

SECONDE PARTIE
Les trois voies
LIVRE II
La voie illuminative ou l'état des âmes en progrès
CHAPITRE I
De l'oraison affective
975. Les âmes en progrès
continuent de faire les exercices spirituels des commençants, n° 657, en
augmentant leur nombre et leur durée, et en se rapprochant ainsi de la prière
habituelle déjà décrite, n° 522, et qui ne se réalise complètement que dans la
voie unitive. Elles s'appliquent surtout à l'oraison affective, qui peu à peu
remplace pour elles la méditation discursive. Nous exposerons donc 1° sa nature
; 2° ses avantages ; 3° ses difficultés ; 4° la méthode qu'on y peut suivre.
ART. I.
NATURE DE L’ORAISON AFFECTIVE
976. 1° Définition.
L'oraison affective est, comme le mot l'indique, celle où dominent les pieuses
affections, c'est-à-dire, les divers actes de volonté par lesquels nous
exprimons à Dieu notre amour et le désir de le glorifier. Dans cette oraison le
cœur a plus de part que l'esprit. Les commençants, avons-nous dit n° 668, ont
besoin d’acquérir des convictions : ils insistent donc sur les raisonnements, et
ne donnent qu'une place fort restreinte aux affections. Mais au fur et à mesure
que ces convictions s'enracinent profondément dans l'âme, il suffit de peu de
temps pour les renouveler, et alors on fait la part plus large aux affections.
Eprise de l'amour de Dieu et de la beauté de la vertu, l'âme s'élève plus
facilement par de pieux élans vers l'auteur de tout bien pour l'adorer, le
bénir, le remercier, l'aimer ; vers Notre Seigneur Jésus-Christ, son Sauveur,
son modèle, son chef, son ami, son frère, pour lui offrir ses sentiments les
plus affectueux ; vers la T. Ste Vierge, la mère de Jésus et la nôtre, la
distributrice des faveurs divines, pour lui exprimer l'amour le plus filial, le
plus confiant, le plus généreux, n° 166. D'autres sentiments jaillissent
spontanément de son cœur, sentiments de honte, de confusion et d'humiliation à
la vue de ses misères, désirs ardents de mieux faire, prières confiantes pour en
obtenir la grâce ; sentiments de zèle pour la gloire de Dieu, qui la font prier
pour tous les grands intérêts de l'Eglise et des âmes.
977. 2° Passage de la méditation à l'oraison affective. Ce n'est pas tout d'un
coup qu'on arrive à cette oraison. Il y a une période de transition où l'on
mélange plus ou moins les considérations et les affections. Il en est une autre
où les considérations se font encore, mais sous forme de colloque : Aidez-moi, ô
mon Dieu, à bien comprendre la nécessité de telle vertu ; et on réfléchit
quelques minutes ; puis on continue : merci, mon Dieu, de vos divines lumières ;
ayez la bonté de faire pénétrer ces convictions plus avant dans mon âme,
puisqu'elles influent plus efficacement sur ma conduite... Aidez-moi, je vous
prie, à voir combien je suis éloigné de cette vertu... ce que j'ai à faire pour
la mieux pratiquer aujourd'hui même. Enfin le moment arrive où les raisonnements
cessent presque complètement, ou du moins se font si brièvement que la plus
grande partie de l'oraison se passe en pieux colloques. Parfois cependant on
sent le besoin de revenir momentanément aux considérations pour occuper
suffisamment son esprit. En tout cela il faut suivre les mouvements de la grâce
contrôlés par le directeur.
978. 3° Signes qui justifient ce passage. A) Il importe de connaître les signes
auxquels on reconnaît qu'il est temps de quitter la méditation pour l'oraison
affective. Il serait imprudent de le faire trop ; car alors, l'âme n'étant pas
encore assez avancée pour entretenir ces affections, tomberait dans la
distraction ou la sécheresse. D'un autre côté il serait fâcheux de le faire trop
tard ; car, de l'aveu de tous les auteurs spirituels, l'oraison affective est
plus fructueuse que la méditation, parce que c’est surtout par des actes de
volonté que nous glorifions Dieu et attirons en nous les vertus.
B) Ces signes sont les suivants : 1) quand, malgré sa bonne volonté, on a de la
peine à faire des raisonnements ou à en tirer du profit, et que par ailleurs on
est porté aux affections ; 2) lorsque les convictions sont si profondément
enracinées que l'âme se sent convaincue dès le début de l'oraison ; 3) lorsque
le cœur, détaché du péché, se porte facilement vers Dieu ou Notre Seigneur.
Mais, comme on est mauvais juge en sa propre cause, on soumettra ces signes au
jugement du directeur.
979. 4° Moyens de cultiver les affections. A) C'est surtout en s'exerçant à la
vertu de charité qu'on multiplie et qu'on prolonge les pieuses affections :
elles jaillissent en effet d'un cœur où domine l’amour de Dieu. C'est lui qui
nous fait admirer les perfections divines ; éclairé par la foi, il met devant
nos yeux la beauté, la bonté, la miséricorde infinie de Dieu ; et alors naît
spontanément un sentiment de révérence et d'admiration, qui à son tour provoque
la reconnaissance, la louange, la complaisance ; plus on aime Dieu et plus se
prolongent ces actes divers. Il en est de même de l’amour envers N. S.
Jésus-Christ: quand on repasse dans son esprit les bienfaits que nous avons
signalés, n° 967, les souffrances endurées pour nous par cet aimable Sauveur,
l'amour qu'il nous témoigne encore dans l'Eucharistie, on se laisse aller
facilement aux sentiments d'admiration, d'adoration, de reconnaissance, de
compassion, d'amour, et on sent le besoin de louer et de bénir Celui qui nous
aime tant.
980. B) Pour favoriser cet amour divin, on conseillera aux progressants de
méditer souvent sur les grandes vérités qui nous rappellent ce que Dieu a fait
et ne cesse de faire pour nous : a) L'habitation des trois divines personnes
dans notre âme et leur action paternelle sur nous (n° 92-130) ; b) Notre
incorporation au Christ et son rôle dans notre vie chrétienne (n° 132-153) ; sa
vie, ses mystères, surtout sa douloureuse Passion, son amour dans l’Eucharistie
; c) Le rôle de la Ste Vierge, des Anges et des Saints dans la vie chrétienne
(n° 154-189) : nous trouvons là en effet un moyen précieux de varier nos
affections, en nous adressant tantôt à notre Mère du Ciel, tantôt aux SS. Anges,
surtout à notre ange gardien, tantôt aux Saints, surtout à ceux qui nous
inspirent une plus grande dévotion ; d) Les prières vocales, qui, comme le
Pater, l’Ave Maria, l'Adoro te devote latens deitas, etc... sont pleines de
sentiments d'amour, de reconnaissance, de conformité à la volonté de Dieu ; e)
Les principales vertus, comme la religion envers Dieu, l'obéissance à l'égard
des supérieurs, l'humilité, la force, la tempérance, et surtout les trois vertus
théologales : on considérera ces vertus non pas dans leur caractère abstrait,
mais en tant que pratiquées par Notre Seigneur, et c'est pour lui ressembler et
lui témoigner son amour qu'on essaiera de les pratiquer. f) On ne cessera pas de
méditer sur la pénitence, la mortification, le péché, les fins dernières ; mais
on le fera d'une autre manière que les commençants. Ainsi on considérera Jésus
comme modèle parfait de pénitence et de mortification, comme chargé de nos
péchés et les expiant par un long martyre, et on s'efforcera de l'attirer en soi
avec toutes ces vertus. Si on médite sur la mort, le ciel et l'enfer, ce sera
pour se détacher des choses créées pour s'unir à Jésus, et par là s'assurer la
grâce d'une bonne mort et une belle place dans le ciel près de Jésus.
ART. II.
AVANTAGES DE L'ORAISON AFFECTIVE
Ces avantages découlent de
la nature même de cette oraison.
981. 1° Le principal, c'est une union plus intime et plus habituelle avec Dieu.
En multipliant les affections, elle produit en nous un accroissement d'amour
pour Dieu... les affections sont ainsi effet et cause : elles naissent de
l'amour de Dieu, mais aussi elles le perfectionnent, puisque les vertus
croissent par la répétition des mêmes actes. Par là même elles augmentent notre
connaissance des perfections divines. Car, comme le fait remarquer S.
Bonaventure, la meilleure manière de connaître Dieu est d'expérimenter la
douceur de son amour ; ce mode de connaissance est bien plus excellent, plus
noble et plus délectable que la recherche par voie de raisonnement. De même en
effet qu'on juge mieux de l'excellence d'un arbre en goûtant la saveur de son
fruit, ainsi on apprécie mieux l'excellence des attributs divins quand on
expérimente la suavité de l'amour de Dieu. Cette connaissance augmente à son
tour notre charité, notre ferveur, et nous donne de l'élan pour pratiquer plus
parfaitement toutes les vertus.
982. 2° En augmentant la charité, l'oraison affective perfectionne par là même
toutes les vertus qui en découlent : a) la conformité à la volonté de Dieu : on
est heureux de faire la volonté de celui qu'on aime ; b) le désir de la gloire
de Dieu et du salut des âmes : quand on aime, on ne peut s'empêcher de louer et
de faire louer l'objet de son affection ; c) l'amour du silence et du
recueillement : on veut se trouver seul à seul avec Celui qu'on aime, pour
penser plus souvent à lui et lui redire son amour ; d) le désir de la communion
fréquente : on désire posséder le plus parfaitement possible l'objet de son
amour, on est heureux de le recevoir dans son cœur et de lui demeurer uni tout
le long du jour ; e) l'esprit de sacrifice : on sait qu'on ne peut s'unir au
divin Crucifié et, par lui, à Dieu lui-même, que, dans la mesure où on renonce à
soi-même et à ses aises, pour porter sa croix sans défaillir, et accepter toutes
les épreuves que nous envoie la Providence.
983. 3° On y trouve aussi souvent la consolation spirituelle : il n'est pas en
effet de joie plus pure et plus douce que celle qu'on trouve en la compagnie
d'un ami ; et, comme Jésus est le plus tendre et le plus généreux des amis, on
goûte en sa présence quelque chose des joies du ciel : esse cum Jesu dulcis
paradisus. Sans doute à côté de ces joies, il y a parfois des sécheresses ou
d'autres épreuves ; mais elles sont acceptées avec une douce résignation, on ne
cesse de redire à Dieu que, malgré tout, on veut l'aimer et le servir ; et la
pensée qu'on souffre pour Dieu est déjà un adoucissement à nos peines, une
consolation. On peut ajouter que l'oraison affective est moins pénible que
l'oraison discursive ; dans cette dernière, on se fatigue vite à suivre des
raisonnements, tandis que si on laisse aller son cœur à des sentiments d'amour,
de reconnaissance, de louange, l'âme y goûte un doux repos qui lui permet de
réserver ses efforts pour le temps de l'action.
984. 4° Enfin l'oraison affective, en se simplifiant, c'est-à-dire en diminuant
le nombre et la diversité des affections pour intensifier certaines d'entre
elles, nous conduit peu à peu à l'oraison de simplicité, qui est déjà une
contemplation acquise, et prépare ainsi à la contemplation infuse ou proprement
dite les âmes qui y sont appelées. Nous en parlerons dans la voie unitive.
ART. III.
LES INCONVÉNIENTS ET DANGERS DE L'ORAISON AFFECTIVE
Les meilleures choses ont
leurs inconvénients et leurs dangers : il en est ainsi de l'oraison affective
qui, si elle n’est pas faite selon les règles de la discrétion conduit à des
abus. Nous allons signaler les principaux avec leurs remèdes.
985. Le premier est la contention, qui amène 985 la fatigue et l'épuisement. Il
en est en effet qui, voulant intensifier leurs affections, font des efforts de
tête et de cœur, se battent les flancs, s'excitent violemment à produire des
actes, des élans d'amour, où la nature a beaucoup plus de part que la grâce.
Avec de tels efforts le système nerveux se fatigue, le sang afflue au cerveau,
une sorte de fièvre lente consume les forces, et on est vite épuisé. Il peut
même arriver que des désordres physiologiques en soient la suite, et qu'aux
pieuses affections se mêlent des sensations plus ou moins sensuelles.
986. C'est là un grave défaut, auquel il importe de remédier dès le début, en
suivant les avis d'un sage directeur auquel on ne manquera pas de signaler cet
état. Or le remède, c'est d'être bien convaincu que le véritable amour de Dieu
consiste beaucoup plus dans la volonté que dans la sensibilité, que la
générosité de cet amour n'est pas dans des élans violents mais dans le dessein
calme et arrêté de ne rien refuser à Dieu. N'oublions pas que l’amour est un
acte de la volonté ; sans doute il rejaillit souvent sur la sensibilité, et y
produit des émotions plus ou moins fortes, mais celles-ci ne sont pas la vraie
dévotion, elles n'en sont que des manifestations accidentelles, et doivent
demeurer subordonnées à la volonté, être modérées par elle, faute de quoi, elles
prennent le dessus, ce qui est un désordre, et, au lieu de favoriser la piété
solide, la font dégénérer en amour sensible et parfois sensuel : car toutes les
émotions violentes sont au fond du même genre, et l'on passe facilement de l'une
à l'autre. Il faut donc tendre à spiritualiser ses affections, à les calmer, à
les mettre au service de la volonté ; alors on goûtera une paix qui surpassera
tout sentiment : « pax Dei qua exsuperat omnem sensum » (Phil., IV, 7).
987. 2° Le second défaut est l'orgueil et la présomption. Parce qu'on a de bons
et nobles sentiments, de saints désirs, de beaux projets d'avancement spirituel,
parce qu'on a de la ferveur sensible, et que, dans ces moments, on méprise les
plaisirs, les biens et les vanités du siècle, on se croit volontiers beaucoup
plus avancé qu'on ne l'est, on se demande même si on n'est pas déjà tout près
des cimes de la perfection et de la contemplation ; parfois même, à l'oraison,
on retient sa respiration, dans l'attente des communications divines. De tels
sentiments montrent clairement au contraire qu'on est encore bien loin de ces
hauts sommets : car les saints, les fervents se défient d'eux-mêmes, s'estiment
toujours les pires et croient volontiers que les autres sont meilleurs qu'eux.
Il faut donc revenir à la pratique de l'humilité, de la défiance de soi-même, en
tenant compte de ce que nous dirons plus tard de cette vertu. Du reste, quand
ces sentiments d'orgueil se développent, Dieu se charge souvent de ramener ces
âmes à de justes sentiments de leur indignité et de leur incapacité, en les
privant de consolations, de grâces de choix : elles comprennent alors qu'elles
sont encore bien loin du but désiré.
988. 3° Il en est aussi qui mettent toute leur dévotion dans la recherche des
consolations spirituelles, et négligent leurs devoirs d'état et la pratique des
vertus ordinaires : pourvu qu'elles fassent de belles oraisons, elles
s'imaginent être parfaites. C'est là une grande illusion : il n'est point de
perfection sans conformité à la volonté divine ; or cette volonté, c'est que
nous accomplissions fidèlement, outre les commandements, les devoirs d'état, que
nous pratiquions les petites vertus de modestie, de douceur, de condescendance,
d'amabilité, aussi bien que les grandes. Croire qu'on est un saint parce qu'on
aime l'oraison et surtout ses consolations, c'est oublier que celui-là seul est
parfait qui fait la volonté de Dieu : « Ce ne sont pas ceux qui me disent :
Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux, mais bien celui qui
fait la volonté de mon Père » (Matth., VII, 21).
Mais quand on sait écarter les obstacles et les dangers par les moyens que nous
avons indiqués, il reste que l'oraison affective est très utile à notre progrès
spirituel comme au zèle apostolique. Voyons donc quelles sont les méthodes qui
nous permettent le mieux de la cultiver.
ART. IV.
MÉTHODES D'ORAISON AFFECTIVE
Ces méthodes se ramènent à
deux types : la méthode de S. Ignace et celle de S. Sulpice.
I. Les
méthodes de S. Ignace
Parmi les méthodes
ignatiennes, il en est trois qui se rapportent à l'oraison affective : 1° la
contemplation ; 2° l'application des sens ; 3° la seconde manière de prier.
1° La
contemplation ignatienne
989. Il s'agit ici non de
la contemplation infuse ni même de la contemplation acquise, mais d'une méthode
d'oraison affective. Contempler un objet, ce n'est pas le regarder en passant,
mais posément et avec goût jusqu'à ce qu'on soit pleinement satisfait ; c'est le
regarder avec admiration, avec amour comme une mère contemple son enfant. Cette
contemplation peut porter sur les mystères de Notre Seigneur ou sur les
attributs divins.
Quand on médite sur un mystère : 1) on contemple les personnes qui interviennent
dans ce mystère, par exemple, la Ste Trinité, Notre Seigneur, la Ste Vierge, les
hommes, on voit leur extérieur et leur intérieur ; 2) on écoute leurs paroles,
on se demande à qui elles sont adressées, ce qu'elles expriment ; 3) On
considère les actions, leur nature et leurs circonstances : le tout en vue de
rendre ses devoirs à Dieu, à Jésus, à Notre Dame, de mieux connaître et de mieux
aimer Notre Seigneur.
990. Pour que cette contemplation soit plus fructueuse, on regarde le mystère
non pas comme un événement passé, mais comme se déroutant actuellement sous nos
yeux : il subsiste en effet par la grâce qui y est attachée. De plus on n'y
assiste pas en simple spectateur, mais en y prenant une part active, par exemple
en s'unissant aux sentiments de la Vierge, au moment de la naissance de l'Enfant-Dieu.
On y cherchera, en outre, un résultat pratique, par exemple, une connaissance
plus intime de Jésus, un amour plus généreux pour lui. Comme on le voit, il est
facile de faire rentrer dans ce cadre tous les sentiments d'admiration,
d'adoration, de reconnaissance, d'amour envers Dieu, comme aussi de componction,
de confusion, de contrition à la vue de nos péchés, et enfin toutes les prières
que nous pouvons faire pour nous et pour les autres. Pour que la multiplicité de
ces affections ne nuise pas à la paix et à la tranquillité de l'âme, on
n'oubliera pas cette remarque si sage de S. Ignace : « Si j'éprouve dans un
point les sentiments que je voulais exciter en moi, je m'y arrêterai et
reposerai, sans me mettre en peine de passer outre, jusqu'à ce que mon âme soit
pleinement satisfaite ; car ce n'est pas l'abondance de la science qui rassasie
l'âme et la satisfait, mais le sentiment et le goût intérieur des vérités
qu'elle médite » (Ex. spirituels, 2e annot., 4e addit.).
2°
L’application des cinq sens
991. On désigne sous ce
nom une manière de méditer très simple et très affectueuse. Elle consiste à
exercer les cinq sens imaginatifs ou spirituels sur quelque mystère de Notre
Seigneur, afin de faire pénétrer plus avant dans notre âme toutes les
circonstances de ce mystère et d'exciter dans notre cœur de pieux sentiments et
de bonnes résolutions.
Prenons un exemple tiré du mystère de Noël.
1) Application de la vue : je vois le petit enfant dans la crèche, cette paille
sur laquelle il est couché, ces langes qui l’enveloppent... je vois ses petites
mains qui tremblent de froid, ses yeux mouillés de larmes... C'est mon Dieu : je
l’adore avec une foi vive. Je vois la Ste Vierge : quelle modestie, quelle
beauté céleste !... je la vois qui prend l’enfant Jésus dans ses bras, qui
l'enveloppe de langes, qui le presse sur son cœur, et le couche sur la paille :
c'est son Fils et c'est son Dieu ! J'admire, je prie... je pense à la sainte
communion : c'est le même Jésus que je reçois... Ai-je la même foi, le même
amour ?
2) Application de l’ouïe. J'entends les vagissements du divin Enfant... les
gémissements que lui arrache la souffrance... Il a froid, il souffre surtout de
l’ingratitude des hommes... J'entends les paroles de son Cœur au Cœur de sa
sainte Mère, la réponse de celle-ci, réponse pleine de foi, d'adoration,
d'humilité, d'amour ; et je m'unis à ses sentiments...
3) Application de l'odorat. Je respire le parfum des vertus de la crèche, la
bonne odeur de Jésus-Christ, et je supplie mon Sauveur de me donner ce sens
spirituel qui me permettra de respirer le parfum de son humilité...
4) Application du goût. Je goûte le bonheur d’être avec Jésus, Marie, Joseph, le
bonheur de les aimer, et pour le mieux goûter, je resterai silencieusement tout
près de mon Sauveur.
5) Application du toucher. Je touche de mes mains avec un pieux respect la
crèche et la paille où mon Sauveur est couché, je les baise avec amour... Et, si
le divin Enfant veut bien me le permettre, je baise ses pieds sacrés .
On termine par un pieux
colloque avec Jésus, avec sa mère, en demandant la grâce d'aimer plus
généreusement ce divin Sauveur.
992. Quant à l'oraison sur les attributs divins, elle se fait en considérant
chacun de ces attributs avec des sentiments d'adoration, de louange et d'amour,
pour conclure au don total de soi-même à Dieu .
3° La
seconde manière de prier
993. Cette seconde manière
de prier consiste à parcourir lentement une prière vocale, comme le Pater,
l'Ave, le Salve Regina, etc., pour considérer et goûter la signification de
chaque parole. Ainsi, pour le Pater, vous considérez le premier mot, et vous
dites : O mon Dieu, vous l'Eternel, le Tout-Puissant, le Créateur de toutes
choses, vous m'avez adopté pour enfant, vous êtes mon Père. Vous l'êtes parce
que vous m'avez communiqué au baptême une participation à votre vie divine, et
que chaque jour vous l'augmentez en mon âme... Vous l'êtes, parce que vous
m'aimez comme jamais aucun père, aucune mère n'a aimé son enfant... parce que
vous avez pour moi une sollicitude toute paternelle... On demeure sur ce premier
mot tant qu'on y trouve des significations et des sentiments qui apportent
quelque lumière, force ou consolation. S'il arrive même qu'une ou deux paroles
fournissent une matière suffisante pour tout le temps de l'oraison, on ne se met
pas en peine de passer outre ; on goûte ces paroles, on en tire quelque
conclusion pratique, et on prie pour pouvoir l'accomplir.
Voilà donc trois manières simples et faciles pour pratiquer l'oraison affective.
II. La
méthode de S. Sulpice
Nous avons déjà remarqué,
n° 701, que cette méthode est très affective ; les âmes avancées n'ont donc qu'à
l'utiliser en tenant compte des remarques suivantes.
904. 1° Le premier point, l'adoration, qui, pour les commençants était assez
court, se prolonge de plus en plus, et parfois occupe à lui seul plus d'une
moitié de l'oraison. C'est alors que l'âme, éprise d'amour de Dieu, admire,
adore, loue, bénit, remercie tantôt les trois divines personnes, tantôt chacune
d'elles en particulier, tantôt Notre Seigneur, modèle parfait de la vertu qu'on
veut attirer en soi. Elle rend aussi, selon les circonstances, ses hommages de
vénération, de reconnaissance et d'amour à la Ste Vierge et aux Saints ; et, en
le faisant, elle se sent attirée à imiter leurs vertus.
995. 2° Le second point, ou communion, devient aussi presque complètement
affectif. Les quelques considérations qu'on fait sont très courtes, et encore
les fait-on sous forme de colloques avec Dieu ou Notre Seigneur : « Aidez-moi, ô
mon Dieu, à me convaincre de plus en plus »... ; elles sont accompagnées et
suivies d'effusions de reconnaissance pour les lumières reçues, de désirs
ardents de pratiquer la vertu sur laquelle on médite. Quand on s'examine sur
cette vertu, c'est sous le regard de Jésus et en se comparant à ce divin Modèle
; le résultat, c'est qu'on voit bien mieux ses défauts et ses misères, à cause
du contraste entre lui et nous ; et alors les sentiments d'humiliation et de
confusion qu'on éprouve sont plus profonds, la confiance qu'on a en Dieu est
plus grande, parce qu'on se trouve en face du divin guérisseur des âmes, et que
spontanément s'échappe ce cri du cœur : « Seigneur, voici que celui que vous
aimez est bien malade : « ecce quem amas infirmatur » (Joan., XI, 4). De là des
prières ardentes pour obtenir la grâce de pratiquer telle ou telle vertu,
prières non seulement pour soi, mais pour les autres, pour l'Eglise tout entière
; prières confiantes, parce qu'étant incorporé au Christ, on sait que ces
prières sont appuyées par lui.
996. 3° La coopération elle-même, au troisième point, devient plus affectueuse :
la résolution qu'on prend, on la soumet à Jésus, pour la lui faire approuver, on
veut la pratiquer pour s'incorporer à lui plus parfaitement, on compte pour cela
sur sa collaboration, en se défiant de soi-même ; on attache cette résolution à
un bouquet spirituel, une pieuse invocation qu'on redit souvent au cours de la
journée, et qui nous aide non seulement à la mettre en pratique, mais à nous
souvenir affectueusement de Celui qui nous l'a inspirée.
997. Il est des cas cependant où l'âme, étant dans la sécheresse, ne peut
qu'avec grande peine produire des affections de ce genre. Alors, doucement
abandonnée à la volonté de Dieu, elle proteste qu'elle veut l'aimer, lui rester
fidèle, se maintenir coûte que coûte en sa présence et à son service ; elle
reconnaît humblement son indignité, son incapacité, s'unit par la volonté à
Notre Seigneur, offre à Dieu les devoirs qu'il lui rend, et y joint les
souffrances qu'elle éprouve à ne pouvoir faire plus pour honorer sa divine
Majesté. Ces actes de volonté sont encore plus méritoires que les pieuses
affections.
Telles sont les principales méthodes d'oraison affective : à chacun de choisir
celle qui lui convient le mieux, et, dans chaque méthode, à prendre ce qui se
rapporte actuellement aux besoins et aux attraits surnaturels de son âme,
suivant en cela les mouvements de la grâce. Ainsi il progressera dans la
pratique des vertus.


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