se perfectionner dans le ministère : la direction des âmes la rendra plus
pratique ; de même qu'un bon médecin ne cesse de perfectionner ses études par la
pratique de son art, et son art par de nouvelles études, ainsi un sage directeur
complètera ses connaissances théoriques par le contact avec les âmes, et l'art
de la direction par de nouvelles études en rapport avec les besoins spéciaux des
âmes qui lui sont confiées.
41. C) La pratique des vertus chrétiennes et sacerdotales, sous la sage
impulsion d'un directeur. Pour bien comprendre les différentes étapes de la
perfection, il n'est pas de moyen plus efficace que de les parcourir soi-même :
le meilleur guide à travers les montagnes n'est-il pas celui qui les a
parcourues en tous sens ? Et quand on a été bien dirigé, on est, toutes choses
égales d'ailleurs, plus apte à diriger les autres, parce qu'on a vu par
expérience comment on applique les règles aux cas particuliers.
En combinant ces trois conditions, on étudiera la Théologie ascétique avec
beaucoup de profit pour soi et pour les autres.
42. Solution de quelques difficultés. A) On reproche parfois à l'Ascétique de
fausser les consciences, en se montrant beaucoup plus exigente que la Morale, et
en demandant aux âmes une perfection irréalisable. Le reproche serait fondé, si
elle ne distinguait pas entre le précepte et le conseil, entre les âmes appelées
à la haute perfection et celles qui ne le sont pas. Mais il n’en est pas ainsi :
tout en pressant les âmes d’élite vers les hauteurs inaccessibles aux chrétiens
ordinaires, elle n’oublie pas la différence entre les commandements et les
conseils, les conditions essentielles au salut et celles qui sont requises pour
la perfection ; mais elle sait aussi que, pour garder les commandements, il faut
observer quelques conseils.
43. B) On l'accuse de favoriser l'égoïsme, en mettant au-dessus de tout la
sanctification personnelle. Que le salut de notre âme doive être la première de
nos préoccupations, c'est ce qu'enseigne Notre Seigneur lui-même (Matth., XVI,
26). Mais en cela il n'y a rien d'égoïste ; car l'une des conditions
essentielles au salut, c'est la charité à l'égard du prochain, qui se manifeste
par des œuvres corporelles aussi bien que par des œuvres spirituelles ; et la
perfection demande que l’on aime son prochain au point de se sacrifier pour lui,
comme Jésus l'a fait pour nous. Si c'est là de l'égoïsme, avouons qu'il est peu
à redouter. C) On insiste : l'Ascétique pousse les âmes à la contemplation, et
par là même les détourne de la vie active. Il faut absolument ignorer l'histoire
pour affirmer que la contemplation nuit à l'action : « Les vrais mystiques, dit
M. de Montmorand, sont gens de pratique et d'action, non de raisonnement et de
théorie. Ils ont le sens de l’organisation, le don du commandement, et se
révèlent très bien doués pour les affaires. Les œuvres qu’ils fondent sont
viables et durables ; ils font preuve, dans la conception et la conduite de
leurs entreprises, de prudence et de hardiesse, et de cette juste appréciation
des possibilités qui caractérise le bon sens. Et de fait le bon sens paraît être
leur maîtresse pièce : un bon sens que ne trouble aucune exaltation maladive,
aucune imagination désordonnée, et auquel s'ajoute la plus rare puissance de
pénétration. » (Psychologie des mystiques, 1920, p. 20-21). N'avons-nous pas vu
en effet, en lisant l'Histoire de l'Eglise, que la plupart des saints qui ont
écrit sur la vie spirituelle étaient en même temps des hommes de science et
d'action ? Témoin : Clément d'Alexandrie, S. Basile, S. Chrysostome, S.
Ambroise, S. Augustin, S. Grégoire, S. Anselme, S. Bernard, le B. Albert le
Grand, S. Thomas, S. Bonaventure, Gerson, Ste Thérèse, S. François de Sales, S.
Vincent de Paul, le Card. de Bérulle, Me Acarie, et tant d'autres qu'il serait
trop long d'énumérer. La contemplation, loin d'être un obstacle à l'action,
l'éclaire et la dirige. Rien donc de plus noble, de plus important, de plus
utile que la Théologie ascétique bien comprise.
§ V. Division de
la Théologie ascétique et mystique
I. Divers plans
suivis par les auteurs
Après avoir indiqué les divers
plans adoptés, nous proposerons celui qui nous semble le mieux adapté à notre
but. On peut se placer à plusieurs points de vue pour tracer une division
logique de la science spirituelle;
44. 1° Les uns, l'envisageant avant tout comme une science pratique, laissent de
côté toutes les vérités spéculatives sur lesquelles elle repose, et se bornent à
coordonner aussi méthodiquement que possible les règles de la perfection
chrétienne : tels furent, parmi les Pères, J. Cassien dans ses Conférences, S.
Jean Climaque dans son Echelle mystique... et, dans les temps modernes,
Rodriguez dans la Pratique de la perfection chrétienne. L'avantage de cette
méthode est d'entrer immédiatement dans l'étude des moyens pratiques qui mènent
à la perfection. L'inconvénient est de ne pas proposer aux âmes ces stimulants
que nous donne la considération de ce que Dieu et Jésus Christ ont fait et font
encore pour nous, et de ne pas baser la pratique des vertus sur ces convictions
profondes et générales que l'on trouve dans la méditation des vérités
dogmatiques.
45. 2° Aussi les Pères grecs et latins les plus illustres : S. Athanase et S.
Cyrille, S. Augustin et S. Hilaire ; les grands théologiens du Moyen-Age,
Richard de S. Victor, le B. Albert le Grand, S. Thomas et S. Bonaventure, ont
soin de baser leur doctrine spirituelle sur les dogmes de foi et d'y rattacher
les vertus dont ils exposent la nature et les degrés. C'est ce qu'a fait en
particulier l'Ecole française du dix-septième siècle, avec Bérulle, Condren,
Olier, J. Eudes. Elle veut éclairer l'esprit et fortifier les convictions pour
mieux faire pratiquer les austères vertus qu'elle propose à notre pratique, et
c'est là son mérite : Mais on lui reproche parfois de donner trop à la
spéculation et pas assez à la pratique ; unir les deux serait la perfection, et
plusieurs l'ont essayé aves succès.
46. 3° Parmi ceux qui s'efforcent de combiner ces deux éléments essentiels, il
en est qui suivent l'ordre ontologique des vertus, tandis que d'autres suivent
l'ordre psychologique du développement de ces mêmes vertus à travers les trois
voies, purgative, illuminative et unitive. A) Parmi les premiers se place S.
Thomas, qui, dans la Somme, traite successivement des vertus théologales et
morales et des dons du S. Esprit qu'il rattache à chaque vertu. Il a été suivi
par les principaux auteurs de l'Ecole française du XVIIe siècle et d'autres
écrivains. B) Parmi les seconds se placent tous ceux qui voulant former des
directeurs spirituels, ont décrit successivement les ascensions de l'âme à
travers les trois voies, en mettant seulement, en tête de leurs traités, une
courte introduction sur la nature de la vie spirituelle ; tels sont Thomas de
Vallgornera, O. P., Mystica Theologia Divi Thomæ, Philippe de la Ste Trinité, C.
D., Summa theologiæ mysticæ, Schram, O. S. B., Institutiones theologiæ mysticæ,
Scaramelli, S. J., Direttorio ascetico, et de nos jours, A. Saudreau, Les degrés
de la vie spirituelle.
47. 4° D'autres enfin, comme le P. Alvarez de Paz, S. J. et le P. Le Gaudier, S.
J., ont combiné les deux méthodes : tout en exposant longuement et d'une façon
dogmatique ce qui concerne la nature de la vie spirituelle et les principaux
moyens de perfection, ils ont ensuite appliqué ces principes généraux aux trois
voies. Il nous a semblé que, pour répondre au but que nous nous proposons,
former des directeurs d'âmes, c'était la meilleure division que nous pussions
suivre. Sans doute, avec un plan de ce genre, on n'échappe pas à quelques
redites, et l'on est obligé de pratiquer un certain morcelage ; mais ce sont là
des inconvénients inhérents à toute division, et auxquels on peut remédier par
des renvois aux sujets déjà traités ou à déve- lopper plus tard.
II. Notre plan
48. Nous diviserons notre théologie
ascétique en deux parties. Dans la première, qui sera surtout doctrinale, et que
nous intitulerons les Principes, nous exposerons l'origine et la nature de la
vie chrétienne, la perfection de cette vie, l'obligation de tendre à cette
perfection, et les moyens généraux pour y arriver. Dans la seconde, qui sera
l'application des principes aux différentes catégories d'âmes, nous suivrons les
ascensions progressives d'une âme qui, animée du désir de la perfection, suit
successivement les trois voies, purgative, illuminative et unitive. Cette
seconde partie, tout en s'appuyant sur la doctrine, sera surtout psychologique.
La première partie éclairera notre marche en nous montrant le plan divin de
notre sanctification, stimulera nos efforts en nous rappelant la générosité de
Dieu à notre égard, et nous tracera déjà les grandes lignes à suivre pour
répondre à cette générosité par le don total de nous-mêmes. La seconde guidera
nos pas en exposant en détail les étapes successives à parcourir, avec l'aide de
Dieu, pour arriver au but. Ainsi, pensons-nous, se trouveront réunis et
conciliés les avantages des autres divisions.


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